II. EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 25 septembre 2024, sous la présidence de M. Philippe Mouiller, président, la commission examine le rapport d'information de Mme Corinne Imbert et MM. Olivier Henno et Bernard Jomier sur la financiarisation de l'offre de soins.

M. Philippe Mouiller, président. - J'attire, tout d'abord, votre attention sur le contexte de travail particulier qui s'annonce. En effet, nos prochaines réunions seront consacrées principalement à l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), or les données qui lui sont afférentes nous seront communiquées très tardivement. Outre le travail important de nos rapporteurs, nous réaliserons également des auditions pendant un temps relativement court. Par conséquent, le rythme de travail sera soutenu.

Nous reprenons nos travaux avec la présentation de deux rapports très attendus par de nombreux professionnels et médias. Celle-ci aurait dû intervenir avant la fin de la session, mais nous avions choisi de la reporter à la rentrée pour des raisons d'opportunité politique. Cela permettait également de rendre notre action plus lisible au travers des conférences de presse prévues cet après-midi.

Nous allons entendre, en premier lieu, la communication de Corinne Imbert, d'Olivier Henno et de Bernard Jomier, à l'issue des travaux de la mission d'information qu'ils ont conduite sur la financiarisation de l'offre de soins.

Les travaux de nos collègues s'inscrivent dans le programme de contrôle de la commission pour la session 2023-2024. Notre commission avait procédé à quatre auditions plénières dans ce cadre. Nous avions reçu, le 3 avril, les conseils nationaux de l'ordre des médecins et de l'ordre des pharmaciens, le 10 avril, des représentants de grands groupes de biologie médicale ainsi que le directeur général de la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam) et, le 5 juin, des représentants de grands groupes d'hospitalisation privée.

M. Bernard Jomier, rapporteur. - Notre sujet - la financiarisation de la santé et, plus spécifiquement, la financiarisation de l'offre de soins - est entré récemment dans le débat public. La presse y consacre désormais régulièrement des articles et des tribunes, mais les pouvoirs publics tardent à s'emparer de cette question pourtant structurante pour notre système de santé.

Les réalités que recouvre la financiarisation de l'offre de soins ne sont pas toujours bien comprises, parce que les termes, quelque peu nébuleux, ne sont pas toujours explicités. Commençons donc par définir la notion de financiarisation : celle-ci désigne un processus par lequel des acteurs privés, qui disposent d'une capacité d'investissement significative et qui ne sont pas des professionnels de santé, entrent dans le secteur de l'offre de soins avec pour objectif prioritaire de rémunérer le capital investi.

Parce que la financiarisation de l'offre de soins touche aux conditions essentielles de régulation de notre système de santé, c'est-à-dire à l'organisation de l'offre dans nos territoires, à la qualité des soins, à la maîtrise des dépenses de santé, à l'accès aux soins et, enfin, à l'indépendance des professionnels de santé, la commission des affaires sociales a décidé de se saisir de ce sujet.

Nous nous sommes souvent heurtés, au cours de nos travaux, à des difficultés pour obtenir des données consolidées, aussi bien de la part des autorités sanitaires que d'acteurs professionnels ou académiques. Et pour cause : à ce jour, peu d'études ont été conduites sur les effets de ce phénomène, qui demeurent largement méconnus et mal maîtrisés. Or le sujet est susceptible d'opposer des points de vue divergents, de cristalliser des intérêts contradictoires et de véhiculer des présupposés idéologiques.

C'est pourquoi nous avons souhaité rencontrer, dans le cadre cette mission, nombre d'interlocuteurs susceptibles de nous aider à objectiver le phénomène. Ainsi avons-nous auditionné près de soixante organisations et une centaine de personnes. La diversité des acteurs entendus nous a permis non seulement de recueillir des données importantes, mais aussi de nous imprégner de la complexité des enjeux et de la technicité de la matière.

Au terme de nos travaux, nous établissons un diagnostic, secteur par secteur, en identifiant les déterminants de la financiarisation et en tentant d'objectiver les risques qu'elle induit. Ces derniers portent, d'une part, sur les conditions de la régulation économique et de l'organisation territoriale de l'offre de soins ainsi que, d'autre part, sur l'indépendance et les conditions d'exercice des professionnels de santé. Pour y répondre, le rapport que nous vous présentons formule dix-huit propositions visant à mieux maîtriser le mouvement de financiarisation des structures de soin et à limiter ses effets indésirables. Il s'agit de réaffirmer la primauté des enjeux de santé publique sur les intérêts financiers.

Mme Corinne Imbert, rapporteure. - Commençons par le diagnostic. Quelques chiffres suffisent à illustrer l'ampleur d'un phénomène qui progresse : six groupes concentrent plus de 60 % des sites de biologie médicale en France ; pas moins de 40 % de l'hospitalisation privée lucrative qui représente, elle-même, un quart du capacitaire des établissements de santé, est détenue par quatre grands groupes. Ces dernières années, le nombre des opérations de rachat et de fusions-acquisitions révèle une accélération de la concentration de certains secteurs, soutenue par l'intervention de fonds d'investissement dans le capital des groupes. Cette dynamique n'est pas sans incidence sur la structuration des marchés du soin : l'Autorité de la concurrence a rendu cinquante et une décisions au titre du contrôle des concentrations dans le secteur de la santé depuis 2019.

