N° 705

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024

Enregistré à la Présidence du Sénat le 26 juin 2024

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport (1) relatif à l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur,

Par MM. Pierre-Antoine LEVI et Bernard FIALAIRE,

Sénateurs

(1) Cette commission est composée de : M. Laurent Lafon, président ; MM. Jérémy Bacchi, Max Brisson, Yan Chantrel, Mme Laure Darcos, MM. Bernard Fialaire, Jacques Grosperrin, Martin Lévrier, Mmes Monique de Marco, Marie-Pierre Monier, M. Michel Savin, vice-présidents ; Mmes Colombe Brossel, Else Joseph, M. Pierre-Antoine Levi, Mme Anne Ventalon, secrétaires ; Mmes Marie-Jeanne Bellamy, Catherine Belrhiti, Annick Billon, Alexandra Borchio Fontimp, M. Christian Bruyen, Mmes Samantha Cazebonne, Karine Daniel, Sabine Drexler, M. Aymeric Durox, Mmes Agnès Evren, Laurence Garnier, Béatrice Gosselin, M. Jean Hingray, Mme Mireille Jouve, MM. Patrick Kanner, Claude Kern, Mikaele Kulimoetoke, Mme Sonia de La Provôté, MM. Gérard Lahellec, Ahmed Laouedj, Michel Laugier, Jean-Jacques Lozach, Mmes Pauline Martin, Catherine Morin-Desailly, Mathilde Ollivier, MM. Pierre Ouzoulias, Jean-Gérard Paumier, Stéphane Piednoir, Bruno Retailleau, Mme Sylvie Robert, MM. David Ros, Pierre-Jean Verzelen, Cédric Vial, Adel Ziane.

LISTE DES RECOMMANDATIONS
DE LA MISSION D'INFORMATION

Plusieurs de ces recommandations déboucheront sur la présentation d'une proposition de loi à l'automne.

AXE N° 1 : AMÉLIORER LA DÉTECTION DES ACTES ANTISÉMITES

Recommandation n° 1 : Rationaliser le cadre législatif et réglementaire des dispositifs de lutte et de signalement, en précisant dans la loi les obligations incombant aux établissements en matière de détection des actes antisémites.

Recommandation n° 2 : Encourager la généralisation des vice-présidences dédiées à la lutte contre le racisme et l'antisémitisme afin d'améliorer son portage politique et sa visibilité au sein des établissements.

Recommandation n° 3 : Actualiser les ressources juridiques destinées à guider les établissements dans la détection des faits d'antisémitisme en les adaptant aux nouvelles formes prises par l'expression antisémite, notamment lors des récentes mobilisations au sujet de la situation à Gaza.

Recommandation n° 4 : Face à la progression d'un « antisémitisme d'atmosphère », assurer, à titre pédagogique, la diffusion dans les établissements de la définition opérationnelle de l'antisémitisme de l'IHRA, conformément à la résolution adoptée par le Sénat le 5 octobre 2021.

Recommandation n° 5 : Pour répondre à la crainte des représailles et au déficit de confiance des victimes, adapter et diversifier les processus de signalement en associant les acteurs associatifs, en professionnalisant les dispositifs d'écoute, en renforçant les garanties de confidentialité et en faisant connaître la coordination nationale d'accompagnement des étudiantes et des étudiants (CNAE).

AXE N° 2 : PRÉVENIR LES DÉRIVES

Recommandation n° 6 : En ce qui concerne la sensibilisation des étudiants, privilégier les actions obligatoires et ciblées sur certains moments-clés de l'année universitaire, notamment l'entrée dans l'enseignement supérieur, la demande d'agrément des associations étudiantes et le renouvellement de leur bureau, ou avant toute participation à certains événements de la vie étudiante.

Recommandation n° 7 : Systématiser la formation des autres acteurs des établissements (équipes dirigeantes et cadres administratifs, représentants associatifs, référents racisme et antisémitisme, enseignants-chercheurs) aux enjeux opérationnels de la lutte contre l'antisémitisme, notamment à l'occasion du renouvellement prochain des équipes dirigeantes des universités.

Recommandation n° 8 : Intégrer la lutte contre l'antisémitisme dans les cursus de formation par un renforcement du bonus étudiant.

Recommandation n° 9 : Consolider la place des méthodes et des savoirs universitaires dans la lutte contre l'antisémitisme par la préservation des départements d'études juives et hébraïques et la mise en place d'une structure publique de recherche et de formation interuniversitaire dédiée à la lutte contre le racisme et l'antisémitisme.

AXE N° 3 : POURSUIVRE ET SANCTIONNER LES AUTEURS

Recommandation n° 10 : Adapter le régime de la procédure disciplinaire à la sanction des actes racistes et antisémites, en complétant la liste des faits permettant de la déclencher et en renforçant les pouvoirs d'investigation des établissements.

Recommandation n° 11 : Afin d'améliorer le suivi des signalements effectués au titre de l'article 40 du code de procédure pénale, généraliser les conventions de partenariat entre les établissements d'enseignement supérieur et les parquets locaux.

AVANT-PROPOS

Pour de nombreux étudiants, la sauvagerie et la brutalité des attaques terroristes du 7 octobre 2023 et la réponse militaire qui se déploie à Gaza font partie de leurs premières expositions aux terribles réalités d'un conflit international. Les mobilisations qui en ont découlé au sein des établissements d'enseignement supérieur, centrées sur une remise en cause parfois radicale de la politique du gouvernement israélien, ont donné lieu à d'insupportables dérapages reposant sur l'assignation d'étudiants juifs à Israël, réactivant ainsi la sinistre mécanique de l'essentialisation et de l'ostracisation qui se trouve au fondement de l'antisémitisme.

Les événements du 7 octobre ont ainsi agi comme le révélateur cruel de la permanence, au coeur de l'Université, d'un antisémitisme latent : loin d'avoir disparu des enceintes universitaires, la plus ancienne des hostilités identitaires, tirant une nouvelle force de sa légitimation idéologique par le conflit en cours, connaît aujourd'hui une puissante résurgence. Au-delà d'agissements isolés et sporadiques qui n'ont jamais totalement cessé, et qui sont souvent le fait de sympathisants de l'ultradroite, l'inscription de l'antisémitisme dans une nouvelle dynamique collective, attisée par une idéologie qui relève désormais également de l'extrême gauche de l'échiquier politique, constitue une évolution extrêmement inquiétante.

Ce changement d'échelle de l'expression antisémite est inacceptable dans l'ensemble de la société ; il est particulièrement choquant à l'Université, qui devrait être le lieu du débat et de l'ouverture humaniste permettant le dépassement des préjugés, mais devient le centre des affrontements et le symbole de l'impossibilité du dialogue. Elle doit y être fermement combattue, car les enjeux politiques ne doivent pas masquer cette inadmissible réalité au sein de notre République : depuis le 7 octobre, une catégorie d'étudiants a peur de se rendre à l'Université.

Conformément aux principes fixés par le code de l'éducation, les pouvoirs publics ont le devoir de garantir à tous les étudiants les conditions du bon déroulement de leurs études dans un climat serein et apaisé. La situation appelle donc un sursaut de la part de l'ensemble des acteurs de l'enseignement supérieur ; car, si le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche (MESR) a su prendre la mesure de la situation et déployer quelques mesures d'urgence, il reste à ancrer durablement la lutte contre l'antisémitisme au coeur des règles qui s'imposent dans l'enseignement supérieur et des pratiques des établissements.

Face à cette situation, les rapporteurs ont entendu, au cours des deux derniers mois, plus de 60 acteurs en première ligne du combat contre l'antisémitisme à l'Université. S'ils saluent leur engagement et leur implication, ils dressent cependant le constat inquiétant de fortes lacunes dans la détection et le suivi du phénomène, alimentées par la confusion conceptuelle et juridique qui entoure les nouvelles formes de l'expression antisémite et la diffusion d'un climat d'antisémitisme très difficile à combattre.

Dans la perspective de la prochaine rentrée universitaire et compte tenu de l'urgence, ils formulent en conséquence 11 propositions visant à créer les conditions d'un combat résolu et coordonné contre les dérives antisémites à l'Université. Ce combat doit d'abord passer par l'objectivation depuis longtemps attendue du phénomène, au travers de la détection systématique des actes et des dérives associées à un « antisémitisme d'atmosphère » ; il suppose également le déploiement de mesures de prévention efficaces, utilisant les moyens de la méthode scientifique et de la recherche universitaire, et réinscrivant les valeurs républicaines au coeur des mobilisations et des débats étudiants ; il appelle enfin une réponse de fermeté par la sanction des dérives dans un cadre disciplinaire et judiciaire renforcé. Tout en tirant parti des avancées conduites sur d'autres sujets de violences et de discriminations au sein des établissements, notamment dans le cadre de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, ce combat devra tenir compte de la spécificité irréductible de l'antisémitisme.

I. L'UNIVERSITÉ EST CONFRONTÉE À LA PROGRESSION D'UN CLIMAT D'ANTISÉMITISME DIFFUS

Pour endiguer un phénomène, il faut avant tout le mesurer afin de connaître ses déterminants et de définir en conséquence les mesures de lutte les mieux ciblées et les plus efficaces ; la mission d'information n'a malheureusement pu que constater que cette condition initiale était loin d'être remplie en ce qui concerne l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur.

Ses travaux conduisent au contraire à dresser un état des lieux alarmant de la détection et du suivi des actes et propos antisémites dans les établissements. En dépit des signaux pointant vers son aggravation dramatique au cours des derniers mois, il semble en effet que tout ou presque reste à faire pour assurer une évaluation précise du phénomène, qui fait l'objet d'une sous-déclaration manifeste de la part des étudiants victimes en même temps que d'une sous-évaluation problématique de la part des pouvoirs publics. Ces difficultés ont été exacerbées par le contexte des attaques terroristes du 7 octobre 2023 et du conflit qui s'en est ensuivi, qui ont agi comme le révélateur d'un véritable climat d'antisémitisme dans les établissements, particulièrement difficile à mesurer et à combattre.

Les rapporteurs soulignent en conséquence l'urgence de pouvoir disposer d'éléments de mesure fiables et consolidés permettant de détecter systématiquement les comportements délictueux et d'objectiver ainsi la situation réelle dans les établissements. Cet objectif suppose d'achever la structuration des dispositifs de signalement et d'assurer leur visibilité, de déployer un système de suivi des événements robuste et centralisé au niveau du ministère, mais aussi de gagner la confiance des étudiants victimes. Il suppose également que l'ensemble des acteurs concernés se mobilisent effectivement pour assurer le traitement systématique de chaque incident.

A. L'AUGMENTATION DU NOMBRE DES ACTES RECENSÉS NE REND PAS COMPTE DE LA RÉALITÉ DE L'ANTISÉMITISME DANS LES ÉTABLISSEMENTS D'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR

1. Approximation quantitative du phénomène
a) Une regrettable absence de suivi statistique

L'ensemble des acteurs de la sphère publique entendus par la mission d'information ont été interrogés sur le nombre d'actes antisémites enregistré dans les établissements d'enseignement supérieur au cours de la dernière décennie, dans le but d'étudier leur évolution sur le moyen terme et de prendre de la hauteur sur l'effet des attaques terroristes du 7 octobre ; aucune donnée n'a cependant pu être collectée par les rapporteurs sur ce point.

• Il est tout d'abord apparu que le suivi de ces actes n'était pas assuré par le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche avant le second semestre de l'année 2023, ce qu'il a indiqué par cet euphémisme : « Au cours des dix dernières années, le recensement et le suivi des actes et agressions antisémites au sein des établissements d'enseignement supérieur n'ont pas toujours été formalisés dans un cadre institutionnel. Nous y travaillons plus fortement depuis 2017 ».

La délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah) a quant à elle indiqué que « le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche ne dispose de système centralisé de remontées relatives aux signalements d'actes à caractère raciste et antisémite par les directions d'établissements d'enseignement supérieur que depuis août 2023. C'est en effet depuis cette date récente que la cellule ministérielle de veille et d'alerte (CMVA) du haut fonctionnaire à la défense et sécurité (HFDS) du ministère de l'Éducation nationale et de la Jeunesse a été étendue aux établissements relevant de l'ESR. Ce canal officiel est doublé par un second canal de remontée de signalements, via France Universités, mais qui n'a pas de caractère systématique ».

Les données fournies par le ministère en réponse à la demande de la mission d'information émanent en conséquence uniquement d'un dispositif de suivi ad hoc mis en place dans l'urgence au lendemain des événements du 7 octobre, et couvrent la seule période allant du 9 octobre 2023 au 10 mai 2024. Parmi les 184 faits remontés par les établissements sur cette période, 154 correspondent à des « manifestations individuelles ou collectives favorables à la Palestine susceptibles d'entraîner des troubles à l'ordre public », qui ne peuvent être, en l'absence de précisions complémentaires, considérées comme autant d'agissements antisémites. Parmi les 30 faits restants, la plupart (13) étaient liés à des inscriptions, à des injures (7) et à des menaces (6) ; 3 correspondaient à une apologie du terrorisme et du nazisme, et un seul signalement résultait de la commission de violences physiques.

Ces données statistiques sont bien entendu aussi insuffisantes qu'inadéquates pour évaluer l'importance, la diffusion et l'évolution du phénomène dans l'enseignement supérieur.

• Pour des raisons différentes, il n'existe pas davantage de statistiques globales relatives aux plaintes, aux signalements, aux poursuites et aux condamnations traités par les instances judicaires en matière d'actes antisémites dans les établissements d'enseignement supérieur. Le ministère de la justice a ainsi également indiqué n'être « pas en mesure de fournir un bilan chiffré des actes antisémites survenus au sein des établissements d'enseignement supérieur ».

L'arsenal législatif sanctionnant les propos, actes et discriminations racistes repose en effet sur une approche universaliste n'établissant aucune distinction entre les différents groupes de personnes visées. La lutte contre l'antisémitisme étant ainsi appréhendée sans le cadre général de la lutte contre le racisme et les discriminations commises en raison de l'appartenance, réelle ou supposée, à une ethnie, une race ou une religion, il n'est pas possible d'isoler parmi les statistiques du ministère les infractions à caractère spécifiquement antisémite. La circonstance de la survenance dans l'enseignement supérieur n'est en outre pas retenue comme un élément matériel des crimes, délits et contravention recouvrant des actes antisémites.

Interrogée par les rapporteurs, la préfecture de police de Paris n'a quant à elle pu recenser, dans la base de données issues du logiciel de rédaction des procédures de la police nationale (LRPPN), que trois plaintes relatives à des actes antisémites commis dans des établissements d'enseignement supérieur de l'agglomération francilienne. Ces trois plaintes portent sur des faits survenus à l'université Paris 8 de Saint-Denis : deux d'entre elles, déposées en février 2018 et janvier 2024, sont relatives à des inscriptions sur les locaux de l'université ; la troisième a été déposée en janvier 2023 pour apologie et injure suite aux propos antisémites d'un professeur lors d'un cours.

b) Les éléments disponibles laissent entrevoir une situation inquiétante

En l'absence de données fiables produites sur le temps long par un système de suivi unifié au niveau national, plusieurs approches descriptives complémentaires ont permis à la mission de dresser, à défaut d'un relevé exhaustif, une approximation de la dynamique et de la réalité du phénomène dans les établissements d'enseignement supérieur, qui apparaît extrêmement préoccupante.

(1) L'augmentation des manifestations d'antisémitisme constatées dans l'ensemble de la société n'épargne pas l'enseignement supérieur

Depuis les attaques du 7 octobre 2023 et dans le contexte du conflit qui en a découlé, une forte augmentation des actes et propos antisémites a été enregistrée par les services de l'État et les acteurs de la lutte contre les discriminations.

Pour 2023, le service central du renseignement territorial (SCRT) du ministère de l'Intérieur et le service de protection de la communauté juive (SPCJ) ont ainsi recensé un quadruplement des actes antisémites en un an, avec 1 676 remontées contre 436 en 2022. Cette évolution résulte principalement de l'explosion de ces actes au lendemain du 7 octobre : selon les indications données par le Premier ministre lors de son intervention au dîner du conseil représentatif des institutions juives (Crif) du 6 mai 2024, plus de 1 200 actes antisémites ont été signalés entre le 7 octobre et la fin de l'année 2023, et 366 sur les seuls trois premiers mois de l'année 2024.

Cette tendance générale a été illustrée par plusieurs éléments fournis à la mission d'information :

- la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) du ministère de la Justice a indiqué avoir constaté depuis le 7 octobre 2023 une hausse exponentielle des saisines du pôle national de lutte contre la haine en ligne (PNHL) - qui centralise, sous la direction du procureur de la République de Paris, le traitement des affaires significatives de haine en ligne. Sur la base des remontées d'informations des parquets généraux à la DACG - effectuées en application de l'article 35 du code de procédure pénale et « par hypothèse non exhaustives » -, 399 affaires en lien direct ces évènements avaient été enregistrées au 7 mai 2024 en sus de l'activité usuelle du PNHL ;

- la ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (Licra) a indiqué avoir constaté depuis le 7 octobre 2023 un « déferlement de haine antisémite, autant dans la vie réelle que sur Internet et les réseaux sociaux » qui a fortement perturbé le fonctionnement habituel de son service juridique. Entre les mois d'octobre et de décembre 2023, les signalements qui lui sont parvenus ont en effet enregistré une hausse de 158 % par rapport à la même période de 2022. En ce qui concerne les signalements de contenus à caractère antisémite sur Internet, la hausse atteint 230 %. Ces chiffres sont depuis « en constante augmentation ».

• Les établissements d'enseignement supérieur « n'[étant] pas des citadelles fermées » aux évolutions de la société dans laquelle ils s'inscrivent, ainsi que l'a souligné le président de France Universités lors de son audition par la commission le 10 avril dernier, cette dynamique a également été constatée en leur sein. Dans leur grande majorité, les différents interlocuteurs de la mission ont en effet indiqué avoir constaté une forte augmentation des manifestations d'antisémitisme dans les différents établissements d'enseignement supérieur au cours des derniers mois, les attaques terroristes du 7 octobre et le conflit qui en découle ayant à ce titre constitué un moment-charnière.

France Universités a ainsi signalé, sur la base d'une enquête ad hoc renseignée par 82 présidents d'établissement, que 67 actes y avaient été recensés depuis le 7 octobre 2023, contre 33 sur l'ensemble de l'année scolaire 2022-2023, soit un doublement en quelques mois à peine.

Le président de l'université de Strasbourg, Michel Deneken, a indiqué à ce titre que « depuis le 7 octobre se cristallisent une violence verbale ainsi que des violences physiques », tandis qu'Annick Allaigre, présidente de l'université Paris 8, a relevé une « recrudescence de l'expression antisémite » depuis cette date.

(2) Une forte insécurité ressentie par les étudiants juifs

L'étude consacrée au « Regard des étudiants sur l'antisémitisme », réalisée en septembre 2023 par l'institut français d'opinion publique (Ifop) à la demande de l'Union des étudiants juifs de France (UEJF), éclaire quant à elle le ressenti des étudiants de confession juive.

Selon cette enquête, dont les résultats ont été publiés le 28 septembre 2023 dans Le Parisien, 91 % des étudiants juifs de France ont déjà été confrontés à au moins un acte antisémite - 7 % à une agression physique, 43 % à des attaques concernant Israël (qu'il s'agisse de menaces verbales ou d'agressions physiques), et 45 % à des injures antisémites.

Les problèmes de méthode de cette étude ont été pointés par plusieurs des intervenants entendus par la mission, qui ont notamment souligné la petite taille de la population interrogée, l'existence de potentiels biais dans son recrutement, l'absence de dispositif de contrôle ainsi que le rapprochement dans le chiffre global de 91 % d'actes de nature très différentes (de la blague potache exprimant un préjugé au passage à l'acte de la violence physique). Les rapporteurs soulignent que cette enquête n'en témoigne pas moins de la large exposition des étudiants juifs à des agressions ou micro-agressions quotidiennes, susceptibles de fonder un sentiment global de malaise ou d'insécurité de ces étudiants au sein des établissements d'enseignement supérieur. En l'absence de système de mesure plus abouti, il ne paraît en tout état de cause pas opportun de ne pas prendre en compte ces éléments.

(3) Des manifestations d'hostilité de nature très diverse

Ces statistiques globales recouvrent des actes de nature très diverse, allant de l'inscription anonyme à l'agression physique en passant par la blague de mauvais goût, sans que leur répartition n'ait malheureusement pu être établie sur la base des données transmises aux rapporteurs. Plusieurs exemples issus des éléments transmis par les personnes auditionnées permettent néanmoins, en dehors de toute valeur statistique, de se faire une idée de la nature des différentes manifestations d'hostilité auxquelles sont confrontés les étudiants juifs dans l'enseignement supérieur.

De très nombreux cas d'inscriptions à caractère antisémite ont tout d'abord été documentés au cours des travaux de la mission. Des inscriptions racistes, homophobes et antisémites ainsi que des tracés de croix gammées ont ainsi été retrouvés le 4 mars 2022 à l'université de Lyon II ou encore le 5 octobre 2023 à l'université de Caen. Le 3 novembre 2023, des graffitis antisémites (« Mort à Israël, mort aux Juifs », « la mort l'enfer leur va si bien ») ont été découverts dans les locaux de la bibliothèque de l'université Paris 8. Le 26 mars 2024, le campus du Tertre de Nantes Universités a été dégradé par des tags à caractère antisémite. Michel Deneken, président de l'université de Strasbourg, a rapporté que des tags antisémites étaient constatés de façon « quotidienne » pendant plusieurs jours au cours du mois de janvier 2024. La principale difficulté associée à ce type d'agissements repose sur la difficulté d'identifier leurs auteurs, et donc d'engager des procédures de sanction.

D'autres actes visent plus directement certains membres de la communauté étudiante, sous la forme de violences verbales ou de messages menaçants. Le 15 novembre 2023 à la faculté de santé de l'université Toulouse-III-Paul-Sabatier, l'inscription « Sale juive crève » accompagnée d'une croix gammée a ainsi été retrouvée sur les effets personnels d'une étudiante. Le 12 mars 2024 à Sciences Po Paris, l'accès à un amphithéâtre occupé par des manifestants pro-palestiniens aurait été refusé à une étudiante juive - dans l'attente des conclusions de la commission disciplinaire, le déroulé exact des faits reste toutefois à établir. En novembre 2023, un billet portant des inscriptions menaçantes a été déposé dans le bureau d'un professeur de l'université Toulouse-Capitole.

Plusieurs intervenants ont également fourni des exemples de messages insultants diffusés sur des réseaux sociaux ou sur des applications de conversation. En fin d'année 2023, la mise en ligne de plusieurs messages antisémites par un étudiant de Sciences Po Paris a ainsi été signalée à la direction de l'établissement. L'université de Toulouse-Capitole a également signalé avoir été informée de propos antisémites tenus le 5 octobre 2023 par un étudiant dans un groupe rassemblant des étudiants de première année de licence sur un réseau social.

Les cas les plus graves sont bien sûr ceux dans lesquels des étudiants ont été physiquement agressés, comme sur le campus de l'université de Strasbourg dans la nuit du dimanche 28 au lundi 29 janvier 2024. L'UEJF indique à ce titre que trois étudiants de confession juive et membres de cette association, alors qu'ils collaient des affiches appelant à la libération des otages du Hamas et portant la mention « non à l'antisémitisme », ont été menacés verbalement, puis frappés et mis au sol par six personnes aux cris de « fascistes sionistes ».

Des situations de harcèlement et d'ostracisation d'étudiants juifs ont également été rapportées à la mission d'information. Ces actes, qui prennent la forme diffuse d'un « antisémitisme du quotidien » - qui peut passer par des bousculades répétées dans les couloirs, des changements de place dans les amphithéâtres et salles de cours, la répétition de blagues reposant sur des clichés antisémites ou encore l'isolement de certains étudiants à l'heure de constituer des groupes de travail pour la préparation d'un exposé - sont d'autant plus insidieux qu'ils sont difficiles à caractériser.

Typologie des actes antisémites auxquels sont exposés les étudiants juifs
(extrait de l'enquête Ifop de septembre 2023)

(4) Des angles morts ne permettant pas une analyse fine de la situation

Les travaux de la mission d'information n'ont pas permis d'objectiver deux aspects qui auraient enrichi l'analyse du phénomène : la comparaison de la situation dans les établissements d'enseignement supérieurs français à celle constatée dans d'autres pays européens d'une part, et leur prévalence au sein des différents établissements et filières du système français d'autre part.

• Sur le premier point, France Universités a indiqué qu'il n'existe malheureusement pas à ce jour de données robustes permettant de comparer la situation dans les établissements d'enseignement supérieur français à celle des établissements d'autres pays européens. Son président, Guillaume Gellé, a estimé devant la commission, sur le fondement d'échanges avec l'association européenne des universités, que la situation semblait comparable à l'étranger, en soulignant la nécessité d'objectiver cette première approche dans le cadre d'un travail à engager en lien avec l'observatoire national des discriminations et de l'égalité dans le supérieur (Ondes).

• En ce qui concerne la prévalence des actes antisémites parmi les différents établissements et filières de l'enseignement supérieur, la plupart des présidents d'établissements interrogés par les rapporteurs ont indiqué ne pas avoir pu objectiver de disparités particulières. Outre qu'ils sont peu nombreux en valeur absolue, la plupart des actes antisémites signalés apparaissent en effet sporadiques, ce qui ne permet pas de disposer de résultats de recherche permettant d'identifier des filières ou des établissements plus exposés que d'autres à de tels agissements. Le ministère indique à ce titre que « la question des actes d'antisémitisme dans les établissements d'enseignement supérieur est complexe et ne se limite pas à certaines disciplines ou types d'établissements » et que « les incidents signalés couvrent [...] un large spectre de disciplines ».

Au terme de leurs auditions, les rapporteurs ont cependant fait plusieurs constats à cet égard :

- les facteurs les plus fortement corrélés à la survenue d'actes antisémites semblent être la taille des établissements (les établissements de grande taille étant mécaniquement plus exposés au problème) et, de manière indirecte, le degré de mobilisation politique de la population étudiante face au conflit en cours entre Israël et le Hamas (dans la mesure où elle a indirectement pu conduire aux dérapages constatés dans le cadre des manifestations propalestiniennes qui se sont multipliées au cours des derniers mois). La Fondation du Camp des Milles a ainsi souligné la « tradition de plus grande idéologisation et de mobilisation de minorités activistes » dans les départements de sciences humaines et sociales, notamment dans les cursus de sciences politiques ;

- cette approche doit cependant être prise avec une grande prudence dans la mesure où la forte médiatisation des dérapages survenus dans le cadre de ces manifestations a pu produire un effet de loupe sur certains établissements et filières, notamment Sciences Po Paris, alors que la mobilisation y était le fait d'une faible minorité d'étudiants et que plusieurs universitaires ont indiqué à la mission avoir pu, dans le même temps, dispenser des enseignements portant sur l'antisémitisme ou le sionisme dans de bonnes conditions. Il a par ailleurs été souligné que la sous-politisation des étudiants constituait un facteur au moins équivalent dans la survenue de mobilisations donnant lieu à des dérives, dans la mesure où la majorité des étudiants, ne se sentant pas concernés, ne font pas entendre leur voix : ainsi, selon le réseau de recherche Alarmer, « l'immense majorité de la population étudiante française est absente au débat posé » ;

- à l'inverse, la mobilisation en réaction au conflit entre Israël et le Hamas est peu répandue dans les cursus scientifiques et juridiques et de nombreux établissements privés, notamment les écoles d'ingénieur. Hugues Kenfack, président de l'université Toulouse Capitole, a par ailleurs souligné que les étudiants en droit semblent généralement plus informés des conséquences possibles de leurs prises de position et leurs agissements sur leur scolarité ;

- sans que des données spécifiques aient pu être fournies à l'appui de ces témoignages, plusieurs intervenants, parmi lesquels la Dilcrah ainsi que des référents ou anciens référents racisme et antisémitisme, ont par ailleurs fait part de leur préoccupation face à la survenue régulière de manifestations d'antisémitisme dans les facultés de médecine et de pharmacie. Le président de la conférence nationale des doyens de médecine a regretté sur ce point la « dégradation » de la situation dans les facultés de médecine dès avant le 7 octobre 2023, au point désormais que, selon une alerte donnée en janvier 2024 par l'association des médecins israélites de France (AMIF), « certains étudiants en médecine de confession juive ne se sentent pas en sécurité pour poursuivre leurs études ».

2. Un phénomène largement sous-évalué
a) Une sous-déclaration manifeste alimentant un « chiffre noir » de l'antisémitisme

En dépit de la forte dynamique de leur évolution, le nombre des actes antisémites recensés par les universités apparaît faible en valeur absolue, ce qui a conduit le président de France Universités Guillaume Gellé à estimer devant la commission que le phénomène constituait une « dérive ultra-minoritaire ».

On ne peut en effet que constater que le nombre de signalements enregistrés dans les établissements d'enseignement supérieur pour des faits d'antisémitisme est très peu élevé. L'enquête Remede1(*), réalisée à l'été 2023 par l'Ondes et la conférence permanente des chargés de mission Égalite et Diversité des établissements d'enseignement supérieur (CPED), ne relevait à ce titre que des « signaux faibles », selon l'expression utilisée par leurs auteurs devant les rapporteurs de la mission, en ce qui concerne les faits d'antisémitisme constatés dans ces établissements en 2022.

Les faits remontés par les dispositifs de signalement des établissements portaient de fait principalement sur des situations de harcèlement moral (14 signalements en moyenne sur une année pour un établissement), ainsi que sur des cas de violences sexuelles et sexistes (12,1 signalements en moyenne par établissement et par an), loin devant les autres motifs de saisine. Les faits d'antisémitisme arrivent ainsi en avant-dernière position quant au nombre de signalements effectués, et apparaissent donc « très minoritaires » voire « rares », selon les auteurs de l'enquête.

Répartition des motifs de saisine enregistrés par les cellules
de signalement des établissements d'enseignement supérieur en 2022

Source : enquête Remede (Ondes et CPED)

Le fort décalage de ces données avec les résultats de l'étude de ressenti Ifop de septembre 2023 précitée, ainsi qu'avec les témoignages portés par différents responsables d'établissements devant la mission d'information, incitent cependant à la prudence et à l'humilité : il est en effet à craindre que le faible nombre de cas déclarés auprès des services universitaires et judiciaires résulte du silence des victimes plutôt que du faible nombre d'infractions effectivement commises, et de l'inefficacité des systèmes de signalement et de suivi plutôt que de la rareté des manifestations d'antisémitisme dans les enceintes universitaires. La Dilcrah considère ainsi que les chiffres fournis « sont probablement sous-estimés par rapport à la réalité des agressions, intimidations, remarques déplacées et l'ensemble des agissements discriminatoires à caractère antisémites ».

La commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) indique à cet égard que ce décalage, qui n'est guère surprenant, est « du même ordre que celui constaté pour l'ensemble des atteintes à caractère raciste et discriminatoire » du fait de leur « sous-déclaration massive ». Il correspond au « chiffre noir » des agissements racistes et antisémites, qui recouvre le nombre d'actes non déclarés auprès des instances officielles et échappant de ce fait à tout recensement. Les enquêtes de victimation annuellement conduites par le ministère de l'intérieur2(*) établissent ainsi que le taux de victimes ayant déposé plainte est très faible en matière de racisme et de discriminations3(*).

La CNCDH souligne que cet état de sous-déclaration massive, outre qu'il ne permet pas d'objectiver la réalité de la situation et d'en prendre la pleine mesure, a des conséquences plus larges sur le fonctionnement des communautés concernées dans la mesure où « la conviction répandue de l'existence d'une masse d'actes racistes non déclarés, et donc non condamnés, alimente un sentiment d'insatisfaction et d'injustice, douloureux pour les victimes et néfaste pour la cohésion sociale ».

L'exemple récent de la libération de la parole dans le champ des violences sexistes et sexuelles (VSS), qui avaient été très fortement sous-estimées dans l'enseignement supérieur comme dans l'ensemble de la société, constitue par ailleurs un précédent d'une sous-déclaration massive masquant un phénomène solidement enraciné.

Cette analyse n'a cependant pas été partagée par l'ensemble des responsables d'établissement entendus par les rapporteurs, une minorité d'entre eux ayant à l'inverse regretté la surestimation dans les médias des actes antisémites effectivement commis dans les établissements.

La présidente de l'université de Toulouse-Jean Jaurès a ainsi regretté que la forte caisse de résonnance donnée par certains médias et réseaux sociaux aux actes constatés au sein de leurs établissements, dont une vision « grossière » avait pu être donnée dans un objectif « sensationnaliste », avait contribué à « complexifier la situation sur le terrain », et in fine à « causer un tort considérable à [l'] université et à sa communauté », « laquelle ne cesse de témoigner de son étonnement face au décalage inouï existant entre le vécu réel de tout un chacun et l'image de notre établissement véhiculée dans les médias ». Il a par ailleurs été indiqué aux rapporteurs que le fort écho donné dans la presse aux actes antisémites pouvait contribuer à amplifier le sentiment d'insécurité ressenti par de nombreux étudiants de la communauté juive. Il a enfin été souligné que le décalage entre le nombre d'actes antisémites recensés et leur forte médiatisation pouvait contribuer à créer le sentiment contre-productif que toutes les discriminations ne se valent pas.

• La diversité de ces points de vue témoigne en tout état de cause de l'urgence de pouvoir disposer d'éléments de mesure fiables et consolidés de la situation dans les établissements. L'objectivation de la situation constitue en effet un préalable indispensable à la mise au point puis au déploiement d'actions de lutte adéquatement ciblées et dimensionnées.

b) Plusieurs facteurs contribuent à la sous-estimation des actes antisémites dans les établissements
(1) Une difficulté de qualification juridique

Au sens courant, l'antisémitisme peut être défini, aux termes de l'association Alarmer4(*), comme un ensemble d'idées et de pratiques fondées sur l'essentialisation des populations juives, ou considérées comme telles, selon une conception partiellement ou entièrement négative ; il constitue ainsi une forme de racisme aux contenus spécifiques.

Sur le plan juridique, si le Gouvernement affirme clairement, notamment par la voix de son Premier ministre et de sa ministre de l'enseignement supérieur, que l'antisémitisme constitue « un délit et non une opinion », les acteurs de l'enseignement supérieur sont confrontés dans certaines situations à des difficultés pour tracer une ligne de partage claire entre les faits relevant de chacune de ces deux catégories.

Plusieurs des dirigeants d'établissements entendus par la mission d'information ont ainsi indiqué se sentir démunis pour procéder à la qualification juridique de certains actes et propos constatés en leur sein, et notamment pour déterminer un point de rupture entre l'expression d'une opinion politique et des déclarations ou des agissements antisémites. Dans le premier cas, le régime applicable est celui de la liberté d'expression et d'opinion ; dans le second, les faits considérés doivent être sanctionnés en application de la loi pénale - la distinction entre la critique politique légitime, qui constitue un droit fondamental en démocratie, et l'appel à la haine ayant récemment été affirmée par la cour européenne des droits de l'homme (CEDH)5(*).

L'analyse par l'autorité judiciaire des propos et actes susceptibles
de constituer des manifestations d'antisémitisme 

Lors de son audition par les rapporteurs, Marie-Suzanne Le Quéau, procureure générale près la Cour d'appel de Paris, a fourni plusieurs précisions utiles sur la qualification des actes et propos antisémites par les magistrats qui en sont saisis.

Elle a tout d'abord rappelé que les discours de haine, notamment antisémites, font toujours l'objet d'analyses minutieuses et approfondies - par les parquets au moment de l'engagement des poursuites, puis le cas échéant par le juge -, ce qui passe notamment par leur contextualisation systématique. Cette opération suppose l'analyse du propos en lui-même, du contexte dans lequel il est tenu, ainsi que de la personnalité et des antécédents de son auteur.

Elle a ensuite rappelé quelques principes de nature à guider l'appréciation des présidents : les propos exprimant une prise de position politique ne sont a priori pas répréhensibles, une forme de virulence et d'outrance pouvant d'ailleurs être admise dans le cadre d'une expression syndicale ou satirique ; à l'inverse, les propos et les actes se référant à l'appartenance de la ou des personnes visées à la religion ou à la communauté juive et aboutissant à leur essentialisation sont susceptibles de recevoir une qualification délictueuse (discrimination ou provocation à la haine raciale notamment).

Elle a enfin souligné que l'autorité judiciaire devait toujours être saisie en cas de doute afin d'obtenir des clarifications, tout en reconnaissant qu'il existait un véritable « aléa judiciaire » sur ces sujets, plusieurs formations de jugement différentes pouvant porter des appréciations divergentes sur des faits similaires.

L'application quotidienne de ce principe aux actes et propos antisémites a été quasi-unanimement décrite comme très délicate par les chefs d'établissements entendus par la mission, en raison notamment de deux facteurs :

- le contexte de la guerre menée par Israël sur le territoire gazaoui en réponse aux attentats terroristes du 7 octobre 2023 amplifie tout d'abord la difficulté dans la mesure où la critique de la politique israélienne, lorsqu'elle glisse vers une remise en cause radicale de l'existence même de l'État israélien, peut déborder sur une expression antisémite, et le soutien de la cause palestinienne déboucher sur l'apologie du terrorisme. Des slogans utilisés lors des occupations de campus, tel que « From the river to the sea, Palestine will be free » (qui peut sembler supposer la disparition de l'État israélien) ou encore les appels à l'intifada, ainsi que l'utilisation du symbole des mains rouges6(*) ont ainsi suscité de fortes réserves parmi plusieurs personnes entendues par les rapporteurs. La relative jeunesse des auteurs de tels propos - qui peut aussi contribuer à l'inculture, notamment historique, dont ils font parfois preuve7(*) -, tend à augmenter ces risques de dérapage ;

- du fait de l'ambiguïté du terme dans le débat, les prises de position « antisionistes » apparaissent parfois difficiles à qualifier. La procureure générale près la Cour d'appel de Paris a ainsi pu estimer devant les rapporteurs que « si le phénomène n'est pas nouveau, la délicate distinction entre antisionisme et antisémitisme a pris une acuité particulière ces derniers mois au regard des prises de positions sur le conflit israélo-palestinien et la situation actuelle à Gaza ». De l'avis généralement exprimé par les interlocuteurs de la mission d'information, la notion d'antisionisme peut être utilisée dans les établissements comme une critique de la politique de l'État israélien, mais peut aussi constituer une manière déguisée d'exprimer un réel antisémitisme, dont il constitue un « faux nez ». Il revient alors aux responsables d'établissement de décrypter en première ligne ce qui peut relever de l'antisémitisme dans les prises de position antisionistes amalgamantes8(*).

Dans toutes ces hypothèses, l'identification d'un propos antisémite laisse une part importante à l'appréciation des équipes des établissements. La délicate opération de qualification juridique de faits et de propos - menée quasi-quotidiennement dans certains établissements au cours des derniers mois - donne lieu à une forte insécurité juridique, qui se traduit par un risque élevé de contestation des différentes décisions prises par les présidents d'université, notamment lorsqu'elles portent sur l'interdiction préalable d'un événement universitaire. Plusieurs dirigeants d'établissement ont ainsi exprimé le sentiment de se sentir pris en étau entre deux accusations opposées, l'une de criminaliser l'action politique en milieu universitaire, l'autre de ne pas assurer le respect des principes républicains fondamentaux en leur sein. Ces difficultés expliquent la fréquente transmission aux parquets de signalements de propos au titre de l'article 40 du code de procédure pénale, les présidents d'établissements espérant obtenir par ce biais un éclairage sur des situations floues.

Les rapporteurs soulignent ici que toutes les situations limites détectées par les établissements doivent faire l'objet d'un traitement interne ainsi que d'une remontée au ministère et à la justice, afin de permettre à la fois le suivi exhaustif du phénomène et le déclenchement d'un éclairage juridique et/ou opérationnel. Cet éclairage juridique pourra le cas échéant sécuriser l'établissement dans la conduite d'une procédure disciplinaire. Il semble en tout état de cause que le besoin exprimé par les interlocuteurs de la mission porte ici davantage sur la détection des manifestations d'antisémitisme plutôt que sur leur qualification.

Les rapporteurs soulignent par ailleurs que ces difficultés de détection fondent un écart de perception des actes pouvant être considérés comme antisémites, notamment entre les étudiants juifs et non juifs. L'enquête Ifop précitée établissait ainsi que 77 % des étudiants juifs interrogés considéraient que l'antisémitisme était répandu dans l'enseignement supérieur, tandis que 28 % seulement des étudiants non juifs partageaient ce constat. L'enjeu est donc ici aussi celui de la sensibilisation des étudiants, en même temps que celui de la reconnaissance de la réalité à laquelle sont confrontées les victimes.

La répression des actes antisémites dans la loi : les différentes qualifications pénales applicables

L'arsenal législatif applicable en matière de lutte contre l'antisémitisme est particulièrement étoffé et a fait l'objet, pour ses dispositions relevant du code pénal, d'une actualisation législative en 20219(*). Plusieurs catégories d'infractions sont définies et sanctionnées dans les différents textes applicables :

1. Les propos haineux à connotation antisémite sont punis par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui réprime l'expression publique négationniste, injurieuse ou diffamante, ou provoquant à la discrimination, à la haine ou à la violence, à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou non-appartenance à une ethnie, une nation, une prétendue race ou une religion déterminée.

Plusieurs qualifications pénales figurant dans la loi de 1881 sont susceptibles d'être mobilisées à ce titre : la provocation publique à la discrimination, à la haine ou à la violence raciale ou religieuse (article 24 alinéa 7), la contestation de crime contre l'humanité ayant donné lieu à une condamnation par une juridiction française ou internationale (article 24 bis), la diffamation publique à raison de l'appartenance ou de la non-appartenance à une religion déterminée (article 32 alinéa 2), l'injure publique à raison de l'appartenance ou de la non-appartenance, réelle ou supposée, à une religion déterminée (article 33 alinéa 3), l'apologie des crimes contre l'humanité, y compris lorsque ces crimes n'ont pas donné lieu à la condamnation de leurs auteurs (article 24 alinéa 5).

