B. AMÉLIORER LES CAPACITÉS DE CONTRÔLE DES ORDRES PROFESSIONNELS

1. Donner toute sa portée au principe d'indépendance des professionnels de santé
a) Consacrer la notion de « contrôle effectif » dégagée par la jurisprudence

Si le principe d'indépendance des professionnels de santé est consacré par l'ensemble des codes de déontologie applicables aux professions à ordre360(*), le contenu précis de ce principe demeure incertain et sa protection par les ordres, en conséquence, malaisée.

Quatre décisions du Conseil d'État du 10 juillet 2023 visant la profession vétérinaire ont, toutefois, permis d'en préciser la portée dans le champ de la santé animale. Celles-ci pourraient s'avérer transposables à certaines professions de santé.

· Le Conseil d'État a, d'abord, précisé les conséquences du principe d'indépendance sur la propriété et le contrôle des sociétés d'exercice.

Comme pour les professions de santé, des dispositions générales protègent l'indépendance professionnelle des vétérinaires. L'ordre des vétérinaires est chargé de veiller au respect de ce principe. Il est habilité, pour cela, à exercer un contrôle des modalités de fonctionnement, de financement et d'organisation des sociétés d'exercice361(*). Le code de déontologie vétérinaire prévoit, par ailleurs, que les vétérinaires ne peuvent aliéner leur indépendance, sous quelque forme que ce soit362(*).

Par ailleurs, des règles spécifiques encadrent l'exercice en commun de la profession dans le cadre de sociétés d'exercice, proches de celles qui régissent les sociétés de professionnels de santé :

- l'exercice en commun de la profession de vétérinaire sous forme de société ne peut être entrepris qu'après inscription de ladite société au tableau de l'ordre ;

- dans ces sociétés, plus de la moitié du capital social et des droits de vote doit être détenue, directement ou par l'intermédiaire de sociétés inscrites auprès de l'ordre, par des personnes exerçant légalement la profession de vétérinaire en exercice au sein de la société (dites « associés exerçants ») ;

- les gérants, le président de la société par actions simplifiée, le président du conseil d'administration ou les membres du directoire doivent être des personnes exerçant légalement la profession de vétérinaire363(*).

Dans ses décisions, d'une part, Nordvet et Saint-Roch364(*), et, d'autre part, Oncovet365(*), le Conseil d'État a jugé que l'ordre était fondé à refuser d'inscrire au tableau une société lorsque ses statuts ou, le cas échéant, des accords passés entre les associés ou des engagements contractés par la société avec des tiers, sont susceptibles de priver les vétérinaires d'un contrôle effectif sur la société et, en conséquence, de les conduire à méconnaître les règles de la profession, notamment en portant atteinte à leur indépendance professionnelle.

Tel est le cas lorsque les statuts de la société et les éventuels pactes d'associés, alors même qu'ils prévoient formellement que les vétérinaires associés disposent de la majorité du capital et des droits de vote, comportent des stipulations privant d'effets les garanties prévues par le code rural et de la pêche maritime.

Les stipulations jugées problématiques par le Conseil d'Etat
dans les jurisprudences Nordvet et Saint-Roch et Oncovet

1. La décision Nordvet et Saint-Roch

En l'espèce, la société Nordvet était détenue à hauteur de 50,01 % par cinq associés vétérinaires et de 44,99 % par la société Anicura AB, de droit suédois. Elle détenait, elle-même, 99,95 % de la société Saint-Roch. Le Conseil d'État a jugé que privaient les vétérinaires d'un contrôle effectif sur la société les stipulations d'un pacte d'actionnaires prévoyant :

- que les actionnaires votaient favorablement à toute proposition d'affectation de sommes distribuables, dans le cas où le montant des investissements réalisés au cours de l'exercice écoulé serait au moins égal à 1,5 % du chiffre d'affaires ;

- que l'assemblée générale ne pouvait délibérer valablement en l'absence de représentants de la société Anicura AB ;

- que le conseil d'administration était composé de trois membres nommés par l'assemblée générale, dont deux doivent être proposés par les titulaires des actions A (Anicura AB) et un par les titulaires des actions B (les vétérinaires) ;

- que le conseil d'administration était compétent pour prendre des décisions structurantes, notamment sur le choix des investissements et la création ou la suppression d'un poste de vétérinaire.

