TRAVAUX DE LA COMMISSION
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I. COMPTES RENDUS DES AUDITIONS EN RÉUNION PLÉNIÈRE
Audition de MM. Jean Canarelli, président de la
commission nationale de biologie médicale et Christophe Tafani,
président de la commission des relations avec les associations de
patients et d'usagers
du Conseil national de l'ordre des médecins et
Mme Carine Wolf-Thal, présidente du Conseil national de l'ordre des
pharmaciens
M. Philippe Mouiller, président. - Nous avons le plaisir d'accueillir des représentants du conseil national de l'ordre des médecins (Cnom) et du conseil national de l'ordre des pharmaciens (Cnop) sur le thème de la financiarisation de l'offre de soins dans le domaine de la biologie médicale.
Le Cnom est représenté par M. Jean Canarelli, président de la commission nationale de la biologie médicale et par M. Christophe Tafani, président de la commission des relations avec les associations de patients et d'usagers. M. Francisco Journet, directeur des affaires juridiques du Cnom, les accompagne.
Le Cnop est représenté par sa présidente Mme Carine Wolf-Thal et par M. Philippe Piet, président du conseil central de la section G, représentant les pharmaciens biologistes médicaux.
Cette audition fait l'objet d'une captation vidéo, elle est retransmise en direct sur le site du Sénat et disponible en vidéo à la demande.
Dans le cadre des auditions par la commission des acteurs de l'ensemble de la filière de la biologie médicale, nous entendrons la semaine prochaine des représentants des principaux groupes privés actifs dans ce domaine, ainsi que la caisse nationale de l'assurance maladie.
La biologie médicale est généralement considérée comme le secteur de la médecine de ville le plus concerné à ce jour par le phénomène de financiarisation de l'offre de soins.
Ainsi, six grands groupes contrôlent plus de 60 % de l'offre de biologie médicale.
Or, les ordres que vous représentez, Mesdames et Messieurs, sont chargés du contrôle déontologique de la profession, ce qui inclut le contrôle de l'indépendance des professionnels.
Vous allez nous préciser dans votre propos liminaire comment vous appréhendez ce mouvement et, le cas échant, la façon dont vous entendez contribuer à sa régulation.
Les rapporteurs Corinne Imbert, Olivier Henno et Bernard Jomier, ainsi que les membres de la commission vous interrogeront par la suite.
Je vous cède à présent la parole.
Jean Canarelli, président de la commission nationale de biologie médicale du Cnom. - Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les sénateurs et sénatrices, je vous remercie de nous accueillir pour la deuxième fois au Sénat.
Je commencerai par vous préciser les différentes fonctions que j'occupe afin que vous ayez une vision claire quant à mes éventuels liens d'intérêt.
Je suis médecin biologiste au sein d'un groupe indépendant de laboratoires et PDG d'une clinique indépendante que nous avons reprise avec plusieurs collègues praticiens alors qu'elle se trouvait au bord du dépôt de bilan.
Je connais donc les difficultés auxquelles sont confrontés les établissements de santé.
Je suis également vice-président de la conférence régionale de la santé et de l'autonomie (CRSA) de la Corse et président du conseil d'administration du GRADeS Corse, un groupement d'intérêt public qui représente plusieurs organismes (hôpitaux, cliniques, unions régionales des professionnels de santé, URPS).
Mes différentes fonctions m'amènent à interagir avec de nombreux usagers et acteurs du secteur de la santé.
En préambule de cette audition, je serai très direct et très clair.
Le Cnom s'est positionné dans sa session plénière en faveur de la suppression pour des tiers non professionnels de la possibilité d'avoir des participations dans une société d'exercice libéral.
Nous nous sommes également positionnés pour l'interdiction pour les personnes physiques ou morales n'exerçant pas dans la société d'exercice libéral d'en détenir directement ou indirectement plus de la moitié du capital social.
Nous plaçons nos exigences déontologiques au plus haut niveau possible.
Ce système a selon nous entraîné une dégradation importante des conditions d'exercice des biologistes. Surtout, il menace l'avenir de l'ensemble des structures libérales, et potentiellement de la santé publique.
Les situations ne sont pas les mêmes selon les activités concernées. Les établissements de santé sont comparables à des entreprises commerciales nécessitant des investissements lourds avec une gestion très complexe. Leur mode de fonctionnement s'apparente à celui des hôpitaux et diffère de celui des sociétés d'exercice libéral.
Les laboratoires ont été les premiers acteurs de la financiarisation dans le monde de la santé. Aujourd'hui, entre 60 % et 70 % se situent dans le champ des grands groupes de laboratoires.
Il y a une vingtaine d'années, le laboratoire dans lequel j'exerce aurait été considéré comme un groupe alors qu'aujourd'hui, il s'agit d'une structure détenue par des professionnels en exercice.
Les autres spécialités font aussi l'objet de nombreuses convoitises. De nombreux acteurs tentent notamment de développer des groupes ou des chaînes en radiologie, en ophtalmologie, dans le premier recours ou dans d'autres spécialités.
La situation du secteur de la biologie n'est qu'un exemple de ce qui peut se produire ailleurs.
On assiste en effet à une dérive aux causes multiples.
Alors que la loi de 1975 régissant l'organisation des laboratoires était devenue largement obsolète, la réforme de l'organisation de la biologie médicale initiée en 2008 par la ministre de la santé Roselyne Bachelot partait sur des bases tout à fait saines et claires.
La lettre de cadrage comprenait quatre notions phares : la médicalisation, l'efficience, « l'eurocompatibilité » et « la qualité prouvée ».
Malgré toutes ces bonnes intentions, le Cnom avait à l'époque prévenu que nous courions au désastre.
Le résultat de cette réforme reste en effet très discutable.
Les bénéfices obtenus dans le secteur de la biologie médicale, qui subit depuis des années des coups de rabot, n'ont pas permis de réaliser des économies pour la sécurité sociale.
Le Cofrac est l'instance de référence en matière d'accréditation en France. C'est un organisme semi-public quasi industriel auquel on donne un vernis médical, dont le système est très normé, coûteux et sclérosant. Il y a quelques années, un surcoût résultant de l'accréditation de 3 à 4 % sur le chiffre d'affaires des laboratoires, à mon sens non justifié, avait été estimé.
Une alternative beaucoup moins coûteuse aurait été de s'appuyer sur la Haute Autorité de santé et les normes ISO 9001, comme recommandé à l'époque par le Cnom.
Face au flou ayant conduit aux regroupements anarchiques, le secteur avait besoin de règles prudentielles. Mais si celles-ci ont été écrites, elles restent difficilement applicables.
Le Cnop avait ainsi été condamné par la Commission européenne à cinq millions d'euros d'amende pour s'être immiscé, en tentant de les réguler, dans la vie des entreprises.
Les ordres étaient devenus relativement frileux à l'idée d'intervenir, craignant d'être sanctionnés sans être réellement soutenus par l'État.
Nous sommes depuis toujours en attente de compléments d'information pour savoir quelle doit être la conduite à tenir.
En 2017, un projet de circulaire des ARS et des ministères définissant les rôles des ordres nous a été transmis. Nous attendons toujours avec impatience la publication de ce document qui nous aurait permis de nous référer à une base solide.
Afin d'empêcher la création d'oligopoles régionaux, on a prôné la création de structures nationales qui ont aujourd'hui pris la main sur des régions.
Nous avions malheureusement anticipé cette situation qui est la conséquence de regroupements anarchiques non contrôlés et de l'idée, qui s'est imposée, qu'il n'était pas possible de revenir en arrière malgré la réglementation. Par ailleurs, ceux qui avaient travaillé dans une quasi-illégalité ont pu continuer à acquérir des laboratoires. En revanche, les nouveaux entrants, les petits groupes comme le mien, n'ont pas eu ce droit.
Selon la loi, les non-professionnels ne peuvent acquérir que jusqu'à 25 %, sauf cas particulier, du capital. Cependant, des montages très particuliers ont été élaborés pour permettre à ces structures de détenir réellement le contrôle et les revenus des sociétés. Avec des actions de droits différents, il devient ainsi possible de percevoir 99 % des dividendes avec 1 % des actions.
Le droit prévoit que les biologistes détiennent 50 % du capital des sociétés. Or la plupart du temps, par le biais d'une cascade de textes, de protocoles et de pactes d'associés plus ou moins secrets, des accords sont fixés pour limiter leurs prérogatives en matière de gouvernance. Les biologistes se voient confier la présidence et un comité de direction est créé, lequel dispose du pouvoir de décision. On se retrouve donc avec un homme de paille à la tête de ces structures.
Le Cnom demande donc une garantie sur l'indépendance professionnelle afin que le choix médical ne soit pas impacté par des contraintes économiques supérieures.
Plusieurs acteurs de la filière de la biologie médicale (ordres, académies, syndicats, etc.) ont ainsi établi un document listant une vingtaine de missions à confier aux biologistes.
Ce document devra être assorti de règles prudentielles.
Un nombre suffisant de biologistes - 1,2-1,3 en moyenne par site - devrait également être assuré.
Des commissions réglementaires ou législatives de biologistes pourraient aussi être mises en place au sein des grandes structures, afin que ces derniers puissent disposer d'un droit de regard sur les choix médicaux et techniques sans être possesseurs du capital.
Cette réforme a donc créé de toutes pièces le besoin de recourir à des acteurs financiers dans les laboratoires, en mélangeant financement et financiarisation.
Il y a 15 ans, les laboratoires, encore cantonnés à une échelle locale ou infrarégionale, n'avaient aucune difficulté à trouver des financements auprès des établissements bancaires. Les investissements se chiffraient alors en centaines de milliers d'euros. Les groupes s'étant considérablement agrandis, ces montants, qui représentent désormais plusieurs dizaines de millions d'euros, ne sont plus à la portée des biologistes.
Ces investissements tiennent plus aux politiques de rachats successifs qu'aux investissements opérationnels dans les laboratoires dont les bénéfices alimentent des fonds qui se trouvent très souvent à l'étranger.
La réforme nous a également fait perdre en efficience et en qualité. Le coût logistique généré par l'allongement des distances et une administration alourdie vient contrebalancer les bénéfices du regroupement des analyses. Par ailleurs, les délais pour le rendu des résultats sont devenus plus longs. Focalisés sur la gestion de la qualité et l'organisation de plus en plus complexe des laboratoires, les biologistes ont également moins de temps à accorder aux patients.
En parallèle, on constate un désintérêt croissant des jeunes internes en médecine et pharmacie pour la biologie.
L'avenir d'autres spécialités médicales suscite également des inquiétudes. Des bouleversements similaires menacent aujourd'hui la radiologie, l'anatomo-cytopathologie ou encore l'ophtalmologie.
Christophe Tafani, président de la commission des relations avec les associations de patients et d'usagers du Cnom. - Merci Monsieur le Président, Mesdames les Sénatrices, Messieurs les Sénateurs. Je suis ici en tant que conseiller national du Cnom, mais également en tant que radiologue. Le groupe dans lequel j'exerce a été financiarisé il y a un peu moins d'un an, ce qui me permet d'avoir une vision pratico-pratique de l'évolution des laboratoires ces dernières années.
D'un point de vue juridique, les contrats sont devenus extrêmement complexes.
La financiarisation n'a pas que des impacts financiers, mais engendre également des problèmes de santé publique. Dans ma ville, un autre groupe, financiarisé depuis plus longtemps que le nôtre, ne réalise par exemple plus de biopsies de seins et d'échographies de thyroïdes.
Carine Wolf-THAL, présidente du conseil national de l'ordre des pharmaciens. - Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, je vous remercie de vous pencher sur ce sujet majeur qui engage la santé publique. En tant qu'élus territoriaux, mais aussi législateurs, vous serez probablement intéressés par les impacts de cette réforme non seulement sur les patients et l'accès aux soins, mais aussi sur le financement.
Je partage tout ce qui vient d'être dit, notamment par M. Christophe Tafani. Le problème n'est pas tant le financement que l'accès aux soins qui figure parmi les premières préoccupations des Français.
L'ordre des pharmaciens comme les autres ordres professionnels est en effet en charge de contrôler l'indépendance des professionnels de santé.
Cette question est capitale. Il faut pouvoir garantir que les choix des professionnels de santé sont opérés La rément au bénéfice des patients et de la santé publique et non en fonction de la rentabilité financière au profit d'investisseurs souvent extérieurs.
Le dernier rapport « Charges et Produits » de la caisse nationale d'assurance maladie a déjà alerté quant aux risques d'augmentation des coûts de reste à charge.
De nombreux sites, qu'il s'agisse de laboratoires de biologie médicale, et potentiellement à l'avenir d'officines de pharmacie, risquent de disparaître.
La préoccupation des pouvoirs publics quant au financement du système de santé est compréhensible. Néanmoins, d'autres solutions existent et méritent d'être creusées.
Des financements vertueux ou éthiques assurés par la profession elle-même permettraient de développer ces sociétés tout en donnant la priorité à la santé publique et aux patients.
Ces changements se répercutent sur l'attractivité des professions. Nous avons aujourd'hui de grandes difficultés, tous métiers confondus, à attirer les jeunes vers les professions de la santé.
Concernant la pharmacie, ce mode d'exercice n'intéresse pas les jeunes qui aspirent à travailler en tant que libéraux, au plus près des patients.
Philippe Piet, président de la biologie médicale au sein de l'ordre des pharmaciens. - Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les Sénateurs, ce sujet est extrêmement grave, car il touche directement nos citoyens.
Alors que la biologie apporte un réel complément dans le traitement de nos patients, la dégradation de l'offre de soins risque de leur porter préjudice.
Le problème ne se réduit pas à l'introduction de la financiarisation dans le secteur de la santé.
Une mauvaise gestion et un manque d'anticipation sont également en cause. Nous avons aujourd'hui besoin de mesures prudentielles d'exercice et de définir les besoins de santé publique en termes de biologie.
Je ne reviendrai pas sur les nombreux dysfonctionnements soulevés dus à la gouvernance des sociétés.
La question est la suivante : comment avancer sur ce sujet tout en sauvegardant le service médical ?
Certes les intentions derrière cette réforme n'étaient pas mauvaises au départ. Mais la manière dont elle a été mise en oeuvre est problématique.
Tout d'abord, on a confié au Cofrac, une structure à la culture industrielle, la responsabilité de gérer des entités médicales. Il faut revoir la gouvernance de la maîtrise de la qualité au sein du Cofrac.
De plus, il n'était sans doute pas indispensable de financiariser l'offre de soins. Pour dégager des investissements, il aurait fallu avoir recours à des regroupements intelligents de professionnels plutôt qu'à des rapprochements non maîtrisés.
Il convient de rappeler que seules les sociétés d'exercice sont inscrites aux ordres et non les chaînes et les grands groupes.
Redonner et garantir une certaine forme d'indépendance dans le secteur de la biologie médicale est essentiel.
Les causes structurelles et les conséquences sur le terrain de cette situation doivent être mises en lumière, et des mesures prudentielles instaurées afin d'éviter de reproduire les erreurs du passé.
Mme Corinne Imbert, rapporteure. - Merci, Monsieur le président, Madame la présidente, Messieurs, pour vos propos introductifs qui nous interpellent tous. Merci également de vous être déplacés à nouveau au Sénat devant la commission pour évoquer cette question de la financiarisation de l'offre de soins.
Les six plus grands groupes de biologie privée concentrent 62 % des sites de biologie médicale. Selon une étude de 2023, 80 % de la population résiderait à moins de sept kilomètres d'un laboratoire de biologie médicale privé. Ce maillage vous paraît-il globalement satisfaisant ? Partagez-vous les conclusions de cette étude ?
En quoi la financiarisation contribuerait-elle à garantir un maillage de proximité des laboratoires de biologie médicale ?
Quel regard portez-vous sur l'évolution de l'offre de biologie médicale au vu de l'assouplissement progressif du cadre législatif et réglementaire ?
L'ordonnance du 8 février 2023 qui vise à protéger les activités des professions libérales d'investisseurs non professionnels devrait-elle permettre de mieux réguler le secteur ?
Vous avez également souligné qu'aujourd'hui, la biologie, en médecine comme en pharmacie, est une spécialité moins choisie, ce qui nous a été confirmé lors de l'audition réalisée la veille avec des internes.
La démographie des biologistes, qu'ils soient médecins ou pharmaciens, permettrait-elle d'atteindre le ratio de 1,2-1,3 biologiste par site évoqué par M. Canarelli ?
M. Philippe Mouiller, président. - Je vous propose de répondre directement avant de passer la parole aux autres rapporteurs.
Jean Canarelli. - La France compte aujourd'hui 10 000 biologistes disposant d'un haut niveau de formation et de compétences. C'est une particularité de notre pays dans ce domaine dont il faut pouvoir tirer parti.
On recense également près de 400 sociétés d'exercice libéral et près de 4 000 sites, auxquels il faut ajouter les hôpitaux publics.
Nous ne sommes donc pas très loin du ratio de 1,2-1,3 biologiste par laboratoire.
En revanche, nous nous trouvons actuellement dans une spirale descendante liée au manque d'attractivité de la profession. La situation risque de n'être plus tenable dans cinq ou dix ans. Il est donc important que des décisions soient prises dès aujourd'hui pour faire évoluer ce métier dans le bon sens, en faisant preuve, bien entendu, de souplesse selon les secteurs.
Philippe Piet. - Le biologiste a les moyens d'apporter une solution aux problèmes de santé publique rencontrés au niveau du territoire.
Les laboratoires demeurent une plaque tournante pour l'orientation des patients, avec des résultats obtenus en direct, des éléments cliniques et la possibilité de gérer les patients. Il y a beaucoup d'éléments à gérer, en particulier dans le contexte d'une pénurie de médecins.
Le nombre de laboratoires n'a pas diminué, il a même augmenté depuis dix ans. Il convient donc de se demander si les sites de laboratoires sont répartis de manière efficace sur le territoire, s'il y a des redondances. Une optimisation des ressources devrait permettre de compenser le problème de la démographie.
J'ai également insisté pendant des années auprès de l'ONDPS (observatoire national de la démographie des professions de santé) afin que le nombre d'internes en pharmacie augmente pour la biologie. Le métier de biologiste a perdu sa dimension médicale, ce qui explique sa désaffection chez les jeunes. Afin de gagner en rentabilité, la profession s'est industrialisée, au détriment de la relation avec les patients. Une forme de désillusion vis-à-vis de cette spécialité s'est donc installée chez les biologistes médecins et même chez les pharmaciens.
Tout un ensemble d'éléments doit donc être pris en considération pour pouvoir apporter une réponse complète aux enjeux dans ce secteur.
La présence de biologistes sur les sites de laboratoire est indispensable pour éviter de basculer dans une gestion qui serait purement administrative. Elle garantit la proximité avec les patients et permet de distiller une culture médicale auprès des équipes.
Il convient pour ce faire de mettre en place des mesures de régulation, prudentielles et d'exercice.
M. Olivier Henno. - Merci Monsieur le président, merci Mesdames et Messieurs pour vos interventions.
Mme Corinne Imbert a abordé les conséquences de la financiarisation de l'offre de soins, je m'interrogerai pour ma part plutôt sur les causes du problème et la régulation.
Les ordres ayant une mission de régulation, avez-vous la capacité à analyser les montages juridiques et les contrats ?
L'arrivée des financiers est-elle liée à un besoin de financement ou à un taux de rentabilité très attractif ?
Quelle relation entretenez-vous avec les ARS ? Quelle articulation pourrait-il y avoir à ce niveau pour travailler à cette régulation ?
Jean Canarelli. - Vous pointez effectivement le coeur du problème. La financiarisation n'est pas un gros mot et peut être intéressante pour un certain nombre de structures, y compris, pourquoi pas, dans la biologie.
Le problème est que ce changement a transformé le secteur en une espèce de « jungle » en ouvrant des pans entiers de la filière à des juristes particulièrement avisés dans le champ du droit des sociétés.
Certaines structures disposent de dizaines d'avocats qui savent contourner les règles.
Par exemple, dans certains pays européens, les professionnels sont des sociétés, ce qui leur permet de venir, suivant nos textes, exercer dans nos laboratoires. Ces sociétés deviennent alors un professionnel exerçant. Sinon, elles sont considérées comme un associé professionnel non exerçant.
Les textes d'aujourd'hui n'empêchent pas ce genre de manipulations juridiques et la béance qui a existé en matière de textes pendant plusieurs années a favorisé tout cela.
Certes, le contrôle des contrats fait partie des prérogatives des ordres.
Certains montages s'apparentent à un millefeuille de contrats et de pactes cachés illisibles.
La fameuse circulaire qui nous avait été soumise pour avis en 2017 permettait de clarifier le rôle des ARS et des ordres en particulier en précisant les prérogatives des uns et des autres.
Faute de clarification, les ARS et les ordres se sont donc retrouvés durant cette période très critique sans savoir comment se positionner.
Je rappelle que le Cnop a été condamné par la Commission européenne à payer cinq millions d'euros d'amende pour ingérence dans les sociétés. Cette sanction a été très dure.
Les dossiers sont à chaque fois tellement denses qu'ils nécessitent qu'on y alloue tous nos moyens. Si une cinquantaine de dossiers nous arrive en même temps, nous nous retrouvons dans l'incapacité technique de pouvoir les analyser en profondeur.
