ANNEXES

Audition de M. Guillaume Gellé, président de France Universités, et Mme Isabelle de Mecquenem, professeure agrégée de philosophie et membre du Conseil des sages de la laïcité et des valeurs de la République

MERCREDI 10 AVRIL 2024

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M. Laurent Lafon, président. - Mes chers collègues, nous accueillons ce matin M. Guillaume Gellé, président de l'association France Universités, ainsi que Mme Isabelle de Mecquenem, professeure agrégée de philosophie et membre du Conseil des sages de la laïcité et des valeurs de la République.

Après notre audition, il y a trois semaines, de Mme Laurence Bertrand Dorléac, présidente de la Fondation nationale des sciences politiques (FNSP), cette audition marque le début des travaux de la mission « flash » consacrée à la question de l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur, dont nous avons désigné les rapporteurs la semaine dernière. Au cours des semaines à venir, nos collègues Bernard Fialaire et Pierre-Antoine Levi conduiront un vaste programme d'auditions, qui leur permettra de recueillir la contribution d'acteurs aussi divers que les associations étudiantes, des référents antiracisme et antisémitisme de différentes universités, des représentants des institutions juives ou encore des professionnels des ministères de l'Intérieur et de la justice.

M. Gellé, votre association porte la voix des dirigeants exécutifs des universités et des établissements d'enseignement supérieur et de recherche qui, pour plusieurs d'entre eux, ont récemment été directement confrontés à des actes parfois extrêmement graves d'antisémitisme sur leurs campus. Je pense en particulier à l'agression physique de trois étudiants juifs à l'université de Strasbourg en février dernier, mais aussi à des dégradations matérielles répétées au travers notamment de tags et d'inscriptions antisémites sur les locaux.

Madame de Mecquenem, vous avez également une expérience de première main sur le sujet puisque, outre vos fonctions de professeure universitaire, vous avez été référente racisme et antisémitisme à l'université de Reims-Champagne Ardennes. Vous avez également consacré une large partie de vos travaux de recherche à la question des discriminations dans le domaine de l'enseignement.

Votre intervention conjointe et complémentaire nous permettra donc, je l'espère, de saisir la réalité actuelle des manifestations d'antisémitisme dans les établissements universitaires de manière très concrète, mais également de prendre un peu de hauteur et de perspective sur un sujet qui suscite des réactions très vives dans le débat public.

En écho à l'audition de la FNSP que nous avons conduite il y a quelques semaines, nous souhaitons en particulier que vous nous éclairiez sur le climat actuel au sein des universités. Avez-vous constaté un durcissement dans les relations étudiantes ou basculement dans les manifestations d'antisémitisme après les événements du 7 octobre dernier ? De quels indicateurs disposez-vous pour assurer le suivi de ces actes ? Pouvez-vous dresser pour nous un bilan chiffré des actes survenus au cours des dernières années, en nous précisant le cas échéant les sanctions reçues par leurs auteurs ?

M. Guillaume Gellé, président de France Universités. - Je vous remercie pour l'organisation de cette audition. Pour celles et ceux qui ne nous connaissent pas encore, France Universités, dont les missions sont inscrites dans le code de l'éducation, rassemble 120 établissements publics d'enseignement supérieur et de recherche, dont les grandes écoles publiques et l'ensemble des 73 universités. Nos établissements comptent environ 2 millions d'étudiants et 200 000 personnels, parmi lesquels 55 000 enseignants-chercheurs, ainsi que 90 000 chercheurs issus d'organismes nationaux de recherche hébergés dans nos laboratoires.

Je souhaite tout d'abord rappeler que nos établissements ne sont pas des citadelles fermées au reste de la société. Étant inscrits dans la société, ils sont traversés par les mêmes problématiques et, malheureusement, les mêmes maux. L'antisémitisme, je tiens aussi à l'affirmer, n'est pas une opinion ; c'est un délit, un fléau contre lequel nous devons tous nous mobiliser.

J'ai dernièrement eu l'occasion de m'exprimer devant les députés, auxquels j'ai fait part des résultats de l'enquête flash que nous avons menée sur les actes antisémites dans les universités à partir des signalements recensés, lesquels suivent un processus continu, clair, précis et identifié par nos services et nos collègues. Au 23 mars dernier, pour 80 établissements d'enseignement supérieur et de recherche représentant 1 million 370 mille étudiants en formation de niveau licence, master ou doctorat et 147 000 personnels, nous avions pu noter 67 actes antisémites depuis le 7 octobre. En 2022-2023, 33 actes antisémites avaient été recensés.

En notant qu'un certain nombre de remontées sont toujours en cours d'instruction par nos services, nous pouvons dire que, durant l'année 2022-2023, il y a eu 11 saisines de commissions disciplinaires pour des faits d'antisémitisme ; il y en a déjà eu 6 depuis le 7 octobre. Il y avait eu 4 signalements par les établissements au procureur de la République au titre de l'article 40 pour des faits d'antisémitisme en 2022-2023 ; il y en a déjà eu 14 depuis le 7 octobre. Enfin, 5 plaintes avaient été déposées par les établissements pour des faits d'antisémitisme en 2022-2023 ; on en compte 8 depuis le 7 octobre.

Depuis le 7 octobre, le nombre d'actes antisémites dans nos établissements d'enseignement supérieur a donc plus que doublé. Depuis notre enquête, plusieurs autres actes ont été recensés. On peut citer des tags nazis à l'université de Nantes ou des tentatives d'empêchement de conférences, dont la semaine dernière à l'université Sorbonne-Nouvelle. Je suis, à l'instar de mes collègues présidentes et présidents, choqué par ces tentatives d'interdiction et par ces actes.

Nul ne peut être empêché d'accéder à l'université pour un motif religieux. Nul ne peut se voir refuser l'accès au savoir et au débat en raison d'une appartenance revendiquée ou non à une communauté. Nul ne doit être conduit à renoncer à une orientation, donc à un projet personnel, au motif qu'un établissement aurait une réputation complaisante envers les actions ayant une connotation antisémite. Nos universités respectent la diversité des opinions dans le strict respect de la loi, mais elles doivent être, et sont par essence, des lieux de débat, de controverses et d'échanges.

Ainsi, plus de 15 000 conférences, académiques ou non, sont organisées dans nos universités chaque année, et nous observons malheureusement quelques rares dérives. Elles sont ultra-minoritaires, même si elles n'en sont pas moins inacceptables.

Notre responsabilité de présidents d'université est de veiller à identifier, à signaler et à engager des poursuites contre les expressions et les agissements susceptibles de relever de l'antisémitisme, du racisme ou de l'apologie du terrorisme. Il est de notre responsabilité, aussi, de faire respecter l'ordre public, et nous le faisons, contrairement à ce qu'affirment certains, parmi lesquels des élus dont la connaissance de la chose universitaire est pour le moins étroite. Dès le lendemain des événements d'octobre, France Universités a dénoncé l'attentat terroriste du Hamas et appelé à combattre les haines racistes et antisémites, quelle que soit leur forme. Nous devons assurer aux étudiants juifs la sérénité à laquelle ils ont droit. Il n'est pas tolérable que des étudiants fassent des choix d'orientation dictés par le sentiment qu'ils seront ou non en sécurité. Nous en avons discuté avec l'Union des étudiants juifs de France et le CRIF. Nous devons garantir à tous nos étudiants un environnement d'études et de vie sain, sécurisé et protégé. C'est pourquoi, face aux violences et aux discriminations de quelque nature que ce soit, les présidentes et présidents d'universités pratiquent la tolérance zéro.

Je voudrais aussi rappeler les leviers à notre disposition en cas d'acte antisémite. Ces leviers sont d'ordre administratif avec les enquêtes internes, d'ordre disciplinaire, mais aussi d'ordre judiciaire, avec la possibilité d'adresser un signalement au procureur de la République et de déposer plainte. Les universités sont toutefois rarement tenues informées des suites données à leur signalement à la justice, et ce manque d'information les prive d'une capacité à affiner les appréciations des faits, les fragilise dans les actions d'information et de prévention et affaiblit leur autorité en tant qu'institution. J'ai échangé la semaine dernière avec le président de l'université Sorbonne-Nouvelle, Daniel Mouchard, suite aux événements survenus sur son campus, et lui ai conseillé d'activer l'article 40 au vu des propos qui ont été tenus. Il y a immédiatement réagi en exigeant le retrait d'une banderole et l'arrêt de la tentative de blocage engagée le 4 avril. Voyant que le dialogue qu'il s'était d'abord efforcé d'engager était impossible, il a procédé à une réquisition des forces de l'ordre afin de sécuriser, avec le concours des services de l'université, le début de la conférence, qui a pu se tenir. Il a ensuite immédiatement saisi les instances disciplinaires de l'université pour engager les poursuites adaptées.

Les présidentes et présidents ne sont ni dans la dénégation, ni dans le déni. Face aux expressions de haine, ils n'ont jamais la main qui tremble. De ce fait, il est déplacé, mais aussi totalement faux, de parler de complaisance et a fortiori de lâcheté des présidents d'université ou de la communauté universitaire. Ce sont des éléments de langage blessants pour celles et ceux qu'ils visent et inutiles pour la cause qu'ils veulent servir. Je le redis devant vous : il n'y a pas de séparatisme organisé par l'institution universitaire, ni d'autonomie vis-à-vis des valeurs de la République. C'est pourquoi les attaques dont les universités font l'objet dans l'espace public, de la part d'associations, de leaders d'opinion et parfois d'élus sont inadmissibles.

Mme Isabelle de Mecquenem, professeure agrégée de philosophie et membre du Conseil des sages de la laïcité. - Je vous remercie de me donner la parole sur ce sujet préoccupant, qui m'occupe depuis déjà longtemps. J'y ai consacré quelques articles de presse, en pointant des faits sporadiques d'antisémitisme survenus notamment dans des facultés de médecine.

En accord avec ma discipline, qui ne repose pas sur des chiffres, je préfère d'abord poser les termes de la réflexion, ce qui m'amènera à vous présenter mon hypothèse interprétative de l'antisémitisme et de ses expressions dans le cadre universitaire.

L'Université, avec une majuscule, renvoie aux idéaux universitaires, aux libertés académiques et à la mission de formation des élites - avec la question qui en découle de l'identification de nos élites d'aujourd'hui. Les universités sans majuscule, en tant qu'établissements d'enseignement supérieur, ont connu des mutations extrêmement rapides et sans précédent sur une période très courte à l'échelle de l'histoire. Je pense à la massification de l'enseignement supérieur, qui s'est produite après celle de l'enseignement secondaire. Je pense au modèle adopté pour la gouvernance des universités, avec la référence à la société de la connaissance qui ne renvoie hélas pas à un idéal philosophique, mais à un modèle économique de développement. Je pense ensuite à la réforme de l'autonomie des universités, qui a créé une situation de concurrence entre les établissements. Les universitaires se sont vu imposer une logique de performance habillée dans une rhétorique de l'excellence, ce qui a profondément modifié leurs activités. Il convient enfin de souligner l'état de sous-financement des universités. La lutte contre l'antisémitisme suppose une institution forte ; on peut se demander si c'est bien le cas des universités aujourd'hui.

L'antisémitisme, qui se présente sous la forme d'une hostilité sédimentée et pluriséculaire - Léon Poliakov en parlait comme d'une agitation qui dure depuis plus de trois millénaires -, constitue le deuxième terme du débat. En ce qu'il excède le paradigme des discriminations, il est difficile de faire entrer l'antisémitisme dans le cadre classique de la lutte contre ces discriminations, qui constitue aujourd'hui le modèle dominant d'action. Compte tenu de son ancienneté à l'échelle de l'humanité, on peut le considérer comme toujours latent dans nos sociétés ; la vivacité des blagues et des stéréotypes contre les Juifs, qui résulte en partie du piment de la transgression qui leur est associé, est un indice de ce fond d'hostilité traduit dans la culture populaire.

Je voudrais aussi souligner la force de la culture juvénile, qui a fait l'objet d'études sociologiques. Alors qu'un individu change beaucoup entre 15 et 25 ans, on constate que cette culture est partagée par toute cette tranche d'âge : de ce point de vue, il n'y a pas de différence entre un collégien, un lycéen et un étudiant. Il me semble que cela joue dans la problématique que l'on essaie d'identifier et de poser.

La guerre actuelle au Proche-Orient a suscité une polarisation idéologique sur les campus. Le phénomène n'est pas nouveau et s'est déjà produit à l'occasion d'autres événements politiques. Selon moi, cette guerre a fait plus que libérer la parole associée à un antisémitisme latent ; elle a légitimé une expression antisémite, ce qui explique sa force et une partie de la difficulté à juguler ce phénomène.