2. La décision Oncovet

En l'espèce, bien que les vétérinaires associés disposaient d'une majorité du capital social et des droits de vote (50,2 %) face à la société IVC Evidensia France (49,8 %), le Conseil d'État a jugé qu'un pacte d'actionnaires privait les vétérinaires d'un contrôle effectif de la société, notamment en ce qu'il prévoyait :

- que les décisions de l'assemblée générale ne pouvaient être prises qu'à la majorité qualifiée des deux tiers, voire à l'unanimité, rendant incontournable l'accord d'IVC Evidensia France ;

- que la société était dotée d'un comité de surveillance composé de trois membres (un membre nommé par IVG Evidensia France, un nommé à la majorité des vétérinaires exerçants, un nommé par décision conjointe), nommant et révoquant le président à la majorité simple et devant autoriser de nombreuses décisions du président.

· Dans deux autres décisions du même jour Univertis366(*) et Mon Véto367(*), le Conseil d'État a, par ailleurs, précisé la notion d'exercice d'un vétérinaire au sein d'une société.

Le code de déontologie vétérinaire dispose que « L'exercice de l'art vétérinaire est personnel »368(*). Par ailleurs, le code rural et de la pêche maritime :

- interdit à un vétérinaire de faire gérer de façon permanente un domicile professionnel d'exercice par un confrère ou d'y faire assurer un service de clientèle369(*) ;

- prévoit que tout vétérinaire inscrit à l'ordre et en exercice a au moins un domicile professionnel d'exercice, et peut en avoir plusieurs370(*).

Faisant application de ces dispositions, le Conseil d'Etat a jugé, dans ces deux affaires :

- que l'ordre des vétérinaires est fondé à prononcer la radiation d'une société au motif que les vétérinaires détenant indirectement plus de la moitié de son capital social n'exercent pas en son sein ;

- que, si les dispositions du code rural et de la pêche maritime ne fixent aucune limite expresse du nombre de domiciles professionnels d'exercice (DPE) que peut déclarer une SEL, elles ne sauraient permettre aux associés de déléguer de façon permanente la gestion d'un DPE à un vétérinaire salarié ou collaborateur libéral et, qu'en conséquence, une SEL doit justifier qu'au moins un de ses associés exerce, au minimum à temps partiel, dans chacun de ses DPE.

Selon les conclusions du rapporteur public, dans la seconde affaire et à la date de la décision de la chambre nationale de discipline de l'ordre des vétérinaires attaquée, la société comprenait 22 domiciles d'exercice professionnel et plusieurs centaines de salariés371(*).

· Parce que les dispositions régissant les sociétés d'exercice des professions de santé et des vétérinaires sont proches, ces jurisprudences apparaissent, partiellement au moins, transposables aux secteurs de l'offre de soins marqués par un mouvement de financiarisation.

Les ordres professionnels commencent, d'ailleurs, à faire application de la notion de contrôle effectif dégagée, pour les vétérinaires, par la jurisprudence. Ainsi le Conseil départemental du Rhône de l'ordre des médecins a-t-il pu, par deux décisions du 7 novembre 2023 et du 23 juillet 2024, décider de radier du tableau la société d'imagerie médicale Imapôle pour ce motif372(*). Si cette seconde décision a été suspendue par une ordonnance récente du juge des référés du Conseil d'État, l'absence de contrôle effectif n'étant pas suffisamment établie en l'espèce, la question de la transposition aux professions de la santé humaine de cette notion jurisprudentielle demeure ouverte et l'affaire doit encore être jugée au fond.

La situation de la société Imapole

D'après les ordonnances du juge des référés du Conseil d'État373(*), la société Imapole, constituée en avril 2011 sous la forme d'une SEL à responsabilité limitée (SELARL), regroupait exclusivement des médecins radiologues exerçant dans la société.