Il faut donc légiférer pour demander aux sociétés de nous fournir l'ensemble des pièces et de garantir que rien d'autre n'est susceptible d'entraver les dispositions mentionnées dans les éléments apportés.
Philippe Piet. - Quelques évolutions ont eu lieu ces derniers temps sur la valeur des documents des sociétés.
Un effort a été fait à ce niveau, ce qui a changé beaucoup de choses.
Par ailleurs, il est important que les professionnels puissent garder la main sur certaines décisions qui ne relèvent pas du domaine médical à proprement parler, mais qui contribuent également au bon fonctionnement des laboratoires (niveau de salaire des employés, matériel informatique, organisation des locaux, etc.).
Les ordres devraient également pouvoir se prononcer sur le mode de management des structures afin de garantir l'indépendance et le respect des patients. Ils ont besoin de plus de latitude afin de pouvoir émettre un avis sans être accusés d'outrepasser leurs prérogatives.
Je n'utiliserais pas le terme de « régulation » pour définir le rôle des ordres. Nous remplissons nos missions suivant le cadre fixé par la loi, sachant que nous sommes la dernière strate de la puissance publique.
Certaines réalités doivent également être prises en compte pour améliorer notre capacité de gestion.
Les dossiers qui nous arrivent sont de plus en plus complexes. Il est parfois difficile de juger si telle ou telle disposition porte réellement atteinte à l'indépendance et jusqu'à quel niveau.
Carine Wolf-Thal. - Je souhaiterais compléter cette intervention en portant à votre connaissance un exemple observé chez les vétérinaires. Dans ce secteur, des sociétés ont été radiées malgré le respect par ces structures d'exercice libéral de l'ensemble des droits et statuts.
Le Conseil d'État a en effet considéré que le professionnel était privé d'exercer ses droits de contrôle effectif.
Christophe Tafani. - L'entrée de financiers au capital delaboratoires de biologie s'accompagne en général d'une baisse des salaires.
Par ailleurs, si les financiers et les cardiologues ont chacun leur « enveloppe », celle du financier n'est jamais négociable.
Certes, ceux-ci ne s'opposeront pas à une demande d'augmentation de salaire du personnel. Ils laisseront en revanche le cardiologue en supporter le coût en ouvrant par exemple durant le week-end où en réalisant plus rapidement certains examens.
Voilà comment, de façon très insidieuse, les professionnels sont amenés à modifier dangereusement leurs pratiques.
Il y a là un problème de santé publique majeur.
M. Bernard Jomier. - Pourriez-vous nous expliquer précisément en quoi la financiarisation impacte la santé publique ? Des actes utiles ou nécessaires pour notre population ne sont-ils pas effectués du fait de cette financiarisation ? Assiste-t-on à un non-respect des référentiels de bonnes pratiques professionnelles et des arbres décisionnels ? La logique financière l'emporte-t-elle parfois sur celle de la santé ?
On justifie souvent la financiarisation par la nécessité d'investir dans nos systèmes de santé. Des capitaux extérieurs seraient donc les bienvenus pour financer des innovations technologiques, la modernisation et le développement de l'offre de soins. Vous affirmez que le résultat financier pour la nation est très discutable. Pour quelle raison ?
Enfin, les organisations de jeunes soignants ont un discours au fond assez commun. Ils affirment ne pas être suffisamment préparés à de nombreuses questions d'ordre organisationnel au moment de débuter un exercice professionnel. Qu'est-ce qui ne fonctionne pas dans la formation des jeunes soignants ?
Jean Canarelli. - Les jeunes soignants sont formés à l'université et au CHU. Il s'agit il est vrai d'un milieu fermé à l'intérieur duquel ils développent un panel de compétences en biologie.
En plus de la formation universitaire ou hospitalière, des stages de longue durée au sein de laboratoires leur permettraient de s'initier à la gestion de ces structures et d'acquérir quelques connaissances en matière notamment de comptabilité, de logistique ou encore de management.
S'agissant des résultats de la financiarisation, la qualité a représenté un premier surcoût que le Cofrac avait estimé à 3-4 %.
Des solutions moins coûteuses existaient pourtant. Les laboratoires étaient déjà soumis au guide de bonne exécution des analyses. On aurait pu y ajouter un suivi transversal par des organismes indépendants, une certification ISO 9001, comme c'est le cas dans beaucoup d'entreprises, ainsi qu'une validation de l'ensemble par la Haute Autorité de santé.
Cette approche plus « médicale » aurait permis davantage de souplesse et d'efficacité.
Un second surcoût est lié aux regroupements trop importants de structures.
Ces rapprochements ont du sens lorsque dix sites se partagent dans un rayon de 5,6 kilomètres un même automate d'analyses médicales. Ils permettent alors à la nation de faire des économies et de baisser en contrepartie les tarifs.
Transporter des tubes à plus d'une centaine de kilomètres nécessite en revanche des frais et une logistique supplémentaires. Par un effet ciseaux, les gains obtenus par cette mutualisation et le coût généré par l'éloignement finissent donc par se croiser, ce qui se traduit par une perte de rentabilité.
Philippe Piet. - Il convient de rappeler que la loi sur les SEL a étendu le territoire de santé à cinq puis dix sites, soit, comme l'a dit Jean Canarelli, soit une échelle bien trop importante. Ces groupements n'ont plus aucun sens sur le plan de la prise en charge biologique.
Si la financiarisation n'est, en elle-même, pas négative, c'est l'absence de mesures permettant de la réguler qui pose problème.
Par ailleurs, selon une étude réalisée par l'ordre des pharmaciens, 95 % de la population se trouve à moins d'une demi-heure d'un site de laboratoire ce qui montre que la couverture demeure assez satisfaisante.
Un frein supplémentaire provient des agences régionales de santé (ARS) qui ne s'engagent pas dans la prise en compte du soin dans les territoires. Le Projet régional de santé pour la biologie doit être ambitieux. Sans doute y aurait-il quelque chose à faire du côté du ministère pour distiller aux ARS des bonnes pratiques et rendre pertinente l'offre de soins à l'échelle du « vrai » territoire de santé, celui où le patient a accès à des professionnels de premier recours (infirmières, spécialistes médicaux, etc.).
M. Khalifé Khalifé. - Merci beaucoup pour toutes ces interventions. Médecin hospitalier pendant plus de 40 ans, je n'ai rien contre la médecine libérale telle que nous l'avons connue et que vous l'avez décrite et je m'oppose pleinement à sa financiarisation.
Je m'interroge néanmoins sur le rôle régulateur du Cnom et du Cnop. Monsieur Piet, qu'entreprenez-vous depuis des années face à ce phénomène que vous dénoncez et que nous dénonçons tous ?
Monsieur Tafani, vous faites partie d'un groupe de radiologie qui, si j'ai bien compris, a été « financiarisé » et vous dénoncez en même temps ce phénomène. Je suis donc perplexe.
Comme tous les élus locaux et nationaux aujourd'hui, et également en tant qu'ancien médecin, je suis interpellé par cette dérive de la médecine. J'ai l'impression que les doyens de médecine, mais aussi, pardonnez-moi, les ordres, considèrent que le problème de la démographie médicale et des territoires n'est pas le leur. Qui donc est responsable dans ce pays ?
Vous dites qu'il faut un biologiste par laboratoire, or je n'en vois pas beaucoup en ville dans les sites sur lesquels je me rends.
À mon sens, la qualité ne peut que pâtir de la financiarisation. À titre d'exemple, je n'ai pas vu une échographie ne pas se terminer par un scanner ou une IRM. Il est inconcevable de proposer à un interne de gagner 15 000 euros par mois à condition de multiplier les examens. Où va-t-on ? Où va cet argent ?
M. Alain Milon. - Vous avez surtout évoqué la biologie et l'imagerie médicale. Peut-être le contact humain est-il moins important dans ces métiers que dans d'autres professions médicales.
Je dois reconnaître que votre intervention m'a un peu déçu. En tant qu'ancien médecin, je considère qu'il est primordial de connaître le patient dans sa personne et son environnement avant de pouvoir diagnostiquer ou prescrire un traitement.
Vos métiers, l'imagerie et la biologie, évoluent d'une manière dangereuse à mes yeux.
Est-ce pour vous une inquiétude d'être probablement un jour supplanté par l'intelligence artificielle (IA) ?
Mme Céline Brulin. - Plusieurs intervenants sont revenus sur le coût élevé des matériels et des outils de travail nécessaires au fonctionnement des laboratoires, ce qui conduit aujourd'hui à un regroupement des structures en vue de mutualiser les dépenses.
Quel est aujourd'hui le niveau de financement nécessaire pour garantir le fonctionnement d'un laboratoire digne de ce nom ? Ces investissements restent-ils à la portée des structures d'exercice libéral ?
La financiarisation s'invite-t-elle dans ce domaine parce que les coûts sont trop importants ? Faut-il réfléchir à d'autres modèles économiques, notamment ceux faisant appel à la puissance publique ?
Jean Canarelli. - Je vais tenter de répondre brièvement à ces questions qui nécessiteraient toutes de longs développements.
Le rôle de l'ordre est de garantir le respect des textes, de la réglementation et de la loi.
Nous attendons désespérément depuis des années des évolutions réglementaires et législatives qui nous donnent les moyens d'agir.
Quelques petites évolutions favorables ont eu lieu. Nous commençons ainsi tout juste à ne pas inscrire certaines sociétés d'exercice libéral parce qu'elles ne correspondent pas à ce qu'on attend aujourd'hui de l'exercice libéral.
L'ordre n'a pas les moyens techniques d'aller chercher des éléments où il risque de se retrouver face à une kyrielle d'avocats.
Donnez-nous les moyens de recevoir directement l'ensemble des éléments pour agir. Nous avons besoin de savoir que les pactes qui existent derrière les dossiers que nous recevons n'ont aucune valeur et ne risquent pas de détruire la structure.
Monsieur le Sénateur, vous m'avez demandé de parler de la financiarisation. Si vous m'aviez demandé d'aborder les missions des biologistes, j'aurais pu y revenir très longuement aussi. Beaucoup d'éléments très intéressants à ce sujet ont été compilés par la profession ainsi que les autres spécialités.
J'ai abordé la question très brièvement, mais le danger est réel. Nous avons évoqué la biologie, mais la radiologie et l'anatomopathologie seront également bientôt concernées par ces dérives. Des centres de santé sous des formes de plus en plus atypiques voient le jour. À ce rythme, le territoire français ne comptera plus que des groupes ou des start-up.
Je fais partie de ceux qui pensent que l'IA a un rôle important et positif à jouer dans l'apprentissage, l'accompagnement et le diagnostic. Si l'IA devait surpasser les biologistes, en termes de compétence, cette profession n'aurait alors aucune raison de se maintenir. Cependant, j'ai aussi la faiblesse de croire que le contact avec le patient reste primordial et nous pouvons le développer davantage.
Il est donc important d'asseoir pleinement la mission des biologistes.
La réforme n'est pas allée assez loin dans l'objectif de médicalisation de la profession. Elle s'est limitée à donner la possibilité au biologiste de modifier une ordonnance, en conformité avec les textes existants et avec l'accord du médecin.
Il aurait fallu lui donner davantage de latitude. Par exemple, sur un pré-diagnostic médical clinique, les biologistes devraient pouvoir lancer une recherche syndromique avec une suspicion d'anémie ou une recherche d'étiologie sur une fièvre au long cours.
Quant aux coûts des investissements, ce n'est pas un sujet. Aujourd'hui, les banquiers de quartier ont la capacité de lever un million d'euros pour un laboratoire s'il le faut. Les financements importants servent à faire du LBO, pas à investir dans un laboratoire.
Carine Wolf-Thal. - Nous disposons en effet d'outils, comme l'ordonnance du 8 février 2023, pour nous aider à mieux contrôler l'indépendance des professionnels de santé.
Nous restons néanmoins vigilants quant aux décrets d'application à venir.
Par ailleurs, certains éléments qui induisent une perte d'indépendance du professionnel nous échappent, comme la création d'actions de préférence ou de comités.
Je vous rejoins absolument sur la nécessité d'être au plus proche du patient et de revenir à une relation humaine. Je considère pour ma part que l'IA doit être au service de l'humain, et non l'inverse, et permettre justement de renforcer ce contact.
Dans notre officine, l'IA nous permet par exemple de gagner du temps au niveau des analyses afin de nous rendre plus disponibles pour les patients, la prévention et l'accompagnement.
Philippe Piet. - J'ai bien entendu votre remarque. Pour revenir à la préoccupation de votre collègue ancien hospitalier, je vous renverrai à la difficulté de l'équilibre de la gouvernance à l'hôpital avec les praticiens. Il s'agit en effet d'un problème complexe.
Concernant l'IA, j'estime comme mon collègue Jean Canarelli que si un jour le métier de biologiste n'était plus utile, il ne servirait à rien de conserver cette profession. C'est une question de dignité.
Mais à mon sens, l'IA reste un outil et certainement pas un supplétif et c'est ainsi que nous devons l'appréhender. Toute la difficulté consiste à trouver le bon équilibre.
L'Europe a d'ailleurs émis une recommandation très intéressante à ce sujet dont nous devrions nous inspirer.
Il est également important de comprendre que le patient évolue dans une offre de soins avec des compétences diverses. Le rôle du biologiste consiste notamment à l'orienter selon sa pathologie et les éléments de biologie vers le praticien le plus pertinent. Cette compréhension de la problématique clinique du patient et ce dialogue clinico-biologique sont essentiels.
Enfin, je ne suis pas certain que le financement extérieur soit indispensable dans le secteur de la biologie médicale. La décision de maintenir ou pas cet apport relèvera de votre compétence.
En revanche, la coopération publique-privée est essentielle. Ces partenariats, qui peuvent prendre beaucoup de formes, devraient être sérieusement envisagés pour permettre des économies en termes de ressources humaines et techniques.
S'agissant de la formation, j'estime qu'il est du devoir de chaque génération de se préoccuper de la suivante. La grandeur d'une société se mesure en partie à sa capacité à préparer la suite. Or, je constate que, d'une manière générale, nous ne prenons pas suffisamment soin des générations futures.
Je considère pour ma part que la formation doit être d'abord scientifique et médicale. Les biologistes qui exercent sont en capacité de former les jeunes sur cette expertise et cette qualité de prise en charge médicale du patient.
Je pense par ailleurs que ces jeunes, qui ont suivi de longues études, sont capables de se donner les moyens d'appréhender le volet gestion dans les laboratoires. Je les respecte d'autant plus que j'ai des exigences à leur égard.
Enfin, les missions des biologistes devraient être étendues à la modification des traitements antibiotiques, anticoagulants, etc. Il existe un réel manque à ce niveau qui me conduit à insister lourdement sur ce sujet.
Mme Corinne Bourcier. - Pourquoi le métier de biologiste n'intéresse-t-il plus les jeunes ?
Philippe Piet. - Les jeunes constatent que le métier tend à se démédicaliser, et sont déstabilisés par la dynamique d'industrialisation qui est à l'oeuvre.
Des questions liées à la formation peuvent aussi expliquer ce désintérêt. J'ai parfois des doutes sur la volonté des aînés de s'approprier tous ces questionnements.
En revanche chez les pharmaciens, l'ensemble des postes est toujours largement choisi, certes avec un peu moins d'attrait qu'avant.
Certes, les pharmaciens sont moins attachés à la médicalisation que les médecins biologistes. Cependant, certains souffrent tout de même de l'absence d'exercice médical dans leur métier.
Jean Canarelli. - Il est vrai que cette désaffection est très marquée chez les médecins, avec des postes qui ne sont pas pourvus.
Elle se retrouve toutefois aussi chez les pharmaciens. Alors que la biologie figurait en tête des choix, cette spécialité tend progressivement à descendre dans le classement des choix.
Le métier a beaucoup évolué, sans aller dans le sens de la médicalisation. Cet objectif était pourtant l'un des quatre points mis en avant par la ministre de la santé Roselyne Bachelot dans la réforme de la biologie médicale.
Alors que la réforme était censée encourager la polyvalence, la profession s'est rigidifiée et sclérosée davantage.
Cantonnés à des silos au sein de leur métier, les biologistes se retrouvent à faire des prises de sang ou valider à la chaîne des analyses.
Ce métier a donc beaucoup changé. Les missions que j'évoquais au début de mon intervention sont peut-être les fondements d'un renouveau qui rendront à cette profession son attractivité.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition des
représentants des biologistes médicaux : MM. Alain Le Meur,
président de l'Association pour le progrès de la biologie
médicale,
Sébastien Gibault, directeur général
de Synlab
et Laurent Escudié, directeur général de
Cerballiance
M. Philippe Mouiller, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons ce matin nos auditions plénières relatives à la financiarisation de l'offre de soins, et plus particulièrement de la biologie médicale. Après avoir entendu les ordres des médecins et des pharmaciens la semaine dernière et avant de recevoir la Caisse nationale de l'assurance maladie, nous accueillons des représentants de quelques-uns des principaux groupes impliqués dans le regroupement des laboratoires de biologie médicale : M. Alain Le Meur, Président de l'Association pour le progrès de la biologie médicale, qui fédère les principaux réseaux de laboratoires ; M. Sébastien Gibault, Directeur général de Synlab ; et M. Laurent Escudié, Directeur général de Cerballiance.
Je vous indique que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo. Elle est retransmise en direct sur le site du Sénat et disponible en vidéo à la demande.
Messieurs, la biologie médicale est généralement considérée comme étant le secteur de la médecine de ville le plus concerné à ce jour par le phénomène de financiarisation de l'offre de soins. Les groupes réunis au sein de l'Association pour le progrès de la biologie médicale contrôlent ainsi plus de 60 % de l'offre de biologie médicale.
Vous savez sans doute que ce mouvement suscite des inquiétudes de plusieurs ordres, qu'il s'agisse du maillage territorial des laboratoires, de l'indépendance des professionnels de santé ou des finances de l'assurance maladie.
Vous pourriez donc nous préciser, dans un propos liminaire, la façon dont vos groupes (ou votre alliance) se sont structurés, pour nous préciser si, selon vous, ce mouvement est à présent achevé pour ce qui concerne la biologie médicale et apporter une première réponse aux préoccupations que j'ai évoquées.
Les membres de la commission vous interrogeront par la suite, à commencer par les trois rapporteurs de notre mission d'information, Corinne Imbert, Olivier Henno et Bernard Jomier.
Monsieur Le Meur, vous avez la parole.
M. Alain Le Meur, président de l'Association pour le progrès de la biologie médicale. - Bonjour, je suis le docteur Alain Le Meur, je suis pharmacien biologiste. J'exerce depuis plus de 30 ans en Île-de-France. Je suis le Président de l'Association pour le progrès de la biologie médicale, qui regroupe cinq réseaux nationaux de laboratoires de biologie médicale.
M. Sébastien Gibault, directeur général de Synlab. - Bonjour, je suis le directeur général de la filiale française de Synlab.
M. Laurent Escudié, directeur général de Cerballiance. - Bonjour à tous. Je suis biologiste médical et directeur général du réseau Cerballiance.
M. Alain Le Meur. - La biologie médicale représente 70 % des diagnostics. Elle accueille 500 000 patients par jour et représente plus de 50 000 collaborateurs en emploi direct. 95 % des résultats sont rendus en moins d'une demi-journée. Vous savez que nous avons connu une consolidation très importante depuis plus de dix ans, réussie et voulue par l'État.
En 2008, un rapport de Monsieur Ballereau a montré que le secteur était assez atomisé, avec des insuffisances de qualité et une organisation peu efficiente. Suite à cela, en 2010, il y a eu l'ordonnance Bachelot et en mai 2013, cette ordonnance a été ratifiée. Trois conséquences majeures de cette ordonnance sont à signaler.
Tout d'abord, a été instaurée une accréditation obligatoire pour 100 % des actes que nous réalisons. C'est quelque chose d'unique en Europe. Aucune profession de santé n'a cette obligation. Cette dernière permet de garantir la sécurité des patients. Nous sommes très impliqués sur la continuation de cette accréditation obligatoire à 100 %.
La deuxième conséquence majeure est la mutualisation des moyens, humains et matériels, avec la création de plateaux techniques très performants, très sécurisés. En même temps, il a été possible de pérenniser l'ancrage territorial, puisque nous dénombrons environ 4 000 sites de laboratoires en France, qui contribuent aux soins de premier recours, au désengorgement des hôpitaux et des urgences et à la permanence des soins. Pour nous, la proximité avec les patients est quelque chose de très important.
Le troisième fait majeur est d'ordre économique. Nous avons fait faire 3 milliards d'euros d'économies cumulées depuis 2016 à la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam).
