C. DES MANQUEMENTS AUX « DROITS ET DEVOIRS » MIEUX SANCTIONNÉS ?

1. En pratique, un pouvoir de sanction maintenu entre les mains du président du conseil départemental
a) La définition d'un pouvoir de sanction partagé entre la CAF et le président du conseil départemental par amendement parlementaire

Le circuit d'application et du prononcé des sanctions a été modifié dans le cadre de l'expérimentation de la recentralisation du RSA. Dans le droit commun, le président du conseil départemental est seul compétent en matière de sanction. Il constate d'abord le manquement de l'allocataire à ses obligations fondées sur l'un des motifs suivants :

- le non-établissement ou non-renouvellement du contrat d'engagement réciproques (CER) ou du projet personnalisé d'accès à l'emploi (PPAE) dans les délais ;

- le non-respect du PPAE ou du CER ;

- la radiation du bénéficiaire de la liste des demandeurs d'emploi de Pôle emploi ;

- le refus du bénéficiaire de se soumettre aux contrôles de l'administration.

Le président du conseil départemental informe ensuite l'allocataire par courrier et saisit pour avis des « équipes pluridisciplinaires » (EP), qui rendent un avis sur la sanction à appliquer en tenant compte de la situation du bénéficiaire. Une fois l'avis de l'équipe pluridisciplinaire obtenu, le président du conseil départemental décide de l'application ou non d'une sanction, de son montant et de la durée. La décision est notifiée par la CAF. En fonction de la réponse du bénéficiaire à la sanction prononcée ou si la situation est régularisée, le président du conseil départemental peut décider de mettre fin à la sanction et d'en informer l'allocataire. Le versement du RSA est alors repris par la Caisse.

Depuis la recentralisation du RSA, la procédure de sanction pour manquement aux « droits et devoirs » des bénéficiaires du RSA a été aménagée dans les départements concernés : la compétence pour constater les manquements et prononcer les sanctions devait, dans la version initiale de l'article 43 de la loi de finances pour 2022, revenir entièrement aux organismes payeurs, c'est-à-dire au directeur de la caisse d'allocation familiale ou, pour ses ressortissant, de la caisse de mutualité sociale agricole68(*).

Toutefois, à la suite de l'adoption d'un amendement du Gouvernement69(*) en première lecture à l'Assemblée nationale, il a été décidé, compte-tenu du maintien de la compétence d'insertion au profit des départements, de prévoir que le président du Conseil départemental et le directeur de la caisse assurent de manière partagée les compétences en matière de prononcé des sanctions au titre des droits et devoirs. L'amendement a ainsi prévu que :

- les décisions de suspension totale ou partielle des droits des bénéficiaires du RSA pour non-respect de leurs devoirs, qui relèvent formellement du directeur de la CAF ou de la caisse de MSA dans le cadre de l'expérimentation, soient prises sur proposition du président du conseil départemental ;

le président du conseil départemental soit informé de toute décision relative à la suspension, à la reprise des versements ainsi qu'à la régularisation de la période de suspension, qui doit être motivée.

b) En pratique, la compétence en matière de sanction est encore largement exercée par les départements

Dans le cadre de la recentralisation, la compétence en matière de sanctions relatives aux manquements aux « droits et devoirs » est donc aujourd'hui partagée entre le directeur de l'organisme payeurs et le président du conseil départemental. Or, si les textes organisent un exercice partagé de la compétence de sanction70(*), la pratique se caractérise par le maintien quasi-systématique d'un rôle important pour le département, à l'instar de l'organisation prévue par le droit commun.