Ses associés ont décidé, en novembre 2020, de transformer la société en société d'exercice libéral par actions simplifiée (SELAS) et ont agréé, en décembre 2020, la société par actions simplifiée Imasauv, devenue ImaOne, comme nouvel associé.

Le conseil départemental de l'ordre des médecins a estimé, suite à des modifications des statuts successives, qu'il résultait désormais des stipulations contractuelles transmises que les médecins associés exerçant dans la société avaient perdu le contrôle effectif de la société. En conséquence, par une décision du 7 novembre 2023 suspendue puis par une nouvelle décision du 23 juillet 2024, le conseil départemental a décidé de radier la société du tableau de l'ordre. Il se fonde notamment sur :

- le fait que les statuts prévoient notamment que la société Imaone perçoit 99,9 % du résultat distribuable ;

- les compétences du conseil stratégique de la société les droits attachés aux différentes catégories d'actions.

Par une ordonnance du 12 septembre 2024, le juge des référés du Conseil d'État a suspendu cette seconde décision, considérant notamment :

- que les stipulations statutaires et extrastatutaires de la société Imapole, en matière de quorum ou de distribution des dividendes, n'étaient pas de nature à constituer une méconnaissance des règles d'exercice de la profession ni à priver les médecins d'un contrôle effectif ;

- que les témoignages relatifs à l'exercice de la gouvernance au sein de la société et à l'activité médicale qui y est déployée ne sont pas de nature à remettre en cause le caractère effectif du contrôle de la société par les médecins associés.

· La notion de contrôle effectif permet, en conséquence, de renforcer le contrôle ordinal et juridictionnel sur les documents statutaires et extra-statutaires établissant les conditions de gouvernance des sociétés. Elle permet d'expliciter la finalité des dispositions relatives à la détention du capital et des droits de vote dans les sociétés d'exercice.

Le cabinet d'avocats Axipiter, auditionné par les rapporteurs, a ainsi souligné qu'une référence légale à la notion de contrôle « aurait sensiblement amélioré le travail de vérification que doivent opérer les conseils départementaux des ordres professionnels en leur permettant expressément de recourir à un faisceau d'indices pour déterminer si les associés exerçants ont ou non le contrôle effectif de leur société. »374(*) Il cite, à titre d'exemple, la définition donnée par le code du commerce du contrôle exercé sur une société.

Article L. 233-3 du code de commerce

I.- Toute personne, physique ou morale, est considérée, pour l'application des sections 2 et 4 du présent chapitre, comme en contrôlant une autre :

1° Lorsqu'elle détient directement ou indirectement une fraction du capital lui conférant la majorité des droits de vote dans les assemblées générales de cette société ;

2° Lorsqu'elle dispose seule de la majorité des droits de vote dans cette société en vertu d'un accord conclu avec d'autres associés ou actionnaires et qui n'est pas contraire à l'intérêt de la société ;

3° Lorsqu'elle détermine en fait, par les droits de vote dont elle dispose, les décisions dans les assemblées générales de cette société ;

4° Lorsqu'elle est associée ou actionnaire de cette société et dispose du pouvoir de nommer ou de révoquer la majorité des membres des organes d'administration, de direction ou de surveillance de cette société.

II.- Elle est présumée exercer ce contrôle lorsqu'elle dispose directement ou indirectement, d'une fraction des droits de vote supérieure à 40 % et qu'aucun autre associé ou actionnaire ne détient directement ou indirectement une fraction supérieure à la sienne. (...)

Les rapporteurs jugent souhaitable une telle évolution du droit des sociétés d'exercice. Les dispositions législatives encadrant la propriété et le fonctionnement de ces sociétés pourraient, à cet effet, être modifiées pour y consacrer explicitement la notion de contrôle effectif par les professionnels de santé exerçant au sein de la société.