Nous avons été exemplaires. Grâce à cette consolidation réussie et voulue par l'État, nous nous sommes totalement impliqués lors de la crise du covid-19. Nous avons pu tester tous les Français comme demandé par le Ministre de la santé Monsieur Véran. Nous avons pu nous impliquer en continu pour réaliser les tests PCR, alimenter le système d'information national de dépistage populationnel (SI-DEP) et procéder au séquençage, parce qu'il y avait quatre plateformes de génétique et de séquençage. Nous nous sommes impliqués totalement et sans cette consolidation, sans les investissements que nous avons pu faire avec nos associés et nos professionnels, nous n'aurions pas pu nous impliquer de cette façon sur le covid-19. Désormais et à l'avenir, il faut poursuivre cet investissement sur l'oncogénétique, l'endométriose et tous les actes innovants qui seront accessibles à l'ensemble des patients sur le territoire. C'est quelque chose pour nous qui est très important. Nous sommes devenus, en plus de dix ans, des acteurs compétitifs. On s'exporte en Europe, en Allemagne, en Afrique du Nord, un peu partout. Nous réalisons nous-mêmes, en France, sur nos plateaux techniques, tous les examens de biologie médicale. Nous n'envoyons pas nos tubes à l'étranger. Je crois que c'est important de le souligner en tant qu'entrepreneur.
Nous parlerons tout à l'heure de la gouvernance. Je crois que sur ce sujet, nous devons être totalement exemplaires. La gouvernance doit être équilibrée, juste, fluide, également transparente, parce que la transparence permet la confiance, la confiance entre les professionnels, les associés non professionnels, mais aussi l'État, l'ARS et les ordres. Nous devons être exemplaires sur la gouvernance.
M. Sébastien Gibault. - Je vous remercie pour votre invitation dans le cadre de cette mission d'information qui nous donne l'occasion de vous présenter notre vision des enjeux du secteur de la biologie médicale, à travers notamment les questions de son organisation, de sa gouvernance au service et dans l'intérêt des patients. La biologie médicale est, comme vous le verrez, une profession très contrôlée et les laboratoires d'analyses médicales qui représentent près de 50 000 emplois en France sont une solution de santé de proximité pour beaucoup de Français dans l'ensemble des territoires. J'espère que nos échanges seront de nature à éclairer et enrichir vos travaux. Nous serons bien sûr à votre disposition pour répondre ensuite à toutes vos questions et pour toute précision ultérieure.
Je vous propose de commencer mon propos par une brève présentation de l'historique du fonctionnement du Groupe Synlab, puis d'évoquer ensuite la place et le soutien des partenaires financiers. Nous privilégions ce terme à celui de « financiarisation ». Je conclurai ensuite par un point sur le cadre de la réglementation actuelle, ce qu'il garantit et ce sur quoi il pourrait être intéressant pour le législateur de réfléchir en vue d'éventuelles améliorations. Synlab est un groupe conçu par et pour les biologistes. Il est le fruit du rapprochement en 2018 entre le groupe français Labco, fondé le 5 juin 2003 par un groupe de biologistes, et le groupe allemand Synlab. L'objectif de Labco reste intact aujourd'hui avec Synlab : être constitué en réseau pour permettre d'améliorer la qualité des soins dans une démarche d'excellence médicale et de service ; se doter des moyens d'accompagner les défis liés à l'innovation et au progrès technologique, par exemple pour les diagnostics génétiques ; répondre à la croissance des besoins en analyse médicale de plus en plus pointus.
En effet, deux principaux facteurs ont poussé à cette consolidation : le besoin en investissement pour automatiser les laboratoires, avec le pouvoir de négociation suffisant pour faire face aux géants de l'industrie pharmaceutique et diagnostique ; les coûts conséquents de la qualité harmonisée des diagnostics avec l'obligation réglementaire de l'accréditation à 100 % via le Cofrac, seule garantie de la qualité des résultats pour tous les patients en France, quel que soit le laboratoire ou le territoire. C'est en résumé le cadre de l'ordonnance du 13 janvier 2010 relatif à la biologie médicale.
Synlab France représente l'un des cinq principaux réseaux français de laboratoires d'analyses. Le réseau s'appuie sur 380 centres de prélèvements de proximité sur l'ensemble des territoires, 400 biologistes, médecins ou pharmaciens, encadrant 4 000 collaborateurs et 40 plateaux techniques. Certains de nos laboratoires sont situés au sein de structures hospitalières et rendent leurs diagnostics 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Cette organisation en réseau permet de proposer l'ensemble des analyses médicales traditionnelles, ainsi que celles de génétique, de diagnostic de cancer, de l'aide médicale à la procréation ou de la toxicologie médico-légale.
Synlab France est constitué de plusieurs sociétés d'exercice libéral (SEL), présentes dans la plupart des régions françaises. Ces SEL sont dirigées et contrôlées par des biologistes qui y exercent. Toutes ces SEL ont créé un groupement d'intérêt économique (GIE) visant à centraliser les services support du réseau, comme l'informatique, la comptabilité, le support juridique, le service de paye et soutenir les actions et le développement des laboratoires au niveau national. Ce GIE est dirigé sur le plan opérationnel par un comité de direction constitué des biologistes, directeurs des régions, du réseau et des directeurs fonctionnels du groupement. Sur le plan local, la gouvernance de chaque SEL permet d'assurer conformément à la loi une indépendance médicale totale des biologistes qui gèrent en toute autonomie le fonctionnement quotidien de leurs laboratoires, tout en pouvant s'appuyer, lorsqu'ils le souhaitent, sur le réseau pour les assister en matière d'achat, d'informatique ou d'investissement.
J'insiste tout particulièrement sur ce point. Cette indépendance, à l'instar de l'ensemble des règles prévues par la loi, est soumise à un contrôle intense, régulier et multiple, en particulier de la part des ordres et des agences régionales de santé réparties sur le territoire. Ce contrôle strict s'exerce également sur le plan de la qualité des diagnostics via les accréditations du Cofac, et la mise en oeuvre des recommandations de la HAS. Ainsi, toutes les SEL du réseau Synlab sont régies par des statuts, des pactes d'associés et une structure capitalistique ayant été revus et validés à la fois par l'ordre des médecins et l'ordre des pharmaciens, au terme d'un dialogue constructif, assurant la parfaite indépendance médicale et professionnelle des biologistes.
Comme le démontre l'exemple de Synlab, le soutien d'un partenaire financier n'est à notre sens pas un problème pour la biologie médicale en France, mais a, au contraire, toujours été une nécessité comme pour d'autres secteurs innovants de la santé, et ce pour plusieurs raisons. La présence de partenaires financiers permet des investissements importants au service des patients, comme les investissements dans de nouveaux tests, des solutions de cybersécurité, des équipements et des technologies de pointe que l'État ou la puissance publique ne peuvent financer. La consolidation des laboratoires était inévitable au vu des changements majeurs que la biologie médicale a connus sur le plan technique, démographique, économique et de la qualité.
La profession est en effet passée, en peu de temps, d'une pratique quasi-artisanale à une profession technologique, nécessitant des équipements lourds, de pointe, permettant de développer de nouveaux tests et de révolutionner les délais et la qualité des analyses pour les patients et les prescripteurs. Ces changements profonds ont accéléré le regroupement des laboratoires, afin de pouvoir investir collectivement dans ces technologies de pointe. L'innovation est pesée dans les négociations face aux industriels du secteur de la santé. Ce changement rapide et profond a donc dû être, comme dans tous les autres secteurs d'activité français, et en particulier les secteurs innovants, financé par le secteur privé pour faire face aux défis du progrès technique et de l'augmentation des besoins du diagnostic.
Or la biologie médicale a été confrontée à un large désinvestissement des banques dans l'accompagnement des acteurs et s'est donc tournée vers le capital-investissement pour se financer, puisqu'il constituait et constitue toujours le seul acteur capable de couvrir les besoins en investissements qu'a connus et que connaît la biologie.
Cet accompagnement a été particulièrement bénéfique pour la profession et les patients, puisqu'il a permis d'accroître le nombre de sites de prélèvement permettant d'étendre le maillage de proximité et de développer la présence médicale en zone blanche, d'investir en continu dans la qualité et l'innovation technologique et médicale, afin d'assurer le rendu d'analyses de plus en plus complexes, spécifiques et personnalisées, de gérer de gros volumes d'analyses 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, avec des délais de rendu de résultat toujours plus rapides, d'améliorer constamment les services apportés aux patients, notamment avec la digitalisation et d'assurer la réactivité face aux crises comme celle du covid-19, durant laquelle les groupes de biologie médicale ont démontré une agilité sans précédent, à la demande de l'État, pour faire face aux besoins de diagnostic présentés par l'épidémie.
Au-delà des avantages évidents qui sont à mettre au crédit de l consolidation du secteur à la faveur de son financement par des investisseurs institutionnels, il est légitime de se poser la question de sa compatibilité avec les impératifs essentiels que sont l'indépendance des biologistes et l'intérêt supérieur du patient. La réalité quotidienne de notre groupe depuis maintenant vingt ans démontre que la réglementation actuelle est en vérité globalement satisfaisante pour l'exercice de la biologie médicale, lorsqu'elle a pu trouver un point d'équilibre entre les besoins des biologistes et des patients et les besoins de financement.
Comme je l'ai dit, la très forte réglementation en termes de gouvernance et de qualité à laquelle la biologie médicale est soumise constitue d'ores et déjà un outil puissant, assurant l'accompagnement des laboratoires par des partenaires de financement, qui ne peut se faire au détriment de l'indépendance des biologistes et de l'intérêt des patients. Ce point est essentiel.
L'évolution de la réglementation ces quinze dernières années a ainsi permis d'aboutir, à travers notamment des échanges quotidiens avec les ordres et les ARS, sur le contenu de la documentation des SEL, à un équilibre fin en termes de principes de gouvernance permettant de concilier de la façon la plus intelligente et pragmatique possible, d'un côté la maîtrise de la pérennité de leurs investissements par les partenaires de financement, qui sont en réalité moins lourds que les sûretés et engagements auxquels un laboratoire serait soumis dans le cadre d'un financement bancaire, d'un autre côté la garantie de l'indépendance professionnelle et médicale des biologistes, qui ont totalement gardé la maîtrise de leur organisation, de leurs partenariats locaux avec les autres acteurs de santé, de leurs achats, même lorsque leur groupe a négocié des tarifs préférentiels avec certains fournisseurs. La consolidation a en outre permis de conquérir de nouvelles libertés pour les biologistes, telle que la possibilité de prendre leur indépendance vis-à-vis de fournisseurs extrêmement puissants qui, jusqu'alors, imposaient leurs conditions à la profession.
Ainsi, loin de vouloir remettre en cause une réglementation qui a précisément mis plusieurs années à trouver son point d'équilibre et qui comporte aujourd'hui tous les outils nécessaires à la préservation des intérêts des biologistes, des patients et de la collectivité, il nous semblerait en revanche utile de proposer de réfléchir aux freins qui nous empêchent d'améliorer encore le service rendu aux patients.
Je livre au législateur notamment trois exemples pour conclure :
- réfléchir à une refonte de la limitation d'implantation d'un laboratoire multisite à trois territoires de santé, qui permettrait dans des zones rurales de densifier le maillage territorial et de renforcer la proximité avec le patient ;
- réfléchir à un relèvement du plafond de sous-traitance de 15 % qui n'est plus adapté aux réalités de la biologie, puisqu'elle empêche la création de pôles d'excellence spécialisés, et qui se révèle désavantageuse pour les plus petits laboratoires alors que les fournisseurs d'automates refusent aujourd'hui de fournir des chaînes de diagnostic inférieures à des tailles critiques de plus en plus importantes ;
- étudier la faisabilité de partenariats publics-privés pour les plateaux techniques des laboratoires. En effet, nous partageons les mêmes compétences et équipements avec nos confrères du public ; unir nos moyens pourrait être une piste pour faire face aux grands défis du diagnostic pour demain.
Je vous remercie pour votre écoute et serais heureux de répondre à vos questions.
M. Laurent Escudié. - Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les sénatrices et sénateurs, merci de vous saisir de ce sujet dont je tiens à préciser l'importance de pour ma profession, la biologie médicale, et plus largement pour l'ensemble de notre système de soins. Merci également pour votre invitation. Beaucoup de personnes se sont déjà exprimées. Je suis heureux à mon tour de pouvoir le faire en tant qu'acteur de santé et également représentant de mes confrères de Cerba. Derrière ma voix, c'est l'ensemble de nos équipes qui vivent cette évolution de l'intérieur depuis des années. J'espère que mes propos pourront vous éclairer.
En préambule, quelques mots pour me présenter. Je suis biologiste médical depuis 2007. J'ai choisi un exercice libéral et j'ai pu connaître l'ancien modèle consistant à exercer dans des petites structures de société d'exercice libéral, juste avant la loi et l'ordonnance de 2013, et la profonde transformation de notre profession souhaitée par les pouvoirs publics. Ce début de consolidation nous a amenés à nous rapprocher de nos confrères sur des projets locaux pour faire grandir nos laboratoires, des projets régionaux puis nationaux, pour créer des réseaux. Devenant moi-même acteur de cette transformation, par la création de plateaux techniques et l'intégration de nouveaux laboratoires dans notre réseau, j'ai exercé beaucoup des métiers que l'on propose à nos biologistes dans nos organisations.
J'ai gardé toujours une attention particulière à la relation patient et également à l'attractivité de notre profession en restant à l'écoute de nos jeunes confrères. J'ai l'honneur aujourd'hui d'occuper le poste de directeur général de Cerballiance, notre réseau de laboratoires de biologie médicale, qui est composé de 700 sites de proximité en métropole et en outre-mer, 80 plateaux techniques dont la moitié est ouverte en 24/24, 7 jours sur 7, pour répondre aux besoins de nos cliniques et de nos hôpitaux publics, et enfin une dizaine de centres d'assistance médicale à la procréation.
Au total, ce sont plus de 100 000 patients par jour que nous prenons en charge. La spécificité de notre projet, que l'on retrouve d'ailleurs dans notre nom, est que nous nous sommes fédérés autour du laboratoire Cerba, un laboratoire de spécialités qui est bien connu de nos prescripteurs médicaux, qui a été créé il y a une cinquantaine d'années par un biologiste français à côté de Paris.
En tant que leader de biologie spécialisée, nous réalisons plus de 2 500 analyses de pointe dans une quarantaine de disciplines très spécialisées, comme la toxicologie, la pharmacologie, l'infectieux pour les agents pathogènes de classe 3, l'oncologie et évidemment, la génétique. Ces demandes d'analyses spécialisées proviennent de nos confrères des laboratoires privés, mais elles proviennent également de 200 établissements publics dont 27 centres hospitaliers universitaires (CHU).
Ce projet est porté avant tout par nos biologistes, qui sont les principaux décisionnaires de nos organisations. Depuis une quinzaine d'années, nous nous faisons effectivement accompagner par des partenaires économiques externes qui ont changé successivement et qui nous ont permis d'investir pour nous développer et nous réorganiser. Pour être totalement transparent, l'actionnariat aujourd'hui de Cerba est composé de 700 associés internes, majoritairement des biologistes médicaux libéraux comme moi - je précise que nous proposons ce type d'association à l'ensemble des jeunes biologistes qui nous rejoignent - et également d'actionnaires non professionnels - BPI France, PSP et Equity.
Je souhaite à présent vous expliquer en quoi nous contribuons au système de santé et surtout, en quoi cette transformation a d'abord été faite au bénéfice du patient sur trois points importants : l'accès aux soins, la qualité de la prise en charge médicale et enfin, l'innovation.
D'abord sur l'accès aux soins, nous n'avons eu de cesse, ces dernières années d'améliorer notre maillage de proximité avec des centaines de projets de rénovation, de déplacement et plus récemment, la possibilité de réaliser des créations grâce à l'accréditation à 100 %. J'ai d'ailleurs quelques exemples qui vont parler à nos rapporteurs, en Charente-Maritime avec les projets de Mireuil et Villeneuve-les-Salines, dans les Hauts-de-France avec les projets de Libercourt et de Laleu, qui étaient des localités dans lesquelles aucune offre de biologie n'existait. Nous sommes venus nous y installer. Ce maillage nécessite également d'importants investissements en matériels de pointe pour nos plateaux techniques, de mettre en production nos automates, d'en assurer le renouvellement tous les cinq à sept ans et ceci également pour des laboratoires d'urgence pour nos établissements de soins, qui nous permettent de participer à la permanence de soins.
Le deuxième point, c'est l'amélioration de la qualité de la prise en charge. Je vous parlais de l'accréditation obligatoire qui a d'abord été considérée plutôt comme une contrainte, il faut l'avouer, et qui nous a demandé beaucoup d'investissements humains et d'énergie. Elle nous a poussés à harmoniser notre pratique médicale. Elle nous a poussés également à standardiser nos processus, à mettre en place des indicateurs pour mieux nous évaluer. Cet effort a indéniablement amélioré la qualité globale de notre prestation et surtout fait que ce niveau de qualité soit le même que vous soyez à Paris, dans les Pyrénées ou à la Réunion.
Nos systèmes informatiques ont également été un important outil de progrès. Il a été nécessaire d'investir dans de nouvelles solutions pour augmenter le niveau de sécurité de nos infrastructures, pour mieux protéger nos données de santé, mais aussi pour apporter davantage de services digitaux à nos patients, infirmiers et collaborateurs, médecins, prescripteurs et établissements de soins, toujours dans un but de faciliter la prise en charge.
La transformation de nos métiers nous a également permis de nous améliorer. Je vais rapidement vous l'expliquer. Elle a une vertu sur le niveau de nos compétences. En professionnalisant nos fonctions support administratives, comme les ressources humaines, l'informatique et les achats, nous avons pu redonner du temps médical au biologiste et le recentraliser sur son coeur du métier : la relation médicale au patient, la supervision analytique et également le dialogue clinico-biologique avec le prescripteur. Cela nous a permis également, comme l'ont fait les CHU bien avant nous, de spécialiser nos biologistes afin d'augmenter leur niveau d'expertise, ce qui nécessite un important accompagnement en termes de formation, pour maintenir et consolider leurs compétences.
Notre organisation en réseau a pris un nouveau sens quand nous avons pu créer des communautés médicales pour chaque expertise (hématologie, microbiologie, assistance médicale à la procréation). Chaque expert de région peut discuter avec ses homologues. Cette transversalité est devenue une réelle force dans notre organisation. C'est également un enjeu d'attractivité. Il y a une attente chez les jeunes confrères sur cet aspect, qui consiste à mieux valoriser notre rôle et nos compétences. C'est ce qui nous permettra demain, j'en suis convaincu, de continuer à assurer de nouvelles missions. C'est ce que nous souhaitons, notamment dans le champ de la prévention.
Le troisième point est l'innovation. Nous la portons à travers de nombreux projets médicaux qui nécessitent d'investir sans garantie de réussite, de prendre le risque parfois de travailler à perte pendant des années. Le meilleur exemple que je puisse vous donner est celui du DPNI, le diagnostic prénatal non invasif, qui permet de dépister les trisomies grâce à l'ADN foetal qui est dans le sang maternel. Nous avons été les premiers à développer la technique en 2013, avec tout ce que cela signifie en termes d'investissement, de compétences, alors que la prise en charge dans la nomenclature n'a eu lieu que six années après. Je peux également citer l'exemple du dépistage du chikungunya lors de la crise sanitaire à la Réunion, plus récemment l'exemple du dépistage de l'exposition à la chlordécone en Martinique, ou encore le séquençage de l'exome pour des maladies rares qui sont en errance diagnostique.
Nous avons une plateforme de séquençage pouvant traiter jusqu'à 450 000 tests par an. Cerba est d'ailleurs laboratoire de référence pour de nombreux tests liés à des pathologies rares. Il réalise aussi d'autres missions de service public comme le dépistage national organisé du cancer colorectal pour le compte de la CNAM et de l'Institut national du cancer.
L'association de notre laboratoire de spécialités et de notre laboratoire de biologie médicale en région nous permet d'être contributifs en termes de veille épidémiologique sur l'ensemble des territoires. Le projet RELAB en est un parfait exemple. Le partenariat avec les Hospices Civils de Lyon nous a permis de créer un projet de surveillance des infections virales respiratoires comme la grippe, le VRS et le covid-19. Nous souhaitons jouer un rôle de sentinelle en partenariat avec nos autorités publiques.
Pour accompagner toutes ces responsabilités et préparer l'avenir, nous avons fait le choix d'investir dans la construction et l'équipement de pointe de notre nouveau laboratoire spécialisé, qui déménage cette année à Frépillon, dans le Val-d'Oise, pour devenir le plus grand laboratoire de biologie médicale d'Europe, afin de maintenir notre expertise médicale, notre excellence sur l'innovation technologique et participer au rayonnement de la France à l'international.
Quelques chiffres, si vous me permettez, pour illustrer mes propos. Chaque année, nous investissons 4 millions d'euros dans la formation de nos collaborateurs et biologistes, et 10 millions d'euros dans notre parc d'automates. Chaque année, 20 millions d'euros sont investis pour les systèmes informatiques. Cette année, notre projet de laboratoire spécialisé à Frépillon va nous coûter 100 millions d'euros. Tous ces investissements cumulés sur les trois dernières années représentent plus de 400 millions d'euros d'investissement global.
Tous ces efforts de réorganisation et d'investissement se sont faits dans un cadre réglementaire qui a été défini spécifiquement pour notre profession, contrôlé par nos ordres et les ARS. La régulation est stricte. Cela, il faut le rappeler, dans un contexte de recherche de productivité suite à de nombreuses baisses de nomenclature depuis 2011 permettant d'engendrer une économie annuelle pour le budget de la sécurité sociale d'environ 1 milliard d'euros en 2023.
