B. UN DISPOSITIF DE DÉTECTION ET DE SUIVI À REFONDER
Face à cette situation extrêmement inquiétante, il apparaît urgent d'achever enfin la structuration du dispositif de recueil et du mécanisme de remontée d'informations qui émerge depuis plusieurs années dans certains établissements d'enseignement supérieur, sans qu'une politique publique résolue n'ait jusqu'ici véritablement permis d'assurer leur harmonisation et leur pilotage.
Comme ce fut le cas dans le domaine des violences sexuelles et sexistes (VSS), cet effort devra être accompagné d'un changement de culture paradigmatique : l'augmentation des chiffres des remontées, qui seule peut permettre d'améliorer la connaissance du phénomène et de reconnaître la situation des victimes, devra paradoxalement être interprétée - au moins dans un premier temps - comme le signe positif d'une libération de la parole sur le sujet des manifestations d'antisémitisme, et comme la preuve que le dispositif sera entré dans les pratiques et les réflexes de la communauté étudiante.
1. Achever la structuration des dispositifs de signalement
Les dispositifs de signalement aujourd'hui en place dans les établissements d'enseignement supérieur souffrent de plusieurs faiblesses structurelles qui entravent leur efficacité : une absence de base législative consolidée et un déploiement laissé au libre choix des établissements donnant lieu à des pratiques hétérogènes d'une part ; une insuffisante identification par la communauté étudiante et un déficit de confiance de la part des victimes et des témoins d'autre part.
Tout en reconnaissant que les établissements sont globalement mieux armés qu'il y a dix ans pour faire face aux problèmes posés par les discriminations, les rapporteurs estiment dès lors indispensable d'achever la structuration de ces dispositifs par la définition d'un cadre harmonisé au niveau de la loi. Afin que la communauté étudiante s'en saisisse effectivement, cette clarification normative devra en pratique être accompagnée par des actions visant à assurer leur visibilité et à les faire apparaître comme des interlocuteurs de confiance.
a) L'actuel cadre de fonctionnement des cellules de signalement souffre de plusieurs faiblesses
(1) Un corpus de dispositions disparate et laissant une large place à la bonne volonté des établissements
La mise en place dans les établissements d'enseignement supérieur d'un réseau de référents compétents en matière d'antisémitisme s'est faite par tâtonnements successifs, plusieurs textes et orientations émanant de ministères différents s'étant succédé sur ce sujet depuis 2011. Cette sédimentation progressive, conduite au gré des priorités de politique publique du moment, a produit un corpus disparate, composé de textes de niveaux différents et parfois inadaptés au cadre particulier de l'enseignement supérieur.
• La création de missions « Égalité » dans les établissements à partir des années 2000 a constitué une première étape. D'abord mises en place à l'initiative des établissements puis promues par la Charte pour l'égalité entre femmes et hommes dans les établissements d'enseignement supérieur adoptée par la conférence des présidents d'université en 2009, ces structures étaient originellement compétentes en matière de parité et d'égalité entre les femmes et les hommes. Après leur inscription dans la loi en 201312(*), c'est cette première approche des sujets de discrimination qui a prévalu dans les universités jusqu'en 2015.
• Une nouvelle approche incluant également les sujets de diversité et d'inclusion s'est développée à partir de 2015 au niveau national, avec la mise en place des référents « racisme et antisémitisme » prévus dans le cadre du plan interministériel « Grande mobilisation de l'école pour les valeurs de la République ». Leur création visait alors à « renforcer les outils à disposition des établissements supérieurs pour rappeler à l'ensemble de la communauté universitaire dans les formes qui paraîtront les plus adaptées les règles applicables dans le supérieur en matière de laïcité et de luttes contre les discriminations et accompagner la mise en oeuvre des politiques d'établissements en matière de lutte contre le racisme et l'antisémitisme ».
En pratique, ces référents ont le plus souvent été installés dans le cadre des missions Égalité préexistantes, qui sont alors devenues des missions « Égalité et diversité » et dont les référents ont cumulé plusieurs fonctions. Depuis lors, leur action s'est inscrite dans le cadre des plans nationaux de lutte contre le racisme, l'antisémitisme et les discriminations liées à l'origine qui se sont succédé sous le pilotage de la délégation interministérielle à la lutte contre le racisme et l'antisémitisme (Dilcrah).
• En 2019, l'adoption de la loi de transformation de la fonction publique13(*), en rendant obligatoire la définition dans tous les établissements publics de plans pour l'égalité entre les femmes et les hommes - et donc la généralisation des missions Égalité - ainsi que la mise en place de dispositifs de recueil de signalements en matière notamment de discriminations, a marqué une nouvelle étape dans la diffusion et la professionnalisation de ces missions et de ces référents. Il faut ici relever que ce texte ne concerne pas spécifiquement les établissements d'enseignement supérieur.
En ce qui concerne tout d'abord l'obligation faite aux établissements d'adopter un plan d'action pour l'égalité entre les femmes et les hommes, force est de constater qu'elle a largement été suivie d'effet au-delà du domaine visé par la loi, jusque dans le champ des discriminations. Un rapport du MESR du 2 février 2022 relevait ainsi que chacun des 181 établissements de l'enseignement supérieur avait effectivement adopté un plan « Égalité » à cette date tandis que, selon l'enquête Remede précitée, 63 % des missions Égalité et diversité constituées14(*) intervenaient également en matière de lutte contre le racisme et l'antisémitisme.