La maturité du processus de financiarisation est néanmoins inégale selon les domaines. Aujourd'hui, le marché de l'imagerie, où la valorisation financière des groupes peut atteindre jusqu'à quinze fois l'excédent brut d'exploitation, suscite l'intérêt des investisseurs. La dynamique de financiarisation y est récente, mais près de 30 % des structures seraient déjà concernées. Quant aux laboratoires de biologie médicale, ils ont bénéficié d'une rentabilité de 23 % en 2020, en raison de l'épidémie de covid, soit un taux près de quatre fois supérieur à celui du secteur de la construction aéronautique et spatiale.

Malgré des règles interdisant l'ouverture de leur capital à des tiers non professionnels, les pharmacies d'officine sont également concernées. Elles connaissent, toutefois, une forme de financiarisation spécifique au travers de l'émission d'obligations, voire d'obligations convertibles en actions, auprès de fonds d'investissement, qui aident ainsi les professionnels de santé à constituer un apport bancaire pour financer leur installation ou leur activité. Ces fonds conditionnent leur soutien au respect de certaines règles relatives à la gestion et à l'activité de l'officine, qui sont susceptibles de fragiliser l'indépendance des professionnels.

Enfin, après les scandales sanitaires qui ont tristement mis en lumière les pratiques frauduleuses et abusives de nombreux centres de santé dentaires et ophtalmologiques, les centres de soins primaires polyvalents semblent constituer une cible nouvelle pour les investisseurs financiers.

Cette progression des investissements dans le secteur de l'offre de soins depuis le début des années 2000 témoigne de l'intérêt des acteurs du capital investissement pour un marché qui présente des caractéristiques de nature à rassurer les investisseurs.

L'offre de soins constitue, en effet, un investissement à la fois rentable et sûr. Tout d'abord, sa rentabilité tient aux possibilités de restructuration du secteur, notamment par la recherche d'un effet « taille critique » et la concentration des plateaux techniques. Ensuite, son caractère sécurisant résulte, d'une part, de l'accroissement continu de la demande de soins, lié au vieillissement démographique et, d'autre part, du haut niveau de socialisation de la dépense de santé. Enfin, l'investissement dans le soin est également un moyen pour les acteurs financiers de diversifier leurs portefeuilles d'actifs.

Sciemment ou non, le cadre de régulation a lui-même favorisé la financiarisation de l'offre de soins. Tout d'abord, la loi a autorisé, dès le début des années 1990, l'entrée d'acteurs non professionnels au capital des sociétés d'exercice libéral (SEL) des professions de santé, à l'exception notable de la pharmacie. Ensuite, dans un contexte financier marqué par un déficit récurrent de la branche maladie, l'entrée de capitaux financiers sur le marché de l'offre de soins représente indéniablement une source de financement supplémentaire qui contribue à moderniser les infrastructures de santé.

Par ailleurs, certaines politiques visant à améliorer la qualité des soins ont pu contribuer au processus de financiarisation : il en va ainsi de l'accréditation obligatoire des laboratoires de biologie médicale, prévue par l'ordonnance n° 2010-49 du 13 janvier 2010 relative à la biologie médicale, dite « Ballereau », dont le coût et les contraintes sont mieux supportés par des structures de grande taille susceptibles de standardiser leur activité. Enfin, les acteurs financiers ont su s'engouffrer dans la brèche de la démographie médicale en saisissant l'opportunité de rachats massifs de cabinets : en proposant aux praticiens partant à la retraite de reprendre leurs structures à un prix pouvant atteindre trois ou quatre fois leur valeur réelle, les investisseurs ont progressivement fait basculer certains secteurs d'un modèle de capitalisme professionnel à celui du capitalisme financiarisé.

S'il est possible de mesurer l'avancée du phénomène de financiarisation de l'offre de soins et d'en comprendre les déterminants, l'évaluation de ses effets sur les dépenses de santé, sur l'accès aux soins et sur la qualité des soins est, en revanche, plus complexe.

Pour ce qui concerne les dépenses, deux questions se posent. Tout d'abord, la financiarisation conduit-elle à une augmentation des dépenses de santé, qui serait liée à une pression sur la rentabilité, ou permet-elle de les contenir en contribuant à la recherche de gains d'efficience ? Nos travaux ne nous permettent pas, aujourd'hui, de répondre à cette question. Nous pouvons uniquement nous fier à des faisceaux d'indices, qui démontrent d'ailleurs des effets équivoques, car il n'existe aucune analyse dont nous puissions tirer des conclusions certaines.

Ensuite, la financiarisation a-t-elle pour effet de modifier les conditions du dialogue conventionnel et, par conséquent, de la régulation tarifaire ? À cette question, nous pouvons assurément répondre de façon affirmative. La Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam), elle-même, a pointé du doigt le positionnement biaisé des syndicats de biologistes, soumis à la pression des groupes financiarisés lors des dernières négociations conventionnelles. Cette situation doit évidemment nous conduire à nous interroger sur l'efficacité de nos outils de régulation, afin de conserver la maîtrise du pilotage de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) et de garantir une offre respectueuse de critères de qualité et de pertinence des soins.

