D. L'ENGAGEMENT TIMIDE DE MESURES STRUCTURELLES
1. La réforme des sections soins et dépendance
a) L'expérimentation de la fusion des sections tarifaires
La LFSS pour 2024 a amorcé une réforme du modèle de financement des Ehpad en prévoyant l'expérimentation, dans vingt départements volontaires au plus, d'un régime adapté de financement des Ehpad, des petites unités de vie et des unités de soins de longue durée (USLD)121(*).
Dans ce cadre, les charges couvertes par les forfaits soins et dépendance seront financées par un forfait global unique relatif aux soins et à l'entretien de l'autonomie. Le montant de ce forfait, financé par la branche autonomie, sera fixé chaque année par le directeur général de l'ARS.
Les départements concernés resteraient compétents en matière d'autorisation ainsi que d'inspection et de contrôle des Ehpad. Ils pourraient aussi, sur leur demande, être cosignataires des contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens (CPOM) de tous les Ehpad de leur territoire. Ils resteraient aussi financeurs de la section hébergement par le biais de l'ASH.
Une telle réforme est envisagée de longue date et soutenue par les fédérations du secteur. En effet, l'organisation en trois sections du financement des Ehpad est source de complexités et de coûts qui apparaissent de moins en moins justifiés. Dès 2019, le rapport de Dominique Libault sur le grand âge et l'autonomie recommandait ainsi d'engager la fusion des sections tarifaires soins et dépendance.
Outre l'enjeu de simplification, ce nouveau régime de financement a pour objectif de rehausser le niveau de financement des Ehpad en intégrant une plus grande partie de leur budget dans le périmètre de la branche autonomie. Il permettra également une harmonisation, potentiellement à la hausse, des valeurs de points GIR aujourd'hui fixées par les départements.
Alors que le Gouvernement proposait initialement un modèle de financement « à la carte », avec la possibilité pour les départements d'opter à titre définitif pour la fusion des sections soins et dépendance, le Sénat a adopté, lors de la discussion du PLFSS pour 2024, un amendement mettant en place une véritable expérimentation avec une possibilité de généralisation au regard de l'évaluation du dispositif122(*).
Deux vagues de départements pourront entrer dans l'expérimentation, le 1er janvier 2025 puis le 1er janvier 2026. Celle-ci pourra être menée jusqu'au 30 décembre 2028.
Départements de France (ADF) demandait, pour sa part, que soit menée une expérimentation « miroir » permettant, dans les départements volontaires, une fusion des sections soins et dépendance sous l'égide du conseil départemental. Certains départements craignent en effet que cette fusion des sections entraîne une prééminence des ARS au détriment des conseils départementaux en matière de pilotage des Ehpad et, à terme, des tensions concernant le maintien des Ehpad dans les territoires ruraux. L'ADF se montre également attentive aux modalités financières de la reprise de recettes par l'État et la sécurité sociale dans le cadre du régime adapté de financement.
En tout état de cause, la mise en oeuvre de cette expérimentation et son impact seront suivis avec attention par la commission des affaires sociales dans la perspective de réformes à venir.
b) La prise en charge d'actions de prévention par la section soins
Certaines actions de prévention de la perte d'autonomie sont aujourd'hui uniquement prises en charge par la section hébergement alors qu'elles sont étroitement liées à l'évolution des besoins en soins et en accompagnement des résidents d'Ehpad.
Afin de remédier à cette lacune, la loi « bien-vieillir » du 8 avril 2024 a prévu que le forfait soins puisse financer des actions de prévention de la perte d'autonomie, notamment des actions de prévention de la dénutrition, des actions en faveur de l'activité physique adaptée, des actions visant à améliorer la qualité des soins et de l'accompagnement des personnes âgées ainsi que des actions de stimulation cognitive123(*).
De même l'article 79 de la LFSS pour 2024 a-t-il prévu que, dans le cadre de l'expérimentation de la fusion des sections soins et dépendance, le forfait global unique relatif aux soins et à l'entretien de l'autonomie puisse financer « des actions de prévention ».
S'il semble pertinent de prévoir des financements spécifiquement fléchés vers des actions de prévention de la perte d'autonomie au sein des Ehpad, cette possibilité devra s'accompagner d'une augmentation à due concurrence de l'OGD.
2. Une nouvelle obligation d'adhérer à un groupement pour les Ehpad publics
a) Des outils de coopération encore trop peu utilisés
Dans un contexte de fragilité économique des Ehpad, les stratégies de coopération et de mutualisation à l'échelle d'un territoire peuvent être un moyen pour les établissements d'améliorer leur performance et de recouvrer la capacité de financer des projets.