2. Les différents délits de discrimination sont ensuite prévus par les articles 225-1, 225-2 et 432-7 du code pénal. La combinaison des articles 225-1 et 225-2 permet de sanctionner les comportements dont l'un des motifs discriminatoires est lié à l'appartenance ou la non-appartenance, vraie ou supposée, à une prétendue race, une ethnie, une nation ou une religion déterminée. Le délit de discrimination nécessite, pour être caractérisé, que des différenciations aient été opérées entre des personnes physiques ou morales selon des critères précis et dans des situations strictement définies par la loi. L'article 432-7 porte spécifiquement sur les discriminations commises par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service publique dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions.

3. L'incrimination des actes antisémites se fonde également sur la circonstance aggravante générale prévue à l'article 132-76 du code pénal, dont résulte une aggravation de la peine lorsqu'un crime ou un délit puni d'emprisonnement est précédé, accompagné ou suivi de propos, écrits, images, objets ou actes de toute nature qui portent atteinte à l'honneur ou à la considération de la victime ou d'un groupe de personnes dont fait partie la victime à raison de l'appartenance ou la non-appartenance, vraie ou supposée, à une prétendue race, une ethnie, une nation ou une religion déterminée.

4. De manière autonome, l'article 222-13 du code pénal punit plus sévèrement les faits de violences volontaires dès lors qu'elles ont été commises à raison de l'appartenance à une religion déterminée.

5. L'article 225-17 du code pénal permet de réprimer la violation ou la profanation de tombeaux, de sépultures, d'urnes cinéraires ou de monuments édifiés à la mémoire des morts, et partant de sanctionner des actes qui pourraient avoir été commis à raison d'une religion.

6. Les infractions d'entrave à l'exercice d'un culte ont enfin vu leur répression aggravée par la loi du 24 août 2021 précitée.

(2) Le silence des victimes et des témoins

Le second élément contribuant à la très probable sous-évaluation de la diffusion de l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur résulte du silence des étudiants face aux actes antisémites dont ils sont victimes ou témoins. Les rapporteurs soulignent que l'autocensure des étudiants juifs victimes d'actes antisémites a été relevée, de manière remarquable, par la quasi-totalité des interlocuteurs auditionnés par la mission d'information.

• Du côté des victimes, il semble que ce silence s'explique au premier chef par la peur des conséquences sur leur parcours universitaire, voire des représailles que leur prise de parole pourrait susciter.

Le statut étudiant, qui suppose une validation des apprentissages, inhibe en effet par nature la prise de parole des victimes de tous types de discrimination ou de VSS, d'autant plus lorsqu'elles sont le fait de leurs encadrants. Dans les études de santé, cette situation est amplifiée par le contexte spécifique des stages hospitaliers : les étudiants victimes d'actes antisémites ou discriminatoires de la part de leur encadrant peuvent hésiter à dénoncer ses agissements dans la mesure où il lui revient de noter et de valider ce stage. Selon les associations d'étudiants en médecine entendues, ce constat est particulièrement vrai dans les universités non parisiennes, en raison de la quasi-impossibilité de changer d'établissement hospitalier de rattachement au cours des études ; en dehors de la région parisienne, de nombreux internes de médecine sont en effet formés au sein d'un même service dans un même établissement pendant plusieurs années, ce qui entraîne une « omerta évidente ».

La peur des représailles a quant à elle été évoquée au sujet des cursus au sein desquels existe une forte culture de promotion - comme c'est par exemple le cas dans les études de santé ou certaines grandes écoles. Les rapporteurs ont ainsi eu connaissance de cas dans lesquels des victimes ont fait l'objet de harcèlement ou d'une ostracisation de la part de certains de leurs camarades après avoir dénoncé des agissements antisémites. La honte des étudiants victimes de porter les agissements en cause à la connaissance de leurs pairs a également été évoquée.

Selon certaines personnes auditionnées, à ces raisons qui peuvent être partagées par les victimes d'autres types de discriminations, s'ajouterait un motif d'autocensure plus spécifique à l'antisémitisme : une forme de résignation résultant d'une intériorisation de longue date de leur exposition à des agressions antisémites. Hugues Kenfack, président de l'université de Toulouse I-Capitole, a ainsi relevé que plusieurs des victimes entendues au sein de son université indiquaient être « habituées » à entendre des propos antisémites depuis l'enfance, ce qui aboutit à augmenter leur seuil de tolérance face à des propos ou des actes pourtant inacceptables, ou les conduit à minimiser les agissements dont ils sont victimes.

Ces différents éléments peuvent être renforcés par l'isolement de nombreux étudiants, notamment au début de leur parcours dans l'enseignement supérieur, lorsqu'ils se retrouvent pour la première fois éloignés de leurs bases familiales et sociales.

• Du côté des témoins, l'absence de signalement peut résulter, au-delà des difficultés de repérage et de qualification de certains faits, d'une même crainte des représailles, mais également d'une tendance à la minimisation des faits observés - à rapprocher ici d'une absence d'éducation suffisante sur le sujet.

(3) Une sous-utilisation des dispositifs de signalement du fait d'un déficit de visibilité et de confiance

La sous-évaluation de l'antisémitisme dans les établissements d'enseignement supérieur résulte en troisième lieu du fort manque de visibilité, voire d'identification par les étudiants des acteurs chargés de recueillir leurs signalements au sein des établissements. Cet état de fait a été objectivé par l'enquête Remede précitée : selon leurs auteurs, le nombre de signalements enregistrés pour des faits de discriminations, très variable selon les établissements (puisqu'il s'étend de 0 à 183 signalements en 2022), apparaît moins corrélé avec leur taille et le nombre de leurs étudiants qu'avec la qualité et la notoriété de leur dispositif de signalement.

Le fait que les étudiants ne se tournent pas vers ces dispositifs peut également résulter d'un déficit de confiance des étudiants dans ces interlocuteurs, qui repose lui-même sur la crainte que leur anonymat ne soit pas respecté et que les mesures à la disposition de l'administration - notamment les mesures conservatoires reposant sur l'exclusion des auteurs présumés - ne soient pas efficaces pour assurer leur protection. Cette défiance peut être renforcée par le sentiment que les signalements effectués n'aboutissent pas à la prise de sanctions, et que leur utilité n'est donc pas démontrée.

Ces éléments expliquent que de nombreux étudiants ne se tournent pas spontanément vers les différents dispositifs de signalement, d'écoute et d'accompagnement mis à leur disposition par les établissements, mais s'adressent plus volontiers aux associations qui les représentent. Le suivi de leur situation peut alors largement échapper aux acteurs universitaires, qui ne sont souvent pas informés des plaintes déposées par les étudiants victimes lorsque ceux-ci ne se sont pas adressés aux instances de l'établissement.

(4) Deux zones grises : la sphère privée et les temps de stage

Le quatrième ensemble de facteurs contribuant à expliquer la sous-déclaration des actes antisémites dans l'enseignement supérieur résulte du contexte péri-universitaire de la survenue de nombre d'entre eux, qui constitue une « zone grise » du dispositif de signalement et de suivi dans laquelle les mesures de détection et de sanction ne sont pas toujours appliquées.

Cette zone grise englobe tout d'abord l'ensemble des contextes privés dans lesquels ont lieu des interactions impliquant des membres de la communauté étudiante, qu'il s'agisse d'événement festifs organisés en dehors des campus, ou encore d'échanges et de publications sur les réseaux sociaux et les messageries en ligne. Le président de France Universités Guillaume Gellé a considéré à ce titre devant la commission que la sphère privée constituait « l'angle mort de l'ensemble des luttes contre les discriminations et les VSS ». Les établissements n'ont en effet qu'une visibilité très restreinte sur les événements survenant dans ces situations ; dans le cas particulier des réseaux sociaux, leurs ressources humaines ne leur permettent pas d'assurer une veille étendue, et les signalements effectués le sont le plus souvent via le dispositif Pharos. En outre, la possibilité de sanctionner les agissements survenant dans ces contextes fait l'objet d'appréciations diverses de la part des présidents d'établissement10(*), ce qui n'est pas de nature à inciter les étudiants victimes à se tourner vers eux.

Elle englobe ensuite les temps de stage ou d'alternance en dehors des campus, dont Hugues Kenfack estiment qu'ils constituent « la plus grande limite à [l'] action des présidents d'établissement ». Lorsqu'ils sont informés de propos ou d'actes antisémites survenant à l'encontre de leurs étudiants au sein des organisations ou des entreprises qui les accueillent, les responsables d'établissement n'ont en effet pas la possibilité de contraindre leurs employeurs à respecter leurs obligations légales, ni bien entendu de sanctionner des auteurs n'appartenant pas à la communauté universitaire. Les seuls moyens de lutte résident alors dans la sensibilisation préalable des organisations d'accueil, notamment via la signature d'une convention au moment de la conclusion du contrat de stage ou d'alternance, et l'accompagnement des étudiants victimes. Les conséquences de telles situations sur le cursus des étudiants victimes ne sont cependant pas neutres, certains étudiants n'ayant pas d'autre choix que de mettre fin à leur stage, ce qui peut mettre en cause la validation de leur année.

(5) La pratique des équipes dirigeantes

Plusieurs des acteurs entendus par les rapporteurs ont enfin indiqué que la faiblesse des remontées était également à mettre en lien avec la pratique des différents présidents et équipes dirigeantes des établissements d'enseignement supérieur. La CNCDH a ainsi regretté la « réticence » de certains de ces responsables à prendre la pleine mesure de certaines situations dès lors qu'elles sont susceptibles de mettre en cause leur responsabilité et de porter atteinte à l'image de leur établissement. La Licra a également mis en avant le « risque réputationnel » pour expliquer la « partialité » des remontées effectuées par les équipes dirigeantes, ainsi qu'un « manque de connaissance quant aux obligations qui leur incombent ».

La Fondation du Camp des Milles a plus largement regretté que le traitement du racisme et de l'antisémitisme soit « encore pris du bout des doigts par certains établissements, qui ont tendance à mettre un couvercle prudent sur ces questions » au travers d'un traitement « a minima et sans vagues » des incidents constatés, seuls les agissements les plus graves faisant l'objet d'un signalement.

Trois raisons sont données à cette approche par la Fondation : la crainte d'apparaître comme un « mauvais élève » au regard du ministère, celle de traiter un événement d'une manière inadaptée donnant lieu à l'engagement de leur responsabilité, ou celle plus générale de rouvrir à cette occasion le débat sur des questions identitaires récurrentes, notamment autour des signes religieux.

3. Les efforts d'objectivation du phénomène se heurtent à l'existence d'un climat d'antisémitisme dans les établissements

L'ensemble des difficultés ainsi constatées pour établir une évaluation fiable de la prévalence de l'antisémitisme dans les établissements d'enseignement supérieur résulte par ailleurs d'une difficulté plus générale tenant à la spécificité du phénomène, qui n'est comparable que dans une certaine mesure aux autres violences et discriminations dont peuvent être victimes les étudiants. Les établissements sont en effet confrontés, au-delà des actes qui peuvent être repérés, signalés et sanctionnés, à un climat général qu'il est particulièrement difficile de combattre, et à l'égard duquel les événements du 7 octobre 2023 ont agi comme un révélateur.

a) Depuis le 7 octobre, une polarisation idéologique débouchant sur l'ostracisation d'étudiants juifs du fait de leur assimilation à Israël

• Le contexte des massacres perpétrés par le Hamas contre des civils israéliens le 7 octobre 2023 et le conflit qui s'en est ensuivi a donné lieu à une forte polarisation idéologique, le soutien apporté à la population palestinienne se traduisant par une critique radicale de la politique d'Israël, voire une remise en cause de l'existence même de cet État. Cette critique peut glisser vers des formes diverses d'expression antisémite, reposant notamment sur l'essentialisation des étudiants juifs et leur assimilation à l'État d'Israël : du simple fait qu'ils sont juifs (ou perçus comme tels), ces étudiants sont considérés comme partisans du gouvernement israélien et comptables, voire complices de son action militaire. Le CRIF indique en ce sens que « les étudiants [juifs] sont assignés à répondre de la situation au Proche-Orient, à clarifier sans cesse leur position, parfois tenus directement pour responsables de la politique du gouvernement israélien. Tout attachement à Israël devient une forme de complicité coupable ».

Selon le témoignage apporté par l'UEJF comme par la Licra, cette assignation des étudiants juifs à l'État israélien a donné lieu à une exacerbation des propos et des actes antisémites au cours des derniers mois - utilisation dévoyée du terme de « sioniste » pour remplacer le mot « juif » dans des déclarations insultantes, prise à parti d'étudiants juifs ou affichant une sympathie à l'égard d'Israël devant la collectivité étudiante, marginalisation et ostracisation de certains élèves, cyberharcèlement sur des boucles de messagerie de promotions étudiantes ou les réseaux sociaux.

Les mobilisations étudiantes en faveur de la Palestine survenues dans certains Instituts de sciences politiques ont bien entendu constitué l'image la plus frappante de cette polarisation, le refus d'accès à un amphithéâtre occupé à une étudiante au motif qu'elle serait « sioniste » ayant immédiatement donné à voir le risque de glissement antisémite associé. Au jour de la préparation du présent rapport, la plupart des mobilisations qui ont suivi ont donné lieu à des signalements relatifs à des troubles à l'ordre public, et non à des actes antisémites ; la Dilcrah relève à cet égard que « sans devancer le travail de la justice, la probabilité est élevée que certaines de ces manifestations aient pu revêtir un caractère antisémite ».

La contribution de ce facteur à la diffusion d'un climat d'antisémitisme dans les établissements a été exprimée en ces termes par la Dilcrah : « [Les éléments contribuant à la progression des actes antisémites] sont vraisemblablement multiples et croisent des dynamiques personnelles, liées à des propos tenus dans des cercles familiaux ou amicaux véhiculant des représentations négatives fantasmées des juifs, et des dynamiques collectives, liées à la circulation, dans des cercles militants et associatifs, de propos, remarques, considérations criminalisant le sionisme et celles et ceux supposés en être les relais en France ».

• Ces formes politiques, voire idéologiques, des manifestations d'antisémitisme sont d'autant plus difficiles à combattre qu'elles sont endossées par certaines figures d'autorité, comme des enseignants ou des élus étudiants, et qu'elles sont présentées comme s'inscrivant dans le cadre de la liberté d'expression et de la prise de position politique. La Dilcrah a ainsi indiqué, en réponse au questionnaire qui lui a été adressé, que « les forums de discussion professionnels [...] ont été le théâtre, depuis le 7 octobre 2023 et presque sans discontinuer, de nombreux propos ne relevant aucunement du débat scientifique mais de l'invective et de la prise à partie militante avec, hélas, une insuffisante modération de la part des services compétents au sein des universités ». La fresque retrouvée le 8 novembre 2024 sur un mur de l'hôpital Bichat à Paris, qui portait notamment les inscriptions « Décolonisons la médecine » et « Fuck antisémitisme, Free Palestine, Fuck apartheid » a offert une autre illustration frappante de la confusion qui règne, dans les cercles militants des universités, entre l'expression politique et le délit antisémite.

Ce climat général a créé chez nombre d'étudiants juifs, qui ressentent avec une grande violence cette réduction de leur identité juive à la question israélienne, une angoisse sourde qui les conduit à redouter et à éviter la fréquentation des campus des établissements et à renoncer à certains attributs de la vie universitaire.

Plusieurs interlocuteurs de la mission ont par ailleurs relevé un climat délétère qui touche l'ensemble de la communauté étudiante et dans lequel certains sujets, comme la question israélienne, ne peuvent être abordés sereinement au sein de certaines enceintes universitaires. Ces situations demeurent cependant circonscrites : plusieurs des universitaires rencontrés, tout en déplorant l'existence de tels développements, ont également indiqué avoir pu dispenser des enseignements de qualité sur des sujets sensibles touchant à la question israélienne, y compris à Sciences Po au plus fort de la mobilisation propalestinienne.

• Cette évolution récente des manifestations d'antisémitisme, passées de cas sporadiques et individuels à une dynamique plus collective, constitue en tout état de cause une forte source d'inquiétude chez les différents interlocuteurs de la mission - car s'il est possible de définir une stratégie même imparfaite de lutte contre des actes identifiés et caractérisés, il est bien plus difficile de combattre un climat. La Dilcrah souligne à cet égard que « les revendications des collectifs d'étudiants, incluant régulièrement des demandes de suspension des partenariats avec des universités, des chercheurs ou des entreprises israéliens ou ayant des liens avec cet État, laissent également planer l'inquiétude d'un basculement d'échelle et de nature des actes antisémites observés ».

b) Le révélateur d'un antisémitisme d'atmosphère

Cette irruption d'une forte expression antisémite dans les mobilisations étudiantes a globalement été analysée, au cours des auditions conduites par la mission d'information, non comme une forme nouvelle d'antisémitisme, mais comme la puissante résurgence, via une expression politique voire idéologique, d'un antisémitisme latent tirant une nouvelle force de sa légitimation par le conflit en cours, dont l'instrumentalisation fournit un prétexte pour porter ses manifestations à un degré supérieur. La notion de « libération » d'un antisémitisme sous-jacent, ou « antisémitisme d'atmosphère » aux termes de l'UEJF, a ainsi été utilisée à de multiples reprises par les différents interlocuteurs rencontrés.

Marie-Anne Matard-Bonucci, professeure d'histoire contemporaine à l'université de Paris 8 et présidente de l'association Alarmer précitée, a souligné en ce sens la profondeur historique de l'antisémitisme, qui constitue la plus ancienne des hostilités identitaires, et rappelé que sa matrice initialement religieuse a été sécularisée aux XIXe et XXe siècles dans des variantes d'extrême droite et d'extrême gauche dont aucune n'a entièrement disparu à ce jour.

Les manifestations d'antisémitisme auxquelles nous assistons depuis quelques mois puisent ainsi dans un fonds ancien et pluriséculaire de préjugés, auxquels se rattachent le soupçon de double allégeance ou de complotisme particulièrement mobilisés dans le contexte de polarisation idéologique précité. Les formes culturelles prises par cet antisémitisme, comme les blagues stéréotypées auxquelles 80 % des étudiants juifs interrogés par l'Ifop en 2023 ont déclaré avoir déjà été confrontés, témoignent de son caractère latent et de la pérennité des préjugés associés, dont résulte une diffusion insidieuse - y compris, comme l'a souligné Mme Matard-Bonucci, chez des personnes se pensant prémunies contre l'antisémitisme. Les résultats du dernier baromètre de la CNCDH11(*), présentés dans le cadre du 33e rapport annuel de l'institution, attestent également de ce qu'en dépit de l'émergence d'un « antisionisme amalgamant et diabolisant Juifs, Israéliens et sionistes », l'antisémitisme reste largement structuré par les vieux stéréotypes liés au pouvoir et à l'argent.

Les rapporteurs souscrivent en conséquence pleinement au constat formulé par la Dilcrah, qui relève dans sa réponse au questionnaire qui lui a été adressé que « cet antisémitisme à bas bruit est extrêmement préoccupant et délétère car il se maintient comme un poison dans les relations entre [l'ensemble des membres de la communauté étudiante] ». Cette préoccupation est renforcée par le fait que les agissements en cause ne peuvent pas toujours être détectés ni sanctionnés dans le cadre administratif des signalements, dans la mesure où ils ne correspondent pas à des catégories d'actes visés par le droit - on pense notamment à l'exclusion de fait des étudiants juifs au moment de constituer des groupes de travail ou aux changements de place dans les amphithéâtres. Le CRIF résume ainsi la difficulté : « L'antisémitisme ne se manifeste pas toujours à travers des actes violents mais bien souvent à travers un climat diffus, tout à fait perceptible par les étudiants mais pas nécessairement répréhensible ».

B. UN DISPOSITIF DE DÉTECTION ET DE SUIVI À REFONDER

Face à cette situation extrêmement inquiétante, il apparaît urgent d'achever enfin la structuration du dispositif de recueil et du mécanisme de remontée d'informations qui émerge depuis plusieurs années dans certains établissements d'enseignement supérieur, sans qu'une politique publique résolue n'ait jusqu'ici véritablement permis d'assurer leur harmonisation et leur pilotage.

Comme ce fut le cas dans le domaine des violences sexuelles et sexistes (VSS), cet effort devra être accompagné d'un changement de culture paradigmatique : l'augmentation des chiffres des remontées, qui seule peut permettre d'améliorer la connaissance du phénomène et de reconnaître la situation des victimes, devra paradoxalement être interprétée - au moins dans un premier temps - comme le signe positif d'une libération de la parole sur le sujet des manifestations d'antisémitisme, et comme la preuve que le dispositif sera entré dans les pratiques et les réflexes de la communauté étudiante.

1. Achever la structuration des dispositifs de signalement

Les dispositifs de signalement aujourd'hui en place dans les établissements d'enseignement supérieur souffrent de plusieurs faiblesses structurelles qui entravent leur efficacité : une absence de base législative consolidée et un déploiement laissé au libre choix des établissements donnant lieu à des pratiques hétérogènes d'une part ; une insuffisante identification par la communauté étudiante et un déficit de confiance de la part des victimes et des témoins d'autre part.

Tout en reconnaissant que les établissements sont globalement mieux armés qu'il y a dix ans pour faire face aux problèmes posés par les discriminations, les rapporteurs estiment dès lors indispensable d'achever la structuration de ces dispositifs par la définition d'un cadre harmonisé au niveau de la loi. Afin que la communauté étudiante s'en saisisse effectivement, cette clarification normative devra en pratique être accompagnée par des actions visant à assurer leur visibilité et à les faire apparaître comme des interlocuteurs de confiance.

a) L'actuel cadre de fonctionnement des cellules de signalement souffre de plusieurs faiblesses
(1) Un corpus de dispositions disparate et laissant une large place à la bonne volonté des établissements 

La mise en place dans les établissements d'enseignement supérieur d'un réseau de référents compétents en matière d'antisémitisme s'est faite par tâtonnements successifs, plusieurs textes et orientations émanant de ministères différents s'étant succédé sur ce sujet depuis 2011. Cette sédimentation progressive, conduite au gré des priorités de politique publique du moment, a produit un corpus disparate, composé de textes de niveaux différents et parfois inadaptés au cadre particulier de l'enseignement supérieur.

• La création de missions « Égalité » dans les établissements à partir des années 2000 a constitué une première étape. D'abord mises en place à l'initiative des établissements puis promues par la Charte pour l'égalité entre femmes et hommes dans les établissements d'enseignement supérieur adoptée par la conférence des présidents d'université en 2009, ces structures étaient originellement compétentes en matière de parité et d'égalité entre les femmes et les hommes. Après leur inscription dans la loi en 201312(*), c'est cette première approche des sujets de discrimination qui a prévalu dans les universités jusqu'en 2015.

Une nouvelle approche incluant également les sujets de diversité et d'inclusion s'est développée à partir de 2015 au niveau national, avec la mise en place des référents « racisme et antisémitisme » prévus dans le cadre du plan interministériel « Grande mobilisation de l'école pour les valeurs de la République ». Leur création visait alors à « renforcer les outils à disposition des établissements supérieurs pour rappeler à l'ensemble de la communauté universitaire dans les formes qui paraîtront les plus adaptées les règles applicables dans le supérieur en matière de laïcité et de luttes contre les discriminations et accompagner la mise en oeuvre des politiques d'établissements en matière de lutte contre le racisme et l'antisémitisme ».

En pratique, ces référents ont le plus souvent été installés dans le cadre des missions Égalité préexistantes, qui sont alors devenues des missions « Égalité et diversité » et dont les référents ont cumulé plusieurs fonctions. Depuis lors, leur action s'est inscrite dans le cadre des plans nationaux de lutte contre le racisme, l'antisémitisme et les discriminations liées à l'origine qui se sont succédé sous le pilotage de la délégation interministérielle à la lutte contre le racisme et l'antisémitisme (Dilcrah).

• En 2019, l'adoption de la loi de transformation de la fonction publique13(*), en rendant obligatoire la définition dans tous les établissements publics de plans pour l'égalité entre les femmes et les hommes - et donc la généralisation des missions Égalité - ainsi que la mise en place de dispositifs de recueil de signalements en matière notamment de discriminations, a marqué une nouvelle étape dans la diffusion et la professionnalisation de ces missions et de ces référents. Il faut ici relever que ce texte ne concerne pas spécifiquement les établissements d'enseignement supérieur.

En ce qui concerne tout d'abord l'obligation faite aux établissements d'adopter un plan d'action pour l'égalité entre les femmes et les hommes, force est de constater qu'elle a largement été suivie d'effet au-delà du domaine visé par la loi, jusque dans le champ des discriminations. Un rapport du MESR du 2 février 2022 relevait ainsi que chacun des 181 établissements de l'enseignement supérieur avait effectivement adopté un plan « Égalité » à cette date tandis que, selon l'enquête Remede précitée, 63 % des missions Égalité et diversité constituées14(*) intervenaient également en matière de lutte contre le racisme et l'antisémitisme.

S'agissant ensuite de la mise en place d'un dispositif de signalement des discriminations, les rapporteurs observent que, alors que l'obligation définie par la loi portait uniquement sur le recueil des signalements des agents de la fonction publique, les établissements ont élargi ce périmètre à l'ensemble de la communauté étudiante. Ces dispositifs de signalement, accessibles aux victimes comme aux témoins, sont généralement composés d'une cellule d'écoute et d'une équipe pluridisciplinaire dédiée à l'analyse des situations associant tous deux les différents référents de l'établissement, y compris, selon les cas, les référents racisme et antisémitisme. L'enquête Remede relève à ce titre que la loi de 2019 a constitué un véritable accélérateur de la mise en place des cellules de signalement : si un établissement sur quatre avait déjà mis en place ce type de dispositif avant 2019, plus de la moitié des dispositifs de signalements existant en 2022 ont été instaurés depuis 2021 ; 82 % de ces dispositifs de signalement concernaient, outre les faits de violences sexuelles et sexistes, les situations de discrimination.

De l'avis généralement exprimé par les interlocuteurs de la mission d'information, la structuration des missions Égalité, qui relève d'une obligation législative dans le cadre d'une politique conduite au niveau national, est aujourd'hui plus avancée que celle du réseau des référents racisme et antisémitisme, dont la création a été laissée à l'appréciation des établissements. En dépit d'un suivi rapproché assuré par la direction générale de l'enseignement supérieur et de l'insertion professionnelle (Dgesip), qui a désigné en son sein une chargée de mission pour le racisme, l'antisémitisme, les discriminations et la laïcité, le fonctionnement de ce réseau semble aujourd'hui toujours en construction.

• Dans le contexte de l'augmentation des actes antisémites dans les établissements à la suite des attaques du 7 octobre, son déploiement a cependant très récemment fait l'objet de nouvelles instructions de la part du ministère, notamment par la voie réglementaire.

Par un courrier du 27 octobre 2023, la ministre de l'enseignement supérieur a tout d'abord enjoint les directions et présidences d'établissement à désigner un référent compétent en matière de racisme et d'antisémitisme parmi l'ensemble de leurs différents personnels.

Une circulaire de la Dgesip en date du 9 janvier 2024 est ensuite venue compléter l'édifice réglementaire préexistant en précisant les contours de la fonction de référents racisme et antisémitisme, dans le but d'assurer « leur mise en visibilité et leur professionnalisation ». Outre qu'elle rend leur désignation obligatoire, cette circulaire introduit l'incompatibilité de la fonction avec celle de référent « radicalisation » et précise les obligations respectives des chefs d'établissement et du ministère à leur égard. Elle prévoit notamment que les référents participent à la détermination de la politique de leur établissement en matière de lutte contre le racisme et l'antisémitisme, recensent les actes à caractère antisémite y survenant, sensibilisent ses publics à la lutte contre le racisme et l'antisémitisme, et contribuent aux signalements et aux médiations. Elle précise également qu'ils doivent bénéficier d'une formation adaptée, qui peut notamment être dispensée par la Licra dans le cadre du partenariat noué avec le ministère, ou s'inscrire dans le diplôme universitaire (DU) de formation à la lutte contre le racisme et l'antisémitisme proposé par l'Université Paris 8 en partenariat avec la Dilcrah.

Ce réseau compte aujourd'hui 222 référents répartis dans les universités, les grandes écoles et les organismes de recherche, contre 140 en 2019 et 150 en 2023. Les acteurs de l'enseignement privé entendus par les rapporteurs ont par ailleurs indiqué que des référents compétents en matière de discriminations étaient également présents dans tous leurs établissements.

• L'ébauche de politique de détection et d'accompagnement ainsi définie diffère ainsi dans sa construction même de celle mise en oeuvre dans l'enseignement primaire et secondaire : ses différents dispositifs ne constituent pas la courroie de transmission d'une politique définie de manière unifiée au niveau national, mais des outils à la main des établissements dans le cadre du principe de l'autonomie des universités.

(2) Une mise en oeuvre hétérogène

En pratique, ces différentes dispositions sont effectivement mises en oeuvre de manière très hétérogène selon les établissements - l'écart entre le nombre de signalements effectués par chacun d'entre eux reflétant en partie l`efficience de l'approche retenue. Cette hétérogénéité peut être constatée au point de vue du choix des dispositifs mis en place, des moyens qui leur sont alloués ou encore des actions de communication déployées.

(a) Des modèles de fonctionnement variables

Au cours de leurs auditions, les rapporteurs ont ainsi pris connaissance de plusieurs modèles de fonctionnement notables.

• Il apparaît tout d'abord que, si la plupart des établissements (70 % de l'échantillon de l'étude Remede) s'appuient uniquement sur leurs ressources internes pour faire fonctionner leur dispositif de signalement, d'autres délèguent, par voie de convention, tout ou partie de ces missions à des structures extérieures spécialisées. Dans cette forte minorité d'établissements (29 % de l'échantillon Remede), la partie externalisée du dispositif concerne l'accompagnement des victimes, l'écoute ou le recueil de signalement, voire les trois fonctions à la fois. Aucune donnée ne permet cependant à ce jour de conclure à la plus grande efficacité de l'une ou l'autre de ces solutions.

• Les rapporteurs soulignent ensuite, sur le fondement de l'enquête Remede précitée, que le champ et l'intitulé des dispositifs mis en place sont très variables d'un établissement à l'autre. Tous les établissements ne se sont pas dotés d'un référent compétent en matière d'antisémitisme ; à l'inverse, la dénomination des cellules de signalement mises en place ne fait pas toujours apparaître cette notion, y compris lorsqu'elle relève pourtant de leur champ de compétence.

• Il semble enfin que la garantie de l'anonymat des victimes et des témoins soit un facteur déterminant de leur décision de se tourner vers les dispositifs de signalement, en même temps que celle de la confidentialité des échanges et de l'étanchéité de leur fonctionnement vis-à-vis des autres instances de l'établissement. Plusieurs universités ont en conséquence déployé des portails permettant de déposer un signalement de manière anonyme, ce qui constitue une première voie d'entrée vers un éventuel accompagnement des victimes. À l'université de Strasbourg, un site Internet permettant la collecte de témoignages, dont la lecture n'est ouverte qu'au fonctionnaire de sécurité et de défense, a ainsi très récemment été lancé en réponse aux difficultés constatées pour prendre la mesure des actes antisémites dans l'établissement. Dans la plupart des établissements, la cellule d'écoute peut être contactée via une adresse mail dédiée.

Selon la Licra, les attentes des victimes portent en outre sur la définition d'un processus de signalement qui soit à la fois clair et simple, ce qui suppose notamment d'éviter la multiplication des interlocuteurs obligeant les victimes à réitérer leur témoignage.

Cette demande d'anonymat apparaît parfois difficile à concilier avec la nécessité de réagir rapidement et efficacement face à des situations parfois très graves. La présidente de l'université de Toulouse-Jean Jaurès a ainsi indiqué que depuis le 7 octobre, le circuit informel de signalement jusqu'alors observé avait été consolidé afin de s'assurer de l'association de l'ensemble des acteurs compétents au sein de la cellule de crise de l'établissement - qui rassemble, au-delà de sa présidente, son premier vice-président, le directeur de cabinet, le directeur général des services, la directrice des affaires juridiques, le responsable de la sécurité, les responsables de la communication, le fonctionnaire chargé de la sécurité et de la défense ainsi que le référent pour la laïcité et la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et les discriminations.

Exemple d'un circuit de signalement :
le processus prévu à l'université Toulouse-Capitole

(b) Un déficit de visibilité résultant d'une insuffisante communication de la part des établissements

Les auditions conduites par les rapporteurs ont également permis de mettre en évidence un fort déficit de visibilité et d'identification des dispositifs de signalement auprès des étudiants, et même des différentes instances des établissements.

La CNCDH a cité à ce titre une enquête conduite par l'Union nationale des étudiants de France (Unef) en juin 2020. Si la méthodologie de cette étude apparaît sur certains points sujette à caution, les tendances lourdes qu'elle dessine sont préoccupantes et méritent d'être prises en considération : à cette date, 7 % des universités ne communiquaient sur aucun dispositif de lutte contre les discriminations, une seule université s'était dotée d'une vice-présidence chargée de la lutte contre le racisme, et 57 % des étudiants interrogés indiquaient ne pas connaître la démarche permettant de déclarer un comportement raciste constaté dans l'enceinte de l'établissement.

Les rapporteurs relèvent avec intérêt que nombre d'établissements ont depuis lors choisi de désigner, au sein de leur équipe dirigeante, un vice-président chargé des sujets relatifs à l'égalité et/ou à la lutte contre les discriminations. Cette organisation, adoptée selon Philippe Liotard, président de la conférence permanente des chargés de mission Égalité et diversité (CPED), par un tiers environ des établissements, permet de renforcer l'efficience des dispositifs précités : elle assure en effet que leur projet est porté politiquement au niveau de la direction de l'établissement ; elle renforce ensuite la visibilité des sujets de discrimination par la communauté étudiante, qui peut ainsi identifier un interlocuteur à interpeller ; elle détermine enfin, vis-à-vis des acteurs extérieurs, un point d'entrée permettant d'aborder ces questions de manière efficace.

(c) Des disparités dans l'allocation des moyens de fonctionnement

À l'hétérogénéité constatée dans les dispositifs déployés s'ajoutent de fortes disparités dans les moyens de fonctionnement qui leur sont alloués.

• Cette situation résulte tout d'abord du silence des textes sur ce point, qui ne définissent pas de seuil minimal de moyens à consacrer à ces différentes missions, notamment sous la forme de crédits ou de décharges horaires - seule la question de la formation des référents étant abordée. Dans le contexte de la forte contrainte pesant sur le financement des établissements, ces dispositifs apparaissent en outre comme des variables d'ajustement budgétaire de choix. L'allocation de moyens correctement dimensionnés aux besoins de fonctionnement des cellules de signalement est cependant cruciale pour assurer la rapidité de leur réaction, dont dépend leur crédibilité auprès de la communauté étudiante.

La conférence permanente des chargés de mission Égalité et diversité (CPED) indique ainsi que les modalités de définition du budget des missions Égalité est très variable d'un établissement à l'autre : certains d'entre eux seulement disposent d'un budget dédié ; pour d'autres, ce budget résulte uniquement de l'addition du coût salarial des personnes travaillant spécifiquement pour la mission ; d'autres encore bénéficient de financements obtenus sur des appels à projets ; il arrive enfin que les établissements allouent aux missions Égalité une part des crédits de la contribution étudiante pour la vie du campus (CVEC), dans la mesure où une large partie des actions de sensibilisation menées par ailleurs concernent au premier chef les étudiants.

De nombreuses missions Égalité assurent ainsi, avec des moyens humains très limités, des missions très diverses allant de la sensibilisation des étudiants à l'accompagnement des victimes, pour un domaine très vaste couvrant parfois toute l'étendue du champ des discriminations, de l'égalité entre les femmes et les hommes à l'antisémitisme, en passant par les VSS. Hugues Kenfack, président de l'université Toulouse Capitole, a résumé en ces termes le sentiment globalement exprimé par les responsables d'établissements publics comme privés et les référents racisme et antisémitisme entendus par les rapporteurs : « Il est beaucoup demandé aux établissements sans souci des moyens humains et financiers qu'ils peuvent y consacrer ». Certains des référents entendus par la mission ont en ce sens pointé des situations de souffrance au travail chez ces chargés de mission, voire de burn-out en raison du hiatus entre l'étendue de leurs missions et la faiblesse des moyens dont ils disposent.

• Les rapporteurs soulignent que, dans ce domaine comme dans d'autres, la question des moyens ne peut tout régler et que la généralisation de certaines bonnes pratiques pourrait constituer une piste à explorer en première intention : désignation de référents dédiés aux différents sujets de discriminations et de violences mais travaillant en commun, recrutement des référents sur profil adapté aux missions, formation professionnalisante systématique des référents, déploiement de procédures d'orientation rapide des victimes et des témoins, évaluation systématique des actions menées pour identifier ce qui fonctionne bien, etc.

Ils relèvent cependant un certain consensus quant aux besoins exprimés lors des auditions pour assurer un fonctionnement satisfaisant des cellules de signalement :

- la principale préoccupation exprimée porte sur la capacité des établissements à dégager du temps pour assurer les missions correspondantes. Selon les établissements, ce besoin peut se traduire par des décharges horaires, du temps dédié à la formation, la mise en place de postes administratifs permettant d'assurer le suivi des dossier ou l'accomplissement de certaines tâches spécifiques comme la veille sur les réseaux sociaux. Il suppose également que les référents désignés par les établissements ne cumulent pas de missions trop vastes : il apparaît ainsi peu pertinent que la lutte contre les VSS et celle contre le racisme et l'antisémitisme soient endossées par un unique référent. Il passe enfin par une rationalisation du pilotage du réseau des référents, qui, selon plusieurs interlocuteurs de la mission, doivent assister à de nombreux webinaires qui se déroulent parfois en même temps ;

- une professionnalisation des référents et des différents intervenants dans le processus de signalement par des formations dédiées. La qualité des formations proposées à ce titre par le ministère a globalement été reconnue. Pour autant, elle ne couvre pas tout le champ des besoins des établissements, qui doivent alors assumer le coût parfois important de formations complémentaires en sus du recours à des professionnels (psychologues, travailleurs sociaux) extérieurs ;

- la mise à disposition de moyens matériels permettant d'accueillir les victimes et les témoins avec la confidentialité et la discrétion nécessaires, notamment une salle dédiée à l'écoute et au recueil de signalements.

• Plusieurs associations étudiantes ont par ailleurs insisté sur les limites du fonctionnement par appels à projets, qui permettent certes d'augmenter ponctuellement les moyens alloués à certaines missions, mais sans inscrire les actions correspondantes dans la durée - les projets ainsi déployés étant généralement définis par réaction à l'actualité - et en concentrant les moyens sur quelques établissements seulement.

(d) Une absence de pilotage sur le temps long

Cette dernière observation rejoint le sentiment globalement exprimé d'une absence de pilotage ferme de la politique de lutte contre le racisme et l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur sur le temps long - sans mettre en cause pour autant la qualité et l'engagement unanimement reconnus des interlocuteurs ministériels aujourd'hui en poste sur ce secteur.

La définition de priorités en réaction aux événements d'actualité conduit en effet à faire varier, au gré des sollicitations retenues, les moyens alloués aux différentes cellules de lutte contre les discriminations ainsi que la visibilité de leur action. Si le travail accompli à ce titre sur les VSS ou encore la lutte contre les discriminations touchant les personnes LGBT a été largement salué, de nombreux interlocuteurs ont cependant regretté que cette approche par priorités contraigne en pratique les établissements à faire des choix entre les différents combats portés par les dispositifs Égalité et les cellules de signalement, voire à mettre fin à certaines actions qui fonctionnaient pourtant de manière satisfaisante.

Ce mode de fonctionnement, outre qu'il obère bien entendu l'efficacité de l'action des référents et des dispositifs de signalement, est de plus très préjudiciable à la visibilité de ces structures et donc à leur ancrage dans la vie des établissements : ainsi que l'a souligné Philippe Liotard, seule la conduite d'actions dans la durée peut permettre aux structures de lutte contre les discriminations d'être repérées par la communauté universitaire et de rentrer dans les moeurs étudiantes.

b) Les recommandations de la mission d'information

En conséquence de ces différents constats, les rapporteurs formulent quatre séries de recommandations visant à assurer la détection de l'ensemble des actes et propos antisémites survenant dans les établissements d'enseignement supérieur : rationaliser le dispositif normatif applicable pour mieux définir les obligations incombant aux établissements ; renforcer la visibilité des dispositifs de signalement en les intégrant aux priorités des équipes dirigeantes ; fournir les ressources juridiques nécessaires aux établissements pour assurer le traitement des situations ambiguës face à l'évolution des manifestations d'antisémitisme ; afin de les encourager à y recourir, mieux prendre en compte les besoins des victimes dans le fonctionnement des processus de signalement.

(1) Préciser les obligations des établissements en matière de détection et de signalement des actes antisémites dans un socle législatif unifié

Les rapporteurs estiment tout d'abord indispensable de définir un cadrage national du fonctionnement des dispositifs de signalement - et par là, leurs missions étant interdépendantes, du réseau de référents racisme et antisémitisme, dont la mise en place doit être systématisée. Seule la généralisation des dispositifs de détection des actes antisémites permettra en effet d'en prendre enfin la mesure et de définir en conséquence les mesures de lutte adaptée. La formalisation et la structuration de ces dispositifs assureront en outre que les établissements seront en mesure de répondre rapidement aux différentes situations de violences et de discriminations.