Proposition n° 15 : Renforcer le contrôle ordinal et juridictionnel, en consacrant dans la loi la notion de « contrôle effectif » sur les sociétés des professionnels y exerçant. Préciser la portée du principe d'indépendance sur les conditions de gouvernance des structures de soins.

b) Préciser la portée du principe d'indépendance sur les conditions de gouvernance des structures de soins

· Suite à la publication des quatre décisions du Conseil d'État du 10 juillet 2023, le ministère de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire a mis en place, en octobre 2023, une procédure de conciliation entre l'ordre des vétérinaires, les groupes de sociétés d'exercice concernés et le Syndicat national des vétérinaires d'exercice libéral, pour tirer les conséquences des décisions et faciliter la mise en conformité des sociétés.

Une doctrine d'emploi, validée par les différentes parties, a pu être établie, pour :

- d'une part, garantir la possibilité aux vétérinaires associés d'exercer un contrôle effectif sur leurs sociétés ;

- d'autre part, encadrer l'exercice effectif de la profession de ces vétérinaires dans chaque domicile professionnel d'exercice.

· Sur la gouvernance et le contrôle effectif des sociétés, la doctrine recommande notamment d'éviter :

- les stipulations par lesquelles les vétérinaires s'engagent à voter favorablement à toute décision d'affectation de sommes distribuables ;

- les stipulations par lesquelles les vétérinaires s'engagent par avance à voter dans le sens de décisions validées par l'investisseur minoritaire ;

- les stipulations permettant à l'investisseur de bloquer les décisions importantes telles que la nomination, le renouvellement ou la révocation du président, le budget, le recrutement des cadres dirigeants, etc. ;

- les stipulations fixant un quorum nécessaire, pour la convocation d'une assemblée générale ordinaire, supérieur à 50 % de l'ensemble des associés ;

- les engagements à ne pas invoquer une contrariété des règles de fonctionnement de la société aux règles déontologiques de la profession ;

- les engagements des associés à nommer, sur simple demande de l'investisseur, tout vétérinaire désigné par lui en qualité d'associé.

Par ailleurs, la doctrine établie recommande aux associés :

- de limiter le champ des décisions pour lesquelles l'accord de l'investisseur est nécessaire à celles ayant une incidence significative sur la protection de ses droits financiers : opérations de croissance externe ou ayant un effet important sur le capital ou l'endettement de la société, modification volontaire des principes et méthodes comptables et fiscaux, etc. ;

- de limiter les options d'achat, au bénéfice de l'investisseur, pour racheter les actions d'un vétérinaire associé au cas d'une interdiction d'exercice d'une durée d'au moins six mois ;

- dans les cas où une société aurait établi un comité ou un conseil de surveillance ou une commission consultative, de réserver au moins la moitié des sièges à des vétérinaires associés en exercice dans la société et ayant personnellement présenté leur candidature à l'assemblée générale, et de permettre à l'assemblée générale de se prononcer en passant outre l'absence d'autorisation par cet organe ;

- de faire des gérants, c'est-à-dire le président de la SAS ou le président du conseil d'administration, vétérinaires exerçants, les garants de l'indépendance des vétérinaires en exercice au sein de la société ;

- aux associés vétérinaires de veiller à contrôler eux-mêmes effectivement leur société, en se concertant préalablement aux assemblées générales dans l'objectif de définir, le cas échéant, des positions communes, ou à prendre l'initiative de propositions telles que la rédaction d'un règlement intérieur organisant les conditions d'exercice du contrôle effectif et de leur indépendance professionnelle ;

- aux groupes et vétérinaires de produire à l'ordre complètement, en toute transparence et sans occultations, les documents statutaires et extrastatutaires.