Concernant le constat des manquements, par exemple, le rôle de chacun dépend très largement des flux de données entre les administrations participant au suivi des bénéficiaires du RSA :

- les manquements relatifs au non-établissement, non-renouvellement ou non-respect du PPAE ou du CER ne peuvent pas être constatés par l'organisme payeur faute d'information ; grâce aux données qu'il collecte lui-même et qu'il reçoit de Pôle emploi, le président du conseil départemental peut seul constater ces manquements ;

- dans le cas de la radiation de la liste des demandeurs d'emploi, en l'absence de flux d'informations entre Pôle emploi et la caisse, le président du conseil départemental continue à procéder au constat, à notifier à l'allocataire son manquement et à saisir les équipes pluridisciplinaires ;

- la seule exception concerne le refus de l'allocataire de se soumettre aux contrôles : la CAF ou la CMSA, qui ont connaissance de cette information, procèdent à l'application de pénalités, sans saisir les EP - le président du conseil départemental étant simplement informé.

Concernant l'information de l'allocataire, si les textes prévoient que le directeur de la caisse ou le président du conseil départemental informe l'allocataire de son manquement à ses obligations, en pratique c'est le président du conseil départemental qui procède à cette information (sauf pour le cas de refus de contrôle).

Le rôle du président du conseil départemental est tout aussi important s'agissant des décisions de sanction. L'article 43 de la loi de finances pour 2022 indique que « le versement du revenu de solidarité active est suspendu, sur proposition du président du Conseil départemental, en tout ou partie, par le directeur de l'organisme » payeur. Comme l'explicite l'instruction du 1er janvier 2022, si le prononcé des sanctions est « une responsabilité en droit du directeur de la caisse de sécurité sociale », cette compétence s'exerce en s'articulant avec les prérogatives du président du conseil départemental, qui diffèrent selon les manquements :

- dans le cas du non-établissement, du non-renouvellement ou du non-respect du PPAE ou du CER, le directeur de la caisse prononce la sanction sur proposition du président du conseil départemental. En pratique, puisqu'aucun élément ne justifie d'appliquer une sanction différente de celle proposée par le département, le directeur de la caisse exerce de facto une compétence liée ;

- en cas de radiation de la liste des demandeurs d'emploi, les textes prévoient que le directeur de la caisse prononce l'application d'une sanction après consultation de l'avis des EP et du président du conseil départemental. Si le directeur de la caisse envisage d'appliquer une sanction à l'issue de ce délai, le président du conseil départemental peut rendre un avis défavorable à la décision du directeur de caisse. L'émission d'un avis défavorable empêche la CAF de prononcer une sanction. En outre, la pratique veut que la CAF suive les recommandations du président du conseil départemental, ce qui place décidément ce dernier au centre du processus de décision ;

- enfin, en cas de refus du bénéficiaire de se soumettre aux contrôles de l'administration, la CAF ayant connaissance de cette information, une pénalité peut être appliquée par la caisse sans besoin de saisir les EP.

Ainsi, le transfert de la compétence en matière de sanctions aux directeurs des caisses de sécurité sociale n'a que très marginalement induit une évolution des procédures de sanctions en matière de « droit et devoirs » dans les départements concernés. Dès lors qu'ils n'accompagnent pas les bénéficiaires du RSA, les organismes payeurs suivent systématiquement les propositions formulées par l'équipe pluridisciplinaire et le président du conseil départemental.

2. Il est difficile d'établir si les manquements sont mieux sanctionnés grâce à l'expérimentation

Les données concernant les sanctions transmises au rapporteurs spéciaux sont parcellaires et surtout ne sont pas homogènes selon les départements. Il est donc difficile de déterminer si les manquements aux « droits et devoirs » des bénéficiaires du RSA sont mieux sanctionnés dans les départements concernés depuis la mise en oeuvre de la recentralisation, et plus difficile encore de savoir si une éventuelle amélioration est bien due à l'expérimentation. Il apparaît toutefois possible de s'en faire une idée en s'intéressant à l'activité des équipes pluridisciplinaires.