S'agissant ensuite de la mise en place d'un dispositif de signalement des discriminations, les rapporteurs observent que, alors que l'obligation définie par la loi portait uniquement sur le recueil des signalements des agents de la fonction publique, les établissements ont élargi ce périmètre à l'ensemble de la communauté étudiante. Ces dispositifs de signalement, accessibles aux victimes comme aux témoins, sont généralement composés d'une cellule d'écoute et d'une équipe pluridisciplinaire dédiée à l'analyse des situations associant tous deux les différents référents de l'établissement, y compris, selon les cas, les référents racisme et antisémitisme. L'enquête Remede relève à ce titre que la loi de 2019 a constitué un véritable accélérateur de la mise en place des cellules de signalement : si un établissement sur quatre avait déjà mis en place ce type de dispositif avant 2019, plus de la moitié des dispositifs de signalements existant en 2022 ont été instaurés depuis 2021 ; 82 % de ces dispositifs de signalement concernaient, outre les faits de violences sexuelles et sexistes, les situations de discrimination.
De l'avis généralement exprimé par les interlocuteurs de la mission d'information, la structuration des missions Égalité, qui relève d'une obligation législative dans le cadre d'une politique conduite au niveau national, est aujourd'hui plus avancée que celle du réseau des référents racisme et antisémitisme, dont la création a été laissée à l'appréciation des établissements. En dépit d'un suivi rapproché assuré par la direction générale de l'enseignement supérieur et de l'insertion professionnelle (Dgesip), qui a désigné en son sein une chargée de mission pour le racisme, l'antisémitisme, les discriminations et la laïcité, le fonctionnement de ce réseau semble aujourd'hui toujours en construction.
• Dans le contexte de l'augmentation des actes antisémites dans les établissements à la suite des attaques du 7 octobre, son déploiement a cependant très récemment fait l'objet de nouvelles instructions de la part du ministère, notamment par la voie réglementaire.
Par un courrier du 27 octobre 2023, la ministre de l'enseignement supérieur a tout d'abord enjoint les directions et présidences d'établissement à désigner un référent compétent en matière de racisme et d'antisémitisme parmi l'ensemble de leurs différents personnels.
Une circulaire de la Dgesip en date du 9 janvier 2024 est ensuite venue compléter l'édifice réglementaire préexistant en précisant les contours de la fonction de référents racisme et antisémitisme, dans le but d'assurer « leur mise en visibilité et leur professionnalisation ». Outre qu'elle rend leur désignation obligatoire, cette circulaire introduit l'incompatibilité de la fonction avec celle de référent « radicalisation » et précise les obligations respectives des chefs d'établissement et du ministère à leur égard. Elle prévoit notamment que les référents participent à la détermination de la politique de leur établissement en matière de lutte contre le racisme et l'antisémitisme, recensent les actes à caractère antisémite y survenant, sensibilisent ses publics à la lutte contre le racisme et l'antisémitisme, et contribuent aux signalements et aux médiations. Elle précise également qu'ils doivent bénéficier d'une formation adaptée, qui peut notamment être dispensée par la Licra dans le cadre du partenariat noué avec le ministère, ou s'inscrire dans le diplôme universitaire (DU) de formation à la lutte contre le racisme et l'antisémitisme proposé par l'Université Paris 8 en partenariat avec la Dilcrah.
Ce réseau compte aujourd'hui 222 référents répartis dans les universités, les grandes écoles et les organismes de recherche, contre 140 en 2019 et 150 en 2023. Les acteurs de l'enseignement privé entendus par les rapporteurs ont par ailleurs indiqué que des référents compétents en matière de discriminations étaient également présents dans tous leurs établissements.
• L'ébauche de politique de détection et d'accompagnement ainsi définie diffère ainsi dans sa construction même de celle mise en oeuvre dans l'enseignement primaire et secondaire : ses différents dispositifs ne constituent pas la courroie de transmission d'une politique définie de manière unifiée au niveau national, mais des outils à la main des établissements dans le cadre du principe de l'autonomie des universités.
(2) Une mise en oeuvre hétérogène
En pratique, ces différentes dispositions sont effectivement mises en oeuvre de manière très hétérogène selon les établissements - l'écart entre le nombre de signalements effectués par chacun d'entre eux reflétant en partie l`efficience de l'approche retenue. Cette hétérogénéité peut être constatée au point de vue du choix des dispositifs mis en place, des moyens qui leur sont alloués ou encore des actions de communication déployées.
(a) Des modèles de fonctionnement variables
Au cours de leurs auditions, les rapporteurs ont ainsi pris connaissance de plusieurs modèles de fonctionnement notables.
• Il apparaît tout d'abord que, si la plupart des établissements (70 % de l'échantillon de l'étude Remede) s'appuient uniquement sur leurs ressources internes pour faire fonctionner leur dispositif de signalement, d'autres délèguent, par voie de convention, tout ou partie de ces missions à des structures extérieures spécialisées. Dans cette forte minorité d'établissements (29 % de l'échantillon Remede), la partie externalisée du dispositif concerne l'accompagnement des victimes, l'écoute ou le recueil de signalement, voire les trois fonctions à la fois. Aucune donnée ne permet cependant à ce jour de conclure à la plus grande efficacité de l'une ou l'autre de ces solutions.