· Sur l'exercice dans chaque domicile professionnel d'exercice (DPE), la doctrine précise :

- que l'exercice effectif d'un vétérinaire associé au sein d'un DPE comprend une contribution effective au service de clientèle ainsi que, le cas échéant, à la coordination de décisions relevant de l'exercice professionnel vétérinaire ;

- que s'il n'existe pas d'exigence précise en matière de quotité de capital détenue par cet associé, cet exercice implique, pour qu'il soit effectif, que l'associé concerné puisse faire valoir effectivement ses vues auprès des organes de gouvernance de la société ;

- que le règlement intérieur peut utilement préciser la mission attendue de l'associé exerçant au moins à temps partiel dans un DPE ;

- que dans chaque DPE, le ou les associés exerçant au moins à temps partiel devraient être en charge de coordonner l'application des dispositions relatives à l'exercice professionnel vétérinaire, et constituer les interlocuteurs de l'ordre ;

- qu'une durée d'exercice minimale à temps partiel devrait atteindre trois demi-journées par semaine de préence dans le DPE sans discontinuité notable ;

- que l'ordre, enfin, pourrait tenir compte, dans son contrôle, de la distance entre les DPE, du nombre de DPE rattachés à la société au regard du nombre d'associés vétérinaires en exercice et de la matérialité du service de clientèle assuré par l'associé.

· L'établissement d'une telle doctrine apparaît souhaitable dans les secteurs de l'offre de soins concernés par des enjeux de financiarisation.

Auditionné par les rapporteurs, le cabinet Winston & Strawn, qui indique assister « de très nombreux professionnels de santé et partenaires financiers » dans des opérations de consolidation, a souligné l'intérêt d'une telle explicitation des règles encadrant la propriété et le fonctionnement des sociétés d'exercice.

Selon lui, l'établissement d'une doctrine fournirait aux acteurs « des lignes directrices précieuses pour réguler les relations entre professionnels de santé et investisseurs, favorisant ainsi une meilleure gouvernance et une plus grande intégrité dans le secteur de la santé humaine. » A cet égard, le cabinet souligne également que « la question de l'indépendance est intrinsèquement la même, qu'il s'agisse d'un professionnel de santé humaine ou d'un professionnel de santé animale. »

La définition d'une doctrine d'emploi, qui pourrait suivre immédiatement le renforcement recommandé des dispositions encadrant les sociétés d'exercice, apparaît souhaitable aux rapporteurs. Ceux-ci estiment que les professions de santé concernées pourraient s'inspirer de la méthodologie suivie dans le champ de la santé animale, en visant une participation conjointe, sous la coordination du ministère chargé de la santé, des ordres concernés, des sociétés et des acteurs syndicaux au travail d'élaboration, afin de tenir compte des contraintes et enjeux des différents acteurs en présence et de faire des doctrines un document largement partagé.

Proposition n° 16 : Établir, avec les ordres professionnels, les sociétés et les syndicats de professionnels de santé, une doctrine claire concernant les modalités de fonctionnement des SEL pour s'assurer que les professionnels exerçants disposent du contrôle effectif des sociétés d'exercice.

2. Créer les conditions d'un contrôle ordinal renforcé
a) S'assurer de la pertinence des documents transmis

· Pour permettre la mise en oeuvre de leurs missions de contrôle, les ordres sont destinataires de nombreux documents ayant vocation à établir que les professionnels et sociétés d'exercice respectent les principes déontologiques applicables.

Pour les professions médicales375(*), le code de la santé publique fait ainsi obligation :

- aux professionnels en exercice ou demandant leur inscription au tableau de l'ordre, de transmettre au conseil départemental de l'ordre les contrats et avenants ayant pour objet l'exercice de leur profession ainsi que, s'ils n'en sont pas propriétaires, les contrats ou avenants leur assurant l'usage de leur matériel et du local376(*) ;

- aux professionnels exerçant en société, de communiquer les statuts de cette société, leurs avenants, les conventions et avenants relatifs à leur fonctionnement ou aux rapports entre associés377(*) ;

- aux professionnels exerçant en commun de rédiger un contrat écrit respectant l'indépendance professionnelle de chacun, lequel doit être communiqué au conseil départemental de l'ordre378(*).