Je note que les universités se sont mises au diapason de la lutte contre les discriminations et se sont engagées dans plusieurs luttes sociétales : la poursuite de l'égalité entre les femmes et les hommes, la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, l'inclusion des personnes en situation de handicap. La lutte contre le racisme et l'antisémitisme, qui constituent des délits, a été intégrée à ce mouvement.

En janvier 2015, les attentats djihadistes ont conduit la ministre de l'éducation nationale et de l'enseignement supérieur à publier un plan de mobilisation pour la transmission des valeurs de la République incluant les universités ; c'est dans ce cadre qu'a été créée la fonction de référent à la lutte contre le racisme et l'antisémitisme. Je me suis proposée pour assurer cette mission au sein de la composante de l'université de Reims dédiée à la formation des enseignants, car elle me semblait prolonger celle de référente laïcité que j'exerçais déjà ; les travaux de recherche que j'avais consacrés au sujet me donnaient en outre une certaine légitimité sur ces questions. Il faut ici souligner une dissymétrie : la création de ces référents a été laissée à l'appréciation des présidents, tandis que celle des référents à l'égalité hommes-femmes et aux violences sexuelles et sexistes a fait l'objet d'obligations dans le cadre d'une politique nationale.

M. Laurent Lafon, président. - La parole est aux rapporteurs de la mission flash.

M. Pierre-Antoine Levi, rapporteur. - Nous nous trouvons réunis dans un contexte particulièrement préoccupant qui interpelle notre conscience collective, mais aussi notre responsabilité en tant que gardiens des valeurs républicaines. L'antisémitisme connaît malheureusement une recrudescence inquiétante dans nos sociétés, y compris dans le milieu qui devrait être le sanctuaire de la pensée critique et du respect mutuel : l'enseignement supérieur. La décision du Sénat de lancer une mission d'information sur la montée de l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur à la suite des incidents survenus à Sciences Po Paris il y a quelques jours souligne l'urgence et la gravité de la situation. Les événements récents nous rappellent douloureusement que l'antisémitisme n'est pas un vestige du passé, mais une réalité bien présente qui menace la cohésion et les valeurs fondamentales de notre République.

Depuis les attaques du Hamas du 7 octobre 2023, les universités et les grandes écoles françaises ont recensé 67 actes antisémites, contre 33 en 2022. Lorsque nos concitoyens s'en prennent aux Juifs, c'est toute la société qui en pâtit. Il est donc de notre devoir, en tant que membres de cette assemblée, de ne pas rester passifs face à cette montée de haine. Nous sommes à un carrefour crucial où nous devons choisir entre la passivité et l'action. Il est impératif de former un front uni pour défendre nos valeurs, notre cohésion sociale et notre fraternité.

Nous avons eu connaissance, par des témoignages très précis, de cas d'antisémitisme qui auraient été remontés par des étudiants juifs, indiquant que des présidents ou des responsables d'université n'auraient pas voulu, soit par complicité idéologique, soit par peur de représailles personnelles, déclencher un article 40 et déclarer ces actes à la police. Avez-vous eu connaissance de telles pratiques ? Comment les avez-vous traitées ?

Je voudrais également poser une question à Mme de Mecquenem concernant vos fonctions de référente à la lutte contre l'antisémitisme et le racisme. Considérez-vous que vous avez pu exercer cette mission dans de bonnes conditions ?

Madame, j'ai écouté votre propos avec beaucoup d'intérêt et j'ai parfois eu l'impression que vous essayiez de trouver des circonstances atténuantes ou des explications, comme le sous-financement de l'enseignement supérieur ou la jeunesse, à certains cas d'antisémitisme. J'aimerais avoir des précisions, car peut-être ai-je mal perçu vos propos ; il serait donc bon de les expliquer.

M. Bernard Fialaire, rapporteur. - Je voudrais d'abord remercier le président de la commission pour l'organisation de cette réunion, car la situation est grave.

Monsieur Gellé, vous nous dites que les commissions de discipline ont été saisies à six reprises depuis le 7 octobre, contre onze saisines sur toute l'année 2022-2023, et que quatorze articles 40 ont été enregistrés depuis six mois, contre quatre lors de l'année précédente. Quelles sont vos relations avec le monde judiciaire, notamment les parquets ? Avez-vous noué des liens qui vous permettent de favoriser l'instruction rapide des délits d'antisémitisme survenant dans vos établissements ? Pourquoi y a-t-il moins de saisines des commissions de discipline que de transmissions au parquet ?

Avez-vous des échanges avec vos homologues européens ? Les événements qui se déroulent en France sont-ils isolés ou semblables à ce que l'on constate à l'étranger ?

Enfin, comment travaillez-vous avec les associations étudiantes dans la prévention, le signalement et le traitement de ces actes ?

M. Stéphane Piednoir. - Évidemment, l'université fait partie de la société ; or l'antisémitisme est en pleine croissance dans la société française. La hausse des faits signalés interroge quant à la différence entre ce qui se passe à l'université et en dehors. Vous avez évoqué la tolérance zéro ; j'aurais aimé vous entendre sur les sanctions prises à l'encontre des étudiants et des personnes adultes qui gravitent dans vos établissements.

J'aurais également aimé vous entendre sur le contrôle a priori des conférences organisées par des associations étudiantes au sein de l'université publique. L'augmentation significative des faits d'antisémitisme survenant dans ce cadre devrait vous inciter à effectuer un contrôle beaucoup plus exigeant ; est-ce le cas ?

Nous constatons un écart significatif entre le ressenti des étudiants juifs, dont 91 % déclarent avoir été victimes d'au moins un acte antisémite durant leurs études, et le nombre de signalements officiels faits aux instances universitaires. Les étudiants se tournent plus volontiers vers les associations qui les représentent que vers l'administration.

Existe-t-il des spécificités par formation ou type de filière ? Par exemple, les sciences humaines et sociales sont-elles plus concernées par des actes antisémites que les sciences exactes et expérimentales ?

Le climat actuel dans les établissements, très polarisé, vous paraît-il de nature à remettre en cause les libertés académiques ? Le premier rapport de l'observatoire académique du Parlement européen, publié le 27 février, dresse un constat plutôt alarmant.

Enfin, de nombreux faits problématiques, voire délictueux, se sont déroulés en ligne, tant dans l'enseignement supérieur que dans l'enseignement secondaire. De quels moyens disposez-vous pour suivre ces dérives ? Travaillez-vous en lien avec certains services du ministère de l'Intérieur ?

M. Guillaume Gellé. - Monsieur Levi, je suis très heureux que vous défendiez la pensée critique nécessaire dans nos universités. Je suis assez étonné de ce que vous dites concernant les réactions des présidentes et présidents d'université. Nous n'avons pas cette information. Les présidentes et présidents d'université n'ont pas la main qui tremble, mais ils sont obligés de se baser sur des faits pour pouvoir engager des plaintes ou des poursuites disciplinaires. Cela peut prendre du temps.

France Universités est une association d'établissements autonomes : nous ne pouvons donc pas dire aux présidentes et présidents d'université ce qu'ils ont à faire. Néanmoins, nous organisons des formations et nous travaillons à l'élaboration de guides pratiques, dont l'un porte sur la lutte contre le racisme et l'antisémitisme. Nous travaillons actuellement à une formation plus avancée des présidentes et des présidents d'université sur ces sujets. J'ai récemment rencontré le CRIF : ce sujet n'a pas été soulevé dans nos discussions. Si ces situations existent, nous en discuterons évidemment avec les présidentes et les présidents d'université pour mieux les comprendre.

Je déplore que nous n'ayons pas d'informations sur les suites données à nos signalements et nos dépôts de plainte. Nous avons fait des propositions pour améliorer les liens entre les universités et le monde de la justice, notamment par la désignation d'un référent sur les questions d'enseignement supérieur et de recherche dans les parquets. On constate que, lorsque des liens personnels entre un président et un procureur de la République existent, l'information circule ; il me semble important d'institutionnaliser de telles relations.

Nous avons des rencontres régulières avec nos homologues dans le cadre de l'association européenne des universités. Nous y parlons de ces situations, qui me semblent comparables dans un grand nombre de pays européens. Malheureusement, nous n'avons pas suffisamment travaillé sur le sujet pour pouvoir vous répondre précisément. Nous nous proposons d'y travailler avec l'observatoire de la lutte contre les discriminations.

Les associations étudiantes font l'objet d'un conventionnement avec leur établissement. Elles doivent être reconnues associations étudiantes pour pouvoir bénéficier des crédits associés à la vie étudiante. Les responsables de ces associations suivent une formation organisée par l'université sur un ensemble de sujets, dont la lutte contre le racisme et l'antisémitisme. Nous veillerons à amplifier ces points très rapidement.

Nous travaillons à favoriser le débat et la pensée critique. Lorsque des événements sont organisés, la liberté d'expression et la loi sont respectées ; si nous n'avons pas connaissance a priori de troubles à l'ordre public, nous n'avons pas de raison d'interdire un événement. Les universités s'organisent de manière différente pour prévenir les troubles à l'ordre public ; elles travaillent avec les services de police et les renseignements pour organiser les débats de manière sereine. Il serait grave, en termes de liberté d'expression ou de liberté académique, d'interdire a priori un débat sur quelque sujet que ce soit dans l'université. Ce qui nous importe, c'est le respect des valeurs de la République et de la loi.

Le processus de poursuite disciplinaire prend un peu de temps, ce qui explique que nous ayons moins de poursuites disciplinaires depuis le 7 octobre que l'an dernier. L'enquête administrative préalable est assez poussée et nécessite le recueil de témoignages. Dès lors que les éléments recueillis indiquent qu'il y a matière à sanction, des poursuites disciplinaires sont engagées par les présidents d'université. Dans certains cas particuliers, un dépaysement peut être organisé, ce qui prend du temps sur le plan administratif. Dans quelques mois, nous aurons une meilleure visibilité sur les chiffres des poursuites disciplinaires depuis le 7 octobre.

En ce qui concerne les sanctions mises en oeuvre, des mesures de suspension ou d'interdiction d'accès aux locaux peuvent être prises pendant la durée de l'enquête administrative. Malheureusement, je ne connais pas le détail des sanctions prises par les établissements ; nous regarderons ces éléments de près. L'échelle des sanctions va en tous cas jusqu'à l'exclusion définitive de tout établissement d'enseignement supérieur.

Concernant les différences entre les disciplines, les sujets mêmes d'étude emportent des différences dans le rapport aux sujets de société ; un étudiant dans une filière d'ingénieur ne les étudie pas comme celui d'un cursus de sciences politiques. Évidemment, cela peut créer des différences sur l'organisation d'un certain nombre d'événements. En ce qui concerne les actes antisémites, je ne pense pas que l'on puisse faire une différence entre les disciplines ou les types d'universités. Il y a quelques années, nous avions recensé un nombre d'actes important dans les facultés de médecine, alors que ces études ne sont pas directement liées à des sujets de société.

Nous sommes relativement démunis face à ce qui se passe dans la sphère privée. Les universités commencent néanmoins à agir lorsque des faits surviennent dans un groupe d'étudiants, en procédant à des signalements ; mais une question juridique se pose vraisemblablement. En cas d'événement hors des campus, nous incitons les étudiants à porter plainte et les accompagnons, comme nous le faisons en cas de violences sexistes et sexuelles. L'enjeu est alors de convaincre l'étudiant d'engager ces actions.

Des signalements sont systématiquement effectués sur la plateforme Pharos depuis sa mise en service.

Mme Isabelle de Mecquenem. - Nous avons été confrontés au cas d'une étudiante en pharmacie qui a été victime d'une agression à caractère antisémite au cours d'une soirée étudiante de début d'année. Parmi les facteurs d'explication des actes antisémites, qui ne sont pas des facteurs de justification, il faut tenir compte de la culture de ces promotions, où l'esprit de groupe et la nécessité de s'intégrer sont des données extrêmement importantes. Cette étudiante n'a pas voulu porter plainte ; elle a fait prévaloir la perspective de son année universitaire et son intégration dans la promotion. Il ne faut jamais sous-estimer la peur des victimes. Face à des faits sans équivoque, nous étions évidemment prêts à agir et à l'inciter à porter plainte, et une association antiraciste s'était proposée de faire le truchement entre l'étudiante et nous ; nous ne demandions qu'à appliquer la loi, mais la victime refusait même de communiquer son identité.

M. Laurent Lafon, président. - L'institution ne pouvait-elle pas déposer plainte ?

M. Guillaume Gellé. - Il s'agissait d'une soirée privée. Cette situation a été prise très au sérieux par l'université. Nous avons rencontré la LICRA pour en discuter. Nous avons tout fait pour avoir les éléments qui nous permettaient de traiter ce cas de figure de manière disciplinaire, mais nous ne les avons malheureusement pas eus. La sphère privée reste l'angle mort de l'ensemble des luttes contre les discriminations.