• Les rapporteurs soulignent ensuite, sur le fondement de l'enquête Remede précitée, que le champ et l'intitulé des dispositifs mis en place sont très variables d'un établissement à l'autre. Tous les établissements ne se sont pas dotés d'un référent compétent en matière d'antisémitisme ; à l'inverse, la dénomination des cellules de signalement mises en place ne fait pas toujours apparaître cette notion, y compris lorsqu'elle relève pourtant de leur champ de compétence.
• Il semble enfin que la garantie de l'anonymat des victimes et des témoins soit un facteur déterminant de leur décision de se tourner vers les dispositifs de signalement, en même temps que celle de la confidentialité des échanges et de l'étanchéité de leur fonctionnement vis-à-vis des autres instances de l'établissement. Plusieurs universités ont en conséquence déployé des portails permettant de déposer un signalement de manière anonyme, ce qui constitue une première voie d'entrée vers un éventuel accompagnement des victimes. À l'université de Strasbourg, un site Internet permettant la collecte de témoignages, dont la lecture n'est ouverte qu'au fonctionnaire de sécurité et de défense, a ainsi très récemment été lancé en réponse aux difficultés constatées pour prendre la mesure des actes antisémites dans l'établissement. Dans la plupart des établissements, la cellule d'écoute peut être contactée via une adresse mail dédiée.
Selon la Licra, les attentes des victimes portent en outre sur la définition d'un processus de signalement qui soit à la fois clair et simple, ce qui suppose notamment d'éviter la multiplication des interlocuteurs obligeant les victimes à réitérer leur témoignage.
Cette demande d'anonymat apparaît parfois difficile à concilier avec la nécessité de réagir rapidement et efficacement face à des situations parfois très graves. La présidente de l'université de Toulouse-Jean Jaurès a ainsi indiqué que depuis le 7 octobre, le circuit informel de signalement jusqu'alors observé avait été consolidé afin de s'assurer de l'association de l'ensemble des acteurs compétents au sein de la cellule de crise de l'établissement - qui rassemble, au-delà de sa présidente, son premier vice-président, le directeur de cabinet, le directeur général des services, la directrice des affaires juridiques, le responsable de la sécurité, les responsables de la communication, le fonctionnaire chargé de la sécurité et de la défense ainsi que le référent pour la laïcité et la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et les discriminations.
Exemple d'un circuit de signalement :
le
processus prévu à l'université
Toulouse-Capitole
(b) Un déficit de visibilité résultant d'une insuffisante communication de la part des établissements
Les auditions conduites par les rapporteurs ont également permis de mettre en évidence un fort déficit de visibilité et d'identification des dispositifs de signalement auprès des étudiants, et même des différentes instances des établissements.
La CNCDH a cité à ce titre une enquête conduite par l'Union nationale des étudiants de France (Unef) en juin 2020. Si la méthodologie de cette étude apparaît sur certains points sujette à caution, les tendances lourdes qu'elle dessine sont préoccupantes et méritent d'être prises en considération : à cette date, 7 % des universités ne communiquaient sur aucun dispositif de lutte contre les discriminations, une seule université s'était dotée d'une vice-présidence chargée de la lutte contre le racisme, et 57 % des étudiants interrogés indiquaient ne pas connaître la démarche permettant de déclarer un comportement raciste constaté dans l'enceinte de l'établissement.
Les rapporteurs relèvent avec intérêt que nombre d'établissements ont depuis lors choisi de désigner, au sein de leur équipe dirigeante, un vice-président chargé des sujets relatifs à l'égalité et/ou à la lutte contre les discriminations. Cette organisation, adoptée selon Philippe Liotard, président de la conférence permanente des chargés de mission Égalité et diversité (CPED), par un tiers environ des établissements, permet de renforcer l'efficience des dispositifs précités : elle assure en effet que leur projet est porté politiquement au niveau de la direction de l'établissement ; elle renforce ensuite la visibilité des sujets de discrimination par la communauté étudiante, qui peut ainsi identifier un interlocuteur à interpeller ; elle détermine enfin, vis-à-vis des acteurs extérieurs, un point d'entrée permettant d'aborder ces questions de manière efficace.
(c) Des disparités dans l'allocation des moyens de fonctionnement
À l'hétérogénéité constatée dans les dispositifs déployés s'ajoutent de fortes disparités dans les moyens de fonctionnement qui leur sont alloués.
• Cette situation résulte tout d'abord du silence des textes sur ce point, qui ne définissent pas de seuil minimal de moyens à consacrer à ces différentes missions, notamment sous la forme de crédits ou de décharges horaires - seule la question de la formation des référents étant abordée. Dans le contexte de la forte contrainte pesant sur le financement des établissements, ces dispositifs apparaissent en outre comme des variables d'ajustement budgétaire de choix. L'allocation de moyens correctement dimensionnés aux besoins de fonctionnement des cellules de signalement est cependant cruciale pour assurer la rapidité de leur réaction, dont dépend leur crédibilité auprès de la communauté étudiante.
La conférence permanente des chargés de mission Égalité et diversité (CPED) indique ainsi que les modalités de définition du budget des missions Égalité est très variable d'un établissement à l'autre : certains d'entre eux seulement disposent d'un budget dédié ; pour d'autres, ce budget résulte uniquement de l'addition du coût salarial des personnes travaillant spécifiquement pour la mission ; d'autres encore bénéficient de financements obtenus sur des appels à projets ; il arrive enfin que les établissements allouent aux missions Égalité une part des crédits de la contribution étudiante pour la vie du campus (CVEC), dans la mesure où une large partie des actions de sensibilisation menées par ailleurs concernent au premier chef les étudiants.
