III. OÙ EN EST LA STRATÉGIE NATIONALE EN MATIÈRE D'ÉLECTRICITÉ ?

A. LE DISCOURS DE BELFORT : UN BON DÉPART ?

Point n'est besoin de refaire l'histoire du quasi-abandon de l'énergie nucléaire par les Gouvernements successifs depuis 2015, la commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la France47(*) a établi avec clarté le constat des responsabilités.

Rappelons simplement quelques étapes structurantes :

- En 2015, la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte (LTECV), fixe un objectif de réduction de la part du nucléaire dans la production d'électricité à 50 % à l'horizon 2025, au lieu des 75 % d'alors ;

- La même loi prévoit le plafonnement à 63,2 GW de la capacité nucléaire totale installée. Pour être implicite, l'objectif de cette disposition n'en est pas moins clair : ce plafonnement empêche en effet la mise en service de l'EPR de Flamanville, alors supposé être prêt en 2017, sans la déconnexion définitive d'une capacité nucléaire équivalente. Il s'agit donc de contraindre le Gouvernement, et EDF, à fermer une centrale nucléaire.

- Relevons que la loi a failli comporter, à la demande du ministère de l'Écologie, une autre disposition visant à imposer « une limitation de la durée de vie des centrales à 40 ans »48(*), ce qui apparaît aujourd'hui lunaire.

- Dans la foulée, la programmation pluriannuelle de l'énergie 2016-2023, adoptée via le décret no 2016-1442 du 27 octobre 2016, confirme l'objectif de 50 % de nucléaire dans la production d'électricité à l'horizon 2025. Elle précise que cet objectif « pourrait se traduire par une adaptation du parc nucléaire actuel, étape par étape, avec :

- des fermetures de certains réacteurs, avec à court terme la fermeture des deux réacteurs de la centrale de Fessenheim ;

- des prolongations de l'exploitation de certains réacteurs au-delà de 40 ans, pour garantir la sécurité d'approvisionnement et éviter le recours à de nouveaux moyens de production à combustible fossile. »

L'élection d'Emmanuel Macron à la présidence de la République, en 2017, ne modifie pas substantiellement ces axes politiques. Du reste, le programme du candidat assumait l'objectif de faire baisser la part du nucléaire vers 50 % à l'horizon 2025 et de favoriser le développement des énergies renouvelables en doublant les capacités installées à l'horizon 2022. Pour le reste, il restait dans le flou. Par ailleurs, certaines déclarations pouvaient laisser penser que le candidat était, dans son for intérieur, moins défavorable que d'autres au nucléaire49(*).

Pour autant, après son élection, les actes sont là : la politique antérieure de fragilisation du nucléaire est poursuivie, avec deux dates particulièrement importantes :

le 27 novembre 2018, le président de la République présente les grandes orientations de la nouvelle programmation pluriannuelle de l'énergie et annonce que 14 réacteurs nucléaires seraient arrêtés d'ici 2035, dont quatre à six d'ici 2030 et que la centrale de Fessenheim fermera à l'été 2020. Il confirme que la part du nucléaire sera ramenée à 50 % de la production d'électricité, avec une amodiation toutefois, l'horizon de cette réduction est repoussé de 2025 à 2035.

La programmation pluriannuelle de l'énergie 2019-2023 adoptée via le décret n° 2020-456 du 21 avril 2020 reprend ces objectifs et établit une « trajectoire d'évolution du parc électronucléaire » ainsi conçue :

- « 14 réacteurs nucléaires seront arrêtés d'ici 2035, dont ceux de la centrale de Fessenheim ;

Le principe général sera l'arrêt des réacteurs, hors Fessenheim, à l'échéance de leur 5ème visite décennale, soit des arrêts entre 2029 et 2035.

- Afin de lisser l'arrêt des réacteurs pour en faciliter la mise en oeuvre sur le plan social, technique et politique, le Gouvernement demande à EDF de prévoir la fermeture de 2 réacteurs par anticipation des 5èmes visites décennales en 2027 et en 2028 au titre de la politique énergétique.

- Le Gouvernement pourrait également demander à EDF l'arrêt de deux réacteurs supplémentaires, en 2025 - 2026 », en cas de risque de surcapacités ou de prix de marché trop bas.

Cependant, le 9 novembre 2021, lors d'une allocution télévisée le président de la République lance : « Nous allons, pour la première fois depuis des décennies, relancer la construction de réacteurs nucléaires dans notre pays. ». Le propos reste flou et peut englober aussi bien une véritable relance du nucléaire que le simple remplacement de certains réacteurs en fin de vie pour respecter l'objectif du mix à 50 %.