Pour conclure, les équipes de Cerba que je représente sont avant tout des acteurs de santé passionnés par leur travail, des biologistes qui sont présents à tous les échelons de la gouvernance, aidés par des partenaires économiques externes qui nous permettent d'investir, de porter nos projets, de progresser sur l'accessibilité de nos laboratoires, sur la prise en charge médicale, sur l'expertise des biologistes et sur l'innovation. Nous visons toujours l'intérêt du patient et l'atteinte d'objectifs de politiques de santé publique.
M. Philippe Mouiller. - Merci beaucoup pour vos présentations. Je cède la parole à nos rapporteurs.
Mme Corinne Imbert. - Merci Monsieur le Président, merci Messieurs pour vos présentations. Tout d'abord quelques éléments de contexte. L'accélération de la financiarisation de l'offre de soins s'accompagne de l'expression par les acteurs d'un besoin de régulation du secteur avec des inquiétudes portant sur la perte de l'indépendance des professionnels de santé. L'ordonnance du 8 février 2023, dont les textes réglementaires d'application restent attendus, vise justement à protéger les professions libérales d'investisseurs non professionnels.
Par ailleurs, des décisions importantes du Conseil d'État ont été rendues à l'été 2023. Elles concernent certes les vétérinaires, mais les juristes s'accordent à dire que leurs conclusions pourraient aussi valoir pour les professions médicales.
Ces décisions soulignent les risques associés à certaines stipulations contractuelles, privant de tout contrôle effectif les professionnels exerçant dans certaines sociétés privées, et rappellent l'exigence du respect de l'indépendance des professionnels dans ces sociétés d'exercice. Entendez-vous les difficultés et les critiques exprimées à l'égard de l'opacité de la structuration financière des groupes ? Rejoignez-vous le constat de l'absence de règles prudentielles pour réguler le secteur à ce jour, et quelles règles vous sembleraient pertinentes en la matière ? Quel regard portez-vous sur cette demande de régulation exprimée par l'ensemble des acteurs, notamment des professionnels de santé et des instances ordinales ?
Je vous remercie, Monsieur le directeur général de Cerballiance, d'avoir cité vos associés non professionnels. Est-ce que ce sont les seuls trois associés, ou est-ce qu'il en existe d'autres ? Monsieur le directeur général de Synlab, pourriez-vous nous donner les noms des associés non professionnels qui investissent également dans votre société ?
Dans vos réseaux et dans votre manière aujourd'hui d'exercer la biologie médicale, certaines analyses sont-elles traitées de façon moins prioritaire que d'autres ? Je pense par exemple à un frottis : je constate que les délais d'obtention du résultat sont parfois longs pour les femmes concernées. Cette question remonte du terrain.
Enfin, dans vos réseaux, parce que ce sont des phrases que l'on entend souvent en politique, comment qualifieriez-vous la gestion : « qui paie décide » ou « qui décide paie » ? Je vous remercie.
M. Philippe Mouiller. - Je vous laisse répondre.
M. Alain Le Meur. - Nous devons être exemplaires en matière de gouvernance. Cette dernière doit être juste et équilibrée. La transparence favorise la confiance avec les professionnels, les associés, les ARS, les ordres et l'État. Pour nous, ce point est très important. Vous avez fait allusion à l'ordonnance du 8 février 2023. Celle-ci a été conçue pour simplifier et harmoniser les différents textes entre les professions libérales et également de faciliter le développement et le financement des structures des professions libérales.
Des règles et des garde-fous existent. Monsieur Gibault a parlé des 15 % de transmissions. Nous sommes limités à trois territoires de santé limitrophes. Nous ne pouvons pas dépasser 25 % d'activité dans une région. Au niveau réglementaire, la majorité des droits de vote appartient aux biologistes exerçants. In fine, le maître-mot est la transparence.
M. Sébastien Gibault. - L'indépendance des biologistes est clé. Le réseau a été fondé par des biologistes qui n'ont jamais laissé la gouvernance leur échapper. De nombreux outils existent aujourd'hui pour garantir cette indépendance. Tout a été construit sous contrôle des ordres et des ARS.
Concernant l'actionnariat, Synlab France est une filiale du groupe Synlab qui est basé en Allemagne.
Pour ce qui concerne les actes, je ne vois pas du tout à ce stade de dégradation ou de sélection faite par les biologistes dans les délais de rendu et dans les analyses. Un patient qui se présente dans nos laboratoires est pris en charge de la même manière et on ne connaît pas à l'avance la prescription médicale avec laquelle le patient va arriver. Sur les rendus de résultats, nous cherchons à les faire le plus rapidement possible. En ce qui concerne le réseau Synlab, il n'y a aucune volonté de ralentir les rendus de résultats, et il ne faut pas oublier les prescripteurs qui seraient particulièrement mécontents de constater un allongement des délais de rendu. Il peut apparaître parfois des retards, en raison des maladies et des absences. Le recrutement, visant à avoir des professionnels de la santé compétents et disponibles, est un élément clé pour nous.
M. Laurent Escudié. - L'un des facteurs de succès de cette transformation est la régulation. Les règles sont très strictes en termes d'indépendance du biologiste. Les droits de vote, dans nos structures, doivent appartenir en majorité ou en totalité aux biologistes. Les mandataires sociaux de nos structures sont également des biologistes. Ils conservent la gestion de leur budget, de leur équipement, de leurs équipes, ce qui permet un exercice médical indépendant. Par ailleurs, il ne faut pas sous-estimer le rôle de l'accréditation obligatoire dans ce mouvement de régulation. Elle nous a forcés à faire tous ces changements dans un esprit d'amélioration continue, d'indicateur et d'auto-évaluation, ce qui nous permet aujourd'hui de savoir qu'en termes de satisfaction patient, nous nous sommes constamment améliorés.
La question sur les actes est particulièrement pertinente pour nous puisque, comme vous l'avez compris, nous récupérons de nombreuses analyses d'autres laboratoires. En termes d'analyses de spécialité, il peut arriver que nous soyons sur des rentabilités faibles voire nulle, mais cela ne nous empêche pas de les faire. Telle est notre responsabilité. Je ne verrais pas un biologiste refuser de faire une analyse spécialisée parce qu'elle n'est pas rentable.
Qui décide ? Cette question est importante. Nous avons des partenaires économiques, certes, mais ils ne sont pas dans nos comités de direction. Cela ne veut pas dire que nous ne nous fixons pas de contraintes économiques, mais nos partenaires financiers ne sont pas les acteurs qui prennent les décisions. Ils ne gèrent pas nos laboratoires. Ils ont un rôle de contrôle légitime de leur investissement.
Enfin, nous avons uniquement trois partenaires économiques dans le capital de Cerba.
M. Olivier Henno. - Merci Monsieur le Président. Merci Messieurs. À vous écouter, on a un peu le sentiment d'entendre Pangloss, « Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles ». Un secteur éclaté qui opère un mouvement de concentration bénéficie dans un premier temps des effets de la mutualisation, d'une capacité d'investissement accrue et d'une amélioration du service. Ensuite, quand la concentration a bien avancé, une forme d'essoufflement est observée. A ce moment survient le risque des monopoles privés, et avec lui l'application de mesures d'économies diverses. Est-ce qu'à un moment donné, cela ne peut pas avoir des conséquences sur la qualité du service et la qualité des soins ?
Ma question est la suivante : quels sont vos taux de rentabilité et quels sont vos objectifs de rentabilité ? Est-ce que cela n'entraîne pas un développement du salariat dans la profession ?
M. Alain Le Meur. - Notre profession est très réglementée. L'accréditation permet de garantir la sécurité des patients. Notre gouvernance est basée sur la transparence. Nous nous appuyons sur un alignement des associés professionnels et des associés non-professionnels sur les missions de santé publique que sont le maillage territorial, la prévention, l'innovation et l'interprofessionnalité. L'activité est sécurisée au maximum et très réglementée. Dans ce contexte, les différentes craintes, dont celle de la baisse de qualité, sont infondées.
M. Sébastien Gibault. - Nous ne connaissons pas d'essoufflement. La dynamique est portée par l'innovation et l'évolution du catalogue des analyses éligibles au remboursement et les éventuelles baisses tarifaires. En fonction de l'évolution technologique et des publications médicales, nous repensons constamment notre façon de travailler. Le secteur de la biologie médicale est en constante évolution.
Concernant la rentabilité, cette dernière est très variable selon les secteurs. Certaines structures ne sont pas rentables aujourd'hui en raison de la hausse des coûts logistiques (essence, énergie, etc).
M. Laurent Escudié. - Conserver le statut libéral est important pour que le biologiste reste indépendant et reste le dirigeant des laboratoires. L'indépendance du salarié existe, mais est moins forte.
Concernant les objectifs financiers et la rentabilité, la moitié des gains est reversée aux biologistes. L'autre moitié est consacrée aux achats médicaux, aux réactifs, aux charges externes, au paiement des taxes, aux frais bancaires et aux investissements sur nos sites de proximité, nos plateaux techniques et nos projets d'innovation.
M. Bernard Jomier. - Merci Monsieur le Président. D'abord, je voudrais vous remercier tous les trois d'avoir accepté de répondre à nos questions. Comme Olivier Henno, je suis un peu interrogatif. D'abord, vous avez assez peu répondu aux questions précises de mes deux collègues rapporteurs sur la rentabilité. On a juste compris qu'il y avait des structures qui n'étaient pas rentables, mais on imagine que s'il y a des sociétés qui investissent, l'exposé sur la rentabilité ne se résume pas à cet élément.
Vous nous décrivez une gouvernance juste, équilibrée et transparente, des décisions qui sont aux mains des professionnels de santé, donc pharmaciens ou biologistes médicaux. Une telle spécialité devrait être plébiscitée par les étudiants, mais tel n'est pas le cas. Depuis quelques années, 15 % des postes sont vacants et les autres organisations entendues dans le cadre de cette mission d'information nous décrivent toutes un panorama qui n'est pas du tout celui que vous décrivez.
Les autres organisations nous disent que la financiarisation a entraîné une perte du pouvoir décisionnel et d'autres conséquences. Vous prétendez le contraire ; comment expliquez-vous alors cette perte d'attractivité de la spécialité, particulièrement nette depuis ces dernières années ?
Je reviens sur la question de la rentabilité et sur le phénomène de financiarisation. Merci au directeur de Cerballiance de nous avoir cité des partenaires extérieurs. Je vous invite, Monsieur le directeur général de Synlab, à en faire de même et à répondre à la question de ma collègue Corinne Imbert.
Les académies pointent l'entrée dans le capital de sociétés d'investissement par le contournement de la législation. Est-ce qu'une part de vos bénéfices vient abonder le résultat de sociétés d'investissement extérieures aux professions de santé ?
M. Alain Le Meur. - Le sujet de l'attractivité m'est cher. En pharmacie, tous les postes d'internes en biologie médicale sont pris. La situation est différente pour les médecins, car pour eux, la médicalisation du geste et de la consultation est très importante. Nous avons donc besoin de médicaliser notre profession. Cette dernière est en proximité du patient, à travers le prélèvement, puis à travers le rendu du résultat. Les médecins biologistes et les pharmaciens biologistes ne viennent pas en raison d'un manque de médicalisation. Nous devons donc nous ouvrir à la consultation, à la télé-expertise, à la téléconsultation, à la vaccination et à plus de dépistage. Nos jeunes biologistes doivent pouvoir réaliser davantage d'actes médicaux. Nous avons perdu 600 biologistes en cinq ans. Nous avons besoin de nouvelles missions et l'avons demandé à Aurélien Rousseau, alors ministre de la santé, lors des assises de la biologie médicale.
M. Sébastien Gibault. - L'attractivité est un point clé pour notre profession, comme pour toutes les professions de santé.
Concernant la détention capitalistique, Synlab France est une filiale du groupe Synlab basé en Allemagne. Ce dernier est détenu majoritairement par un fonds, Cinven.
M. Bernard Jomier. - Est-ce qu'une part de bénéfices est reversée à la société d'investissement ?
M. Sébastien Gibault. - Je vous invite à poser la question au niveau du groupe.
M. Bernard Jomier. - Vous ne souhaitez donc pas répondre.
M. Sébastien Gibault. - La consolidation s'opère au niveau du siège social en Allemagne.
M. Laurent Escudié. - La discipline de la biologie médicale reste attractive, mais il faut être très vigilant. Il y a neuf ans environ, nous avons donc initié un travail de pédagogie et d'explication auprès des étudiants et des internes. Nous avons pointé les aspects positifs de la transformation, tels que la spécialisation et les communautés médicales. Effectuer davantage de missions médicales permettrait de valoriser le métier et de le rendre attractif. Nous avons notamment envie de jouer un rôle plus important en matière de prévention en santé publique. Nous avons des propositions à vous soumettre, notamment sur les scores prédictifs.
Notre organisation est très réglementée. Le moindre changement est soumis à l'accord préalable des ordres, de l'ARS et du Cofrac. Ce dernier joue un rôle majeur en matière de qualité.
Enfin, Cerba ne verse aucun dividende à ses partenaires économiques externes.
Mme Brigitte Micouleau. - Concernant l'innovation, pouvez-vous citer un test existant non pris en charge à ce jour ? Par ailleurs, pouvez-vous préciser quel est le gain de temps médical pour les biologistes ?
Mme Jocelyne Guidez. - Comment placez-vous la prévention et le dépistage précoce au coeur de vos activités ? Comment peut-on amener les Français à se faire dépister davantage ?
M. Khalifé Khalifé. - Nous restons sur notre faim par rapport à nos questions. Nous vous interrogeons sur la financiarisation, et vous nous répondez sur la qualité et l'innovation. Dans vos structures de gouvernance, quel est le nombre de sociétés et quel est leur type (SEL, SELARL, SCI, etc.) ? Existe-t-il des frais de structure ? Ne nous faites pas croire que vos financeurs sont l'Abbé Pierre. Ils attendent un retour sur investissement, qui n'est pas forcément dans l'intérêt de la profession. Vous rappelez votre indépendance, mais demain, les jeunes médecins ne se verront-ils pas imposer d'être salariés de la structure ? Je regrette que des représentants du ministère des finances ne soient pas présents aujourd'hui.
M. Alain Le Meur. - Nous avons un livret blanc, qui a été réalisé avec quatre syndicats et l'ensemble des réseaux de France. Ce livre blanc évoque notamment le maillage géographique, l'interdigitalisation, l'interprofessionnalité et la prévention. Concernant l'attractivité, il faut nous ouvrir aux téléconsultations, aux télé-expertises et à la vaccination. Nous sommes déjà très impliqués dans la prévention par exemple des tests HIV sans ordonnance, et proposons des consultations de prévention.
M. Sébastien Gibault. - Nous proposons de nombreux tests et analyses aux patients qui ne sont pas remboursés par l'assurance maladie. De nombreux tests innovants sont disponibles, tel que le dépistage des troubles de la bipolarité, qui est proposé depuis la semaine dernière. Dans d'autres laboratoires que Synlab, un dépistage des troubles liés à l'endométriose a été introduit.
Concernant les aspects structurels de notre réseau, je vous propose de céder la place à Madame Gouich, qui va pouvoir vous répondre.
M. Jalila Gouich, secrétaire générale de Synlab France. - Bonjour, je suis Jalila Gouich, secrétaire générale et directrice juridique de Synlab France. Je suis avocate de formation et j'ai rejoint le monde de la biologie médicale en 2010, à l'époque où il existait simplement Labco, qui était le premier réseau consolidateur de la biologie médicale.
Vous posez la question des impacts de la financiarisation sur la biologie médicale.
Depuis 2007, de nombreuses évolutions légales sont intervenues, notamment à travers des ordonnances, mais également à travers la jurisprudence. Ainsi, la jurisprudence a imposé au législateur de durcir la législation soit au profit du biologiste, soit au profit des détenteurs autre que les biologistes au sein du capital des SEL, ou tout simplement de clarifier les zones de non-droit.
Labco a été l'un des premiers à initier une action au niveau européen pour comprendre les règles concurrentielles régissant l'exercice de la profession de biologiste médical en France. Tous les réseaux se sont construits d'abord avec une intégration des groupements d'intérêts des financiers qui ont estimé que des profits étaient possibles dans le secteur de la santé en France, car ce pays est un pays réglementé. En effet, qui dit réglementé, dit nomenclaturé, avec des prix imposés par le législateur. Il faut reconnaître que le travail a été très bien rémunéré par rapport aux autres pays. Aujourd'hui, les actes de biologie sont réglés entre le biologiste et l'État : le patient arrive avec sa carte de tiers payant, un luxe que peu de pays peuvent avoir. Aujourd'hui, les patients bénéficient d'un système de santé exceptionnel, même si des progrès restent possibles.
Le financier s'est rapidement heurté aux nombreuses lois françaises, qui ont le mérite de protéger le patient et l'exercice des professions libérales. Par rapport aux autres pays européens, le biologiste français a la chance de pouvoir être très bien traité par le législateur et bien protégé.
Aujourd'hui, vous ne pouvez pas attenter à l'indépendance du biologiste. Les biologistes sont les responsables légaux de nos SEL, sont exclusivement les membres du comité de direction. L'investisseur extérieur ne peut détenir que 25 % maximum du capital d'une SEL et a très peu de pouvoirs, ou en tout cas uniquement les pouvoirs que le biologiste souhaite lui donner.
Les financiers sont venus à la demande des biologistes, parce que ces derniers cherchaient des investissements. Les biologistes peuvent fixer toutes les limites qu'ils souhaitent. Pour autant, il est exact que surviennent parfois des conflits et des mésententes. Les remontées d'argent ne peuvent s'opérer qu'avec l'aval des biologistes et conformément aux dispositions inscrites dans le pacte qui a été transmis aux ordres. Tout investisseur ou tout actionnaire extérieur doit respecter la loi et la respecte.
M. Philippe Mouiller. - Merci pour ces précisions.
M. Laurent Escudié. - Nous ne versons pas de dividende à nos partenaires externes. Ceux-ci se rémunèrent en débouclant leurs investissements avec une plus-value.
Concernant la structuration juridique, Cerba repose sur plus de 35 sociétés d'exercice libéral s'appuyant sur des mandataires sociaux biologistes. Les droits de vote sont détenus en majorité ou en totalité par les biologistes.
Aujourd'hui, la réglementation ne permet pas de proposer du salariat à nos biologistes. Pour garantir l'attractivité, il faut leur proposer de devenir associé.
Nous avons gagné du temps médical. La consolidation nous a permis de rééquilibrer nos activités en faveur du médical. Auparavant, nous devions faire preuve de polyvalence (gestion des plannings, résolution des problèmes informatiques, gestion des achats, négociations avec les fournisseurs, etc.).
La prévention est un enjeu majeur pour l'avenir de la profession. À titre d'illustration, le suivi de la maladie rénale chronique est désormais proposé à nos patients. En outre, le cardio-score 2 associe biologie et information clinique ; il permet d'évaluer le risque cardiovasculaire des patients.
Enfin, concernant l'innovation, nous considérons qu'il est nécessaire d'accélérer le rythme d'intégration des actes innovants dans la nomenclature. Je peux notamment citer l'exemple de l'oncogénétique et du séquençage de tumeurs, notamment sur le poumon et les ovaires.
Mme Céline Brulin. - Je reviens sur le sujet du manque d'attractivité. Vous fondez vos explications sur la place des biologistes dans la gouvernance et sur le fait que la réglementation impose la présence d'au moins un biologiste sur chaque site. Certains interlocuteurs auditionnés par la commission pensaient même qu'il fallait passer à plus d'un biologiste par site.
Cette pénurie de biologistes ne présentera-t-elle pas un impact sur la gouvernance et sur la présence des biologistes sur les sites ?
Par ailleurs, vous avez beaucoup évoqué les contrôles des ARS. Pouvez-vous nous apporter des précisions sur ces contrôles ?
Mme Chantal Deseyne. - Comment envisagez-vous l'entrée au capital d'un jeune biologiste alors que de plus en plus d'investisseurs extérieurs aux professions médicales entrent au capital avec une préoccupation de rentabilité ? Est-ce que des fonds de pension étrangers entrent au capital de vos structures, comme on peut le voir dans d'autres secteurs médicaux ? Est-ce que, pour vous, cela ne pose pas une question de déontologie ?
Mme Élisabeth Doineau. - Le maillage territorial est très important pour nous, sénatrices et sénateurs, et pour les patients. Une offre de qualité est aussi incontournable. J'insiste également sur l'innovation. Le regroupement a facilité les investissements. Il faut donc trouver un équilibre. La concentration favorise l'arrivée d'investisseurs recherchant un gain. Les informations doivent pouvoir être apportées de manière transparente à nos concitoyens.
Je vous ai entendus parler d'économies pour l'État. Je suis rapporteur du budget de la sécurité sociale. Êtes-vous encore capables de permettre de nouvelles économies ? Je rappelle que durant la crise sanitaire, les laboratoires ont bénéficié d'énormes subsides. Aujourd'hui, nous devons veiller à la dépense publique.
M. Alain Le Meur. - Il est très difficile de passer à 1,2 ou 1,3 biologiste par site, car nous peinons à trouver des biologistes médicaux. Depuis 2016, nous avons perdu 600 biologistes médicaux. La pénurie de biologistes médicaux n'affecte pas la gouvernance, puisque cette dernière relève des mandataires sociaux.