De nombreuses missions Égalité assurent ainsi, avec des moyens humains très limités, des missions très diverses allant de la sensibilisation des étudiants à l'accompagnement des victimes, pour un domaine très vaste couvrant parfois toute l'étendue du champ des discriminations, de l'égalité entre les femmes et les hommes à l'antisémitisme, en passant par les VSS. Hugues Kenfack, président de l'université Toulouse Capitole, a résumé en ces termes le sentiment globalement exprimé par les responsables d'établissements publics comme privés et les référents racisme et antisémitisme entendus par les rapporteurs : « Il est beaucoup demandé aux établissements sans souci des moyens humains et financiers qu'ils peuvent y consacrer ». Certains des référents entendus par la mission ont en ce sens pointé des situations de souffrance au travail chez ces chargés de mission, voire de burn-out en raison du hiatus entre l'étendue de leurs missions et la faiblesse des moyens dont ils disposent.
• Les rapporteurs soulignent que, dans ce domaine comme dans d'autres, la question des moyens ne peut tout régler et que la généralisation de certaines bonnes pratiques pourrait constituer une piste à explorer en première intention : désignation de référents dédiés aux différents sujets de discriminations et de violences mais travaillant en commun, recrutement des référents sur profil adapté aux missions, formation professionnalisante systématique des référents, déploiement de procédures d'orientation rapide des victimes et des témoins, évaluation systématique des actions menées pour identifier ce qui fonctionne bien, etc.
Ils relèvent cependant un certain consensus quant aux besoins exprimés lors des auditions pour assurer un fonctionnement satisfaisant des cellules de signalement :
- la principale préoccupation exprimée porte sur la capacité des établissements à dégager du temps pour assurer les missions correspondantes. Selon les établissements, ce besoin peut se traduire par des décharges horaires, du temps dédié à la formation, la mise en place de postes administratifs permettant d'assurer le suivi des dossier ou l'accomplissement de certaines tâches spécifiques comme la veille sur les réseaux sociaux. Il suppose également que les référents désignés par les établissements ne cumulent pas de missions trop vastes : il apparaît ainsi peu pertinent que la lutte contre les VSS et celle contre le racisme et l'antisémitisme soient endossées par un unique référent. Il passe enfin par une rationalisation du pilotage du réseau des référents, qui, selon plusieurs interlocuteurs de la mission, doivent assister à de nombreux webinaires qui se déroulent parfois en même temps ;
- une professionnalisation des référents et des différents intervenants dans le processus de signalement par des formations dédiées. La qualité des formations proposées à ce titre par le ministère a globalement été reconnue. Pour autant, elle ne couvre pas tout le champ des besoins des établissements, qui doivent alors assumer le coût parfois important de formations complémentaires en sus du recours à des professionnels (psychologues, travailleurs sociaux) extérieurs ;
- la mise à disposition de moyens matériels permettant d'accueillir les victimes et les témoins avec la confidentialité et la discrétion nécessaires, notamment une salle dédiée à l'écoute et au recueil de signalements.
• Plusieurs associations étudiantes ont par ailleurs insisté sur les limites du fonctionnement par appels à projets, qui permettent certes d'augmenter ponctuellement les moyens alloués à certaines missions, mais sans inscrire les actions correspondantes dans la durée - les projets ainsi déployés étant généralement définis par réaction à l'actualité - et en concentrant les moyens sur quelques établissements seulement.
(d) Une absence de pilotage sur le temps long
Cette dernière observation rejoint le sentiment globalement exprimé d'une absence de pilotage ferme de la politique de lutte contre le racisme et l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur sur le temps long - sans mettre en cause pour autant la qualité et l'engagement unanimement reconnus des interlocuteurs ministériels aujourd'hui en poste sur ce secteur.
La définition de priorités en réaction aux événements d'actualité conduit en effet à faire varier, au gré des sollicitations retenues, les moyens alloués aux différentes cellules de lutte contre les discriminations ainsi que la visibilité de leur action. Si le travail accompli à ce titre sur les VSS ou encore la lutte contre les discriminations touchant les personnes LGBT a été largement salué, de nombreux interlocuteurs ont cependant regretté que cette approche par priorités contraigne en pratique les établissements à faire des choix entre les différents combats portés par les dispositifs Égalité et les cellules de signalement, voire à mettre fin à certaines actions qui fonctionnaient pourtant de manière satisfaisante.
Ce mode de fonctionnement, outre qu'il obère bien entendu l'efficacité de l'action des référents et des dispositifs de signalement, est de plus très préjudiciable à la visibilité de ces structures et donc à leur ancrage dans la vie des établissements : ainsi que l'a souligné Philippe Liotard, seule la conduite d'actions dans la durée peut permettre aux structures de lutte contre les discriminations d'être repérées par la communauté universitaire et de rentrer dans les moeurs étudiantes.
b) Les recommandations de la mission d'information
En conséquence de ces différents constats, les rapporteurs formulent quatre séries de recommandations visant à assurer la détection de l'ensemble des actes et propos antisémites survenant dans les établissements d'enseignement supérieur : rationaliser le dispositif normatif applicable pour mieux définir les obligations incombant aux établissements ; renforcer la visibilité des dispositifs de signalement en les intégrant aux priorités des équipes dirigeantes ; fournir les ressources juridiques nécessaires aux établissements pour assurer le traitement des situations ambiguës face à l'évolution des manifestations d'antisémitisme ; afin de les encourager à y recourir, mieux prendre en compte les besoins des victimes dans le fonctionnement des processus de signalement.