Les équipes pluridisciplinaires (EP)
dans les départements expérimentateurs

Le fonctionnement des équipes pluridisciplinaires relève de la seule compétence des départements. L'article L. 262-39 du code de l'action sociale et des familles (CASF) dispose ainsi que : « Le président du conseil départemental constitue des équipes pluridisciplinaires composées notamment de professionnels de l'insertion sociale et professionnelle, (...) de représentants du département et des maisons de l'emploi (...) et de représentants des bénéficiaires du revenu de solidarité active. »

En Seine-Saint-Denis, l'équipe pluridisciplinaire est par exemple composée de trois agents du département, dont la cheffe de bureau orientation et parcours de la direction de l'insertion, de l'emploi et de l'économie social et solidaire, de deux agents de Pôle emploi / France Travail, dont le directeur de l'agence départementale, d'une responsable d'agence locale d'insertion (ALI) et d'un responsable d'une association référence en faveur des bénéficiaires du RSA.

Le rôle des équipes pluridisciplinaires est fixé par le CASF : « Les équipes pluridisciplinaires sont consultées préalablement aux décisions de réorientation vers les organismes d'insertion sociale ou professionnelle et de réduction ou de suspension, (...) du revenu de solidarité active qui affectent le bénéficiaire. »

Source : commission des finances du Sénat

En effet, ces équipes devant se réunir pour rendre un avis avant le prononcé d'une sanction, le suivi de leur activité peut fournir quelques renseignements sur la politique de sanction des départements.

Il apparaît que l'activité n'évolue pas pareillement dans les trois départements expérimentateurs. En Seine-Saint-Denis, elle semble en hausse : en 2023, 1 700 dossiers ont été soumis à l'équipe pluridisciplinaire (contre 660 en 2019), 456 personnes ont pu être remobilisées après réception du courrier de convocation et avant la réunion de l'équipe pluridisciplinaire (contre 16 en 2019), et 925 sanctions ont été prononcées (contre 316 en 2019) selon le département.

En Ariège, où l'équipe pluridisciplinaire dénommée « commission de solidarité territoriale » se réunit une fois par mois, examinant en moyenne 120 dossiers par mois, la présidente du conseil départemental a indiqué avoir constaté une « légère inflexion du nombre de dossiers examinés » à la baisse : 1 429 dossiers par an, contre 1 437 en 2022 (- 0,56 %). De même, le nombre de sanction prononcé a également légèrement diminué, passant de 365 à 344 entre 2022 et 2023 (- 5,75 %).

Dans les Pyrénées-Orientales, l'activité a connu une hausse, l'équipe pluridisciplinaire s'étant réunie 70 fois en 2023 (contre 62 fois en 2021 avant la recentralisation), pour examiner 1 694 dossiers, contre 1 276 dossiers en 2021 (+ 32,76 %).

Si la baisse du nombre de sanctions en Ariège ne semble pas significative, ce n'est pas le cas des hausses constatées en Seine-Saint-Denis et dans les Pyrénées-Orientales, qui sont ambiguës. Des hausses respectivement de 32 % ou de 158 % du nombre de dossiers examinés peut en partie traduire la progression du nombre de bénéficiaires du RSA constatée dans ces départements, surtout dans les Pyrénées-Orientales (+ 6,9 %), mais aussi, comme le relève la présidente du conseil départemental, une « attention plus forte portée à la réduction des délais entre le constat d'un défaut d'insertion et le passage en EP (...) qui suscite une augmentation du nombre d'instances ».

Est-ce à dire que la recentralisation aurait pu permettre d'accorder une attention renouvelée au volet « sanctions » de la politique d'insertion ? Rien ne permet de l'affirmer à ce stade. Le lien avec la recentralisation ne peut donc pas être retenu de façon certaine. Il conviendrait de suivre avec attention ces évolutions afin d'en tirer des conclusions à l'issue de l'expérimentation.


* 68 Rapport général n° 163 (2021-2022) fait par M. Jean-François Husson, au nom de la commission des finances du Sénat, sur le projet de loi de finances pour 2022, tome II. Se reporter au commentaire de l'article 12.

* 69 Amendement n° I-1633 du Gouvernement.

* 70 Voir notamment l'instruction DGCS/SD1C/2022/23 du 1er janvier 2022 relative à la mise en oeuvre de la nouvelle procédure de sanctions dans le cadre de l'expérimentation de recentralisation du revenu de solidarité active (RSA).

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