Cette évolution doit satisfaire à trois objectifs, dans le respect du principe de l'autonomie des universités :

- rationaliser le droit existant en intégrant les principes prévus par le droit général de la fonction publique en matière de signalement dans un socle législatif spécifiquement adapté aux établissements d'enseignement supérieur, qui regrouperait par ailleurs les autres dispositions applicables aujourd'hui éparpillées entre plusieurs textes et plusieurs niveaux normatifs ;

- clarifier à droit constant les obligations qui s'imposent aux établissements en matière de détection et de signalement des actes antisémites, en prévoyant notamment dans la loi l'obligation pour tous les établissements d'assurer le fonctionnement d'un dispositif de signalement des actes antisémites et de désigner un référent compétent en matière de racisme et d'antisémitisme. Les missions de ce référent seront également précisées au niveau législatif ;

- préciser les principes généraux du fonctionnement du dispositif de signalement, en prévoyant notamment la possibilité de leur recueil anonyme ainsi que l'obligation des établissements d'assurer la remontée vers le ministère de tous les signalements recueillis en leur sein, quelle que soit à première vue l'importance des faits en cause.

Ce texte législatif intégrerait par ailleurs une disposition renvoyant au niveau réglementaire le soin de définir un socle minimal de moyens à allouer à ces différentes missions, notamment sous la forme de décharges horaires pour les personnels désignés ou de mise à disposition de formations gratuites, conduites en lien avec les acteurs associatifs engagés sur le sujet (Licra et Camp des Milles, notamment). Au-delà de la mise en oeuvre de ce socle minimal, les établissements conserveront bien entendu leurs marges de manoeuvre pour définir les modalités précises du fonctionnement de leurs dispositifs de signalement et pour assurer leur visibilité.

Les rapporteurs soulignent que, compte tenu du large champ de compétence des missions Égalité et des différents référents qui leur sont associés, ainsi que de leur double mission de détection et de prévention, ce texte porterait nécessairement sur le sujet plus général de la lutte contre les discriminations dans les établissements d'enseignement supérieur, et couvrirait également les actions de sensibilisation évoquées infra15(*).

Recommandation n° 1 : Rationaliser le cadre législatif et réglementaire des dispositifs de lutte et de signalement, en précisant dans la loi les obligations incombant aux établissements en matière de détection des actes antisémites.

Pour assurer l'application effective de ces grandes orientations, le pilotage du réseau de référents dont la désignation aura ainsi été rendue obligatoire dans chaque établissement devra par ailleurs être renforcé au niveau ministériel. Il apparaît à ce titre nécessaire d'achever rapidement, en lien avec la Dilcrah, le déploiement de la plateforme collaborative destinée à soutenir l'exercice de leurs missions par le partage de bonnes pratiques et la mise en circulation de projets. Le ministère indique à ce titre que cet outil est « en cours de finalisation » ; les rapporteurs estiment que sa mise en fonctionnement devra impérativement intervenir dès le début de la prochaine année universitaire.

Certains intervenants comme la CNCDH ont souhaité que cette plateforme puisse intégrer certaines fonctionnalités supplémentaires, tel qu'un forum de discussion permettant aux différents référents d'échanger sur leur expérience et leurs difficultés, ou encore un annuaire des différents acteurs compétents en matière d'antisémitisme à l'échelle nationale et locale, ce qui permettrait notamment d'orienter les étudiants de manière plus efficace.

(2) Renforcer la visibilité des dispositifs de signalement

Cette refondation normative devra aller de pair avec un renforcement de la visibilité des dispositifs de signalement. Afin de toucher le plus large public possible, cette démarche devra nécessairement passer par plusieurs actions complémentaires, qui devront notamment être déployées en ligne. La mise en place par chaque établissement d'une page Internet retraçant l'ensemble des dispositifs existants, la procédure de dépôt d'un signalement ainsi que les contacts et disponibilités des référents et cellules d'écoute apparaît à ce titre comme un préalable indispensable ; ces informations pourront en outre être diffusées sur les réseaux sociaux.

En ce qu'elle permet d'engager les équipes dirigeantes tout en améliorant la visibilité de ces sujets au sein de la communauté étudiante, les rapporteurs jugent par ailleurs particulièrement intéressante et efficace la démarche consistant à consacrer des vice-présidences aux sujets de discriminations, et estiment que sa généralisation dans l'ensemble des établissements doit être encouragée.

Au-delà de la visibilité des dispositifs de lutte, leur efficacité semble par ailleurs renforcée par le recours à cette formule. La conférence permanente des chargés de mission égalité et diversité (CPED) préconise ainsi d'organiser les missions Égalité et diversité selon le schéma suivant : une présidence transversale, assumée par un vice-président de l'établissement, pilotant un service dédié constitué de référents et de chargés de missions experts et/ou formés sur leur domaine d'intervention respectif, et qui travaillent ensemble de manière coordonnée.

Recommandation n° 2 : Encourager la généralisation des vice-présidences dédiées à la lutte contre le racisme et l'antisémitisme afin d'améliorer son portage politique et sa visibilité au sein des établissements.

(3) Diffuser des ressources juridiques opérationnelles permettant de mieux détecter les cas d'antisémitisme

On l'a vu, une objectivation partagée du contour des actes antisémites est indispensable non seulement pour mesurer le phénomène de manière fiable, mais également pour construire des actions d'information et de sensibilisation adaptées au niveau de perception du phénomène par les différents acteurs concernés.

• Interrogé sur les ressources juridiques mises à la disposition des établissements pour les accompagner dans la détection de manifestations d'antisémitisme, le MESR a indiqué que plusieurs documents faisaient déjà l'objet d'une large diffusion :

- à l'initiative du MESR, une fiche réflexe intitulée Racisme, antisémitisme : comment agir dans l'enseignement supérieur ? conçue en collaboration avec la Dilcrah, la Licra, SOS Racisme, le Défenseur des droits, les différentes conférence de présidents d'établissements et l'association française des managers de la diversité (AFMD), et initialement publiée le 15 avril 2019 ;

- à l'initiative de France Universités, plusieurs guides visant à aider les équipes dirigeantes à reconnaître, dénoncer et prévenir les dérives en matière de racisme et d'antisémitisme, ainsi qu'un vademecum destiné aux présidents d'établissement et retraçant leurs compétences et leurs responsabilités en la matière ;

- sous l'égide de l'inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche (IGESR), des kits pratiques visant à guider la conduite des enquêtes administratives.

Si la mise à disposition de ces différentes ressources n'a pas été remise en cause par les différents présidents et dirigeants d'établissements entendus, force est de constater qu'elles ne semblent cependant pas répondre de manière adéquate aux difficultés aujourd'hui rencontrées en matière de détection de l'expression antisémite. Ces difficultés semblent largement liées à l'évolution récente des formes prises par l'antisémitisme dans les établissements, notamment dans des situations limites telles que les mobilisations étudiantes en faveur de la Palestine.

Il apparaît dès lors urgent de mettre à jour l'ensemble des ressources juridiques documentaires fournies aux établissements pour les adapter à ces nouveaux enjeux. Il s'agira ainsi de diffuser une culture juridique partagée permettant d'aider les différents responsables impliqués, notamment les présidents d'établissement et les référents racisme et antisémitisme, à distinguer entre ce qui relève de la libre expression d'une opinion politique de ce qui est susceptible de constituer une manifestation d'antisémitisme. Cette consolidation pourra notamment passer par l'actualisation de la fiche réflexe diffusée par le ministère, prévue dans le cadre du plan national de lutte contre le racisme, l'antisémitisme et les discriminations liées à l'origine (Prado) pour 2023-2026, et qui devra être achevée dans les plus brefs délais.

Recommandation n° 3 : Actualiser les ressources juridiques destinées à guider les établissements dans la détection des faits d'antisémitisme en les adaptant aux nouvelles formes prises par l'expression antisémite, notamment lors des récentes mobilisations au sujet de la situation à Gaza.

• La question de l'utilisation de la définition de l'antisémitisme fixée par l'Alliance internationale pour la mémoire de l'Holocauste (IHRA) a par ailleurs été posée tout au long des auditions menées par les rapporteurs.

Cette définition non contraignante, adoptée le 26 mars 2016 par les 31 États membres de l'Alliance dont la France, constitue une définition opérationnelle visant à faciliter l'identification et le recensement des actes antisémites16(*). Elle énumère ainsi, à la suite d'une définition générale (« L'antisémitisme est une certaine perception des Juifs qui peut se manifester par une haine à leur égard. Les manifestations rhétoriques et physiques de l'antisémitisme visent des individus juifs ou non et/ou leurs biens, des institutions communautaires et des lieux de culte ») et de deux principes généraux (« L'antisémitisme peut se manifester par des attaques à l'encontre de l'État d'Israël lorsqu'il est perçu comme une collectivité juive. Cependant, critiquer Israël comme on critiquerait tout autre État ne peut pas être considéré comme de l'antisémitisme » ; « L'antisémitisme consiste souvent à accuser les Juifs de conspirer contre l'humanité et, ce faisant, à les tenir responsables de tous les problèmes du monde »), plusieurs exemples concrets de manifestations d'antisémitisme, dont certains apparaissent pertinents dans les cas de figure soulevant des difficultés dans les établissements :

- le traitement inégalitaire de l'État d'Israël, à qui l'on demande d'adopter des comportements qui ne sont ni attendus ni exigés de tout autre État démocratique ;

- l'établissement de comparaisons entre la politique israélienne contemporaine et celle des Nazis ;

- l'idée selon laquelle les Juifs seraient collectivement responsables des actions de l'État d'Israël.

Si le CRIF et le Camp des Milles ont appelé à s'appuyer plus largement sur cette définition pour lutter contre les actes antisémites, plusieurs représentants de la sphère publique, parmi lesquels la DACG du ministère de la justice et la CNCDH, ont rappelé que son utilisation dans un cadre juridique contreviendrait à l'approche universaliste du droit pénal français, qui ne comporte pas de qualification autonome des actes antisémites. S'il n'est donc pas question de modifier le droit, les rapporteurs estiment toutefois que cette définition doit être diffusée le plus largement possible aux membres de la communauté universitaire à des fins pédagogiques - selon la logique de la résolution relative à la lutte contre toutes les formes d'antisémitisme adoptée par le Sénat le 5 octobre 202117(*), qui « [invitait] le Gouvernement, dans un travail de pédagogie, à la diffuser auprès des services éducatifs, répressifs et judiciaires ».

Recommandation n° 4 : Face au défi posé par la diffusion d'un « antisémitisme d'atmosphère », assurer, à titre pédagogique, la diffusion dans les établissements de la définition opérationnelle de l'antisémitisme de l'IHRA, conformément à la résolution portant sur la lutte contre toutes les formes d'antisémitisme adoptée par le Sénat le 5 octobre 2021.

(4) Adapter et diversifier les processus de signalement pour répondre aux besoins des victimes

Les différents interlocuteurs de la mission d'information, notamment ceux intervenant en première ligne en tant que référents, ont insisté sur le rôle central, dans le processus de dépôt des signalements, de l'écoute et de l'accompagnement, notamment sous le format de pair à pair.

Isabelle Kraus, référente racisme et antisémitisme à l'université de Strasbourg, a ainsi souligné que les établissements devraient aujourd'hui capitaliser sur les structures d'écoute et les processus de recueil mis en place pour lutter contre les VSS, qui semblent contribuer efficacement à libérer la parole des victimes. L'expérience acquise de ce cadre doit aujourd'hui être étendue au recueil des témoignages portant sur les manifestations d'antisémitisme, la professionnalisation de certaines cellules d'écoute - notamment par le recrutement d'un psychologue ou la conclusion de partenariats avec des associations d'accompagnement des victimes - devant constituer à cet égard un modèle.

Il semble cependant que sur le sujet de l'antisémitisme, pour lequel la confiance reste encore largement à construire, de nombreux étudiants se tournent aujourd'hui vers des canaux d'écoute non officiels, en s'adressant notamment à des acteurs associatifs tels que l'UEJF. Les actions menées pour développer la détection des actes antisémites, au même titre que celles visant à leur prévention, doivent en conséquence associer de manière systématique les acteurs associatifs.

Les acteurs associatifs entendus par la mission ont par ailleurs relevé que dans certains contextes, seule la garantie de l'anonymat pouvait convaincre les victimes de prendre la parole, ce qui constitue un premier pas vers l'engagement du processus aboutissant au signalement. Plusieurs établissements ont pris en compte cette attente en mettant en place des processus de dépôt de témoignage anonymes18(*). Il semble cependant que l'attente des victimes excède le seul anonymat et porte également sur la possibilité de se tourner vers des instances extérieures à leur établissement, comme en témoignent les saisines directement adressées au bureau national de l'UEJF ou du CRIF. Les rapporteurs estiment à ce titre que la coordination nationale d'accompagnement des étudiantes et des étudiants (CNAE), dispositif national d'écoute, d'accompagnement et de signalement destiné aux étudiants confrontés à des situations de mal-être, de violence ou de discrimination, mériterait d'être mieux connu et mieux intégré dans le processus global de signalement.

En lien direct avec les ministères de l'enseignement supérieur et de la recherche et le ministère de la santé et des solidarités, la CNAE propose en effet une écoute et un accompagnement professionnels (assurés notamment par des psychologues et des travailleurs sociaux) via une adresse mail et une ligne téléphonique gratuite et confidentielle. En fonction des faits signalés, la CNAE peut orienter les étudiants vers les cellules de signalement relevant de leur établissement ; néanmoins, dans les cas où les victimes souhaitent précisément éviter de passer par leur cellule locale, le dispositif de signalement de la CNAE, qui passe directement par le ministère, constitue une alternative intéressante permettant de s'assurer que chaque situation reçoit un traitement administratif approprié. Contactée par les rapporteurs, la CNAE indique n'avoir reçu à ce jour aucun appel de la part d'étudiants victimes d'actes ou de propos antisémites.

Recommandation n° 5 : Pour répondre à la crainte des représailles et au déficit de confiance des victimes, adapter et diversifier les processus de signalement d'actes antisémites, notamment en y associant davantage les acteurs associatifs, en professionnalisant les dispositifs d'écoute, en renforçant les garanties d'anonymat et de confidentialité et en faisant connaître la coordination nationale d'accompagnement des étudiantes et des étudiants (CNAE).

2. Renforcer le suivi administratif des signalements effectués
a) Un nouveau système de signalement unifié au niveau national est en cours de déploiement par le ministère

• Il existe aujourd'hui une multiplicité de canaux de remontées des signalements effectués dans les établissements, sans qu'aucun ne permette pour autant de disposer d'une vision consolidée au niveau central de l'ensemble des signaux captés sur le terrain :

- depuis l'été 2023, les remontées provenant des fonctionnaires sécurité défense (FSD) des établissements sont transmises à la cellule ministérielle de veille et d'alerte (CMVA), qui fonctionnait déjà pour les établissements de l'Éducation nationale ;

- les recensements effectués par les référents racisme et antisémitisme sont transmis annuellement au ministère dans le cadre de leur rapport d'activité. À cette remontée annuelle peuvent s'ajouter, en cas de difficultés sur le terrain, des saisines ponctuelles de la direction générale de l'enseignement supérieur et de l'insertion professionnelle (Dgesip) ;

- il arrive enfin, notamment dans les situations les plus graves, que le cabinet de la ministre soit directement saisi par les présidents et directeurs d'établissements.

La ministre a par ailleurs indiqué avoir mis en place dans l'urgence, au début du mois d'octobre, un réseau de suivi opérationnel associant les recteurs, les préfets et les présidents d'université. Ce dispositif semble cependant mal identifié par les présidents d'établissements interrogés par la mission d'information.

• Lors de leur audition par les rapporteurs le 25 avril, les représentants du ministère ont indiqué travailler à la construction d'une « chaîne de signalement incluant les FSD » et à l'invention du processus correspondant. Lors de son audition par la commission le 29 mai, la ministre a indiqué que cette nouvelle chaîne de signalement serait mise en place à la rentrée universitaire 2024 sous la forme d'un système national unifié de signalement fonctionnant dans le système d'information Dialogue, plateforme souveraine du ministère déjà utilisée par les établissements pour l'accomplissement d'autres tâches. Ce système, qui ne sera dans un premier temps déployé que dans « des établissements bêta-testeurs volontaires », permettra d'agréger l'ensemble des remontées, d'assurer leur suivi par les établissements en lien avec le rectorat et les services ministériels, et enfin d'analyser les éléments remontés en établissant notamment des typologies de faits.

Les rapporteurs prennent acte de ces précisions et considèrent que la mise en place de cet outil constitue une avancée indispensable. Ils insistent sur la nécessité de le déployer le plus rapidement possible dans l'ensemble des établissements du supérieur.

b) Les programmes de recherche permettant d'objectiver le phénomène doivent être encouragés et poursuivis

L'indispensable travail d'objectivation des manifestations d'antisémitisme doit par ailleurs être conduit, au-delà de leur suivi administratif, dans le cadre de la mission fondamentale de recherche des établissements d'enseignement supérieur.

Les rapporteurs souscrivent ainsi aux observations formulées dans le 33e rapport de la CNCDH, qui invite à approfondir la connaissance et l'analyse des actes racistes et antisémites en encourageant le développement de travaux de recherche : « La CNCDH encourage les pouvoirs publics à entretenir et soutenir la recherche académique sur les actes racistes, antisémites, xénophobes et les discriminations. Doivent également être encouragées les recherches-actions participatives afin d'obtenir des données précises sur les territoires et les discriminations vécues, de favoriser rencontres et échanges entre les citoyens et les pouvoirs publics (conférences citoyennes, conférences de consensus) et de modifier en profondeur les stéréotypes et les préjugés ». Yannick L'Horty, directeur de l'observatoire national des discriminations et de l'égalité dans le supérieur (Ondes), a relevé à ce titre que la pénalité spécifiquement associée à la judéité était très peu mesurée dans la recherche, notamment celle conduite sous forme de tests par correspondance (ou testings).

La création de l'Ondes en 2022 offre un début de réponse à cet impératif. « Lieu de recherche ouvert » ayant pour ambition de contribuer à l'animation scientifique de toutes les communautés de recherche universitaires, cet observatoire mis en place dans le cadre d'une convention passée entre France Universités et l'université Gustave Eiffel, qui bénéficie de financements du MESR et du Défenseur des droits, a reçu pour mission d'assurer l'observation des faits discriminatoires et des atteintes à l'égalité dans l'enseignement supérieur. Ses chercheurs recourent pour ce faire à trois types d'outils : les enquêtes de victimation (notamment dans le cadre de l'enquête Acadisci), l'enquête Remede reposant sur une interrogation biennale des établissements sur les actions qu'ils ont mises en place, ainsi que des testings. Les rapporteurs saluent cette initiative, qui doit être soutenue sur le long terme afin de pouvoir enfin disposer de données d'analyse pertinentes.

Certains des référents racisme et antisémitisme entendus par les rapporteurs ont par ailleurs mis en avant leur collaboration avec des équipes de recherche sur les sujets de discriminations au sein de leur établissement, ce qui permet de nourrir les travaux des seconds par une approche de terrain, tout en enrichissant la pratique des premiers. C'est notamment le cas à l'université de Strasbourg, où un « cartel de recherche » mis en place en 2019 et travaillant notamment sur la lutte contre le racisme et l'antisémitisme exerce en lien avec Isabelle Kraus, référente de l'équipe universitaire pour ces sujets.

II. LA PRÉVENTION DES DÉRIVES PASSE PAR LA RÉAFFIRMATION DES MISSIONS FONDAMENTALES DE L'UNIVERSITÉ

Face à cette résurgence, dans un contexte de polarisation idéologique aiguë, d'un antisémitisme culturel enraciné, la prévention des dérives par la déconstruction des stéréotypes et des positionnements idéologiques constitue le deuxième axe indispensable des actions à mettre en oeuvre dans les établissements.

La sensibilisation et la formation de l'ensemble de la communauté universitaire à la lutte contre la haine antisémite sont à ce titre cruciales pour mettre fin à la banalisation des paroles et des actes antisémites, pour encourager les victimes et les témoins à briser le silence, et enfin pour diffuser une culture de responsabilité dans l'ensemble de la communauté universitaire.

Cet axe de prévention passe également par la recréation d'un cadre de débat et d'échanges respectueux des principes républicains, qui doit se trouver au fondement de la vie intellectuelle dans le supérieur.

À l'image du travail accompli au cours des dernières années dans le champ des VSS, il s'agit en un mot de développer une acculturation de l'ensemble de la communauté universitaire sur ces sujets, ou, aux termes de la CPED, de construire une « toile de vigilances » contre la prolifération de la haine antisémite.

A. LA SENSIBILISATION À LA LUTTE CONTRE L'ANTISÉMITISME EST UNE PROBLÉMATIQUE ÉMERGENTE DANS LES ÉTABLISSEMENTS

Si les actions de lutte contre les discriminations, les violences et les haines se sont progressivement diffusées dans les établissements depuis une quinzaine d'années et la création des missions Égalité, puis la mise en place des référents racisme et antisémitisme, le rôle de l'enseignement supérieur dans la poursuite de la formation morale et civique des jeunes, qui relève traditionnellement de l'enseignement primaire et secondaire, ne va pas de soi et constitue une mutation récente de ses missions dont il faut prendre toute la mesure. À ce titre, certains éléments fondamentaux de l'organisation de la lutte contre l'antisémitisme sont encore sujets à débat, notamment en ce qui concerne la place à lui réserver au sein des combats contre les autres formes de violence et de discrimination.

1. Une extension des missions universitaires rendue nécessaire par les nouvelles caractéristiques de la population étudiante

Plusieurs personnes entendues par la mission d'information se sont interrogées sur la légitimité de l'adjonction de la lutte contre les discriminations aux fonctions universitaires, soulignant que la mission essentielle de l'Université et de l'enseignement supérieur au sens large résidait dans la construction et la transmission des savoirs - la lutte contre les actes racistes et antisémites devant plutôt être assumée par les acteurs politiques et les autorités publiques.

Si les rapporteurs ne peuvent que souscrire à ce rappel des missions essentielles des établissements d'enseignement supérieur, force est de constater que ceux-ci n'ont, dans les faits, d'autre choix que de développer une réponse à des phénomènes encore largement inédits il y a peu - du moins sous cette forme et à cette échelle.

Deux éléments contribuent par ailleurs à la nécessité pour les établissements de développer des actions de sensibilisation au respect des principes républicains. En premier lieu, il apparaît que nombre d'élèves n'ont pas acquis les principes de l'enseignement moral et civique lorsqu'ils parviennent à la fin du cycle d'enseignement secondaire. En second lieu, sous l'effet de l'augmentation du taux d'obtention du baccalauréat, les établissements accueillent une population élargie, parmi laquelle la part des étudiants n'ayant pas acquis ces fondamentaux de l'éducation civique est mécaniquement plus importante. Alors que l'Université n'avait traditionnellement pas de rôle direct à jouer en matière d'ouverture laïque et civique des étudiants, cet état de fait les y contraint désormais. Or, si l'enseignement supérieur peut constituer un lieu-clé pour assurer la diffusion de la lutte contre l'antisémitisme chez une large partie des jeunes citoyens, la formation aux principes républicains d'une masse de trois millions d'étudiants, pour la plupart majeurs et suivant des cursus très hétérogènes dont les contenus sont élaborés conformément au principe fondamental d'indépendance des enseignants-chercheurs, représente un véritable défi.

Certains des présidents d'université entendus par les rapporteurs ont par ailleurs souligné les effets des changements démographiques dans les bassins de population de certains établissements, dans lesquels les étudiants juifs peuvent en conséquence devenir très minoritaires - ce qui peut contribuer au sentiment de menace ressenti par certains d'entre eux. Ces mutations populationnelles peuvent également avoir un effet sur la pérennité de certains champs d'enseignement : à Paris 8, faute de public étudiant, le département d'études juives et hébraïques a ainsi disparu.

2. Quelle place pour l'antisémitisme au sein du cadre général de la lutte contre les discriminations ?

Une large partie des auditions conduites par les rapporteurs ont donné lieu à des débats sur la manière dont la lutte contre l'antisémitisme devrait être traitée dans le champ plus global de la lutte contre les discriminations : certains des interlocuteurs de la mission estiment, et même militent pour que l'antisémitisme fasse l'objet d'un traitement différencié ; d'autres au contraire estiment plus conforme aux principes républicains, et in fine, plus efficace d'en faire une composante de la lutte générale contre le racisme, voire contre toutes les discriminations.

La réponse apportée à cette question emporte des conséquences pratiques importantes pour l'organisation de la lutte contre l'antisémitisme dans les établissements, au premier rang desquelles la possible création de référents dédiés à la lutte contre l'antisémitisme, alors que nombre de référents aujourd'hui installés travaillent à la fois sur le racisme, l'antisémitisme et souvent d'autres types de violences, telles que la lutte anti-LGBT ou les VSS.

• Au terme de leurs auditions, les rapporteurs estiment qu'il n'est pas pertinent de diluer le combat contre l'antisémitisme dans le cadre très large des luttes contre toutes les discriminations et les violences - lesquelles, sauf à perdre en pertinence et en visibilité et en efficacité, appellent des expertises spécifiques et des moyens dédiés.

À court terme, il apparaît notamment indispensable que la lutte contre l'antisémitisme se démarque du traitement des VSS, qui a légitimement pris une ampleur considérable dans les établissements au cours des dernières années et qui a en conséquence acquis une maturité opérationnelle différente - tandis que ses processus se sont largement ancrés et professionnalisés, le traitement de l'antisémitisme se heurte toujours à la question de son repérage.

• Demeure alors la question de traiter ou non le racisme et l'antisémitisme ensemble dans les dispositifs de lutte des établissements.

Les interlocuteurs qui se sont prononcés en faveur d'un traitement distinct ont mis en avant que l'antisémitisme est une forme singulière d'hostilité identitaire qui n'est pas parfaitement comparable aux autres racismes, que ce soit du point de vue de sa construction historique, de ses contenus et de la dynamique actuelle de ses manifestations, et qui appelle en conséquence une vigilance accrue et des solutions spécifiques. Les particularités des représentations qui sous-tendent l'antisémitisme (qui empruntent notamment au complotisme) rendent en effet nécessaire une expertise particulière des intervenants, qui doivent être formés à décrypter certaines de ses manifestations. Ces manifestations présentent par ailleurs le trait paradoxal que si la population juive est, d'après le baromètre CNCDH, l'une des minorités les mieux acceptées au sein de la population française, les actes qui la frappent sont bien plus violents et bien plus nombreux, rapportés à la taille de la population juive, que ceux qui touchent d'autres minorités.

La Licra souligne en ce sens que, si elle constitue une association universaliste qui conduit à ce titre toutes ses actions avec le même engagement et la même intensité, elle tient à conserver une distinction entre la lutte contre le racisme et celle contre l'antisémitisme du fait des « différences idéologiques » existant entre ces deux familles de préjugés et leurs manifestations, dont elle tient compte dans la construction et la conduite de ses actions de sensibilisation.

À l'inverse, plusieurs interlocuteurs ont soutenu la solution d'un traitement commun de l'antisémitisme et du racisme. Plusieurs arguments plaident selon eux en faveur d'une approche évitant de morceler les situations de discriminations :

- d'un point de vue pédagogique, le décloisonnement des luttes contre les discriminations permet de montrer que l'antisémitisme procède des mêmes mécanismes que d'autres discriminations ou haines de minorités, comme par exemple l'islamophobie. Ce décloisonnement, en faisant des ponts entre différentes violences subies, permet par ailleurs de créer une solidarité entre les étudiants victimes de tels agissements. Daniel Verba, ancien référent racisme, antisémitisme et homophobie à l'université Sorbonne Paris Nord, a ainsi jugé particulièrement intéressante l'intervention du Camp des Milles visant à mettre en lumière les mécanismes similaires à l'origine de trois génocides du XXe siècle (la Shoah, le génocide contre les Tutsis et le génocide arménien) ;

- d'un point de vue pragmatique, la fragmentation des luttes aboutit à un saupoudrage des actions conduites, qui complique la tâche des référents et des chargés de mission sans parvenir à capter l'attention de la population étudiante dès lors que les actions de sensibilisation sont multipliées. Ce morcellement n'est par ailleurs tout simplement pas toujours compatible avec les moyens humains des établissements. Enfin, la professionnalisation des processus mis en oeuvre au cours des dernières années pour lutter contre les VSS peut aujourd'hui profiter à la lutte contre l'antisémitisme ;

- la dissociation des deux combats peut enfin être contre-productive, voire dangereuse dans la mesure où elle peut contribuer à nourrir chez d'autres minorités un sentiment de double standard et donc du ressentiment, ce qui aboutit in fine à créer les conditions d'une concurrence victimaire délétère ;

- cette dissociation opérationnelle ne respecterait pas l'esprit du droit français, qui, on l'a vu, retient une définition globale et universelle du racisme ; la CNCDH estime à ce titre qu'une singularisation de la lutte contre l'antisémitisme risque de fragiliser l'approche républicaine universelle et indivisible du combat antiraciste. Les dénominations retenues pour les dispositifs publics mobilisés contre l'antisémitisme renvoient ainsi au cadre général du racisme et de l'antisémitisme (Dilcrah, Prado).

Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, il semble que la solution la plus opérationnelle, dans le contexte actuel, réside dans la désignation de référents compétents à la fois en matière de racisme et d'antisémitisme - mais en matière de racisme et d'antisémitisme uniquement -, tout en faisant clairement apparaître la notion d'antisémitisme pour ne pas banaliser ce combat.

B. DÉPLOYER DES ACTIONS DE SENSIBILISATION ET DE FORMATION ADAPTÉES AUX DIFFÉRENTS PUBLICS DE L'UNIVERSITÉ

De nombreux établissements d'enseignement supérieur, en coopération avec le ministère, la Dilcrah et plusieurs acteurs associatifs, ont déployé au cours des dernières années, à destination des différents membres de la communauté universitaire, une large palette d'actions de sensibilisation et de formation relatives à la lutte contre les discriminations et les violences ; l'engagement et l'implication de ces différents acteurs ne peut être que saluée à ce titre. France Université et le Camp des Milles ont ainsi tout récemment conclu une convention de partenariat prévoyant, dans le champ de la lutte contre l'antisémitisme, des actions de recherche, de sensibilisation des étudiants, de formation des équipes dirigeantes ainsi que l'organisation d'événements spécifiques. L'enjeu est aujourd'hui d'identifier celles de ces actions qui sont les plus nécessaires et les plus efficaces afin de promouvoir leur généralisation dans l'ensemble des établissements.

Les mesures mises en place devront ici être pragmatiques car, à la suite des différentes prises de conscience qui ont successivement frappé l'enseignement supérieur au cours des dernières années - la lutte contre le bizutage et les VSS notamment -, de très nombreuses actions de sensibilisation portant sur divers sujets sociétaux ont déjà été prévues, des comportements à adopter en contexte festif à la prise en compte des enjeux environnementaux. Il s'agit donc de formuler des propositions réalistes, évitant l'écueil d'une saturation des ressources des établissements comme de l'attention des étudiants.

1. Mieux cibler les actions de sensibilisation des étudiants

Au cours de leurs auditions, les rapporteurs ont pu constater qu'il existait un véritable foisonnement d'actions de sensibilisation conduites dans les établissements à destination des étudiants. Il semble cependant que ces différentes actions connaissent un succès inégal et que certaines d'entre elles ne parviennent pas à toucher les publics les plus éloignés des enjeux de la lutte contre l'antisémitisme, auxquels elles sont pourtant prioritairement destinées. Devant ce constat, plusieurs pistes ont été identifiées pour améliorer l'efficacité de la sensibilisation de la population étudiante, qui pourrait notamment passer par un ciblage renforcé de ces actions sur certains temps forts de l'année universitaire.

a) Un effet limité des actions organisées sous la forme d'événements ponctuels

Les actions de sensibilisation des étudiants conduites dans les établissements prennent des formes diverses et complémentaires, conformément aux préconisations du Prado : organisation de conférences et de débats faisant intervenir des grands témoins ou des spécialistes de l'antisémitisme, notamment dans une perspective historique ; projections-débats de films mettant en scène des enjeux de mémoire (l'université Paris 8 a ainsi récemment projeté La Zone d'intérêt en présence de représentants de l'UEJF) ; déplacements dans des lieux de mémoire, comme le Camp des Milles ou le camp de Rivesaltes (la visite de ce dernier, dans lequel ont été internés à la fois des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale et des Harkis pendant la guerre d'Algérie, permettant également de lutter contre la concurrence des mémoires) ; organisation annuelle, dans l'ensemble des établissements, d'une semaine nationale d'éducation et d'actions contre le racisme et l'antisémitisme (Snecra) au mois de mars.

Il semble cependant que ce format événementiel en accès libre ne soit pas d'une grande efficacité auprès des publics étudiants. Tout en soulignant que ces événements comptaient par leur publicité, les présidents d'université comme les représentants des associations étudiantes ont ainsi reconnu que les amphithéâtres restaient souvent à demi vides à ces occasions, qui ne mobilisent en tout état de cause que les personnes déjà convaincues de la nécessité de la lutte, sans permettre de toucher ceux qui restent à l'être. Delphine Horvilleur, rabbin et membre de l'organisation Judaïsme en mouvement et du Conseil des rabbins libéraux francophones, a ainsi indiqué que son intervention à Sciences Po Paris à la suite de l'occupation de l'amphithéâtre Boutmy n'avait attiré que des étudiants ayant une position modérée vis-à-vis du conflit opposant Israël au Hamas, les membres du comité Palestine n'y ayant quant à eux pas assisté. Selon le Camp des Milles, la date choisie pour la Snecra ne permet en outre pas de capter l'attention des étudiants qui se trouvent souvent, à la fin du mois de mars, en période de révision ou en vacances de printemps19(*).

b) Développer des modules de sensibilisation obligatoires à l'occasion des temps forts de l'année universitaire

Plusieurs interlocuteurs de la mission ont en conséquence proposé, dans le but de toucher le public le plus large possible, de développer des modules de sensibilisation obligatoires et ciblés sur des moments-clés de la vie universitaire, en dehors du temps réservé aux enseignements.

• Le premier de ces moments est celui de la première rentrée dans le supérieur - par préférence à celui de l'inscription dans le supérieur, qui se fait désormais le plus souvent en ligne et sans cérémonial particulier -, qui pourrait donner lieu, avant le début des enseignements proprement dits, à un module de formation obligatoire inaugurant l'entrée dans la vie étudiante, la solennité de ce moment pouvant contribuer au renforcement des messages passés.

Dans la continuité de l'enseignement moral et civique dispensé dans le secondaire, ces messages porteraient, au-delà de la présentation générale des grands enjeux de la lutte contre l'antisémitisme, sur les risques que font peser les racismes et l'antisémitisme sur la démocratie et le cadre républicain, en insistant sur leur potentiel inflammable qui a conduit dans le passé à des crimes de masse.

Ils porteraient notamment, de manière pragmatique et ancrée sur le quotidien des étudiants, sur les risques auxquels exposent les délits d'antisémitisme, sur le plan de la poursuite de la scolarité comme sur le plan pénal, ainsi que sur l'éducation à la citoyenneté numérique, dans la mesure où la diffusion de propos de haine antisémite en ligne est en forte progression. Cette formation serait également l'occasion pour le vice-président en charge du sujet ainsi que le référent racisme et antisémitisme de présenter de manière très concrète les suites données aux éventuels événements déjà survenus sur le campus.

• Un deuxième moment-clé est celui de la constitution des bureaux des associations étudiantes et de leurs demandes d'agrément, dont l'obtention conditionne leur accompagnement et leur soutien financier par l'établissement, ainsi que leur capacité à accéder aux locaux et à organiser des événements étudiants.

Le rôle des associations est en effet central dans la prévention des dérives de toutes sortes, dans la mesure où il s'agit d'un relais central entre les étudiants et les instances des établissements, et où leur action doit respecter les principes tracés par le règlement intérieur. Sur le campus parisien de Sciences Po, la mobilisation propalestinienne ayant donné lieu à des dérives antisémites s'est à l'inverse structurée autour d'une organisation informelle n'ayant pas reçu d'agrément, le comité Palestine. L'enjeu est donc aujourd'hui de renforcer leur rôle de « vigie » dans la prévention des actes antisémites et, le cas échéant, l'accompagnement des victimes.

Dans de nombreux établissements, la délivrance de cet agrément est déjà soumise à la condition que les responsables associatifs suivent une formation préalable à divers enjeux de société, qui portent aujourd'hui principalement sur la prévention des dangers dans les contextes festifs ainsi que sur les VSS. Ces formations doivent aujourd'hui être complétées par une formation aux enjeux de la lutte contre le racisme et l'antisémitisme qui mette l'accent sur leur rôle en la matière ainsi que sur leurs responsabilités, notamment pénales, en cas de dérives constatées au cours d'un événement organisé par elles.

De la même manière, de nombreux établissements font signer par les associations des conventions d'agrément ou des chartes d'engagement retraçant les obligations qui s'imposent à elles, qui consistent notamment à ne pas contrevenir aux valeurs de l'établissement, et comportant des dispositions relatives à certains enjeux sociétaux - il s'agit ici encore principalement des risques liés aux événements festifs. Ces documents pourraient également intégrer des éléments relatifs à la prévention du racisme et de l'antisémitisme.

Les rapporteurs ont par ailleurs été informés que dans certaines facultés de médecine et plus généralement d'études de santé, des doyens avaient mis en place des modules de sensibilisation obligatoires avant toute participation à certains événements associatifs. Si cette action visait initialement à remédier aux dérapages constatés dans le cadre des bizutages, ce type de formations gagnerait à être généralisé et, à chaque fois que c'est pertinent, enrichi par des éléments relatifs au racisme et à l'antisémitisme.

Recommandation n° 6 : En ce qui concerne la sensibilisation des étudiants, privilégier les actions obligatoires et ciblées sur certains moments-clés de l'année universitaire, notamment l'entrée dans l'enseignement supérieur, la demande d'agrément des associations étudiantes et le renouvellement de leur bureau, ou avant toute participation à certains événements de la vie étudiante.

• La CNCDH a par ailleurs souligné que les informations données à l'occasion de ces moments-clés devaient ensuite faire l'objet d'une diffusion régulière et par différents canaux : envoi de courriels d'information sur les messageries étudiantes, installation d'affiches et de stands dans des lieux de passages, encarts et bandeaux sur le site de l'établissement.

2. Systématiser la formation des différents personnels et acteurs des établissements

La vigilance dans les établissements du supérieur face aux actes antisémites passe également par la formation systématique de l'ensemble des professionnels pouvant être confrontés à de telles dérives, afin de leur fournir les outils juridiques, procéduraux, scientifiques et pédagogiques permettant de réagir à ces situations. Il s'agit ainsi de leur donner les clés permettant de comprendre leur rôle en la matière ainsi que les responsabilités qu'ils peuvent encourir, notamment sur le plan pénal. Le cercle des acteurs visés par cette systématisation est très large : il comprend les présidents d'établissements, les cadres administratifs, les représentants syndicaux et associatifs, les membres des commissions disciplinaires, les responsables de départements et la communauté des enseignants-chercheurs, et bien entendu les référents racisme et antisémitisme.

Cette systématisation pose bien entendu la question du temps et des moyens à allouer à ces formations, alors que les contraintes pesant sur les établissements sont déjà très importantes. Plusieurs points de passage ont pu être identifiés à ce titre au cours des auditions de la mission d'information.

En ce qui concerne tout d'abord la formation des équipes dirigeantes, le ministère indique que le renouvellement programmé, au cours de l'année 2024, des présidences dans plus de la moitié des établissements universitaires constitue une opportunité précieuse pour assurer une large diffusion de ces formations à court terme. Des travaux sont en cours, en lien avec France Universités, pour intégrer dès la prochaine rentrée universitaire un module dédié au traitement de différents sujets de société, parmi lesquels la lutte contre le racisme et l'antisémitisme, dans la formation des nouveaux présidents d'établissements. Ce module pourrait être dispensé par l'institut des hautes études de l'éducation et de la formation (IH2EF) ou par la CPED dans le cadre d'une convention passée avec le ministère.

En ce qui concerne ensuite la formation des référents intervenant en matière de racisme et d'antisémitisme, un programme d'accompagnement lors de leur prise de fonction puis tout au long de leur mandat a été mis en place par le ministère. Ce programme inclut plusieurs types de formations complémentaires : modules dispensés par la Licra, enseignements du diplôme universitaire (DU) de formation à la lutte contre le racisme et l'antisémitisme mis en place par l'université Paris 8 en 2020, ou encore formations relevant du marché interministériel « Valeurs de la République et principes du service public » passé pour la période 2023-2023. De l'avis des référents entendus par la mission, les formations ainsi proposées sont satisfaisantes - le principal problème ici posé étant celui de parvenir à dégager le temps nécessaire pour les suivre.

La formation des enseignants-chercheurs non experts de ces enjeux au titre de leur champ d'étude et d'enseignement, indispensable pour accompagner leurs prises de paroles sur ces sujets hautement sensibles, constitue un enjeu plus délicat. Le ministère indique sur ce point que la décharge horaire accordée aux néo-enseignants chercheurs peut permettre d'assurer cette sensibilisation au début de leur carrière. Les formations correspondantes peuvent alors être assurées dans le cadre de la convention de partenariat passée entre le ministère et la Licra, qui porte prioritairement sur la formation des référents mais s'adresse également à l'ensemble des personnels intéressés, et prévoit une formation d'une durée de trois heures portant sur l'identification des infractions racistes et antisémites, la connaissance des outils de prévention et de sanction, et la diffusion des bonnes pratiques mises en place dans les établissements.

Recommandation n° 7 : Systématiser la formation des autres acteurs des établissements (équipes dirigeantes et cadres administratifs, représentants associatifs, référents racisme et antisémitisme, enseignants-chercheurs) aux enjeux opérationnels de la lutte contre l'antisémitisme, notamment à l'occasion du renouvellement prochain des équipes dirigeantes des universités.

