SECONDE PARTIE : LA NÉCESSITÉ DE SORTIR
DE LA CRISE POUR PRÉPARER L'EHPAD DE DEMAIN

I. RATTRAPER EN URGENCE LE DÉFICIT DE FINANCEMENT DES EHPAD

A. MOBILISER EN TANT QUE DE BESOIN L'EXCÉDENT DE LA BRANCHE AUTONOMIE

Les comptes de la branche autonomie ont connu, en 2023, une dégradation et un passage en territoire déficitaire sous l'effet de la hausse soutenue des dépenses et du ralentissement de la croissance des recettes. Le solde présenté dans le tableau d'équilibre du projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale (Placss) pour 2023, déposé à l'Assemblée nationale le 31 mai 2024128(*) (- 0,6 milliard d'euros), est cependant plus favorable que la prévision figurant dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2024 (- 1,1 milliard d'euros)129(*).

En 2024, la branche autonomie bénéficie d'un apport de 0,15 point de CSG130(*), prévu par la loi du 7 août 2020 relative à la dette sociale et à l'autonomie131(*), en provenance de la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades). Ce complément de CSG représente 2,6 milliards d'euros de recettes supplémentaires.

Ainsi, la branche serait nettement excédentaire en 2024 (+ 1,2 milliard d'euros). Cet excédent devrait toutefois s'éroder progressivement sous l'effet du dynamisme tendanciel des dépenses pour s'annuler en 2027 (cf. tableau ci-dessous).

Recettes, dépenses et solde de la branche autonomie de 2022 à 2027

 

2022

2023

2024 (p)

2025 (p)

2026 (p)

2027 (p)

Recettes

35,4

37

41,2

42,1

43,3

44,7

Dépenses

35,2

37,6

40,0

41,4

43

44,7

Solde

0,2

-0,6

1,2

0,7

0,3

0,0

Sources : LFSS pour 2024 ; Placss pour 2023

La CNSA dispose donc, cette année au moins, des moyens de soutenir si nécessaire les Ehpad en risque de cessation de paiement en y consacrant des financements exceptionnels.

B. REVALORISER LES TARIFS DÉPENDANCE ET HÉBERGEMENT

L'« effet ciseaux » subi par les Ehpad est en partie imputable à une évolution inférieure à l'inflation des tarifs dépendance et hébergement fixés par les départements (cf. première partie).

1. Vers une convergence des tarifs dépendance

Chaque année, le conseil départemental arrête la valeur du point GIR qui correspond au montant consacré pour chaque point du GIR moyen pondéré (GMP) d'un établissement. Le GMP permet de mesurer le niveau moyen de perte d'autonomie des résidents de l'établissement, basé sur la grille d'évaluation AGGIR. La valeur du point GIR permet donc de calculer le forfait dépendance des établissements.

Ce forfait dépendance est versé par les départements sous la forme d'une prestation individuelle, l'APA en établissement.

a) Le processus de convergence des forfaits dépendance et la fin de la neutralisation de la convergence négative

Le mode de tarification actuel des sections soins et dépendance découle de la réforme engagée par la loi « ASV » de 2015132(*). Celle-ci a permis d'objectiver l'allocation des ressources des Ehpad en calculant des dotations forfaitaires sur la base d'équations tarifaires.

Cette réforme a entraîné une convergence des forfaits des établissements vers la valeur moyenne calculée sur la base du point GIR départemental. En conséquence, de nombreux établissements, notamment publics, sont entrés dans un processus de convergence à la baisse sur une période transitoire de sept ans, de 2017 à 2023. Selon le rapport de Pierre Ricordeau, chargé d'une mission de médiation par le Gouvernement, 20 à 25 % des Ehpad se seraient retrouvés avec des ressources en nette baisse.

Le Gouvernement a alors décidé de neutraliser les effets de cette convergence négative : les Ehpad perdants ont bénéficié d'une compensation intégralement financée par les ARS de la convergence à la baisse de leurs forfaits soins et dépendance. Le montant de l'enveloppe consacré à cette neutralisation de la convergence négative était, en 2018, de 29 millions d'euros. Cette enveloppe a été progressivement abondée pour aboutir à un montant de 131,8 millions d'euros en 2022.

La CNDEPAH a alerté les rapporteures sur le fait que, si ce dispositif n'était pas reconduit, de très nombreux établissements, majoritairement publics, perdraient, en une année, toute cette compensation, ce qui aggraverait les situations déficitaires.

Toutefois, la fin du mécanisme, pour la section soins en 2021 et pour la section dépendance en 2023, n'a pas conduit à la suppression de cette enveloppe mais à son maintien dans les bases des ARS qui ont eu pour instruction, dans le cadre des campagnes budgétaires 2023 et 2024, d'orienter ces crédits, sous la forme de crédits non reconductibles, vers le soutien des ESMS en difficultés.