M. Laurent Lafon, président. - La parole est maintenant aux sénateurs.

M. Adel Ziane. - Nous abordons un sujet extrêmement important. Les universités ne sont pas des citadelles fermées. Elles sont dans la société. Elles ne sont donc pas imperméables aux fléaux qui traversent notre société, notamment l'antisémitisme.

J'ai pris le temps, en préparant cette audition, de relever les différentes initiatives qui ont été mises en oeuvre : réseau de recherche associant des universités, collaboration avec le gouvernement pour améliorer la gestion des cas, chartes d'engagement, création de cellules d'écoute, organisation de formations pour les dirigeants d'université, renforcement de la coordination avec les associations...

En matière de prévention, quel rôle peuvent jouer les enseignants, dans le cadre de leurs actions, pour créer du dialogue entre les étudiants et faire émerger la parole en cas d'acte antisémite ?

Les actes antisémites n'ont pas lieu que dans l'enceinte des universités. Ils se déroulent également sur les réseaux sociaux et dans la sphère privée. Ces dernières années, les écoles et les universités ont été extrêmement sensibilisées au sujet des violences sexuelles et sexistes et aux phénomènes de harcèlement sur les réseaux sociaux. Ne pourrait-il pas y avoir des procédures similaires pour les actes antisémites ?

Le rôle d'une association ou de l'administration centrale ne pourrait-il pas être de réduire la distance qui sépare les étudiants des universités ?

L'université a toujours été un lieu de débat, d'échanges, de controverse et d'exercice de la pensée critique. En 2006, un citoyen sur deux dans le monde vivait dans une zone de liberté académique ; cette proportion est désormais d'un sur trois. Comment les libertés académiques évoluent-elles en France ? Avec quel impact sur les universités ?

M. Pierre Ouzoulias. - L'antisémitisme n'est pas un racisme comme un autre : c'est un racisme bimillénaire qui est constitutif de la formation de la civilisation occidentale, et c'est à raison que vous avez parlé de rémanence. Nous ne pouvons tolérer l'intolérable, c'est un combat de tous les moments. Je crois que vous avez également eu raison d'indiquer, Madame la professeure, que le processus peut être relancé par une ethnicisation des rapports sociaux.

Nous subissons aujourd'hui les conséquences de la place supérieure accordée à l'identité individuelle dans une pensée très libérale. On pourrait considérer sous forme de boutade que lorsque les campus étaient plus marxistes, ils étaient moins antisémites, car la grille de lecture n'était pas la même ! Nous avions alors d'autres références que l'identité, l'ethnie ou la race.

L'autonomie des universités est fondée sur trois piliers : la liberté académique des enseignants ; la liberté d'expression de tous les personnels qui y travaillent ; la franchise universitaire, qui signifie qu'il revient aux présidents d'apprécier à quel moment ils ne sont plus en capacité de faire respecter l'ordre public.

La disparition des études sur le judaïsme dans les universités françaises, où elles deviennent très marginales, me paraît extrêmement problématique. Six thèses seulement ont été soutenues sur le sujet en 2023, soit trois à quatre fois moins que par le passé. En découle le sentiment que la culture juive est complètement étrangère à notre pays, alors qu'elle en est constitutive. Ne pourrions-nous pas envisager un grand plan national pour rendre leur place aux études sur la culture juive, notamment dans sa dimension française ? Aujourd'hui, les Français de confession juive ne sont perçus comme tels que lorsqu'ils sont victimes. On ne parle jamais de la judéité comme constitutive de notre pensée, et notamment de notre culture républicaine. C'est à l'université que se fonde une conscience nationale sur ces sujets.

M. Max Brisson. - Je n'ai pas de question, mais souhaite formuler quelques constats en essayant de conserver le flegme dont a réussi à faire preuve notre rapporteur Pierre-Antoine Levi. Il a fallu attendre l'intervention de Pierre Ouzoulias, dont je ne partage pas l'entièreté du propos, pour qu'on s'élève un peu. Nous rendons-nous compte de quoi nous parlons ? Longtemps, la France a été un modèle pour les communautés juives dispersées dans le monde, dont témoignait l'expression yiddish « heureux comme un Juif en France ». En écoutant nos intervenants, on s'aperçoit qu'on en est bien loin.

Monsieur Gellé, vous auriez pu, en présentant votre diagnostic, prendre un peu de hauteur et dire clairement et avant tout autre propos que n'y aurait-il eu qu'un seul acte antisémite, il eût été intolérable. On ne peut pas tout mettre sur le même plan et parler des luttes contre les discriminations, contre les violences sexuelles et contre l'antisémitisme comme si tout cela appartenait au même champ d'action. Il y a un caractère particulier et inacceptable de l'antisémitisme.

Au décours de l'exposé certes lucide que vous avez ensuite présenté, vous n'avez pas pu vous empêcher d'attaquer les élus. De la même manière, nous avons le droit de critiquer l'université.

Vous avez fait un inventaire sans pouvoir faire celui des sanctions prises à la suite des actes antisémites constatés dans vos établissements. Quel terrible aveu ! C'est le meilleur exemple du déni dans lequel vous êtes installé. J'insiste à la suite de notre rapporteur Stéphane Piednoir : ces sanctions, nous aimerions les connaître.

Madame de Mecquenem, votre exposé était un bel exemple de la culture de l'excuse permanente. Je vous le dis fermement : nous ne partageons absolument pas votre analyse. Nous avons une Constitution et des lois, qui sont faites pour être appliquées. C'est cette culture de l'excuse permanente qui nous a placés dans la situation qui est la nôtre aujourd'hui, à savoir une République menacée.

Il est un mot qui n'a pas été prononcé une seule fois : islamisme. Il existe un lien entre le wokisme, l'islamisme radical et l'antisémitisme, qui ne plonge pas dans la profondeur des temps, mais qui est une nouveauté face à laquelle la République doit faire face. Je ne suis absolument pas rassuré après avoir écouté nos intervenants.

Mme Monique de Marco. - Personnellement, je n'ai pas eu l'impression qu'il y avait du déni dans ces propos.

Les référents antisémitisme tels que précisés dans une circulaire du 9 janvier 2024 ont-ils été généralisés ? Leur mise en place est-elle une obligation pour toutes les universités ? Cette circulaire a-t-elle changé quelque chose ?

Le 30 janvier 2023, Élisabeth Borne a présenté un plan national contre le racisme et l'antisémitisme qui préconisait d'intégrer un volet recherche sur l'antisémitisme au sein des observatoires nationaux de discrimination et de l'égalité dans le supérieur. La réponse à l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur ne se trouve-t-elle pas dans une recherche débouchant sur une politique plus large de lutte contre les discriminations ?

M. Bruno Retailleau. - Je suis stupéfait par ce que j'ai entendu et ne suis absolument pas rassuré. Vous aviez deux attitudes possibles : la première aurait consisté à douter, c'est-à-dire à faire preuve d'une distance critique, à prendre acte d'un certain nombre de faits qui nous sont remontés - et que je tiens à votre disposition -, à admettre que la société est violente et traversée par des débats idéologiques auxquels l'université a toujours participé. Vous avez cependant choisi la voie du déni total, voire de la justification, notamment lorsque vous parlez de la culture juvénile ou de la culture de groupe. À ce niveau, expliquer, c'est justifier.

91 % des étudiants juifs se disent victimes d'actes antisémites, mais vous faites comme si cela n'existait pas. Vous n'avez aucun chiffre sur les sanctions. Vous dites qu'on ne peut pas interdire une conférence. C'est pourtant arrivé il y a quelques mois à Florence Bergeaud-Blackler à La Sorbonne. Le trouble à l'ordre public, bien souvent, revient à donner un droit de vie ou de mort sur une conférence aux plus radicaux et aux plus violents. Vous ne pouvez pas dire que tout va bien, car tout ne va pas bien.

Monsieur Gellé, vous avez en charge une belle institution. La pensée critique et la liberté d'expression, ce n'est pas l'intolérance. On ne peut pas tout justifier avec ces concepts qui deviennent fumeux lorsqu'on les vide de leur sens.

Franchement, cette audition nous inquiète au plus haut point.

M. Jacques Grosperrin. - À vous entendre, madame de Mecquenem, j'ai le sentiment que vous êtes la servante d'un certain type d'idéologie. Vous êtes dans la politique d'excuse. Vous êtes dans un déni qui est flagrant. Vos propos excusent ceux qui agissent ainsi. Auriez-vous eu les mêmes propos si les faits, tout aussi inacceptables, avaient concerné d'autres types de populations ? Auriez-vous avancé l'excuse de la juvénilité ? J'ai plutôt le sentiment que nous mettons la poussière sous le tapis. Nous nous dirigeons vers une situation très grave, voire irréversible.

En 2007, la ministre voulait nommer les présidents d'université. Est-ce le système d'élection qui favorise la faiblesse de la gouvernance, ou est-ce que parce que les présidents d'université se comportent ainsi qu'ils sont élus ? Ce mode de gouvernance pose en tous cas un véritable problème. Parce qu'ils sont élus par leurs pairs, les présidents d'université n'ont pas une entière liberté d'action. S'ils ne sont pas capables de faire régner l'autorité, alors il faut peut-être changer la loi et les faire nommer par le ministre ou le conseil des ministres. Nous sommes prêts à mener cette réflexion si les choses ne changent pas.

Mme Karine Daniel. - L'antisémitisme est un délit que tout le monde prend très au sérieux. Toutefois, l'université doit aussi faire face à d'autres délits comme le racisme et toute forme de discrimination, ainsi que les violences sexuelles et sexistes. L'université doit mettre en place des processus pour lutter, prévenir et sanctionner avec les moyens qui lui sont confiés. Les présidents d'université nous parlent de ces questions, mais ils nous parlent aussi de la déperdition d'effectifs en licence et des manques de débouchés en master pour les étudiants. C'est ce contexte général qu'il faut considérer.

Par ailleurs, pour qu'il y ait des données et des éléments contradictoires, il faut donner des moyens à la recherche, notamment en sciences humaines.

Mme Annick Billon. - Les interventions de nos invités ont été très inquiétantes. Vous avez parlé de doublement des faits d'antisémitisme. Les sanctions et les condamnations ont-elles également doublé ? Quelles sont-elles ? L'antisémitisme n'est pas un sujet de débat. Il doit être combattu.

Mme Alexandra Borchio Fontimp. - Si nos échanges portent sur l'antisémitisme, c'est bien parce que ce sujet n'est pas latent. Je crains que nous ne soyons en plein déni, avec le fantasme que les choses pourraient se régler tranquillement.

Je vais vous parler du campus de Sciences Po à Menton, qui n'est pas un cas isolé. « Si tu es juif, tu ne peux pas faire Sciences Po Menton » : voilà un exemple des déclarations que nos étudiants de confession juive doivent accepter sans sourciller. Fin mars, à l'occasion d'une semaine de la Palestine, les membres de la France Insoumise ont donné une conférence de presse qui était bien loin d'un débat nuancé et de l'acceptation de divergences d'opinions. Nous sommes dans un temple gangréné par une radicalité qui n'est ni justifiée, ni justifiable. Face à la gravité de ces faits, les collectivités qui financent le campus de Menton envisagent d'ailleurs de suspendre leur participation.

Je rejoins les propos de mon collègue Stéphane Piednoir sur le contrôle, peut-être a priori, des associations d'étudiants qui organisent des événements politiques dans des établissements d'enseignement supérieur publics. Comment trouver un juste équilibre entre permettre aux étudiants de se constituer en associations pour défendre une cause, ce qui est bénéfique pour le débat, et encadrer et sanctionner comme il se doit les associations qui promeuvent des idées contraires à nos valeurs républicaines, notamment l'antisémitisme ?

Mme Sonia de La Provôté. - Il a semblé, dans les propos tenus lors de cette audition, qu'on ne cherchait pas forcément à ce que l'objectivation des référents antisémitisme se fasse de la manière la plus formelle et efficace possible. Le sentiment a été donné que la liberté académique et de propos était opposée à ce qui aurait pu être assimilé à une opinion, à savoir l'antisémitisme, alors qu'il s'agit d'un délit. On ne peut pas mettre les deux choses sur un même plan. Il est nécessaire que l'université ait un propos objectif sur ces sujets. Les référents antisémitisme dans les universités sont nécessaires. On ne peut pas avoir un échange qui laisserait à penser qu'on met de la nuance là où le délit ne saurait souffrir de nuance.

Pharos ne recueille pas les signalements, du moins au-delà d'un certain seuil de gravité. Il faut que les universités elles-mêmes aient le courage de dire les choses. On ne peut pas dire que ça n'existe pas, alors que nous avons des signalements partout, quelle que soit l'université.