3. Utiliser les moyens de l'enseignement et de la recherche pour réarmer les esprits

Dans bon nombre de cas, la mécanique de l'antisémitisme est à mettre en lien avec des lacunes dans la connaissance des populations juives et de leur histoire, qui se trouvent à la racine de la propagation de préjugés antisémites et de la diffusion d'informations simplistes ou erronées sur le conflit israélo-palestinien. On l'a vu, cette réalité est particulièrement présente dans les établissements d'enseignement supérieur du fait de la jeunesse et souvent de l'inculture historique des auteurs d'actes antisémites.

Devant ce constat, plusieurs interlocuteurs de la mission ont rappelé que le développement de la connaissance de l'Autre était précisément au fondement des missions de l'Université, qui par l'exercice même de sa mission, a donc un rôle de premier plan à jouer dans la déconstruction de la mécanique antisémite et le « réarmement des esprits » face aux dérives de son expression - selon le terme employé par l'association Alarmer lors de son audition.

a) Valoriser les enseignements relatifs à la prévention de l'antisémitisme dans le cadre du bonus étudiant

• De nombreux interlocuteurs de la mission ont ainsi formulé des propositions portant sur l'intégration aux cours dispensés dans l'ensemble des filières d'un enseignement pluridisciplinaire relatif aux mécanismes et à l'histoire de l'antisémitisme, et plus largement des hostilités identitaires, afin de déconstruire et d'expliciter les stéréotypes et les préjugés qui les sous-tendent.

Ces propositions apparaissent particulièrement intéressantes : l'apport du judaïsme à la culture française, l'histoire du judaïsme, des populations juives et du sionisme, l'actualité de l'antisémitisme et du racisme, la contextualisation du développement des idéologies, la compréhension du mode de circulation des hostilités identitaires, la confrontation aux préjugés et aux mécanismes de désinformation en vue de leur déconstruction, ou encore la mise en évidence des mécanismes communs à la racine du racisme et de l'antisémitisme sont autant de questions qui ont toutes leur place dans le cadre d'un enseignement universitaire pluridisciplinaire. Un tel enseignement serait par ailleurs bienvenu dans certaines filières, notamment scientifiques, où la formation aux enjeux de société est très restreinte et où le débat n'est pas dans la culture des disciplines enseignées, ce qui aboutit à un déficit de sensibilisation des étudiants.

La CNCDH estime enfin que les formations préparant à l'exercice de certaines professions ayant un rôle particulier dans la lutte contre les biais discriminatoires, notamment les métiers de l'image et de l'information, doivent intégrer des formations obligatoires sur la construction de ces biais.

Compte tenu du principe fondamental de l'indépendance des enseignants-chercheurs, qui relève du bloc constitutionnel, le développement de tels enseignements dans le cadre des cursus de formation est cependant de la seule initiative des personnels d'enseignement et de recherche des établissements, et ne peut être qu'encouragé. Plusieurs initiatives encourageantes ont ainsi été portées à la connaissance des rapporteurs : selon les indications fournies par le président de la conférence des doyens de médecine, des travaux sont actuellement en cours pour que les enseignements d'histoire de la médecine intègrent des éléments relatifs aux dérives constatées sous la période nazie ; à l'Institut d'études politiques de Paris, des enseignements permettant de mieux comprendre la complexité de la situation à Gaza seront mis en place dès la rentrée universitaire.

• Un élargissement de l'application du « Bonus étudiant » pourrait cependant permettre d'approcher cet objectif. Ce dispositif, qui fonctionne déjà dans certaines universités dans le cadre tracé par une circulaire du 23 mars 202220(*), permet d'attribuer un bonus semestriel, sous la forme de l'attribution de points supplémentaires dans leur moyenne générale, aux étudiants qui participent, en sus de leurs parcours d'enseignement, à des activités de sensibilisation, de formation ou à des projets portés par des associations et organismes reconnus par leur établissement. L'université d'Aix-Marseille propose ainsi un bonus étudiant dans le champ de la lutte contre les discriminations, au titre duquel elle a conclu un partenariat avec la Fondation du Camp des Milles.

S'il revient bien entendu aux établissements d'enseignement supérieur de déterminer, dans le cadre de leur autonomie, les priorités vers lesquelles ils souhaitent orienter leurs partenariats et leurs dispositifs de bonification, la possibilité de valoriser l'engagement des étudiants dans des activités de sensibilisation et de formation portant sur la lutte contre l'antisémitisme pourrait être clairement précisée dans le cadre de la circulaire.

Recommandation n° 8 : Intégrer la lutte contre l'antisémitisme dans les cursus de formation par un renforcement du bonus étudiant.

b) Consolider la place des méthodes et des savoirs universitaires dans la lutte contre l'antisémitisme

La déconstruction des mécaniques antisémites à l'Université ne peut cependant passer uniquement par l'activité des associations antiracistes et mémorielles, qui mènent une action remarquable mais située dans un engagement précis. Elle doit également être directement portée par les outils de l'enseignement et de la recherche scientifique, au sein de structures de recherche dédiées, ouvertes à l'ensemble des étudiants, et dont les résultats pourront irriguer l'ensemble des enseignements dispensés dans le cadre universitaire.

L'association cite à cet égard le modèle de l'Institut d'étude des religions et de la laïcité (IREL), centre de formation et de recherche fondamentale et appliquée au sein de l'école pratique des hautes études (EPHE) créé au lendemain des attentats terroristes du 11 septembre 2001 et du débat qui a suivi sur l'enseignement du fait religieux à l'école. Cet Institut, qui constitue un lieu laïque d'expertise et de conseil sur l'histoire et l'actualité de la laïcité et des questions religieuses, opère comme un organisme public de formation adossé au monde de la recherche.

L'exemple de l'université Paris 8 offre un exemple parlant des défis qui se posent au monde de l'enseignement supérieur et de la recherche face à la progression de l'antisémitisme. Du fait notamment des mutations de sa population étudiante, cette université n'a en effet pas pu maintenir son département d'études juives et hébraïques, qui constituait un lieu incontournable pour la diffusion de la connaissance sur les populations juives. Elle a en revanche développé un diplôme universitaire de formation à la lutte contre le racisme et l'antisémitisme unique en son genre, qui constitue un outil précieux à destination des formateurs, éducateurs, enseignants, cadres et dirigeants associatifs, et qui pourrait constituer une préfiguration d'un institut public de recherche et formation sur le modèle de L'IREL.

En conséquence de ces observations, les rapporteurs estiment indispensable d'apporter le concours de la méthode scientifique et des savoirs universitaires à la lutte contre l'antisémitisme par la préservation des départements d'études juives et hébraïques partout où ils existent d'une part, et par le développement d'une structure publique de recherche et de formation interuniversitaire dédiée à la lutte contre le racisme et l'antisémitisme.

Recommandation n° 9 : Consolider la place des méthodes et des savoirs universitaires dans la lutte contre l'antisémitisme par la préservation des départements d'études juives et hébraïques et la mise en place d'une structure publique de recherche et de formation interuniversitaire dédiée à la lutte contre le racisme et l'antisémitisme.

C. RÉINSCRIRE LE RESPECT DES PRINCIPES RÉPUBLICAINS AU CoeUR DU FONCTIONNEMENT DE L'UNIVERSITÉ

L'ensemble de ces mesures de formation et de sensibilisation, pour indispensables qu'elles soient, porteront leurs fruits sur le temps long. À court terme, les établissements sont cependant confrontés à un fort risque d'expression antisémite dans le cadre des mobilisations étudiantes en faveur de la Palestine, qui appelle des mesures de prévention rapides et spécifiques.

Celles-ci doivent passer par l'engagement des présidents d'université pour faire respecter au sein de leurs établissements un dialogue et un débat conformes à la tradition d'ouverture universitaire comme aux valeurs républicaines ; elles peuvent également se traduire par la mobilisation des nombreuses dispositions législatives permettant aux présidents d'établissement de limiter à titre préventif les libertés d'expression et de réunion de leurs membres pour assurer le respect de l'ordre public.

1. Rappeler les enjeux de la lutte contre l'antisémitisme dans le cadre d'un dialogue constant entre les équipes dirigeantes et la communauté étudiante
a) Le débat, fondement des missions de l'Université, est en danger

Les dérives constatées au cours des derniers mois dans le cadre des manifestations étudiantes en faveur des populations palestiniennes laissent craindre que les conditions du débat ne soient plus réunies dans certains établissements. Cette situation n'est bien sûr pas acceptable : la controverse, en ce qu'elle permet de faire circuler les idées et ainsi de faire avancer l'état et la diffusion de la connaissance, constitue l'un des piliers de l'Université.

Les événements survenus le 21 mai dernier à l'université de Lille offrent une illustration frappante de cette difficulté émergente : lors d'une table ronde consacrée aux leviers d'engagement de sa communauté universitaire face au conflit au Proche-Orient, des étudiants mobilisés en faveur de la Palestine ont tenu des propos haineux (« Vous n'avez pas le droit de parler, on ne laisse pas parler les colons » et « sionistes, fascistes, c'est vous les terroristes », notamment) à l'encontre de deux représentants du collectif Golem, qui se présente comme « un mouvement des Juifs et Juives de gauche contre l'antisémitisme ». Les échanges étant dans une impasse du fait de l'absence de dialogue et de la forte tension ambiante, la table ronde a dû être suspendue et les membres du collectifs Golem escortés par le service de sécurité de l'établissement.

Les rapporteurs ne peuvent que rappeler ces évidences : il est essentiel que l'ensemble des sujets de connaissance, y compris ceux touchant au conflit opposant Israël au Hamas sur le territoire gazaoui, puissent être abordés et débattus dans l'enceinte universitaire dans le respect des principes républicains ; il est indispensable de défendre dans les universités la culture du débat, sans que celui-ci ne puisse constituer un prétexte à l'expression de propos haineux, racistes ou antisémites contraires à la loi. Ainsi que l'a exposé Delphine Horvilleur lors de son audition, « l'enseignement supérieur devrait être en première ligne du refus de la simplification à outrance et de la promotion de la complexité des points de vue ».

b) Un nécessaire engagement des équipes dirigeantes

Face à ce danger, de nombreux établissements se sont engagés dans la voie du dialogue : plusieurs d'entre eux, comme l'Institut d'études politiques de Paris ou l'université de Lille, ont mis en place des enceintes de discussion entre les étudiants et la direction, au sein desquelles devaient être rappelées les règles auxquelles les mobilisations et les échanges sont soumis ; d'autres autorisent la tenue d'événements en lien avec l'actualité sensible, en y assurant une présence systématique d'un membre de l'équipe dirigeante ayant pour mission de rappeler ce cadre, d'observer les échanges et d'y mettre fin en cas de dérapage ; d'autres encore ont renforcé leur coordination avec les associations étudiantes21(*), afin de les sensibiliser aux règles à respecter dans le cadre des événements qu'elles organisent et de renforcer leur propre vigilance très en amont de leur tenue ; certains enfin, notamment parmi ceux accueillant une importante population d'étudiants juifs, entretiennent un lien fort avec cette population permettant de construire la confiance et d'identifier rapidement les éventuelles occasions d'expression antisémite.

La Fondation du Camp des Milles rappelle à cet égard l'importance de saisir ou de créer toute occasion de la vie universitaire propice au « rappel des repères fondamentaux, juridiques et éthiques, à des étudiants souvent déstabilisés par des situations de crise dont fait partie la montée des tensions autour du conflit au Proche-Orient et de l'augmentation des actes antisémites », les messages passés dans ces occasions sur le combat contre l'antisémitisme devant être rattachés au respect des valeurs républicaines qui s'impose à l'Université.

Ces messages auront d'autant plus de poids qu'un article du règlement intérieur des établissements fixera ce cadre de valeurs de manière explicite. Dans le cadre de l'autonomie des universités, il revient bien entendu au président de chaque établissement de proposer l'adoption de telles dispositions à son conseil d'administration ; au regard de l'ensemble de ces éléments, les rapporteurs ne peuvent que les y encourager.

2. Assurer la conciliation des libertés d'expression et de réunion avec le maintien de l'ordre dans les établissements

Lorsque, une fois que les principes fixés par la loi et le règlement intérieur ont été rappelés et qu'une enceinte de discussion a été proposée, un risque de trouble à l'ordre public ou d'atteinte à l'organisation des activités d'enseignement et de recherche (notamment sous la forme d'une entrave aux examens) sont constatés, le maintien de l'ordre devient nécessaire, y compris à titre préventif.

À ce titre, plusieurs outils fixés par la loi peuvent et doivent être mobilisés par les présidents d'établissement pour assurer que l'ordre républicain soit constamment respecté en leur sein. Cet enjeu est crucial pour permettre à l'ensemble des étudiants d'étudier dans de bonnes conditions ; il l'est également pour redonner des repères à l'ensemble de la communauté étudiante, alors que les limites fixées par le droit à la liberté d'expression ont à plusieurs reprises été franchies au cours des derniers mois, donnant lieu à une expression antisémite inacceptable dans le cadre des mobilisations propalestiniennes.

Les rapporteurs estiment qu'aucune évolution législative ou réglementaire n'est nécessaire sur ce point, l'arsenal de mesures à la disposition des présidents d'établissement étant déjà complet. Ils soulignent cependant qu'il appartient aux présidents d'établissement de s'en saisir pour faire passer un message de fermeté absolue face aux dérives constatées dans le cadre des mobilisations propalestiniennes des derniers mois, sans quoi le mouvement de banalisation de l'antisémitisme qui en découle ne pourra que s'enraciner dans le nouveau clivage idéologique qui s'étend dans le supérieur.

a) Mobiliser les dispositions permettant l'annulation préventive d'événements en cas de risque de trouble à l'ordre public

Cette question renvoie tout d'abord aux conditions de l'exercice de la liberté d'expression22(*) et de réunion des membres de la communauté universitaire, garanties en ces termes par l'article L. 811-1 du code de l'éducation : « [Les usagers du service public de l'enseignement supérieur] disposent de la liberté d'information et d'expression à l'égard des problèmes politiques, économiques, sociaux et culturels. Ils exercent cette liberté à titre individuel et collectif, dans des conditions qui ne portent pas atteinte aux activités d'enseignement et de recherche et qui ne troublent pas l'ordre public. / Des locaux sont mis à leur disposition. Les conditions d'utilisation de ces locaux sont définies, après consultation du conseil académique en formation plénière, par le président ou le directeur de l'établissement, et contrôlées par lui ».

Il en résulte que s'il est de la responsabilité des établissements d'enseignement supérieur de garantir la liberté d'expression en leur sein et d'offrir à ce titre des lieux de débats aux étudiants, l'exercice de cette liberté est limité par la survenue d'un trouble à l'ordre public.

Les conditions d'application de cette disposition ont été récemment précisées par la décision du 6 mai 2024 du juge des référés du Conseil d'État23(*), saisi de l'interdiction préventive, par l'université Paris Dauphine-PSL, d'une conférence organisée par son comité France Palestine. Le Conseil d'État a rappelé à cette occasion que les établissements d'enseignement supérieur « [doivent] veiller à la fois à l'exercice des libertés d'expression et de réunion des usagers du service public de l'enseignement supérieur et au maintien de l'ordre dans les locaux comme à l'indépendance intellectuelle et scientifique de l'établissement, dans une perspective d'expression du pluralisme des opinions », et que « si les étudiants de l'université Paris-Dauphine ont droit à la liberté d'expression et de réunion dans l'enceinte de l'établissement, cette liberté ne saurait permettre des manifestations qui, par leur nature, iraient au-delà de la mission de l'établissement, perturberaient le déroulement des activités d'enseignement et de recherche, troubleraient le fonctionnement normal du service public ou risqueraient de porter atteinte à l'ordre public. Il incombe aux autorités compétentes de l'université, en vue de donner ou de refuser la mise à disposition d'une salle, de prendre toutes mesures nécessaires pour à la fois veiller au respect des libertés dans l'établissement, assurer l'indépendance de celui-ci de toute emprise politique ou idéologique et maintenir l'ordre dans ses locaux ».

En l'espèce, le juge des référés a considéré que la réalité des menaces alléguées à l'ordre public et l'impossibilité d'y faire face n'avaient pas été suffisamment démontrées pour que l'établissement puisse porter atteinte à la liberté d'expression et de réunion des étudiants, et a en conséquence enjoint à l'université Paris Dauphine-PSL de permettre la tenue de cette conférence.

Il relève au total de la compétence, et même de la responsabilité des présidents d'établissements de mettre en garde contre les risques de dérive à l'occasion de certains événements étudiants, et même d'interdire préventivement certains débats qui n'en sont pas.

b) Assurer le plein exercice des prérogatives de maintien de l'ordre des présidents d'établissement en cas de trouble à l'ordre public avéré

Dans les cas où les mesures prises par les chefs d'établissement n'ont pas permis de prévenir effectivement la survenue de trouble à l'ordre public, il leur appartient, en application de l'article L. 712-2 du code de l'éducation, d'assurer le maintien de l'ordre ; ils peuvent alors décider de faire appel à la force publique.

À l'occasion de son audition par la commission, la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche a indiqué qu'une trentaine d'interventions des forces de l'ordre avaient eu lieu dans l'enceinte ou aux abords des établissements entre le 27 avril et le 29 mai. Ces interventions ont été déclenchées ou par la réquisition du président d'établissement lorsque les troubles surviennent dans ses locaux, ou sur décision du préfet lorsque les troubles ont été constitués sur la voie publique, notamment aux abords du campus. La préfecture de police de Paris indique à ce titre qu' « une relation étroite, fluide et très réactive est installée avec les équipes dirigeantes des établissements supérieurs, via le rectorat délégué à l'enseignement supérieur, qui assure un lien permanent », et que le préfet de police a veillé à accorder systématiquement et immédiatement le concours de la force publique face aux intrusions et tentatives d'occupation des établissements intervenues ces dernières semaines.

Ces interventions, « nécessaires mais proportionnées » aux termes de la ministre, ont permis aux établissements de retrouver leur cadre normal de fonctionnement et aux examens de se tenir, en évitant que les occupations de locaux ne s'établissent durablement. Alors que les mobilisations étudiantes en faveur de la Palestine ont débouché à l'étranger sur une multiplication des violences, voire sur des affrontements entre étudiants, ces situations ont largement été évitées dans l'enseignement supérieur français.

III. ASSURER LA MOBILISATION DE TOUS LES ACTEURS DANS LA POURSUITE ET LA SANCTION DES AUTEURS D'AGISSEMENTS ANTISÉMITES

Le troisième axe de réponse à la progression des agissements antisémites dans les établissements du supérieur réside, à chaque fois que c'est possible, dans l'engagement systématique de poursuites et le prononcé de sanctions adaptées contre leurs auteurs. Si ce mode de réponse n'est bien sûr pas pertinent, ni même mobilisable face au climat d'antisémitisme diffus qui se révèle dans les établissements, le message fort associé à sa mise en oeuvre systématique peut néanmoins permettre de rappeler le cadre de valeurs et d'obligations réciproques qui doit structurer la vie universitaire.

Il apparaît à cet égard que la faiblesse constatée dans le déclenchement des poursuites et des sanctions appelle une mobilisation plus ferme des responsables d'établissements, qui, dans le contexte de l'inquiétante perte de repères traversée par l'Université, doivent appliquer l'ensemble des obligations qui leur incombent au titre de la sanction des actes antisémites dont ils ont connaissance. Les procédures ainsi engagées sont susceptibles de recevoir des améliorations à la marge dans leur volet disciplinaire comme dans leur volet judiciaire.

A. SYSTÉMATISER LES POURSUITES DES AUTEURS D'AGISSEMENTS ANTISÉMITES

1. Des politiques de répression hétérogènes entre les établissements
a) Seule une minorité des actes antisémites relevés donne lieu à des poursuites et à des sanctions

Si le nombre d'actes antisémites mesurés dans les établissements d'enseignement supérieur est très inférieur à la réalité du phénomène, le nombre de ceux faisant l'objet de poursuites l'est encore davantage - sans même parler de celui des actes effectivement sanctionnés. Lors de son audition par la commission, France Universités faisait ainsi état, pour la période allant du 7 octobre 2023 au début du mois d'avril 2024, de :

- 6 saisines de commission disciplinaire pour des faits à caractère antisémite, contre 11 pour l'ensemble de l'année universitaire 2022-2023 ;

- 14 signalements effectués auprès des procureurs de la République au titre de l'article 40 du code de procédure pénale, contre 4 en 2022-2023 ;

- 8 dépôts de plainte, contre 5 en 2022-2023.

Le ministère a quant à lui relevé, sur le fondement d'un recensement ad hoc effectué auprès des rectorats, une dizaine de mesures prises par les établissements entre le 7 octobre et la fin du mois de mai, tous types de réponses confondus (mesures conservatoires, enquête administrative, saisine des sections disciplinaires, signalement au procureur).

La procureure générale près la Cour d'appel de Paris, Marie-Suzanne Le Quéau, a enfin indiqué que depuis le 7 octobre 2023, les seuls signalements et plaintes en lien avec des faits d'antisémitisme dans l'enseignement supérieur adressés au parquet de Paris portaient sur l'empêchement fait le 12 mars 2024 à une étudiante de l'Institut d'études politiques de Paris d'entrer dans l'amphithéâtre Boutmy occupé. Ces saisines ont donné lieu à l'ouverture d'une enquête pour un délit de provocation publique à la discrimination, à la haine ou à la violence. Trois autres plaintes et signalements effectués par Sciences Po ont fait l'objet d'une transmission à d'autres parquets, du fait de la domiciliation des auteurs identifiés ; ils portaient sur des tweets virulents postés à l'occasion de la constitution du mouvement « Science Palestine », sur la diffusion de tweets antisémites par un étudiant et sur des faits de discrimination commis sur le campus du Havre.

b) Le débat autour du traitement des faits survenant dans des contextes péri-universitaires témoigne de pratiques différentes des universités

S'il est vrai que le faible nombre de ces réponses et procédures peut être rapporté aux délais de traitement des actes du fait de l'application des procédures prévues par les textes24(*), ceux-ci ne suffisent cependant pas à expliquer l'ampleur du décalage entre le nombre des actes relevés et ceux faisant l'objet de poursuites - d'autant que les données fournies par France Universités et le ministère ne coïncident pas. Il semble que cette constatation doive également être mise en lien avec la pratique des dirigeants d'établissement, dont les auditions ont permis de constater qu'elle était très hétérogène en matière d'engagement de poursuites ; un président d'établissement a même indiqué procéder à une « gestion des incidents » plutôt qu'à leur répression.

Les auditions ont en particulier donné lieu à des débats sur la possibilité pour les présidents d'engager ou non des procédures disciplinaires et judiciaires pour des faits d'antisémitisme se déroulant dans des contextes péri-universitaires, tels que des soirées étudiantes en dehors des campus ou des messageries en ligne, qui illustrent la diversité des approches mises en oeuvre au sein des établissements.

Certains présidents ont à ce titre avancé que la répression de ces agissements était entravée par les difficultés d'établissement de la matérialité des faits survenus dans ces contextes et par l'impossibilité juridique de les relier directement à la vie de l'établissement. Lors de son audition par la commission, le président de France Universités Guillaume Gellé a ainsi indiqué que les présidents d'établissement sont « relativement démunis face à ce qui se passe dans la sphère privée », pour laquelle « une question juridique se pose vraisemblablement », avant de considérer que « la sphère privée reste l'angle mort de l'ensemble des luttes contre les discriminations ».

À l'inverse, Hugues Kenfack, président de l'université de Toulouse-Capitole, a indiqué avec force que « l'impossibilité de sanctionner n'existe pas » et que tous les faits portant atteinte au fonctionnement de l'université, y compris ceux survenant dans des boucles de messagerie ou des soirées privées, doivent être poursuivis et réprimés, « sans que les établissements puissent s'abriter derrière des difficultés juridiques pour ne rien faire ». Il a souligné qu'il se considérait comme « en mission » sur cet aspect, afin de ne pas ouvrir la porte à la commission de faits plus graves. Un étudiant ayant tenu des propos antisémites dans un groupe rassemblant sur un réseau social des étudiants de première année de licence a ainsi été sanctionné par la commission disciplinaire et s'est vu signifier une exclusion de l'établissement d'une durée d'un an, dont six mois avec sursis ; un signalement des faits correspondants a parallèlement été fait auprès du procureur de la République au titre de l'article 40 du code de procédure pénale.

De la même manière, l'administrateur provisoire de l'Institut d'études politiques de Paris a indiqué que le traitement des signalements effectués auprès des instances de l'établissement couvre les événements qui se déroulent hors du temps universitaire, y compris pendant des soirées étudiantes privées.

La possibilité d'engager des poursuites disciplinaires contre les auteurs d'actes antisémites commis en dehors des murs de l'université résulte en effet de la combinaison de la loi du 29 juillet 1881 précitée, qui sanctionne les actes et propos antisémites, de l'article R. 811-1 du code de l'éducation, qui prévoit que les auteurs et complices de « tout fait de nature à porter atteinte à l'ordre, au bon fonctionnement ou à la réputation de l'université » relèvent du régime disciplinaire de leur établissement, et de la jurisprudence du Conseil d'État25(*), qui a établi qu'un étudiant peut être sanctionné pour des faits qui se sont déroulés en dehors de l'établissement dès lors que ces faits ont été connus dans l'établissement et ont affecté son bon fonctionnement. Ainsi, le contexte dans lequel un acte antisémite a été commis n'emporte aucune conséquence sur la possibilité d'engager des poursuites disciplinaires dès lors que son auteur est membre de la communauté universitaire, dans la mesure où ses agissements sont dès lors susceptibles de porter atteinte au fonctionnement et à la réputation de son établissement, et dès lors que ces actes ont été portés à la connaissance de ses responsables.

La question de l'appréhension par le droit pénal, dans le cadre d'une procédure judiciaire, des contenus antisémites échangés sur les réseaux sociaux ou des messageries en ligne est plus épineuse, dans la mesure où elle est soumise à la condition de la publicité de ces contenus. La jurisprudence de la Cour de cassation précise à cet égard que l'acte de publicité s'entend de toute mise à disposition d'informations, de propos ou d'idées à un groupe indéterminé de personnes non liées par une communauté d'intérêts. Interrogée sur ce point par les rapporteurs, la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) du ministère de la justice a estimé que « les propos échangés entre étudiants d'une même classe, lors de soirées universitaires ou sur des boucles de messagerie de type Whatsapp, ne paraissent pas remplir la condition de publicité dans la mesure où ces étudiants sont alors liés par une communauté d'intérêts ». Ce type d'agissements antisémites pourraient néanmoins être poursuivis au titre de la contravention de provocation, diffamation ou injure non publique à caractère discriminatoire, à condition toutefois qu'ils ne revêtent pas un caractère confidentiel.

Par ailleurs, dans les cas où les éléments portés à la connaissance des établissements ne permettent pas d'identifier l'auteur d'un acte antisémite (notamment lorsqu'il s'abrite sous un pseudonyme ou que son nom n'apparaît pas dans une boucle de conversation), leur signalement au procureur au titre de l'article 40 du code de procédure pénale, outre qu'il permet à l'autorité judiciaire d'engager les investigations nécessaires, constitue une obligation qui s'impose aux chefs d'établissement comme à l'ensemble des autorités publiques ayant connaissance de crimes ou de délits dans l'exercice de leurs fonctions.

2. Assurer l'effectivité du principe de tolérance zéro prôné par la ministre
a) Les responsables d'établissements disposent de nombreux outils pour poursuivre les auteurs d'actes antisémites

À rebours de certaines considérations portées, au cours de la table ronde des présidents d'établissement, sur la nécessité de préciser et de renforcer l'arsenal répressif à la main des établissements, les rapporteurs ont pu constater que ceux-ci disposent aujourd'hui de l'ensemble des outils nécessaires pour assurer la poursuite et la sanction des actes antisémites.

L'arsenal des mesures de répression pouvant ainsi être déployées par les établissements confrontés à un agissement antisémite est le suivant :

- à titre préliminaire, la mise en place, sur décision directe du président, de mesures conservatoires nécessaires à la protection des victimes et des témoins, telle que l'interdiction temporaire d'assister aux enseignements, ainsi que l'ouverture d'une enquête administrative visant à établir la matérialité des faits et à préparer les travaux d'une éventuelle commission disciplinaire ;

- la saisine de la section disciplinaire de l'établissement, et, lorsque cela apparaît nécessaire au regard notamment des conséquences possibles de cette procédure sur la sérénité de la vie universitaire au sein d'un petit établissement, l'envoi d'une demande de dépaysement au rectorat. Les présidents et directeurs d'établissement ont ensuite la possibilité de faire appel de la décision rendue dans ce cadre devant le tribunal administratif ou le conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche (Cneser) ;

- parallèlement à l'engagement d'une procédure disciplinaire, les présidents et directeurs d'établissement ont également la possibilité de saisir l'autorité judicaire via le signalement adressé au procureur au titre de l'article 40 du code de procédure pénale et le dépôt de plainte ;

- tout acte antisémite en ligne donc ils auraient connaissance doit enfin être signalé sur le portail de la plateforme Pharos, qui relève du ministère de l'intérieur et peut transmettre les signalements effectués au pôle national de lutte contre la haine en ligne (PNHL) du tribunal judiciaire de Paris.

b) Les présidents et directeurs d'établissement doivent faire preuve d'une fermeté absolue

• Le renforcement de la réponse apportée aux agissements antisémites dans les établissements du supérieur ne doit donc pas passer par une modification législative ou réglementaire des outils à la disposition de leurs présidents et directeurs, mais par leur mobilisation effective et systématique. Selon les termes de Michel Deneken, président de l'université de Strasbourg, cette mobilisation suppose un « changement de culture » de la part de certains présidents d'université dans leur rapport à la répression et à l'autorité judiciaire ; la Fondation du Camp des Milles appelle de son côté à « faire reculer à tout prix la tentation du « pas de vagues » dans les établissements ».

C'est sur cette mobilisation que porte le message de « tolérance zéro » passé par la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, depuis le mois d'octobre dernier, aux différents responsables d'établissements. Par deux courriers en date des 9 et 27 octobre 2023, la ministre a ainsi rappelé aux chefs d'établissements leur devoir de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer le respect des lois et des principes républicains, et leur a en particulier recommandé, lorsqu'un cas de racisme ou d'antisémitisme est signalé, de prendre immédiatement les mesures conservatoires nécessaires à la protection des victimes et des témoins.

Insistant sur la nécessité pour les présidents et directeurs d'établissement de faire preuve de courage politique dans l'actionnement de ces différentes mesures et procédures, les représentants du ministère ont par ailleurs rappelé lors de leur audition qu'en cas de carence de la part des équipes dirigeantes, les rectorats de région académique constituaient le relais de la politique portée par l'État. Il leur revient ainsi de rappeler leurs obligations légales aux présidents et lorsque c'est nécessaire, de se substituer à eux pour engager une procédure disciplinaire, en application de l'article L. 811-25 du code de l'éducation.

Il a par ailleurs été rappelé aux rapporteurs que face à des agissements antisémites, la saisine du procureur de la République au titre de l'article 40 du code de procédure pénale ne constitue pas une simple faculté à la main des dirigeants d'établissements, mais bien une obligation légale qui s'impose à eux comme à l'ensemble des autorités publiques ayant connaissance de crimes ou de délits dans l'exercice de leurs fonctions. En cas de doute sur la nature des agissements constatés, comme ce fut le cas à de multiples reprises dans le cadre des mobilisations propalestiniennes, la saisine du procureur permet en outre - du moins selon l'esprit de la procédure - d'obtenir un éclairage sur la qualification des faits en cause.

• Plusieurs interlocuteurs de la mission ont insisté sur la nécessité d'accompagner l'engagement de ces différentes procédures d'une prise de parole publique des responsables d'établissement, afin de donner rapidement des repères à la communauté universitaire dans ces situations de crise. La Fondation du Camp des Milles estime à ce titre qu'une répression stricte des agissements antisémites qui ne serait pas accompagnée d'une parole visant à la reconstruction de ces repères serait non seulement inefficace, mais encore contre-productive.

Cette prise de parole est particulièrement importante lorsque l'enquête administrative n'a pas permis de déclencher une procédure disciplinaire et donc un traitement interne à l'établissement des agissements en cause ; dans l'attente de la résolution du volet judiciaire des poursuites engagées, qui peut prendre des années, la gouvernance des établissements doit procéder d'elle-même à une réaffirmation ferme des principes et des règles qui s'imposent à la communauté universitaire.

L'audition de la procureure générale près la Cour d'appel de Paris a cependant permis d'identifier un cas de figure dans lequel une telle prise de parole devrait, par exception, être évitée : lorsque le signalement de propos antisémites tenus en ligne ou dans le cadre de systèmes de messagerie donne lieu à des investigations visant à identifier leurs auteurs, il arrive que les services de police procèdent à des enquêtes sous pseudonyme ; il est alors crucial que les responsables d'établissement observent la complète discrétion nécessaire au succès de ces investigations.

B. AFFIRMER LA PLACE PRÉPONDÉRANTE DE LA PROCÉDURE DISCIPLINAIRE DANS LA LUTTE CONTRE L'ANTISÉMITISME

La mobilisation des dirigeants d'établissement doit notamment passer par un renforcement de la place de la procédure disciplinaire dans la répression des actes antisémites, qui doit ainsi retrouver tout son rôle dans la résolution des crises traversées par les établissements au cours des derniers mois. Ce renforcement suppose que la procédure disciplinaire, historiquement construite pour régler les cas de fraude académique, soit aujourd'hui adaptée aux nouveaux enjeux posés par les actes de violence, de discrimination et de haine survenant dans les établissements.

1. Les limites de l'approche disciplinaire ne doivent pas décourager son utilisation
a) Plusieurs difficultés font obstacle à l'efficacité de la voie disciplinaire

Les auditions conduites par les rapporteurs ont fait apparaître une impression globale de dysfonctionnement de la voie disciplinaire, voire d'impunité dans ce cadre des auteurs d'actes de violences et de discriminations de toute nature. Ce sentiment général tient à plusieurs limites du régime disciplinaire, qui ne sont pas spécifiques aux procédures portant sur des actes racistes et antisémites.

• La faiblesse du nombre des procédures disciplinaires engagées par les établissements résulte principalement, selon l'analyse et le témoignage concordants du ministère de l'enseignement supérieur et des présidents et directeurs entendus par la mission, des difficultés rencontrées dans l'établissement de la matérialité des faits en cause. Que ce soit en raison du silence des victimes, de l'absence de flagrance en cas d'inscriptions et de tags (souvent effectués dans des endroits peu accessibles), ou encore de l'impossibilité pour les établissements d'identifier les auteurs de propos antisémites tenus en ligne ou dans le cadre de messageries à partir de leur pseudonyme ou de leur numéro de téléphone, il arrive fréquemment que les enquêtes administratives ne permettent pas de rassembler suffisamment d'éléments pour déboucher sur l'engagement de poursuites disciplinaires.

Plusieurs dirigeants d'établissements ont à ce titre souligné qu'ils ne disposent pas des pouvoirs d'investigation qui leur permettraient de rassembler ces éléments. Le service d'ordre présent dans les universités est en effet uniquement compétent en matière de sécurisation des locaux, et ne dispose d'aucun pouvoir relatif, notamment, au relevé des identités. Lorsqu'elle existe, la vidéosurveillance ne peut être mobilisée pour établir la matérialité de faits délictueux. Surtout, les établissements ne disposent pas des pouvoirs nécessaires à l'authentification des messages échangés en ligne, sur lesquels portent la majorité des signalements.

L'administrateur provisoire de l'Institut d'études politiques de Paris a ainsi souligné les limites de l'approche disciplinaire au regard de ces difficultés, en dépit de la mise en place en 2022 d'une cellule d'enquêtes internes préalables (CEIP) spécialisée et présidée par une personnalité qualifiée assistée de deux juristes.

Interrogé sur ce sujet par les rapporteurs, le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche a indiqué, sans convaincre complètement, que des travaux étaient en cours pour renforcer la formation des présidents d'université en la matière, et que des pools de compétences pourraient être mutualisés pour permettre aux petits établissements disposant de faibles ressources internes de conduire leurs enquêtes administratives avec les moyens nécessaires.

La CNCDH a sur ce point exposé que la procédure disciplinaire se heurte à la même difficulté que la procédure judiciaire dans la sanction effective des actes poursuivis. Le contentieux relatif aux actes racistes discriminatoires se caractérise en effet par un nombre de classements sans suite et de solutions alternatives aux poursuites très élevé : en 2021, la moitié des 7 721 affaires à caractère raciste orientées par les parquets ont ainsi fait l'objet d'un classement sans suite. Aucune condamnation pénale sur un motif discriminatoire, pourtant visé par 23 dispositions législatives, n'a par ailleurs été prononcée en 2023. Cette situation, qui résulte principalement des difficultés liées à l'élucidation des faits, est exacerbée dans le cadre disciplinaire du fait de l'absence de pouvoirs d'enquête des établissements.

• Les associations étudiantes ont quant à elles principalement mis en cause la lenteur du processus disciplinaire pour expliquer la réticence des victimes à s'engager dans cette voie. Le temps nécessaire à la réalisation des enquêtes administratives et au respect des garanties procédurales est en effet à l'origine de délais importants entre l'engagement des poursuites et le prononcé des sanctions, ce qui peut donner une impression d'inaction. Il est à noter que le poids de ce délai est d'autant plus fortement ressenti par les victimes qu'elles peuvent continuer à être confrontées à leur agresseur tout au long du processus disciplinaire, en cas d'absence ou d'insuffisance des mesures disciplinaires prises par le président d'établissement.

• Les associations étudiantes ont par ailleurs souligné qu'en matière de violences et de discriminations, les sanctions prononcées par les instances disciplinaires manquaient souvent de proportionnalité par rapport à la gravité des actes faisant l'objet des poursuites. Des représentants des étudiants en médecine ont ainsi souligné que des délits qui pourraient donner lieu, dans le cadre de la justice ordinale, à une radiation du tableau de l'ordre, ne donnent pas même lieu à une sanction d'exclusion.

b) La procédure judiciaire ne peut se substituer à la voie disciplinaire

Les rapporteurs, conscients de ces différentes difficultés - dont certaines tiennent ici encore à la pratique des établissements - estiment cependant que la réponse aux actes antisémites doit passer, à chaque fois que c'est possible et pertinent26(*), par la voie disciplinaire.

Du fait de la longueur de ses procédures, la justice pénale ne peut en effet avoir qu'un rôle complémentaire à la voie disciplinaire, qui doit occuper le rôle de premier plan dans la sanction des actes antisémites et endosser les valeurs de publicité et d'exemplarité associées à toute procédure de sanction.

Plusieurs interlocuteurs de la mission ont souligné à ce titre que la procédure de saisine du procureur de la République au titre de l'article 40 du code de procédure pénale pouvait avoir un effet déresponsabilisant sur les présidents d'établissement : l'activation répétée de cette procédure, lorsqu'elle n'est pas accompagnée de l'engagement concomitant d'une procédure disciplinaire et d'un dépôt de plainte, constitue en effet un moyen pour certains chefs d'établissement de se défausser de leurs obligations dans l'attente du verdict hypothétique et lointain de la justice.

La DACG du ministère de la justice souligne en outre que la conduite à leur terme des procédures disciplinaires, en ce qu'elle permet d'éclairer le parquet sur les mesures prises par l'établissement et d'orienter ainsi sa prise de décision, est indispensable à la définition d'une réponse pénale adaptée dans le cadre judiciaire.

2. Adapter la procédure disciplinaire au nouveau défi de la lutte contre les actes racistes et antisémites

Le renforcement de la mobilisation du cadre disciplinaire pour répondre aux agissements antisémites suppose cependant de l'adapter aux enjeux spécifiquement posés par les actes de violence, de discrimination et de haine survenant dans les établissements.

a) Repenser le cadre réglementaire de la procédure disciplinaire

Cette adaptation pourrait en premier lieu passer par une refonte partielle du cadre réglementaire de la procédure disciplinaire, qui a été historiquement conçu pour le traitement des cas de fraude et de triche. Les deux motifs d'activation de cette procédure prévus par l'article R. 811-1 du code de l'éducation sont en effet, d'une part, la fraude ou tentative de fraude commise notamment à l'occasion d'une inscription d'une épreuve de contrôle continu, d'un examen ou d'un concours, d'autre part et d'une manière générale, « tout fait de nature à porter atteinte à l'ordre, au bon fonctionnement ou à la réputation de l'université ». Si cette formulation permet dans les faits de couvrir les actes racistes et antisémites ainsi que les faits de violence et de discriminations, ces différents agissements ne relèvent de la compétence disciplinaire qu'en ce qu'ils portent atteinte au déroulement normal de la vie universitaire.

Il pourrait en conséquence être envisagé de compléter ces dispositions en visant explicitement les faits de racisme et d'antisémitisme, et plus largement de violences et de discrimination. Une telle évolution réglementaire permettrait d'affirmer clairement que ces actes n'ont pas leur place au sein de l'Université, mais également de clarifier le champ des mesures à la disposition des présidents d'établissements pour y répondre. Cette évolution pourrait en outre être l'occasion de préciser, voire de renforcer les pouvoirs d'enquête des présidents face à ce type d'agissements, ainsi que de donner davantage de place aux victimes dans le processus disciplinaire27(*).

Recommandation n° 10 : Adapter le régime de la procédure disciplinaire à la sanction des actes racistes et antisémites, en complétant la liste des faits permettant de la déclencher et en renforçant les pouvoirs d'investigation des établissements.

b) Généraliser l'application des mesures de responsabilisation

Cette adaptation doit également passer par une généralisation de l'application des mesures de responsabilisation dans la sanction des actes antisémites.

