C. DE NOUVELLES AVANCÉES SONT ENCORE À ACCOMPLIR VERS CETTE NEUTRALITÉ

Alors que les législations européennes proposées par la prochaine Commission européenne45(*) devront prendre en compte l'ensemble des énergies bas-carbone pour l'atteinte des objectifs climatiques, et que la reconnaissance de l'énergie nucléaire est de plus affirmée au sein des institutions européennes, des progrès restent encore à accomplir vers la neutralité technologique dans le domaine des énergies.

1. Le nucléaire ne doit plus être exclu des programmes de financement de l'UE

Dans le domaine de l'énergie, les fonds européens financent essentiellement des projets de développement des énergies renouvelables, de rénovation de logements ou de transports urbains durables. Il y a lieu de rappeler l'importance de ces vecteurs financiers qui, pour l'instant, n'apportent guère d'aides aux projets de décarbonation fondés sur l'énergie nucléaire.

Doté d'une enveloppe d'environ 200 milliards d'euros sur la période 2021-2027, le Fonds Européen de Développement Régional (FEDER) vise à promouvoir la cohésion économique, sociale et territoriale entre les régions. Il joue un rôle important dans la réduction des disparités économiques et sociales entre les différentes régions européennes. Il investit dans des projets et des initiatives qui contribuent à la transition énergétique, en particulier dans le domaine des énergies renouvelables, sous forme de subventions accordées aux porteurs de projets.

Le Fonds pour une Transition Juste46(*), qui est doté de 17,5 milliards d'euros, pour la période 2021-2027, doit contribuer à la mise en oeuvre du Pacte vert pour l'Europe. Il relève de la politique de cohésion qui vise à soutenir des territoires en grandes difficultés socio-économiques pour leur transition écologique, en prenant compte les conséquences sociales. La France devrait en être bénéficiaire à hauteur de 5,35 % de l'enveloppe, soit 937 millions d'euros. Les fonds sont mis à disposition sur la base de plans territoriaux de transition juste, que doivent élaborer les États membres avec les autorités locales et régionales compétentes des territoires « les plus durement touchés par les conséquences économiques et sociales résultant de la transition ». Ils soutiennent des activités listées dans le règlement, notamment les investissements dans les énergies renouvelables et l'efficacité énergétique. Le démantèlement ou la construction de centrales nucléaires sont explicitement exclus du champ d'application du soutien.

Le Fonds européen pour l'innovation a pour objectif de soutenir des projets qui font la démonstration de technologies, de procédés ou de produits hautement innovants qui sont suffisamment matures et qui ont un potentiel significatif de réduction des émissions de gaz à effet de serre dans les domaines des énergies renouvelables, des industries à forte intensité carbone, du stockage d'énergie, et de la capture, utilisation et stockage du carbone. Ce fonds est doté de 10 milliards d'euros jusqu'en 2030.

La commission d'enquête considère que les programmes et actions de financement de l'Union européenne qui concourent aux objectifs européens en matière de transition climatique et énergétique doivent respecter le principe de neutralité technologique entre énergies et doivent pouvoir ainsi contribuer au financement de tous les projets de développement des énergies bas-carbone dès lors qu'ils respectent les autres critères définis.

Recommandation n° 2

Destinataire

Échéance

Support/Action

Proposer un Nuclear Act aux institutions européennes permettant la reconnaissance, dans tous les textes européens, du rôle de l'électricité produite à partir d'énergie nucléaire dans la décarbonation de l'économie et l'atteinte des objectifs climatiques

Gouvernement (Ministère en charge de l'énergie) Institutions européennes

2025-2029

Textes européens

2. Des projets importants d'intérêt commun européen (PIIEC) doivent être lancés dans le domaine de l'énergie nucléaire

Le recours au mécanisme des projets importants d'intérêt européen commun (PIIEC) doit également être considéré pour le financement public de l'énergie nucléaire, en particulier dans le cadre de l'Alliance pour le nucléaire. Ce sujet a, en effet, été exposé depuis le lancement d'une Alliance industrielle européenne sur les petits réacteurs européens. Cela permettrait d'assouplir le cadre de financement de tels projets au regard des règles en matière d'aides d'État ; ce mécanisme autorise en effet les pouvoirs publics des États membres à financer des initiatives au-delà des limites habituellement fixées par la réglementation européenne en matière d'aides d'État. Il pourrait en résulter, par conséquent, une diminution de leur coût de financement, et un encouragement au développement d'une filière nucléaire européenne.