Concernant les contrôles des ARS, nous avons fait des propositions de cartographie pour la permanence des soins. Il faut saluer les partenariats qui ont été tissés avec les ARS.
De nombreux réseaux nationaux impliquent les jeunes biologistes dans le capital, soit dans les holdings nationales, soit au niveau régional. Dans certains groupes, la représentation capitalistique des biologistes médicaux peut aller de 10 à 20 %, ce qui est considérable.
Concernant le maillage territorial, 80 % des laboratoires sont à moins de 7 kilomètres et certains prélèvements sont réalisés au-delà de 7 kilomètres.
En cumulé, une économie de 3 milliards d'euros a été réalisée depuis 2016. La période actuelle est toutefois marquée par la fin du covid-19 et par une forte inflation des charges et des salaires. La consolidation est terminée. Il est donc excessivement compliqué de trouver de nouvelles économies.
M. Sébastien Gibault. - L'un des enjeux, pour nos structures, est de susciter l'intérêt des jeunes biologistes, avec des spécialités de biologie, un suivi opérationnel et médical, des interactions avec les patients, etc. De nombreuses pistes sont à explorer. Auparavant, un biologiste devait être capable de tout faire dans sa structure, y compris des tâches non médicales.
Aucun financier ne détient le capital des structures françaises. Dans une activité de biologie médicale, le laboratoire ne possède pas forcément les locaux. Concernant Synlab, l'essentiel des bâtiments appartient aux biologistes, qui se sont, pour certains, regroupés dans des SCI.
Les marges de manoeuvre pour trouver des économies dans notre secteur sont discutées chaque année entre la CNAM et les représentants des biologistes. Les sociétés savantes émettent des recommandations. Enfin, j'insiste sur l'importance fondamentale de la prévention, qui évite des coûts futurs.
M. Laurent Escudié. - Concernant l'attractivité, il importe de proposer de vraies associations et d'intéresser les biologistes aux projets économiques. Cerba applique cette logique.
S'agissant du nombre de biologistes médicaux par site, la démographie médicale ne permet pas une augmentation. Accroître la contrainte accentuerait les tensions sur le marché du travail entre le public et le privé. De plus, certains laboratoires pourraient fermer. Je n'y suis donc pas favorable.
Il n'existe pas de marge d'économie. Nous sommes à la fin du processus de consolidation. De plus, nous sommes dans un contexte économique défavorable, qui suit une crise sanitaire qui nous a fortement déstabilisés. Enfin, nous avons besoin de parler du projet médical, plutôt que d'économies.
M. Philippe Mouiller. - Je vous remercie pour votre présence et pour vos réponses.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition de
M. Thomas Fatôme, directeur général
de la Caisse
nationale de l'assurance maladie
M. Philippe Mouiller, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons nos auditions plénières relatives à la financiarisation de l'offre de soins, en recevant le directeur général de la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam), M. Thomas Fatôme.
Je vous indique que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo. Elle est retransmise en direct sur le site du Sénat et disponible en vidéo à la demande.
Monsieur le directeur général, la commission a focalisé ses travaux en plénière sur le secteur de la biologie médicale, généralement considéré comme le secteur de la médecine de ville le plus concerné à ce jour par le phénomène de financiarisation de l'offre de soins. Les grands groupes, dont nous venons de recevoir des représentants, contrôlent ainsi plus de 60 % de l'offre de biologie médicale.
Nous sommes évidemment très intéressés par le regard que la Cnam porte sur ce phénomène de financiarisation, notamment sur ses éventuelles conséquences financières pour la sécurité sociale. Vous pourriez d'ailleurs centrer votre propos liminaire sur ce sujet - en l'élargissant, si vous le jugez nécessaire, à d'autres secteurs que la seule biologie médicale.
M. Thomas Fatôme, directeur général de la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam). - Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de me donner l'occasion de revenir sur le constat que nous avons dressé dans notre rapport « Charges et produits » et sur les propositions que nous avons pu faire sur ce sujet de la financiarisation.
En préambule, il me semble essentiel de définir la financiarisation du point de vue de l'assurance maladie, en commençant par rappeler ce qu'elle n'est pas. Le système de santé français dispose de deux atouts : il est d'une part largement solvabilisé par l'assurance maladie, mais aussi par les complémentaires santé ; il repose d'autre part sur des acteurs de soins publics et des acteurs privés, qu'ils soient à but lucratif ou à but non lucratif. Cette coexistence constitue une force en ce qu'elle est synonyme d'approches complémentaires et d'une forme de compétition.
Nous avons clairement besoin de capitaux publics comme de capitaux privés. Selon moi, contrecarrer la financiarisation ne peut donc pas consister à rejeter les acteurs et financeurs privés, car le système tire sa force de cette diversité. Cette force provient aussi, d'ailleurs, de la diversité des pratiques et des organisations, le salariat coexistant avec l'exercice en libéral. Comme vous le savez, une large partie de l'accès aux soins de premier recours est prise en charge par des professions libérales et des travailleurs indépendants : chaque jour, les médecins généralistes accueillent 1 million de patients, et les spécialistes une proportion similaire. S'ils sont tous solvabilisés par l'assurance maladie, ces acteurs agissent dans un cadre qui n'est pas public.
Ce rappel étant effectué, la financiarisation équivaut selon moi aux processus par lesquels des acteurs privés - qui ne sont pas des professionnels de santé - prennent le contrôle de structures de soins dans une logique de retour sur investissement de court terme. L'émergence de ce phénomène est liée à plusieurs facteurs, dont un besoin de financement et de capitaux ; l'existence de marges et de niveaux de rémunération pouvant intéresser des acteurs financiers ; la prévisibilité des revenus, qui, dans le cadre d'un système de financement largement public, laisse entrevoir des perspectives financières pluriannuelles stables ; enfin, la possibilité de procéder à des restructurations, de réaliser des gains de productivité et donc d'obtenir à court terme des rendements en augmentation.
Le secteur de la biologie a connu la convergence de ces différents éléments, des interstices de la législation ayant permis à des acteurs privés non professionnels de santé de prendre progressivement le contrôle. De plus, si le cadre global a incité à accroître la qualité - ce qui est un élément positif -, il a dans le même temps élevé le niveau de contraintes et donc rehaussé le besoin en investissements. S'y sont ajoutées des possibilités de concentration des plateaux techniques de biologie, qui ont ouvert des perspectives de diminution des coûts et de rentabilité accrue.
Ces différents facteurs ont abouti à un double phénomène de concentration du secteur, avec une très forte baisse du nombre d'acteurs, des rachats successifs et l'arrivée, au cours de la décennie 2010 - avant la crise du covid-19 -, de fonds d'investissement et d'acteurs privés se situant dans une logique de court terme. Cette évolution s'est traduite par l'utilisation du mécanisme de LBO (Leveraged Buy-Out), par lequel un acteur s'endette pour acheter une entreprise avec la perspective de la revendre rapidement, avec un niveau de rentabilité élevée qui lui permet de rembourser sa dette et d'empocher la différence. Certains laboratoires ont été visés par quatre à cinq opérations de ce type, ce phénomène ayant été accentué par la crise du covid-19.
Nous avons été amenés à tirer la sonnette d'alarme dans notre rapport « Charges et produits » à ce sujet, car nous avons eu le sentiment que ce phénomène de concentration et de prise de contrôle par des acteurs recherchant des rendements financiers à court terme pouvait avoir des conséquences négatives dans différents domaines.
Le premier et le plus évident d'entre eux a trait à la régulation et au partage des gains de productivité, pour le dire un peu crûment. Dès lors que ces gains sont réalisés dans le système de santé, il semble en effet assez logique qu'ils puissent être partagés entre le financeur et l'opérateur. Or nous avons rencontré de très sérieuses difficultés lors de nos négociations avec les biologistes, puisque nous avons eu la preuve que nos interlocuteurs ne souhaitaient pas s'inscrire dans une telle logique de partage, au motif que leurs actionnaires étaient entrés à un niveau de valorisation très élevée et n'entendaient donc pas dégrader leurs perspectives de rentabilité. D'où notre question : jusqu'où la régulation peut-elle fonctionner si nos interlocuteurs nous opposent une contrainte de valorisation ?
Un deuxième domaine suscitant l'inquiétude concerne le maillage territorial et le risque que les choix d'investissements et d'organisation pourraient ne pas être décidés principalement en fonction de critères liés à la santé. Dans la pratique, nous n'avons pas observé, à ce stade, de dégradation du maillage territorial résultant de cette financiarisation de la biologie. Nous observons même, à l'inverse des arguments avancés par les grandes entreprises de biologie, une augmentation du nombre de sites de prélèvements, avec probablement une concurrence effrénée entre groupes visant à aller chercher les dernières parts de marché d'acteurs indépendants, afin de poursuivre leur expansion. Pour autant, le risque de voir des choix d'investissements et d'organisation déconnectés des besoins de santé publique de nos concitoyens demeure.
Tous ces éléments ne nous ont pas empêchés d'agir et de mettre en oeuvre le mandat de négociation que les ministres nous ont confié dans le cadre de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) voté par le Parlement. Nous n'avons ainsi pas cédé un euro lors des négociations tarifaires de l'automne 2022 et de janvier 2023. J'ai abordé ces négociations avec un objectif de 250 millions d'euros d'économies à réaliser, dont 180 millions d'euros sur la biologie et 70 millions d'euros sur le covid-19, objectifs qui ont été scrupuleusement respectés alors que nos interlocuteurs affirmaient que ces économies entraîneraient la disparition de la biologie médicale française.
Ces mêmes biologistes ont fini par donner leur accord, les ministres et l'assurance maladie ayant été fermes dans la négociation. Le protocole pluriannuel prévoyait un quasi-gel des dépenses de biologie, avec une progression annuelle de l'ordre de 0,4 %. Une nouvelle baisse tarifaire est intervenue en janvier 2024 puisque les volumes de dépenses de biologie de fin d'année 2023 et les perspectives pour 2024 nous ont amenés à penser que le niveau tarifaire ne permettrait pas de respecter le protocole. Après des négociations à nouveau difficiles, la mise en oeuvre de cette nouvelle baisse de tarifs est intervenue en début d'année, et nous suivons de très près les dépenses de biologie afin de nous assurer du plein respect du protocole.
J'ajoute que ledit protocole permet une régulation importante des dépenses, tout en garantissant l'équilibre du secteur de la biologie et le maintien du maillage territorial. Il prévoit en outre des enveloppes dédiées à l'innovation, de manière à ne pas figer totalement le cadre et à permettre d'intégrer des examens en provenance du secteur hospitalier. Les modes de régulation doivent en effet réserver une place à l'arrivée de nouveaux actes qui peuvent être très utiles pour la prise en charge des patients.
En conclusion, nous avions formulé deux propositions dans le cadre de notre rapport « Charges et produits », dont j'admets bien volontiers qu'elles relèvent davantage de la méthode que du fond, en rappelant cependant que l'assurance maladie n'a pas vocation à fixer le cadre d'intervention des effecteurs de soins, et qu'elle n'est pas spécialisée en droit des sociétés. Nous avons néanmoins partagé ce signal d'alerte, qui pourrait concerner à l'avenir d'autres secteurs tels que la radiologie, l'« anapath » et, de façon un peu différente, la pharmacie. D'ores et déjà, certaines tendances nous laissent à penser que nous risquons d'être confrontés à des difficultés dans les années à venir si nous n'agissons pas dès à présent.
Nous proposions donc la création d'un observatoire permettant de suivre ce phénomène de financiarisation, car nous manquons de données sur le sujet. Il faudrait à cet effet réunir les différents acteurs, qu'il s'agisse des ministères, des agences régionales de santé (ARS), des ordres professionnels ou de l'assurance maladie. Nous suggérions également de mettre au service de cet observatoire une mission de contrôle interministérielle, qui pourrait permettre d'objectiver des montages financiers parfois complexes.
Je termine mon propos en abordant le lien entre la financiarisation et la fraude, qui renvoie aux centres de santé, sujet que j'ai déjà abordé à plusieurs reprises devant votre commission. Nous voyons bien que le cadre juridique actuel, en vertu duquel les centres de santé doivent être pilotés par des organismes non lucratifs, est très largement contourné par des montages financiers ou immobiliers, des prestations de services ou encore par des contrats entre les associations gérant lesdits centres et d'autres acteurs, y compris financiers, contrats qui confient de fait l'exercice du pouvoir de direction à ces derniers.
Il s'agit d'un phénomène distinct de celui qui est à l'oeuvre dans la biologie, avec des schémas d'optimisation et de fraude à l'assurance maladie dont les montants sont significatifs : nos résultats en termes de lutte contre la fraude dans les centres de santé ont nettement augmenté pour atteindre 57 millions d'euros en 2023. Je peux d'ores et déjà affirmer que ces chiffres vont continuer à augmenter et que de nouveaux déconventionnements de centres de santé interviendront dans les prochaines semaines. En dépit d'un cadre législatif qui s'est nettement étoffé grâce à l'action du Parlement, les activités frauduleuses se sont développées.
J'insiste enfin sur le secteur des cliniques privées, placé sous les feux de l'actualité. Très présent dans le système de santé, il représente plus de la moitié de la chirurgie dans notre pays, tout en étant détenu de longue date par des acteurs privés. Prenons garde à ne pas mélanger ou amalgamer les acteurs et à bien cerner, secteur par secteur, les conditions de financement, d'organisation et de rentabilité.
M. Bernard Jomier, rapporteur. - Vous avez rappelé à bon escient que cette mission d'information n'est pas consacrée à la répartition ou à l'opposition entre le public et le privé. Cette financiarisation traduit peut-être le dépassement d'un capitalisme professionnel - ancien et qui revêtait une forme un peu artisanale - et le passage à une phase industrielle, plus éloignée des professionnels et des territoires. En tout état de cause, la financiarisation correspond bien à l'intervention d'acteurs extérieurs qui viennent investir dans une logique de rentabilité et de retour sur investissement plutôt rapide. Ces acteurs ne recherchent d'ailleurs pas nécessairement un taux de rentabilité très élevé, mais surtout le fait d'avoir affaire à un payeur très solide, comme la crise du covid-19 l'a démontré.
Vous avez pointé une série de problèmes posés par cette financiarisation et la nécessité de renforcer des outils de régulation manifestement insuffisants. S'agissant de votre proposition de créer un observatoire, il est certainement toujours utile de mieux comprendre les mécanismes et de recueillir davantage de données, mais ne faut-il pas aller plus loin et envisager, si ce n'est la mise en place d'une autorité de régulation, une intervention ? Par ailleurs, vous avez soulevé un enjeu important en évoquant une approche interministérielle : une cohérence entre les différentes autorités concernées par cette financiarisation serait la bienvenue.
Ma deuxième question porte sur les centres dentaires, la convention que vous avez signée avec les chirurgiens-dentistes prévoyant des dispositions qui entravent le développement de centres financiarisés. Estimez-vous que le phénomène observé ces dernières années est en passe d'être enrayé, ou d'autres outils de régulation sont-ils nécessaires ?
M. Thomas Fatôme. - Le Gouvernement est intervenu en matière de régulation, notamment via l'ordonnance du 8 février 2023 qui a apporté des éléments complémentaires quant à la transparence demandée au niveau de l'évolution de la composition du capital des différentes sociétés, des pactes d'actionnaires et des modalités d'organisation du pouvoir dans les différents organismes de direction et de contrôle. Je crois que ce texte permettra d'avancer, le système de régulation étant insuffisamment au fait des évolutions qui peuvent affecter l'actionnariat et la direction des différentes organisations, dans le cadre de montages souvent extrêmement complexes. Cependant, il faudra peut-être envisager d'aller encore plus loin que ce texte.
Pour ce qui est des centres de santé, il existe un hiatus trop marqué entre un cadre législatif qui confie leur gestion à des acteurs à but non lucratif et les pratiques observées. Une fois encore, le droit des sociétés ne relève pas directement de notre champ de compétences et nous ne sommes pas en mesure d'empêcher des montages entre associations et sociétés privées qui contredisent cette obligation.
Je pense qu'il faut revoir un cadre législatif manifestement détourné, même si je ne peux pas vous proposer des mesures opérationnelles allant dans ce sens dans l'immédiat. La création d'un observatoire permettrait a minima de bâtir une vision commune aux sphères de la santé, de la justice et de l'économie, afin d'essayer d'identifier les failles du dispositif et de proposer un certain nombre de pistes.
Concernant les centres de soins dentaires, les quatre fédérations de centres de santé ont signé un accord équivalent à celui qui a été signé avec les chirurgiens libéraux sur la régulation démographique. Dans les zones non prioritaires, c'est-à-dire dans lesquelles il existe une densité de dentistes importante, il faudra, à compter de l'année prochaine, un départ pour une arrivée, disposition qui s'appliquera aux libéraux comme aux centres de santé. Nous avons souhaité, par ce biais, freiner l'installation de centres de santé dans des zones qui ne sont absolument pas prioritaires : il suffit de se promener dans la capitale pour constater que lesdits centres sont malheureusement nombreux. Soyons cependant prudents et modestes dans la mesure où ce zonage ne concerne qu'une portion limitée du territoire et, de mémoire, 10 % des dentistes.
Plus globalement, je regrette que notre investissement dans la lutte contre la fraude ne mette pas un terme aux activités frauduleuses, malgré le fort engagement de la police et de la justice à nos côtés pour les contrer.
M. Olivier Henno, rapporteur. - Merci pour vos propos sur ce sujet, assez grave, de la financiarisation. Les représentants des biologistes médicaux que nous avons auditionnés avant vous m'ont rappelé les propos de mon professeur de classe préparatoire, qui disait qu'il n'y avait rien de mieux pour comprendre la financiarisation que de lire L'Argent d'Émile Zola et César Birotteau d'Honoré de Balzac.
Nous nous situons bien dans cette logique : un secteur à l'origine éclaté s'est concentré au cours d'une première phase marquée par des investissements et une amélioration de la qualité du service comme des soins ; elle a ensuite cédé la place à une deuxième phase, bien plus redoutable, marquée par une surconcentration que les pouvoirs publics peinent à maîtriser. Compte tenu des fondamentaux qui sont les nôtres, à savoir la liberté d'installation, la liberté de prescription et le libre choix du médecin qui exigent une forte régulation, avez-vous le sentiment que nous nous nous battons à armes égales avec ces grands groupes, disposant de ressources considérables ?
Connaissez-vous, par ailleurs, le gain qu'a pu entraîner cette financiarisation sur le coût des actes ? En outre, la régulation me semble limitée en ce qu'elle n'empêche pas la multiplication des actes : j'ai pu le vérifier en accompagnant mon fils qui, s'étant blessé au football au poignet ou au genou, a subi de multiples radiographies et autres actes dans la clinique concernée.
M. Thomas Fatôme. - Nous avons intérêt à disposer d'un mécanisme qui permet des gains d'efficience au bénéfice du système de santé. Les investissements ayant permis de réaliser un million de tests se sont révélés utiles au moment de la crise du covid-19. En revanche, un blocage a émergé dès lors qu'il s'est agi de tirer les conséquences d'une rentabilité très élevée - dès avant le covid-19 - et de partager les gains de productivité, la financiarisation faisant obstacle à cette logique.
C'est tout le sens de mon alerte : les fonds d'investissement peuvent rechercher des chiffres d'affaires qui seront multipliés non pas par trois ou quatre, mais par dix ou vingt, soit des niveaux qui n'existent pas en temps normal dans le cadre de fusions-acquisitions. Dès lors que cet argument de la rentabilité de court terme est opposé pour refuser toute diminution des tarifs, le système est en danger.
La question relative à la multiplication et à l'utilité des actes est éminemment délicate : nous l'abordons par le biais de nos travaux consacrés à la qualité et à la pertinence des soins et dans le cadre d'un dialogue avec les professionnels et prescripteurs, afin de nous assurer de la pertinence des examens prescrits. Nous savons, par exemple, que de nombreuses prescriptions de vitamine D sont inutiles, mais ce problème concerne la prescription en amont, et non la financiarisation.
Mme Corinne Imbert, rapporteure. - Merci d'avoir clairement posé les termes du débat. Le phénomène de financiarisation et de concentration n'a pas dégradé, à ce stade, le maillage territorial. Pour autant, ce risque n'est-il pas devant nous dans un contexte économiquement défavorable du point de vue des groupes ?
Par ailleurs, avez-vous observé de leur part des pratiques contestables telles qu'une sélection des actes ou des activités les plus rentables ?
Enfin, vous avez évoqué le protocole d'accord avec le secteur de la biologie. Regrettez-vous le niveau de tarification appliqué aux actes de dépistage et aux tests durant la crise du covid-19 ? Envisagez-vous d'ores et déjà un nouveau prélèvement sur le secteur de la biologie pour le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) ?
M. Thomas Fatôme. - Le diagnostic que nous avons posé ne permet pas d'établir une corrélation entre la diminution du nombre d'acteurs et une dégradation du maillage territorial jusqu'en 2022 : la tendance est même inverse, sans toutefois être certain que les créations de sites se fassent dans les endroits les plus pertinents.