L'article L. 811-36 du code de l'éducation prévoit l'échelle de sanctions pouvant être décidées par les commissions disciplinaires des établissements, qui va de l'avertissement à l'exclusion définitive de tout établissement public d'enseignement supérieur. Depuis la réforme de la procédure disciplinaire intervenue en 202028(*), cette échelle intègre également des mesures de responsabilisation consistant « à participer bénévolement, en dehors des heures d'enseignement, à des activités de solidarité, culturelles ou de formation à des fins éducatives ». Parallèlement à la sanction, cette mesure de responsabilisation permet ainsi d'apporter une réponse pédagogique aux agissements délictueux, l'objectif est que l'étudiant comprenne la gravité des actes commis.

Plusieurs des interlocuteurs de la mission d'information ont plaidé pour la généralisation de ces mesures, qui peuvent prendre des formes multiples permettant de s'adapter aux profils des auteurs d'actes antisémites. Ces mesures pourraient ainsi consister en la rédaction d'un mémoire portant sur les enjeux de la lutte contre l'antisémitisme, la participation à des modules de sensibilisation aboutissant à la production d'une note écrite, ou encore la participation à des stages de citoyenneté ou à des travaux d'intérêt général dans un lieu de mémoire. Le ministère a par ailleurs indiqué souhaiter développer des modules s'inspirant des méthodes de la justice restaurative, qui permettraient aux personnes sanctionnées de dialoguer avec des victimes. Dans tous les cas, il s'agit de donner la possibilité à l'auteur d'un acte antisémite d'en comprendre la portée.

Il est à noter que de telles mesures de responsabilisation peuvent également être mobilisées dans le cadre judiciaire, sous la forme de mesures alternatives et de peines complémentaires à valeur pédagogique. Le parquet de Paris a ainsi mis en place deux stages de sensibilisation destinées aux auteurs d'actes racistes et antisémites : le premier a été conçu en lien avec le Mémorial de la Shoah et comprend, outre un module de sensibilisation à la lutte contre l'antisémitisme, une demi-journée consacrée au génocide des Tutsis ; le second, mis en oeuvre par l'association ABS Insertion, porte plus spécifiquement sur la haine en ligne.

C. RENFORCER LA COOPÉRATION AVEC LES AUTORITÉS JUDICIAIRES

La plupart des établissements d'enseignement supérieur ayant déjà régulièrement recours à la procédure de signalement prévue par l'article 40 du code de procédure pénale pour signaler les actes antisémites aux procureurs de la République, la nécessité de renforcer, ou plutôt de créer la coopération entre les acteurs de l'enseignement supérieur et les autorités judiciaires a enfin été évoquée au cours de la plupart des auditions conduites par les rapporteurs.

1. Un défaut d'information aigu des établissements quant aux suites données à leurs signalements

L'article 40-2 du code de procédure pénale prévoit que « le procureur de la République avise [...] les personnes ou autorités mentionnées au deuxième alinéa de l'article 40 des poursuites ou des mesures alternatives aux poursuites qui ont été décidées à la suite de leur plainte ou de leur signalement » et que « lorsqu'il décide de classer sans suite la procédure, il les avise également de sa décision en indiquant les raisons juridiques ou d'opportunité qui la justifient ». Les présidents et directeurs d'établissement entendus par les rapporteurs ont pourtant unanimement regretté l'absence de suite donnée par les parquets aux signalements qu'ils leur adressent au titre de l'article 40 du code de procédure pénale.

Cette absence de retour est d'autant plus dommageable que les signalements ainsi effectués visent bien souvent à obtenir des éclairages quant au traitement à réserver aux actes difficiles à qualifier. Ainsi que l'a exprimé la présidente de l'université de Toulouse-Jean Jaurès, « cette absence de communication maintient les universités dans une incertitude quant au bien-fondé du signalement et ne favorise donc pas l'amélioration de leur capacité d'analyse des agissements ».

Interrogée sur les raisons de cette pratique, la procureure près la Cour d'appel de Paris a souligné que « l'information des plaignants ou des signalants sur les suites données est un des enjeux majeurs du ministère public en toute matière », et que « les présidents d'université n'ont jusqu'à présent pas été des interlocuteurs privilégiés des parquets en raison du peu d'infractions commises au sein de l'Université ». Elle a également indiqué, en souhaitant que ces bonnes pratiques soient systématisées dans l'ensemble des parquets, que la section compétente du parquet de Paris pour le traitement des discours de haine s'astreignait à accuser réception de chacun des signalements reçus, et que des réunions trimestriellement organisées avec la Licra et l'UEJF permettaient d'informer ces associations de l'avancée des enquêtes et des poursuites qui les concernent.

Le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche a par ailleurs regretté que ses liens avec les ministères de l'intérieur et de la justice soient « minimes » et passent principalement par le dispositif de pilotage et de suivi du Prado, ce qui n'a pas permis de créer les conditions d'un partage d'informations.

2. Développer des partenariats locaux entre les établissements et les parquets

Cette situation est révélatrice d'un manque de coopération institutionnalisée entre les acteurs de l'enseignement supérieur et les parquets, ce qui subordonne la circulation des informations, lorsqu'elle existe, à la bonne volonté des personnes en poste dans chacune des deux institutions. Les besoins de coopération sont pourtant multiples, qu'il s'agisse de définir ou de préciser les bonnes pratiques à mettre en oeuvre par les établissements dans la rédaction et la transmission de leurs signalements, de développer une meilleure connaissance réciproque des contraintes et des besoins respectifs des établissements et des procureurs, ou tout simplement de tisser une relation pour faciliter la circulation des informations au bénéfice de chacun. D'une manière générale, la seule mise à disposition d'un interlocuteur dédié suffit à créer une dynamique positive dans les échanges entre les établissements et les parquets.

Les rapporteurs observent qu'un dispositif de coopération a été développé entre l'autorité judiciaire et les services de l'Éducation nationale afin de coordonner leurs actions face aux infractions survenant dans le cadre scolaire29(*). Cette coopération passe notamment par la conduite d'un travail interministériel entre la DACG du ministère de la justice et le ministère de l'éducation nationale afin de formaliser les signalements émanant de ce dernier ; des magistrats référents pour l'Éducation nationale ont également été désignés au sein de chaque parquet. Aucun dispositif général de ce type n'a cependant encore été déployé dans le champ de l'enseignement supérieur.

Il apparaît dès lors indispensable de développer une coopération formalisée entre les présidents d'établissements et les procureurs, qui pourrait passer par la signature de conventions entre les établissements et le parquet dont ils dépendent. Cette évolution, qui va dans le sens d'un renforcement de l'autonomie des universités, a déjà été mise en place ou est en cours de développement dans certains établissements, sans que le ministère de la justice n'ait pu fournir « d'information exhaustive » sur le nombre de protocoles passés à ce jour.

Le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, qui encourage la signature de telles conventions, indique par ailleurs qu'elles peuvent également être portées « à l'échelle du rectorat de la région académique au bénéfice de tous les établissements d'enseignement supérieur de la région ». L'université de Toulouse-Capitole a ainsi précisé qu'une convention-type de partenariat associant la région académique Occitanie, les établissements d'enseignement supérieur de la région et les parquets était en cours d'élaboration par les instances de l'établissement chargées de la lutte contre les VSS, et pourrait être ensuite élargie à tous les crimes et délits pouvant faire l'objet d'un signalement au titre de l'article 40 du code de procédure pénale.

Recommandation n° 11 : Afin d'améliorer le suivi des signalements effectués au titre de l'article 40 du code de procédure pénale, généraliser les conventions de partenariat entre les établissements d'enseignement supérieur et les parquets locaux.

EXAMEN EN COMMISSION

MERCREDI 26 JUIN 2024

___________

M. Laurent Lafon, président. - Nous examinons le rapport de Pierre-Antoine Levi et Bernard Fialaire consacré à l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur.

M. Bernard Fialaire, rapporteur. - Mes chers collègues, face aux inquiétantes dérives constatées ces derniers mois, la commission de la culture nous a confié la délicate mais passionnante mission de dresser un état des lieux de la diffusion de l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur et de la réponse qui lui est apportée par les pouvoirs publics, dont nous allons vous présenter aujourd'hui les conclusions.

Permettez-moi de désamorcer à titre liminaire les critiques qui pourraient être adressées à la commission quant au calendrier retenu. Nous sommes aujourd'hui devant vous pour vous présenter notre rapport à la date qui a été fixée dès le début de nos travaux, en tenant compte de la dégradation et de l'urgence de la situation. Il ne s'agit donc aucunement d'attiser les polémiques qui se succèdent à l'approche du premier tour des élections législatives : notre objectif est de définir avant l'été, face au risque de la banalisation de l'expression antisémite dans les enceintes universitaires et à la souffrance des étudiants victimes, un plan d'action qui puisse être mis en oeuvre dès la prochaine rentrée universitaire.

Nous avons en conséquence travaillé très vite et rencontré en deux mois plus de soixante acteurs de premier plan de la lutte contre l'antisémitisme, lesquels nous ont livré leurs analyses et leurs préconisations au cours d'échanges souvent stimulants et parfois inquiétants. Plusieurs d'entre vous ont ainsi eu l'occasion d'entendre à nos côtés les points de vue de présidents d'établissement aux approches très différentes, de représentants des associations antiracistes et mémorielles, des pouvoirs publics, y compris le ministère de la Justice, des étudiants de différentes filières, et enfin de grands témoins tels que Delphine Horvilleur ou le grand rabbin de France.

Ces auditions nous ont permis de formuler onze propositions, qui s'inscrivent, de manière opérationnelle, dans le cadre des principes de l'autonomie des établissements et de la liberté académique.

M. Pierre-Antoine Levi, rapporteur. - Au terme de nos travaux, nous dressons un constat malheureusement très inquiétant quant au climat d'antisémitisme qui se diffuse dans de nombreux établissements depuis le 7 octobre dernier.

Pour de nombreux étudiants, la sauvagerie et la brutalité des attaques terroristes du 7 octobre et la réponse militaire qui se déploie à Gaza font partie de leurs premières expositions aux terribles réalités d'un conflit international. Les mobilisations qui en ont découlé, centrées sur une remise en cause parfois radicale de la politique du gouvernement israélien, ont donné lieu à d'insupportables dérapages reposant sur l'assignation d'étudiants juifs à Israël, réactivant la sinistre mécanique de l'essentialisation et de l'ostracisation qui se trouve au fondement de l'antisémitisme.

Les événements du 7 octobre ont ainsi agi comme le révélateur cruel de la permanence, au coeur de l'Université, d'un antisémitisme latent : loin d'avoir disparu des enceintes universitaires, la plus ancienne des hostilités identitaires tire aujourd'hui une nouvelle force de sa légitimation idéologique par le conflit en cours, et connaît une puissante résurgence. Au-delà d'agissements isolés et sporadiques, qui n'ont jamais totalement cessé et qui sont souvent le fait de sympathisants de l'ultradroite, cette réactivation de l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur s'inscrit aujourd'hui dans une nouvelle dynamique collective, attisée par une idéologie qui relève désormais également de l'extrême gauche de l'échiquier politique.

Si ce changement d'échelle de l'expression antisémite est insupportable dans l'ensemble de la société, il est particulièrement choquant à l'Université : alors que celle-ci devrait être le lieu du débat et de l'ouverture humaniste permettant le dépassement des préjugés, elle devient le centre des affrontements et le symbole de l'impossibilité du dialogue. Ce phénomène doit être combattu avec la plus grande fermeté, car les enjeux politiques ne doivent pas masquer cette réalité inadmissible au sein de notre République : depuis le 7 octobre, une catégorie d'étudiants a peur de se rendre à l'université - et il est à craindre, si rien n'est fait rapidement, que le phénomène d'évitement de certains établissements publics constatés dans l'enseignement secondaire s'étende bientôt à l'enseignement supérieur.

M. Bernard Fialaire, rapporteur. - Ces observations générales sont appuyées sur trois séries de constats étayées, dans notre rapport, par de nombreux exemples tirés de nos auditions.

Nous relevons tout d'abord une importante sous-évaluation de la réalité de l'antisémitisme dans le supérieur. Si le nombre des actes antisémites recensés reste faible en valeur absolue - 67 entre le 7 octobre et le 10 avril d'après France Universités -, le phénomène ne saurait pour autant être considéré comme résiduel. Le fort décalage entre ces chiffres et les résultats de l'étude de l'Institut français d'opinion publique (Ifop) de septembre 2023, selon laquelle neuf étudiants juifs sur dix ont déjà été confrontés à un acte antisémite, incite en effet à la prudence. La commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) évoque à ce propos un « chiffre noir » de l'antisémitisme, qui résulte d'un phénomène massif de sous-déclaration commun à l'ensemble des atteintes à caractère raciste et discriminatoire, tandis que la délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah) a estimé devant nous que ces chiffres sont « probablement sous-estimés ».

Plusieurs facteurs contribuent à cette sous-estimation. Au silence des victimes et des témoins, souvent par peur des représailles, s'ajoute la tentation du « pas de vagues » dans les établissements. Les actes survenant dans des contextes péri-universitaires tels que les soirées étudiantes, les lieux de stage ou les messageries en ligne constituent par ailleurs des zones grises.

Surtout, les présidents d'établissement se sentent démunis pour procéder à la qualification juridique de certains actes, et notamment, dans le contexte des mobilisations étudiantes, pour distinguer entre la critique politique légitime du gouvernement israélien, protégée par la liberté d'expression, et les déclarations antisémites constitutives de délits sanctionnés par le droit pénal. Du fait de l'ambiguïté et du caractère amalgamant du terme, ces difficultés portent notamment sur les prises de position « antisionistes » ; certains slogans utilisés lors des occupations de campus ainsi que l'utilisation du symbole des mains rouges ont également suscité de fortes réserves. Plusieurs dirigeants ont dès lors regretté de se sentir pris en étau entre deux accusations opposées : celle de criminaliser l'action politique et celle de ne pas assurer le respect des principes républicains fondamentaux.

Les faits qui nous ont été rapportés témoignent malheureusement d'une forte vivacité des agissements antisémites dans les établissements, allant du tag anonyme à l'agression physique, comme ce fut le cas à Strasbourg en janvier dernier. Nous avons également été alertés sur des situations de harcèlement et d'ostracisation d'étudiants juifs, passant par des bousculades répétées dans les couloirs, des changements de place dans les amphithéâtres, la répétition de blagues reposant sur des clichés antisémites ou encore l'isolement de certains étudiants à l'heure de constituer des groupes de travail. Ces actes, qui prennent la forme diffuse d'un « antisémitisme d'atmosphère », sont d'autant plus insidieux qu'ils sont difficiles à repérer et à caractériser.

Le combat doit tout d'abord passer, comme toujours en matière de politiques publiques, par une objectivation du phénomène et par une détection systématique des agissements antisémites. Or, lorsque nous avons interrogé les ministères de l'Enseignement supérieur et de la Justice sur l'évolution de leur nombre au cours des dernières années, nous avons eu la surprise de constater que ces données n'existaient tout simplement pas pour la période précédant le 7 octobre dernier, faute d'un système de signalement et de suivi statistique suffisamment robuste.

Nous relevons à ce titre que, en dépit de l'engagement et de l'implication des référents racisme et antisémitisme, le dispositif de signalement des établissements souffre de plusieurs faiblesses structurelles : une absence de base législative consolidée et un déploiement laissé au libre choix des établissements, d'une part ; une insuffisante identification par la communauté étudiante et un déficit de confiance de la part des victimes et des témoins, d'autre part.

M. Pierre-Antoine Levi, rapporteur. - En ce qui concerne ce premier axe de constats, nous recommandons tout d'abord de revoir le cadre de fonctionnement des dispositifs de signalement, afin de renforcer leur visibilité, de mieux définir les obligations incombant aux établissements et de lever les obstacles à la prise de parole des victimes et des témoins. Il pourra ici être tiré parti des avancées accomplies dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles (VSS), notamment en ce qui concerne les dispositifs d'écoute. Ce premier ensemble de recommandations, qui relève pour partie du domaine législatif, fera l'objet d'une proposition de loi présentée à l'automne.

Nous recommandons également aux établissements de généraliser le système des vice-présidences dédiées aux sujets d'égalité et de discriminations, qui semble très efficace pour en assurer le portage politique.

Nous recommandons enfin, pour répondre aux difficultés de qualification des faits d'antisémitisme, d'actualiser les ressources juridiques diffusées aux établissements pour les adapter aux nouvelles formes prises par l'expression antisémite, notamment lors des récentes mobilisations sur la situation à Gaza, et de diffuser plus largement la définition opérationnelle de l'antisémitisme de l'Alliance internationale pour la mémoire de l'Holocauste (IHRA), ainsi que le recommandait d'ailleurs une résolution du Sénat du 5 octobre 2021, adoptée à l'initiative de nos collègues Bruno Retailleau et Hervé Marseille.

Nous nous sommes ensuite penchés sur la manière de prévenir les dérives. La bonne démarche doit selon nous passer par la réaffirmation des missions fondamentales de l'université. Au coeur de ces dernières, nous trouvons d'une part la déconstruction de la mécanique raciste et antisémite par la diffusion des savoirs, d'autre part la préservation de la culture du débat et de la controverse, qui ne saurait constituer un prétexte à l'expression de propos de haine. Il s'agit ainsi de réarmer les esprits face à la confusion généralisée des valeurs et des savoirs qui fait le lit de l'antisémitisme.

La diffusion des savoirs doit à nos yeux être assurée par la systématisation de la formation et de la sensibilisation de tous les acteurs. Nous relevons à cet égard que le format des événements facultatifs en accès libre ne permet pas de toucher les publics auxquels ils sont prioritairement destinés. Nous préconisons en conséquence de rendre obligatoires, en dehors du temps des enseignements proprement dits, un certain nombre de formations. Ces formations interviendraient notamment lors de la première entrée dans l'enseignement supérieur, avant toute participation à certains événements de la vie étudiante, comme les soirées d'intégration, ou encore lors des demandes d'agrément présentées par les associations, dont la délivrance serait toujours subordonnée au suivi de cette sensibilisation. À l'image du travail accompli au cours des dernières années dans le champ des VSS, il s'agit de développer une acculturation de la communauté universitaire à la lutte contre l'antisémitisme.

Nous préconisons également de nous appuyer davantage sur les moyens de l'enseignement et de la recherche pour déconstruire les stéréotypes antisémites. Les départements d'études juives et hébraïques doivent à ce titre être sanctuarisés. Nous pourrions également nous appuyer sur une nouvelle structure publique de recherche et de formation interuniversitaire dédiée à la lutte contre le racisme et l'antisémitisme, sur le modèle de l'Institut d'étude des religions et de la laïcité (Irel), qui, je le rappelle, a été créé en 2002 dans le contexte du débat sur l'enseignement du fait religieux. La lutte contre l'antisémitisme pourrait enfin être intégrée dans les cursus de formation par un renforcement du bonus étudiant, compatible avec les libertés académiques.

M. Bernard Fialaire, rapporteur. - Les acteurs de l'université doivent également se mobiliser pour défendre la culture du débat, qui a été mise à mal au cours des derniers mois. Lorsque les possibilités du dialogue ont été épuisées, cette défense peut passer par une limitation temporaire et proportionnée des libertés d'expression et de réunion des étudiants, voire par le déclenchement de l'intervention des forces de l'ordre, dans le respect des franchises universitaires, ainsi que le cadre législatif et réglementaire le permet pour protéger l'ordre public et le bon fonctionnement des universités. Nous estimons que les présidents d'établissement ne doivent pas hésiter à interdire préventivement certains débats qui n'en sont pas.

Le troisième et dernier axe de réponse réside dans la systématisation, à chaque fois qu'elles sont possibles et pertinentes, des poursuites et des sanctions contre les auteurs d'agissements antisémites, en incluant des mesures de responsabilisation particulièrement adaptées aux profils étudiants.

Nous constatons à cet égard une forte diversité des approches des présidents d'établissement en matière répressive, illustrée par l'existence d'un débat sur la possibilité ou non d'engager des procédures pour les faits d'antisémitisme se déroulant dans la sphère privée. Nous considérons quant à nous, à l'instar de certains présidents, que l'impossibilité de poursuivre n'existe pas et que l'arsenal législatif et réglementaire à leur disposition est plus que suffisant pour assurer la sanction de tels agissements.

Nous relevons également que les signalements répétés au titre de l'article 40 du code de procédure pénale, lorsqu'ils ne sont pas accompagnés de l'engagement concomitant d'une procédure disciplinaire, constituent un moyen pour certains chefs d'établissement de se défausser de leurs obligations, dans l'attente du verdict hypothétique et lointain de la justice. Nous estimons que la voie disciplinaire doit constituer le mode prioritaire de sanction des agissements antisémites dans les établissements, de manière parallèle à l'engagement de poursuites judiciaires, qui s'inscrivent dans le temps long. Rappelons cette évidence : les actes antisémites doivent être sanctionnés avant que leurs auteurs aient quitté les établissements. Dans l'attente des décisions disciplinaires, le président a par ailleurs la possibilité de prendre des mesures conservatoires permettant d'assurer la protection des victimes, comme l'exclusion temporaire des auteurs de ces actes.

M. Pierre-Antoine Levi, rapporteur. - Nous avons cependant conscience des limites des commissions disciplinaires, historiquement construites pour régler les cas de fraude académique et dont le régime doit aujourd'hui être adapté aux actes de violence et de haine survenant dans les établissements - c'est l'objet de notre dixième et avant-dernière proposition.

Enfin, une coopération entre les établissements et les parquets reste à créer ; nous préconisons en ce sens la généralisation de conventions de partenariat entre les établissements et les parquets locaux, qui va dans le sens de l'autonomie des établissements.

Nous appelons en somme à une mobilisation plus ferme des responsables d'établissement, en lien avec les rectorats académiques, qui sont les relais de la politique de « tolérance zéro » portée par la ministre et qui peuvent intervenir en cas de carence des établissements.

Mes chers collègues, nous n'aurions jamais pensé devoir vous soumettre un tel rapport en 2024. Nous le disons avec force : la gravité de la situation appelle un sursaut de la part de tous les acteurs de l'enseignement supérieur. Certes, la ministre a su prendre la mesure de la situation et déployer quelques mesures d'urgence, mais il reste à ancrer durablement la lutte contre l'antisémitisme au coeur des règles et des pratiques des établissements. Face au risque de l'enracinement de l'antisémitisme dans les nouveaux clivages idéologiques qui se font jour à l'Université, un message de fermeté absolue doit être passé pour permettre à tous les étudiants d'apprendre dans de bonnes conditions, et plus généralement pour redonner des repères républicains à l'ensemble de la communauté universitaire.

M. Max Brisson. - Je tiens à féliciter et à remercier Bernard Fialaire et Pierre-Antoine Levi, qui ont très bien décrit, dans ce rapport détaillé et argumenté, réalisé dans des délais contraints, l'antisémitisme d'atmosphère qui gangrène notre Université.

J'ai assisté à de nombreuses auditions de la mission, au cours desquelles j'ai ressenti différentes émotions : de la honte d'abord, en constatant le sentiment de peur qui anime de nombreux étudiants juifs français ; de la gêne ensuite, face à l'impuissance des dirigeants universitaires à détecter et à sanctionner cet antisémitisme, ou à accompagner les victimes ; de la gêne, encore, en raison de l'attitude de retrait du ministère face à ce phénomène, au nom d'une bien arrangeante autonomie des universités ; de l'inquiétude enfin quant à la sous-estimation des actes antisémites, dont certains considèrent qu'ils sont très peu nombreux ou qu'ils constituent des signaux faibles - il est révélateur que quelques personnes auditionnées se soient offusquées de questions pourtant très pertinentes.

J'avoue que je ne sais comment réagir lorsque j'entends les explications douteuses de ceux qui invoquent l'excuse de juvénilité des auteurs ou herchent à inscrire ces actes dans une approche globalisante de lutte contre toutes les discriminations - comme si cela relevait de la même problématique, comme si l'antisémitisme ne revêtait pas un caractère singulier !

Je suis inquiet de voir s'affaiblir, là où elle devrait au contraire être enseignée et défendue, la spécificité française qui tient au lien charnel et historique entre la République universelle et le judaïsme français. Cette exception est aujourd'hui menacée. Certes, l'antisémitisme n'est pas nouveau, mais durant nos auditions, peu de personnes ont mis des mots clairs sur ses ressorts et sur ses motivations, comme s'il existait un malaise, sinon un refus de comprendre les nouveaux moteurs de l'antisémitisme. Les mots « wokisme » et « islamisme » n'ont été que très rarement prononcés.

Si le conflit israélo-palestinien a fait ressurgir les vieux stéréotypes latents sur le cosmopolitisme, la double allégeance, l'argent ou encore le pouvoir, force est de constater qu'il agit comme une caisse de résonance de nouveaux ressorts de l'antisémitisme dans notre pays. Je pense notamment au phénomène de l'essentialisation, qui assigne l'étudiant juif à ses seules origines réelles ou supposées. Le conflit est aussi la caisse de résonance d'un antisémitisme qui n'a rien de nouveau, celui qui est porté par l'islamisme et ses formes les plus totalitaires. Je regrette que le rapport demeure bien discret sur ce point ô combien important.

Le combat contre l'antisémitisme dépasse les seuls Juifs de France : il s'agit d'un combat politique pour préserver l'universalisme républicain.

Comment faire face à cette situation ? Tel est l'objet de ce rapport, qui permet d'ébaucher des éléments de réponse appréciables.

Comme nos rapporteurs, je suis convaincu qu'il est nécessaire d'harmoniser les systèmes de détection et d'en finir avec la sous-estimation : il convient de définir des procédures nationales pour recenser les actes antisémites, les traiter et accompagner les victimes. C'est l'objet des recommandations de l'axe n° 1, qui me semblent indispensables, quitte à remettre en question parfois une autonomie universitaire dans laquelle se drapent facilement ceux qui ne peuvent ou ne veulent pas agir, préférant le « pas de vagues ».

Je suis en revanche plus circonspect sur les recommandations de la deuxième partie. Certes, il est nécessaire de sensibiliser les étudiants, de former les cadres et les référents ; les recommandations vont à cet égard dans le bon sens. Mais nos rapporteurs butent - je les comprends - sur la question sensible de l'autonomie des universités. Celle-ci n'a pas toujours existé ; ceux qui la défendent aujourd'hui l'ont parfois combattue hier ! Cette autonomie pose la question des missions que la nation est en droit d'assigner à son Université, comme elle le fit dans le passé pour diffuser l'universalisme de la Révolution française, puis les principes de la République. Oui, l'université doit réarmer les esprits, sans rechigner au nom du relativisme !

Enfin, je soutiens les préconisations sur la refonte des procédures disciplinaires dans l'enseignement supérieur. Le renvoi aux instances judiciaires sans mesures disciplinaires internes sonne souvent comme une manière de se défausser. Comme nos rapporteurs, je crois qu'il est indispensable de conforter les sanctions et d'assurer leur mise en oeuvre rapide. De même, la justice doit informer les instances académiques. L'heure n'est plus au débat, mais à l'action !

Je terminerai sur une note d'espoir. La table ronde qui a réuni les représentants du judaïsme français nous a permis de rencontrer des responsables d'une grande dignité, conscients de leur rôle dans l'histoire dont ils sont les héritiers, et convaincus que leur combat n'est pas uniquement celui de la communauté cultuelle et culturelle qu'ils administrent, mais celui de la seule communauté qu'ils reconnaissent, comme nous l'a rappelé le grand rabbin de France : la communauté nationale. Voilà des propos rassurants pour la pérennité des principes et des valeurs de notre République.

Les élus du groupe Les Républicains partagent la plupart des recommandations formulées et forment le voeu qu'elles puissent se matérialiser au plus vite dans une action globale et concrète. Nous voterons pour l'adoption de ce rapport.

M. Pierre Ouzoulias. - Je salue le travail des rapporteurs. L'antijudaïsme n'est pas un racisme comme les autres. Il dure depuis deux mille ans. Sa résurgence aujourd'hui me fait éprouver la même honte que celle qu'a ressentie Max Brisson. Il est insupportable d'imaginer que, quatre-vingts ans après la Shoah, nous devons encore lutter contre l'antisémitisme. Certaines choses dépassent l'entendement. Même si un seul étudiant juif était victime d'antisémitisme, cela serait déjà insupportable. Malheureusement, ce n'est pas le cas...

Je tiens à témoigner ma totale solidarité avec mes frères et mes soeurs en humanité qui sont soumis à une nouvelle forme de persécution. La résurgence de l'antisémitisme est évidente, à l'extrême droite comme à l'extrême gauche, ou même à gauche. Ce n'est malheureusement pas une nouveauté : souvenez-vous des réactions politiques dans une certaine gauche lors des attentats de Munich de 1973 !

Le travail des rapporteurs était complexe : il est difficile de fournir des chiffres et des faits sur des phénomènes parfois difficilement perceptibles. Je tiens à les remercier pour la qualité de leur travail, par lequel ils ont essayé d'objectiver au maximum ces éléments, et je soutiens l'essentiel de leurs préconisations.

L'universitaire que j'ai été ne comprend pas comment, dans l'Université, le temple de la raison et de l'humanisme, on peut encore entendre des réactions si fortement antisémites. J'ai d'ailleurs eu du mal à l'admettre : c'est en participant à des débats avec des institutions juives que j'ai saisi l'ampleur du phénomène.

L'école n'a pas joué tout son rôle. Certes, elle doit apprendre à lire, à écrire et à compter, mais elle doit aussi transmettre une morale républicaine, sensibiliser à l'antijudaïsme tel qu'il existe depuis deux mille ans. Cette dimension manque actuellement ; elle est pourtant fondamentale. Il faut repasser par la voie de la connaissance.

J'approuve les recommandations de nos rapporteurs relatives à la rénovation du régime des sanctions ainsi que leurs préconisations pour sauver les études juives, qui sont malheureusement de moins en moins enseignées à l'université. Il est nécessaire de se doter d'un plan national pour relancer ces études et celles sur l'antisémitisme.

Vous avez utilisé deux fois le mot « déconstruction ». Je ne l'aurais pas utilisé, car une certaine philosophie de la déconstruction réduit les individus à leur identité supposée.

Je reste attaché à l'Université et à son universalisme. Nous devons continuer à combattre toutes les formes d'arbitraire, en utilisant toutes les libertés académiques et d'expression. Il est essentiel que les universités puissent organiser en leur sein des débats rationnels et respectueux de toutes les idées, sans ostracisme ni exclusion.

Enfin, en ce qui concerne la définition de l'antisémitisme, je pense qu'il serait plus utile de s'appuyer sur la déclaration de Jérusalem de 2020, qui a complété et amplifié la première définition de l'IHRA sur la question du sionisme.

Le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste - Kanaky (CRCE-K) soutiendra l'adoption de ce rapport.

M. David Ros. - Je remercie nos deux rapporteurs, qui ont réalisé un travail remarquable dans un contexte difficile, marqué par des tensions permanentes dans la société. Leur tâche n'était pas facile, car la ligne de crête était étroite : ils ont su dire les choses clairement, sans tomber dans une politisation excessive.

Je voudrais d'abord répondre à Max Brisson. L'antisémitisme ne gangrène pas uniquement l'Université : il concerne toute la société. L'Université, qui accueille de nombreux jeunes adultes, est un révélateur. Les faits ignobles survenus à Courbevoie montrent que l'antisémitisme peut se manifester avant même l'âge de la majorité, sous des formes odieuses. Ce rapport sur l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur doit ainsi être mis en perspective avec ce qui se passe dans toute la société.

J'ai apprécié ce qu'ont dit les rapporteurs, avec une réserve sur un point : Pierre-Antoine Levi a évoqué la nécessité de réarmer les esprits, mais, dans une société où la violence est déjà souvent encouragée par les uns comme par les autres, y compris d'ailleurs par le Président de la République, il me semble préférable de parler de la nécessité d'éclairer les esprits.

La déconstruction, comme le wokisme, n'est pas forcément négative d'un point de vue philosophique. Lorsqu'il joue avec ses briques de Lego, un enfant apprend en déconstruisant, puis en reconstruisant. La question est donc plutôt de savoir comment on peut reconstruire. C'est bien ce qu'ont fait nos rapporteurs, et leur rapport est appréciable de ce point de vue.

Ils évoquent le dépôt d'une proposition de loi à l'automne : il serait dommage que son contenu se limite à ce qui figure dans la recommandation n° 1, car d'autres éléments mériteraient d'y être intégrés.

Je n'ai pas de remarque sur la recommandation n° 2.

Dans la recommandation n° 3, qui vise à actualiser les ressources juridiques face aux nouvelles formes de l'antisémitisme, l'accent devrait être mis sur le rôle des réseaux sociaux, où la violence antisémite est particulièrement virulente. Les jeunes les utilisent beaucoup, et les chefs d'établissement sont désarmés face à ce phénomène. La recommandation mériterait donc d'être développée. Il faudrait en revanche supprimer l'expression « notamment lors des récentes mobilisations propalestiniennes » : si des actes antisémites ont pu se produire à ces occasions, il ne semble pas opportun de conserver cette rédaction si l'on veut préparer la suite et, comme l'on dit couramment, « servir la cause ».

La recommandation n° 4, sur la définition de l'antisémitisme, ne va pas assez loin. Il serait dommage de se contenter d'une diffusion « à titre pédagogique » : on ne sait pas trop ce que cela signifie. Il faudrait des actes plus forts.

J'en viens à l'axe n° 2 sur la prévention des dérives. Instaurer une sensibilisation à l'antisémitisme dès l'entrée à l'université est une excellente idée. Ne faudrait-il pas d'ailleurs prévoir, au moment du baccalauréat, une épreuve sur les valeurs républicaines, parmi lesquelles figurerait la lutte contre l'antisémitisme ? C'est un élément important dans la formation des citoyens.

Je suis cependant choqué par l'idée, formulée à la recommandation n° 8, d'un « bonus étudiant » pour la lutte contre l'antisémitisme. Certes, dans une démarche d'éducation positive, il est préférable de parler de bonus que de malus, mais un bonus est une récompense pour un effort. La lutte contre l'antisémitisme doit être naturelle.

La recommandation n° 10 sur les procédures disciplinaires et les pouvoirs d'investigation mériterait d'être précisée. Les chefs d'établissement ont de plus en plus de responsabilités. Seront-ils assistés par des référents externes pour effectuer ce travail ? Celui-ci est nécessaire, mais il n'est pas facile à réaliser avec les moyens dont disposent les universités.

Enfin, la recommandation n° 11, relative à l'instauration de conventions de partenariat entre les universités et les parquets, correspond à une demande de France Universités et me semble excellente.

Malgré quelques réserves sur le vocabulaire, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera en faveur de ce rapport.

Mme Monique de Marco. - Je tiens à saluer la création de cette mission d'information sur l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur. L'exercice était difficile : les délais étaient contraints et le contexte tendu.

La recrudescence du nombre d'actes antisémites mise en évidence par ce rapport doit être fermement condamnée. Dans les établissements d'enseignement supérieur, ces actes pourraient s'avérer trois ou quatre fois plus nombreux que l'année précédente, sachant qu'il est difficile d'obtenir des chiffres précis, car tous les faits ne sont pas recensés. Nous regrettons que les établissements de l'enseignement supérieur n'aient pas été épargnés par ce mouvement, que l'on observe aujourd'hui dans toute la société, y compris hors de France.

Cette situation appelle une réponse ferme et claire. Les travaux de la mission ont permis de mesurer la réaction des présidents d'université face à ces tendances inquiétantes. Je tiens à saluer leur engagement contre l'antisémitisme et en faveur de la pacification de la vie étudiante et du respect des libertés académiques.

Pour sécuriser l'ensemble des usagers de l'enseignement supérieur, il faut que la liberté d'expression soit garantie, que des moyens spécifiques soient alloués au recrutement de référents antisémitisme et racisme, et que des actions de sensibilisation et de formation à la prévention de l'antisémitisme soient menées auprès de l'ensemble des parties prenantes de la vie étudiante. Cette sensibilisation doit être généralisée au sein de l'Université ; il conviendrait même de la développer au sein des lycées ou des collèges.

Durant les auditions, les chefs d'établissement ont souligné les limites de leurs prérogatives en matière de transmission pénale et de sanctions disciplinaires dans le cas des dégradations antisémites anonymes, telles que des tags, qui ne donnent lieu à aucune poursuite, ou dans le cas d'insultes et d'incitations à la haine proférées lors d'événements, lorsque les enquêtes administratives n'ont pas permis d'identifier les auteurs des faits. Les auditions ont également permis de souligner les limites des moyens dont disposent les présidents d'université, dans le contexte actuel de forte politisation.

Je tiens à souligner la qualité des travaux des rapporteurs. J'insiste sur l'accompagnement des victimes d'antisémitisme. Il conviendrait de s'inspirer des avancées faites en matière de lutte contre les violences sexistes et sexuelles par l'institutionnalisation, au sein des établissements, d'associations extérieures spécialisées dans l'accueil et l'accompagnement des victimes. Il importe également de renforcer la formation des équipes universitaires aux enjeux de la lutte contre l'antisémitisme et le racisme.

En ce qui concerne la recommandation n° 4 et la tentation d'étendre la définition de l'antisémitisme à l'antisionisme, on peut exprimer quelques réserves sur le fait que l'on s'appuie sur la définition de l'IHRA.

Un autre point de vigilance concerne les recommandations nos 1 et 5 sur le recensement des faits d'antisémitisme dans les établissements : si chaque établissement doit produire des statistiques, le risque est de dévaloriser ceux qui feront correctement ce travail de recueil et de transmission des actes antisémites. C'est un biais bien connu en matière de statistiques.

Le groupe Écologiste - Solidarité et Territoires approuvera, bien sûr, l'ensemble des recommandations.

Mme Annick Billon. - Je félicite à mon tour les rapporteurs pour ce travail nécessaire. Il faut combattre l'antisémitisme sous toutes ses formes et avec tous les outils à notre disposition.

Pour revenir sur l'intervention de David Ros, je rappelle que l'objet du rapport est l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur, et non l'antisémitisme dans la sphère publique ! Les rapporteurs ont suivi la feuille de route de la mission d'information.

Il n'est pas possible de rédiger un rapport sur l'enseignement supérieur sans prendre en compte l'actualité. Je remercie les rapporteurs d'avoir mis en lumière certains événements, car, à force d'ignorer les choses, en refusant par exemple les statistiques par établissement, les problèmes ne sont pas nommés. Regardons le sujet en face ! Il nous faut disposer de remontées précises pour nous attaquer efficacement au problème. Je vous sais gré, messieurs les rapporteurs, d'avoir parlé d'un antisémitisme d'atmosphère.

J'envisage ce rapport comme une première pierre dans l'optique de la proposition de loi que vous suggérez de déposer à l'automne prochain. Pouvez-vous nous en dire davantage sur cette réponse législative ?

À partir de vos auditions, pouvez-vous préciser le rôle qu'ont joué les associations dans la montée de l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur, elles qui reçoivent des aides financières ? Je pense à leur statut et à l'occupation de locaux. Quels dispositifs avez-vous imaginés pour les sanctionner ?

Certaines de vos propositions paraissent évidentes, mais il vaut mieux les formuler ! Il faut bien sûr travailler à la prévention et donner un cadre législatif et réglementaire afin que les réponses apportées soient identiques dans l'ensemble des établissements.

Le groupe Union Centriste votera en faveur de l'adoption des propositions.

Mme Sabine Drexler. - Je remercie également les rapporteurs pour ce travail aussi essentiel que difficile.

Voilà encore un an, j'aurais qualifié le sujet de « préoccupant ». Désormais, la simple préoccupation est dépassée, même si mon inquiétude est sûrement bien moindre que celle des nombreuses familles juives enracinées dans ma région depuis des siècles, qui craignent pour leurs enfants. Cette inquiétude m'oblige à affirmer ce matin qu'il est impératif de ne tolérer aucune manifestation à caractère antisémite, dans l'enseignement supérieur comme ailleurs.

Les universités jouent un rôle essentiel dans la promotion de la cohésion sociale au sein de notre pays, contribuant à ce que chaque communauté vive en France et y étudie en sécurité, avec dignité. Dans ces lieux dédiés à la recherche de la vérité, à la promotion de la justice et au respect des droits humains, tous les étudiants, indépendamment de leur origine ethnique, religieuse ou culturelle, doivent se sentir respectés.

Alors que l'enseignement supérieur et ses valeurs devraient jouer un rôle clé pour la France et pour des jeunes qui, dès la fin de leur cursus, auront à s'insérer dans des sociétés pluralistes et mondialisées, mais aussi à relever et à porter notre pays, l'antisémitisme est malheureusement redevenu un sujet. Celui-ci crée un climat de peur et d'exclusion, qui affecte le bien-être psychologique déjà mal en point de ces étudiants, donc leur réussite. Comme nous le voyons avec l'exportation et l'instrumentalisation du conflit qui oppose Israël au Hamas, toutes les formes de haine conduisent à la violence et à la radicalisation de notre société tout entière.

Les rapporteurs de la mission d'information proposent ni plus ni moins que de mettre la France au niveau. Dans de nombreux pays déjà, la discrimination et les discours de haine, antisémitisme compris, sont illégaux. En Allemagne, au Canada ou en Belgique, les institutions d'enseignement supérieur ont la responsabilité légale de protéger leurs membres contre de tels comportements. Le non-respect de ces obligations entraîne des sanctions juridiques et des pertes de financements publics et privés. Ne rien laisser passer est une condition indispensable à la crédibilité des institutions éducatives françaises !

Pour ces raisons, il est impératif que les universités adoptent des politiques claires, éducatives et éventuellement punitives, pour prévenir et pour combattre toute forme d'antisémitisme sur leur campus. Les onze préconisations qui viennent d'être présentées vont dans ce sens. J'espère qu'elles pourront être mises en oeuvre rapidement.