Les projets importants d'intérêt européen commun (PIIEC)

Les projets importants d'intérêt européen commun (PIIEC), qui ont été mis en oeuvre à la fin 2018, visent à renforcer la politique industrielle de l'Union européenne (UE) tout en préservant la concurrence sur le marché unique. Le cadre de ces projets permet aux États membres d'accorder des subventions à certains projets industriels majeurs dont la Commission européenne considère qu'ils revêtent un intérêt commun européen. Les financements publics apportés dans le cadre des PIIEC sont strictement encadrés et établis de façon à enclencher un changement de position stratégique de l'entreprise. Ils ne proviennent pas d'un programme de financement de l'UE, mais sont octroyés par les États membres sur leurs budgets nationaux.

Afin de limiter les distorsions de concurrence, un PIIEC n'est autorisé par la Commission européenne que si des défaillances de marché sont identifiées et conduisent à une situation économiquement inefficace en l'absence d'intervention publique. Cela permet de financer les projets qui n'auraient pas lieu sans le versement de l'aide. Une clause de retour en cas d'amélioration de la situation permet, par ailleurs, à l'État de récupérer une partie de l'aide versée si la rentabilité du projet s'avère plus importante que prévue, afin de garantir la proportionnalité du dispositif d'aide.

Quatre domaines ont été définis comme prioritaires par l'Union européenne, la microélectronique, les batteries, l'hydrogène et le cloud. Les projets dans ces secteurs sont portés par des entreprises sélectionnées par les États membres.

Source : commission d'enquête d'après Commission européenne

La France est, à ce jour, engagée dans sept PIIEC dans les domaines des batteries, de l'électronique, de l'hydrogène ou encore du numérique. Le dernier a été autorisé par la Commission européenne, le 5 décembre 2023, « Next-Generation Cloud Infrastructure and Services ». Il comprend dix-neuf projets soutenus par sept États membres dont ceux de deux entreprises françaises.

La commission d'enquête considère que cet instrument doit aussi bénéficier au domaine de l'énergie nucléaire et plaide pour le lancement de projets d'intérêt commun (PIIEC) en la matière.

Recommandation n° 3

Destinataire

Échéance

Support/Action

Obtenir le lancement de projets d'intérêt commun (PIIEC) dans le domaine de l'énergie nucléaire

États membres Commission européenne

2025-2029

Actions des États membres

3. La Banque européenne d'investissement doit infléchir sa position sur le financement des projets nucléaires

Les enjeux de financement du nucléaire sont essentiels notamment pour permettre le déploiement de nouveaux réacteurs en Europe, ou des investissements pour prolonger la durée de vie des centrales existantes. L'Union européenne dispose d'une institution de financement, la Banque européenne d'investissement (BEI), qui est chargée d'octroyer des prêts et des garanties pour financer certains projets dans l'UE dans le domaine de l'énergie notamment.

La technologie nucléaire est, en principe, éligible aux financements de la BEI. Pour être admissibles à un financement de la BEI, les projets relatifs à l'énergie nucléaire doivent être justifiés sur le plan technique, environnemental, financier et économique, y compris au regard des coûts encourus pendant toute la durée de vie, et ils doivent avoir reçu un avis favorable de la Commission européenne. Ils peuvent couvrir la production d'électricité d'origine nucléaire, le cycle complet du combustible nucléaire, la gestion des déchets, le renforcement de la sécurité, l'extension de la durée de vie, le déclassement et les travaux de R&D. La politique de prêt de la BEI doit être technologiquement neutre entre les énergies décarbonées.

La Banque européenne d'investissement (BEI)

Créée par le Traité de Rome, la Banque européenne d'investissement (BEI) est l'institution de financement de l'Union européenne, dont les États membres sont actionnaires. Elle facilite, par l'octroi de prêts et de garanties, sans poursuivre de but lucratif, le financement de projets, dans tous les secteurs de l'économie, en particulier dans le soutien aux PME, à l'innovation, aux villes et régions durables, aux politiques de l'énergie. Sa feuille de route, pour la période 2021-2025, fixe des objectifs en matière de financement climatique qui s'inscrivent dans le cadre du Pacte vert pour l'Europe. Ainsi un volume global de 1 000 milliards d'euros doit être investis dans le climat d'ici 2030. Les investissements dans le domaine de l'énergie devraient bénéficier de 45 milliards d'euros supplémentaires d'ici 2027 afin de financer des projets dans les secteurs de l'énergie renouvelable, de l'efficacité énergétique et de l'innovation. La France est le deuxième pays bénéficiaire des prêts de la BEI, et elle occupe le premier rang pour les prêts dans le secteur du climat et de l'environnement (11 milliards d'euros en 2023 et 12 milliards d'euros prévus pour 2024).