L'article L. 312-7 du code de l'action sociale et des familles prévoit plusieurs modalités afin de favoriser la coordination et la complémentarité entre les ESMS et les personnes gestionnaires :
- conclure des conventions entre eux, avec des établissements de santé ou avec des établissements publics locaux d'enseignement (EPLE) et des établissements d'enseignement privés ;
- créer des groupements d'intérêt économique (GIE) et des groupements d'intérêt public (GIP) ;
- créer des groupements de coopération sociale ou médico-sociale (GCSMS) ;
- procéder à des regroupements ou à des fusions.
Les GCSMS, introduits par la loi du 2 janvier 2002 rénovant l'action sociale et médico-sociale124(*), sont des instruments de coopération dotés, selon le cas, de la personnalité morale de droit public ou de droit privé et poursuivant un but non lucratif. Ils peuvent être constitués entre professionnels des secteurs sociaux et médico-sociaux et sanitaires, ainsi qu'entre ces professionnels, des ESMS et personnes gestionnaires et des établissements de santé. Peuvent y être associés, par conventions, des professionnels médicaux et paramédicaux du secteur libéral ou du secteur public n'exerçant pas dans les établissements et services des membres adhérents.
Au 31 décembre 2022, 59,2 % des Ehpad coopéraient au sein d'une forme de groupement : GIP, GIE, GCSMS, groupement hospitalier de territoire (GHT) ou groupement de coopération sanitaire (GCS). Cependant, selon une enquête de l'Anap, seuls 11,5 % des Ehpad déclarent faire partie d'un GCSMS. Cet outil reste donc trop peu utilisé125(*).
b) La volonté d'accélérer le regroupement des structures publiques
Devant le constat de l'atomisation du parc d'Ehpad publics, la loi « bien-vieillir » du 8 avril 2024 a introduit l'obligation d'appartenir à un groupement pour les établissements et services pour personnes âgées publics autonomes.
Aux termes du nouvel article L. 312-7-2 du code de l'action sociale et des familles, les Ehpad, les petites unités de vie, les accueils de jour et les services à domicile publics autonomes auront l'obligation d'adhérer :
- soit à un GHT ;
- soit à un nouveau type de groupement dénommé « groupement territorial social et médico-social » (GTSMS).
Les Ehpad gérés par un CCAS ou un CIAS auront la possibilité d'adhérer à l'un de ces groupements après approbation de leur organisme gestionnaire.
Le GTSMS prendra la forme juridique d'un GCSMS. Il aura pour objet, d'une part, de mettre en oeuvre une stratégie commune d'accompagnement des personnes âgées dans une logique de parcours et, d'autre part, de rationaliser les modes de gestion par la mise en commun de fonctions et d'expertises.
Les établissements et services membres d'un GTSMS élaboreront un projet d'accompagnement partagé garantissant l'accès à une offre d'accompagnement coordonnée et la transformation des modes d'accompagnement au bénéfice des personnes âgées.
En outre, le GTSMS élaborera une stratégie commune d'accompagnement des personnes accueillies pour assurer la cohérence du parcours des personnes âgées au sein du territoire.
Le GTSMS assurera pour le compte de ses membres au moins une fonction parmi les suivantes :
- la « fonction système d'information », consistant en la convergence des systèmes d'information des membres et la mise en place d'un dossier usager permettant une prise en charge coordonnée ;
- la formation continue des personnels ;
- la démarche qualité et la gestion des risques ;
- la gestion des ressources humaines ;
- la gestion des achats ;
- la gestion budgétaire et financière ;
- les services techniques.
Ce dispositif entrera en vigueur le 1er janvier 2025. Les GCSMS existants pourront être transformés en GTSMS.
Toutefois, la loi instaure une période transitoire de trois ans à compter de cette date afin de permettre la mise en place des GTSMS pour personnes âgées sur l'ensemble du territoire métropolitain. Au terme de la première année, soit le 1er janvier 2026 au plus tard, les directeurs généraux d'ARS arrêteront, avec les présidents des conseils départementaux de leur région, la liste des GTSMS.
3. La possibilité de différenciation tarifaire pour les Ehpad habilités à l'aide sociale
a) Les conventions d'aide sociale
Alors que près de 75 % des places en Ehpad sont habilitées à l'aide sociale, seuls 15 % des résidents perçoivent effectivement l'ASH. Pour le think tank Matières Grises, auditionné par les rapporteures, l'habilitation à l'aide sociale est ainsi devenue avec le temps un outil de régulation des tarifs davantage qu'un mode de solvabilisation de la demande. Elle constitue, pour les Ehpad concernés, un carcan qui entrave leurs marges de manoeuvre tarifaires.
Pour les Ehpad habilités à l'aide sociale accueillant, en moyenne, moins de 50 % de bénéficiaires de l'ASH, il existe néanmoins des possibilités de différenciation tarifaire.