En ce qui concerne l'organisation territoriale de l'offre de soins, la financiarisation accentue la concentration des structures, qui conduit à des situations d'oligopoles locaux ou de quasi-monopoles. Il en résulte une moindre diversité de l'offre locale, ce qui peut modifier les conditions du dialogue entre les offreurs de soins et les agences régionales de santé (ARS) ou rendre les patients captifs d'un groupe. À propos de l'accès aux soins, on observe pourtant des effets contrastés : par exemple, dans le champ de la biologie médicale, la couverture territoriale est restée stable ces quinze dernières années malgré la très forte concentration du secteur ; en revanche, l'optimisation de la chaîne analytique au travers de la diminution du nombre de sites d'analyse au profit des sites de prélèvement n'est pas neutre pour ce qui concerne la prestation offerte au patient : allongement des délais de rendu, absence de biologiste sur site...

La financiarisation de l'offre de soins fait également peser un risque important sur l'indépendance des professionnels de santé. Ce principe déontologique fondamental garantit que les professionnels déterminent, en conscience, les actes de soin à réaliser dans le seul intérêt des patients, compte tenu de leurs connaissances scientifiques.

La loi protège ce principe en encadrant la propriété du capital social comme les droits de vote dans les sociétés d'exercice. Elle prévoit également que les sociétés sont inscrites au tableau de l'ordre concerné et que leurs statuts comme leurs conventions doivent être transmis à l'ordre. Malgré ces garde-fous, les ordres professionnels, que nous avons tous auditionnés, ont relayé de vives inquiétudes quant au respect du principe d'indépendance.

Dans certaines sociétés, l'influence des acteurs financiers non professionnels se trouve, en effet, augmentée par le jeu d'actions de préférence, qui permettent de distinguer la part de capital détenu des droits de vote ou des droits financiers associés, ou par des clauses rendant, par exemple, incontournable la voix des investisseurs financiers dans la prise de décisions stratégiques en dépit de leur position minoritaire au capital. La complexité des montages juridiques employés, qui confine parfois à l'opacité, camoufle ainsi la dépossession, subie par les professionnels de santé, des prérogatives qui leur sont normalement garanties par la loi.

De la même manière, dans le secteur officinal, l'ordre des pharmaciens observe que certains fonds d'investissement contraignent les professionnels à revoir leur offre, souvent pour augmenter la part de la parapharmacie, à sélectionner un fournisseur ou une solution logicielle déterminés.

M. Olivier Henno, rapporteur. - Les risques associés à la financiarisation sont donc nombreux. Si l'apport de capitaux extérieurs concourt au financement de notre système de santé, une financiarisation non maîtrisée de l'offre de soins peut menacer des équilibres essentiels situés au coeur de la régulation de l'offre. Au terme de nos travaux, il nous semble non seulement possible, mais aussi nécessaire, de contrôler les conséquences potentiellement néfastes de la financiarisation sur la structuration de l'offre et d'agir avant d'observer une progression trop importante de ces effets indésirables. Pour cela, nous formulons neuf recommandations, qui consistent, d'une part, à adapter les modalités de la régulation économique de l'offre de soins et, d'autre part, à renforcer les conditions de sa régulation territoriale.

Pour ce qui concerne la régulation économique, trois évolutions nous semblent indispensables pour faire face aux défis que nous avons décrits.

Tout d'abord, nous croyons utile de faciliter l'accès des professionnels de santé aux modes de financement préservant l'indépendance des structures de soins. Les professionnels auditionnés ont souligné la difficulté, pour ne pas dire l'obstacle, que représente l'investissement requis pour leur installation ou pour le maintien de leur activité. Certains d'entre eux peinent à réunir l'apport nécessaire à la souscription d'un emprunt bancaire. Dans le secteur officinal, la Caisse d'assurance vieillesse des pharmaciens (CAVP), les syndicats professionnels et certains grossistes-répartiteurs cherchent à répondre à ce besoin en proposant des solutions de financement complémentaires, respectueuses de l'indépendance des professionnels. Elles constituent autant de solutions de substitution aux fonds d'investissement, plus intrusifs. Nous pensons que ce type d'initiatives doit être encouragé et, lorsque cela est possible, étendu.

Ensuite, il nous semble indispensable de revoir les outils de régulation des dépenses de santé pour les adapter au contexte de financiarisation. Le directeur général de la Cnam a présenté devant notre commission les difficultés rencontrées lors des dernières négociations avec les syndicats de biologistes. À ce sujet, il nous paraît tout à fait légitime que le régulateur tienne compte, pour la fixation des tarifs applicables, des gains de productivité et des taux de marge observés chez les grands opérateurs du secteur. Toutefois, il doit également veiller, lors de cet exercice, à assurer la viabilité des structures indépendantes. C'est pourquoi il semble souhaitable de faire figurer la protection de l'indépendance des professionnels de santé parmi les objectifs légaux des conventions négociées avec l'assurance maladie.

En ambulatoire comme dans le secteur hospitalier, une meilleure valorisation de la qualité et de la pertinence des soins dans le financement des structures nous semble également fondamentale. En 2022, la commission d'enquête sénatoriale sur la situation de l'hôpital et le système de santé en France appelait déjà cette évolution de ses voeux. Elle semble d'autant plus nécessaire dans le contexte actuel, qu'elle permettra d'orienter l'activité des structures financiarisées vers les priorités de santé publique et de mieux maîtriser certains risques associés à la financiarisation.