Source : Commission d'enquête d'après l'audition de M. Ambroise Fayolle, vice-président de la Banque européenne d'investissement (BEI), par la commission des affaires européennes

Or, dans les faits, les projets soutenus financièrement par la BEI en matière nucléaire, au cours des dix dernières années, relèvent, pour l'essentiel, du seul domaine de la sûreté des installations existantes. Elle a ainsi financé deux projets nucléaires, l'un en Finlande, en 2016, à hauteur de 100 millions d'euros, et l'autre en Slovaquie, en 2018, à hauteur de 60 millions d'euros, pour renforcer la sureté de centrales nucléaires en service. Pourtant, jusqu'au milieu des années 80, elle a financé de nombreux projets relatifs à la production d'électricité d'origine nucléaire et au cycle du combustible nucléaire, et sur la période 2007-2012, trois projets concernant des installations d'enrichissement d'uranium.

Le conseil d'administration de la BEI a compétence exclusive pour décider des prêts, des garanties et des emprunts. Les décisions sont prises à une majorité constituée d'au moins un tiers des membres ayant droit de vote et représentant au moins 50 % du capital souscrit. Ce système permet de faire en sorte que l'avis des actionnaires minoritaires - les plus petits États membres - soit pris en compte. Dans la pratique, de nombreuses décisions sont prises par voie de consensus, ce qui confère aux actionnaires minoritaires une influence encore plus grande. Par ailleurs, si la Commission européenne, qui est consultée pour chaque opération, émet un avis négatif, cela implique un vote unanime du conseil d'administration pour l'approbation de l'opération.

Force est de constater que les questions de financement des projets nucléaires ont rencontré, jusqu'à présent, au sein de la BEI, de fortes oppositions pour des raisons tant politiques que techniques (les projets sont alors jugés risqués) au sein de l'UE et que les équilibres au sein des instances dirigeantes de la banque n'ont pas été favorables à de tels projets ces dernières années, ce qui constitue un frein au financement d'opérations dans ce domaine.

La nouvelle présidente de la BEI, Nadia Calviño, s'est montrée plus ouverte au financement de projets dans le secteur du nucléaire que son prédécesseur, l'Allemand Werner Hoyer, ouvertement opposé à cette énergie. Elle a ainsi estimé que chaque projet devrait être évalué au regard de ses avantages, de sa viabilité économique et financière, de sa compatibilité environnementale et de sa faisabilité technique. Elle a aussi reconnu le rôle et l'importance des petits réacteurs modulaires. Ces évolutions se sont récemment traduites par la mention de financements destinés au nucléaire dans le projet de feuille de route stratégique de la BEI pour 2024-2027, qui doit être adopté par le conseil des gouverneurs de la banque à la fin du mois de juin. Les petits réacteurs nucléaires (SMR) figurent parmi les exemples « d'investissement à fort impact dans un nombre limité de domaines stratégiques » pour lesquels la banque pourrait « adopter une approche plus proactive ». La BEI pourrait ainsi amorcer une rupture avec des années pendant lesquelles la question du nucléaire n'a pas été abordée, même si l'avancée envisagée apparaît limitée. La commission d'enquête ne peut qu'être favorable à une approche de la BEI qui respecte la neutralité technologique entre énergies bas-carbone et qui est d'ailleurs conforme à ses statuts. Elle demande l'ouverture des prêts de la BEI aux projets d'installations nucléaires.

Compte tenu de l'importance potentielle des financements de la BEI, la commission d'enquête estime nécessaire que le Gouvernement poursuive ses efforts pour que soit garantie l'éligibilité des projets de construction de nouveaux réacteurs nucléaires aux financements de la Banque européenne d'investissement (BEI).

Recommandation n° 4

Destinataire

Échéance

Support/Action

Garantir l'éligibilité aux financements de la Banque européenne d'investissement (BEI) des projets de construction de nouveaux réacteurs nucléaires

États membres (En France ministère chargé de l'énergie et ministère chargé de l'économie) Commission européenne

2025-2029

Actions des États membres


* 45 Notamment la proposition d'un cadre pour définir une nouvelle cible climatique à l'horizon 2040.

* 46 Règlement (UE) 2021/1056 du Parlement européen et du Conseil du 24 juin 2021 établissant le Fonds pour une transition juste.

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