En effet, l'article L. 342-3-1 du code de l'action sociale et des familles permet à ces établissements, à leur demande et après accord du président du conseil départemental, de définir différents tarifs d'hébergement. Une convention d'aide sociale, conclue pour une durée maximale de cinq ans entre le représentant de l'établissement et le président du conseil départemental, précise notamment :
- les conditions de réservation et de mise à disposition des places pour les bénéficiaires de l'ASH ;
- le montant des différents tarifs hébergement pouvant être pris en charge par l'aide sociale départementale et la définition des prestations garanties auxquelles ces tarifs correspondent.
Le dispositif du conventionnement d'aide sociale présente plusieurs inconvénients. En particulier, le recours au dispositif par les Ehpad reste subordonné à la politique du conseil départemental. Il ne permet aucun contrôle des écarts tarifaires au niveau national. Enfin, comme l'a montré un précédent rapport sénatorial, ce dispositif est porteur de risques de discrimination entre bénéficiaires de l'aide sociale126(*).
b) Une nouvelle possibilité de différenciation tarifaire
La loi « bien-vieillir » du 8 avril 2024127(*) prévoit une disposition permettant aux Ehpad habilités à l'aide sociale de différencier plus facilement leurs tarifs hébergement.
À compter de 2025, les Ehpad totalement ou majoritairement habilités à l'aide sociale auront la possibilité d'opter, après en avoir informé le conseil départemental, pour un tarif hébergement libre pour les résidents non bénéficiaires de l'ASH.
Les tarifs hébergement opposables aux bénéficiaires de l'ASH resteront quant à eux fixés dans les conditions de droit commun.
Pour les mêmes prestations, la différence entre le tarif hébergement applicable aux non bénéficiaires de l'ASH et celui applicable aux bénéficiaires de l'aide sociale ne pourra pas être supérieure à un pourcentage fixé par décret. Le règlement départemental d'aide sociale pourra, pour tout ou partie des Ehpad, fixer un pourcentage moins élevé dans le but de maintenir une offre financièrement accessible.
En outre, ces dispositions ne permettent pas d'instaurer des tarifs hébergement différenciés en fonction des revenus.
Un suivi du nombre de bénéficiaires de l'ASH sera organisé pour chaque Ehpad ayant opté pour un tarif libre. En cas de baisse trop importante, au-delà d'un taux fixé par décret, le maintien de ce régime tarifaire sera conditionné à la conclusion avec le conseil départemental d'une convention d'aide sociale fixant des objectifs en matière d'admission de bénéficiaires de l'ASH.
La revalorisation annuelle des tarifs hébergement opposables aux non bénéficiaires de l'ASH s'effectuera dans la limite du pourcentage fixé chaque année par arrêté ministériel pour les places non habilitées à l'aide sociale.
Les Ehpad disposant actuellement d'une convention d'aide sociale ont jusqu'au 1er janvier 2027 pour se mettre en conformité avec la nouvelle législation.
Cette mesure pourrait permettre aux établissements habilités à l'aide sociale, qui sont essentiellement des Ehpad sous statut public et privé non lucratif, de retrouver des marges financières sur le tarif hébergement afin notamment de renforcer leur capacité d'investissement, de permettre la réalisation de travaux importants et d'absorber les surcoûts d'exploitation générés par la forte inflation de ces dernières années.
Les mécanismes de contrôle prévus par les nouvelles dispositions législatives devraient permettre d'éviter tout effet d'éviction des résidents bénéficiaires de l'ASH et de maîtriser l'impact du dispositif sur le reste à charge des résidents. Ces mécanismes nécessitent un décret d'application, plusieurs options étant actuellement à l'étude.
* 121 Loi n° 2023-1250 du 26 décembre 2023 de financement de la sécurité sociale pour 2024 - Article 79.
* 122 Cf. rapport Sénat n° 84 (2023-2024), tome II, sur le PLFSS pour 2024, déposé le 8 novembre 2023 - Commentaire de l'article 37.
* 123 Loi n° 2024-317 du 8 avril 2024 portant mesures pour bâtir la société du bien-vieillir et de l'autonomie - Article 25.
* 124 Loi n° 2002-02 du 2 janvier 2002 rénovant l'action sociale et médico-sociale - Article 21.
* 125 Pour plus de précisions, voir le rapport n° 252 (2023-2024) de M. Jean Sol et Mme Jocelyne Guidez, déposé le 17 janvier 2024, sur la proposition de loi portant mesures pour bâtir la société du bien-vieillir en France.
* 126 Cf. « Diminuer le reste à charge des personnes âgées dépendantes : c'est possible ! », rapport n° 428 (2018-2019) de Bernard Bonne et Michelle Meunier, déposé le 3 avril 2019.
* 127 Loi n° 2024-317 du 8 avril 2024 portant mesures pour bâtir la société du bien-vieillir et de l'autonomie - Article 24.