De la même manière, les pharmaciens exerçant en société doivent communiquer au conseil de l'ordre les statuts de cette société et leurs avenants, les conventions et avenants relatifs à son fonctionnement ou aux rapports entre associés et, lorsqu'ils existent, entre associés et intervenants concourant au financement de l'officine ou du LBM. Ces documents doivent être communiqués dans le mois suivant la conclusion de la convention ou de l'avenant et sont susceptibles de déclencher des sanctions disciplinaires, lorsqu'ils apparaissent incompatibles avec les règles de la profession ou susceptibles de priver les cocontractants de leur indépendance professionnelle379(*).

Par ailleurs, les sociétés exploitant un LBM privé sont inscrites au tableau de l'ordre des médecins et/ou des pharmaciens, lorsqu'au moins un médecin ou pharmacien biologiste détient une fraction du capital social. Le représentant légal du laboratoire est tenu au respect des obligations de communication applicables aux médecins et/ou aux pharmaciens, sous les mêmes conditions380(*).

Enfin, les dispositions législatives relatives à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales réglementées, récemment renforcées par une ordonnance de février 2023381(*), prévoient désormais la transmission à l'ordre, une fois par an, d'un état de la composition du capital social des SEL382(*) et des SPFPL383(*).

· Plusieurs personnes auditionnées ont, toutefois, appelé à compléter ces dispositions pour élargir ou préciser le périmètre des documents devant être transmis aux ordres professionnels.

Ainsi, dans le secteur officinal et afin de maîtriser les risques associés au recours aux fonds d'investissement par les pharmaciens souhaitant souscrire un prêt, la FSPF recommande « une modification législative subordonnant la mise en oeuvre de ces montages financiers à un avis conforme de l'Ordre national des pharmaciens, avec obligation pour les pharmaciens d'officine de communiquer les contrats d'émission d'obligations à l'institution ordinale, pour un contrôle préalable. »384(*)

De la même manière, le Cnop relève que les documents dont la transmission est demandée par les dispositions législatives et réglementaires en vigueur ne sont pas toujours adaptés aux montages observés. Ainsi, « bien que plusieurs pièces soient transmises à l'Ordre au moment de l'inscription d'une SEL (...), les pièces figurant au dossier de demande d'inscription ne permettent pas toujours d'identifier un risque d'atteinte à l'indépendance. D'autres documents (tels que le protocole d'accord global précisant le plan global de financement de l'acquisition d'une officine de pharmacie et les différents documents rédigés en vue de cette acquisition) pourraient être éclairants mais ne figurent pas parmi les éléments dont la transmission à l'Ordre est obligatoire en vue de l'inscription. »385(*)

· Enfin, la doctrine élaborée en 2023, par le ministère de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, l'ordre des vétérinaires, les groupes de sociétés d'exercice et les représentants syndicaux de la profession propose de proscrire toute clause soumettant la communication de statuts, de pactes d'associés ou de contrats à l'ordre à une autorisation préalable de la société ou de l'investisseur minoritaire, le contrôle déontologique de l'ordre sur ces documents constituant une obligation légale.

Les rapporteurs jugent une telle précaution nécessaire, afin de ne pas entraver le contrôle des ordres et de permettre la pleine application du principe de responsabilité déontologique des professionnels de santé impliqués.

Proposition n° 17 : Adapter le périmètre des documents devant être transmis aux ordres, à l'issue d'une concertation avec les ordres, les sociétés et les syndicats de professionnels de santé concernés.

Interdire toute clause soumettant la transmission de documents contractuels aux ordres professionnels à l'accord préalable de l'investisseur.

b) Appuyer les ordres dans leur mission de contrôle

· Si les ordres disposent de moyens de contrôle déontologique importants, la question de leur capacité à analyser les documents transmis, du fait de leur nombre comme de leur complexité, a fréquemment été évoquée lors des auditions.

La Cnam souligne ainsi que « la loi de 1990, complétée par l'ordonnance de février 2023, donne des moyens concrets d'action aux professionnels de santé pour garder la main, avec l'appui des Ordres, qui doivent se saisir pleinement de ces outils juridiques visant à protéger l'indépendance professionnelle. »386(*)

Pour autant, il n'est pas évident que les ordres professionnels disposent des moyens nécessaires à l'analyse des documents transmis.