Mme Catherine Belrhiti. - Depuis le 7 octobre, 67 actes antisémites ont été relevés dans les établissements supérieurs, soit deux fois plus que l'année précédente. Nous ne pouvons nier que les événements tragiques d'octobre 2023 sont à l'origine de cette recrudescence, tout comme nous ne pouvons nier que le phénomène est endémique et ancien à la fois. Nous serions, selon certains experts, en train d'assister à un rajeunissement des auteurs d'actes antisémites, qui seraient de plus en plus fréquents à l'école, notamment au collège. Nous ne pouvons prévenir ce qui se passe dans nos universités si nous n'avons pas au préalable permis à nos collégiens d'intégrer la valeur indispensable qu'est la laïcité pour notre République.

Quelles sont les actions de sensibilisation, voire de pédagogie, que l'école et l'enseignement supérieur pourraient mener afin de combattre ce fléau à la racine ?

M. Laurent Lafon, président. - La parole est à nos intervenants.

M. Guillaume Gellé. - Je voudrais d'abord réitérer mon propos liminaire : « Je souhaite rappeler que nos établissements ne sont pas des citadelles fermées au reste de la société. Ils sont dans la société. Ils sont traversés par les mêmes problématiques et, malheureusement, les mêmes maux. L'antisémitisme, je tiens aussi à l'affirmer, n'est pas une opinion ; c'est un délit, un fléau, contre lequel nous devons tous nous mobiliser. » Je ne pense pas que ces propos traduisent un quelconque déni sur les questions d'antisémitisme.

Dans nos établissements, il y a deux grands types d'activités : celles qui relèvent de la vie universitaire et celles qui relèvent de la vie académique. Quand on parle de liberté académique, on ne s'adresse qu'aux enseignants et aux enseignants-chercheurs. La vie étudiante, par exemple, ne relève aucunement des questions de vie et de liberté académiques.

L'organisation des universités en matière de lutte contre les violences sexuelles et sexistes peut nous inspirer dans la lutte contre le racisme et l'antisémitisme. Nous avons beaucoup travaillé sur la sensibilisation des étudiants et la professionnalisation des équipes qui gèrent les questions de violences sexuelles et sexistes. Nous avons donc matière à nous organiser, peut-être de façon différente pour être plus efficace encore dans la lutte contre le racisme et l'antisémitisme. La formation des associations étudiantes et la clarification de ces questions dans les règlements intérieurs de nos universités sont des points sur lesquels nous pouvons nous appuyer, et cela doit être organisé par les administrations centrales de nos établissements.

Nous sensibiliserons l'ensemble des équipes de gouvernance dans le cadre des formations organisées par France Universités. Un renouvellement important des équipes de présidentes et de présidents est attendu cette année et l'année prochaine : ce sera l'occasion d'une formation et d'une sensibilisation approfondies des équipes sur ces thèmes.

France Universités demande que la liberté académique soit inscrite dans la Constitution. Ce serait une protection si nous devions être soumis à des pressions comme il en existe dans certains pays d'Europe de l'Est ; nous regardons également avec une grande attention ce qui se passe en Floride, où l'enseignement de certaines disciplines a été interdit. Nous avons publié un communiqué commun à ce sujet avec la conférence des recteurs de Suède. Nous comptons sur vous pour nous accompagner et préparons sur ce sujet un rapport qui sera présenté à l'été ; j'espère que nous aurons l'occasion d'en discuter.

La disparition des études sur le judaïsme est en effet une question dont il faut se préoccuper à l'échelle nationale. Certaines disciplines en péril sont inscrites sur la feuille de route du ministère ; il faudra veiller à ce que ces études le soient également.

Lors d'un échange avec le président du CRIF, nous avons parlé du doublement du nombre d'actes antisémites dans les universités et l'avons comparé à ce qui se passe dans l'ensemble de la société, où il a été multiplié par quatre. Cette approche comparative est indispensable à l'établissement d'un diagnostic lucide. Nous sommes pleinement mobilisés pour que ces actes diminuent et que des sanctions soient prises.

En matière disciplinaire, l'instruction par les commissions de nos établissements peut prendre plusieurs mois. Lorsque des sanctions sont proposées, elles peuvent ensuite faire l'objet de recours par les étudiants ou l'institution. Le traitement est alors dépaysé au conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche. Les sanctions peuvent aller jusqu'à une exclusion définitive de tout établissement d'enseignement supérieur. À ces sanctions disciplinaires peuvent s'ajouter des sanctions pénales. Je n'ai pas de chiffres précis à vous donner aujourd'hui. Vous nous avez sensibilisés au sujet et nous allons y travailler. Je tiens toutefois à rappeler que France Universités organise la représentation des universités et répond à leurs sollicitations. Ce n'est pas un organe qui centralise systématiquement toute l'information, et vous trouverez peut-être les données qui vous intéressent auprès des services du ministère.

La circulaire de 2024 systématise la mise en place des référents à la lutte contre le racisme et l'antisémitisme. À notre connaissance, pratiquement toutes les universités se sont dotées d'un référent et un réseau existe depuis 2019, qui est l'interlocuteur du gouvernement et du ministère de l'enseignement supérieur sur ces questions.

Nous avons publié un guide pratique consacré à la lutte contre le racisme et l'antisémitisme qui est soutenu par l'ensemble des présidentes et présidents d'université et que nous inscrivons systématiquement dans nos formations.

En matière d'institution universitaire, l'élection est la règle générale. La liberté académique, c'est aussi l'évaluation par les pairs et la reconnaissance de ceux qui agissent. Vous pouvez changer la loi, mais je ne pense pas que ce soit souhaitable. Nous sommes une grande nation universitaire, de recherche et de formation. Quelle image renverrions-nous à nos homologues si nous agissions de la sorte ? Il en irait de la crédibilité de la recherche, de la formation et de l'université françaises. En revanche, il existe certainement des leviers pour rendre plus efficace la gouvernance des universités. Nous avons fait des propositions à nos directions centrales et au ministère dans le cadre de l'acte II de l'autonomie, dont certaines pourraient être mises en oeuvre rapidement. Il faut veiller à ce que la gouvernance soit efficace, ce qui est très difficile dans le contexte d'élections permanentes que connaissent les universités.

Il y a certainement matière à orienter des travaux de recherche sur les questions qui nous réunissent aujourd'hui. Un appel à manifestation d'intérêt a récemment été lancé en sciences humaines et sociales. La recherche apporterait vraisemblablement des solutions et des clés de compréhension. Je partage également le constat que nous devons sensibiliser la jeunesse bien en amont de l'université.

Ce que vous avez décrit concernant le campus de Sciences Po Menton est inacceptable. J'en ferai part prochainement à l'administrateur provisoire de Sciences Po. Les qualifications sont assez évidentes pour procéder à un signalement auprès du procureur de la République.

Les délits de racisme et d'antisémitisme sont inscrits dans les règlements intérieurs de nos universités, qui font l'objet d'un engagement des associations étudiantes. Celles qui n'en respectent pas les modalités peuvent être exclues des financements donnés par l'université dans le cadre de la vie étudiante. Bien évidemment, une association qui organise des actions délictueuses, notamment en matière d'antisémitisme, doit faire l'objet des poursuites adaptées aussi bien au niveau de l'établissement qu'au niveau judiciaire. Le guide pratique que j'ai mentionné permet d'éclairer les responsables sur ces questions, et les lettres de mission adressées par les universités aux référents à la lutte contre le racisme et l'antisémitisme précisent notamment les modalités de la saisine des présidentes et présidents en matière de poursuite disciplinaire.

J'espère avoir apporté un certain nombre de réponses ou de clés de compréhension. Encore une fois, il n'y a pas de déni et nous qualifions les choses comme elles doivent l'être. L'antisémitisme est un délit qu'il faut combattre. Nos universités essaient de le faire au meilleur niveau ; pour cela, il faut nous aider à renforcer un certain nombre de points et la question des moyens, qui n'est pas la réponse à tout, doit être posée.

Mme Isabelle de Mecquenem. - Lorsque j'évoquais la création de ma mission en 2015, je me référais à une époque préhistorique. Depuis, un réseau national des référents racisme et antisémitisme a été créé. Il est animé par un service du ministère dont il est bon de connaître l'existence. Ce réseau, qui oeuvre également en faveur de la laïcité dans les établissements d'enseignement supérieur, a bénéficié de formations organisées par ce service ministériel - car il est indispensable, à quelque échelle que l'on se situe, de suivre des formations préalables.

Les choses se sont donc structurées ; elles ont été récemment systématisées. Une lettre de mission a même été formalisée, qui indique tous les axes de l'action des référents racisme et antisémitisme. Au sein du conseil des sages de la laïcité et des principes républicains, nous avons par ailleurs édité un vademecum constitué de fiches pratiques destinées aux enseignants, aux chefs d'établissement et à tous les personnels, afin qu'ils puissent répondre à la diversité des incidents qui se produisent en milieu scolaire.

Il n'y a pas de déni. Au contraire, nous sommes à l'unisson d'une volonté ferme d'éradication de ces phénomènes, que je n'ai pas voulu nuancer dans mon état des lieux. Il ne faut pas confondre l'intelligibilité d'une réalité et le voile que l'on veut faire porter sur cette réalité. Cela n'a rien à voir.

Madame la ministre a annoncé, pour 2025, un module obligatoire pour toutes les universités sur la question écologique. J'y vois une opportunité, car il est rare que le ministère prenne ce type d'initiative, précisément au nom de l'autonomie des universités et des libertés académiques. Il y a là la piste d'un module obligatoire pour tous les étudiants. Un travail pédagogique de clarification des notions historiques politiques me paraît se dessiner comme un chantier à court terme.

En 2015, des postes fléchés de maître de conférences radicalisation ont été créés dans certaines universités ; cette piste pourrait être reprise. Les armes de l'université sont l'enseignement et la recherche. En 2019, un réseau de recherche sur le racisme et l'antisémitisme a été créé, auquel plusieurs universités ont adhéré. Il se trouve que j'en suis la co-directrice. Nous avons monté un cycle de conférences, qui durera jusqu'en décembre 2024, sur les notions d'antisémitisme et d'antisionisme, qui font l'objet d'une grande confusion dans l'esprit des étudiants. Voilà un exemple d'action concrète disponible pour toutes les universités que nous ne demandons qu'à généraliser.

M. Laurent Lafon, président. - Merci. Je rappelle que la mission flash débute à peine ses travaux. D'autres auditions suivront.

Audition de Mme Sylvie Retailleau, ministre de
l'enseignement supérieur et de la recherche

MERCREDI 29 MAI 2024

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M. Laurent Lafon, président. - Nous avons le plaisir d'accueillir cet après-midi Mme Sylvie Retailleau, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, dans le cadre des auditions de la mission d'information relative à l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur. Madame la ministre, nous vous remercions de vous être rendue disponible pour éclairer les travaux de notre commission sur ce sujet d'une actualité malheureusement aussi brûlante qu'inquiétante, et qui connaît de nouveaux développements depuis quelques semaines en marge de la mobilisation propalestinienne sur les campus.

Face à l'urgence de la situation, les deux rapporteurs désignés par notre commission, MM. Bernard Fialaire et Pierre-Antoine Levi, ont travaillé extrêmement vite, puisqu'ils ont conduit dix-sept auditions depuis le 10 avril dernier. La plupart ont été tenues sous la forme de tables rondes, ce qui leur a permis de rencontrer la grande majorité des acteurs concernés par le sujet - des présidents d'universités au ministère et à délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah), en passant par les associations étudiantes, les référents racisme et antisémitisme des universités, les instituts d'études politiques ou encore le réseau de recherche Alarmer. Ces entretiens s'achèveront demain, après l'audition de la procureure générale près la Cour d'appel de Paris cet après-midi et des représentants de diverses institutions juives demain matin, après quoi nos rapporteurs nous présenteront leurs conclusions avant la fin de la session - à temps, donc, pour la prochaine rentrée universitaire.

Nous constatons avec soulagement que, depuis la première audition conduite au Sénat sur ce thème, le 10 avril dernier, le Gouvernement s'est également emparé du sujet. Madame la ministre, vous avez en effet annoncé le 2 mai, à l'occasion d'une intervention devant les membres du conseil d'administration de France Universités, plusieurs mesures visant à mieux suivre, d'une part, et à mieux prévenir, d'autre part, les actes antisémites au sein des établissements universitaires. Le 6 mai, c'est ensuite la ministre déléguée chargée de la lutte contre les discriminations, Aurore Bergé, qui a lancé des assises de la lutte contre l'antisémitisme visant à faire reculer le phénomène dans l'ensemble de la société.

Si ces différentes annonces témoignent d'une prise de conscience partagée que je salue, nous avons besoin de comprendre la portée opérationnelle de ces mesures. Nous avons en effet pu constater au cours de nos différentes auditions que le hiatus est parfois grand entre les condamnations de principe de l'antisémitisme et les actions réellement mises en oeuvre, ce qui conduit notamment à de fortes variations dans le traitement des actes antisémites par les différents établissements de l'enseignement supérieur.