Enfin, il nous semble indispensable de renforcer les capacités de contrôle et de suivi de l'assurance maladie sur l'activité des centres de santé. Celles-ci ont déjà été considérablement améliorées ces dernières années. La loi n° 2023-378 du 19 mai 2023 visant à améliorer l'encadrement des centres de santé, dite « loi Khattabi », a par exemple rétabli l'obligation d'agrément préalable des centres dentaires et ophtalmologiques et prévu l'identification des professionnels exerçant dans les centres de santé par un numéro individuel. Les contrôles ont, par ailleurs, été renforcés : entre 2021 et 2023, l'assurance maladie a ainsi contrôlé 200 centres de santé et décidé d'en déconventionner 21, ce qui est toutefois peu au regard des quelque 2 500 centres de santé recensés. En outre, l'identification individuelle des prescripteurs, cruciale pour les contrôles, n'est toujours pas effective. En conséquence, nous proposons de lever les derniers obstacles à son entrée en vigueur et de renforcer les moyens de contrôle à la disposition de l'assurance maladie.

En ce qui concerne l'organisation territoriale de l'offre de soins, la financiarisation contribue assez clairement à accélérer le processus de concentration dans les différents secteurs. Cet effet de concentration engendre une déformation de l'offre dans les territoires, en favorisant l'implantation d'activités dans des zones déjà denses et dynamiques ou, au contraire, l'abandon d'activités trop peu rentables. Face à ce constat, nous formulons plusieurs propositions qui visent à construire une régulation adaptée au contexte de financiarisation.

En premier lieu, il nous semble nécessaire de construire cette régulation en concertation avec les professionnels de santé et les collectivités territoriales. La territorialisation des politiques de santé exige, en effet, un dialogue plus étroit et plus systématique avec les élus locaux, notamment les maires. Les professionnels de santé peuvent également être force de proposition : certaines initiatives inscrites dans les conventions nationales pluriannuelles signées avec l'assurance maladie doivent inspirer d'autres propositions. Je pense, par exemple, à l'encadrement des majorations des consultations aux heures de la permanence des soins ambulatoires (PDSA), afin de limiter les pratiques abusives des centres de soins non programmés. Je pense aussi au conventionnement sélectif des chirurgiens-dentistes, très circonscrit, qui vise précisément à empêcher la multiplication des centres dentaires à chaque coin de rue dans les grandes agglomérations. Le cadre conventionnel doit être un espace de réflexion pour faire émerger des outils de régulation nouveaux et pour prévenir le développement d'une offre principalement fondée sur des critères de rentabilité.

La maîtrise de la recomposition de notre offre de soins doit également passer, en second lieu, par une action plus volontariste des ARS, qui disposent d'un levier sous-utilisé : les autorisations d'activités de soins et d'équipements matériels lourds. À notre sens, leur délivrance pourrait s'accompagner d'engagements opposables aux acteurs, portant par exemple sur la couverture territoriale de zones isolées et sur la prise en charge de patients éloignés du soin.

Dans le secteur de la biologie médicale, les règles de territorialité de l'offre, qui doivent permettre de réguler les implantations des laboratoires, sont demeurées lettre morte. Il est donc urgent de doter les ARS d'outils d'analyse et de critères décisionnels plus efficaces pour renforcer le pilotage de cette offre.

Afin de garantir des conditions de réalisation et de restitution des examens qualitatives, il nous apparaît également nécessaire d'augmenter le nombre de sites de biologie médicale analytiques de proximité et de définir, par arrêté, une liste minimale d'examens à réaliser sur chaque site. L'ensemble de ces propositions doit contribuer à une répartition territoriale adéquate de l'offre de soins.

Outre l'enjeu d'accessibilité, la question de la pertinence de l'offre de soins nous conduit à recommander plusieurs évolutions. D'une part, afin de limiter les biais de sélection occasionnés par la régulation tarifaire des actes, il paraît nécessaire de réviser régulièrement les tarifs hospitaliers et conventionnels qui engendrent des déséquilibres de l'offre. D'autre part, alors que le secteur des soins primaires polyvalents connaît un début de financiarisation et que des dynamiques comparables sont observées dans d'autres pays européens, nous anticipons un risque non négligeable de détournement de l'objet non lucratif de ces centres, qui justifie un droit de regard des ARS sur les conditions de leur développement.

Par conséquent, nous proposons que l'ouverture de ces centres de soins primaires soit conditionnée à un agrément, comme c'est déjà le cas pour les centres dentaires et ophtalmologiques depuis la loi Khattabi de mai 2023.

M. Bernard Jomier, rapporteur. - Enfin, l'indépendance des professionnels de santé constitue un enjeu majeur de la financiarisation, peut-être le plus sensible, car il touche à un principe cardinal de notre système de santé. Le Conseil constitutionnel reconnaît d'ailleurs cette indépendance comme une condition nécessaire au respect de l'objectif de protection de la santé publique.

Clairement énoncée en droit, formellement respectée dans les statuts des SEL, cette indépendance n'en est pas moins mise à mal par le recours à diverses techniques juridiques issues du droit des sociétés, qui visent à contourner un principe jugé sans doute encombrant ou désuet. Grâce au système des actions de préférence, les investisseurs financiers peuvent se réserver jusqu'à 99 % des droits financiers, alors que la loi ne les autorise à détenir, en tant qu'actionnaires non professionnels, que 25 % au maximum du capital des sociétés. D'autres outils sont utilisés et inscrits dans des clauses statutaires ou extra-statutaires, qui ont pour effet, comme indiqué précédemment, de retirer aux professionnels de santé le pouvoir décisionnel qui leur est, au moins en théorie, réservé.