Le Cnop a, ansi, souligné que « l'examen pour vérifier l'indépendance professionnelle peut s'avérer délicat à réaliser en raison de montages financiers parfois complexes. »387(*) De la même manière, le Conseil national de l'ordre des pédicures-podologues (CNOPP) juge qu'« il faudrait également disposer d'une expertise de haut niveau pour permettre de contrôler et réguler les montages juridiques complexes et éviter que les dérives des monopoles ou groupes pour les laboratoires ne s'étendent à d'autres domaines de la santé. »388(*)

Le Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes (CNOCD) a souligné que ce contrôle devait parfois conduire à analyser la réglementation encadrant des structures étrangères et leur fonctionnement : « Les conseils de l'ordre se retrouvent confrontés à des liasses de documents, dont ils ne comprennent pas toujours le sens. Le manque de moyen de contrôle se fait ressentir : il faut en effet connaitre, outre la réglementation française sur la création et le fonctionnement des sociétés françaises, mais également la réglementation en matière de société de chacun des pays membres de l'UE, afin de vérifier la conformité de ces sociétés européennes avec la réglementation française concernant leur intégration à nos sociétés. »389(*)

Le Cnom semble confronté aux mêmes difficultés. Auditionné par la commission des affaires sociales, le président de la commission nationale de biologie médicale de l'ordre des médecins a, ainsi, souligné l'ampleur de la tâche : « Les dossiers sont à chaque fois tellement denses qu'ils nécessitent qu'on y alloue tous nos moyens. Si une cinquantaine de dossiers nous arrive en même temps, nous nous retrouvons dans l'incapacité technique de pouvoir les analyser en profondeur. »390(*)

Le cabinet d'avocats Axipiter, auditionné par les rapporteurs, relève les mêmes limites du contrôle ordinal, et souligne le « déséquilibre manifeste entre les moyens qui peuvent être mobilisés par les groupes financiers, pour s'attacher notamment les services de conseils ou d'avocats d'affaires spécialisés, et les ressources limitées des ordres professionnels... »391(*).

· À cet égard, il faut observer que les procédures de contrôle actuelles apparaissent particulièrement « décentralisées ». Il appartient ainsi, le plus souvent, aux conseils ordinaux départementaux de chacune des professions de santé concernées de réaliser une première vérification du respect, par la société d'exercice, du principe d'indépendance des professionnels de santé.

Or les rapporteurs font leurs les mots de la Cnam, lorsqu'elle observe que la financiarisation constitue un phénomène particulièrement complexe et protéiforme, appelé à se développer ces prochaines années dans de nouveaux secteurs : « Difficile à mesurer de manière fine, complexe à réguler, aux conséquences incertaines, la financiarisation est un enjeu que notre système de santé est en définitive assez peu préparé à relever, en dépit d'efforts certains et d'une prise de conscience récente. Au-delà des postures sur le bien-fondé ou la moralité de ce phénomène, il est assez clair qu'il risque de prendre une ampleur croissante dans les années à venir et de toucher d'autres champs que ceux classiquement concernés. »392(*)

Dans ce contexte, il n'apparaît ni possible, ni souhaitable, de demander à l'ensemble des ordres de professionnels de santé ou, plus encore, à tous les conseils départementaux de développer un niveau d'expertise suffisant pour prétendre analyser l'ensemble des pièces transmises et des montages qu'elles révèlent.

Si les ordres demeurent parfaitement légitimes et, en réalité, incontournables dans leur rôle de contrôle du respect des principes déontologiques, parmi lesquels figure l'indépendance des professionnels, les pouvoirs publics doivent en revanche les aider à réaliser ce contrôle lorsque, confrontés à des situations ou des montages complexes, ils peinent à analyser leurs conséquences sur les conditions d'exercice des professionnels ou de fonctionnement des structures.

C'est pourquoi les rapporteurs jugent indispensable la création de cellules d'appui régionales et interministérielles, destinées à soutenir les ordres dans l'analyse des situations les plus complexes.