Mon inquiétude, compte tenu de nos récentes expériences de négociations, renvoie à un scénario dans lequel les groupes décideraient d'abandonner une politique pour l'instant plutôt expansionniste : sur quels outils pourrions-nous alors nous appuyer pour faire face à ce risque ? De nouveau, un observatoire pourrait apporter un début de réponse s'il se penche, de manière active, sur les manquements du cadre législatif et réglementaire.
La question de savoir si nous nous battons à armes égales, compte tenu des ressources et de la maîtrise des textes réglementaires dont disposent les acteurs concernés, est effectivement posée, les ARS n'ayant sans doute pas les moyens nécessaires au contrôle et au suivi de ces groupes.
Pour en revenir à la qualité et à la pertinence des actes, nous avons eu des remontées - émanant, de manière intéressante, de groupes de biologistes, et non des syndicats de biologistes avec lesquels je négocie - quant à leur crainte de ne pas pouvoir continuer à pratiquer certains types d'examens, pour cause de rentabilité insuffisante.
Quant aux tarifs pratiqués pendant la crise du covid-19, je n'ai aucun regret : élevés au début, ils ont permis d'inciter les laboratoires à investir, avant de diminuer très fortement, au point d'être quasiment divisés par deux. Nous avons recherché un difficile équilibre entre un cadre favorable à l'investissement et la nécessité de maîtriser les tarifs, et je crois que nous avons fait le nécessaire.
Je ne crois pas du tout à une réduction de voilure qui serait justifiée par la situation économique des laboratoires, ou que ceux-ci auraient besoin de réduire leurs coûts en raison des contraintes que nous faisons peser sur les groupes. Nous examinerons leurs résultats de 2023 au cours de l'été ; je ne pense que nous verrons un tel phénomène.
Prévoyons-nous des mesures dans le PLFSS pour 2025 ? Ma réponse, comme vous l'imaginez, sera prudente. En revanche, je peux mentionner à ce stade le protocole que nous avons signé : quand, à la fin de l'année 2023, nous avons remarqué que les perspectives pour 2024 étaient plus dynamiques que prévu, nous avons indiqué aux laboratoires biologiques que les tarifs allaient être baissés, ce qui a été fait dès janvier. Si les volumes restent dynamiques en 2024, malgré nos efforts pour maîtriser les dépenses médicales, nous proposerons de nouvelles baisses de tarifs, et nous ferons de même en 2025. Bien sûr, cela dépendra aussi des équations complexes de l'Ondam, que vous connaissez bien. Il est encore trop tôt pour en parler, mais nous nous sommes engagés à respecter le protocole, ce qui pourrait entraîner des mesures tarifaires supplémentaires.
Mme Jocelyne Guidez. - Comment voyez-vous le rôle de l'intelligence artificielle (IA) et de l'innovation numérique dans le système de santé de demain ?
Mme Émilienne Poumirol. - Que pensez-vous de la financiarisation des groupes de radiologie ? On le sait, les radiologues cherchent à avoir le rôle principal dans la gouvernance, mais les financiers usent tous de la même tactique : ils approchent les radiologues proches de la retraite pour leur proposer, si j'ose dire, un pactole ; ils mettent en place un cadre si complexe, incluant la gestion des ressources humaines et juridiques, que le médecin, au moment de partir à la retraite, accepte de vendre, car cela améliore considérablement sa situation financière. En outre, les investissements en radiologie sont, on le sait, très coûteux.
L'État ou les caisses primaires d'assurance maladie (CPAM) ont-ils les moyens juridiques pour empêcher ces financiers de contrôler les sociétés d'exercice libéral (SEL) ?
On pourrait ainsi éviter le risque de surutilisation des examens coûteux, comme les actes d'imagerie par résonance magnétique (IRM), sans réelle pertinence médicale. Vous avez souligné l'importance de la prescription, mais dans certains cas, comme les petits accidents sportifs, c'est le radiologue qui prescrit, pas le médecin généraliste. Donc, existe-t-il vraiment un moyen juridique pour empêcher les financiers de décider de la gouvernance ?
M. Thomas Fatôme. - En radiologie, des applications fondées sur l'IA sont de plus en plus utilisées ; elles aident le radiologue à réaliser ses diagnostics. Nous examinerons, dans notre prochain rapport annuel, si le cadre actuel permet le remboursement de l'utilisation de ces nouvelles technologies.
M. Artus de Cormis, directeur de cabinet de la directrice déléguée à la gestion et à l'organisation des soins (DDGOS). - L'IA renferme la promesse d'augmenter la qualité et l'efficacité du système de santé. Toutefois, si son usage est détourné, elle peut accentuer ou aggraver certaines dérives financières. Il est donc important qu'elle reste au service des médecins. Soyons vigilants sur ce point : les médecins doivent rester maîtres, en continuant à réaliser les diagnostics, même s'ils peuvent être utilement appuyés par l'IA.
L'ordonnance du 8 février 2023 ne change pas les règles du jeu ; en revanche, elle augmente le nombre de garde-fous, notamment en matière de transparence. Pour aller plus loin, il faudrait modifier la loi de 1990, en ajoutant des mesures tendant à contrôler les investisseurs tiers pour limiter le rôle qu'ils peuvent jouer dans la gouvernance.
Dans le cadre actuel, les pactes d'actionnaires, les actions préférentielles, les obligations convertibles et autres mécanismes financiers permettent de contourner les règles, si bien que, aujourd'hui, les acteurs financiers détiennent les droits financiers et contrôlent les sociétés d'exercice libéral.
L'ordre des médecins du département du Rhône est récemment intervenu dans le cas d'une société de radiologie, car les actionnaires avaient, selon lui, détourné les règles et l'esprit de la règle de détention du capital. Pour le moment, le Conseil d'État s'est uniquement prononcé sur la procédure ; il doit encore juger au fond. Ce cas pourrait faire jurisprudence, car il s'agit du premier contentieux où un ordre intervient après avoir estimé que les médecins n'étaient plus les propriétaires de leur outil de travail.
L'ordonnance offre donc déjà un cadre d'actions.
M. Bernard Jomier, rapporteur. - Il manque les textes réglementaires...
M. Artus de Cormis. - Les textes réglementaires ne sont pas nécessaires pour que l'ordonnance s'applique.
M. Philippe Mouiller, président. - Je vous remercie, monsieur le directeur général, pour vos réponses.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition commune
de représentants
des grands groupes d'hospitalisation
privée
M. Jean Sol, vice-président de la Commission des affaires sociales. - Nous poursuivons nos travaux par une audition commune de représentants de grands groupes d'hospitalisation privée dans le cadre de la mission d'information sur la financiarisation de l'offre de soins. Nous accueillons ainsi :
- Monsieur Pascal Roché, Directeur Général du Groupe Ramsay Santé ;
- Monsieur Sébastien Proto, Président exécutif du Groupe Elsan ;
- Monsieur Daniel Cahier, Président fondateur du Groupe Vivalto Santé.
Je vous remercie d'avoir accepté notre invitation et de l'éclairage que vous pourrez nous apporter.
Il est précieux car la présence de grands groupes privés est ancienne dans le secteur de l'hospitalisation privée, la part du privé à but lucratif, représentant environ 30 % de l'ensemble de l'offre hospitalière en France.
De plus, vos groupes sont susceptibles de participer à la restructuration en cours dans d'autres professions, notamment au travers de la reprise de cabinets. Votre vision pourra donc porter, le cas échéant, au-delà du seul segment des établissements de santé privés.
Cette audition fait l'objet d'une captation vidéo. Elle est retransmise en direct sur le site du Sénat et sera disponible en vidéo à la demande.
Je vous laisse la parole pour un propos introductif, puis les membres de la commission vous interrogeront, en commençant par les rapporteurs de la mission d'information, Corinne Imbert, Olivier Henno et Bernard Jomier.
M. Pascal Roché, directeur général du groupe Ramsay Santé. - Ramsay Santé est un groupe d'hospitalisation privée et de centres de soins. Nous sommes présents dans cinq pays en Europe. Je le dirige depuis douze ans.
En France, Ramsay Santé est une entreprise à mission. Son comité de mission est présidé par Monsieur Martin Vial. Nous avons 133 établissements de soins, en médecine, chirurgie, obstétrique (MCO), en soins médicaux et de réadaptation (SMR) et en santé mentale. Nous prenons en charge environ 4 millions de patients chaque année.
En termes de chirurgie, nous opérons un Français sur neuf dans un peu plus de 900 salles d'opération. Nous accueillons tous les patients, pour toutes les pathologies. Nous sommes par exemple le premier offreur de soins en Seine-Saint-Denis, avec sept établissements, qui sont tous en déficit.
Notre groupe est coté pour 1 % de son capital. Par conséquent, nos comptes sont publics, certifiés, soumis à l'Autorité des marchés financiers (AMF).
Plus de 10 % des patients que nous prenons en charge relèvent de la protection universelle maladie (Puma). En Seine-Saint-Denis ou à Trappes le ratio est de 17 ou de 18 %.
Nous réalisons beaucoup d'actes lourds. Nous disposons de 224 autorisations en cancérologie et nous sommes le premier acteur en cardiologie interventionnelle lourde.
Pendant le covid, nous avons joué un rôle complémentaire avec le secteur public à la demande du Gouvernement.
En Île-de-France, nous sommes passés en 3 semaines de 225 lits de réanimation à près de 600 lits. Nous avons ainsi pu prendre en charge en réanimation 18 % des patients covid de la région. En France, nous avons pris en charge près de 20 000 patients en réanimation. Le Premier ministre Jean Castex est d'ailleurs venu dans un de nos établissements pour remercier notre groupe et, à travers notre groupe, l'hospitalisation privée pour son implication dans la gestion de la crise covid.
Être un groupe nous a permis de prendre des décisions fortes. Par exemple, le 2 avril 2020, soit 3 semaines après le démarrage du covid, nous avons pris la décision de transférer quasiment l'intégralité de nos stocks de curares, de propofol et de respirateurs de nos hôpitaux en régions, par exemple de Biarritz ou de Bayonne, où le covid était encore très faible, vers nos établissements en Île-de-France. Des centaines d'infirmières et d'aides-soignantes sont également venues renforcer nos équipes en Île-de-France et en région Rhône-Alpes.
Nous avons des centaines d'accords avec l'hospitalisation publique, que ce soit l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) ou les Hospices civils de Lyon (HCL), puisque notre groupe est essentiellement présent dans les grandes villes.
Nous avons deux actionnaires à long terme depuis plus de dix ans, Ramsay Health Care, groupe australien d'hospitalisation privée comme premier actionnaire, et le Crédit Agricole. Ces deux actionnaires ont depuis 10 ans investi 2,5 milliards d'euros dans des salles hybrides, des robots, etc. et ne se sont pas versés un seul euro de dividende.
M. Sébastien Proto, président exécutif du groupe Elsan. - Le groupe Elsan réalise 10 % du total des séjours d'hospitalisation publics et privés en France, avec des dominantes fortes, notamment la cancérologie. Nous sommes le deuxième acteur du cancer en France, derrière les centres de lutte contre le cancer. Un patient sur huit est opéré du cancer dans l'un de nos établissements.
Le groupe est présent sur tous les segments, en particulier sur la médecine, la chirurgie, l'obstétrique, les soins de suite et de réadaptation, la dialyse, la chimiothérapie et l'hospitalisation à domicile. Nous sommes un acteur de territoire, avec 3 établissements en Île-de-France et plus de 200 dans les territoires. C'est un élément très structurant, caractéristique du groupe.
Nous sommes un groupe de santé privé auquel on accole le terme « lucratif », mais nous sommes d'abord un acteur de santé dans les territoires. Notre échange nous permettra de montrer l'apport des groupes de santé privés en complément des acteurs indépendants. Un groupe, compte tenu de son assise, de son nombre d'établissements permet, à rebours des idées reçues, de maintenir l'offre dans les territoires. À la fin de l'année 2023, 40 % de nos établissements étaient en perte. En Bretagne, la plupart de nos établissements sont en perte, en Seine-Saint-Denis, notre établissement qui joue un rôle majeur d'appui à l'hôpital public, enregistre des pertes très importantes.
Cependant, nous sommes en capacité de maintenir ces établissements alors qu'ils sont en perte et que le nombre d'établissements en perte augmente parce que nous sommes un groupe. La profonde dégradation économique du secteur de l'hospitalisation privée est inquiétante. Si nos établissements en perte étaient des acteurs indépendants, ils auraient fermé depuis de nombreuses années. Le fait d'être un groupe permet de faire jouer des complémentarités et de maintenir l'accès aux soins dans des territoires qui sont généralement des déserts médicaux, avec des densités professionnelles de santé plus faibles que la moyenne nationale et, dans certains cas, nous sommes le seul offreur de soins, en particulier vis-à-vis des populations âgées. Le groupe a donc la capacité de protéger et maintenir l'offre de soins.
Un groupe, c'est aussi une capacité d'investissement plus forte qu'il faut protéger. Le groupe Elsan investit chaque année 170 millions d'euros pour ses équipements médicaux et pour l'innovation. Pour un groupe qui n'est présent que dans les territoires, cela signifie apporter l'innovation et l'excellence médicale dans ces territoires. Par exemple, dans le domaine de la chirurgie, nous disposons de robots qui sont indispensables aujourd'hui pour attirer les professionnels de santé et suivre l'évolution de la technologie.
Les groupes permettent aussi d'accélérer la transformation du système hospitalier. Le secteur hospitalier privé a massivement basculé dans l'ambulatoire, avec un taux d'ambulatoire supérieur de 25 points de pourcentage à celui de l'hôpital public. C'est le résultat d'un effort de transformation et d'investissement. Les groupes ont guidé cette transformation.
Enfin, au-delà du débat sur la notion de financiarisation, que je ne partage pas pour l'hospitalisation privée, quelques enjeux me semblent importants. Je suis très préoccupé par la fragilisation croissante du secteur de l'hospitalisation privée. C'est un élément de contexte grave, il est structurel et inquiétant. Certaines activités sont particulièrement affaiblies, comme la maternité, les urgences, les services de soins critiques et même les activités de médecine pour des raisons de financement. Le cadre de régulation reste problématique et nous espérons que la mise en place d'un cadre pluriannuel sera de nature à protéger l'offre de soins dans les territoires. Enfin, il y a un enjeu majeur en termes de coopération entre le secteur public et le secteur privé. Dans bien des cas, elle est indispensable pour garantir le maintien des activités, d'un côté ou de l'autre, dans les territoires.
M. Daniel Caille, président fondateur du groupe Vivalto Santé. - Je suis dans ce métier depuis 35 ans. J'ai recréé le groupe Vivalto Santé il y a une quinzaine d'années, à partir de la Bretagne. Nous sommes un groupe essentiellement provincial, avec quelques établissements dans les Yvelines. Je l'ai créé avec des médecins actionnaires et avec d'autres investisseurs. Je pratique donc depuis 15 ans la recherche du bon investisseur.
Je ne vais pas vous raconter l'évolution du secteur parce que cela nous emmènerait un peu loin, mais l'évolution est irrémédiable, avec un transfert de génération, avec des investissements, considérables à réaliser dans nos établissements, comme l'ont très bien dit M. Roché et M. Proto. Ces investissements représentent 5 à 6 % de notre chiffre d'affaires. Notre métier c'est d'investir ; le résultat est une variable qui permet d'investir. S'il n'y a pas de résultat, nous ne pouvons pas investir.
Vivalto Santé est un acteur européen, le sixième ou septième. Le groupe est plus petit que Ramsay ou qu'Elsan de l'ordre de 40 %, avec 52 établissements en France et une centaine au Portugal, en Espagne, en Suisse, en Tchéquie et en Slovaquie, ce qui représente à peu près 20 000 personnes. Ce groupe a grandi parce qu'il crée du sens et de la valeur, à la fois médicale et économique. Le capital est réparti entre 1 000 médecins actionnaires sur un total de 3 000 en exercice, qui sont devenus investisseurs.
Nos établissements ne sont pas du tout régulés comme des sociétés d'exercice libéral (SEL). Nous ne sommes pas dans le monde de la radiologie ou de la biologie. Ce sont des sociétés par actions simplifiées (SAS) confrontées au problème de la transmission au moment du départ des médecins fondateurs. Les nouveaux médecins veulent bien investir leur épargne mais ils ne sont pas capables de prendre la suite. Le groupe a été créé pour se substituer aux médecins fondateurs.
Vivalto Santé a toujours considéré qu'il fallait marcher sur deux pieds avec l'hôpital public. Nous sommes donc préoccupés par le sort de l'hôpital public et nous aimerions que celui-ci le soit autant par le nôtre.
Ce que disait M. Proto est tout à fait vrai : sur les territoires, face à des problématiques concrètes de prise en charge, il n'y a pas de tension entre l'hôpital public et l'hôpital privé. Il peut y avoir des tensions de compétition avec les CHU, il peut y avoir une compétition marginale de parts de marché dans les grandes villes, mais dans les déserts médicaux, nous sommes beaucoup plus dans la complémentarité que dans la concurrence.
Mon actionnariat est composé de banques, BNP Paribas, Crédit Agricole et Arkea, d'un assureur, la MACSF, et la Bpifrance. 85 % du capital non-médecin est détenu par des acteurs français.
Nous sommes devenus il y a 4 ans la première entreprise à mission. L'un des garde-fous du système est de mettre des valeurs, du sens et du contrôle là où c'est nécessaire, de dire à quoi nous servons, c'est-à-dire à accompagner et à soigner nos patients tout au long de leur parcours de soins et de vie. Tout cela est bien distinct du rôle de l'actionnaire. Le président du comité de mission a un rôle important à jouer dans l'expression de la satisfaction de notre mission, qui se décline dans quatre secteurs : le patient, le médecin, les salariés et l'environnement.
Notre système se caractérise par ce grand garde-fou de l'entreprise à mission, qui est extrêmement contraignant dans les objectifs chiffrés, et par une gouvernance partagée, avec cinq administrateurs sur onze qui sont médecins. Toutes les décisions stratégiques sont prises par le corps médical qui est rémunéré en honoraires. C'est un poids considérable de surveillance de la qualité de l'outil puisque c'est elle qui leur permet de travailler.
Le développement européen était nécessaire parce que le risque financier en France est devenu énorme, avec une visibilité très faible. Nousdevons bien sûr rendre des comptes sur l'utilisation des deniers publics mais nous devons aussi rester attractifs pour les investisseurs qui nous accompagnent dans notre développement. L'absence de visibilité, la situation assez dramatique de nos comptes - 40 % de nos cliniques sont en déficit - fait qu'aujourd'hui l'attractivité du secteur est extrêmement faible. Ce n'est pas inquiétant à très court terme, mais c'est inquiétant à moyen terme. Sans critères de visibilité et de programmation pluriannuelle, sans critères de stabilité au-delà de l'arbitrage de Bercy qui tombe chaque année, nous aurons une énorme difficulté à continuer et le processus de restructuration du secteur s'arrêtera. C'est un vrai cri ! Aujourd'hui, je suis incapable de réaliser une sortie de mes investisseurs et d'en trouver de nouveaux. La stabilité, ce sont les médecins et moi, mais cela n'a qu'un temps, la loi de l'argent est toujours plus forte.
L'attractivité, la visibilité, la capacité à rentrer dans un schéma durable de partenariat public-privé, la nécessité de moderniser l'hôpital public, de faire de la marche en avant économique et non pas simplement de la protestation budgétaire de fin de mois, ce sont nos équations. L'équation de Bercy est contrainte et elle le sera malheureusement de plus en plus.
Mme Corinne Imbert, rapporteur. - Je vous remercie Messieurs pour vos propos introductifs.
Dans son dernier rapport, l'assurance maladie indique que « si l'objectif final des acteurs financiers demeure la rémunération du capital investi, cet objectif peut être aligné de manière temporaire ou durable avec les objectifs des politiques publiques et donc constituer un levier de transformation de l'offre de soins ».
En parallèle, la Cour des comptes a pointé dans un rapport de l'été 2023 sur les logiques de complémentarité et de concurrence entre les établissements de santé publics et privés une implantation très inégale du secteur privé lucratif dans les territoires, avec une concentration marquée dans des grandes agglomérations, sur le pourtour méditerranéen et en Île-de-France. J'ai bien entendu combien vous avez insisté sur les territoires, mais quand on regarde la carte de France, on a quand même une concentration sur ces régions. Dans ce contexte, peut-on vraiment dire que vos groupes contribuent à favoriser l'accès aux soins des patients ?
Par ailleurs, la nette répartition des activités et des actes entre le secteur public et le secteur privé lucratif, qui est également relevée par la Cour des comptes, s'est-elle accentuée sous l'effet de la financiarisation ? La situation des maternités est un exemple assez éclairant, avec un doublement ces 20 dernières années du nombre de départements sans aucune maternité privée.
Plus largement, quelle est votre politique de rachat, de concentration, de choix ou d'abandon de certaines activités et votre politique en termes de ressources humaines ? Quand vous choisissez d'arrêter une activité, discutez-vous avec l'hôpital public du territoire des effets de cette décision sur le territoire ? Je pense par exemple à la fermeture d'une maternité réalisant plus de 1 000 accouchements et à ses conséquences en termes de surcharge pour l'hôpital public.