La loi échoue donc, manifestement, à protéger l'indépendance des professionnels de santé. Dans ce contexte, le Conseil national de l'ordre des médecins (Cnom), auditionné par notre commission, a appelé le législateur à interdire l'entrée des acteurs financiers au capital des SEL. La quasi-totalité des acteurs rencontrés au cours de notre travail a souligné la nécessité de donner toute sa portée à la loi en encadrant plus strictement l'intervention des acteurs financiers, sans pour autant remettre en cause la participation d'investisseurs tiers au capital des SEL.

Sur ce point, nous formulons deux recommandations fondamentales. Tout d'abord, il s'agit de compléter les dispositions législatives et réglementaires encadrant la détention des droits sociaux et des droits de vote au sein des SEL, pour mieux protéger le pouvoir décisionnel des professionnels de santé et pour mettre fin aux détournements du système des actions de préférence appliqué aux SEL des professions de santé.

Ensuite, la financiarisation s'accompagne d'une volatilité des capitaux susceptible de déstabiliser l'offre de soins. Rappelons que la Cnam, elle-même, évoque une « bulle spéculative » sur le marché de la biologie médicale. En conséquence, il nous apparaît nécessaire d'envisager un encadrement plus strict des investissements financiers dans le secteur de l'offre de soins. Le financement des activités de soins doit répondre à des critères de durabilité. C'est pourquoi nous recommandons d'empêcher les investissements purement spéculatifs et de prévenir le retrait non anticipé de capitaux, par exemple en fixant une durée minimale d'investissement dans le capital des SEL.

Protéger l'indépendance des professionnels de santé, c'est aussi les mettre en capacité de résister à la dynamique de financiarisation. Deux actions nous paraissent pouvoir y contribuer. Il s'agit, d'une part, de préparer les étudiants à la diversité de leurs modes d'exercice, en les formant à la gestion des structures de soins au cours de leurs études. Pour reprendre une formule du Syndicat national des ophtalmologistes de France (Snof), « la formation académique des jeunes médecins à l'entreprise éthique et déontologique de leur spécialité est indispensable pour les préparer à l'exercice libéral ». Il s'agit, d'autre part, de soutenir les professionnels de santé et les acteurs locaux, notamment les collectivités territoriales, dans la consolidation d'une offre de soins indépendante et diversifiée. Plusieurs des acteurs que nous avons auditionnés ont exprimé leur attachement à une gouvernance locale des structures, ancrée dans les territoires, qui garantit une proximité de la prise de décision avec les professionnels exerçant au sein de ces structures. Les cliniques indépendantes revendiquent ce modèle de gouvernance et des collectifs de professionnels veulent le promouvoir. Nous y souscrivons pleinement.

Enfin, nous faisons quatre recommandations pour améliorer le niveau d'effectivité et de contrôle du principe d'indépendance professionnelle.

Parce que sa portée demeure incertaine, la protection du principe d'indépendance par les ordres professionnels est aujourd'hui difficile. En nous inspirant de jurisprudences récentes du Conseil d'État qui visent la profession vétérinaire, nous proposons de préciser dans le droit que ce principe d'indépendance fait obstacle à toute clause contractuelle, statutaire ou extra-statutaire, qui priverait les professionnels exerçants d'un contrôle effectif sur une société d'exercice. Comme pour la profession vétérinaire et afin de favoriser une plus grande sécurité juridique, la portée concrète de cette nouvelle notion pourrait être définie dans une doctrine d'emploi, établie après concertation avec les ordres professionnels, les sociétés d'exercice et les syndicats, sous la coordination du ministère chargé de la santé. De telles avancées rendraient le droit plus protecteur pour les professionnels de santé et faciliteraient son application par les ordres et au sein des sociétés d'exercice.

Il est également indispensable de donner les moyens d'exercer efficacement leur contrôle aux ordres professionnels. Cela passe, tout d'abord, par une révision de la liste des documents devant leur être transmise. Pour chaque profession, celle-ci doit être complétée et adaptée aux montages observés ces dernières années. Ensuite, toute clause contractuelle soumettant la transmission d'un tel document à l'accord préalable de la société ou de l'investisseur minoritaire devrait être interdite. Enfin, parce qu'il n'est pas raisonnable de demander à chaque ordre professionnel, et, encore moins, à chaque conseil départemental de ces ordres, de disposer du niveau d'expertise nécessaire à l'analyse de certains montages très complexes, nous proposons la constitution de cellules régionales d'appui, croisant les compétences des directions régionales des finances publiques (DRFiP), des directions régionales de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (Dreets) et des ARS pour appuyer les ordres professionnels dans leur contrôle.

Le rapport que nous vous présentons est la première étape d'un long travail qui reste à accomplir. Il s'agit du premier rapport institutionnel portant sur cette question, publié dans notre pays. Les autorités sanitaires nous semblent accuser un retard important face à un phénomène qui se développe depuis longtemps, sans véritable surveillance ni régulation efficace.

Nous ne vous proposons pas d'exclure du système de santé les acteurs financiers qui y ont investi. En revanche, nous souhaitons que cette intervention soit mieux mesurée et mieux maîtrisée afin qu'elle ne remette pas en cause les principes les plus fondamentaux de notre système de santé.