Madame la ministre, je vous cède la parole pour un propos liminaire et de premières réponses à ces observations, après quoi mes collègues de la commission, et notamment nos rapporteurs de la mission Bernard Fialaire et Pierre-Antoine Levi, ainsi que notre rapporteur pour les crédits de l'enseignement supérieur Stéphane Piednoir, vous interrogeront à leur tour sur les premiers enseignements qu'ils ont pu tirer de leurs travaux.

Mme Sylvie Retailleau, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche. - Merci de me donner l'occasion de vous exposer de manière approfondie la démarche du ministère dans la lutte contre l'antisémitisme. Nous sommes, vous l'avez dit, dans un moment de recrudescence de ce fléau, alors que nous assistons à une tentative d'importation d'un conflit international au coeur de nos campus. Certaines des choses que je dirai ici devant vous, je les ai déjà dites dans le cadre plus restreint du conseil d'administration de France Universités le 2 mai dernier. Pouvoir les réaffirmer avec force ici, devant vous, dans le cadre des travaux menés par le Sénat, est une opportunité que je saisis avec gravité et responsabilité.

Depuis plusieurs semaines, des revendications se sont exprimées de manière de plus en plus radicale sur nos campus, en ne permettant pas le dialogue, qui est pourtant la base en de tels lieux. Ce mouvement, parti notamment des États-Unis, s'étend sur la planète, en Europe, en Australie, en Inde ; il peut conduire à des affrontements entre groupes d'étudiants, comme on l'a vu à Los Angeles. Au-delà des revendications portées par les étudiants, ce sont surtout leurs modes d'action qui ont connu une escalade, que je condamne fermement. Une petite minorité d'étudiants ne peut pas bloquer une majorité d'entre eux et faire régner un climat de peur, voire de violence, par des propos et des gestes inacceptables - surtout quand on leur propose un cadre de débat respectueux, où la liberté d'expression se conjugue avec les valeurs universitaires, le respect de la loi et les principes de la République.

Je commencerai par rappeler quelques évidences. Tout d'abord, la ligne de fermeté absolue que je porte et que j'ai eu l'occasion de rappeler lors d'autres exercices parlementaires, comme les questions aux Gouvernement : l'antisémitisme n'est pas une opinion, c'est un délit pour lequel nous avons une tolérance zéro. Face à la montée de l'antisémitisme, nous devons être implacables.

Je tiens également à exprimer ma compassion évidente et mon soutien absolu à tous les étudiants, notamment juifs, victimes d'actes ou de propos abjects, ou qui se sentent ostracisés. Aucun étudiant ne doit penser qu'il n'a pas sa place au sein de nos établissements. Tous nos efforts visent à ce que chacun puisse y étudier sereinement, sans jamais être inquiété parce qu'il est juif. Avoir à le rappeler, je le dis franchement, m'attriste. J'aurais aimé que ce fléau reste la tache indélébile des heures les plus sombres de notre Histoire et ne se rappelle pas à notre actualité récente.

J'en viens aux mobilisations qui se déroulent au sein de certains de nos établissements, tout particulièrement à Sciences Po et dans ses campus délocalisés. La position que je tiens à réaffirmer devant vous est simple et claire : le débat, oui ; le blocage, non. Dit autrement, le débat et la liberté d'expression ont toute leur place dans nos universités ; mais cela n'autorise pas tout, et les blocages et les intimidations, tout comme l'incitation à la haine ou l'appel à l'insurrection, sont inacceptables. J'ai deux priorités : que les étudiants puissent étudier dans de bonnes conditions ; que le cadre démocratique et républicain soit respecté. Ce sont ces deux principes qui ont guidé et qui continuent de guider mon action face aux évènements récents - dans le respect, bien sûr, de l'autonomie des établissements.

Cela étant dit, je vous propose de faire un bilan rapide des derniers évènement survenus dans les campus. Les examens ont eu lieu sans perturbations majeures ; dans les rares cas où cela a été nécessaire, des centres d'examens de substitution à la sécurité renforcée ont pu être déployés. Lorsque des blocages ou des occupations ont eu lieu, ils n'ont dans la plupart des cas pas donné lieu à des violences physiques, à quelques exceptions près que je condamne avec la plus grande fermeté. Tout acte de violence est en effet un acte de trop ; je pense notamment à l'agression d'étudiants juifs à Strasbourg, ou encore aux actes visant le collectif Golem à Lille. Une fois le cadre reposé, des débats sereins et apaisés ont pu se tenir entre la fin du mois d'avril et le début du mois de mai. Nous continuons à y travailler avec France Universités.

Depuis le 27 avril, une trentaine d'interventions des forces de l'ordre, nécessaires mais proportionnées, ont eu lieu pour permettre à l'Université de retrouver son cadre de fonctionnement normal et aux examens de se tenir. Ces interventions ont lieu, je le rappelle, sur réquisition du président d'université, lorsque le mouvement survient à l'intérieur de l'établissement, ou sur décision du préfet, lorsque le trouble est constitué sur la voie publique, notamment aux abords du campus. Aucune occupation ne s'est établie durablement.

Face aux mobilisations, il est primordial de rappeler ce qu'est l'Université, ce qui peut et doit s'y passer - et, à l'inverse, ce qui ne peut pas et ne doit pas s'y passer -, ainsi que ce que nous voulons pour nos étudiants, nos enseignants, nos chercheurs et l'ensemble du personnel. Les polémiques du moment semblent en effet brouiller cette évidence que le rôle fondamental de l'Université est la construction et la transmission des savoirs. Tout le reste, je dis bien tout le reste, ne peut s'apprécier qu'à l'aune du respect de cette mission première de nos établissements, qui ne peut être accomplie que dans un cadre de fonctionnement serein et apaisé, reposant sur la démocratie, la pluralité et la neutralité.

C'est pour cette raison que je refuse de voir l'Université instrumentalisée à des fins politiques. Oui, certains irresponsables politiques soufflent sur les braises ; ils instrumentalisent le conflit et utilisent les étudiants en appelant au soulèvement ou à l'insurrection. La surenchère, l'outrance ne font pas de bien à notre démocratie. Il en va des principes fondamentaux de notre République et de l'image de la France dans le monde.

Pour que notre modèle universitaire fonctionne, il faut que chacun s'y sente à sa place. C'est tout le sens du plan que mon ministère déploie depuis plusieurs mois pour lutter contre l'antisémitisme, réappréhendé dans sa spécificité historique et contemporaine. En complément des mesures du plan national de lutte contre le racisme, l'antisémitisme et les discriminations liées à l'origine, lancé en 2023, mon ministère développe ses propres actions.

Dès le 9 octobre, j'ai rappelé, dans un courrier adressé à tous les présidents d'universités, le principe de tolérance zéro et de grande fermeté face aux actes et propos antisémites. Nous avons mis en place dès cette date un dispositif de suivi ad hoc des signalements effectués pour des actes en lien avec la situation au Proche-Orient dans les universités, qui couvre à la fois les actes antisémites et les manifestations en faveur de Gaza susceptibles de constituer des troubles à l'ordre public. À ce jour, 244 faits nous ont été remontés, parmi lesquels 214 manifestations individuelles ou collectives favorables à la Palestine susceptibles d'entraîner des troubles à l'ordre publics, ainsi que 30 actes de type inscriptions, menaces, violences antisémites ou apologie du terrorisme et du nazisme. Toute manifestation pro-Palestine étant ainsi recensée, il faut bien entendu prendre des précautions avec ce chiffre élevé.

Nous poursuivons par ailleurs la structuration du réseau des référents racisme et antisémitisme. Après les avoir réunis en octobre 2023, j'ai pris en janvier 2024 une circulaire qui précise le cadre de leur action ainsi que leurs missions, dans le but de les rendre plus visibles, plus incontournables et plus proches des gouvernances des établissements. L'animation de réseau se poursuit et ces référents seront à nouveau réunis par mon cabinet avant l'été.

Avec les rectorats de région, nous recensons en outre toutes les commissions disciplinaires déclenchées pour des faits d'antisémitisme depuis le 7 octobre ainsi que leurs décisions. Pour mémoire, le code de l'éducation prévoit que le recteur de région académique est informé par les universités de l'ouverture d'une procédure par une section disciplinaire et de la décision prise par celle-ci. C'est ainsi que 76 actes antisémites ont été signalés, dont 17 font ou ont fait l'objet d'une enquête administrative suivie de l'enclenchement d'une procédure disciplinaire, 9 d'un dépôt de plainte, et 11 d'un signalement au procureur de la République au titre de l'article 40 du code de procédure pénale.

Nous poursuivons également les travaux visant à la mise en place à la rentrée d'un nouveau système de signalement dans l'application Dialogue, déjà utilisée par les établissements de l'enseignement supérieur. Ce dispositif permettra d'opérer un suivi des actes tout au long de la chaîne de réponse, entre leur survenue et leu dénouement disciplinaire ou judiciaire, via un système d'information unifié et accessible aux gouvernances des universités, aux rectorats et à l'administration centrale. J'ai demandé à France Universités de me transmettre, d'ici au début de l'été, une liste d'établissements bêta-testeurs volontaires de cette nouvelle procédure. Dans l'intervalle, c'est-à-dire jusqu'à la fin de l'année universitaire, j'ai demandé aux chefs d'établissements de procéder scrupuleusement aux transmissions d'informations prévues par le code, au moyen des procédures actuelles ; ces transmissions sont consolidées au ministère, qui dispose ainsi d'une vue d'ensemble.

Nous renforcerons également la formation des présidents nouvellement élus, qui sera aussi ouverte aux présidents déjà en responsabilité. Cette formation comportera un module spécifique à la lutte contre le racisme et l'antisémitisme, à la prévention des discriminations et à l'ensemble des enjeux de société auxquels les chefs d'établissements sont confrontés dans l'exercice de leurs fonctions.

J'ai également indiqué devant France Universités notre souhait que la mise en place d'une formation obligatoire à la lutte contre le racisme et l'antisémitisme des responsables d'associations soit une condition de leur agrément ou de leur subventionnement par les universités. Cette évolution est en cours d'instruction sur les plans juridique et opérationnel.

Nous travaillons également au développement de partenariats avec des associations oeuvrant dans le champ citoyen et mémoriel, notamment celles qui transmettent la mémoire de la Seconde Guerre mondiale, pour mettre en place des actions de sensibilisation des étudiants à la lutte contre l'antisémitisme. Je forme le voeu que les établissements et les rectorats développent à leur tour de telles conventions à l'échelle territoriale.

Enfin, pour renforcer nos argumentaires de réponse aux revendications de suspension des coopérations universitaires, j'ai saisi le collège de déontologie d'une demande de précision du cadre déontologique dans lequel s'inscrit la coopération scientifique et technologique internationale dans les domaines de la formation, de la recherche et de l'innovation, si essentielle pour nos universités, au regard des principes fixés par les codes de la recherche, de l'éducation et de la fonction publique. Je souhaite que ce collège propose également des repères et des lignes directrices dont les établissements pourront se saisir pour définir leur propre stratégie de coopération. J'attends enfin qu'il rappelle le rôle et la place de l'Université dans l'organisation des débats publics et précise le cadre dans lequel ils doivent s'inscrire.

Mesdames et messieurs les sénateurs, la lutte contre l'antisémitisme est l'affaire de tous ; c'est un combat que nous devons collectivement mener pour que mettre fin à ce climat de peur aux relents abjects et de sinistre mémoire dans notre histoire nationale. Votre commission a décidé de s'emparer de ce sujet important, qui doit tous nous réunir, et je vous en remercie sincèrement. Vos travaux viendront utilement nourrir nos réflexions sur les actions à mettre en place pour continuer à lutter efficacement contre ce poison.

Aux chefs d'établissements devant lesquels je me suis exprimée le 2 mai et auxquels j'ai demandé d'utiliser tous les moyens à leur disposition pour garantir le retour au calme et le bon déroulement des examens, j'ai rappelé le cadre de liberté et de responsabilité qui doit permettre à l'Université de remplir sa mission. J'ai également cité devant eux un article de 1970 du Doyen Vedel - grande figure s'il en est de l'Université et de Sciences Po -, qui écrivait que « la plus sûre manière d'assassiner une liberté est d'en donner une image absurde. » Je leur ai rappelé qu'il nous appartenait collectivement de ne pas tomber dans ce piège, et que nous devions renforcer, dans le cadre de l'autonomie des établissements, nos outils et leviers d'action pour lutter fermement et efficacement contre l'antisémitisme, afin que l'Université reste le lieu de débat apaisé qu'elle doit être - un lieu où chacun doit pouvoir étudier sereinement et sérieusement, sans jamais être inquiété en raison de sa religion réelle ou supposée.