M. Pascal Roché. - En France, plus de 90 % de notre activité est payée par l'État. C'est une chance et une responsabilité. En ce moment, c'est une difficulté puisque l'ensemble du groupe est déficitaire. Nous devons être des gestionnaires responsables des deniers publics avec, en moyenne, une qualité des soins meilleure qu'à l'hôpital public. Comme vous le savez, pour le même patient, la même pathologie, nous sommes en moyenne payés à peu près 25 % de moins que l'hôpital public. Par ailleurs, les frais de personnel représentent à peu près 50 % de nos coûts. Pour la même infirmière, nous payons 10 points de charges sociales en plus. Cela crée des contraintes très fortes. Nous sommes donc de facto gestionnaires responsables des deniers publics et la Haute Autorité de Santé montre, qu'en moyenne, l'hospitalisation privée offre une meilleure qualité de soins. Nous ne sommes pas parfaits, il peut arriver ce que nous appelons pudiquement des événements indésirables graves.
Vous interrogez notre présence sur les territoires dans certaines activités. Comme l'a souligné Sébastien Proto, nous sommes avant tout payés par l'État. Nous sommes aujourd'hui structurellement sous-financés au regard de l'inflation, de l'Objectif national de dépenses d'assurance maladie (ONDAM), etc. Paradoxalement, plus nous traitons des pathologies lourdes, plus nous sommes en déficit.
Notre groupe est le premier acteur privé avec près de 9 000 médecins libéraux en France en cardiologie interventionnelle, en cancérologie, etc. Nous avons le premier centre de neurochirurgie en France avec l'hôpital Clairval à Marseille qui réalise plus de 12 000 interventions par an. Depuis 12 ans que je dirige ce groupe, malgré les difficultés, bien que nous soyons déficitaires, nous n'avons pas rendu une seule autorisation de cancérologie. Nous considérions que c'était notre rôle et nous assumions jusqu'à maintenant d'avoir 35 % ou 37 % de cliniques en déficit. Cependant, comme l'a bien exprimé Sébastien Proto, la situation est en train de changer. En 12 ans, nous n'avons mis un terme qu'à un partenariat public-privé à Giens car nous ne parvenions plus à recruter des anesthésistes pour notre bloc obstétrical ouvert en permanence. Nous avons discuté avec le centre hospitalier régional (CHR) d'Orléans pour transférer les activités, les salariés, etc. Le chiffre d'affaires, qui était d'environ 9 millions d'euros, est monté le lendemain à 13 millions d'euros, puisque, pour le même patient, la même pathologie, le public est mieux payé.
Nous n'avons jamais rendu d'activité. En Île-de-France, notre nombre de patients bénéficiaires de la Puma augmente structurellement, depuis 7 ans. Nous sommes le seul hôpital à Trappes, où nous enregistrons 55 000 passages aux urgences. Nos 7 hôpitaux en Seine-Saint-Denis font plus d'activité que l'AP-HP à Avicenne et sont structurellement déficitaires.
Dans les années 60, plus d'un bébé sur deux naissait en France dans une maternité privée. Aujourd'hui, ce chiffre est tombé à 18 %. Dans 39 départements, il n'y a plus de maternité privée. Ramsay dispose de 24 maternités dans lesquelles naissent 29 000 bébés. Nous en avions 30 il y a 5 ans. Sur le plan médical, en dessous de 550 naissances par an, en termes de présence de gynécologues obstétriciens, de sages-femmes, etc., nous considérons que nous mettons en risque les parturientes. Pour ces 6 maternités, notamment à Valence ou à Vert Galant en Seine-Saint-Denis, nous avons discuté avec l'hôpital public et avec le soutien de l'agence régionale de santé (ARS), nous lui avons transféré notre activité.
Compte tenu du décret périnatalité de 1998 qui fixe les conditions techniques de fonctionnement de ces activités, je pense que dans 20 ans, moins d'un bébé sur 10 naîtra dans le privé. C'est dommage pour notre pays car, comme l'a très bien exprimé M. Proto, les deux systèmes sont complémentaires en termes d'agilité et de flexibilité. Ce décret a classé les maternités en niveaux 1, 2 ou 3. Il y a 68 maternités de niveau 3, dans les CHU et les CHR. La Cour des comptes dit de manière régulière que près de deux tiers des bébés qui naissent en maternité de niveau 3 auraient pu naître dans une maternité de niveau 1 ou 2. Les acteurs privés n'ont pas accès au niveau 3 même s'ils disposent de services de néonatologie et font de la recherche clinique. Dans un monde d'anxiété, de plus en plus de couples veulent aller vers ces maternités de niveau 3.
M. Sébastien Proto. - Le groupe Elsan est vraiment un acteur de territoires. Nous sommes présents dans des villes de taille moyenne, voire dans des petites villes. Notre dernière grosse acquisition, le groupe C2S en Bourgogne-Franche-Comté, nous a permis de nous renforcer dans cette région avec des établissements dans des petites villes ou des villes de taille moyenne. Nous resterons un acteur des territoires. Nous ne sommes pas implantés à Paris sur les activités de MCO ou de soins de suite et de réadaptation et notre présence à Lyon et à Marseille est très limitée. Nos établissements sont à Dol, Lons-le-Saunier, Limoges, Albi, Perpignan, à Céret, etc.
Quels sont les critères pour fermer une activité et nous désengager ? Le groupe dispose de 25 maternités et d'une trentaine de services d'urgence. Quand devons prendre une décision sur une activité, c'est parce que le fondement sanitaire n'est plus respecté, ce ne sont jamais des fermetures sèches. Dans l'un de nos établissements à Avignon, nous avons une maternité dans laquelle il nous reste trois gynécologues obstétriciens. Avant 2010, elle réalisait 1 800 accouchements par an. Elle en fait désormais 900. Les femmes accouchent à un âge en moyenne plus élevé, vont plutôt dans des maternités de niveau 2B ou 3, ce qu'on peut comprendre. Or, les maternités de l'hospitalisation privée sont majoritairement de niveau 1 et quelquefois de niveau 2. Nous sommes donc beaucoup plus impactés par la baisse des naissances que l'hospitalisation publique.
Nous sommes également confrontés à la pénurie de gynécologues obstétriciens qui frappe l'ensemble du territoire, en particulier les villes de taille moyenne et les petites villes. Nos trois gynécologues obstétriciens doivent assurer le même nombre de gardes que s'ils étaient six. Il est évident que cette situation leur pose un problème. Par ailleurs, pour payer l'assurance dont le coût peut aller jusqu'à 40 000 euros par an, il faut qu'ils fassent plus de 100 accouchements par an. Ce contexte conduit inéluctablement à vider nos maternités de leurs dernières forces, les gynécologues obstétriciens et les pédiatres.
Si notre motivation était d'abord économique, ce que j'entends souvent, nous aurions fermé de nombreuses maternités. En effet, les deux-tiers de nos 25 maternités sont en déficit. Quand c'était nécessaire, dans un nombre de cas extraordinairement limité, nous avons discuté, sous l'égide de l'ARS, avec le centre hospitalier pour mettre en place des regroupements. Ce sera le cas à Avignon, après des mois de discussions. À aucun moment il n'y a eu de fermeture sèche, nous ne vidons pas un territoire de son offre en matière de périnatalité. Le même raisonnement vaut concernant les services d'urgence, quand nous avons l'obligation de fermer des urgences la nuit, parce que nous n'avons plus de médecins urgentistes en nombre suffisant pour assurer les gardes. Mais ce ne sont pas des raisonnements économiques, quel que soit l'actionnariat.
Le groupe Elsan a beaucoup d'actionnaires, français et étrangers, le premier actionnaire est KKR, qui détient 40 % du capital, CVC est le deuxième, puis nous avons Thétys, qui un actionnaire de très long terme dans la santé, AXA, la famille Mérieux, le fonds d'investissement Ardian et CNP Assurances. Le groupe Caisse des Dépôts est donc actionnaire d'Elsan, comme de Ramsay Santé et de Vivalto Santé. Il a accès, comme l'ensemble des actionnaires, aux décisions que nous prenons.
Vous nous interrogez sur notre politique en termes de concentration, de rachat ou d'abandon d'activité. Notre groupe s'est développé sur le postulat d'avoir, sur chaque territoire sur lequel nous sommes implantés, une offre large et cohérente. Nous voulons être présents de la fonction de diagnostic, d'imagerie, à l'acte de médecine, de chirurgie, d'obstétrique, jusqu'au retour à domicile en passant par les soins de suite.
Les conditions économiques du secteur se sont tellement dégradées que les opérations de croissance externe ne se font plus, ou alors de manière marginale. Le groupe Clariane vient de céder son activité d'hospitalisation à domicile. Elsan est le premier acteur du marché de l'hospitalisation privée à domicile, et donc le premier acteur de soins palliatifs en hospitalisation à domicile. L'hospitalisation à domicile de Clariane a été rachetée non pas un acteur privé lucratif, mais par une fondation, un acteur non lucratif, qui, paradoxalement, a les moyens de réaliser cette opération.
M. Daniel Caille. - Rappelez-vous que tout ce qui n'est pas autorisé est interdit dans le monde de la santé, sur la totalité de nos activités. La concentration est liée aux besoins des grandes métropoles qui ne pouvaient pas être comblés par les structures publiques. L'assurance maladie, qui avait la main sur le secteur libéral et privé, a autorisé ces créations. Les établissements ont été créés par des entrepreneurs médecins. La concentration est le résultat des besoins identifiés, ce n'est pas une volonté des acteurs.
Le désastre que nous vivons sur les maternités a été programmé depuis très longtemps. Le secteur public a bénéficié de moyens d'investissements considérables pour rénover ses maternités et obtenir les autorisations 2A, 2B et 3. Nous n'en avons pas bénéficié, la compétition est inégale. Sur nos 10 maternités, seules 6 devraient survivre. Pour les 4 autres, nous discutons avec les ARS qui sont bien informées de la situation. La concentration des maternités s'opère par la volonté des ARS de rationaliser l'offre de soins au regard de la baisse de la démographie médicale.
M. Olivier Henno, rapporteur. - La financiarisation n'est pas le diable à nos yeux. Nous essayons de comprendre ce qui est bousculé par ce phénomène et si la qualité des soins est affectée. Notre système de santé repose depuis longtemps sur la combinaison de la médecine publique et de la médecine libérale.
Est-ce que la financiarisation et son développement bousculent la pratique libérale traditionnelle, qui repose sur la responsabilité personnelle, sur l'autonomie notamment dans l'organisation des charges de travail ? Quel regard portez-vous sur le communiqué du Conseil de l'Ordre des médecins qui appelle à stopper le processus de financiarisation en interdisant de manière rétroactive la participation de tiers non professionnels dans les sociétés d'exercice libéral (SEL) médicales ?
Ma deuxième question s'adresse au groupe Ramsay. Vous avez été en négociation pour la reprise de six centres de santé de la Croix-Rouge mais le projet n'a pas abouti. Comment vous voyez votre développement dans les soins primaires ?
Enfin, nous sommes confrontés à une obligation de régulation. Notre pays dépense 12 % de son PIB pour la santé, alors que les autres en dépensent 10 %. Or, la satisfaction des usagers est modérée, leur regard est plus critique. Un déficit de 17 milliards d'euros est envisagé d'ici 2027, nous ne pouvons pas continuer dans cette voie au regard de nos responsabilités pour les générations à venir. Quel regard portez-vous sur la nécessaire et indispensable régulation de notre système de santé ?
M. Bernard Jomier, rapporteur. - Je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation, le quatrième grand groupe d'hospitalisation qui avait été convié l'a déclinée.
Notre sujet est bien la financiarisation et non les rôles respectifs du secteur public et du secteur privé. Le fonds KKR est arrivé au capital d'Elsan en 2020 dans le cadre d'un LBO de 3,3 milliards d'euros. KKR est devenu l'actionnaire de référence avec 42 % du capital, en s'engageant pour une durée de 5 à 6 ans, ce qui est cohérent avec les pratiques du secteur. KKR a remplacé un autre fonds, CVC Partners, afin d'accroître les investissements du groupe. Fin 2020, Elsan a racheté le groupe C2S, implanté en Rhône-Alpes et en Bourgogne-Franche-Comté pour 400 millions d'euros. À l'époque, l'investissement dans les nouvelles technologies a été mis en avant, mais une grande part des fonds injectés par KKR a été utilisée pour racheter d'autres cliniques.
En avril 2022, le même fonds KKR a déclenché, pour 15 milliards de dollars, une OPA sur 100 % du capital de Ramsay Health Care qui détient 53 % du capital de Ramsay Santé. Il y a eu de nombreuses réactions et la presse a souligné que l'Autorité de la concurrence pourrait s'opposer à l'opération. Au mois d'août 2022, KKR a retiré son offre. Si l'opération avait abouti, KKR aurait été l'actionnaire de référence d'Elsan et aurait détenu la totalité de Ramsay Santé.
Ce capitalisme financier, cette financiarisation, présentent-ils un risque de constitution a minima d'oligopoles, voire de monopoles dans le domaine de la santé ?
Certains de vos groupes communiquent de façon régulière sur leur chiffre d'affaires, il faut saluer cette transparence. Celui de Ramsay a augmenté de plus de 9 % en 2023. En revanche, nous ne connaissons pas l'évolution de vos bénéfices nets, nous ne connaissons pas la part des bénéfices réinvestis dans le secteur de la santé en France ni la part qui sert à rémunérer les actionnaires ou qui est réinvestie à l'étranger. Or, c'est un enjeu crucial parce que, comme vous l'avez rappelé, 90 % des recettes de vos établissements proviennent de l'assurance maladie, c'est-à-dire de prélèvements obligatoires sur les Français. Ces prélèvements obligatoires sont-ils transformés en pensions de retraite pour les citoyens américains ou australiens ? Je vous vois hocher négativement de la tête mais lors des auditions précédentes, tous les acteurs qui s'intéressent à la financiarisation, notamment les économistes de la santé, ont répondu oui à cette question, sans être capables de dire si c'était un phénomène marginal ou plus important, puisqu'il n'est pas possible de trouver ces informations. Il n'est pas normal de ne pas pouvoir y accéder alors qu'il s'agit d'argent provenant des prélèvements obligatoires des Français. La question se pose donc aussi pour les élus.
Je vous remercie de nous indiquer quelle est la part des bénéfices réinvestis en France dans le secteur de la santé.
M. Pascal Roché. - Ramsay Santé étant coté en bourse, nous publions un document d'enregistrement universel (DEU) de 334 pages, qui est soumis à l'Autorité des marchés financiers (AMF). Nos comptes sont certifiés par les cabinets Deloitte et EY. L'an dernier, notre bénéfice s'est élevé à 49 millions d'euros pour un chiffre d'affaires de 4,9 milliards, soit moins de 1 % de résultat net, ce qui est très faible. Nos investissements sont décrits dans les états financiers qui figurent dans le DEU. Nous avons investi 243 millions d'euros dont 217 millions en France. Je vous confirme que depuis 10 ans il n'y a eu aucun versement de dividendes aux actionnaires. À fin décembre, notre perte dans les cinq pays d'Europe dans lesquels nous sommes présents était de 17 millions d'euros. Malgré cela, avec le support de notre conseil d'administration et de notre administratrice référente Anne-Marie Coudert, nous avons continué à investir plus de 200 millions d'euros, notamment dans nos 900 salles d'opération en France et dans des robots. Nous venons d'investir 5 millions d'euros au sud de Paris, dans l'hôpital Jacques Cartier, qui est le premier hôpital d'Europe d'IRM-Coeur, et le neuvième hôpital dans le monde en pose de TAVI (Transcatheter Aortic Valve Implantation), avec 53 cardiologues qui accueillent des praticiens en formation complémentaire du monde entier.
KKR n'a pas déclenché d'OPA sur Ramsay Health Care. Le fonds a envoyé une offre non engageante et au bout de six mois, les deux acteurs ont mis fin aux discussions. Si elles avaient abouti, KKR ne serait pas devenu le seul propriétaire de Ramsay Santé, puisque le Crédit Agricole est un actionnaire très important de notre groupe.
Sur les soins primaires, nous avons une stratégie. Je serai encore la semaine prochaine en Suède. Tout n'est pas parfait dans le système suédois, mais dans nos 130 centres de soins primaires, nous prenons en charge un million de Suédois, dans des lieux qui emploient 25 professionnels payés à la capitation. Nos médecins en Suède voient en moyenne 12 à 14 patients par jour contre 25 à 27 en France en médecine générale de ville. En 20 ans, les 21 régions suédoises qui correspondent à 21 systèmes de santé, qu'elles soient dirigées par des socio-démocrates ou des conservateurs, ont basculé sur ce système de financement. Aucun système n'est parfait mais j'y crois profondément. En 2020, avec Madame Buzyn, dans le cadre des expérimentations dites de l'article 51, nous avons obtenu l'autorisation d'ouvrir en France cinq centres de soins payés à la capitation, avec de la prévention et sept indicateurs de santé publique.
Nous avions effectivement été contactés il y a 3 ans par le directeur général de la Croix-Rouge qui avait six centres de santé en grande difficulté dont cinq dans des villes dans lesquelles nous sommes présents, notamment Antony et Boulogne-Billancourt. Nous avons étudié la reprise de ces centres. Certaines personnes s'étaient émues qu'une entreprise privée à but lucratif puisse se développer dans les centres de soins primaires de la Croix-Rouge. Nous nous étions engagés à rester secteur 1, à prendre en charge tous les patients, etc. Malgré le soutien de l'ARS, nous nous étions finalement retirés. Ces centres ont aujourd'hui fermé, ce qui pose de gros problèmes aux villes concernées.
M. Sébastien Proto. - Toutes les questions qui ont été posées sont liées. La thématique de la financiarisation me gêne beaucoup. Je la trouve insuffisamment précise. Même le directeur général de la Caisse nationale d'assurance maladie fait désormais des distinctions dans cette thématique et dans son champ d'application.
La financiarisation, prenons une acception simple, c'est le fait d'avoir des investisseurs privés. Je ne crois pas que ce soit un problème d'avoir des investisseurs privés à partir du moment où ils exercent leur activité dans un cadre régulé, ce qui est le cas pour l'hospitalisation, avec un système d'autorisation, des contrôles réguliers de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), des chambres régionales des comptes, une certification de la Haute Autorité de santé, etc. Ce cadre s'impose à tous les acteurs, quel que soit l'investisseur.
Par ailleurs, les groupes qui ont des investisseurs privés ont aussi parmi leurs actionnaires la Caisse des dépôts (Vivalto, Almaviva, Elsan) ou des actionnaires à l'engagement incontestable comme le Crédit Agricole chez Ramsay. Toutes les décisions qui pourraient être « cachées » seraient connues de l'État par l'intermédiaire du groupe Caisse des dépôts.
Ces actionnaires, quelle que soit leur nationalité, n'ont pas d'influence sur l'exercice des praticiens. Nous ne sommes pas dans le schéma des sociétés d'exercice libéral (SEL). Les praticiens qui travaillent dans nos établissements ont des contrats d'exercice libéral de la médecine. Ils déterminent eux-mêmes leur activité et la manière de la faire. Nous discutons avec eux des redevances qu'ils payent pour l'accès aux plateaux techniques.
La nationalité de l'investisseur est-elle un problème, puisque les questions se polarisent sur KKR, qui est un investisseur anglo-saxon ? Je rappelle que nos activités ne sont pas délocalisables. On ne peut pas délocaliser une clinique ni les professionnels qui y travaillent. L'accès aux données de santé est protégé, réglementé, quelle que soit la nationalité de l'investisseur. Il est impossible de prendre des données de santé des patients et de les envoyer aux États-Unis. La nationalité est une question qui se pose très différemment pour des activités stratégiques dans le domaine de la santé délocalisables, par exemple dans la production pharmaceutique.
Enfin, vous m'interrogez sur la transparence du groupe Elsan. Notre groupe réalise un chiffre d'affaires de 3,1 milliards d'euros. Il a progressé, mais moins que le nombre d'établissements en perte. Nous essayons d'expliquer au ministère de la santé qu'il est dans l'intérêt du patient que l'hospitalisation privée ait une activité forte. Nous invitons à chaque fois nos interlocuteurs à apprécier les conséquences sanitaires pour les Français si l'hospitalisation privée fonctionnait comme l'hospitalisation publique. Je vous invite à regarder nos chiffres en matière de diagnostic du cancer, de chirurgie complexe, de traitement de la dette covid, qui n'aurait pas baissé si nous avions eu la même activité que le public, mais qui serait passée de 3,5 millions de séjours de retard à 4 millions.
En 2023, le résultat net du groupe Elsan était négatif. S'il avait été positif, cela n'aurait rien changé. Aucun dividende n'a été versé aux actionnaires au cours des dernières années. KKR ne touche pas de dividendes ! S'il en touchait, le groupe Caisse des Dépôts en toucherait également et je pense qu'il le dirait. Aucune somme ne quitte la France pour aller financer soit la santé soit des retraités à l'étranger.
Enfin, il y a une grande différence, souvent méconnue, entre les fonds d'investissement et les fonds de pension. Ils ne fonctionnent pas de la même manière.