Mme Émilienne Poumirol. - Ce sujet, qui nous inquiète depuis quelque temps déjà, prend de l'ampleur : après le secteur de la biologie, celui de la radiologie est aussi concerné, deux domaines qui nécessitent des investissements importants. À l'occasion de la tentative de rachat de centres de soins primaires par un acteur privé financiarisé, centres jusque-là détenus par la Croix-Rouge française (CRF), nous avions déjà interrogé le ministre des solidarités et de la santé de l'époque, Olivier Véran, sur le risque qui pèse sur ces centres.

Je souscris à l'ensemble des propositions des rapporteurs qui vont toutes dans le bon sens. Aujourd'hui, aucun contrôle réel n'existe, notamment en raison de la complexité des montages financiers que vous avez soulignée. Votre proposition relative à la formation des jeunes est très intéressante. En effet, ceux qui terminent leurs études ne connaissent pas le monde de la finance - ce domaine très éloigné de la médecine, de la pharmacie et de la biologie les dépasse avec raison -, ils sont démunis face à ces fonds d'investissement extrêmement complexes et se laissent souvent convaincre d'y recourir, car cela leur permet de s'installer rapidement. Vous avez évoqué la rentabilité du système de santé. Comme nous l'avons déjà constaté au travers du scandale Orpea et, aujourd'hui, des crèches, les investisseurs sont attirés par le secteur médico-social.

Je poserai juste une question d'ordre juridique. Une avocate spécialiste du droit de la santé m'indiquait qu'il était possible de bloquer le droit de vote des investisseurs dans les SEL - cela me semble faire partie de vos propositions. Est-ce réellement faisable ? Au regard de l'indépendance des professionnels de santé, si les investisseurs financiers ne disposaient pas de droit de vote en matière de choix de santé dans les centres de soins, ce serait déjà un énorme pas en avant.

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale - Plusieurs propositions nous aideront probablement, lors de l'examen du PLFSS, à réduire les inégalités de santé et à retrouver un certain équilibre.

Les problèmes que nous rencontrons et qui sont relayés par les médias viennent de la faiblesse de notre service public. Le privé s'est engouffré dans la brèche, mais en y important ses dérives. À mon sens, il faut un équilibre et une forme de complémentarité entre le public et le privé ; ce n'est pas l'un contre l'autre. Or la faiblesse du service public amplifie les difficultés liées à la financiarisation et la survie de certains services ou professions est en jeu. Il faut donc renforcer les moyens du service public ou, à tout le moins, accompagner le service public bien plus que ce n'est le cas actuellement.

Pour ce qui concerne les professions, il faut débattre de ces questions avec leurs représentants pour que cela fonctionne ; ils doivent être les premiers ambassadeurs du changement.

Au sujet de l'ARS, dans les départements, il existe des schémas départementaux d'analyse et de couverture des risques (Sdacr) et des services départementaux d'incendie et de secours (Sdis) qui évaluent les risques et les besoins pour y répondre. Nous devrions nous en inspirer pour ce qui concerne l'accès aux soins et les professions de santé : un tel schéma permettrait, chaque année, d'évaluer la situation et de l'améliorer en se fondant sur les données des ARS.

M. Alain Milon. - Je remercie les rapporteurs du travail important qu'ils ont réalisé, mais qui, pour ma part, ne me satisfait pas pleinement. J'ai été quelque peu rassuré par l'affirmation de Bernard Jomier qui a présenté ce travail comme une première étape. Il faut aller plus loin, à tout prix, protéger le système de santé du capital et défendre l'indépendance totale des professionnels de santé, ce qui n'est pas le cas pour l'instant. Dans le système actuel, les professionnels sont de plus en plus prisonniers du capital.

J'évoquerai une expérience personnelle. Voilà trois ans, en juillet, Florence Lassarade et moi-même avons reçu le patronat suédois au Sénat. Or les propos du président de l'équivalent suédois du Mouvement des entreprises de France (Medef) m'ont beaucoup surpris. Il m'a expliqué que des fonds de pension suédois participaient au capital d'entreprises qui achetaient des cliniques et des centres de santé en France. Aussi était-il surpris que l'assurance maladie française contribue ainsi au financement des retraites des Suédois. Ce type de situation doit cesser rapidement, afin que ce soit les Françaises et les Français qui bénéficient du système.

La dépense de santé en France représente chaque année environ 300 milliards d'euros. C'est donc un marché considérable qui intéresse les détenteurs de capitaux. Je me réjouis de cette première étape, mais nous devons continuer ce travail pour faire en sorte que les professionnels de santé ne soient pas dépendants de ce système.

Dans mon département, une clinique ferme : elle appartenait à un seul médecin, qui part à la retraite et sa famille ne lui succède pas. Un groupe avait été consulté, mais il a refusé d'acheter l'établissement après avoir examiné sa situation. Entre-temps, l'hôpital a proposé aux professionnels de santé qui exerçaient dans cette clinique de venir travailler en libéral, en mettant à leur disposition des salles d'opération, mais ceux-ci ont refusé. Le groupe qui avait refusé de reprendre la clinique a embauché ces praticiens dans une autre clinique située à 50 kilomètres. Cela montre bien ce à quoi peut mener la logique de financiarisation.