M. Pierre-Antoine Levi, rapporteur. - Les auditions que nous avons conduites ont fait ressortir un clair problème de mesure des actes antisémites dans l'enseignement supérieur. Nous partageons donc le constat que vous venez d'exprimer, madame la ministre. Les récents incidents notamment survenus à Sciences Po Paris et dans ses campus délocalisés sont des exemples frappants de cette réalité inquiétante.

Faute de dispositif de suivi adapté et unifié, faute également d'une bonne identification par les étudiants des référents pourtant présents dans la plupart des établissements, et en raison enfin de la réticence de nombreux étudiants juifs à se tourner vers les institutions universitaires suite aux actes dont ils sont victimes, la plupart des dirigeants que nous avons rencontrés n'ont cependant pu que reconnaître, avec beaucoup d'honnêteté, qu'ils n'avaient qu'une vision très partielle du phénomène dans leurs établissements. En témoigne l'immense décalage entre les faits recensés par France Universités et votre ministère, et les résultats du sondage réalisé par l'Institut français d'opinion publique (Ifop) à la demande de l'Union des étudiants juifs de France (UEJF) en septembre 2023 - qui présente certes des problèmes de méthode, en raison notamment de la petite taille de l'échantillon interrogé, mais qui permet en tout état de cause d'établir le terrible constat d'un sentiment d'insécurité partagé par de nombreux étudiants juifs : 91 % d'entre eux déclaraient avoir été victimes d'actes antisémites.

Or, pour agir efficacement contre un phénomène, il faut en avoir une vision claire ; et paradoxalement, on ne pourra considérer que le combat est véritablement enclenché que lorsque les remontées des actes antisémites par les établissements seront plus étoffées, car elles témoigneront alors d'un meilleur suivi par les établissements et d'une plus forte propension des étudiants juifs à dénoncer en toute confiance les agissements dont ils sont victimes.

Il est impératif de prendre des mesures concrètes et immédiates pour protéger nos étudiants et garantir un environnement respectueux et sécurisé. Il est essentiel de restaurer la confiance des étudiants juifs envers leurs établissements et de s'assurer que ceux-ci puissent se concentrer sur leurs études sans craindre pour leur sécurité ou leur bien-être. C'est donc dans ce contexte très préoccupant, madame la ministre, que nous avons besoin de réponses claires et d'actions déterminées de votre part.

Pourriez-vous donc nous présenter de manière détaillée les actions que vous entendez mettre en oeuvre pour parvenir à une meilleure évaluation quantitative des actes antisémites dans les établissements ? Au-delà du déploiement du système de signalement Dialogue, comment comptez-vous améliorer la détection des cas d'antisémitisme par les personnels, et mettre fin à l'auto-censure dont font trop souvent preuve les étudiants juifs ?

M. Bernard Fialaire, rapporteur. - Notre deuxième question est liée à la précédente. Nos travaux nous ont permis de mettre en évidence une difficulté grave dans la définition même des actes antisémites, face à laquelle de nombreux chefs d'établissements nous ont confié se trouver démunis. Alors que de nombreux étudiants se mobilisent et prennent position sur le conflit israélo-palestinien, il n'est pas toujours aisé de départager ce qui relève de l'expression politique de ce qui relève d'un antisémitisme d'opportunité, notamment face à des slogans importés des campus américains.

Ces difficultés de qualification conduisent par ailleurs à des différences d'appréciation fortes entre les chefs d'établissement face à des situations comparables, ce qui fonde une inégalité de traitement des actes antisémites que nous jugeons inacceptable au sein de notre système d'enseignement supérieur.

Comment aider les chefs d'établissement à qualifier les actes qui se déroulent au sein de leurs établissements ? Des instructions seront-elles diffusées par vos services ? Sur ce sujet, travaillez-vous en lien avec le ministère de la justice ? Et comment rappeler ce qu'est la liberté académique, qui s'applique à un enseignement et pas à un établissement, ainsi que la liberté d'expression, qui engage la responsabilité des organisateurs des débats comme celle de ceux qui s'y expriment ?

M. Pierre-Antoine Levi, rapporteur. - Une autre question divise les chefs d'établissement que nous avons entendus : celle du traitement à réserver aux actes antisémites survenant en dehors du cadre universitaire strict, c'est-à-dire en ligne, que ce soit sur les réseaux sociaux ou sur des messageries privées, comme cela arrive malheureusement très souvent, ou dans le cadre privé, par exemple lors de soirées étudiantes organisées en dehors des campus. Devant des situations très proches, certains dirigeants s'abritent derrière le caractère privé du contexte et choisissent de ne pas intervenir, tandis que d'autres activent des leviers juridiques semble-t-il efficace pour saisir la justice. Quelles sont les consignes de votre ministère sur ce point ? Envisagez-vous la diffusion d'un guide pratique permettant de soutenir les chefs d'établissement dans l'appréhension de telles situations ?

M. Bernard Fialaire, rapporteur. - La lutte contre l'antisémitisme dans les établissements d'enseignement supérieur repose aujourd'hui principalement sur l'action des référents racisme et antisémitisme, dont la présence n'est cependant pas obligatoire dans tous les établissements et dont les conditions d'intervention ne sont pas homogènes. Nous avons deux interrogations à ce sujet. En premier lieu, dans le but de parvenir à une réponse unifiée des établissements, envisagez-vous d'harmoniser ce dispositif dans l'ensemble des établissements ? Nous pensons ici non seulement à la présence de ces référents, mais aussi à leur statut, à leur décharge horaire, à leur rémunération éventuellement, à leur formation bien entendu, et surtout à leur visibilité.

En second lieu, quelle place l'antisémitisme doit-il selon vous occuper dans l'arsenal des mesures de lutte contre les discriminations dans l'enseignement supérieur ? Faut-il l'aborder parmi les autres discriminations que sont les racismes et le sexisme, avec l'avantage d'un dispositif plus puissant mais au risque d'une invisibilisation de la lutte contre l'antisémitisme derrière d'autres priorités, notamment les violences sexistes et sexuelles, ou existe-t-il selon vous une originalité du phénomène qui doit justifier un traitement particulier ? Cette deuxième option pose peut-être un problème constitutionnel, et porte le risque de la stigmatisation. Les différents interlocuteurs auxquels nous avons posé la question se sont montrés, ici encore, divisés sur le sujet - ce qui témoigne sans doute plus globalement d'une certaine urgence, madame la ministre, à ce que vos services diffusent des consignes claires et unifiées.

En ce qui concerne les leviers à activer que vous évoquiez, madame la ministre, nous constatons une forme de banalisation de l'inscription dans l'enseignement supérieur, qui se fait parfois en ligne, voire de la rentrée - deux moments qui pourraient pourtant être l'opportunité de rappeler les valeurs et les règles à respecter dans le cadre universitaire, comme le font du reste déjà certains établissements.

M. Stéphane Piednoir. - Merci pour vos propos liminaires, madame la ministre, qui témoignent de ce que le ministère prend la mesure de la situation et répond aux perturbations et aux blocages.

Les événements survenus sur plusieurs campus au cours des dernières semaines, notamment à Sciences Po et à l'École normale supérieure, posent la question du maintien de l'ordre au sein des établissements d'enseignement supérieur. Vous avez rappelé les modalités de l'intervention des forces de l'ordre dans les établissements. Pourriez-vous nous présenter plus précisément votre doctrine en ce qui concerne le déclenchement des différentes mesures de police à la main des présidents ? En particulier, dans quels cas est-il selon vous légitime ou même souhaitable de procéder à l'interdiction préalable d'une conférence ou d'une manifestation ? Quelle est par ailleurs la ligne de partage à observer entre les événements réglés dans le cadre universitaire et ceux qui requièrent l'intervention des forces de l'ordre ?

Les différents présidents et directeurs d'établissements entendus par la mission ont fortement regretté le manque de liens avec les autorités judiciaires, soulignant en particulier l'absence totale de retour après la transmission d'un article 40 ou d'un dépôt de plainte, ce qui ne peut que fonder un sentiment d'impuissance. Il semble que la situation soit un peu meilleure dans les établissements ayant signé, de leur propre initiative, une convention avec le parquet local, qui leur permet en particulier de disposer d'un interlocuteur dédié au sein des services judiciaires. Ne faudrait-il pas généraliser ce dispositif sur l'ensemble du territoire afin de rendre les signalements plus efficaces ?

Enfin, les procédures disciplinaires, davantage conçues pour des cas de fraude que pour sanctionner des violences et des agressions, ne doivent-elles pas aujourd'hui évoluer, notamment sous l'angle de la place faite aux victimes ? Vos services ont-ils lancé des travaux sur ce sujet ?

Mme Sylvie Retailleau, ministre. - Comment mieux mesurer et mieux détecter les actes antisémites, et comment mieux y répondre ? Ainsi que je l'indiquais en introduction, nous travaillons depuis le mois de mars au déploiement d'un système de signalement unifié au niveau national, que nous allons tester dans des établissements volontaires dans la perspective de sa mise en service dans l'ensemble des établissements en janvier 2025 au plus tard.

Cependant, avant même de signaler l'urgence, il faut accompagner les victimes, et il faut qu'elles sachent à qui s'adresser. C'est le travail que nous avons fait avec les référents racisme, antisémitisme et discriminations présents dans les établissements, dont le nombre est passé de 140 en 2020 à 222 aujourd'hui. L'enjeu est désormais de les rendre plus visibles ; c'est pourquoi les sites Internet des universités comportent désormais des bandeaux permettant de les identifier.

L'écart entre l'enquête de l'Ifop et le nombre de signalements enregistrés par les établissements pose par ailleurs la question de la confiance des étudiants dans leurs interlocuteurs : à qui souhaitent-ils s'adresser en cas de difficulté ? Nous constatons qu'ils se tournent le plus volontiers vers les associations ; nous nous efforçons en conséquence de développer des liens, le cas échéant par le biais de conventions, avec ces acteurs. Les établissements doivent travailler main dans la main avec les associations pour orienter et accompagner les victimes, y compris par la saisine de la commission disciplinaire.

Diffuser l'information, accompagner les victimes et sanctionner efficacement : tels sont les trois piliers sur lesquels nous travaillons avec les établissements, sur la base de la circulaire diffusée en janvier.

La question de la qualification des actes survenant dans les établissements est un sujet difficile. Leur qualification pénale relève bien entendu de la justice ; c'est pourquoi nous travaillons en lien avec le ministère compétent, auquel il incombe d'affirmer ou non le caractère antisémite des troubles constatés sur le terrain. Tous les événements enregistrés par les établissements font l'objet, après leur signalement, d'une enquête administrative visant notamment à les qualifier. Le cas échéant, une action disciplinaire est ensuite conduite en interne, parallèlement à la procédure judiciaire en externe. Dans le cas des événements du 12 mars à Sciences Po, l'enquête interne a débouché sur la saisine de la commission disciplinaire ainsi que sur la transmission d'un signalement au procureur de la République au titre de l'article 40.

Je vais solliciter le garde des sceaux pour évaluer la possibilité de constituer des partenariats sur l'enseignement supérieur, comme certains établissements en ont en effet déjà noués. Ces partenariats pourraient associer les rectorats, sur le modèle de ce qui existe déjà dans l'enseignement scolaire - je pense notamment à l'académie de Versailles. C'est en effet une bonne chose que des référents soient identifiés dans les parquets et dans les rectorats, ce qui leur permettra d'affiner les signalements effectués, et plus généralement de mieux travailler ensemble.

La distinction entre liberté académique et liberté d'expression est un sujet important. Vous avez distingué les libertés applicables aux enseignements de l'expression plurielle à organiser dans les établissements. Pour moi, ces libertés doivent être comprises en lien avec l'autonomie des universités ; la liberté académique appliquée aux enseignants et aux enseignements doit être orientée par la pluralité et la neutralité découlant de la responsabilisation impliquée par l'autonomie des universités. Nous devons poser non pas des limites à ces libertés, mais un cadre républicain permettant un débat pluriel et permettant effectivement les échanges. Nous y travaillons. Ces dernières semaines, plus de 160 événements de type débat se sont passés dans nos universités de manière cadrée. Ils se sont bien déroulés.

Vous évoquez les faits commis lors de soirées privées. Les fonctionnaires sont tenus de respecter l'article 40 du code de procédure pénale : dès lors qu'ils ont connaissance d'actes délictueux ou criminels, ils doivent les porter à la connaissance de l'autorité judiciaire. En ce qui concerne les soirées étudiantes, un article du code de l'éducation prévoit le déclenchement de procédures disciplinaires pour des faits entravant l'ordre, le bon fonctionnement ou la réputation de l'établissement. Nous avons diffusé une circulaire d'information aux référents concernés, et nous tiendrons un séminaire avec France Universités en juin pour déterminer la meilleure manière de continuer à formaliser les choses. Faut-il un guide, des circulaires sur des points particuliers ? Nous en débattrons.