M. Pierre-Antoine Levi, rapporteur. - Ce rapport a été difficile à rédiger dans le contexte actuel. Malgré la dissolution de l'Assemblée nationale, nous avons tenu à le présenter, car l'objectif est que nos préconisations soient mises en oeuvre dès la rentrée universitaire.

Pour répondre à M. Brisson, le lien entre République et judaïsme a été pris en compte : nous proposons de le préserver en sanctuarisant les départements d'études hébraïques, présents dans de nombreuses universités, mais à l'abandon, les étudiants étant de moins en moins nombreux à s'y rendre - quand ils ne craignent pas de le faire. Quant à étudier les liens entre l'antisémitisme et le wokisme, cela supposerait de travailler d'abord cette dernière notion dans un nouveau rapport, mais il ne s'agirait vraisemblablement pas d'une mission flash...

Nous avons en effet buté sur l'autonomie des universités, qui peuvent mettre en oeuvre nos incitations sans que nous puissions le leur imposer. C'est pourquoi nous proposons de traduire plusieurs de nos préconisations dans une proposition de loi à construire avec les présidents d'université et les services ministériels. Les universités sont autonomes mais font partie de la République ; elles doivent à ce titre prendre des dispositions à la mesure de la situation, à commencer par le signalement de toutes les dérives. L'augmentation du nombre des signalements reflètera la meilleure prise en compte du phénomène par les présidents d'université et par les autorités.

En ce qui concerne la définition de l'antisémitisme, nous avons travaillé à partir de celle de l'IHRA parce qu'elle est mieux identifiée par les acteurs ; mais il est tout à fait possible de recourir également à la déclaration de Jérusalem.

M. Bernard Fialaire, rapporteur. - Pour revenir sur le contexte de la mission d'information, le RDSE souhaitait une large réflexion sur la laïcité dans l'enseignement supérieur. Je vais citer Camus : notre groupe, comme « chaque génération », s'est cru « voué à refaire le monde », mais il a compris, à la suite des événements du 7 octobre dernier, qu'il fallait plutôt « empêcher que le monde ne se défasse ». Cette date a été l'occasion de prises de conscience. Le ministère a déjà réagi, au travers de deux circulaires et d'un recensement d'actes donnant lieu à poursuite.

Nous avons découvert l'existence d'un antisémitisme d'atmosphère, contre lequel il est très difficile de lutter en l'absence d'auteurs et d'actes bien identifiés. Si l'antisémitisme est déjà interdit par la loi en France, cet antisémitisme d'atmosphère est par définition impalpable.

Les propositions de notre mission flash visent à rappeler la nécessité pour les présidents d'université de recourir aux nombreux outils existants. La liberté académique n'est pas la liberté de faire n'importe quoi ! Il faut préserver la liberté d'expression dans l'enseignement supérieur, mais également l'encadrer. Certains propos sont des délits, même au sein de l'Université, qui devrait être exemplaire.

Au-delà des mesures à prendre, nous voudrions créer un choc. Pour lutter contre un climat antisémite, il faut créer un autre climat, fondé sur la réaffirmation des valeurs de la République. Ce combat concerne l'ensemble de la société. J'observe qu'un renouvellement du programme de l'enseignement moral et civique, de la maternelle à la terminale, a été publié le 12 juin dernier au Journal officiel ; et en effet, le bagage scolaire des étudiants à venir doit être plus important.

Madame de Marco, qu'un établissement signale de nombreux actes antisémites ne me semble pas un problème, malgré l'exploitation qui pourrait en être faite ; il faut au contraire l'encourager et le féliciter, car cela témoignera d'une prise de conscience.

Nous sommes tous des militants de la lutte à l'antisémitisme ; il me semble que ceux qui le sont au travers d'un engagement associatif concret méritent, dans le contexte actuel, un bonus étudiant.

M. Pierre-Antoine Levi, rapporteur. - Nous nous sommes également interrogés sur ce bonus étudiant. Il s'agit du terme qui figure dans la circulaire relative aux enseignements facultatifs donnant lieu à une bonification de la moyenne ; nous proposons donc de le retenir dans nos recommandations, car il est bien identifié par les acteurs.

Le rapport précise les missions allouées aux référents racisme et antisémitisme, qui ne sont pas bien identifiés partout ; nous recommandons d'homogénéiser leur déploiement dans les établissements.

Au travers de la recommandation n° 6, nous invitons à « associer les associations » étudiantes à la lutte contre l'antisémitisme. Nous en avons entendu plusieurs au cours de nos auditions ; certaines se sentent concernées par l'enjeu, d'autres absolument pas !

Les universités de sciences sociales sont très politisées, et il semble que les phénomènes d'antisémitisme y sont plus marqués ; il faudrait à l'inverse acculturer davantage les élèves ingénieurs aux enjeux politiques.

Nous commencerons à travailler sur la proposition de loi après les élections. Ce texte ne concernera pas uniquement la première proposition, mais pourra également porter sur la recommandation n° 10, ainsi que sur plusieurs éléments aujourd'hui traités au niveau réglementaire.

Mme Annick Billon. - Je me demandais si le rôle des associations était suffisamment identifié face aux phénomènes d'antisémitisme, et quels dispositifs vous aviez imaginé pour les sanctionner. J'imagine que les réponses à ces questions dépendront du travail préparatoire à la proposition de loi.

M. Laurent Lafon, président. - Je vais à présent mettre aux voix l'ensemble des recommandations.

Les recommandations sont adoptées.

La mission d'information adopte, à l'unanimité, le rapport d'information, ainsi que les annexes, et en autorise la publication.

ANNEXES

Audition de M. Guillaume Gellé, président de France Universités, et Mme Isabelle de Mecquenem, professeure agrégée de philosophie et membre du Conseil des sages de la laïcité et des valeurs de la République

MERCREDI 10 AVRIL 2024

___________

M. Laurent Lafon, président. - Mes chers collègues, nous accueillons ce matin M. Guillaume Gellé, président de l'association France Universités, ainsi que Mme Isabelle de Mecquenem, professeure agrégée de philosophie et membre du Conseil des sages de la laïcité et des valeurs de la République.

Après notre audition, il y a trois semaines, de Mme Laurence Bertrand Dorléac, présidente de la Fondation nationale des sciences politiques (FNSP), cette audition marque le début des travaux de la mission « flash » consacrée à la question de l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur, dont nous avons désigné les rapporteurs la semaine dernière. Au cours des semaines à venir, nos collègues Bernard Fialaire et Pierre-Antoine Levi conduiront un vaste programme d'auditions, qui leur permettra de recueillir la contribution d'acteurs aussi divers que les associations étudiantes, des référents antiracisme et antisémitisme de différentes universités, des représentants des institutions juives ou encore des professionnels des ministères de l'Intérieur et de la justice.

M. Gellé, votre association porte la voix des dirigeants exécutifs des universités et des établissements d'enseignement supérieur et de recherche qui, pour plusieurs d'entre eux, ont récemment été directement confrontés à des actes parfois extrêmement graves d'antisémitisme sur leurs campus. Je pense en particulier à l'agression physique de trois étudiants juifs à l'université de Strasbourg en février dernier, mais aussi à des dégradations matérielles répétées au travers notamment de tags et d'inscriptions antisémites sur les locaux.

Madame de Mecquenem, vous avez également une expérience de première main sur le sujet puisque, outre vos fonctions de professeure universitaire, vous avez été référente racisme et antisémitisme à l'université de Reims-Champagne Ardennes. Vous avez également consacré une large partie de vos travaux de recherche à la question des discriminations dans le domaine de l'enseignement.

Votre intervention conjointe et complémentaire nous permettra donc, je l'espère, de saisir la réalité actuelle des manifestations d'antisémitisme dans les établissements universitaires de manière très concrète, mais également de prendre un peu de hauteur et de perspective sur un sujet qui suscite des réactions très vives dans le débat public.

En écho à l'audition de la FNSP que nous avons conduite il y a quelques semaines, nous souhaitons en particulier que vous nous éclairiez sur le climat actuel au sein des universités. Avez-vous constaté un durcissement dans les relations étudiantes ou basculement dans les manifestations d'antisémitisme après les événements du 7 octobre dernier ? De quels indicateurs disposez-vous pour assurer le suivi de ces actes ? Pouvez-vous dresser pour nous un bilan chiffré des actes survenus au cours des dernières années, en nous précisant le cas échéant les sanctions reçues par leurs auteurs ?

M. Guillaume Gellé, président de France Universités. - Je vous remercie pour l'organisation de cette audition. Pour celles et ceux qui ne nous connaissent pas encore, France Universités, dont les missions sont inscrites dans le code de l'éducation, rassemble 120 établissements publics d'enseignement supérieur et de recherche, dont les grandes écoles publiques et l'ensemble des 73 universités. Nos établissements comptent environ 2 millions d'étudiants et 200 000 personnels, parmi lesquels 55 000 enseignants-chercheurs, ainsi que 90 000 chercheurs issus d'organismes nationaux de recherche hébergés dans nos laboratoires.

Je souhaite tout d'abord rappeler que nos établissements ne sont pas des citadelles fermées au reste de la société. Étant inscrits dans la société, ils sont traversés par les mêmes problématiques et, malheureusement, les mêmes maux. L'antisémitisme, je tiens aussi à l'affirmer, n'est pas une opinion ; c'est un délit, un fléau contre lequel nous devons tous nous mobiliser.

J'ai dernièrement eu l'occasion de m'exprimer devant les députés, auxquels j'ai fait part des résultats de l'enquête flash que nous avons menée sur les actes antisémites dans les universités à partir des signalements recensés, lesquels suivent un processus continu, clair, précis et identifié par nos services et nos collègues. Au 23 mars dernier, pour 80 établissements d'enseignement supérieur et de recherche représentant 1 million 370 mille étudiants en formation de niveau licence, master ou doctorat et 147 000 personnels, nous avions pu noter 67 actes antisémites depuis le 7 octobre. En 2022-2023, 33 actes antisémites avaient été recensés.

En notant qu'un certain nombre de remontées sont toujours en cours d'instruction par nos services, nous pouvons dire que, durant l'année 2022-2023, il y a eu 11 saisines de commissions disciplinaires pour des faits d'antisémitisme ; il y en a déjà eu 6 depuis le 7 octobre. Il y avait eu 4 signalements par les établissements au procureur de la République au titre de l'article 40 pour des faits d'antisémitisme en 2022-2023 ; il y en a déjà eu 14 depuis le 7 octobre. Enfin, 5 plaintes avaient été déposées par les établissements pour des faits d'antisémitisme en 2022-2023 ; on en compte 8 depuis le 7 octobre.

Depuis le 7 octobre, le nombre d'actes antisémites dans nos établissements d'enseignement supérieur a donc plus que doublé. Depuis notre enquête, plusieurs autres actes ont été recensés. On peut citer des tags nazis à l'université de Nantes ou des tentatives d'empêchement de conférences, dont la semaine dernière à l'université Sorbonne-Nouvelle. Je suis, à l'instar de mes collègues présidentes et présidents, choqué par ces tentatives d'interdiction et par ces actes.

Nul ne peut être empêché d'accéder à l'université pour un motif religieux. Nul ne peut se voir refuser l'accès au savoir et au débat en raison d'une appartenance revendiquée ou non à une communauté. Nul ne doit être conduit à renoncer à une orientation, donc à un projet personnel, au motif qu'un établissement aurait une réputation complaisante envers les actions ayant une connotation antisémite. Nos universités respectent la diversité des opinions dans le strict respect de la loi, mais elles doivent être, et sont par essence, des lieux de débat, de controverses et d'échanges.

Ainsi, plus de 15 000 conférences, académiques ou non, sont organisées dans nos universités chaque année, et nous observons malheureusement quelques rares dérives. Elles sont ultra-minoritaires, même si elles n'en sont pas moins inacceptables.

Notre responsabilité de présidents d'université est de veiller à identifier, à signaler et à engager des poursuites contre les expressions et les agissements susceptibles de relever de l'antisémitisme, du racisme ou de l'apologie du terrorisme. Il est de notre responsabilité, aussi, de faire respecter l'ordre public, et nous le faisons, contrairement à ce qu'affirment certains, parmi lesquels des élus dont la connaissance de la chose universitaire est pour le moins étroite. Dès le lendemain des événements d'octobre, France Universités a dénoncé l'attentat terroriste du Hamas et appelé à combattre les haines racistes et antisémites, quelle que soit leur forme. Nous devons assurer aux étudiants juifs la sérénité à laquelle ils ont droit. Il n'est pas tolérable que des étudiants fassent des choix d'orientation dictés par le sentiment qu'ils seront ou non en sécurité. Nous en avons discuté avec l'Union des étudiants juifs de France et le CRIF. Nous devons garantir à tous nos étudiants un environnement d'études et de vie sain, sécurisé et protégé. C'est pourquoi, face aux violences et aux discriminations de quelque nature que ce soit, les présidentes et présidents d'universités pratiquent la tolérance zéro.

Je voudrais aussi rappeler les leviers à notre disposition en cas d'acte antisémite. Ces leviers sont d'ordre administratif avec les enquêtes internes, d'ordre disciplinaire, mais aussi d'ordre judiciaire, avec la possibilité d'adresser un signalement au procureur de la République et de déposer plainte. Les universités sont toutefois rarement tenues informées des suites données à leur signalement à la justice, et ce manque d'information les prive d'une capacité à affiner les appréciations des faits, les fragilise dans les actions d'information et de prévention et affaiblit leur autorité en tant qu'institution. J'ai échangé la semaine dernière avec le président de l'université Sorbonne-Nouvelle, Daniel Mouchard, suite aux événements survenus sur son campus, et lui ai conseillé d'activer l'article 40 au vu des propos qui ont été tenus. Il y a immédiatement réagi en exigeant le retrait d'une banderole et l'arrêt de la tentative de blocage engagée le 4 avril. Voyant que le dialogue qu'il s'était d'abord efforcé d'engager était impossible, il a procédé à une réquisition des forces de l'ordre afin de sécuriser, avec le concours des services de l'université, le début de la conférence, qui a pu se tenir. Il a ensuite immédiatement saisi les instances disciplinaires de l'université pour engager les poursuites adaptées.

Les présidentes et présidents ne sont ni dans la dénégation, ni dans le déni. Face aux expressions de haine, ils n'ont jamais la main qui tremble. De ce fait, il est déplacé, mais aussi totalement faux, de parler de complaisance et a fortiori de lâcheté des présidents d'université ou de la communauté universitaire. Ce sont des éléments de langage blessants pour celles et ceux qu'ils visent et inutiles pour la cause qu'ils veulent servir. Je le redis devant vous : il n'y a pas de séparatisme organisé par l'institution universitaire, ni d'autonomie vis-à-vis des valeurs de la République. C'est pourquoi les attaques dont les universités font l'objet dans l'espace public, de la part d'associations, de leaders d'opinion et parfois d'élus sont inadmissibles.

Mme Isabelle de Mecquenem, professeure agrégée de philosophie et membre du Conseil des sages de la laïcité. - Je vous remercie de me donner la parole sur ce sujet préoccupant, qui m'occupe depuis déjà longtemps. J'y ai consacré quelques articles de presse, en pointant des faits sporadiques d'antisémitisme survenus notamment dans des facultés de médecine.

En accord avec ma discipline, qui ne repose pas sur des chiffres, je préfère d'abord poser les termes de la réflexion, ce qui m'amènera à vous présenter mon hypothèse interprétative de l'antisémitisme et de ses expressions dans le cadre universitaire.

L'Université, avec une majuscule, renvoie aux idéaux universitaires, aux libertés académiques et à la mission de formation des élites - avec la question qui en découle de l'identification de nos élites d'aujourd'hui. Les universités sans majuscule, en tant qu'établissements d'enseignement supérieur, ont connu des mutations extrêmement rapides et sans précédent sur une période très courte à l'échelle de l'histoire. Je pense à la massification de l'enseignement supérieur, qui s'est produite après celle de l'enseignement secondaire. Je pense au modèle adopté pour la gouvernance des universités, avec la référence à la société de la connaissance qui ne renvoie hélas pas à un idéal philosophique, mais à un modèle économique de développement. Je pense ensuite à la réforme de l'autonomie des universités, qui a créé une situation de concurrence entre les établissements. Les universitaires se sont vu imposer une logique de performance habillée dans une rhétorique de l'excellence, ce qui a profondément modifié leurs activités. Il convient enfin de souligner l'état de sous-financement des universités. La lutte contre l'antisémitisme suppose une institution forte ; on peut se demander si c'est bien le cas des universités aujourd'hui.

L'antisémitisme, qui se présente sous la forme d'une hostilité sédimentée et pluriséculaire - Léon Poliakov en parlait comme d'une agitation qui dure depuis plus de trois millénaires -, constitue le deuxième terme du débat. En ce qu'il excède le paradigme des discriminations, il est difficile de faire entrer l'antisémitisme dans le cadre classique de la lutte contre ces discriminations, qui constitue aujourd'hui le modèle dominant d'action. Compte tenu de son ancienneté à l'échelle de l'humanité, on peut le considérer comme toujours latent dans nos sociétés ; la vivacité des blagues et des stéréotypes contre les Juifs, qui résulte en partie du piment de la transgression qui leur est associé, est un indice de ce fond d'hostilité traduit dans la culture populaire.

Je voudrais aussi souligner la force de la culture juvénile, qui a fait l'objet d'études sociologiques. Alors qu'un individu change beaucoup entre 15 et 25 ans, on constate que cette culture est partagée par toute cette tranche d'âge : de ce point de vue, il n'y a pas de différence entre un collégien, un lycéen et un étudiant. Il me semble que cela joue dans la problématique que l'on essaie d'identifier et de poser.

La guerre actuelle au Proche-Orient a suscité une polarisation idéologique sur les campus. Le phénomène n'est pas nouveau et s'est déjà produit à l'occasion d'autres événements politiques. Selon moi, cette guerre a fait plus que libérer la parole associée à un antisémitisme latent ; elle a légitimé une expression antisémite, ce qui explique sa force et une partie de la difficulté à juguler ce phénomène.

Je note que les universités se sont mises au diapason de la lutte contre les discriminations et se sont engagées dans plusieurs luttes sociétales : la poursuite de l'égalité entre les femmes et les hommes, la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, l'inclusion des personnes en situation de handicap. La lutte contre le racisme et l'antisémitisme, qui constituent des délits, a été intégrée à ce mouvement.

En janvier 2015, les attentats djihadistes ont conduit la ministre de l'éducation nationale et de l'enseignement supérieur à publier un plan de mobilisation pour la transmission des valeurs de la République incluant les universités ; c'est dans ce cadre qu'a été créée la fonction de référent à la lutte contre le racisme et l'antisémitisme. Je me suis proposée pour assurer cette mission au sein de la composante de l'université de Reims dédiée à la formation des enseignants, car elle me semblait prolonger celle de référente laïcité que j'exerçais déjà ; les travaux de recherche que j'avais consacrés au sujet me donnaient en outre une certaine légitimité sur ces questions. Il faut ici souligner une dissymétrie : la création de ces référents a été laissée à l'appréciation des présidents, tandis que celle des référents à l'égalité hommes-femmes et aux violences sexuelles et sexistes a fait l'objet d'obligations dans le cadre d'une politique nationale.

M. Laurent Lafon, président. - La parole est aux rapporteurs de la mission flash.

M. Pierre-Antoine Levi, rapporteur. - Nous nous trouvons réunis dans un contexte particulièrement préoccupant qui interpelle notre conscience collective, mais aussi notre responsabilité en tant que gardiens des valeurs républicaines. L'antisémitisme connaît malheureusement une recrudescence inquiétante dans nos sociétés, y compris dans le milieu qui devrait être le sanctuaire de la pensée critique et du respect mutuel : l'enseignement supérieur. La décision du Sénat de lancer une mission d'information sur la montée de l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur à la suite des incidents survenus à Sciences Po Paris il y a quelques jours souligne l'urgence et la gravité de la situation. Les événements récents nous rappellent douloureusement que l'antisémitisme n'est pas un vestige du passé, mais une réalité bien présente qui menace la cohésion et les valeurs fondamentales de notre République.

Depuis les attaques du Hamas du 7 octobre 2023, les universités et les grandes écoles françaises ont recensé 67 actes antisémites, contre 33 en 2022. Lorsque nos concitoyens s'en prennent aux Juifs, c'est toute la société qui en pâtit. Il est donc de notre devoir, en tant que membres de cette assemblée, de ne pas rester passifs face à cette montée de haine. Nous sommes à un carrefour crucial où nous devons choisir entre la passivité et l'action. Il est impératif de former un front uni pour défendre nos valeurs, notre cohésion sociale et notre fraternité.

Nous avons eu connaissance, par des témoignages très précis, de cas d'antisémitisme qui auraient été remontés par des étudiants juifs, indiquant que des présidents ou des responsables d'université n'auraient pas voulu, soit par complicité idéologique, soit par peur de représailles personnelles, déclencher un article 40 et déclarer ces actes à la police. Avez-vous eu connaissance de telles pratiques ? Comment les avez-vous traitées ?

Je voudrais également poser une question à Mme de Mecquenem concernant vos fonctions de référente à la lutte contre l'antisémitisme et le racisme. Considérez-vous que vous avez pu exercer cette mission dans de bonnes conditions ?

Madame, j'ai écouté votre propos avec beaucoup d'intérêt et j'ai parfois eu l'impression que vous essayiez de trouver des circonstances atténuantes ou des explications, comme le sous-financement de l'enseignement supérieur ou la jeunesse, à certains cas d'antisémitisme. J'aimerais avoir des précisions, car peut-être ai-je mal perçu vos propos ; il serait donc bon de les expliquer.

M. Bernard Fialaire, rapporteur. - Je voudrais d'abord remercier le président de la commission pour l'organisation de cette réunion, car la situation est grave.

Monsieur Gellé, vous nous dites que les commissions de discipline ont été saisies à six reprises depuis le 7 octobre, contre onze saisines sur toute l'année 2022-2023, et que quatorze articles 40 ont été enregistrés depuis six mois, contre quatre lors de l'année précédente. Quelles sont vos relations avec le monde judiciaire, notamment les parquets ? Avez-vous noué des liens qui vous permettent de favoriser l'instruction rapide des délits d'antisémitisme survenant dans vos établissements ? Pourquoi y a-t-il moins de saisines des commissions de discipline que de transmissions au parquet ?

Avez-vous des échanges avec vos homologues européens ? Les événements qui se déroulent en France sont-ils isolés ou semblables à ce que l'on constate à l'étranger ?

Enfin, comment travaillez-vous avec les associations étudiantes dans la prévention, le signalement et le traitement de ces actes ?

M. Stéphane Piednoir. - Évidemment, l'université fait partie de la société ; or l'antisémitisme est en pleine croissance dans la société française. La hausse des faits signalés interroge quant à la différence entre ce qui se passe à l'université et en dehors. Vous avez évoqué la tolérance zéro ; j'aurais aimé vous entendre sur les sanctions prises à l'encontre des étudiants et des personnes adultes qui gravitent dans vos établissements.

J'aurais également aimé vous entendre sur le contrôle a priori des conférences organisées par des associations étudiantes au sein de l'université publique. L'augmentation significative des faits d'antisémitisme survenant dans ce cadre devrait vous inciter à effectuer un contrôle beaucoup plus exigeant ; est-ce le cas ?

Nous constatons un écart significatif entre le ressenti des étudiants juifs, dont 91 % déclarent avoir été victimes d'au moins un acte antisémite durant leurs études, et le nombre de signalements officiels faits aux instances universitaires. Les étudiants se tournent plus volontiers vers les associations qui les représentent que vers l'administration.

Existe-t-il des spécificités par formation ou type de filière ? Par exemple, les sciences humaines et sociales sont-elles plus concernées par des actes antisémites que les sciences exactes et expérimentales ?

Le climat actuel dans les établissements, très polarisé, vous paraît-il de nature à remettre en cause les libertés académiques ? Le premier rapport de l'observatoire académique du Parlement européen, publié le 27 février, dresse un constat plutôt alarmant.

Enfin, de nombreux faits problématiques, voire délictueux, se sont déroulés en ligne, tant dans l'enseignement supérieur que dans l'enseignement secondaire. De quels moyens disposez-vous pour suivre ces dérives ? Travaillez-vous en lien avec certains services du ministère de l'Intérieur ?

M. Guillaume Gellé. - Monsieur Levi, je suis très heureux que vous défendiez la pensée critique nécessaire dans nos universités. Je suis assez étonné de ce que vous dites concernant les réactions des présidentes et présidents d'université. Nous n'avons pas cette information. Les présidentes et présidents d'université n'ont pas la main qui tremble, mais ils sont obligés de se baser sur des faits pour pouvoir engager des plaintes ou des poursuites disciplinaires. Cela peut prendre du temps.

France Universités est une association d'établissements autonomes : nous ne pouvons donc pas dire aux présidentes et présidents d'université ce qu'ils ont à faire. Néanmoins, nous organisons des formations et nous travaillons à l'élaboration de guides pratiques, dont l'un porte sur la lutte contre le racisme et l'antisémitisme. Nous travaillons actuellement à une formation plus avancée des présidentes et des présidents d'université sur ces sujets. J'ai récemment rencontré le CRIF : ce sujet n'a pas été soulevé dans nos discussions. Si ces situations existent, nous en discuterons évidemment avec les présidentes et les présidents d'université pour mieux les comprendre.

Je déplore que nous n'ayons pas d'informations sur les suites données à nos signalements et nos dépôts de plainte. Nous avons fait des propositions pour améliorer les liens entre les universités et le monde de la justice, notamment par la désignation d'un référent sur les questions d'enseignement supérieur et de recherche dans les parquets. On constate que, lorsque des liens personnels entre un président et un procureur de la République existent, l'information circule ; il me semble important d'institutionnaliser de telles relations.

Nous avons des rencontres régulières avec nos homologues dans le cadre de l'association européenne des universités. Nous y parlons de ces situations, qui me semblent comparables dans un grand nombre de pays européens. Malheureusement, nous n'avons pas suffisamment travaillé sur le sujet pour pouvoir vous répondre précisément. Nous nous proposons d'y travailler avec l'observatoire de la lutte contre les discriminations.

Les associations étudiantes font l'objet d'un conventionnement avec leur établissement. Elles doivent être reconnues associations étudiantes pour pouvoir bénéficier des crédits associés à la vie étudiante. Les responsables de ces associations suivent une formation organisée par l'université sur un ensemble de sujets, dont la lutte contre le racisme et l'antisémitisme. Nous veillerons à amplifier ces points très rapidement.

Nous travaillons à favoriser le débat et la pensée critique. Lorsque des événements sont organisés, la liberté d'expression et la loi sont respectées ; si nous n'avons pas connaissance a priori de troubles à l'ordre public, nous n'avons pas de raison d'interdire un événement. Les universités s'organisent de manière différente pour prévenir les troubles à l'ordre public ; elles travaillent avec les services de police et les renseignements pour organiser les débats de manière sereine. Il serait grave, en termes de liberté d'expression ou de liberté académique, d'interdire a priori un débat sur quelque sujet que ce soit dans l'université. Ce qui nous importe, c'est le respect des valeurs de la République et de la loi.

Le processus de poursuite disciplinaire prend un peu de temps, ce qui explique que nous ayons moins de poursuites disciplinaires depuis le 7 octobre que l'an dernier. L'enquête administrative préalable est assez poussée et nécessite le recueil de témoignages. Dès lors que les éléments recueillis indiquent qu'il y a matière à sanction, des poursuites disciplinaires sont engagées par les présidents d'université. Dans certains cas particuliers, un dépaysement peut être organisé, ce qui prend du temps sur le plan administratif. Dans quelques mois, nous aurons une meilleure visibilité sur les chiffres des poursuites disciplinaires depuis le 7 octobre.

En ce qui concerne les sanctions mises en oeuvre, des mesures de suspension ou d'interdiction d'accès aux locaux peuvent être prises pendant la durée de l'enquête administrative. Malheureusement, je ne connais pas le détail des sanctions prises par les établissements ; nous regarderons ces éléments de près. L'échelle des sanctions va en tous cas jusqu'à l'exclusion définitive de tout établissement d'enseignement supérieur.

Concernant les différences entre les disciplines, les sujets mêmes d'étude emportent des différences dans le rapport aux sujets de société ; un étudiant dans une filière d'ingénieur ne les étudie pas comme celui d'un cursus de sciences politiques. Évidemment, cela peut créer des différences sur l'organisation d'un certain nombre d'événements. En ce qui concerne les actes antisémites, je ne pense pas que l'on puisse faire une différence entre les disciplines ou les types d'universités. Il y a quelques années, nous avions recensé un nombre d'actes important dans les facultés de médecine, alors que ces études ne sont pas directement liées à des sujets de société.

Nous sommes relativement démunis face à ce qui se passe dans la sphère privée. Les universités commencent néanmoins à agir lorsque des faits surviennent dans un groupe d'étudiants, en procédant à des signalements ; mais une question juridique se pose vraisemblablement. En cas d'événement hors des campus, nous incitons les étudiants à porter plainte et les accompagnons, comme nous le faisons en cas de violences sexistes et sexuelles. L'enjeu est alors de convaincre l'étudiant d'engager ces actions.

Des signalements sont systématiquement effectués sur la plateforme Pharos depuis sa mise en service.

Mme Isabelle de Mecquenem. - Nous avons été confrontés au cas d'une étudiante en pharmacie qui a été victime d'une agression à caractère antisémite au cours d'une soirée étudiante de début d'année. Parmi les facteurs d'explication des actes antisémites, qui ne sont pas des facteurs de justification, il faut tenir compte de la culture de ces promotions, où l'esprit de groupe et la nécessité de s'intégrer sont des données extrêmement importantes. Cette étudiante n'a pas voulu porter plainte ; elle a fait prévaloir la perspective de son année universitaire et son intégration dans la promotion. Il ne faut jamais sous-estimer la peur des victimes. Face à des faits sans équivoque, nous étions évidemment prêts à agir et à l'inciter à porter plainte, et une association antiraciste s'était proposée de faire le truchement entre l'étudiante et nous ; nous ne demandions qu'à appliquer la loi, mais la victime refusait même de communiquer son identité.

M. Laurent Lafon, président. - L'institution ne pouvait-elle pas déposer plainte ?

M. Guillaume Gellé. - Il s'agissait d'une soirée privée. Cette situation a été prise très au sérieux par l'université. Nous avons rencontré la LICRA pour en discuter. Nous avons tout fait pour avoir les éléments qui nous permettaient de traiter ce cas de figure de manière disciplinaire, mais nous ne les avons malheureusement pas eus. La sphère privée reste l'angle mort de l'ensemble des luttes contre les discriminations.

M. Laurent Lafon, président. - La parole est maintenant aux sénateurs.

M. Adel Ziane. - Nous abordons un sujet extrêmement important. Les universités ne sont pas des citadelles fermées. Elles sont dans la société. Elles ne sont donc pas imperméables aux fléaux qui traversent notre société, notamment l'antisémitisme.

J'ai pris le temps, en préparant cette audition, de relever les différentes initiatives qui ont été mises en oeuvre : réseau de recherche associant des universités, collaboration avec le gouvernement pour améliorer la gestion des cas, chartes d'engagement, création de cellules d'écoute, organisation de formations pour les dirigeants d'université, renforcement de la coordination avec les associations...

En matière de prévention, quel rôle peuvent jouer les enseignants, dans le cadre de leurs actions, pour créer du dialogue entre les étudiants et faire émerger la parole en cas d'acte antisémite ?

Les actes antisémites n'ont pas lieu que dans l'enceinte des universités. Ils se déroulent également sur les réseaux sociaux et dans la sphère privée. Ces dernières années, les écoles et les universités ont été extrêmement sensibilisées au sujet des violences sexuelles et sexistes et aux phénomènes de harcèlement sur les réseaux sociaux. Ne pourrait-il pas y avoir des procédures similaires pour les actes antisémites ?

Le rôle d'une association ou de l'administration centrale ne pourrait-il pas être de réduire la distance qui sépare les étudiants des universités ?

L'université a toujours été un lieu de débat, d'échanges, de controverse et d'exercice de la pensée critique. En 2006, un citoyen sur deux dans le monde vivait dans une zone de liberté académique ; cette proportion est désormais d'un sur trois. Comment les libertés académiques évoluent-elles en France ? Avec quel impact sur les universités ?

M. Pierre Ouzoulias. - L'antisémitisme n'est pas un racisme comme un autre : c'est un racisme bimillénaire qui est constitutif de la formation de la civilisation occidentale, et c'est à raison que vous avez parlé de rémanence. Nous ne pouvons tolérer l'intolérable, c'est un combat de tous les moments. Je crois que vous avez également eu raison d'indiquer, Madame la professeure, que le processus peut être relancé par une ethnicisation des rapports sociaux.

Nous subissons aujourd'hui les conséquences de la place supérieure accordée à l'identité individuelle dans une pensée très libérale. On pourrait considérer sous forme de boutade que lorsque les campus étaient plus marxistes, ils étaient moins antisémites, car la grille de lecture n'était pas la même ! Nous avions alors d'autres références que l'identité, l'ethnie ou la race.

L'autonomie des universités est fondée sur trois piliers : la liberté académique des enseignants ; la liberté d'expression de tous les personnels qui y travaillent ; la franchise universitaire, qui signifie qu'il revient aux présidents d'apprécier à quel moment ils ne sont plus en capacité de faire respecter l'ordre public.

La disparition des études sur le judaïsme dans les universités françaises, où elles deviennent très marginales, me paraît extrêmement problématique. Six thèses seulement ont été soutenues sur le sujet en 2023, soit trois à quatre fois moins que par le passé. En découle le sentiment que la culture juive est complètement étrangère à notre pays, alors qu'elle en est constitutive. Ne pourrions-nous pas envisager un grand plan national pour rendre leur place aux études sur la culture juive, notamment dans sa dimension française ? Aujourd'hui, les Français de confession juive ne sont perçus comme tels que lorsqu'ils sont victimes. On ne parle jamais de la judéité comme constitutive de notre pensée, et notamment de notre culture républicaine. C'est à l'université que se fonde une conscience nationale sur ces sujets.

M. Max Brisson. - Je n'ai pas de question, mais souhaite formuler quelques constats en essayant de conserver le flegme dont a réussi à faire preuve notre rapporteur Pierre-Antoine Levi. Il a fallu attendre l'intervention de Pierre Ouzoulias, dont je ne partage pas l'entièreté du propos, pour qu'on s'élève un peu. Nous rendons-nous compte de quoi nous parlons ? Longtemps, la France a été un modèle pour les communautés juives dispersées dans le monde, dont témoignait l'expression yiddish « heureux comme un Juif en France ». En écoutant nos intervenants, on s'aperçoit qu'on en est bien loin.

Monsieur Gellé, vous auriez pu, en présentant votre diagnostic, prendre un peu de hauteur et dire clairement et avant tout autre propos que n'y aurait-il eu qu'un seul acte antisémite, il eût été intolérable. On ne peut pas tout mettre sur le même plan et parler des luttes contre les discriminations, contre les violences sexuelles et contre l'antisémitisme comme si tout cela appartenait au même champ d'action. Il y a un caractère particulier et inacceptable de l'antisémitisme.

Au décours de l'exposé certes lucide que vous avez ensuite présenté, vous n'avez pas pu vous empêcher d'attaquer les élus. De la même manière, nous avons le droit de critiquer l'université.

Vous avez fait un inventaire sans pouvoir faire celui des sanctions prises à la suite des actes antisémites constatés dans vos établissements. Quel terrible aveu ! C'est le meilleur exemple du déni dans lequel vous êtes installé. J'insiste à la suite de notre rapporteur Stéphane Piednoir : ces sanctions, nous aimerions les connaître.

Madame de Mecquenem, votre exposé était un bel exemple de la culture de l'excuse permanente. Je vous le dis fermement : nous ne partageons absolument pas votre analyse. Nous avons une Constitution et des lois, qui sont faites pour être appliquées. C'est cette culture de l'excuse permanente qui nous a placés dans la situation qui est la nôtre aujourd'hui, à savoir une République menacée.

Il est un mot qui n'a pas été prononcé une seule fois : islamisme. Il existe un lien entre le wokisme, l'islamisme radical et l'antisémitisme, qui ne plonge pas dans la profondeur des temps, mais qui est une nouveauté face à laquelle la République doit faire face. Je ne suis absolument pas rassuré après avoir écouté nos intervenants.

Mme Monique de Marco. - Personnellement, je n'ai pas eu l'impression qu'il y avait du déni dans ces propos.

Les référents antisémitisme tels que précisés dans une circulaire du 9 janvier 2024 ont-ils été généralisés ? Leur mise en place est-elle une obligation pour toutes les universités ? Cette circulaire a-t-elle changé quelque chose ?

Le 30 janvier 2023, Élisabeth Borne a présenté un plan national contre le racisme et l'antisémitisme qui préconisait d'intégrer un volet recherche sur l'antisémitisme au sein des observatoires nationaux de discrimination et de l'égalité dans le supérieur. La réponse à l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur ne se trouve-t-elle pas dans une recherche débouchant sur une politique plus large de lutte contre les discriminations ?

M. Bruno Retailleau. - Je suis stupéfait par ce que j'ai entendu et ne suis absolument pas rassuré. Vous aviez deux attitudes possibles : la première aurait consisté à douter, c'est-à-dire à faire preuve d'une distance critique, à prendre acte d'un certain nombre de faits qui nous sont remontés - et que je tiens à votre disposition -, à admettre que la société est violente et traversée par des débats idéologiques auxquels l'université a toujours participé. Vous avez cependant choisi la voie du déni total, voire de la justification, notamment lorsque vous parlez de la culture juvénile ou de la culture de groupe. À ce niveau, expliquer, c'est justifier.

91 % des étudiants juifs se disent victimes d'actes antisémites, mais vous faites comme si cela n'existait pas. Vous n'avez aucun chiffre sur les sanctions. Vous dites qu'on ne peut pas interdire une conférence. C'est pourtant arrivé il y a quelques mois à Florence Bergeaud-Blackler à La Sorbonne. Le trouble à l'ordre public, bien souvent, revient à donner un droit de vie ou de mort sur une conférence aux plus radicaux et aux plus violents. Vous ne pouvez pas dire que tout va bien, car tout ne va pas bien.

Monsieur Gellé, vous avez en charge une belle institution. La pensée critique et la liberté d'expression, ce n'est pas l'intolérance. On ne peut pas tout justifier avec ces concepts qui deviennent fumeux lorsqu'on les vide de leur sens.

Franchement, cette audition nous inquiète au plus haut point.

M. Jacques Grosperrin. - À vous entendre, madame de Mecquenem, j'ai le sentiment que vous êtes la servante d'un certain type d'idéologie. Vous êtes dans la politique d'excuse. Vous êtes dans un déni qui est flagrant. Vos propos excusent ceux qui agissent ainsi. Auriez-vous eu les mêmes propos si les faits, tout aussi inacceptables, avaient concerné d'autres types de populations ? Auriez-vous avancé l'excuse de la juvénilité ? J'ai plutôt le sentiment que nous mettons la poussière sous le tapis. Nous nous dirigeons vers une situation très grave, voire irréversible.

En 2007, la ministre voulait nommer les présidents d'université. Est-ce le système d'élection qui favorise la faiblesse de la gouvernance, ou est-ce que parce que les présidents d'université se comportent ainsi qu'ils sont élus ? Ce mode de gouvernance pose en tous cas un véritable problème. Parce qu'ils sont élus par leurs pairs, les présidents d'université n'ont pas une entière liberté d'action. S'ils ne sont pas capables de faire régner l'autorité, alors il faut peut-être changer la loi et les faire nommer par le ministre ou le conseil des ministres. Nous sommes prêts à mener cette réflexion si les choses ne changent pas.

Mme Karine Daniel. - L'antisémitisme est un délit que tout le monde prend très au sérieux. Toutefois, l'université doit aussi faire face à d'autres délits comme le racisme et toute forme de discrimination, ainsi que les violences sexuelles et sexistes. L'université doit mettre en place des processus pour lutter, prévenir et sanctionner avec les moyens qui lui sont confiés. Les présidents d'université nous parlent de ces questions, mais ils nous parlent aussi de la déperdition d'effectifs en licence et des manques de débouchés en master pour les étudiants. C'est ce contexte général qu'il faut considérer.

Par ailleurs, pour qu'il y ait des données et des éléments contradictoires, il faut donner des moyens à la recherche, notamment en sciences humaines.

Mme Annick Billon. - Les interventions de nos invités ont été très inquiétantes. Vous avez parlé de doublement des faits d'antisémitisme. Les sanctions et les condamnations ont-elles également doublé ? Quelles sont-elles ? L'antisémitisme n'est pas un sujet de débat. Il doit être combattu.

Mme Alexandra Borchio Fontimp. - Si nos échanges portent sur l'antisémitisme, c'est bien parce que ce sujet n'est pas latent. Je crains que nous ne soyons en plein déni, avec le fantasme que les choses pourraient se régler tranquillement.

Je vais vous parler du campus de Sciences Po à Menton, qui n'est pas un cas isolé. « Si tu es juif, tu ne peux pas faire Sciences Po Menton » : voilà un exemple des déclarations que nos étudiants de confession juive doivent accepter sans sourciller. Fin mars, à l'occasion d'une semaine de la Palestine, les membres de la France Insoumise ont donné une conférence de presse qui était bien loin d'un débat nuancé et de l'acceptation de divergences d'opinions. Nous sommes dans un temple gangréné par une radicalité qui n'est ni justifiée, ni justifiable. Face à la gravité de ces faits, les collectivités qui financent le campus de Menton envisagent d'ailleurs de suspendre leur participation.