Pour ce qui concerne la biologie, je rappelle que la loi n° 2013-442 du 30 mai 2013 portant réforme de la biologie médicale est issue d'une directive européenne mise en place par Roselyne Bachelot et qu'elle a ensuite été défendue par la ministre de l'époque, Marisol Touraine. À l'époque, Bernard Jomier et moi-même avions souligné qu'un danger énorme existait : l'installation du capital risquait de permettre celle des centrales d'achats, comme dans le secteur du commerce. Or ces dernières ont progressivement liquidé tous les petits commerces de nos villes et tous nos agriculteurs. Ne faisons pas de même pour la santé !

Mme Raymonde Poncet Monge. - Je retiens de votre mission qu'il s'agit de muscler les mécanismes de régulation dans le contexte de la financiarisation.

Vous proposez de doter les ARS et les professionnels de santé d'un certain niveau d'expertise. Or je suis très pessimiste. Pour avoir travaillé sur la façon dont des profits sont tirés des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), la régulation a toujours un temps de retard sur l'expertise des grands groupes et les moyens dont disposent ces derniers. Vous avez indiqué : « La loi échoue. » J'ai envie de dire : « La régulation échouera. » Elle est nécessaire, mais nous avons toujours un temps de retard.

Un point aveugle, qui ne faisait pas l'objet de votre rapport, a trait aux modes de financement des centres de santé publics et à leurs difficultés à atteindre l'équilibre, qui sont un cheval de Troie pour le secteur privé lucratif. Il convient de s'interroger sur ces points. C'est la même chose pour les crèches : certes, ce secteur compte un groupe malhonnête, mais comment l'ensemble des acteurs privés y réalisent-ils des profits ? Ils y parviennent grâce à la prestation de service unique (PSU) et aux modes de financement qui s'y prêtent. Ces mécanismes qui nuisent à l'équilibre des crèches démultiplient, en quelque sorte, les effets délétères du secteur privé lucratif. S'interroger sur « comment » être rentable dans ces secteurs d'activité a trait à l'accès aux soins et à l'aménagement du territoire.

Vos recommandations sont importantes. Mais, à mon sens, la part des opérateurs financiers doit diminuer dans ce secteur, comme dans les Ehpad et les crèches.

Mme Frédérique Gerbaud. - Je remercie nos collègues pour ce travail qui doit être poursuivi - je souscris à l'avis d'Alain Milon.

Je voudrais faire part d'une expérience personnelle qui a trait à l'accès aux soins, à la financiarisation et aux dérives des grands groupes privés, qui mettent en danger l'indépendance des praticiens, en les enfermant souvent dans des contrats mirobolants qui les empêchent de participer à des formes de permanences des soins.

Dans mon département de l'Indre, qui est un exemple de petit territoire, où il ne reste qu'un hôpital public et une clinique appartenant à un grand groupe, la clinique historiquement installée va progressivement fermer, car elle est peu lucrative. Le groupe ne lui a pas accordé les moyens nécessaires pour répondre aux besoins en termes d'accès aux soins. La clinique interdit aux praticiens de rejoindre l'hôpital public, en les enfermant dans des contrats mirobolants, ce qui est une contrainte financière lamentable dans un territoire sous-doté. Les praticiens sont transférés dans un département voisin, alors que ce type d'établissement sollicite une subvention publique auprès des ARS, sans échange et sans évidemment de retours.

À mon sens, le rôle des ARS n'est pas de subventionner les déficits que les groupes privés ont eux-mêmes engendrés. C'est le premier problème que nous devrions régler. Dans les territoires sous-dotés, des obligations ne pourraient-elles pas être pointées par les ARS, qui accordent les accréditations, souvent avec un regard bienveillant, à des établissements obsolètes qui n'offrent pas de conditions de sécurité suffisantes aux praticiens ni un accès aux soins satisfaisant ? Ce sujet est pénalisant pour les populations.

Dans le cas d'une coopération public-privé, qui semble actuellement la meilleure des solutions, pourquoi l'hôpital public doit-il assurer la mission de permanence des soins, alors que les praticiens d'une clinique non seulement refusent d'y participer, mais conservent la part la plus lucrative de l'activité ?

Il existe une dérive, qui doit être mieux contrôlée. Des contraintes doivent être posées et le législateur doit renforcer les contrôles des autorisations d'exercice, du financement des établissements, dès lors que ceux-ci répondent à une permanence des soins ou à l'accès aux soins, notamment dans les territoires sous-dotés.

Mme Pascale Gruny. - Ce rapport est extrêmement intéressant. À mon sens, tout est une question d'équilibre.

À la fin de leurs études, la question du financement de l'installation se pose pour nombre de professionnels de santé. Or les banques ne les accompagnent pas tous de la même façon. Les jeunes pharmaciens souhaitant racheter une officine, notamment, sont moins soutenus qu'à une époque, car l'activité apparaît plus risquée.

Que faire face à cette situation, sachant que celui qui prend les risques financiers a le pouvoir ? Il n'a échappé à personne que la sécurité sociale n'est pas en bonne santé, ce qui ouvre grand les portes aux investisseurs financiers. Il est évident que le risque s'est accru avec le renchérissement du coût du matériel médical, porté par l'innovation. Mais la santé n'est pas un marché comme les autres !

J'insiste enfin sur une nécessité : la formation des praticiens à la gestion. En effet, nombre de professionnels de santé se font avoir par des charlatans qui leur proposent des solutions de financement en apparence avantageuses, mais qui se révèlent être des pièges à plus ou moins long terme.