J'ai fortement incité les établissements à procéder au signalement des actes de haine en ligne que commettraient leurs étudiants sur la plateforme d'harmonisation, d'analyse, de recoupement et d'orientation des signalements (Pharos). Il faut aussi faire connaître cette procédure à tous nos personnels et à nos étudiants. Nous prévoyons une formation pour les équipes des présidents d'établissements et les responsables d'associations. Plus largement, les établissements sont invités à passer des conventions avec des associations pour élargir la sensibilisation et les formations de tous les étudiants et des personnels.

Vous évoquez l'harmonisation du dispositif des référents. La circulaire du 9 janvier, qui explique comment valoriser les compétences et l'action de ces personnels, en a représenté une première étape. Je rappelle toutefois que la définition du nombre d'heures d'activité de ces référents, ainsi que des décharges horaires dont ils peuvent bénéficier, incombe à chaque université. La circulaire indique en tous cas qu'ils doivent être valorisés et bénéficier d'aménagements horaires pour pouvoir s'investir fortement dans leur mission.

Je ne suis pas favorable à la fusion des différents référents. Un fait sexiste n'est pas un fait antisémite. Nous souhaitons faire des référents des experts locaux thématiques, en comptant sur leur professionnalisation pour traiter les cas qui leur parviennent ; or des compétences spécifiques, qui peuvent être acquises par des formations, sont requises pour traiter la diversité des situations. La circulaire du 9 janvier interdit le cumul des fonctions de référent racisme et antisémitisme avec, par exemple, celle de référent radicalisation. Nous devons par ailleurs poursuivre nos efforts en ce qui concerne la coordination de l'action des différents référents. Dans certaines universités étrangères, ces professionnels sont regroupés dans un bureau unique identifié, où ils peuvent partager leur expérience et avoir accès à des compétences juridiques.

Les journées d'accueil des étudiants sont effectivement un point à travailler. De plus en plus d'établissements en organisent en début d'année pour sensibiliser les étudiants à ces sujets et leur faire connaître leur environnement. Il y a plusieurs années, lors des journées d'accueil des nouveaux étudiants en première année de licence, la présentation des référents était systématique. Je pense qu'il serait pertinent de remettre ces pratiques à jour.

La doctrine sur le recours aux forces de l'ordre est très claire. Une trentaine d'interventions ont eu lieu, toujours après que les responsables et les présidents ont proposé des cadres de discussion et de débat aux étudiants - il est important d'effectuer cette démarche en amont. Dans la plupart des cas, une grande partie des étudiants sont partis et il n'est resté qu'un tout petit noyau dur, ce qui a conduit à l'intervention des forces de l'ordre. Le maintien de l'ordre devient nécessaire lorsque, une fois que la loi et le règlement intérieur ont été rappelés et qu'un cadre de discussion a été proposé, on constate qu'il existe une atteinte aux activités d'enseignement supérieur et de recherche, et notamment une entrave aux examens, ou un trouble à l'ordre public. Nous avons vu, notamment à l'étranger, que ces situations pouvaient conduire à des affrontements entre étudiants. C'est pourquoi nous avons absolument voulu éviter que le conflit s'installe et que des violences, qu'elles soient verbales ou physiques, se développent. S'il y en a eu très peu, c'est parce que nous avons pris ces situations au sérieux et que les responsables d'établissement ont agi en tant que tels.

Empêcher une conférence ou un rassemblement doit être justifié par une évaluation du trouble à l'ordre public, et non par des raisons idéologiques. Bien sûr, lorsque l'intitulé de la conférence projetée contient des termes délictueux, la décision est facile à prendre ; dans le cas contraire, c'est l'évaluation du trouble à l'ordre public qui permet, le cas échéant, de l'interdire. Nous avons demandé aux présidents d'universités de travailler en trinôme avec les recteurs et les préfets sur ces questions.

M. Laurent Lafon, président. - Faut-il adapter les procédures disciplinaires ?

Mme Sylvie Retailleau, ministre. - Leur cadre a été redéfini en 2020. Le cadre ainsi réformé permet notamment aux victimes d'être entendues par le rapporteur de la commission de discipline et d'être assistées dans leur démarche ; il prévoit également la possibilité de prononcer des sanctions disciplinaires assorties de mesures de responsabilisation, qui s'inspirent des méthodes de justice restaurative. Ces mesures peuvent consister en des activités de solidarité dans le cadre culturel, ou encore en des actions de formation à des fins éducatives. Observons comment ces nouvelles normes s'appliquent avant de les modifier.

M. Pierre Ouzoulias. - Merci pour la clarté et la force de votre propos, madame la ministre. L'idéologie que vous dites importée des États-Unis est en fait d'inspiration française : il s'agit d'une pensée post-moderniste, pour laquelle ce qui compte, c'est l'individu humain, ramené à une forme d'essentialisation qui tient à sa supposée confession, origine ethnique ou culturelle - ce qui n'est pas du tout dans notre tradition républicaine, dans laquelle le citoyen appartient au corps de la Nation. J'y vois une dérive post-républicaine très inquiétante.

Je vous ai entendue sur les trois éléments fondamentaux que sont la liberté académique, le droit d'expression - des professeurs comme des élèves - et les franchises académiques. Sur les franchises des universités, l'article L. 712-2 du code de l'éducation est un peu court et ne suffit pas pour définir précisément les pouvoirs du président de l'université. Ce concept vient de la bulle papale Parens scientiarum de 1231, consacrée à l'université de la Sorbonne, juste à côté de chez nous. Nous sommes en pleine tradition ! Il serait utile d'envisager un chantier législatif qui permettrait de donner des définitions plus précises à ces notions. Vous êtes d'accord avec moi, d'ailleurs, sur le fait que les libertés académiques ne s'appliquent pas de la même façon au sein de l'Université selon le statut des personnels. Les enseignants-chercheurs n'ont pas les mêmes libertés académiques que les chercheurs, alors qu'ils travaillent souvent dans les mêmes unités mixtes de recherche (UMR). Il y a là un décalage qui est difficilement compréhensible. De plus, la France, comme d'autres pays européens, a signé la déclaration de Bonn. Ce texte fort mériterait une transposition dans le droit de français.

Mme Mathilde Ollivier. - Il y a quelques semaines, nous avons entendu le président de France Universités dans le cadre notre mission d'information. Lors de cette audition, des sénateurs de droite ont tenu des propos inquiétants, comme l'a mentionné ensuite le communiqué publié par France Universités. Certains ont suggéré que les présidents d'université pourraient être nommés par l'exécutif. Ils ont aussi remis en cause l'engagement de ces derniers dans le combat contre l'antisémitisme, et ce, dans le contexte de tension qui règne dans les universités depuis le 7 octobre. Ces propos représentent un vrai danger pour le principe d'autonomie et de liberté académique des universités et j'espère que vous exprimerez votre plein soutien, madame la ministre, à l'ensemble des directions universitaires et au monde des universités.

Les universités ne sont pas en dehors de la société et, depuis l'attaque du 7 octobre, les actes antisémites qui y sont commis ont été multipliés par deux, selon une enquête menée par France Universités. Ainsi, 67 actes ont été enregistrés depuis le 7 octobre alors qu'on en avait compté 33 pendant l'année scolaire 2022-2023. Cette hausse est à l'image de l'augmentation du nombre d'actes antisémites commis en France, qui ont été multipliés par quatre entre 2022 et 2023. Nos rapporteurs l'ont aussi rappelé : 91 % des étudiants juifs indiquent avoir été victimes d'antisémitisme. Ces constats sont très inquiétants et nous devons réfléchir, de façon collective, aux moyens d'aider les universités à lutter contre l'antisémitisme.

D'abord, il faut libérer la parole. Les étudiants doivent se sentir en confiance pour évoquer les actes antisémites et ils sont nombreux à préférer se tourner vers des associations spécialisées. Vous avez évoqué la nouvelle plateforme Dialogue. Au-delà, que comptez-vous mettre en place pour retrouver la confiance des étudiants, afin que leur parole se libère sur les actes antisémites mais aussi racistes, ainsi que sur toutes les formes de discrimination ?

Par ailleurs, pourriez-vous revenir sur les chiffres des sanctions disciplinaires prises par les universités ?

Je terminerai en disant que je regrette l'instrumentalisation politique dont les débats sur les universités font l'objet. Je veux croire qu'il reste possible de ne pas tomber dans les amalgames qui sont trop souvent faits entre la mobilisation d'étudiants en soutien aux droits des Palestiniens, dans la situation dramatique que connaît Gaza, et l'antisémitisme. Les universités doivent être des lieux de construction pour la pensée critique et il est nécessaire de préserver ces espaces essentiels à notre démocratie, dans le respect de chacun.

M. David Ros. - Merci, madame la ministre, pour la clarté et la force de vos propos. Lutter contre l'antisémitisme, ce n'est pas soutenir la politique de Netanyahou ; et dénoncer les excès de l'armée israélienne, ce n'est pas être antisémite. Ces sujets sont d'une grande complexité et nous les abordons dans le cadre d'une société extrêmement tendue. Comme l'ensemble de la société, l'Université est traversée par ces questions. La mobilisation d'un jeune face à ce qu'il considère comme de l'injustice est légitime mais aussi naturelle. Certes, des récupérations et des instrumentalisations sont à l'oeuvre et il faut faire attention de ne pas tout mélanger ; c'est notre rôle et nous le jouons pleinement.

Quand il s'agit d'antisémitisme, nous devons être clairs : il faut une tolérance zéro. Après le 7 octobre et avant même l'intervention de l'armée israélienne, le nombre de faits antisémites ont augmenté, ce qui prouve qu'il s'agit d'un phénomène latent dans notre société. Un article du Monde mentionnait hier que les actes antisémites sont commis par des personnes de plus en plus jeunes et que l'on observe une banalisation de ces actes, ainsi qu'une levée des tabous. L'institution doit réagir face à ce phénomène et une réaction classique de l'autorité doit avoir lieu.

Cependant, dans le milieu universitaire, la réponse doit-elle être homogène et couvrir de la même manière l'ensemble des territoires et l'ensemble des universités, quelles que soient les matières qu'on y enseigne ? En effet, la situation n'est pas la même dans une université qui dispense un enseignement scientifique et dans une université qui se concentre sur les sciences sociales ou économiques. Un observatoire national pourrait-il établir une cartographie des faits observés, permettant ainsi de déployer une action chirurgicale ?

J'en viens à la question du débat. L'ADN du milieu universitaire est d'éclairer le citoyen et le citoyen en devenir. En la matière, j'évoquerai le lien entre l'éducation nationale et l'éducation nationale supérieure. Pourrait-on organiser des journées de sensibilisation autour de la citoyenneté, qui comprendraient un focus sur l'antisémitisme, notamment en faisant des rappels historiques ? Un tel travail ne devrait pas avoir lieu le jour de la rentrée dans l'enseignement supérieur mais pourrait être intégré au programme de l'enseignement secondaire et être validé au moment de l'obtention du bac.

Un débat permanent doit être organisé dans le respect de la liberté académique. N'est-ce pas le rôle de certaines universités, dont l'enseignement dispensé se rapproche des questions en jeu, de permettre ces débats ? Je ne pense pas ici à des débats qui auraient lieu dans l'urgence et en réaction, mais à un débat permanent sur certains sujets de société. S'ils ont déjà lieu, il faudrait les médiatiser davantage et utiliser les réseaux sociaux. L'Université ne devrait-elle pas jouer un rôle sur les réseaux sociaux, qui pourrait être défini par les acteurs concernés, dans l'objectif d'ajouter l'autorité de la connaissance à la réponse classique de l'autorité ?

Mme Sylvie Retailleau, ministre. - La liberté académique et la liberté d'expression sont liées à l'autonomie des universités. Dans des pays comme la Hongrie ou l'Argentine, où des gouvernements issus des extrêmes exercent le pouvoir, c'est d'abord aux universités que ces derniers s'attaquent. Souvent, ceux qui s'opposent à l'autonomie prétendent qu'il s'agit d'un outil pour se débarrasser de certains problèmes, notamment financiers. Mais l'autonomie est un fondement de l'Université et permet de renforcer ces bastions de la démocratie. Elle le fait dans un cadre qui doit permettre le respect de la liberté académique et de la liberté d'expression. Tous ces éléments peuvent et doivent se combiner. C'est pour cette raison que nous avons lancé l'acte II de l'autonomie des établissements d'enseignement supérieur.

En Hongrie, l'autonomie des universités a été attaquée ; l'Union européenne y a répondu en bloquant l'accès des ressortissants du pays aux programmes Erasmus et Horizon Europe, ce qui fonctionne puisque la Hongrie explique qu'il s'agit pour elle d'une catastrophe. Mais la catastrophe, c'est le non-respect des principes et des valeurs. L'autonomie et la liberté académique ne sont pas en contradiction avec le cadre de la loi et le cadre républicain, qui doivent sans cesse être travaillés et maintenus. Mon soutien en la matière ne signifie pas qu'il ne faille pas faire évoluer la gouvernance des universités, tout en gardant notamment la notion de présidents élus, qui correspond à la vision de l'Université qui prédomine à l'international.