Proposition n° 18 : Constituer des cellules régionales d'appui aux ordres professionnels pour l'examen des statuts des sociétés d'exercice, croisant les compétences des DRFIP, des Dreets et des ARS.


* 360 Médecins, chirurgiens-dentistes, sages-femmes, pharmaciens, masseurs-kinésithérapeutes, pédicures-podologues, infirmiers.

* 361 Article L. 242-1 du code rural et de la pêche maritime.

* 362 Article R. 242-33 du code rural et de la pêche maritime.

* 363 Article L. 241-17 du code rural et de la pêche maritime

* 364 Conseil d'État, 4e et 1ère chambres réunies, n° 442911, Nordvet et Saint-Roch, 10 juillet 2023.

* 365 Conseil d'État, 4e et 1ère chambres réunies, n° 452448, Oncovet, 10 juillet 2023.

* 366 Conseil d'État, 4e et 1ère chambres réunies, n° 455961, Univetis, 10 juillet 2023.

* 367 Conseil d'État, 4e et 1ère chambre réunies, n° 448133, Mon Véto, 10 juillet 2023.

* 368 Article R. 242-33 du code rural et de la pêche maritime.

* 369 Article R. 242-66 du code rural et de la pêche maritime.

* 370 Article R. 242-53 du code rural et de la pêche maritime.

* 371 Conclusions de M. Jean-François de Montgolfier sur les affaires n° 448133 et n° 455961, prononcées le 10 mai 2023.

* 372 La décision du 7 novembre 2023 a été suspendue par le juge des référés du Conseil d'État pour des raisons de procédure : elle a été prise sans que la société ait été invitée à présenter, au préalable, des explications orales devant le conseil départemental de l'ordre. Voir Juge des référés du Conseil d'État, n° 490099, Conseil départemental du Rhône de l'ordre des médecins c/Imapole, 4 janvier 2024.

* 373 Juge des référés du Conseil d'Etat, n° 490099 et n° 497156, Conseil départemental du Rhône de l'ordre des médecins c/Imapôle, 4 janvier 2024 et 12 septembre 2024.

* 374 Réponses écrites du cabinet d'avocats Axipiter au questionnaire transmis par les rapporteurs.

* 375 Médecins, chirurgiens-dentistes, sages-femmes.

* 376 Article L. 4113-9 du code de la santé publique.

* 377 Article L. 4113-9 du code de la santé publique.

* 378 Articles R. 4127-91, R. 4127-279 et R. 4127-345 du code de la santé publique.

* 379 Article L. 4221-19 du code de la santé publique.

* 380 Article L. 6223-3 du code de la santé publique.

* 381 Ordonnance n° 2023-77 du 8 février 2023 relative à l'exercice en société des professions libérales réglementées.

* 382 Article 3 de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 relative à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé et aux sociétés de participations financières de professions libérales.

* 383 Article 31-1 de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 précitée.

* 384 Réponses écrites de la FSPF au questionnaire transmis par les rapporteurs.

* 385 Réponses écrites du Cnop au questionnaire transmis par les rapporteurs.

* 386 Réponses écrites de la Cnam au questionnaire transmis par les rapporteurs.

* 387 Réponses écrites du Cnop au questionnaire transmis par les rapporteurs.

* 388 Réponses écrites du CNOPP au questionnaire transmis par les rapporteurs.

* 389 Réponses écrites du CNOCD au questionnaire transmis par les rapporteurs.

* 390 Audition de MM. Jean Canarelli, président de la commission nationale de biologie médicale, Christophe Tafani, président de la commission des relations avec les associations de patients et d'usagers du Conseil national de l'ordre des médecins, et Mme Carine Wolf-Thal, présidente du Conseil national de l'ordre des pharmaciens, le 3 avril 2024.

* 391 Réponses écrites du cabinet d'avocats Axipiter au questionnaire transmis par les rapporteurs.

* 392 Cnam, Améliorer la qualité du système de santé et maîtriser les dépenses. Propositions de l'assurance maladie pour 2024, op. cit., pp. 206.

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