(1) Préciser les obligations des établissements en matière de détection et de signalement des actes antisémites dans un socle législatif unifié
Les rapporteurs estiment tout d'abord indispensable de définir un cadrage national du fonctionnement des dispositifs de signalement - et par là, leurs missions étant interdépendantes, du réseau de référents racisme et antisémitisme, dont la mise en place doit être systématisée. Seule la généralisation des dispositifs de détection des actes antisémites permettra en effet d'en prendre enfin la mesure et de définir en conséquence les mesures de lutte adaptée. La formalisation et la structuration de ces dispositifs assureront en outre que les établissements seront en mesure de répondre rapidement aux différentes situations de violences et de discriminations.
Cette évolution doit satisfaire à trois objectifs, dans le respect du principe de l'autonomie des universités :
- rationaliser le droit existant en intégrant les principes prévus par le droit général de la fonction publique en matière de signalement dans un socle législatif spécifiquement adapté aux établissements d'enseignement supérieur, qui regrouperait par ailleurs les autres dispositions applicables aujourd'hui éparpillées entre plusieurs textes et plusieurs niveaux normatifs ;
- clarifier à droit constant les obligations qui s'imposent aux établissements en matière de détection et de signalement des actes antisémites, en prévoyant notamment dans la loi l'obligation pour tous les établissements d'assurer le fonctionnement d'un dispositif de signalement des actes antisémites et de désigner un référent compétent en matière de racisme et d'antisémitisme. Les missions de ce référent seront également précisées au niveau législatif ;
- préciser les principes généraux du fonctionnement du dispositif de signalement, en prévoyant notamment la possibilité de leur recueil anonyme ainsi que l'obligation des établissements d'assurer la remontée vers le ministère de tous les signalements recueillis en leur sein, quelle que soit à première vue l'importance des faits en cause.
Ce texte législatif intégrerait par ailleurs une disposition renvoyant au niveau réglementaire le soin de définir un socle minimal de moyens à allouer à ces différentes missions, notamment sous la forme de décharges horaires pour les personnels désignés ou de mise à disposition de formations gratuites, conduites en lien avec les acteurs associatifs engagés sur le sujet (Licra et Camp des Milles, notamment). Au-delà de la mise en oeuvre de ce socle minimal, les établissements conserveront bien entendu leurs marges de manoeuvre pour définir les modalités précises du fonctionnement de leurs dispositifs de signalement et pour assurer leur visibilité.
Les rapporteurs soulignent que, compte tenu du large champ de compétence des missions Égalité et des différents référents qui leur sont associés, ainsi que de leur double mission de détection et de prévention, ce texte porterait nécessairement sur le sujet plus général de la lutte contre les discriminations dans les établissements d'enseignement supérieur, et couvrirait également les actions de sensibilisation évoquées infra15(*).
Recommandation n° 1 : Rationaliser le cadre législatif et réglementaire des dispositifs de lutte et de signalement, en précisant dans la loi les obligations incombant aux établissements en matière de détection des actes antisémites.
Pour assurer l'application effective de ces grandes orientations, le pilotage du réseau de référents dont la désignation aura ainsi été rendue obligatoire dans chaque établissement devra par ailleurs être renforcé au niveau ministériel. Il apparaît à ce titre nécessaire d'achever rapidement, en lien avec la Dilcrah, le déploiement de la plateforme collaborative destinée à soutenir l'exercice de leurs missions par le partage de bonnes pratiques et la mise en circulation de projets. Le ministère indique à ce titre que cet outil est « en cours de finalisation » ; les rapporteurs estiment que sa mise en fonctionnement devra impérativement intervenir dès le début de la prochaine année universitaire.
Certains intervenants comme la CNCDH ont souhaité que cette plateforme puisse intégrer certaines fonctionnalités supplémentaires, tel qu'un forum de discussion permettant aux différents référents d'échanger sur leur expérience et leurs difficultés, ou encore un annuaire des différents acteurs compétents en matière d'antisémitisme à l'échelle nationale et locale, ce qui permettrait notamment d'orienter les étudiants de manière plus efficace.
(2) Renforcer la visibilité des dispositifs de signalement
Cette refondation normative devra aller de pair avec un renforcement de la visibilité des dispositifs de signalement. Afin de toucher le plus large public possible, cette démarche devra nécessairement passer par plusieurs actions complémentaires, qui devront notamment être déployées en ligne. La mise en place par chaque établissement d'une page Internet retraçant l'ensemble des dispositifs existants, la procédure de dépôt d'un signalement ainsi que les contacts et disponibilités des référents et cellules d'écoute apparaît à ce titre comme un préalable indispensable ; ces informations pourront en outre être diffusées sur les réseaux sociaux.
En ce qu'elle permet d'engager les équipes dirigeantes tout en améliorant la visibilité de ces sujets au sein de la communauté étudiante, les rapporteurs jugent par ailleurs particulièrement intéressante et efficace la démarche consistant à consacrer des vice-présidences aux sujets de discriminations, et estiment que sa généralisation dans l'ensemble des établissements doit être encouragée.