M. Daniel Caille. - Nos cliniques sont des SAS, elles ont des autorisations et sont séparées de l'activité des médecins. Le problème posé est celui de la répartition des responsabilités au sein d'une SEL entre les investisseurs, qui sont à la fois les médecins libéraux, souvent des radiologues, après avoir été historiquement les biologistes, et les investisseurs financiers. Le Conseil de l'Ordre a été extrêmement vigilant à ce sujet, qui mobilise des montages compliqués. Le Conseil de l'Ordre dispose d'énormément de moyens pour apprécier la bonne répartition des responsabilités et du libre arbitre des médecins.
Pour les cliniques, le sujet porte sur l'outil de travail, nous avons l'obligation de mettre des moyens à disposition de nos praticiens pour qu'ils exercent. Nous n'avons aucune responsabilité sur l'acte médical lui-même, puisque le médecin est totalement responsable.
Le Conseil de l'Ordre regarde si nous subventionnons nos médecins ou si nous faisons trop payer les prestations de service que nous leur rendons. La zone d'interface est donc celle-ci.
L'appréciation de la concurrence s'exprime par la voix de l'Autorité de la concurrence, au niveau territorial et en prenant en compte l'offre publique et l'offre privée. Les jurisprudences ont été bien écrites. La concurrence concerne la concentration sur un territoire d'acteurs privés. Pour l'instant, il n'y a pas encore de jurisprudence sur le caractère monopolistique du secteur public. L'Autorité de la concurrence a dit qu'elle s'y intéresserait. À chaque fois que le seuil de 50 millions d'euros est dépassé, nous sommes obligés de soumettre les dossiers à l'Autorité de la concurrence. Dans le cadre des GHT, alors que le public essaie d'exercer une emprise quasiment monopolistique sur le territoire, notre problème est d'arriver à survivre. Il y a donc une concentration des établissements sur une zone géographique pour coordonner les médecins libéraux et organiser les filières, avec le consentement des ARS. Nous sommes bien loin de phénomènes de concentration des acteurs du secteur privé, mais il faut conserver la concentration géographique pour se renforcer. Le secteur public, pour des raisons de concentration de moyens, est obligé d'y procéder et mène cette concentration géographique.
Nous communiquons régulièrement nos résultats auprès de nos tutelles. Nous investissons chaque année entre 5 et 6 % de notre chiffre d'affaires mais nos résultats n'ont jamais représenté 5 ou 6 % de ce chiffre d'affaires. Quand nous gagnons de l'argent, c'est de l'ordre de 1,5 ou 2 %. Aujourd'hui, nous sommes déficitaires. Nous investissons parce que nous cherchons à nous développer. Notre pari, c'est que le développement va nous permettre de compenser nos coûts, puisque nous sommes payés à l'activité. Il faut investir dans les outils de travail pour franchir le point d'équilibre. Notre métier est donc un métier d'investissement. Nous attirons les médecins parce que nous leur donnons des outils de travail de qualité. Nous sommes donc condamnés à investir.
À un moment de ma vie, j'ai créé un autre groupe au sein de la Générale des Eaux. Quand on m'a annoncé en 1997 qu'il serait vendu, j'ai fait le tour de tous les investisseurs de France : fonds, assurances, Caisse des dépôts, etc. Déjà à cette époque, ils craignaient le manque de visibilité dans le secteur de la santé, y compris les investisseurs publics. J'ai réclamé des cadres pluriannuels, des cadres de stabilité, pour une meilleure lisibilité. L'Ondam étant approuvé par le Parlement, les moyens sont contraints. Son évolution est liée à la productivité du secteur public et du secteur privé. Notre sort est aujourd'hui dépendant de la capacité de l'hôpital public à améliorer sa productivité. C'est de cette manière que nous ferons des économies sur l'ensemble de la dépense sociale. Ne vous trompez pas ! Nous mourrons peut-être mais il restera à poursuivre l'évolution du secteur public. Nous avions engagé il y a quelques années des démarches pour transformer les hôpitaux publics en fondations, en établissements de santé privés d'intérêt collectif (ESPIC), pour mettre la dimension économique sur le devant de la scène. Cela a été enterré par tous les ministres. Le problème des excès de comportements de la finance n'est pas le sujet d'aujourd'hui.
En revanche, la répartition du pouvoir entre les médecins et les investisseurs est un sujet de contrat d'exercice. Ce n'est pas un sujet du même ordre que les sociétés d'exercice libérales dans lesquelles il y a des répartitions d'actions qui sont sujettes à beaucoup plus d'interprétations fines que les nôtres.
M. Daniel Chasseing. - Je vous remercie de nous avoir présenté vos groupes. Je suis élu de la Corrèze. Les établissements en Haute-Vienne et en Corrèze fonctionnent bien, à la satisfaction des patients et des professionnels privés, notamment des médecins généralistes, qu'ils ont une place importante et complémentaire des CHU ou des CHR.
Vous nous aviez écrit concernant les problèmes des salariés du privé, notamment les primes de nuit et de dimanche des professionnels du privé par rapport au public. J'avais interrogé le ministre qui m'avait indiqué qu'il était totalement prêt à revoir la situation. Où en est cette question ?
Vous nous avez indiqué que des investissements très importants étaient nécessaires pour faire évoluer les techniques et les locaux, et que vous investissez 200 millions d'euros alors que votre résultat est de 40 millions. Vous considérez également que le prix de la journée est trop faible. De son côté, le ministre ne connaît pas vos résultats.
Les tarifs des hôpitaux publics seront augmentés de 4 %, mais la population qu'ils accueillent souffre souvent de maladies chroniques qui nécessitent une prise en charge importante. Je sais que les hôpitaux sont eux aussi en difficulté et en déficit.
Malgré les déficits, vous avez la possibilité de poursuivre votre action, avec l'accord de vos actionnaires. Qu'attendez-vous de l'État pour que les établissements privés, qui sont complémentaires des hôpitaux et qui prennent une place maintenant très importante, poursuivent leur activité à la satisfaction des médecins et des patients ?
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Je vous remercie de vous être prêtés à cet exercice qui nous permet de vous poser un certain nombre de questions et de vous entendre sur votre écosystème. Avec l'ancienne présidente de notre commission, Catherine Deroche, et quelques-uns de mes collègues, nous avions eu l'occasion de visiter la clinique Saint Göran à Stockholm, et nous avons pu constater sa complémentarité avec l'hôpital public Karolinska.
La complémentarité est essentielle, le système de santé marche sur deux jambes, nous avons besoin de vous comme nous avons besoin de l'hôpital public. Les conditions ne sont pas les mêmes, vous partez avec un petit handicap sur le plan financier.
Pourquoi sommes-nous en France toujours suspicieux par rapport à l'investissement des groupes ? Pourtant, quand un établissement privé s'installe ou est repris par le privé, les patients sont plutôt satisfaits. Les habitants de mon territoire sont heureux d'avoir un hôpital et une polyclinique et de pouvoir, dans certaines spécialités, aller à la polyclinique plutôt qu'à l'hôpital.
Par ailleurs, quelles sont les raisons de l'insatisfaction dans notre système de santé ? Que faut-il changer ? Qu'avez-vous observé à l'étranger ?
Mme Nadia Sollogoub. - Je vous remercie pour votre présence. En tant qu'élus des territoires, notre seule préoccupation est l'accès aux soins des habitants. C'est notre seul cap.
L'outil de pilotage de l'hospitalisation dans les territoires ne marche que sur une seule jambe. En effet, les GHT font comme si le privé n'existait pas. Faut-il remettre cette question sur la table ? Ce serait en plus un lieu de dialogue entre vous. Si le privé et le public ne se parlent que par élus interposés, il est peu compliqué d'avancer. Faut-il remettre dans les territoires de vrais outils de concertation ?
Vous avez bien dit que vous n'étiez pas en concurrence dans l'activité mais complémentaires. En revanche, vous êtes en concurrence pour le recrutement des médecins, des infirmiers, et des aides-soignants. Le sujet a été un peu abordé lors des douloureuses négociations dont nous sortons péniblement. Les conditions de travail et de salaire de vos collaborateurs sont-elles une priorité pour vous ?
Mme Céline Brulin. - Je ne doute évidemment pas de l'altruisme de tous nos interlocuteurs, en particulier à titre individuel, mais en entendant qu'il n'y avait que des résultats nets négatifs, beaucoup de déficits, aucun dividende, nous sommes un certain nombre à nous interroger sur l'objectif de votre activité. Nous comprenons que les investisseurs attendent un retour sur leurs investissements. Je m'interroge d'autant plus que vous continuez à acquérir des centres de santé, y compris en redressement judiciaire, donc dans une situation économique compliquée. Quel est le but de ces opérations si cette activité ne rapporte rien ?
Je trouve également que vous faites de la politique. Vous avez une vision de l'organisation sociale, de l'organisation des soins. Vous dites assez clairement que vous comptez peser sur les décisions et les orientations, sur la vision de notre pays en matière de santé. Vous dites par exemple qu'il faut moderniser l'hôpital. Bien sûr, sous cette forme, nous sommes tous d'accord. Vous dites également que ce que vous considérez être aujourd'hui un monopole public est à réinterroger. Quelle est votre légitimité pour peser et influer sur l'organisation de notre société ?
M. Daniel Caille. - Regardez la réalité en face, au moins une fois dans votre vie !
Mme Céline Brulin. - Il est plutôt sain que nous n'ayons pas le même point de vue mais ne dites à personne que nous ne regardons pas la réalité en face, nous y sommes confrontés au quotidien dans notre mandat d'élu.
M. Pascal Roché. - Tout n'est pas parfait dans les systèmes de santé étrangers. Depuis 5 ans, je vais tous les mois en Suède, en Norvège et au Danemark, et Mme Doineau évoquait l'hôpital de Saint Göran. À travers cet exemple, j'aimerais vous donner un sentiment personnel. Nous gérons Saint Göran depuis 25 ans à la suite de trois appels d'offres, en partenariat avec le Karolinska qui est le grand hôpital universitaire de Suède. Le contrat de gestion arrive à échéance en 2026 et nous venons de candidater pour continuer à gérer cet hôpital.
Lorsque la région de Stockholm lance un nouvel appel d'offres pour l'hôpital Saint Göran, elle donne une visibilité sur 8 ans, plus 4 ans éventuellement. Nous disposons donc d'au moins 8 ans de visibilité sur le tarif auquel nous serons payés. C'est absolument majeur dans un métier d'investissements lourds. L'hôpital emploie 1 000 collaborateurs, enregistre 100 000 passages par an aux urgences et il est très renommé dans la prise en charge des cancers du sein et de la prostate. Par ailleurs, 5 % de la rémunération sont assis sur la qualité. Enfin, il y a une transparence absolue pour les 10 millions de citoyens suédois qui peuvent consulter les données de notre hôpital ou des autres hôpitaux publics très renommés à Stockholm comme le Karolinska, Danderyd ou Södersjukhuset. Par exemple, nous gérons 3 000 patients diabétiques de type 1. Nous avons un engagement pour que 97 % d'entre eux bénéficient chaque année de 4 contrôles d'hémoglobine glyquée. Pour 98 % d'entre eux, nous devons faire un contrôle du pied diabétique tous les 2 ans, etc.
Pour la France, je suis convaincu que dans les 254 milliards d'euros de L'Ondam, 2 ou 3 évolutions seraient nécessaires pour nous permettre de mieux exercer notre métier.
La première est la pluriannualité. Nous avons besoin d'une visibilité tarifaire indexée sur l'inflation. Je sais que la Fédération des hôpitaux publics, la FHF, y croit profondément elle aussi.
Le deuxième sujet concerne le nombre de lits. Il y a en France 400 000 lits d'hôpitaux, le même nombre qu'il y a 10 ans. Or, le nombre de séjours de plus d'une nuit en MCO a baissé depuis 10 ans en raison du développement de l'ambulatoire, de retours à domicile plus précoces, de la mise en place de plateaux de kinésithérapie en ville, etc. Nous sommes tous sortis du covid en constatant que nous étions passés près de la catastrophe sur les lits de réanimation. Nous sommes rentrés le 12 mars 2020 dans le covid avec exactement 5 051 lits de réanimation. Sous la houlette du ministre, nous sommes montés à 7 200. Je crois qu'aucun Français n'est décédé comme dans d'autres pays, dans un couloir parce qu'il n'y avait pas de lit. Beaucoup de personnes sont convaincues que nous manquons de lits d'hôpitaux. En réalité, le taux d'occupation en moyenne des 400 000 lits est de 72 % à 73 %.
Je pense qu'il y a une problématique de restructuration de l'offre hospitalière. Dans les autres pays, cette restructuration de l'offre s'est faite dans la transparence, sur la base d'objectifs de santé publique. En tant qu'hospitalier, je regrette que la rémunération hospitalière ne soit pas plus liée à la qualité. L'incitation financière à la qualité (IFAQ) ne représente que 700 millions d'euros sur les 105,6 milliards d'euros de budget hospitalier en 2024. Sur ces 700 millions d'euros, la moitié est liée à l'activité. Seule 0,3 % de la rémunération hospitalière est assise sur la qualité. Cela n'aide pas les Français à avoir une transparence sur les indicateurs et à choisir leur hôpital, cela ne nous pousse pas à créer de l'émulation. Je crois profondément à un système beaucoup plus basé sur des objectifs de santé publique. Depuis 2000, sur les 22 indicateurs clés de l'OMS, nos résultats ont baissé. Notre pays est très en retard sur la rémunération à la qualité et sur la transparence.
M. Sébastien Proto. - Je conçois que vous ne compreniez pas pourquoi des investisseurs privés s'intéressent à une activité qui ne dégage pas de bénéfices. Nous ne développons pas une vision politique. En revanche, nous avons une vision profondément sanitaire et de santé publique. Depuis le XIXe siècle, le système de santé français est structuré sur deux jambes, le public et le privé. Nous nous inscrivons dans cette histoire qui est fondamentalement bonne pour les patients, tant qu'il y a à la fois de la complémentarité et un peu de concurrence et que le système est tiré vers le haut. Je pense que la présence du privé, lucratif ou non lucratif, et du public, tire le système vers le haut.
S'il y a un secteur privé de la santé, il faut des investisseurs et il faut qu'ils gagnent de l'argent. Ils n'en gagnent pas par les dividendes mais au moment où ils sortent du capital, par la réalisation d'une plus-value. J'observe une forme de paradoxe. Si nous dégagions des bénéfices, nous devrions les justifier et justifier leur affectation. Vous êtes donc plutôt rassurés que nos établissements soient déficitaires mais je ne le suis pas. Le directeur général de la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam), Thomas Fatôme, parle beaucoup de financiarisation de la santé mais pour l'hospitalisation privée, mon inquiétude, c'est la définanciarisation. Les investisseurs privés sont partis. Les actionnaires actuels ne peuvent donc pas réaliser de plus-value, ni maintenant, ni demain. Le cadre de régulation est devenu tellement mauvais, au détriment du public comme du privé, à rebours de l'objectif d'attirer des investisseurs étrangers en France mis en avant lors du dernier sommet de Choose France. Plus personne ne veut aujourd'hui investir dans le secteur de l'hospitalisation privée.
Vous dites, Madame la sénatrice Brulin, que vous ne comprenez pas parce que nous continuons à réaliser des acquisitions. Mais ce n'est plus le cas, ou alors marginalement. Cependant, c'est un autre paradoxe, quand un établissement est en liquidation judiciaire - généralement un acteur indépendant -, l'ARS nous invite à le reprendre au regard des enjeux sanitaires sur le territoire. Le coeur du sujet est l'offre dans les territoires, et la capacité à la maintenir.
Nous sommes confrontés à des injonctions paradoxales. On nous demande de ne pas faire de profit mais d'investir, de conserver des activités en perte, de ne pas fermer de maternité mais de veiller à ce qu'elles ne passent pas sous le seuil de 500 accouchements par an, etc. Nous ne gérons pas de la politique, mais des paradoxes. Nous essayons de le faire, chacun avec nos convictions, de la meilleure manière possible.
Nous avons parlé de la financiarisation sous l'angle des sociétés d'exercice libéral. Une ordonnance a été publiée en août 2023 mais elle est insuffisante. Elle autorise l'arrivée d'acteurs purement financiers au capital des sociétés d'exercice libéral des praticiens, c'est-à-dire de non-exerçants dans des structures de professionnels-exerçants. Nous n'avons eu de cesse de dire que l'ordonnance n'était pas suffisamment protectrice. Nous avons eu ce débat lors du PLFSS 2024, nous l'avons indiqué à la Cnam, nous l'avons indiqué à l'Assemblée nationale. Depuis, le Conseil national de l'Ordre des médecins a dit qu'elle n'était pas suffisante, qu'elle n'empêchait pas des détournements, les actions de préférence, les droits de vote double, en bref, tous les mécanismes qui permettent à des tiers non-exerçants de prendre de fait le contrôle de l'activité des professionnels de santé. C'est ça la financiarisation !
M. Daniel Caille. - Je suis un entrepreneur, je regrette mes termes très directs mais le fond est juste. Nous vivons au quotidien avec l'hôpital public. Vivalto assure 60 % des urgences de l'agglomération de Rennes. Quand le CHU n'assure plus ses missions, nous en subissons les conséquences, et quand j'ai des difficultés, le CHU en a aussi. Nous dialoguons au quotidien, nous travaillons ensemble. À Nantes, nous assurons 40 % des urgences, notre rôle est considérable. Nous sommes venus combler des vides dans l'offre. C'est cette solidarité que j'ai toujours exprimée.
L'Europe est plus innovante que la France. Je gère des hôpitaux publics à Valence en Espagne avec un paiement au forfait par habitant. Nous sommes très contrôlés, nous avons des objectifs de qualité, de résultat. Gérer au forfait permet de voir la dépense de santé d'une manière différente du paiement à l'activité. On regarde quel est le juste soin au bon moment, nous sommes très attentifs à la prévention et à la pertinence, thèmes sur lesquels nous ne progressons pas en France. Il serait pourtant important de parler de la pertinence de la radiologie, de l'analyse biologique, de la cotation de l'acte médical, etc. Je regrette l'immobilisme de la santé en France.
J'ai voulu refaire appel à mes investisseurs pour développer notre activité. Ils ont refusé car ils considèrent qu'il n'est pas opportun de se développer en France aujourd'hui.
Notre valorisation est une valorisation de fonds de commerce. Quand on fait plus de chiffre d'affaires, la valeur d'un fonds de commerce augmente. C'est pour cette raison que nous avons grandi, malgré les difficultés économiques. Le modèle est fragile et ne tient que s'il y a des acheteurs. Aujourd'hui, nous sommes à l'arrêt. À un moment se posera la question de la solvabilisation du secteur.
J'ai toujours appelé de mes voeux la création d'un organisme parapublic, rassemblant des investisseurs français de long terme, capables de s'engager sur la durée, mais aujourd'hui ils sont frileux. Il ne faut donc pas nous reprocher d'être allés chercher des investisseurs qui l'étaient un peu moins. À part la Caisse des Dépôts et la Bpifrance, tous mes investisseurs ont refusé de s'engager davantage. Je me suis tourné vers mes banques historiques et vers la MACSF qui était intéressée.
J'en appelle aux investisseurs institutionnels de long terme pour solvabiliser un secteur qui ne l'est plus.
Mme Laurence Muller-Bronn. - Je reviens d'une mission avec notre président et quelques-unes de mes collègues. Nous sommes allés en Allemagne et au Danemark pour comprendre leur système hospitalier. L'Allemagne est à la veille d'une grande réforme hospitalière. Elle dispose de 1 950 hôpitaux et dépense énormément d'argent, encore plus que la France, pour le soin de ses citoyens. Face à l'absence de résultats, la réforme prévoit de ne conserver que 900 hôpitaux. Au Danemark, la réforme est derrière eux, mais ils sont à la veille de décisions très importantes sur leur système hospitalier.
Quel regard portez-vous sur ces réformes dans des pays qui ne sont pas dans l'immobilisme. Sont-elles bonnes pour les patients ?
Le médecin généraliste revient au coeur du système de santé mais en France nous avons un souci avec nos médecins généralistes.
M. Pascal Roché. - Je ne suis pas familier de l'Allemagne mais je serais ravi d'être auditionné à nouveau.
En Norvège, au Danemark ou en Suède, nous sommes payés à la capitation, avec un système de délégation d'État.
Nous suivons un million de Suédois dans nos centres de soins primaires et le médecin généraliste joue un rôle majeur. Par ailleurs, nous disposons d'outils digitaux de continuité des soins pendant la nuit. C'est la force d'un groupe présent dans de nombreux pays. Nous cherchons à les développer en France. La grande différence, c'est que 92 % des patients qui viennent dans les centres de soins primaires en Suède comme au Danemark sont préqualifiés. Par exemple, quand un patient diabétique de type 1 a rendez-vous pour un contrôle, il est reçu par une infirmière diplômée en diabétologie. Si les résultats ne sont pas bons, si l'hémoglobine glyquée a dérivé, le patient verra le médecin généraliste.
En Suède, les médecins généralistes, qui sont moins nombreux par habitant qu'en France, comme les infirmières, se concentrent sur les cas les plus complexes. Nos centres de soin regroupent 25 personnes et assurent la continuité de soins, y compris la nuit. C'est un changement de paradigme par rapport au système que nous connaissons en France.
Je serais ravi d'en parler plus en détail une autre fois.
M. Jean Sol, vice-président de la commission des affaires sociales. - Je vous remercie pour votre disponibilité.