Je rejoins les propos de mon collègue Stéphane Piednoir sur le contrôle, peut-être a priori, des associations d'étudiants qui organisent des événements politiques dans des établissements d'enseignement supérieur publics. Comment trouver un juste équilibre entre permettre aux étudiants de se constituer en associations pour défendre une cause, ce qui est bénéfique pour le débat, et encadrer et sanctionner comme il se doit les associations qui promeuvent des idées contraires à nos valeurs républicaines, notamment l'antisémitisme ?

Mme Sonia de La Provôté. - Il a semblé, dans les propos tenus lors de cette audition, qu'on ne cherchait pas forcément à ce que l'objectivation des référents antisémitisme se fasse de la manière la plus formelle et efficace possible. Le sentiment a été donné que la liberté académique et de propos était opposée à ce qui aurait pu être assimilé à une opinion, à savoir l'antisémitisme, alors qu'il s'agit d'un délit. On ne peut pas mettre les deux choses sur un même plan. Il est nécessaire que l'université ait un propos objectif sur ces sujets. Les référents antisémitisme dans les universités sont nécessaires. On ne peut pas avoir un échange qui laisserait à penser qu'on met de la nuance là où le délit ne saurait souffrir de nuance.

Pharos ne recueille pas les signalements, du moins au-delà d'un certain seuil de gravité. Il faut que les universités elles-mêmes aient le courage de dire les choses. On ne peut pas dire que ça n'existe pas, alors que nous avons des signalements partout, quelle que soit l'université.

Mme Catherine Belrhiti. - Depuis le 7 octobre, 67 actes antisémites ont été relevés dans les établissements supérieurs, soit deux fois plus que l'année précédente. Nous ne pouvons nier que les événements tragiques d'octobre 2023 sont à l'origine de cette recrudescence, tout comme nous ne pouvons nier que le phénomène est endémique et ancien à la fois. Nous serions, selon certains experts, en train d'assister à un rajeunissement des auteurs d'actes antisémites, qui seraient de plus en plus fréquents à l'école, notamment au collège. Nous ne pouvons prévenir ce qui se passe dans nos universités si nous n'avons pas au préalable permis à nos collégiens d'intégrer la valeur indispensable qu'est la laïcité pour notre République.

Quelles sont les actions de sensibilisation, voire de pédagogie, que l'école et l'enseignement supérieur pourraient mener afin de combattre ce fléau à la racine ?

M. Laurent Lafon, président. - La parole est à nos intervenants.

M. Guillaume Gellé. - Je voudrais d'abord réitérer mon propos liminaire : « Je souhaite rappeler que nos établissements ne sont pas des citadelles fermées au reste de la société. Ils sont dans la société. Ils sont traversés par les mêmes problématiques et, malheureusement, les mêmes maux. L'antisémitisme, je tiens aussi à l'affirmer, n'est pas une opinion ; c'est un délit, un fléau, contre lequel nous devons tous nous mobiliser. » Je ne pense pas que ces propos traduisent un quelconque déni sur les questions d'antisémitisme.

Dans nos établissements, il y a deux grands types d'activités : celles qui relèvent de la vie universitaire et celles qui relèvent de la vie académique. Quand on parle de liberté académique, on ne s'adresse qu'aux enseignants et aux enseignants-chercheurs. La vie étudiante, par exemple, ne relève aucunement des questions de vie et de liberté académiques.

L'organisation des universités en matière de lutte contre les violences sexuelles et sexistes peut nous inspirer dans la lutte contre le racisme et l'antisémitisme. Nous avons beaucoup travaillé sur la sensibilisation des étudiants et la professionnalisation des équipes qui gèrent les questions de violences sexuelles et sexistes. Nous avons donc matière à nous organiser, peut-être de façon différente pour être plus efficace encore dans la lutte contre le racisme et l'antisémitisme. La formation des associations étudiantes et la clarification de ces questions dans les règlements intérieurs de nos universités sont des points sur lesquels nous pouvons nous appuyer, et cela doit être organisé par les administrations centrales de nos établissements.

Nous sensibiliserons l'ensemble des équipes de gouvernance dans le cadre des formations organisées par France Universités. Un renouvellement important des équipes de présidentes et de présidents est attendu cette année et l'année prochaine : ce sera l'occasion d'une formation et d'une sensibilisation approfondies des équipes sur ces thèmes.

France Universités demande que la liberté académique soit inscrite dans la Constitution. Ce serait une protection si nous devions être soumis à des pressions comme il en existe dans certains pays d'Europe de l'Est ; nous regardons également avec une grande attention ce qui se passe en Floride, où l'enseignement de certaines disciplines a été interdit. Nous avons publié un communiqué commun à ce sujet avec la conférence des recteurs de Suède. Nous comptons sur vous pour nous accompagner et préparons sur ce sujet un rapport qui sera présenté à l'été ; j'espère que nous aurons l'occasion d'en discuter.

La disparition des études sur le judaïsme est en effet une question dont il faut se préoccuper à l'échelle nationale. Certaines disciplines en péril sont inscrites sur la feuille de route du ministère ; il faudra veiller à ce que ces études le soient également.

Lors d'un échange avec le président du CRIF, nous avons parlé du doublement du nombre d'actes antisémites dans les universités et l'avons comparé à ce qui se passe dans l'ensemble de la société, où il a été multiplié par quatre. Cette approche comparative est indispensable à l'établissement d'un diagnostic lucide. Nous sommes pleinement mobilisés pour que ces actes diminuent et que des sanctions soient prises.

En matière disciplinaire, l'instruction par les commissions de nos établissements peut prendre plusieurs mois. Lorsque des sanctions sont proposées, elles peuvent ensuite faire l'objet de recours par les étudiants ou l'institution. Le traitement est alors dépaysé au conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche. Les sanctions peuvent aller jusqu'à une exclusion définitive de tout établissement d'enseignement supérieur. À ces sanctions disciplinaires peuvent s'ajouter des sanctions pénales. Je n'ai pas de chiffres précis à vous donner aujourd'hui. Vous nous avez sensibilisés au sujet et nous allons y travailler. Je tiens toutefois à rappeler que France Universités organise la représentation des universités et répond à leurs sollicitations. Ce n'est pas un organe qui centralise systématiquement toute l'information, et vous trouverez peut-être les données qui vous intéressent auprès des services du ministère.

La circulaire de 2024 systématise la mise en place des référents à la lutte contre le racisme et l'antisémitisme. À notre connaissance, pratiquement toutes les universités se sont dotées d'un référent et un réseau existe depuis 2019, qui est l'interlocuteur du gouvernement et du ministère de l'enseignement supérieur sur ces questions.

Nous avons publié un guide pratique consacré à la lutte contre le racisme et l'antisémitisme qui est soutenu par l'ensemble des présidentes et présidents d'université et que nous inscrivons systématiquement dans nos formations.

En matière d'institution universitaire, l'élection est la règle générale. La liberté académique, c'est aussi l'évaluation par les pairs et la reconnaissance de ceux qui agissent. Vous pouvez changer la loi, mais je ne pense pas que ce soit souhaitable. Nous sommes une grande nation universitaire, de recherche et de formation. Quelle image renverrions-nous à nos homologues si nous agissions de la sorte ? Il en irait de la crédibilité de la recherche, de la formation et de l'université françaises. En revanche, il existe certainement des leviers pour rendre plus efficace la gouvernance des universités. Nous avons fait des propositions à nos directions centrales et au ministère dans le cadre de l'acte II de l'autonomie, dont certaines pourraient être mises en oeuvre rapidement. Il faut veiller à ce que la gouvernance soit efficace, ce qui est très difficile dans le contexte d'élections permanentes que connaissent les universités.

Il y a certainement matière à orienter des travaux de recherche sur les questions qui nous réunissent aujourd'hui. Un appel à manifestation d'intérêt a récemment été lancé en sciences humaines et sociales. La recherche apporterait vraisemblablement des solutions et des clés de compréhension. Je partage également le constat que nous devons sensibiliser la jeunesse bien en amont de l'université.

Ce que vous avez décrit concernant le campus de Sciences Po Menton est inacceptable. J'en ferai part prochainement à l'administrateur provisoire de Sciences Po. Les qualifications sont assez évidentes pour procéder à un signalement auprès du procureur de la République.

Les délits de racisme et d'antisémitisme sont inscrits dans les règlements intérieurs de nos universités, qui font l'objet d'un engagement des associations étudiantes. Celles qui n'en respectent pas les modalités peuvent être exclues des financements donnés par l'université dans le cadre de la vie étudiante. Bien évidemment, une association qui organise des actions délictueuses, notamment en matière d'antisémitisme, doit faire l'objet des poursuites adaptées aussi bien au niveau de l'établissement qu'au niveau judiciaire. Le guide pratique que j'ai mentionné permet d'éclairer les responsables sur ces questions, et les lettres de mission adressées par les universités aux référents à la lutte contre le racisme et l'antisémitisme précisent notamment les modalités de la saisine des présidentes et présidents en matière de poursuite disciplinaire.

J'espère avoir apporté un certain nombre de réponses ou de clés de compréhension. Encore une fois, il n'y a pas de déni et nous qualifions les choses comme elles doivent l'être. L'antisémitisme est un délit qu'il faut combattre. Nos universités essaient de le faire au meilleur niveau ; pour cela, il faut nous aider à renforcer un certain nombre de points et la question des moyens, qui n'est pas la réponse à tout, doit être posée.

Mme Isabelle de Mecquenem. - Lorsque j'évoquais la création de ma mission en 2015, je me référais à une époque préhistorique. Depuis, un réseau national des référents racisme et antisémitisme a été créé. Il est animé par un service du ministère dont il est bon de connaître l'existence. Ce réseau, qui oeuvre également en faveur de la laïcité dans les établissements d'enseignement supérieur, a bénéficié de formations organisées par ce service ministériel - car il est indispensable, à quelque échelle que l'on se situe, de suivre des formations préalables.

Les choses se sont donc structurées ; elles ont été récemment systématisées. Une lettre de mission a même été formalisée, qui indique tous les axes de l'action des référents racisme et antisémitisme. Au sein du conseil des sages de la laïcité et des principes républicains, nous avons par ailleurs édité un vademecum constitué de fiches pratiques destinées aux enseignants, aux chefs d'établissement et à tous les personnels, afin qu'ils puissent répondre à la diversité des incidents qui se produisent en milieu scolaire.

Il n'y a pas de déni. Au contraire, nous sommes à l'unisson d'une volonté ferme d'éradication de ces phénomènes, que je n'ai pas voulu nuancer dans mon état des lieux. Il ne faut pas confondre l'intelligibilité d'une réalité et le voile que l'on veut faire porter sur cette réalité. Cela n'a rien à voir.

Madame la ministre a annoncé, pour 2025, un module obligatoire pour toutes les universités sur la question écologique. J'y vois une opportunité, car il est rare que le ministère prenne ce type d'initiative, précisément au nom de l'autonomie des universités et des libertés académiques. Il y a là la piste d'un module obligatoire pour tous les étudiants. Un travail pédagogique de clarification des notions historiques politiques me paraît se dessiner comme un chantier à court terme.

En 2015, des postes fléchés de maître de conférences radicalisation ont été créés dans certaines universités ; cette piste pourrait être reprise. Les armes de l'université sont l'enseignement et la recherche. En 2019, un réseau de recherche sur le racisme et l'antisémitisme a été créé, auquel plusieurs universités ont adhéré. Il se trouve que j'en suis la co-directrice. Nous avons monté un cycle de conférences, qui durera jusqu'en décembre 2024, sur les notions d'antisémitisme et d'antisionisme, qui font l'objet d'une grande confusion dans l'esprit des étudiants. Voilà un exemple d'action concrète disponible pour toutes les universités que nous ne demandons qu'à généraliser.

M. Laurent Lafon, président. - Merci. Je rappelle que la mission flash débute à peine ses travaux. D'autres auditions suivront.

Audition de Mme Sylvie Retailleau, ministre de
l'enseignement supérieur et de la recherche

MERCREDI 29 MAI 2024

___________

M. Laurent Lafon, président. - Nous avons le plaisir d'accueillir cet après-midi Mme Sylvie Retailleau, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, dans le cadre des auditions de la mission d'information relative à l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur. Madame la ministre, nous vous remercions de vous être rendue disponible pour éclairer les travaux de notre commission sur ce sujet d'une actualité malheureusement aussi brûlante qu'inquiétante, et qui connaît de nouveaux développements depuis quelques semaines en marge de la mobilisation propalestinienne sur les campus.

Face à l'urgence de la situation, les deux rapporteurs désignés par notre commission, MM. Bernard Fialaire et Pierre-Antoine Levi, ont travaillé extrêmement vite, puisqu'ils ont conduit dix-sept auditions depuis le 10 avril dernier. La plupart ont été tenues sous la forme de tables rondes, ce qui leur a permis de rencontrer la grande majorité des acteurs concernés par le sujet - des présidents d'universités au ministère et à délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah), en passant par les associations étudiantes, les référents racisme et antisémitisme des universités, les instituts d'études politiques ou encore le réseau de recherche Alarmer. Ces entretiens s'achèveront demain, après l'audition de la procureure générale près la Cour d'appel de Paris cet après-midi et des représentants de diverses institutions juives demain matin, après quoi nos rapporteurs nous présenteront leurs conclusions avant la fin de la session - à temps, donc, pour la prochaine rentrée universitaire.

Nous constatons avec soulagement que, depuis la première audition conduite au Sénat sur ce thème, le 10 avril dernier, le Gouvernement s'est également emparé du sujet. Madame la ministre, vous avez en effet annoncé le 2 mai, à l'occasion d'une intervention devant les membres du conseil d'administration de France Universités, plusieurs mesures visant à mieux suivre, d'une part, et à mieux prévenir, d'autre part, les actes antisémites au sein des établissements universitaires. Le 6 mai, c'est ensuite la ministre déléguée chargée de la lutte contre les discriminations, Aurore Bergé, qui a lancé des assises de la lutte contre l'antisémitisme visant à faire reculer le phénomène dans l'ensemble de la société.

Si ces différentes annonces témoignent d'une prise de conscience partagée que je salue, nous avons besoin de comprendre la portée opérationnelle de ces mesures. Nous avons en effet pu constater au cours de nos différentes auditions que le hiatus est parfois grand entre les condamnations de principe de l'antisémitisme et les actions réellement mises en oeuvre, ce qui conduit notamment à de fortes variations dans le traitement des actes antisémites par les différents établissements de l'enseignement supérieur.

Madame la ministre, je vous cède la parole pour un propos liminaire et de premières réponses à ces observations, après quoi mes collègues de la commission, et notamment nos rapporteurs de la mission Bernard Fialaire et Pierre-Antoine Levi, ainsi que notre rapporteur pour les crédits de l'enseignement supérieur Stéphane Piednoir, vous interrogeront à leur tour sur les premiers enseignements qu'ils ont pu tirer de leurs travaux.

Mme Sylvie Retailleau, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche. - Merci de me donner l'occasion de vous exposer de manière approfondie la démarche du ministère dans la lutte contre l'antisémitisme. Nous sommes, vous l'avez dit, dans un moment de recrudescence de ce fléau, alors que nous assistons à une tentative d'importation d'un conflit international au coeur de nos campus. Certaines des choses que je dirai ici devant vous, je les ai déjà dites dans le cadre plus restreint du conseil d'administration de France Universités le 2 mai dernier. Pouvoir les réaffirmer avec force ici, devant vous, dans le cadre des travaux menés par le Sénat, est une opportunité que je saisis avec gravité et responsabilité.

Depuis plusieurs semaines, des revendications se sont exprimées de manière de plus en plus radicale sur nos campus, en ne permettant pas le dialogue, qui est pourtant la base en de tels lieux. Ce mouvement, parti notamment des États-Unis, s'étend sur la planète, en Europe, en Australie, en Inde ; il peut conduire à des affrontements entre groupes d'étudiants, comme on l'a vu à Los Angeles. Au-delà des revendications portées par les étudiants, ce sont surtout leurs modes d'action qui ont connu une escalade, que je condamne fermement. Une petite minorité d'étudiants ne peut pas bloquer une majorité d'entre eux et faire régner un climat de peur, voire de violence, par des propos et des gestes inacceptables - surtout quand on leur propose un cadre de débat respectueux, où la liberté d'expression se conjugue avec les valeurs universitaires, le respect de la loi et les principes de la République.

Je commencerai par rappeler quelques évidences. Tout d'abord, la ligne de fermeté absolue que je porte et que j'ai eu l'occasion de rappeler lors d'autres exercices parlementaires, comme les questions aux Gouvernement : l'antisémitisme n'est pas une opinion, c'est un délit pour lequel nous avons une tolérance zéro. Face à la montée de l'antisémitisme, nous devons être implacables.

Je tiens également à exprimer ma compassion évidente et mon soutien absolu à tous les étudiants, notamment juifs, victimes d'actes ou de propos abjects, ou qui se sentent ostracisés. Aucun étudiant ne doit penser qu'il n'a pas sa place au sein de nos établissements. Tous nos efforts visent à ce que chacun puisse y étudier sereinement, sans jamais être inquiété parce qu'il est juif. Avoir à le rappeler, je le dis franchement, m'attriste. J'aurais aimé que ce fléau reste la tache indélébile des heures les plus sombres de notre Histoire et ne se rappelle pas à notre actualité récente.

J'en viens aux mobilisations qui se déroulent au sein de certains de nos établissements, tout particulièrement à Sciences Po et dans ses campus délocalisés. La position que je tiens à réaffirmer devant vous est simple et claire : le débat, oui ; le blocage, non. Dit autrement, le débat et la liberté d'expression ont toute leur place dans nos universités ; mais cela n'autorise pas tout, et les blocages et les intimidations, tout comme l'incitation à la haine ou l'appel à l'insurrection, sont inacceptables. J'ai deux priorités : que les étudiants puissent étudier dans de bonnes conditions ; que le cadre démocratique et républicain soit respecté. Ce sont ces deux principes qui ont guidé et qui continuent de guider mon action face aux évènements récents - dans le respect, bien sûr, de l'autonomie des établissements.

Cela étant dit, je vous propose de faire un bilan rapide des derniers évènement survenus dans les campus. Les examens ont eu lieu sans perturbations majeures ; dans les rares cas où cela a été nécessaire, des centres d'examens de substitution à la sécurité renforcée ont pu être déployés. Lorsque des blocages ou des occupations ont eu lieu, ils n'ont dans la plupart des cas pas donné lieu à des violences physiques, à quelques exceptions près que je condamne avec la plus grande fermeté. Tout acte de violence est en effet un acte de trop ; je pense notamment à l'agression d'étudiants juifs à Strasbourg, ou encore aux actes visant le collectif Golem à Lille. Une fois le cadre reposé, des débats sereins et apaisés ont pu se tenir entre la fin du mois d'avril et le début du mois de mai. Nous continuons à y travailler avec France Universités.

Depuis le 27 avril, une trentaine d'interventions des forces de l'ordre, nécessaires mais proportionnées, ont eu lieu pour permettre à l'Université de retrouver son cadre de fonctionnement normal et aux examens de se tenir. Ces interventions ont lieu, je le rappelle, sur réquisition du président d'université, lorsque le mouvement survient à l'intérieur de l'établissement, ou sur décision du préfet, lorsque le trouble est constitué sur la voie publique, notamment aux abords du campus. Aucune occupation ne s'est établie durablement.

Face aux mobilisations, il est primordial de rappeler ce qu'est l'Université, ce qui peut et doit s'y passer - et, à l'inverse, ce qui ne peut pas et ne doit pas s'y passer -, ainsi que ce que nous voulons pour nos étudiants, nos enseignants, nos chercheurs et l'ensemble du personnel. Les polémiques du moment semblent en effet brouiller cette évidence que le rôle fondamental de l'Université est la construction et la transmission des savoirs. Tout le reste, je dis bien tout le reste, ne peut s'apprécier qu'à l'aune du respect de cette mission première de nos établissements, qui ne peut être accomplie que dans un cadre de fonctionnement serein et apaisé, reposant sur la démocratie, la pluralité et la neutralité.

C'est pour cette raison que je refuse de voir l'Université instrumentalisée à des fins politiques. Oui, certains irresponsables politiques soufflent sur les braises ; ils instrumentalisent le conflit et utilisent les étudiants en appelant au soulèvement ou à l'insurrection. La surenchère, l'outrance ne font pas de bien à notre démocratie. Il en va des principes fondamentaux de notre République et de l'image de la France dans le monde.

Pour que notre modèle universitaire fonctionne, il faut que chacun s'y sente à sa place. C'est tout le sens du plan que mon ministère déploie depuis plusieurs mois pour lutter contre l'antisémitisme, réappréhendé dans sa spécificité historique et contemporaine. En complément des mesures du plan national de lutte contre le racisme, l'antisémitisme et les discriminations liées à l'origine, lancé en 2023, mon ministère développe ses propres actions.

Dès le 9 octobre, j'ai rappelé, dans un courrier adressé à tous les présidents d'universités, le principe de tolérance zéro et de grande fermeté face aux actes et propos antisémites. Nous avons mis en place dès cette date un dispositif de suivi ad hoc des signalements effectués pour des actes en lien avec la situation au Proche-Orient dans les universités, qui couvre à la fois les actes antisémites et les manifestations en faveur de Gaza susceptibles de constituer des troubles à l'ordre public. À ce jour, 244 faits nous ont été remontés, parmi lesquels 214 manifestations individuelles ou collectives favorables à la Palestine susceptibles d'entraîner des troubles à l'ordre publics, ainsi que 30 actes de type inscriptions, menaces, violences antisémites ou apologie du terrorisme et du nazisme. Toute manifestation pro-Palestine étant ainsi recensée, il faut bien entendu prendre des précautions avec ce chiffre élevé.

Nous poursuivons par ailleurs la structuration du réseau des référents racisme et antisémitisme. Après les avoir réunis en octobre 2023, j'ai pris en janvier 2024 une circulaire qui précise le cadre de leur action ainsi que leurs missions, dans le but de les rendre plus visibles, plus incontournables et plus proches des gouvernances des établissements. L'animation de réseau se poursuit et ces référents seront à nouveau réunis par mon cabinet avant l'été.

Avec les rectorats de région, nous recensons en outre toutes les commissions disciplinaires déclenchées pour des faits d'antisémitisme depuis le 7 octobre ainsi que leurs décisions. Pour mémoire, le code de l'éducation prévoit que le recteur de région académique est informé par les universités de l'ouverture d'une procédure par une section disciplinaire et de la décision prise par celle-ci. C'est ainsi que 76 actes antisémites ont été signalés, dont 17 font ou ont fait l'objet d'une enquête administrative suivie de l'enclenchement d'une procédure disciplinaire, 9 d'un dépôt de plainte, et 11 d'un signalement au procureur de la République au titre de l'article 40 du code de procédure pénale.

Nous poursuivons également les travaux visant à la mise en place à la rentrée d'un nouveau système de signalement dans l'application Dialogue, déjà utilisée par les établissements de l'enseignement supérieur. Ce dispositif permettra d'opérer un suivi des actes tout au long de la chaîne de réponse, entre leur survenue et leu dénouement disciplinaire ou judiciaire, via un système d'information unifié et accessible aux gouvernances des universités, aux rectorats et à l'administration centrale. J'ai demandé à France Universités de me transmettre, d'ici au début de l'été, une liste d'établissements bêta-testeurs volontaires de cette nouvelle procédure. Dans l'intervalle, c'est-à-dire jusqu'à la fin de l'année universitaire, j'ai demandé aux chefs d'établissements de procéder scrupuleusement aux transmissions d'informations prévues par le code, au moyen des procédures actuelles ; ces transmissions sont consolidées au ministère, qui dispose ainsi d'une vue d'ensemble.

Nous renforcerons également la formation des présidents nouvellement élus, qui sera aussi ouverte aux présidents déjà en responsabilité. Cette formation comportera un module spécifique à la lutte contre le racisme et l'antisémitisme, à la prévention des discriminations et à l'ensemble des enjeux de société auxquels les chefs d'établissements sont confrontés dans l'exercice de leurs fonctions.

J'ai également indiqué devant France Universités notre souhait que la mise en place d'une formation obligatoire à la lutte contre le racisme et l'antisémitisme des responsables d'associations soit une condition de leur agrément ou de leur subventionnement par les universités. Cette évolution est en cours d'instruction sur les plans juridique et opérationnel.

Nous travaillons également au développement de partenariats avec des associations oeuvrant dans le champ citoyen et mémoriel, notamment celles qui transmettent la mémoire de la Seconde Guerre mondiale, pour mettre en place des actions de sensibilisation des étudiants à la lutte contre l'antisémitisme. Je forme le voeu que les établissements et les rectorats développent à leur tour de telles conventions à l'échelle territoriale.

Enfin, pour renforcer nos argumentaires de réponse aux revendications de suspension des coopérations universitaires, j'ai saisi le collège de déontologie d'une demande de précision du cadre déontologique dans lequel s'inscrit la coopération scientifique et technologique internationale dans les domaines de la formation, de la recherche et de l'innovation, si essentielle pour nos universités, au regard des principes fixés par les codes de la recherche, de l'éducation et de la fonction publique. Je souhaite que ce collège propose également des repères et des lignes directrices dont les établissements pourront se saisir pour définir leur propre stratégie de coopération. J'attends enfin qu'il rappelle le rôle et la place de l'Université dans l'organisation des débats publics et précise le cadre dans lequel ils doivent s'inscrire.

Mesdames et messieurs les sénateurs, la lutte contre l'antisémitisme est l'affaire de tous ; c'est un combat que nous devons collectivement mener pour que mettre fin à ce climat de peur aux relents abjects et de sinistre mémoire dans notre histoire nationale. Votre commission a décidé de s'emparer de ce sujet important, qui doit tous nous réunir, et je vous en remercie sincèrement. Vos travaux viendront utilement nourrir nos réflexions sur les actions à mettre en place pour continuer à lutter efficacement contre ce poison.

Aux chefs d'établissements devant lesquels je me suis exprimée le 2 mai et auxquels j'ai demandé d'utiliser tous les moyens à leur disposition pour garantir le retour au calme et le bon déroulement des examens, j'ai rappelé le cadre de liberté et de responsabilité qui doit permettre à l'Université de remplir sa mission. J'ai également cité devant eux un article de 1970 du Doyen Vedel - grande figure s'il en est de l'Université et de Sciences Po -, qui écrivait que « la plus sûre manière d'assassiner une liberté est d'en donner une image absurde. » Je leur ai rappelé qu'il nous appartenait collectivement de ne pas tomber dans ce piège, et que nous devions renforcer, dans le cadre de l'autonomie des établissements, nos outils et leviers d'action pour lutter fermement et efficacement contre l'antisémitisme, afin que l'Université reste le lieu de débat apaisé qu'elle doit être - un lieu où chacun doit pouvoir étudier sereinement et sérieusement, sans jamais être inquiété en raison de sa religion réelle ou supposée.

M. Pierre-Antoine Levi, rapporteur. - Les auditions que nous avons conduites ont fait ressortir un clair problème de mesure des actes antisémites dans l'enseignement supérieur. Nous partageons donc le constat que vous venez d'exprimer, madame la ministre. Les récents incidents notamment survenus à Sciences Po Paris et dans ses campus délocalisés sont des exemples frappants de cette réalité inquiétante.

Faute de dispositif de suivi adapté et unifié, faute également d'une bonne identification par les étudiants des référents pourtant présents dans la plupart des établissements, et en raison enfin de la réticence de nombreux étudiants juifs à se tourner vers les institutions universitaires suite aux actes dont ils sont victimes, la plupart des dirigeants que nous avons rencontrés n'ont cependant pu que reconnaître, avec beaucoup d'honnêteté, qu'ils n'avaient qu'une vision très partielle du phénomène dans leurs établissements. En témoigne l'immense décalage entre les faits recensés par France Universités et votre ministère, et les résultats du sondage réalisé par l'Institut français d'opinion publique (Ifop) à la demande de l'Union des étudiants juifs de France (UEJF) en septembre 2023 - qui présente certes des problèmes de méthode, en raison notamment de la petite taille de l'échantillon interrogé, mais qui permet en tout état de cause d'établir le terrible constat d'un sentiment d'insécurité partagé par de nombreux étudiants juifs : 91 % d'entre eux déclaraient avoir été victimes d'actes antisémites.

Or, pour agir efficacement contre un phénomène, il faut en avoir une vision claire ; et paradoxalement, on ne pourra considérer que le combat est véritablement enclenché que lorsque les remontées des actes antisémites par les établissements seront plus étoffées, car elles témoigneront alors d'un meilleur suivi par les établissements et d'une plus forte propension des étudiants juifs à dénoncer en toute confiance les agissements dont ils sont victimes.

Il est impératif de prendre des mesures concrètes et immédiates pour protéger nos étudiants et garantir un environnement respectueux et sécurisé. Il est essentiel de restaurer la confiance des étudiants juifs envers leurs établissements et de s'assurer que ceux-ci puissent se concentrer sur leurs études sans craindre pour leur sécurité ou leur bien-être. C'est donc dans ce contexte très préoccupant, madame la ministre, que nous avons besoin de réponses claires et d'actions déterminées de votre part.

Pourriez-vous donc nous présenter de manière détaillée les actions que vous entendez mettre en oeuvre pour parvenir à une meilleure évaluation quantitative des actes antisémites dans les établissements ? Au-delà du déploiement du système de signalement Dialogue, comment comptez-vous améliorer la détection des cas d'antisémitisme par les personnels, et mettre fin à l'auto-censure dont font trop souvent preuve les étudiants juifs ?

M. Bernard Fialaire, rapporteur. - Notre deuxième question est liée à la précédente. Nos travaux nous ont permis de mettre en évidence une difficulté grave dans la définition même des actes antisémites, face à laquelle de nombreux chefs d'établissements nous ont confié se trouver démunis. Alors que de nombreux étudiants se mobilisent et prennent position sur le conflit israélo-palestinien, il n'est pas toujours aisé de départager ce qui relève de l'expression politique de ce qui relève d'un antisémitisme d'opportunité, notamment face à des slogans importés des campus américains.

Ces difficultés de qualification conduisent par ailleurs à des différences d'appréciation fortes entre les chefs d'établissement face à des situations comparables, ce qui fonde une inégalité de traitement des actes antisémites que nous jugeons inacceptable au sein de notre système d'enseignement supérieur.

Comment aider les chefs d'établissement à qualifier les actes qui se déroulent au sein de leurs établissements ? Des instructions seront-elles diffusées par vos services ? Sur ce sujet, travaillez-vous en lien avec le ministère de la justice ? Et comment rappeler ce qu'est la liberté académique, qui s'applique à un enseignement et pas à un établissement, ainsi que la liberté d'expression, qui engage la responsabilité des organisateurs des débats comme celle de ceux qui s'y expriment ?

M. Pierre-Antoine Levi, rapporteur. - Une autre question divise les chefs d'établissement que nous avons entendus : celle du traitement à réserver aux actes antisémites survenant en dehors du cadre universitaire strict, c'est-à-dire en ligne, que ce soit sur les réseaux sociaux ou sur des messageries privées, comme cela arrive malheureusement très souvent, ou dans le cadre privé, par exemple lors de soirées étudiantes organisées en dehors des campus. Devant des situations très proches, certains dirigeants s'abritent derrière le caractère privé du contexte et choisissent de ne pas intervenir, tandis que d'autres activent des leviers juridiques semble-t-il efficace pour saisir la justice. Quelles sont les consignes de votre ministère sur ce point ? Envisagez-vous la diffusion d'un guide pratique permettant de soutenir les chefs d'établissement dans l'appréhension de telles situations ?

M. Bernard Fialaire, rapporteur. - La lutte contre l'antisémitisme dans les établissements d'enseignement supérieur repose aujourd'hui principalement sur l'action des référents racisme et antisémitisme, dont la présence n'est cependant pas obligatoire dans tous les établissements et dont les conditions d'intervention ne sont pas homogènes. Nous avons deux interrogations à ce sujet. En premier lieu, dans le but de parvenir à une réponse unifiée des établissements, envisagez-vous d'harmoniser ce dispositif dans l'ensemble des établissements ? Nous pensons ici non seulement à la présence de ces référents, mais aussi à leur statut, à leur décharge horaire, à leur rémunération éventuellement, à leur formation bien entendu, et surtout à leur visibilité.

En second lieu, quelle place l'antisémitisme doit-il selon vous occuper dans l'arsenal des mesures de lutte contre les discriminations dans l'enseignement supérieur ? Faut-il l'aborder parmi les autres discriminations que sont les racismes et le sexisme, avec l'avantage d'un dispositif plus puissant mais au risque d'une invisibilisation de la lutte contre l'antisémitisme derrière d'autres priorités, notamment les violences sexistes et sexuelles, ou existe-t-il selon vous une originalité du phénomène qui doit justifier un traitement particulier ? Cette deuxième option pose peut-être un problème constitutionnel, et porte le risque de la stigmatisation. Les différents interlocuteurs auxquels nous avons posé la question se sont montrés, ici encore, divisés sur le sujet - ce qui témoigne sans doute plus globalement d'une certaine urgence, madame la ministre, à ce que vos services diffusent des consignes claires et unifiées.

En ce qui concerne les leviers à activer que vous évoquiez, madame la ministre, nous constatons une forme de banalisation de l'inscription dans l'enseignement supérieur, qui se fait parfois en ligne, voire de la rentrée - deux moments qui pourraient pourtant être l'opportunité de rappeler les valeurs et les règles à respecter dans le cadre universitaire, comme le font du reste déjà certains établissements.

M. Stéphane Piednoir. - Merci pour vos propos liminaires, madame la ministre, qui témoignent de ce que le ministère prend la mesure de la situation et répond aux perturbations et aux blocages.

Les événements survenus sur plusieurs campus au cours des dernières semaines, notamment à Sciences Po et à l'École normale supérieure, posent la question du maintien de l'ordre au sein des établissements d'enseignement supérieur. Vous avez rappelé les modalités de l'intervention des forces de l'ordre dans les établissements. Pourriez-vous nous présenter plus précisément votre doctrine en ce qui concerne le déclenchement des différentes mesures de police à la main des présidents ? En particulier, dans quels cas est-il selon vous légitime ou même souhaitable de procéder à l'interdiction préalable d'une conférence ou d'une manifestation ? Quelle est par ailleurs la ligne de partage à observer entre les événements réglés dans le cadre universitaire et ceux qui requièrent l'intervention des forces de l'ordre ?

Les différents présidents et directeurs d'établissements entendus par la mission ont fortement regretté le manque de liens avec les autorités judiciaires, soulignant en particulier l'absence totale de retour après la transmission d'un article 40 ou d'un dépôt de plainte, ce qui ne peut que fonder un sentiment d'impuissance. Il semble que la situation soit un peu meilleure dans les établissements ayant signé, de leur propre initiative, une convention avec le parquet local, qui leur permet en particulier de disposer d'un interlocuteur dédié au sein des services judiciaires. Ne faudrait-il pas généraliser ce dispositif sur l'ensemble du territoire afin de rendre les signalements plus efficaces ?

Enfin, les procédures disciplinaires, davantage conçues pour des cas de fraude que pour sanctionner des violences et des agressions, ne doivent-elles pas aujourd'hui évoluer, notamment sous l'angle de la place faite aux victimes ? Vos services ont-ils lancé des travaux sur ce sujet ?

Mme Sylvie Retailleau, ministre. - Comment mieux mesurer et mieux détecter les actes antisémites, et comment mieux y répondre ? Ainsi que je l'indiquais en introduction, nous travaillons depuis le mois de mars au déploiement d'un système de signalement unifié au niveau national, que nous allons tester dans des établissements volontaires dans la perspective de sa mise en service dans l'ensemble des établissements en janvier 2025 au plus tard.

Cependant, avant même de signaler l'urgence, il faut accompagner les victimes, et il faut qu'elles sachent à qui s'adresser. C'est le travail que nous avons fait avec les référents racisme, antisémitisme et discriminations présents dans les établissements, dont le nombre est passé de 140 en 2020 à 222 aujourd'hui. L'enjeu est désormais de les rendre plus visibles ; c'est pourquoi les sites Internet des universités comportent désormais des bandeaux permettant de les identifier.

L'écart entre l'enquête de l'Ifop et le nombre de signalements enregistrés par les établissements pose par ailleurs la question de la confiance des étudiants dans leurs interlocuteurs : à qui souhaitent-ils s'adresser en cas de difficulté ? Nous constatons qu'ils se tournent le plus volontiers vers les associations ; nous nous efforçons en conséquence de développer des liens, le cas échéant par le biais de conventions, avec ces acteurs. Les établissements doivent travailler main dans la main avec les associations pour orienter et accompagner les victimes, y compris par la saisine de la commission disciplinaire.

Diffuser l'information, accompagner les victimes et sanctionner efficacement : tels sont les trois piliers sur lesquels nous travaillons avec les établissements, sur la base de la circulaire diffusée en janvier.

La question de la qualification des actes survenant dans les établissements est un sujet difficile. Leur qualification pénale relève bien entendu de la justice ; c'est pourquoi nous travaillons en lien avec le ministère compétent, auquel il incombe d'affirmer ou non le caractère antisémite des troubles constatés sur le terrain. Tous les événements enregistrés par les établissements font l'objet, après leur signalement, d'une enquête administrative visant notamment à les qualifier. Le cas échéant, une action disciplinaire est ensuite conduite en interne, parallèlement à la procédure judiciaire en externe. Dans le cas des événements du 12 mars à Sciences Po, l'enquête interne a débouché sur la saisine de la commission disciplinaire ainsi que sur la transmission d'un signalement au procureur de la République au titre de l'article 40.

Je vais solliciter le garde des sceaux pour évaluer la possibilité de constituer des partenariats sur l'enseignement supérieur, comme certains établissements en ont en effet déjà noués. Ces partenariats pourraient associer les rectorats, sur le modèle de ce qui existe déjà dans l'enseignement scolaire - je pense notamment à l'académie de Versailles. C'est en effet une bonne chose que des référents soient identifiés dans les parquets et dans les rectorats, ce qui leur permettra d'affiner les signalements effectués, et plus généralement de mieux travailler ensemble.

La distinction entre liberté académique et liberté d'expression est un sujet important. Vous avez distingué les libertés applicables aux enseignements de l'expression plurielle à organiser dans les établissements. Pour moi, ces libertés doivent être comprises en lien avec l'autonomie des universités ; la liberté académique appliquée aux enseignants et aux enseignements doit être orientée par la pluralité et la neutralité découlant de la responsabilisation impliquée par l'autonomie des universités. Nous devons poser non pas des limites à ces libertés, mais un cadre républicain permettant un débat pluriel et permettant effectivement les échanges. Nous y travaillons. Ces dernières semaines, plus de 160 événements de type débat se sont passés dans nos universités de manière cadrée. Ils se sont bien déroulés.

Vous évoquez les faits commis lors de soirées privées. Les fonctionnaires sont tenus de respecter l'article 40 du code de procédure pénale : dès lors qu'ils ont connaissance d'actes délictueux ou criminels, ils doivent les porter à la connaissance de l'autorité judiciaire. En ce qui concerne les soirées étudiantes, un article du code de l'éducation prévoit le déclenchement de procédures disciplinaires pour des faits entravant l'ordre, le bon fonctionnement ou la réputation de l'établissement. Nous avons diffusé une circulaire d'information aux référents concernés, et nous tiendrons un séminaire avec France Universités en juin pour déterminer la meilleure manière de continuer à formaliser les choses. Faut-il un guide, des circulaires sur des points particuliers ? Nous en débattrons.

J'ai fortement incité les établissements à procéder au signalement des actes de haine en ligne que commettraient leurs étudiants sur la plateforme d'harmonisation, d'analyse, de recoupement et d'orientation des signalements (Pharos). Il faut aussi faire connaître cette procédure à tous nos personnels et à nos étudiants. Nous prévoyons une formation pour les équipes des présidents d'établissements et les responsables d'associations. Plus largement, les établissements sont invités à passer des conventions avec des associations pour élargir la sensibilisation et les formations de tous les étudiants et des personnels.

Vous évoquez l'harmonisation du dispositif des référents. La circulaire du 9 janvier, qui explique comment valoriser les compétences et l'action de ces personnels, en a représenté une première étape. Je rappelle toutefois que la définition du nombre d'heures d'activité de ces référents, ainsi que des décharges horaires dont ils peuvent bénéficier, incombe à chaque université. La circulaire indique en tous cas qu'ils doivent être valorisés et bénéficier d'aménagements horaires pour pouvoir s'investir fortement dans leur mission.

Je ne suis pas favorable à la fusion des différents référents. Un fait sexiste n'est pas un fait antisémite. Nous souhaitons faire des référents des experts locaux thématiques, en comptant sur leur professionnalisation pour traiter les cas qui leur parviennent ; or des compétences spécifiques, qui peuvent être acquises par des formations, sont requises pour traiter la diversité des situations. La circulaire du 9 janvier interdit le cumul des fonctions de référent racisme et antisémitisme avec, par exemple, celle de référent radicalisation. Nous devons par ailleurs poursuivre nos efforts en ce qui concerne la coordination de l'action des différents référents. Dans certaines universités étrangères, ces professionnels sont regroupés dans un bureau unique identifié, où ils peuvent partager leur expérience et avoir accès à des compétences juridiques.

Les journées d'accueil des étudiants sont effectivement un point à travailler. De plus en plus d'établissements en organisent en début d'année pour sensibiliser les étudiants à ces sujets et leur faire connaître leur environnement. Il y a plusieurs années, lors des journées d'accueil des nouveaux étudiants en première année de licence, la présentation des référents était systématique. Je pense qu'il serait pertinent de remettre ces pratiques à jour.