Au-delà de la visibilité des dispositifs de lutte, leur efficacité semble par ailleurs renforcée par le recours à cette formule. La conférence permanente des chargés de mission égalité et diversité (CPED) préconise ainsi d'organiser les missions Égalité et diversité selon le schéma suivant : une présidence transversale, assumée par un vice-président de l'établissement, pilotant un service dédié constitué de référents et de chargés de missions experts et/ou formés sur leur domaine d'intervention respectif, et qui travaillent ensemble de manière coordonnée.
Recommandation n° 2 : Encourager la généralisation des vice-présidences dédiées à la lutte contre le racisme et l'antisémitisme afin d'améliorer son portage politique et sa visibilité au sein des établissements.
(3) Diffuser des ressources juridiques opérationnelles permettant de mieux détecter les cas d'antisémitisme
On l'a vu, une objectivation partagée du contour des actes antisémites est indispensable non seulement pour mesurer le phénomène de manière fiable, mais également pour construire des actions d'information et de sensibilisation adaptées au niveau de perception du phénomène par les différents acteurs concernés.
• Interrogé sur les ressources juridiques mises à la disposition des établissements pour les accompagner dans la détection de manifestations d'antisémitisme, le MESR a indiqué que plusieurs documents faisaient déjà l'objet d'une large diffusion :
- à l'initiative du MESR, une fiche réflexe intitulée Racisme, antisémitisme : comment agir dans l'enseignement supérieur ? conçue en collaboration avec la Dilcrah, la Licra, SOS Racisme, le Défenseur des droits, les différentes conférence de présidents d'établissements et l'association française des managers de la diversité (AFMD), et initialement publiée le 15 avril 2019 ;
- à l'initiative de France Universités, plusieurs guides visant à aider les équipes dirigeantes à reconnaître, dénoncer et prévenir les dérives en matière de racisme et d'antisémitisme, ainsi qu'un vademecum destiné aux présidents d'établissement et retraçant leurs compétences et leurs responsabilités en la matière ;
- sous l'égide de l'inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche (IGESR), des kits pratiques visant à guider la conduite des enquêtes administratives.
Si la mise à disposition de ces différentes ressources n'a pas été remise en cause par les différents présidents et dirigeants d'établissements entendus, force est de constater qu'elles ne semblent cependant pas répondre de manière adéquate aux difficultés aujourd'hui rencontrées en matière de détection de l'expression antisémite. Ces difficultés semblent largement liées à l'évolution récente des formes prises par l'antisémitisme dans les établissements, notamment dans des situations limites telles que les mobilisations étudiantes en faveur de la Palestine.
Il apparaît dès lors urgent de mettre à jour l'ensemble des ressources juridiques documentaires fournies aux établissements pour les adapter à ces nouveaux enjeux. Il s'agira ainsi de diffuser une culture juridique partagée permettant d'aider les différents responsables impliqués, notamment les présidents d'établissement et les référents racisme et antisémitisme, à distinguer entre ce qui relève de la libre expression d'une opinion politique de ce qui est susceptible de constituer une manifestation d'antisémitisme. Cette consolidation pourra notamment passer par l'actualisation de la fiche réflexe diffusée par le ministère, prévue dans le cadre du plan national de lutte contre le racisme, l'antisémitisme et les discriminations liées à l'origine (Prado) pour 2023-2026, et qui devra être achevée dans les plus brefs délais.
Recommandation n° 3 : Actualiser les ressources juridiques destinées à guider les établissements dans la détection des faits d'antisémitisme en les adaptant aux nouvelles formes prises par l'expression antisémite, notamment lors des récentes mobilisations au sujet de la situation à Gaza.
• La question de l'utilisation de la définition de l'antisémitisme fixée par l'Alliance internationale pour la mémoire de l'Holocauste (IHRA) a par ailleurs été posée tout au long des auditions menées par les rapporteurs.
Cette définition non contraignante, adoptée le 26 mars 2016 par les 31 États membres de l'Alliance dont la France, constitue une définition opérationnelle visant à faciliter l'identification et le recensement des actes antisémites16(*). Elle énumère ainsi, à la suite d'une définition générale (« L'antisémitisme est une certaine perception des Juifs qui peut se manifester par une haine à leur égard. Les manifestations rhétoriques et physiques de l'antisémitisme visent des individus juifs ou non et/ou leurs biens, des institutions communautaires et des lieux de culte ») et de deux principes généraux (« L'antisémitisme peut se manifester par des attaques à l'encontre de l'État d'Israël lorsqu'il est perçu comme une collectivité juive. Cependant, critiquer Israël comme on critiquerait tout autre État ne peut pas être considéré comme de l'antisémitisme » ; « L'antisémitisme consiste souvent à accuser les Juifs de conspirer contre l'humanité et, ce faisant, à les tenir responsables de tous les problèmes du monde »), plusieurs exemples concrets de manifestations d'antisémitisme, dont certains apparaissent pertinents dans les cas de figure soulevant des difficultés dans les établissements :
- le traitement inégalitaire de l'État d'Israël, à qui l'on demande d'adopter des comportements qui ne sont ni attendus ni exigés de tout autre État démocratique ;
- l'établissement de comparaisons entre la politique israélienne contemporaine et celle des Nazis ;
- l'idée selon laquelle les Juifs seraient collectivement responsables des actions de l'État d'Israël.