Il faudra néanmoins attendre le discours de Belfort du 10 février 2022 pour en savoir plus sur les intentions du chef de l'État.

Contrairement à une idée répandue, le discours de Belfort est loin de ne porter que sur le nucléaire. Au contraire, il dresse un panorama de la future politique énergétique de la France telle que souhaitée par le président de la République et évoque très largement les énergies renouvelables intermittentes.

Ainsi rappelle-t-il en premier lieu que l'enjeu central de cette politique doit être la compétitivité des entreprises et le pouvoir d'achat des ménages avec deux objectifs : « faire en 30 ans de la France le premier grand pays du monde à sortir de sa dépendance aux énergies fossiles » et « renforcer notre indépendance énergétique industrielle dans l'exemplarité climatique ».

Les « chantiers structurants » de cette politique énergétique seraient :

- la sobriété, non par la décroissance mais « par l'innovation »

- la production de davantage d'électricité décarbonée, ce qui suppose, selon le chef de l'État, d'augmenter de 60 % la production d'électricité et d'en modifier le mix.

Pour cela, le président de la République envisage de « développer massivement les énergies renouvelables », essentiellement parce qu'elles sont plus rapides à mettre en oeuvre que le nucléaire.

Les objectifs chiffrés en matière d'EnR sont ambitieux puisque sont préconisés :

- Le décuplement de la puissance installée d'énergie solaire pour la hisser à 100 GW en 2050 ;

- Le passage d'environ 1 GW en 2022 à...40 GW pour l'éolien en mer en 2050 ;

- Le doublement de la puissance installée d'éoliennes terrestres de 18,5 à 37 GW.

S'agissant des barrages hydroélectriques, le chef de l'État se garde bien de donner une cible chiffrée, compte tenu du différend qui oppose l'État à Bruxelles (Voir infra), mais appelle de ses voeux la reprise de l'investissement, « tout en gardant la pleine maîtrise, et en évitant les mises en concurrence ».

S'agissant du nucléaire, le président de la République appelle, dans une formule ambigüe, à « reprendre le fil de la grande aventure du nucléaire civil en France » et annonce avoir pris « deux décisions fortes ».

- « La première est de prolonger tous les réacteurs nucléaires qui peuvent l'être sans rien céder sur la sûreté. » ;

- La seconde est de « lancer dès aujourd'hui un programme de nouveaux réacteurs nucléaires ». Plus précisément, il s'agirait de la construction de 6 EPR2 et du lancement d'études pour 8 EPR2 additionnels et...éventuels. Mais, en l'espèce, serait-on tenté de dire, rien de vraiment nouveau sous le soleil, car il était nécessaire d'envisager le remplacement de certains réacteurs du parc historique et les 6 EPR2 étaient évoqués dès ...201950(*).

À côté de ces EPR2, le président de la République évoquait officiellement les pistes des SMR « Small Modular Reactor », ou petits réacteurs modulaires, et des réacteurs innovants dits « Advanced Modular Reactor », ou AMR, appartenant à la 4ème génération de réacteurs, « permettant de fermer le cycle du combustible et de produire moins de déchets ».

Au total, était évoqué « la mise en service de 25 GW de nouvelles capacités nucléaires d'ici 2050. »

Pour mener à bien le programme de construction des EPR2, bientôt appelé Nouveau nucléaire France (NNF), était annoncée la création d'une « direction de programme interministérielle dédiée au nouveau nucléaire sera créée pour en assurer le pilotage, coordonner les procédures administratives, s'assurer du respect des coûts et des délais des chantiers. EDF construira et exploitera les nouveaux EPR. »

Si on synthétise ce discours, on peut dire qu'il a donné un coup de fouet très attendu à la filière nucléaire. Mais c'était plus sa tonalité que son contenu même qui pouvait permettre d'évoquer une véritable « relance du nucléaire ». En matière de parc électrique, des pistes sont annoncées, mais somme toute assez modestes. On doit ainsi relever que l'ambition chiffrée porte surtout sur...les EnR, puisque que le président de la République annonce un total de 177 GW installée pour l'éolien et le solaire en 2050 contre.... 41, 6 GW en 2023.


* 47 Assemblée nationale, Rapport fait au nom de la commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la France, enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 30 mars 2023.

* 48 Ibid, p. 264.

* 49 Cf. Intervention d'Emmanuel MACRON, Ministre de l'Économie, de l'Industrie et du Numérique, “World Nuclear Exhibition”, Le Bourget, 28 juin 2016.

* 50 Sharon Wajsbrot, « L'État fait plancher EDF sur ses futurs EPR en France », Les Echos, 15 octobre 2019, p. 17.

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