Ainsi l'instruction budgétaire du 22 mai 2024 indique-t-elle que, « compte tenu des difficultés économiques rencontrées par certains ESMS, les ARS pourront mobiliser une partie des financements complémentaires alloués depuis 2018 au titre de la neutralisation (à hauteur de 100 M€), via une délégation de crédits non reconductibles. »

b) Envisager une convergence des valeurs de point GIR

Les écarts actuels entre les valeurs de point GIR fixées par les départements entraînent des inégalités territoriales en matière de financement de la dépendance133(*). Or, s'agissant des besoins d'accompagnement de la dépendance, ces écarts se justifient moins que ceux qui concernent les tarifs d'hébergement (cf. infra).

La fixation d'une valeur nationale de convergence du point GIR pourrait être envisagée afin d'homogénéiser ce financement.

Une telle mesure serait cohérente avec le projet de fusion des sections soins et dépendance, engagé sous la forme d'une expérimentation par la LFSS pour 2024. Elle supposerait toutefois de définir, en lien avec les départements concernés et l'ADF, une trajectoire d'évolution des valeurs de point GIR.

Elle nécessiterait également un accompagnement financier adéquat par la branche autonomie. Il conviendrait notamment de veiller à éviter les effets pervers constatés lors de la création par la LFSS pour 2022 d'un tarif plancher pour les services d'aide et d'accompagnement à domicile : les modalités du concours financier spécifique mis en place afin de compenser le coût de cette mesure avaient en effet désavantagé les départements qui avaient déjà fait l'effort d'avoir des tarifs plus élevés que la moyenne, suscitant l'incompréhension et l'amertume des collectivités concernées.

Proposition n° 2 : Déterminer une valeur nationale de convergence du point GIR en définissant, pendant une période transitoire, une trajectoire d'évolution à la hausse et un accompagnement financier des départements.

c) Accompagner les départements dans la croissance de leurs dépenses d'APA

Les dépenses d'APA des départements, y compris l'APA à domicile, s'élevaient, en 2022, à 6,3 milliards d'euros.

Ces dépenses sont partiellement couvertes par deux concours financiers de la CNSA dont le montant global est limité en fonction des recettes de la branche :

- le concours « APA 1 » s'élève globalement à 7,7 % des produits de la contribution de solidarité pour l'autonomie (CSA), de la contribution additionnelle de solidarité pour l'autonomie (Casa) et de la fraction du produit de la CSG affectée à la CNSA ;

- le concours « APA 2 », créé par la loi « ASV » de 2015134(*), est financé à hauteur de 61,4 % du produit de la Casa.

Ces enveloppes sont réparties entre les départements suivant des critères spécifiques à chaque concours.

Les mécanismes de répartition des concours APA

• Le mécanisme de répartition du concours « APA 1 » entre les départements repose sur la prise en compte des critères suivants : 

- le nombre de personnes âgées de plus de 75 ans, pour 50 % ;

- la dépense d'APA du département, pour 20 % ;

- le potentiel fiscal, pour 25 % ;

- le nombre de foyers bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA) résidant dans le département, à l'exception de ceux ayant droit au RSA majoré, pour 5 %135(*).

• La répartition du concours « APA 2 » est déterminée par la part de chaque département dans la charge nouvelle résultant de la création de l'aide au répit pour les proches aidants par la loi « ASV »136(*).

Si la part des dépenses d'APA couverte par les concours de la CNSA a augmenté depuis 2010, cette couverture n'est que de 41,5 % en moyenne en 2022.

Évolution des dépenses d'APA des départements
et de la part financée par la CNSA

(en millions d'euros)

Source : Rapport d'évaluation des politiques de sécurité sociale - Autonomie, édition 2024

Ce taux de couverture moyen, jugé trop faible par l'ADF, masque de surcroît des disparités importantes entre les départements : en 2021, le taux de couverture des dépenses d'APA par département variait de 15 % à 56 %137(*).

La LFSS pour 2024 a prévu, en complément du financement des concours APA, l'octroi d'un financement de 150 millions d'euros de la branche autonomie aux départements138(*). Les modalités de mise en oeuvre de ce dispositif ont été précisées par un décret du 6 juillet 2024139(*).

Ce complément doit être réparti entre les départements en prenant notamment en compte le niveau du financement attribué en 2023 au titre des concours APA : l'objectif est d'atteindre un taux de couverture minimal fixé par arrêté ministériel. N'y seront pas éligibles les départements ayant un potentiel fiscal par habitant supérieur à 3 fois le potentiel fiscal moyen par habitant de l'ensemble des départements, ni ceux pour lesquels la CNSA n'a pas constaté de dépenses au titre de la « dotation qualité » accordée aux services autonomie à domicile (SAD).