Si le CRIF et le Camp des Milles ont appelé à s'appuyer plus largement sur cette définition pour lutter contre les actes antisémites, plusieurs représentants de la sphère publique, parmi lesquels la DACG du ministère de la justice et la CNCDH, ont rappelé que son utilisation dans un cadre juridique contreviendrait à l'approche universaliste du droit pénal français, qui ne comporte pas de qualification autonome des actes antisémites. S'il n'est donc pas question de modifier le droit, les rapporteurs estiment toutefois que cette définition doit être diffusée le plus largement possible aux membres de la communauté universitaire à des fins pédagogiques - selon la logique de la résolution relative à la lutte contre toutes les formes d'antisémitisme adoptée par le Sénat le 5 octobre 202117(*), qui « [invitait] le Gouvernement, dans un travail de pédagogie, à la diffuser auprès des services éducatifs, répressifs et judiciaires ».
Recommandation n° 4 : Face au défi posé par la diffusion d'un « antisémitisme d'atmosphère », assurer, à titre pédagogique, la diffusion dans les établissements de la définition opérationnelle de l'antisémitisme de l'IHRA, conformément à la résolution portant sur la lutte contre toutes les formes d'antisémitisme adoptée par le Sénat le 5 octobre 2021.
(4) Adapter et diversifier les processus de signalement pour répondre aux besoins des victimes
Les différents interlocuteurs de la mission d'information, notamment ceux intervenant en première ligne en tant que référents, ont insisté sur le rôle central, dans le processus de dépôt des signalements, de l'écoute et de l'accompagnement, notamment sous le format de pair à pair.
Isabelle Kraus, référente racisme et antisémitisme à l'université de Strasbourg, a ainsi souligné que les établissements devraient aujourd'hui capitaliser sur les structures d'écoute et les processus de recueil mis en place pour lutter contre les VSS, qui semblent contribuer efficacement à libérer la parole des victimes. L'expérience acquise de ce cadre doit aujourd'hui être étendue au recueil des témoignages portant sur les manifestations d'antisémitisme, la professionnalisation de certaines cellules d'écoute - notamment par le recrutement d'un psychologue ou la conclusion de partenariats avec des associations d'accompagnement des victimes - devant constituer à cet égard un modèle.
Il semble cependant que sur le sujet de l'antisémitisme, pour lequel la confiance reste encore largement à construire, de nombreux étudiants se tournent aujourd'hui vers des canaux d'écoute non officiels, en s'adressant notamment à des acteurs associatifs tels que l'UEJF. Les actions menées pour développer la détection des actes antisémites, au même titre que celles visant à leur prévention, doivent en conséquence associer de manière systématique les acteurs associatifs.
Les acteurs associatifs entendus par la mission ont par ailleurs relevé que dans certains contextes, seule la garantie de l'anonymat pouvait convaincre les victimes de prendre la parole, ce qui constitue un premier pas vers l'engagement du processus aboutissant au signalement. Plusieurs établissements ont pris en compte cette attente en mettant en place des processus de dépôt de témoignage anonymes18(*). Il semble cependant que l'attente des victimes excède le seul anonymat et porte également sur la possibilité de se tourner vers des instances extérieures à leur établissement, comme en témoignent les saisines directement adressées au bureau national de l'UEJF ou du CRIF. Les rapporteurs estiment à ce titre que la coordination nationale d'accompagnement des étudiantes et des étudiants (CNAE), dispositif national d'écoute, d'accompagnement et de signalement destiné aux étudiants confrontés à des situations de mal-être, de violence ou de discrimination, mériterait d'être mieux connu et mieux intégré dans le processus global de signalement.
En lien direct avec les ministères de l'enseignement supérieur et de la recherche et le ministère de la santé et des solidarités, la CNAE propose en effet une écoute et un accompagnement professionnels (assurés notamment par des psychologues et des travailleurs sociaux) via une adresse mail et une ligne téléphonique gratuite et confidentielle. En fonction des faits signalés, la CNAE peut orienter les étudiants vers les cellules de signalement relevant de leur établissement ; néanmoins, dans les cas où les victimes souhaitent précisément éviter de passer par leur cellule locale, le dispositif de signalement de la CNAE, qui passe directement par le ministère, constitue une alternative intéressante permettant de s'assurer que chaque situation reçoit un traitement administratif approprié. Contactée par les rapporteurs, la CNAE indique n'avoir reçu à ce jour aucun appel de la part d'étudiants victimes d'actes ou de propos antisémites.
Recommandation n° 5 : Pour répondre à la crainte des représailles et au déficit de confiance des victimes, adapter et diversifier les processus de signalement d'actes antisémites, notamment en y associant davantage les acteurs associatifs, en professionnalisant les dispositifs d'écoute, en renforçant les garanties d'anonymat et de confidentialité et en faisant connaître la coordination nationale d'accompagnement des étudiantes et des étudiants (CNAE).
2. Renforcer le suivi administratif des signalements effectués
a) Un nouveau système de signalement unifié au niveau national est en cours de déploiement par le ministère
• Il existe aujourd'hui une multiplicité de canaux de remontées des signalements effectués dans les établissements, sans qu'aucun ne permette pour autant de disposer d'une vision consolidée au niveau central de l'ensemble des signaux captés sur le terrain :
- depuis l'été 2023, les remontées provenant des fonctionnaires sécurité défense (FSD) des établissements sont transmises à la cellule ministérielle de veille et d'alerte (CMVA), qui fonctionnait déjà pour les établissements de l'Éducation nationale ;
- les recensements effectués par les référents racisme et antisémitisme sont transmis annuellement au ministère dans le cadre de leur rapport d'activité. À cette remontée annuelle peuvent s'ajouter, en cas de difficultés sur le terrain, des saisines ponctuelles de la direction générale de l'enseignement supérieur et de l'insertion professionnelle (Dgesip) ;
- il arrive enfin, notamment dans les situations les plus graves, que le cabinet de la ministre soit directement saisi par les présidents et directeurs d'établissements.