La doctrine sur le recours aux forces de l'ordre est très claire. Une trentaine d'interventions ont eu lieu, toujours après que les responsables et les présidents ont proposé des cadres de discussion et de débat aux étudiants - il est important d'effectuer cette démarche en amont. Dans la plupart des cas, une grande partie des étudiants sont partis et il n'est resté qu'un tout petit noyau dur, ce qui a conduit à l'intervention des forces de l'ordre. Le maintien de l'ordre devient nécessaire lorsque, une fois que la loi et le règlement intérieur ont été rappelés et qu'un cadre de discussion a été proposé, on constate qu'il existe une atteinte aux activités d'enseignement supérieur et de recherche, et notamment une entrave aux examens, ou un trouble à l'ordre public. Nous avons vu, notamment à l'étranger, que ces situations pouvaient conduire à des affrontements entre étudiants. C'est pourquoi nous avons absolument voulu éviter que le conflit s'installe et que des violences, qu'elles soient verbales ou physiques, se développent. S'il y en a eu très peu, c'est parce que nous avons pris ces situations au sérieux et que les responsables d'établissement ont agi en tant que tels.

Empêcher une conférence ou un rassemblement doit être justifié par une évaluation du trouble à l'ordre public, et non par des raisons idéologiques. Bien sûr, lorsque l'intitulé de la conférence projetée contient des termes délictueux, la décision est facile à prendre ; dans le cas contraire, c'est l'évaluation du trouble à l'ordre public qui permet, le cas échéant, de l'interdire. Nous avons demandé aux présidents d'universités de travailler en trinôme avec les recteurs et les préfets sur ces questions.

M. Laurent Lafon, président. - Faut-il adapter les procédures disciplinaires ?

Mme Sylvie Retailleau, ministre. - Leur cadre a été redéfini en 2020. Le cadre ainsi réformé permet notamment aux victimes d'être entendues par le rapporteur de la commission de discipline et d'être assistées dans leur démarche ; il prévoit également la possibilité de prononcer des sanctions disciplinaires assorties de mesures de responsabilisation, qui s'inspirent des méthodes de justice restaurative. Ces mesures peuvent consister en des activités de solidarité dans le cadre culturel, ou encore en des actions de formation à des fins éducatives. Observons comment ces nouvelles normes s'appliquent avant de les modifier.

M. Pierre Ouzoulias. - Merci pour la clarté et la force de votre propos, madame la ministre. L'idéologie que vous dites importée des États-Unis est en fait d'inspiration française : il s'agit d'une pensée post-moderniste, pour laquelle ce qui compte, c'est l'individu humain, ramené à une forme d'essentialisation qui tient à sa supposée confession, origine ethnique ou culturelle - ce qui n'est pas du tout dans notre tradition républicaine, dans laquelle le citoyen appartient au corps de la Nation. J'y vois une dérive post-républicaine très inquiétante.

Je vous ai entendue sur les trois éléments fondamentaux que sont la liberté académique, le droit d'expression - des professeurs comme des élèves - et les franchises académiques. Sur les franchises des universités, l'article L. 712-2 du code de l'éducation est un peu court et ne suffit pas pour définir précisément les pouvoirs du président de l'université. Ce concept vient de la bulle papale Parens scientiarum de 1231, consacrée à l'université de la Sorbonne, juste à côté de chez nous. Nous sommes en pleine tradition ! Il serait utile d'envisager un chantier législatif qui permettrait de donner des définitions plus précises à ces notions. Vous êtes d'accord avec moi, d'ailleurs, sur le fait que les libertés académiques ne s'appliquent pas de la même façon au sein de l'Université selon le statut des personnels. Les enseignants-chercheurs n'ont pas les mêmes libertés académiques que les chercheurs, alors qu'ils travaillent souvent dans les mêmes unités mixtes de recherche (UMR). Il y a là un décalage qui est difficilement compréhensible. De plus, la France, comme d'autres pays européens, a signé la déclaration de Bonn. Ce texte fort mériterait une transposition dans le droit de français.

Mme Mathilde Ollivier. - Il y a quelques semaines, nous avons entendu le président de France Universités dans le cadre notre mission d'information. Lors de cette audition, des sénateurs de droite ont tenu des propos inquiétants, comme l'a mentionné ensuite le communiqué publié par France Universités. Certains ont suggéré que les présidents d'université pourraient être nommés par l'exécutif. Ils ont aussi remis en cause l'engagement de ces derniers dans le combat contre l'antisémitisme, et ce, dans le contexte de tension qui règne dans les universités depuis le 7 octobre. Ces propos représentent un vrai danger pour le principe d'autonomie et de liberté académique des universités et j'espère que vous exprimerez votre plein soutien, madame la ministre, à l'ensemble des directions universitaires et au monde des universités.

Les universités ne sont pas en dehors de la société et, depuis l'attaque du 7 octobre, les actes antisémites qui y sont commis ont été multipliés par deux, selon une enquête menée par France Universités. Ainsi, 67 actes ont été enregistrés depuis le 7 octobre alors qu'on en avait compté 33 pendant l'année scolaire 2022-2023. Cette hausse est à l'image de l'augmentation du nombre d'actes antisémites commis en France, qui ont été multipliés par quatre entre 2022 et 2023. Nos rapporteurs l'ont aussi rappelé : 91 % des étudiants juifs indiquent avoir été victimes d'antisémitisme. Ces constats sont très inquiétants et nous devons réfléchir, de façon collective, aux moyens d'aider les universités à lutter contre l'antisémitisme.

D'abord, il faut libérer la parole. Les étudiants doivent se sentir en confiance pour évoquer les actes antisémites et ils sont nombreux à préférer se tourner vers des associations spécialisées. Vous avez évoqué la nouvelle plateforme Dialogue. Au-delà, que comptez-vous mettre en place pour retrouver la confiance des étudiants, afin que leur parole se libère sur les actes antisémites mais aussi racistes, ainsi que sur toutes les formes de discrimination ?

Par ailleurs, pourriez-vous revenir sur les chiffres des sanctions disciplinaires prises par les universités ?

Je terminerai en disant que je regrette l'instrumentalisation politique dont les débats sur les universités font l'objet. Je veux croire qu'il reste possible de ne pas tomber dans les amalgames qui sont trop souvent faits entre la mobilisation d'étudiants en soutien aux droits des Palestiniens, dans la situation dramatique que connaît Gaza, et l'antisémitisme. Les universités doivent être des lieux de construction pour la pensée critique et il est nécessaire de préserver ces espaces essentiels à notre démocratie, dans le respect de chacun.

M. David Ros. - Merci, madame la ministre, pour la clarté et la force de vos propos. Lutter contre l'antisémitisme, ce n'est pas soutenir la politique de Netanyahou ; et dénoncer les excès de l'armée israélienne, ce n'est pas être antisémite. Ces sujets sont d'une grande complexité et nous les abordons dans le cadre d'une société extrêmement tendue. Comme l'ensemble de la société, l'Université est traversée par ces questions. La mobilisation d'un jeune face à ce qu'il considère comme de l'injustice est légitime mais aussi naturelle. Certes, des récupérations et des instrumentalisations sont à l'oeuvre et il faut faire attention de ne pas tout mélanger ; c'est notre rôle et nous le jouons pleinement.

Quand il s'agit d'antisémitisme, nous devons être clairs : il faut une tolérance zéro. Après le 7 octobre et avant même l'intervention de l'armée israélienne, le nombre de faits antisémites ont augmenté, ce qui prouve qu'il s'agit d'un phénomène latent dans notre société. Un article du Monde mentionnait hier que les actes antisémites sont commis par des personnes de plus en plus jeunes et que l'on observe une banalisation de ces actes, ainsi qu'une levée des tabous. L'institution doit réagir face à ce phénomène et une réaction classique de l'autorité doit avoir lieu.

Cependant, dans le milieu universitaire, la réponse doit-elle être homogène et couvrir de la même manière l'ensemble des territoires et l'ensemble des universités, quelles que soient les matières qu'on y enseigne ? En effet, la situation n'est pas la même dans une université qui dispense un enseignement scientifique et dans une université qui se concentre sur les sciences sociales ou économiques. Un observatoire national pourrait-il établir une cartographie des faits observés, permettant ainsi de déployer une action chirurgicale ?

J'en viens à la question du débat. L'ADN du milieu universitaire est d'éclairer le citoyen et le citoyen en devenir. En la matière, j'évoquerai le lien entre l'éducation nationale et l'éducation nationale supérieure. Pourrait-on organiser des journées de sensibilisation autour de la citoyenneté, qui comprendraient un focus sur l'antisémitisme, notamment en faisant des rappels historiques ? Un tel travail ne devrait pas avoir lieu le jour de la rentrée dans l'enseignement supérieur mais pourrait être intégré au programme de l'enseignement secondaire et être validé au moment de l'obtention du bac.

Un débat permanent doit être organisé dans le respect de la liberté académique. N'est-ce pas le rôle de certaines universités, dont l'enseignement dispensé se rapproche des questions en jeu, de permettre ces débats ? Je ne pense pas ici à des débats qui auraient lieu dans l'urgence et en réaction, mais à un débat permanent sur certains sujets de société. S'ils ont déjà lieu, il faudrait les médiatiser davantage et utiliser les réseaux sociaux. L'Université ne devrait-elle pas jouer un rôle sur les réseaux sociaux, qui pourrait être défini par les acteurs concernés, dans l'objectif d'ajouter l'autorité de la connaissance à la réponse classique de l'autorité ?

Mme Sylvie Retailleau, ministre. - La liberté académique et la liberté d'expression sont liées à l'autonomie des universités. Dans des pays comme la Hongrie ou l'Argentine, où des gouvernements issus des extrêmes exercent le pouvoir, c'est d'abord aux universités que ces derniers s'attaquent. Souvent, ceux qui s'opposent à l'autonomie prétendent qu'il s'agit d'un outil pour se débarrasser de certains problèmes, notamment financiers. Mais l'autonomie est un fondement de l'Université et permet de renforcer ces bastions de la démocratie. Elle le fait dans un cadre qui doit permettre le respect de la liberté académique et de la liberté d'expression. Tous ces éléments peuvent et doivent se combiner. C'est pour cette raison que nous avons lancé l'acte II de l'autonomie des établissements d'enseignement supérieur.

En Hongrie, l'autonomie des universités a été attaquée ; l'Union européenne y a répondu en bloquant l'accès des ressortissants du pays aux programmes Erasmus et Horizon Europe, ce qui fonctionne puisque la Hongrie explique qu'il s'agit pour elle d'une catastrophe. Mais la catastrophe, c'est le non-respect des principes et des valeurs. L'autonomie et la liberté académique ne sont pas en contradiction avec le cadre de la loi et le cadre républicain, qui doivent sans cesse être travaillés et maintenus. Mon soutien en la matière ne signifie pas qu'il ne faille pas faire évoluer la gouvernance des universités, tout en gardant notamment la notion de présidents élus, qui correspond à la vision de l'Université qui prédomine à l'international.

La liberté académique est protégée par un certain nombre de textes. Dans la loi du 24 décembre 2020 de programmation de la recherche (LPR), nous avons renforcé la rédaction de l'article 952-2 du code de l'éducation, qui affirme que « Les libertés académiques sont le gage de l'excellence de l'enseignement supérieur et de la recherche français. Elles s'exercent conformément au principe à caractère constitutionnel d'indépendance des enseignants-chercheurs ». Faut-il envisager un nouveau chantier législatif, comme le propose le sénateur Pierre Ouzoulias ? J'ai demandé au Collège de déontologie de l'enseignement supérieur de se pencher sur la possibilité de faire évoluer la loi ou d'en clarifier l'application. Son retour nous éclairera et nous permettra de poursuivre le débat.

J'en viens à la question de la confiance des étudiants. Comme dans le cas des violences sexuelles et sexistes, sur lequel nous avons obtenu un certain résultat, il faut proposer diverses possibilités aux étudiants pour qu'ils puissent faire remonter leur mal-être ainsi que les attaques dont ils sont victimes. Il faut continuer à travailler avec les associations pour traiter les problèmes, accompagner les étudiants et prendre d'éventuelles sanctions, et poursuivre ces actions pour toutes les discriminations - en multipliant les accès et les accompagnements, et en répétant aux étudiants que l'université est d'abord là pour les aider, comme en attestent les nombreux dispositifs déployés.

Quant aux sanctions disciplinaires, elles n'ont pas encore été prises en ce qui concerne les récents événements. Depuis les événements du 7 octobre, nous comptons dix-sept enquêtes administratives, qui ont toutes conduit à des saisines de commissions disciplinaires ; onze signalements et neuf plaintes ont par ailleurs été déposés. Qu'elles soient disciplinaires ou judiciaires, les procédures prennent du temps ; nous les suivons avec attention, et la plateforme Dialogue nous aidera à le faire de façon quotidienne. En attendant que les commissions disciplinaires rendent leurs décisions, d'autres mesures, comme une interdiction d'accès au campus, ont pu être prises par les responsables d'établissements.

En ce qui concerne l'homogénéité de la réponse, je suis d'accord avec vous, monsieur Ros. L'État doit tracer un cadre fort, global et homogène, notamment via les circulaires adressées aux établissements ; il revient ensuite à ces établissements, qui sont plus ou moins confrontés à ces problématiques, de les appliquer.

Les universités doivent aussi travailler ensemble. Il est fondamental que la réflexion soit menée au niveau de France Universités, des académies ou de groupes d'universités, qui peuvent partager leur savoir-faire, leurs bonnes pratiques et leurs expériences singulières. La notion de site et l'animation par les recteurs, que nous sommes en train de mettre en place, sont importantes.

Un observatoire existe, que nous travaillons à renforcer : mon ministère finance l'Observatoire national des discriminations et de l'égalité dans le supérieur (Ondes), dont les équipes de recherche travaillent sur la base d'une méthodologie scientifique, et qui a déjà publié plusieurs enquêtes et propositions, dont un rapport sur les discriminations auxquelles sont confrontés les étudiants lorsqu'ils postulent à des masters.

En ce qui concerne le lien entre l'éducation nationale et l'enseignement supérieur, nous y travaillons dans les deux ministères. La sensibilisation doit se faire de façon continue : il faut commencer tôt, grâce à l'éducation civique, qui s'enseigne depuis l'école primaire jusque dans l'enseignement supérieur.

Sur la question des débats dans les universités, un travail important a été accompli. Environ 160 événements se sont tenus de façon correcte, offrant des débats et des invités pluriels. Je rappellerai à cette occasion que, lorsque des personnes sont invitées pour participer à des conférences à l'université, elles ne sont pas invitées par l'université mais par des associations de l'université. Le règlement intérieur fixe des règles, selon lesquelles l'université doit être avertie suffisamment tôt du sujet de la conférence et des invités qui doivent y participer. Le non-respect de ces règles constitue l'un des motifs d'interdiction des conférences.

Enfin, je ne sais pas s'il faut inciter les universités à être présentes sur les réseaux sociaux, ou s'il faut former l'ensemble de nos jeunes à mieux utiliser les réseaux sociaux. Les universités ont aussi un rôle de formation en la matière.

M. Max Brisson. - Nous parlons sous le portrait du roi Louis IX, que l'Église catholique, apostolique et romaine appelle Saint-Louis, et qui n'était pas le roi le plus philosémite de notre histoire. Nous sommes aujourd'hui confrontés à quelque chose d'insupportable, mais l'antisémitisme et la recherche de boucs émissaires sont des phénomènes anciens dans notre pays. Cependant, si l'antisémitisme est ancien, nombre de ses ressorts, de ses motivations et de ses origines ont changé. Une sénatrice a interpellé mon groupe au sujet de tensions ayant eu lieu lors d'une précédente audition. Ces tensions ont eu lieu car ce que nous entendions nous donnait l'impression d'une négation absolue de ces nouvelles formes, de ces nouvelles natures et de ces nouveaux moteurs de l'antisémitisme.

Je suis heureux que ceux qui s'inscrivent dans la filiation des opposants à l'autonomie des universités et à la loi de 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités, dite « loi Pécresse », en soient désormais devenus les garants et considèrent ce texte comme une sorte de loi d'airain. Nous n'avons pas l'intention de remettre en cause la loi Pécresse et avons plutôt l'intention de la défendre contre ceux qui s'y sont violemment opposés, y compris en organisant des manifestations et des occupations d'universités.

En revanche, ce n'est pas parce que l'Université est autonome qu'elle ne peut être soumise à la critique dans le cadre de l'action publique. Et j'ai des critiques à émettre sur le sujet qui nous préoccupe, en particulier sur la manière dont l'approche universelle qui fonde notre République est transmise à l'Université. Notre République a été émancipatrice pour les juifs français et un lien particulier s'est noué entre la République et le judaïsme français, qui se sont nourris et enrichis l'un l'autre. Aujourd'hui, cette exception française est parfois malmenée à l'Université, au nom d'un relativisme venu d'outre-Atlantique dans des allers-retours dont la complexité m'échappe. On peut le dire sans attaquer pour autant l'autonomie des universités.

Madame la ministre, vos propos ont été très forts et je vous en remercie. Ils auraient sans doute pu être plus précoces, mais ils sont au rendez-vous aujourd'hui.

J'en viens à mes questions. Au cours des auditions auxquelles j'ai pu assister, ce qui m'a le plus marqué a été d'entendre des étudiants juifs dire qu'ils avaient peur d'aller à l'université. Le rôle premier de la République et du Gouvernement est de protéger nos compatriotes, parmi lesquels nos jeunes compatriotes et étudiants, éventuellement de confession juive. J'ai aussi été effrayé par l'idée que, puisque certains ne pourront plus aller à l'université, ils iront dans l'enseignement supérieur privé. Qu'allez-vous faire, madame la ministre, pour que l'enseignement supérieur ne connaisse pas la gangrène insupportable qui touche l'enseignement secondaire et pousse nombre d'élèves de confession juive à choisir l'enseignement privé ?

Enfin, combien de sanctions disciplinaires ont été prises ? De quelle nature sont-elles ? Le 7 octobre a eu lieu il y a huit mois ! A-t-on encore affaire à des procédures sans fin, qui nous poussent à nous demander si la sanction finira par tomber un jour ?

M. Laurent Lafon, président. - Dans le cas de Sciences Po, l'administrateur provisoire a évoqué dix-sept sanctions administratives et j'ai l'impression que ce chiffre est le même que celui que vous avez donné pour l'ensemble des universités ; pourriez-vous préciser ?

Mme Sylvie Retailleau, ministre. - Ce chiffre ne concerne pas que Sciences Po Paris : au niveau national, dix-sept enquêtes ont été lancées et ont été suivies de la saisine des commissions disciplinaires. Ces enquêtes permettent de réunir des preuves et de qualifier des actes tels que celui qui a consisté à empêcher une jeune fille de rentrer dans l'amphithéâtre de Sciences Po Paris. Je précise d'ailleurs que j'ai été la première - sans caméra, certes - à me rendre sur place le jour même, car il est hors de question d'interdire à une étudiante d'accéder à un amphithéâtre, quelle que soit la raison invoquée. Je n'ai pas rencontré immédiatement de personnes pouvant témoigner qu'ils avaient entendu des propos antisémites ou l'insulte « sioniste » qui aurait été proférée à l'encontre de l'intéressée, d'où l'enquête qui a permis de qualifier les faits et d'identifier des témoins, avant de saisir la commission disciplinaire. Il importe de bien différencier ces étapes, l'objectivation des preuves étant essentielle à la justice.

À la suite de cette enquête, l'administrateur de Sciences Po Paris a donc saisi la commission disciplinaire pour huit étudiants qui ont été identifiés comme ayant tenu des propos de nature à être soumis à cette instance. Dès le lendemain de cet événement intolérable, j'ai moi-même déposé auprès de la justice un dossier sur la base de l'article 40 du code de procédure pénale, afin de montrer notre refus de ce genre d'actes. En résumé, Sciences Po Paris a mené cette enquête et étoffé un dossier qui a donné lieu à une double procédure, judiciaire et disciplinaire.

Si les délais peuvent paraître longs, monsieur Brisson, je rappelle que les commissions disciplinaires des universités traitent en premier lieu les dossiers de fraudes. Depuis l'évolution intervenue en 2020, elles prennent en charge d'autres types de dossiers tels que ceux que nous connaissons actuellement. Il n'existe pas pour l'instant de résultats en termes de sanctions, mais les enquêtes ont permis de réunir des preuves et de consigner des faits qui pourront ensuite déboucher sur une décision de la commission disciplinaire ou un jugement. Certes, il faudra s'assurer que ces dossiers avancent, d'où le déploiement de la plateforme qui a vocation à cadrer le délai moyen de traitement, en fonction d'une typologie d'enquêtes et de commissions disciplinaires. Je vous rejoins sur la nécessité d'accélérer le traitement de certaines affaires, y compris en engageant une professionnalisation des commissions disciplinaires. Je peux vous assurer que nous suivons l'avancement de ces dossiers, dont le traitement prend effectivement un certain temps.

En outre, je partage une série de vos constats, à commencer par le fait que le climat de peur est inacceptable. Cependant, lutter contre un climat n'a rien d'évident et le sujet est difficile à traiter dans l'ensemble de la société, l'Université n'étant qu'un reflet de cette dernière, avec ses points forts et avec ses faiblesses. Je me félicite que votre commission se soit emparée du sujet, car notre « communauté » - terme qu'il faudrait peut-être ne pas employer - a des difficultés à appréhender et à combattre ce climat, tout comme à adopter les mesures concrètes qui permettront à nos étudiants de venir travailler dans un environnement serein. Il s'agit d'un combat collectif qui doit nous réunir, afin de tester et d'appliquer différentes propositions.

Par ailleurs, je n'oppose pas l'Université publique aux établissements privés : je souhaite que les étudiants disposent d'un véritable choix et ne sélectionnent pas tel établissement comme un pis-aller. Je veux agir à plusieurs niveaux : en lien avec la ministre du travail, j'entends avancer sur les modalités de reconnaissance de la qualité d'une formation, qu'elle soit privée ou publique. Parmi ces éléments, la solidité de la gouvernance devra être prise en compte, car la présence de référents, de procédures, de commissions et de professionnels en charge de ces problématiques est une garantie de confiance pour les étudiants. Les circulaires et formations que nous mettons en place devront permettre à tous nos étudiants, quelle que soit leur religion, de venir travailler et se former dans nos universités plus sereinement.

À cet égard, la parole des présidents d'universités importe : ces derniers ont été violemment attaqués, non pas par votre commission, mais au travers d'instrumentalisations venant de tous les côtés ; ils ont été également exposés à une forte pression du fait de la gravité des événements, car tous attendaient une forte réaction de leur part, alors qu'ils doivent prendre des décisions difficiles.

Je me bats afin que l'Université défende un discours d'équilibre, de nuance et d'objectivation. La construction de ce discours nécessite du temps, au-delà de la réaction immédiate à des faits. De surcroît, la réaction des présidents d'universités a été proportionnelle à l'intensité des attaques subies par certains d'entre eux, comme cela a été le cas à l'université de Lille.

M. Laurent Lafon, président. - Merci pour ces réponses, madame la ministre, sur ce sujet profondément républicain sur lequel vous êtes pleinement investie et mobilisée.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Auditions des rapporteurs

MERCREDI 24 AVRIL 2024

Ø Table ronde des présidents d'université

- Université de Toulouse I-Capitole : M. Hugues KENFACK, président,

- Université de Strasbourg : M. Michel DENEKEN, président,

- Université de Toulouse II-Jean Jaurès : Mme Emmanuelle GARNIER, présidente,

- Université de Lyon II : Mme Nathalie DOMPNIER, présidente,

- Université Paris VIII : Mme Annick ALLAIGRE, présidente.

Ø MM. Philippe LIOTARD, président de la conférence permanente des chargé.e.s de missions égalité-diversité (CPED), et Yannick L'HORTY, professeur de sciences économiques, directeur de l'Observatoire national des discriminations et de l'égalité dans le supérieur (ONDES), auteurs de l'enquête Remède.

JEUDI 25 AVRIL 2024 

Ø Ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche - Direction générale de l'enseignement supérieur et de l'insertion professionnelle (DGESIP) - Direction générale de la recherche et de l'innovation (DGRI) : M. Sébastien CHEVALIER, chef du service de la coordination des stratégies de l'enseignement supérieur et de la recherche, Mme Véronique LESTANG-PRÉCHAC, sous-directrice territoires, sociétés et savoirs, Mme Déborah LÉVY, chargée de mission racisme, antisémitisme, discriminations et laïcité, M. Jean-Michel MENCÉ, adjoint à la cheffe du département des stratégies RH - lutte contre les discriminations.

Ø Union des étudiants juifs de France (UEJF) : M. Samuel LEJOYEUX, président.

Ø Table ronde des facultés de médecine

- Intersyndicale nationale des internes (ISNI) : M. Guillaume BAILLY, président ;

- Association nationale des étudiants en médecine de France : M. Jérémy DARENNE, président ;

Union nationale des étudiants en chirurgie dentaire : M. Sadock KIDIRI REBOU-KOSSI, président.

Ø Table ronde des établissements d'enseignement supérieur privés

- Fédération des établissements d'enseignement supérieur d'intérêt collectif (FESIC) : Mmes Laure VIELLARD, directrice de l'Esta Belfort, membre du Bureau, et Delphine BLANC-LE-QUILLIEC, déléguée générale, et M. Germain COMERRE, chargé des relations institutionnelles ;

- Union des grandes écoles indépendantes (UGEI) : M. Joël CUNY, président, et Mme Sophie SAVIN, déléguée générale.

Ø Table ronde des associations étudiantes (hors UEJF)

- Union nationale interuniversitaire (UNI) : M. Luca BARBAGLI, délégué national ;

- Union nationale des étudiants de France (UNEF) : Mme Salomé HOCQUARD, déléguée générale adjointe, et M. Yanis ZERGUIT, membre du bureau national ;

- Fédération des associations générales étudiantes (FAGE) : Mme Maé BOUTEILLE, vice-présidente chargée des politiques de jeunesse ;

- Union étudiante : M. Karel TALALI, secrétaire général, et Mme Eléonore SCHMITT, porte-parole.

Ø Table ronde des référents racisme et antisémitisme des établissements universitaires

- Université de Picardie-Jules Verne : Mme Céline MASSON, référente racisme et antisémitisme auprès de la présidence, directrice du Réseau de recherche sur le racisme et l'antisémitisme ;

- Université de Strasbourg : Mme Isabelle KRAUS, vice-présidente égalité, parité, diversité ;

- Université Sorbonne Paris-Nord : M. Daniel VERBA, sociologue, ancien référent « racisme-antisémitisme-homophobie ».

VENDREDI 26 AVRIL 2024

Ø Association de lutte contre l'antisémitisme et les racismes par la mobilisation de l'enseignement et de la recherche (ALARMER) : Mme Marie-Anne MATARD-BONUCCI, présidente, M. Jean-Frédéric SCHAUB, vice-président.

Ø Jurisup, réseau professionnel des responsables des affaires juridiques de l'enseignement supérieur et de la recherche : M. Jean-Michel MIEL, président du réseau national, Mme Jane-Laure BONNEMAISON, vice-présidente.

LUNDI 29 AVRIL 2024

Ø Table ronde des grandes écoles

- Conférence des grandes écoles (CGE) : MM. Laurent CHAMPANEY, président, Hughes BRUNET, délégué général, et Marc SAGOT, adjoint au délégué général en charge des relations extérieures ;

Conférence des directeurs des écoles françaises d'ingénieurs (CDEFI) : Emmanuel DUFLOS, président ;

Association des proviseurs de lycées à classes préparatoires aux grandes écoles (APLCPGE) : M. Joël BIANCO, président, proviseur du lycée Louis-le-Grand.

MARDI 30 AVRIL 2024

Mme Delphine HORVILLEUR, rabbin, membre de l'organisation Judaïsme en mouvement et du Conseil des rabbins libéraux francophones.

MARDI 7 MAI 2024

Ø Représentants des instituts politiques

Institut d'études politiques de Paris et de la Fondation nationale des sciences politiques (FNSP) : M. Jean BASSÈRES, administrateur provisoire, et Mmes Kate VIVIAN, directrice de l'engagement, et Erell RENOUARD, responsable des relations institutionnelles ;

Campus de SciencesPo Menton : M. Youssef HALAOUA, directeur.

Ø Table ronde des acteurs de la lutte contre les discriminations

- Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (Licra) : M. Mario STASI, président ;

- Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) : M. Jean-Marie BURGUBURU, président, et Mme Claire LALLEMAND, conseillère, référente racisme et antisémitisme.

MARDI 21 MAI 2024

Ø Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (DILCRAH) : MM. Olivier KLEIN, délégué interministériel, et Mathias DREYFUSS, délégué interministériel adjoint.

Ø Conférence nationale des doyens des facultés de médecine : M. Benoît VEBER, président, doyen de la faculté de médecine de Rouen.

MERCREDI 22 MAI 2024

Ø Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) : Mme Magali LAFOURCADE, secrétaire générale.

MERCREDI 29 MAI 2024

Ø Ministère de la justice - Cour d'appel de Paris : Mmes Marie-Suzanne LE QUÉAU, procureure générale près la Cour d'appel de Paris, Aude DURET, substitute générale, et Annabelle PHILIPPE, avocate générale.

JEUDI 30 MAI 2024

Ø Table ronde des institutions juives :

- Grand rabbinat de France : M. Haïm KORSIA, grand-rabbin de France ;

Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) : M. Yonathan ARFI, président, Mme Juliette DUPLANIL-WEILL, chargée de mission affaires politiques et parlementaires ;

Consistoire central israélite de France : M. Elie KORCHIA, président ;

Fondation du Camp des Milles : M. Alain CHOURAQUI, président.

Auditions plénières

MERCREDI 10 AVRIL 2024

M. Guillaume GELLÉ, président de France Universités, et Mme Isabelle DE MECQUENEM, professeure agrégée de philosophie et membre du Conseil des sages de la laïcité et des valeurs de la République.

MERCREDI 29 MAI 2024

Mme Sylvie RETAILLEAU, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche.

LISTE DES CONTRIBUTIONS ÉCRITES

Ø Préfecture de Police de Paris.

Ø Ministère de la justice - Direction des affaires criminelles et des grâces (DACG).

LISTE DES PRINCIPAUX SIGLES ET ACRONYMES
UTILISÉS DANS LE RAPPORT

AFMD : Association française des managers de la diversité

Alarmer : Association de lutte contre l'antisémitisme et les racismes par la mobilisation de l'enseignement et de la recherche

AMIF : Association des médecins israélites de France

CEDH : Cour européenne des droits de l'homme

CEIP : Cellule d'enquêtes internes préalables

CMVA : Cellule ministérielle de veille et d'alerte

CNAE : Coordination nationale d'accompagnement des étudiantes et des étudiants

CNCDH : Commission nationale consultative des droits de l'homme

CNESER : Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche

CPED : Conférence permanente des chargés de mission Égalité et Diversité

CRIF : Conseil représentatif des institutions juives

CVEC : Contribution étudiante pour la vie du campus

DACG : Direction des affaires criminelles et des grâces

DGESIP : Direction générale de l'enseignement supérieur et de l'insertion professionnelle

DILCRAH : Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT

DU : Diplôme universitaire

EPHE : École pratique des hautes études

FSD : Fonctionnaires sécurité défense

HFDS : Haut fonctionnaire à la défense et sécurité

IFOP : Institut français d'opinion publique

IGESR : Inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche

IHRA : Alliance internationale pour la mémoire de l'Holocauste

IH2EF : Institut des hautes études de l'éducation et de la formation

IREL : Institut d'étude des religions et de la laïcité

LICRA : Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme

LRPPN : Logiciel de rédaction des procédures de la police nationale

MESR : Ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche

ONDES : Observatoire national des discriminations et de l'égalité dans le supérieur

PNHL : Pôle national de lutte contre la haine en ligne

PRADO : Plan national de lutte contre le racisme, l'antisémitisme et les discriminations liées à l'origine

SCRT : Service central du renseignement territorial

SNECRA : Semaine nationale d'éducation et d'actions contre le racisme et l'antisémitisme

SPCJ : Service de protection de la communauté juive

UEJF : Union des étudiants juifs de France

UNEF : Union nationale des étudiants de France

VSS : Violences sexistes et sexuelles

TABLEAU DE MISE EN oeUVRE
ET DE SUIVI DES RECOMMANDATIONS

Recommandations

Acteurs concernés

Calendrier prévisionnel

Support

AXE N° 1 : AMÉLIORER LA DÉTECTION DES ACTES ANTISÉMITES

1

Rationaliser le cadre législatif et réglementaire des dispositifs de lutte et de signalement, en précisant dans la loi les obligations incombant aux établissements en matière de détection des actes antisémites.

MESR
Établissements

Rentrée 2025

Loi
Décret

2

Encourager la généralisation des vice-présidences dédiées à la lutte contre le racisme et l'antisémitisme afin d'améliorer son portage politique et sa visibilité au sein des établissements.

Établissements

À partir de la rentrée 2024

Décisions des établissements

3

Actualiser les ressources juridiques destinées à guider les établissements dans la détection des faits d'antisémitisme en les adaptant aux nouvelles formes prises par l'expression antisémite, notamment lors des récentes mobilisations au sujet de la situation à Gaza.

MESR

Rentrée 2024

Directives ministérielles

4

Face à la progression d'un « antisémitisme d'atmosphère », assurer, à titre pédagogique, la diffusion dans les établissements de la définition opérationnelle de l'antisémitisme de l'IHRA, conformément à la résolution adoptée par le Sénat le 5 octobre 2021.

MESR

Rentrée 2024

Directives
ministérielles

5

Pour répondre à la crainte des représailles et au déficit de confiance des victimes, adapter et diversifier les processus de signalement en associant les acteurs associatifs, en professionnalisant les dispositifs d'écoute, en renforçant les garanties de confidentialité et en faisant connaître la coordination nationale d'accompagnement des étudiantes et des étudiants (CNAE).

MESR
Établissements

Rentrées 2024
et 2025

Décret
Directives ministérielles

AXE N° 2 : PRÉVENIR LES DÉRIVES

6

En ce qui concerne la sensibilisation des étudiants, privilégier les actions obligatoires et ciblées sur certains moments-clés de l'année universitaire, notamment l'entrée dans l'enseignement supérieur, la demande d'agrément des associations étudiantes et le renouvellement de leur bureau, ou avant toute participation à certains événements de la vie étudiante.

MESR
Établissements

À partir de la rentrée 2024

Directives
ministérielles

Recommandations

Acteurs concernés

Calendrier prévisionnel

(le cas échéant)

Support

7

Systématiser la formation des autres acteurs des établissements (équipes dirigeantes et cadres administratifs, représentants associatifs, référents racisme et antisémitisme, enseignants-chercheurs) aux enjeux opérationnels de la lutte contre l'antisémitisme, notamment à l'occasion du renouvellement prochain des équipes dirigeantes des universités.

MESR

À partir de la rentrée 2024

Directives ministérielles

8

Intégrer la lutte contre l'antisémitisme dans les cursus de formation par un renforcement du bonus étudiant.

MESR

À partir de la rentrée 2024

Directives
ministérielles

9

Consolider la place des méthodes et des savoirs universitaires dans la lutte contre l'antisémitisme par la préservation des départements d'études juives et hébraïques et la mise en place d'une structure publique de recherche et de formation interuniversitaire dédiée à la lutte contre le racisme et l'antisémitisme.

MESR

Rentrée 2025

Arrêté
ministériel

AXE N° 3 : POURSUIVRE ET SANCTIONNER LES AUTEURS

10

Adapter le régime de la procédure disciplinaire à la sanction des actes racistes et antisémites, en complétant la liste des faits permettant de la déclencher et en renforçant les pouvoirs d'investigation des établissements.

MESR

Rentrée 2025

Décret

11

Afin d'améliorer le suivi des signalements effectués au titre de l'article 40 du code de procédure pénale, généraliser les conventions de partenariat entre les établissements d'enseignement supérieur et les parquets locaux.

MESR

À partir de la rentrée 2024

Directives ministérielles


* 1 Il s'agit d'une étude de recueil extensif des mesures des établissements contre les discriminations et pour l'égalité (Remede).

* 2 Anciennement « Cadre de vie et sécurité », devenue « Vécu et ressenti en matière de sécurité ».

* 3 Il est de 25 % en cas de menaces ou de violences physiques racistes (cette terminologue incluant les motifs antisémites du fait de l'approche universaliste du droit pénal français), de 4 % en cas d'injures racistes et de 2 % en cas de discriminations liées à l'origine, la couleur de peau ou la religion supposées.

* 4 L'association de lutte contre l'antisémitisme et les racismes par la mobilisation de l'enseignement et de la recherche (Alarmer) a été créée en 2019 par des enseignants du secondaire et du supérieur et des chercheurs.

* 5 CEDH, arrêt du 11 juin 2020, Baldassi et autres c. France, n° 15271/16 : la CEDH a estimé, au sujet des appels au boycott de produits israéliens, que « par nature, le discours politique est source de polémiques et est souvent virulent. Il n'en demeure pas moins d'intérêt public, à moins qu'il ne dégénère en un appel à la violence, à la haine ou à l'intolérance. Là se trouve la limite à ne pas dépasser ».

* 6 Qui renvoie au massacre de deux Israéliens par la population de Ramallah en 2000.

* 7 Selon l'image employée par Delphine Horvilleur lors de son audition, « il est difficile de prendre conscience que l'on parle la langue antisémite en l'absence de culture historique suffisante ».

* 8 Voir infra p. 32.

* 9 Loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République.

* 10 Sur ce point, voir infra p. 68.

* 11 Depuis 1990, le rapport de la CNCDH s'accompagne d'une enquête visant à évaluer les perceptions et les attitudes racistes, à analyser les opinions des Français à l'égard de l'autre, et à essayer de comprendre les logiques sous-jacentes à l'apparition et à la permanence de certains préjugés.

* 12 Article 46 de la loi n° 2013-660 du 22 juillet 2013, dite « loi Fioraso ».

* 13 Article 80 de la loi n° 2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique, précisé par le décret n° 2020-256 du 13 mars 2020.

* 14 Parmi les 62 établissements constituant l'échantillon sur lequel porte l'enquête.

* 15 Se référer sur ce point aux pages n° 55 et suivantes.

* 16 Plusieurs universitaires et chercheurs ont récemment proposé un enrichissement de cette définition à travers la Déclaration de Jérusalem sur l'antisémitisme, publiée le 25 mars 2021.

* 17 Résolution 701 (2020-2021) portant sur la lutte contre toutes les formes d'antisémitisme, adoptée par le Sénat le 5 octobre 2021 à l'initiative de MM. Bruno Retailleau, Hervé Marseille et plusieurs de leurs collègues.

* 18 Voir supra p. 37.

* 19 Le Camp des Milles préconise d'organiser les événements autour du racisme et de l'antisémitisme autour d'autres « dates-repères » au poids mémoriel fort et s'intégrant mieux dans le calendrier universitaire, tel que le mois d'octobre en référence à l'édiction du premier statut des Juifs, qui a touché nombre d'enseignants et d'étudiants, sous le régime de Vichy, ou encore le 27 janvier, date de la journée internationale en mémoire des victimes de la Shoah.

* 20 Circulaire du 23 mars 2022 relative à l'engagement, l'encouragement et le soutien aux initiatives étudiantes au sein des établissements d'enseignement supérieur sous tutelle du ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation.

* 21 L'administrateur provisoire de l'Institut politique de Paris a souligné à ce titre les difficultés liées au caractère informel du collectif Science Palestine, qui ne s'est pas constitué en association et ne dispose pas d'un interlocuteur désigné pour le dialogue avec l'administration.

* 22 La liberté d'expression est définie de la manière suivante par la jurisprudence de la cour européenne des droits de l'homme (CEDH) : « La liberté d'expression constitue l'un des fondements essentiels d'une société démocratique, l'une des conditions primordiales de son progrès et de l'épanouissement de chacun. Sous réserve des restrictions mentionnées, notamment dans l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, elle vaut non seulement pour les informations ou les idées accueillies avec faveur, ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l'État ou une fraction quelconque de la population. Ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l'esprit d'ouverture sans lesquels il n'y a pas de société démocratique » (décision Handyside c/ Royaume-Uni du 7 décembre 1976).

* 23 Le juge des référés du Conseil d'État n'a toutefois pas autorisé l'université Paris Dauphine-PSL à procéder à l'annulation préventive d'une conférence organisée par son comité Palestine (CE, ord., 6 mai 2024, n° 494003).

* 24 À Sciences Po Paris, la structure chargée des enquêtes administratives n'a ainsi clôturé que trois enquêtes depuis le début de l'année 2023, tandis que onze (dont celle portant sur l'occupation de l'amphi Gaza) sont toujours en cours.

* 25 Décision n° 410644 du 27 février 2019.

* 26 L'administrateur provisoire de l'Institut d'études politiques de Paris a cité à ce titre le cas d'un appel à l'intifada émanant d'une association sportive étudiante du campus de Menton, dans lequel la sensibilisation et la pédagogie sont apparues plus efficaces (et l'ont effectivement été) que le déclenchement d'une procédure disciplinaire.

* 27 La notion de victime ne figure actuellement pas dans les dispositions du code de l'éducation relatives à la procédure disciplinaire. Son article R. 811-29 précise seulement, au sujet des mesures d'instruction qui peuvent être mises en oeuvre, que « toute personne ayant la qualité de témoin et qui s'estime lésée par les agissements de l'usager poursuivi peut se faire assister de la personne de son choix » dans le cadre de son audition par les rapporteurs de l'affaire.

* 28 Décret n° 2020-785 du 26 juin 2020 relatif à la procédure disciplinaire dans les établissements publics d'enseignement supérieur.

* 29 Les bénéfices tirés de la coopération mise en place entre la section AC2-PNLH du parquet de Paris et la Licra et l'UEJF témoignent également de l'intérêt d'étendre ce type de relations de travail au champ de l'enseignement supérieur ; la mise en place de réunions d'échange et d'information trimestrielle a notamment permis, selon la procureure générale près la Cour d'appel de Paris, d'améliorer la qualité des signalements transmis.

Les thèmes associés à ce dossier

Partager cette page