Le versement de ce « geste financier » devrait intervenir en octobre 2024. Au-delà de cette mesure ponctuelle, une réforme profonde des concours de la CNSA est attendue afin de mieux accompagner les départements dans leur soutien à l'autonomie.

2. Pour une indexation des tarifs hébergement

Les disparités entre les prix à l'hébergement pratiqués dans les départements se justifient par des facteurs locaux, notamment les prix de l'immobilier.

Cependant, le tarif d'hébergement couvre des dépenses de natures variées, incluant des charges de personnel et de fournitures.

Or, l'évolution moyenne des prix, notamment pour les places habilitées à l'aide sociale, est depuis plusieurs années inférieure à l'inflation, en particulier en 2022140(*). Ce différentiel a contribué à l'« effet ciseaux » qui a grevé la situation financière des Ehpad, surtout pour les Ehpad publics et associatifs qui proposent une majorité de places habilitées à l'aide sociale.

Évolution des prix moyens d'hébergement en Ehpad de 2016 à 2023

Source : CNSA

En termes réels, selon la CNSA, le prix global de l'hébergement a baissé de 0,6 % en 2023. La baisse a été plus nette pour les prix ASH (- 1,1 %) que pour les prix non-ASH (- 0,4 %)141(*).

Pour les Ehpad habilités à l'aide sociale, l'évolution des tarifs est encadrée par le département. Ce dernier doit arbitrer entre des objectifs de régulation budgétaire, en tant que financeur de l'ASH, de modération du reste à charge pour les résidents et leur famille, et des objectifs d'allocation de ressources aux établissements.

Au cours des dernières années, cet arbitrage a été défavorable aux Ehpad. Ainsi, selon la FHF, l'évolution cumulée sur la période de 2021 à 2024 du montant des retraites du régime général a été de 11,5 % tandis que celle des prix des Ehpad habilités à l'aide sociale a été de 9 %.

Pour les rapporteures, s'il est légitime que les départements conservent une marge d'appréciation pour fixer les tarifs ASH, un plancher de revalorisation annuelle, indexé sur l'inflation, permettrait de sécuriser les ressources des Ehpad.

Proposition n° 3 : Instaurer un plancher de revalorisation du tarif hébergement opposable à l'aide sociale indexé sur l'inflation.

3. Financer intégralement les mesures de revalorisation salariale

La revalorisation des tarifs dépendance et hébergement permettrait également de compenser l'impact des différentes revalorisations salariales concernant les professionnels relevant de ces sections tarifaires.

Dans cette perspective, il apparaît indispensable d'évaluer l'impact des revalorisations intervenues depuis 2020 ainsi que leur compensation financière au titre des différentes sections tarifaires de manière à aboutir à un état des lieux partagé. Les ajustements financiers nécessaires pourraient faire l'objet d'une concertation entre les différents financeurs : État, CNSA et départements.

Le financement public des mesures salariales devrait être prévu de manière à assurer un soutien équitable aux différents secteurs (public, privé non lucratif, privé lucratif).


* 128 L'examen de ce texte par le Parlement a été suspendu à la suite de la dissolution de l'Assemblée nationale, le 9 juin 2024.

* 129 Loi n° 2023-1250 du 26 décembre 2023 de financement de la sécurité sociale pour 2024 - Annexe A.

* 130 Contribution sociale généralisée.

* 131 Loi n° 2020-992 du 7 août 2020 relative à la dette sociale et à l'autonomie - Article 3.

* 132 Loi n° 2015-1776 du 28 décembre 2015 relative à l'adaptation de la société au vieillissement.

* 133 Cf. première partie, I.C.1.

* 134 Loi n° 2015-1776 du 28 décembre 2015 relative à l'adaptation de la société au vieillissement.

* 135 Article R. 178-7 du code de l'action sociale et des familles.

* 136 Article R. 178-8 du code de l'action sociale et des familles.

* 137 Source : DGCS.

* 138 Loi n° 2023-1250 du 26 décembre 2023 de financement de la sécurité sociale pour 2024 - Article 86.

* 139 Décret n° 2024-726 du 6 juillet 2024 relatif au complément de financement versé aux départements par la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie en application de l'article 86 de la loi de financement de la sécurité sociale du 26 décembre 2023 pour 2024.

* 140 L'inflation moyenne s'est établie à 5,2 % alors que le prix moyen de l'hébergement a augmenté de 1,9 %.

* 141 « Hausse de 4,4 % du prix de l'hébergement en Ehpad en 2023 », Repères statistiques n° 19, CNSA, janvier 2024.

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