La ministre a par ailleurs indiqué avoir mis en place dans l'urgence, au début du mois d'octobre, un réseau de suivi opérationnel associant les recteurs, les préfets et les présidents d'université. Ce dispositif semble cependant mal identifié par les présidents d'établissements interrogés par la mission d'information.
• Lors de leur audition par les rapporteurs le 25 avril, les représentants du ministère ont indiqué travailler à la construction d'une « chaîne de signalement incluant les FSD » et à l'invention du processus correspondant. Lors de son audition par la commission le 29 mai, la ministre a indiqué que cette nouvelle chaîne de signalement serait mise en place à la rentrée universitaire 2024 sous la forme d'un système national unifié de signalement fonctionnant dans le système d'information Dialogue, plateforme souveraine du ministère déjà utilisée par les établissements pour l'accomplissement d'autres tâches. Ce système, qui ne sera dans un premier temps déployé que dans « des établissements bêta-testeurs volontaires », permettra d'agréger l'ensemble des remontées, d'assurer leur suivi par les établissements en lien avec le rectorat et les services ministériels, et enfin d'analyser les éléments remontés en établissant notamment des typologies de faits.
Les rapporteurs prennent acte de ces précisions et considèrent que la mise en place de cet outil constitue une avancée indispensable. Ils insistent sur la nécessité de le déployer le plus rapidement possible dans l'ensemble des établissements du supérieur.
b) Les programmes de recherche permettant d'objectiver le phénomène doivent être encouragés et poursuivis
L'indispensable travail d'objectivation des manifestations d'antisémitisme doit par ailleurs être conduit, au-delà de leur suivi administratif, dans le cadre de la mission fondamentale de recherche des établissements d'enseignement supérieur.
Les rapporteurs souscrivent ainsi aux observations formulées dans le 33e rapport de la CNCDH, qui invite à approfondir la connaissance et l'analyse des actes racistes et antisémites en encourageant le développement de travaux de recherche : « La CNCDH encourage les pouvoirs publics à entretenir et soutenir la recherche académique sur les actes racistes, antisémites, xénophobes et les discriminations. Doivent également être encouragées les recherches-actions participatives afin d'obtenir des données précises sur les territoires et les discriminations vécues, de favoriser rencontres et échanges entre les citoyens et les pouvoirs publics (conférences citoyennes, conférences de consensus) et de modifier en profondeur les stéréotypes et les préjugés ». Yannick L'Horty, directeur de l'observatoire national des discriminations et de l'égalité dans le supérieur (Ondes), a relevé à ce titre que la pénalité spécifiquement associée à la judéité était très peu mesurée dans la recherche, notamment celle conduite sous forme de tests par correspondance (ou testings).
La création de l'Ondes en 2022 offre un début de réponse à cet impératif. « Lieu de recherche ouvert » ayant pour ambition de contribuer à l'animation scientifique de toutes les communautés de recherche universitaires, cet observatoire mis en place dans le cadre d'une convention passée entre France Universités et l'université Gustave Eiffel, qui bénéficie de financements du MESR et du Défenseur des droits, a reçu pour mission d'assurer l'observation des faits discriminatoires et des atteintes à l'égalité dans l'enseignement supérieur. Ses chercheurs recourent pour ce faire à trois types d'outils : les enquêtes de victimation (notamment dans le cadre de l'enquête Acadisci), l'enquête Remede reposant sur une interrogation biennale des établissements sur les actions qu'ils ont mises en place, ainsi que des testings. Les rapporteurs saluent cette initiative, qui doit être soutenue sur le long terme afin de pouvoir enfin disposer de données d'analyse pertinentes.
Certains des référents racisme et antisémitisme entendus par les rapporteurs ont par ailleurs mis en avant leur collaboration avec des équipes de recherche sur les sujets de discriminations au sein de leur établissement, ce qui permet de nourrir les travaux des seconds par une approche de terrain, tout en enrichissant la pratique des premiers. C'est notamment le cas à l'université de Strasbourg, où un « cartel de recherche » mis en place en 2019 et travaillant notamment sur la lutte contre le racisme et l'antisémitisme exerce en lien avec Isabelle Kraus, référente de l'équipe universitaire pour ces sujets.
* 12 Article 46 de la loi n° 2013-660 du 22 juillet 2013, dite « loi Fioraso ».
* 13 Article 80 de la loi n° 2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique, précisé par le décret n° 2020-256 du 13 mars 2020.
* 14 Parmi les 62 établissements constituant l'échantillon sur lequel porte l'enquête.
* 15 Se référer sur ce point aux pages n° 55 et suivantes.
* 16 Plusieurs universitaires et chercheurs ont récemment proposé un enrichissement de cette définition à travers la Déclaration de Jérusalem sur l'antisémitisme, publiée le 25 mars 2021.
* 17 Résolution 701 (2020-2021) portant sur la lutte contre toutes les formes d'antisémitisme, adoptée par le Sénat le 5 octobre 2021 à l'initiative de MM. Bruno Retailleau, Hervé Marseille et plusieurs de leurs collègues.
* 18 Voir supra p. 37.