La liberté académique est protégée par un certain nombre de textes. Dans la loi du 24 décembre 2020 de programmation de la recherche (LPR), nous avons renforcé la rédaction de l'article 952-2 du code de l'éducation, qui affirme que « Les libertés académiques sont le gage de l'excellence de l'enseignement supérieur et de la recherche français. Elles s'exercent conformément au principe à caractère constitutionnel d'indépendance des enseignants-chercheurs ». Faut-il envisager un nouveau chantier législatif, comme le propose le sénateur Pierre Ouzoulias ? J'ai demandé au Collège de déontologie de l'enseignement supérieur de se pencher sur la possibilité de faire évoluer la loi ou d'en clarifier l'application. Son retour nous éclairera et nous permettra de poursuivre le débat.

J'en viens à la question de la confiance des étudiants. Comme dans le cas des violences sexuelles et sexistes, sur lequel nous avons obtenu un certain résultat, il faut proposer diverses possibilités aux étudiants pour qu'ils puissent faire remonter leur mal-être ainsi que les attaques dont ils sont victimes. Il faut continuer à travailler avec les associations pour traiter les problèmes, accompagner les étudiants et prendre d'éventuelles sanctions, et poursuivre ces actions pour toutes les discriminations - en multipliant les accès et les accompagnements, et en répétant aux étudiants que l'université est d'abord là pour les aider, comme en attestent les nombreux dispositifs déployés.

Quant aux sanctions disciplinaires, elles n'ont pas encore été prises en ce qui concerne les récents événements. Depuis les événements du 7 octobre, nous comptons dix-sept enquêtes administratives, qui ont toutes conduit à des saisines de commissions disciplinaires ; onze signalements et neuf plaintes ont par ailleurs été déposés. Qu'elles soient disciplinaires ou judiciaires, les procédures prennent du temps ; nous les suivons avec attention, et la plateforme Dialogue nous aidera à le faire de façon quotidienne. En attendant que les commissions disciplinaires rendent leurs décisions, d'autres mesures, comme une interdiction d'accès au campus, ont pu être prises par les responsables d'établissements.

En ce qui concerne l'homogénéité de la réponse, je suis d'accord avec vous, monsieur Ros. L'État doit tracer un cadre fort, global et homogène, notamment via les circulaires adressées aux établissements ; il revient ensuite à ces établissements, qui sont plus ou moins confrontés à ces problématiques, de les appliquer.

Les universités doivent aussi travailler ensemble. Il est fondamental que la réflexion soit menée au niveau de France Universités, des académies ou de groupes d'universités, qui peuvent partager leur savoir-faire, leurs bonnes pratiques et leurs expériences singulières. La notion de site et l'animation par les recteurs, que nous sommes en train de mettre en place, sont importantes.

Un observatoire existe, que nous travaillons à renforcer : mon ministère finance l'Observatoire national des discriminations et de l'égalité dans le supérieur (Ondes), dont les équipes de recherche travaillent sur la base d'une méthodologie scientifique, et qui a déjà publié plusieurs enquêtes et propositions, dont un rapport sur les discriminations auxquelles sont confrontés les étudiants lorsqu'ils postulent à des masters.

En ce qui concerne le lien entre l'éducation nationale et l'enseignement supérieur, nous y travaillons dans les deux ministères. La sensibilisation doit se faire de façon continue : il faut commencer tôt, grâce à l'éducation civique, qui s'enseigne depuis l'école primaire jusque dans l'enseignement supérieur.

Sur la question des débats dans les universités, un travail important a été accompli. Environ 160 événements se sont tenus de façon correcte, offrant des débats et des invités pluriels. Je rappellerai à cette occasion que, lorsque des personnes sont invitées pour participer à des conférences à l'université, elles ne sont pas invitées par l'université mais par des associations de l'université. Le règlement intérieur fixe des règles, selon lesquelles l'université doit être avertie suffisamment tôt du sujet de la conférence et des invités qui doivent y participer. Le non-respect de ces règles constitue l'un des motifs d'interdiction des conférences.

Enfin, je ne sais pas s'il faut inciter les universités à être présentes sur les réseaux sociaux, ou s'il faut former l'ensemble de nos jeunes à mieux utiliser les réseaux sociaux. Les universités ont aussi un rôle de formation en la matière.

M. Max Brisson. - Nous parlons sous le portrait du roi Louis IX, que l'Église catholique, apostolique et romaine appelle Saint-Louis, et qui n'était pas le roi le plus philosémite de notre histoire. Nous sommes aujourd'hui confrontés à quelque chose d'insupportable, mais l'antisémitisme et la recherche de boucs émissaires sont des phénomènes anciens dans notre pays. Cependant, si l'antisémitisme est ancien, nombre de ses ressorts, de ses motivations et de ses origines ont changé. Une sénatrice a interpellé mon groupe au sujet de tensions ayant eu lieu lors d'une précédente audition. Ces tensions ont eu lieu car ce que nous entendions nous donnait l'impression d'une négation absolue de ces nouvelles formes, de ces nouvelles natures et de ces nouveaux moteurs de l'antisémitisme.

Je suis heureux que ceux qui s'inscrivent dans la filiation des opposants à l'autonomie des universités et à la loi de 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités, dite « loi Pécresse », en soient désormais devenus les garants et considèrent ce texte comme une sorte de loi d'airain. Nous n'avons pas l'intention de remettre en cause la loi Pécresse et avons plutôt l'intention de la défendre contre ceux qui s'y sont violemment opposés, y compris en organisant des manifestations et des occupations d'universités.

En revanche, ce n'est pas parce que l'Université est autonome qu'elle ne peut être soumise à la critique dans le cadre de l'action publique. Et j'ai des critiques à émettre sur le sujet qui nous préoccupe, en particulier sur la manière dont l'approche universelle qui fonde notre République est transmise à l'Université. Notre République a été émancipatrice pour les juifs français et un lien particulier s'est noué entre la République et le judaïsme français, qui se sont nourris et enrichis l'un l'autre. Aujourd'hui, cette exception française est parfois malmenée à l'Université, au nom d'un relativisme venu d'outre-Atlantique dans des allers-retours dont la complexité m'échappe. On peut le dire sans attaquer pour autant l'autonomie des universités.

Madame la ministre, vos propos ont été très forts et je vous en remercie. Ils auraient sans doute pu être plus précoces, mais ils sont au rendez-vous aujourd'hui.

J'en viens à mes questions. Au cours des auditions auxquelles j'ai pu assister, ce qui m'a le plus marqué a été d'entendre des étudiants juifs dire qu'ils avaient peur d'aller à l'université. Le rôle premier de la République et du Gouvernement est de protéger nos compatriotes, parmi lesquels nos jeunes compatriotes et étudiants, éventuellement de confession juive. J'ai aussi été effrayé par l'idée que, puisque certains ne pourront plus aller à l'université, ils iront dans l'enseignement supérieur privé. Qu'allez-vous faire, madame la ministre, pour que l'enseignement supérieur ne connaisse pas la gangrène insupportable qui touche l'enseignement secondaire et pousse nombre d'élèves de confession juive à choisir l'enseignement privé ?

Enfin, combien de sanctions disciplinaires ont été prises ? De quelle nature sont-elles ? Le 7 octobre a eu lieu il y a huit mois ! A-t-on encore affaire à des procédures sans fin, qui nous poussent à nous demander si la sanction finira par tomber un jour ?

M. Laurent Lafon, président. - Dans le cas de Sciences Po, l'administrateur provisoire a évoqué dix-sept sanctions administratives et j'ai l'impression que ce chiffre est le même que celui que vous avez donné pour l'ensemble des universités ; pourriez-vous préciser ?

Mme Sylvie Retailleau, ministre. - Ce chiffre ne concerne pas que Sciences Po Paris : au niveau national, dix-sept enquêtes ont été lancées et ont été suivies de la saisine des commissions disciplinaires. Ces enquêtes permettent de réunir des preuves et de qualifier des actes tels que celui qui a consisté à empêcher une jeune fille de rentrer dans l'amphithéâtre de Sciences Po Paris. Je précise d'ailleurs que j'ai été la première - sans caméra, certes - à me rendre sur place le jour même, car il est hors de question d'interdire à une étudiante d'accéder à un amphithéâtre, quelle que soit la raison invoquée. Je n'ai pas rencontré immédiatement de personnes pouvant témoigner qu'ils avaient entendu des propos antisémites ou l'insulte « sioniste » qui aurait été proférée à l'encontre de l'intéressée, d'où l'enquête qui a permis de qualifier les faits et d'identifier des témoins, avant de saisir la commission disciplinaire. Il importe de bien différencier ces étapes, l'objectivation des preuves étant essentielle à la justice.

À la suite de cette enquête, l'administrateur de Sciences Po Paris a donc saisi la commission disciplinaire pour huit étudiants qui ont été identifiés comme ayant tenu des propos de nature à être soumis à cette instance. Dès le lendemain de cet événement intolérable, j'ai moi-même déposé auprès de la justice un dossier sur la base de l'article 40 du code de procédure pénale, afin de montrer notre refus de ce genre d'actes. En résumé, Sciences Po Paris a mené cette enquête et étoffé un dossier qui a donné lieu à une double procédure, judiciaire et disciplinaire.

Si les délais peuvent paraître longs, monsieur Brisson, je rappelle que les commissions disciplinaires des universités traitent en premier lieu les dossiers de fraudes. Depuis l'évolution intervenue en 2020, elles prennent en charge d'autres types de dossiers tels que ceux que nous connaissons actuellement. Il n'existe pas pour l'instant de résultats en termes de sanctions, mais les enquêtes ont permis de réunir des preuves et de consigner des faits qui pourront ensuite déboucher sur une décision de la commission disciplinaire ou un jugement. Certes, il faudra s'assurer que ces dossiers avancent, d'où le déploiement de la plateforme qui a vocation à cadrer le délai moyen de traitement, en fonction d'une typologie d'enquêtes et de commissions disciplinaires. Je vous rejoins sur la nécessité d'accélérer le traitement de certaines affaires, y compris en engageant une professionnalisation des commissions disciplinaires. Je peux vous assurer que nous suivons l'avancement de ces dossiers, dont le traitement prend effectivement un certain temps.

En outre, je partage une série de vos constats, à commencer par le fait que le climat de peur est inacceptable. Cependant, lutter contre un climat n'a rien d'évident et le sujet est difficile à traiter dans l'ensemble de la société, l'Université n'étant qu'un reflet de cette dernière, avec ses points forts et avec ses faiblesses. Je me félicite que votre commission se soit emparée du sujet, car notre « communauté » - terme qu'il faudrait peut-être ne pas employer - a des difficultés à appréhender et à combattre ce climat, tout comme à adopter les mesures concrètes qui permettront à nos étudiants de venir travailler dans un environnement serein. Il s'agit d'un combat collectif qui doit nous réunir, afin de tester et d'appliquer différentes propositions.

Par ailleurs, je n'oppose pas l'Université publique aux établissements privés : je souhaite que les étudiants disposent d'un véritable choix et ne sélectionnent pas tel établissement comme un pis-aller. Je veux agir à plusieurs niveaux : en lien avec la ministre du travail, j'entends avancer sur les modalités de reconnaissance de la qualité d'une formation, qu'elle soit privée ou publique. Parmi ces éléments, la solidité de la gouvernance devra être prise en compte, car la présence de référents, de procédures, de commissions et de professionnels en charge de ces problématiques est une garantie de confiance pour les étudiants. Les circulaires et formations que nous mettons en place devront permettre à tous nos étudiants, quelle que soit leur religion, de venir travailler et se former dans nos universités plus sereinement.

À cet égard, la parole des présidents d'universités importe : ces derniers ont été violemment attaqués, non pas par votre commission, mais au travers d'instrumentalisations venant de tous les côtés ; ils ont été également exposés à une forte pression du fait de la gravité des événements, car tous attendaient une forte réaction de leur part, alors qu'ils doivent prendre des décisions difficiles.

Je me bats afin que l'Université défende un discours d'équilibre, de nuance et d'objectivation. La construction de ce discours nécessite du temps, au-delà de la réaction immédiate à des faits. De surcroît, la réaction des présidents d'universités a été proportionnelle à l'intensité des attaques subies par certains d'entre eux, comme cela a été le cas à l'université de Lille.

M. Laurent Lafon, président. - Merci pour ces réponses, madame la ministre, sur ce sujet profondément républicain sur lequel vous êtes pleinement investie et mobilisée.

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