Mme Céline Brulin. - Les inquiétudes montent de toute part. La financiarisation a déjà fait des dégâts considérables. L'offre de soins suscite depuis longtemps des appétits financiers, mais on constate une accélération de cette tendance ces derniers temps. Ces appétits prospèrent en réalité sur la faiblesse du secteur public.

Les hôpitaux publics sont en grande souffrance également parce que les établissements privés ne font pas toujours du bon travail, les premiers étant obligés de repasser derrière les seconds pour réparer les dégâts.

Je rejoins Alain Milon sur sa comparaison de la situation avec celle des agriculteurs et je me réjouis de constater que des libéraux prennent conscience de l'intérêt de protéger certains secteurs vitaux des dogmes du libéralisme économique. Cependant, dans le même temps, nous assistons à une offensive idéologique terrible des lobbyistes de tout poil qui en rebute plus d'un parmi les professionnels de santé, dans le secteur public comme dans le secteur privé. Dans le contexte de crise démographique du secteur, c'est un vrai problème. J'ose espérer, mon cher collègue, que nous nous retrouverons sur des propositions communes lors de la discussion du prochain PLFSS.

M. Philippe Mouiller, président. - Les laboratoires d'analyses sont actuellement en grève pour protester contre la baisse de cotation d'un certain nombre d'actes, ce qui ne peut que profiter à la concentration et à l'accélération de la financiarisation.

M. Bernard Jomier, rapporteur. - Je vais mettre les pieds dans le plat : l'objet de notre rapport n'est pas du tout l'équilibre public-privé. Notre système a toujours reposé sur ces deux piliers et il n'est absolument pas question de remettre cet équilibre en cause.

Nous sommes partis d'un constat largement partagé : le capitalisme financier est en train de tuer un certain capitalisme professionnel.

Les professionnels de santé sont vent debout, car ils ont bien compris qu'il s'agissait d'une lutte à mort. En aucun cas il ne s'agit d'un clivage droite-gauche.

La finance est très agile pour s'immiscer partout. Des dispositifs de contrôle du droit de vote des actionnaires existent pourtant dans la loi de 1990, mais ils ont été contournés grâce au système des actions de préférence, qui ont permis de transformer 1 % des actions en 99 % des droits financiers.

La puissance publique est restée les bras ballants. Pourquoi ? Parce qu'elle y a un intérêt, ce phénomène entraînant la baisse du coût unitaire des actes. Malheureusement, elle n'a vu que les actes allaient se multiplier sans tenir compte de la pertinence des soins. Au début, la sécurité sociale s'est réjouie de pouvoir discuter avec six grands groupes, mais la lune de miel s'est transformée en gueule de bois.

Nos recommandations visent non pas à éliminer la participation des groupes financiers - c'est impossible ! -, mais à stopper l'interventionnisme croissant des acteurs financiers dans le secteur ambulatoire.

Ne sombrons pas dans le pessimisme : nous avons des alliés dans ce combat, à commencer par les professionnels de santé, notamment les jeunes.

M. Olivier Henno, rapporteur. - Ces structures financières jouent dans les espaces et profitent des besoins accrus en capitaux pour un certain nombre d'activités médicales. Malheureusement, le secteur public n'est plus en mesure de répondre de façon satisfaisante aux besoins en soins.

Nous identifions deux autres facteurs d'accélération de la financiarisation : l'intérêt individuel du vendeur, qui va vers le plus offrant, et l'attrait des jeunes praticiens pour le salariat.

Cette logique de la financiarisation, de la dérégulation et de la concentration est à l'oeuvre dans toute l'économie. Les marxistes appellent cela la concentration du capital.

La solution est non pas de revenir en arrière, mais d'utiliser toutes les armes dont dispose la puissance publique, notamment l'édiction de normes. Soyons plus efficaces dans la régulation.

Mme Corinne Imbert, rapporteure. - La financiarisation n'est pas la privatisation. Ce phénomène est à l'oeuvre depuis 30 ans et nous devons essayer de renverser le cours des choses.

Ne soyons pas naïfs néanmoins : le président de la Fédération nationale de la mutualité française (FNMF) a lui-même reconnu que leurs centres de santé étaient dans l'incapacité d'atteindre l'équilibre financier.

Je ferai un focus sur la pharmacie, secteur que je connais bien. À une époque, les non-professionnels n'avaient pas le droit d'entrer au capital d'une officine. Néanmoins, les banques ont de moins en moins joué le jeu, ce qui a conduit à un problème d'offre sur le territoire. La création des SEL n'a pas permis de stopper l'engrenage.

Il faut sensibiliser les jeunes professionnels de santé pour qu'ils ne deviennent pas les proies de groupes financiers. Il est facile de tomber dans le piège si l'on n'est pas averti.

Le sujet à venir, ce sont les maisons de santé pluriprofessionnelles. Plus on encouragera la concentration, plus on fera le vide autour de soi et plus le ticket d'entrée sera élevé. Il faudra alors recourir aux financiers, comme pour les cliniques voilà quelques années.

Il faut aussi savoir que certains professionnels, notamment radiologues, travaillent à distance sans se déplacer, ce qui n'est pas sans incidence sur les conditions de travail des autres professionnels de santé.

Les recommandations sont adoptées.

La commission adopte, à l'unanimité, le rapport d'information et en autorise la publication.

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