C. DEMANDE D'ADHÉSION DU KOSOVO AU CONSEIL DE L'EUROPE
1. L'intervention de M. Alain Milon
Monsieur le Président, merci.
Mes chers collègues,
Je voudrais tout d'abord remercier nos trois collègues rapporteures pour leurs rapports et pour leurs avis qui éclairent notre important débat d'aujourd'hui.
Ce n'est en effet pas tous les jours que notre Assemblée est saisie d'une demande d'avis en vue d'une éventuelle adhésion au Conseil de l'Europe. Notre vote présente donc une importance toute particulière, même si c'est bien au Comité des Ministres que reviendra la décision finale.
Nous mesurons tous combien l'examen de la demande d'adhésion du Kosovo est singulier, dans la mesure où il n'est pas reconnu par plusieurs États membres de notre Organisation. La résolution de Mme Dora BAKOYANNIS souligne à cet égard que son éventuelle adhésion ne préjuge pas de la position des États membres à l'égard du statut d'État du Kosovo. C'est un point qui est évidemment fondamental.
Son rapport souligne également l'ampleur des démarches que le Kosovo devra accomplir. Il évoque en particulier trois questions clés : la création de l'association des municipalités à majorité serbe du Kosovo, la mise en oeuvre de l'arrêt de la Cour constitutionnelle sur le monastère de Deèani et le respect des garanties juridiques élémentaires en matière d'expropriation.
J'observe avec satisfaction que la pression mise par l'APCE au travers de ce processus fait bouger les lignes. Le Gouvernement du Kosovo a en effet annoncé qu'il reconnaissait les droits de propriété du monastère orthodoxe de Deèani sur 24 hectares de terres l'entourant, soldant ainsi une dispute vieille de plus de vingt ans, pour permettre l'entrée au Conseil de l'Europe.
De même, un référendum sera organisé le 21 avril en vue de la révocation des quatre maires albanais élus l'an dernier dans des villes à majorité serbe du nord du Kosovo. C'est un élément important sur la voie de la désescalade des tensions avec la Serbie.
Les relations entre la Serbie et le Kosovo sont évidemment au centre de nos préoccupations et nous voulons éviter toute dégradation de la question sécuritaire du nord du Kosovo, mais également dans l'ensemble des Balkans occidentaux.
C'est la raison pour laquelle il est essentiel que le Kosovo tienne les engagements pris par la Présidente, le Premier ministre et le Président du Parlement. La création de l'association des municipalités à majorité serbe du Kosovo et le respect des garanties juridiques élémentaires en matière d'expropriation restent des sujets très sensibles sur lesquels nous attendons des évolutions. Je pense que des premiers pas pourraient être enclenchés dès avant l'examen de la demande par le Comité des Ministres. Ce serait un signal fort et apprécié.
Je veux également souligner l'enjeu que représentent les droits des minorités. L'adhésion du Kosovo sera à cet égard, selon moi, un point positif pour l'ensemble de la population du Kosovo, qui pourra faire valoir ses droits devant la Cour européenne des droits de l'homme. C'est pour cela que je voterai l'ensemble de ce qui nous est proposé.
2. Intervention de M. François Bonneau
Monsieur le Président,
Mes chers collègues,
Certains débats présentent une importance particulière. C'est à l'évidence le cas aujourd'hui, alors que nous examinons la demande d'adhésion du Kosovo, qui présente la particularité de ne pas être reconnu par l'ensemble des États membres du Conseil de l'Europe. D'où l'importance de souligner, pour évacuer cette difficulté, que l'éventuelle adhésion ne préjuge pas de la position de chacun des États membres à l'égard du statut d'État du Kosovo.
La particularité de la demande tient également à l'histoire troublée des Balkans occidentaux, meurtris par de terribles guerres lors de l'éclatement de l'ex-Yougoslavie. On ne peut donc qu'être très attentif, en responsabilité, aux équilibres à l'oeuvre dans les Balkans, à cette histoire douloureuse et au respect des droits des minorités, qu'elles soient serbes, albanaises, bosniaques ou encore croates, selon les pays considérés. La stabilité des Balkans occidentaux est un enjeu majeur, alors que nous savons pertinemment que certains États sont travaillés de l'intérieur par des puissances extérieures.
Mme Dora BAKOYANNIS relève que l'adhésion du Kosovo produirait plusieurs effets positifs en consolidant le processus d'intégration européenne du Kosovo, en garantissant l'accès à la Cour européenne des droits de l'homme à l'ensemble des personnes relevant de la juridiction du Kosovo, y compris bien sûr la minorité serbe, et en permettant au Conseil de l'Europe d'assurer un suivi plus complet de l'évolution des situations nationales et de déployer tous ses instruments.
Si un accord a pu être trouvé récemment concernant le monastère de Deèani, deux points restent problématiques, comme cela a été abordé. C'est, d'une part, la création de l'association des municipalités à majorité serbe du Kosovo, engagement de longue date du Gouvernement kosovar dans le cadre du dialogue facilité par l'Union européenne. C'est, d'autre part, le respect des garanties juridiques élémentaires en matière d'expropriation.
Nous sommes conscients des équilibres délicats de la proposition présentée par notre collègue, mais aussi de notre rôle. Nous allons rendre un avis et il reviendra au Comité des Ministres de valider, ou non, la demande d'adhésion.
Les autorités du Kosovo ont adressé à la rapporteure une liste d'engagements précis, en indiquant en particulier que toute législation future sur les expropriations serait pleinement conforme au Plan Ahtisaari, notamment en ce qui concerne la protection des biens de l'Église orthodoxe serbe et que le projet de loi sur l'expropriation des biens immobiliers soumis à l'Assemblée du Kosovo serait modifié en conséquence le plus tôt possible. Elles s'engagent également à prendre des mesures importantes et concrètes afin de mettre en oeuvre tous les articles de l'Accord de Bruxelles et de l'Accord d'Ohrid, ce qui inclut l'établissement de l'association des municipalités à majorité serbe dès que possible. La Vice-Première ministre du Kosovo nous a confirmé ce matin la pleine détermination des autorités à mettre pleinement en oeuvre les engagements pris en ce domaine.
Si ce « dès que possible » pouvait comprendre des mesures concrètes avant la prochaine réunion du Comité des Ministres, il nous semble qu'un signal important et bienvenu lui serait adressé.
3. L'intervention de M. Bertrand Bouyx, en tant que président de la commission des questions politiques et de la démocratie
Merci, Monsieur le Président.
Mesdames et Messieurs,
L'adoption par la commission des questions politiques de l'APCE le 27 mars du projet d'avis recommandant l'adhésion du Kosovo au Conseil de l'Europe, présenté par Mme Dora BAKOYANNIS, est logiquement suivie par une discussion dudit avis en Assemblée plénière. Si l'avis est également adopté, la décision finale reviendra au Comité des Ministres du Conseil de l'Europe qui se réunira en mai prochain et qui décidera ou non de mettre cette question à l'ordre du jour. Voilà la marche à suivre.
D'emblée, trois obstacles sont apparus entre le Kosovo et son adhésion à notre institution.
Tout d'abord, le respect par le Kosovo des décisions de sa propre Cour constitutionnelle avec, en point d'orgue, la décision concernant le monastère de Deèani. En effet, un contentieux foncier mettait face à face le monastère et les autorités kosovares. La Cour constitutionnelle a donné raison au monastère mais les autorités ont tardé à appliquer la décision. Cette décision est désormais appliquée. Le Gouvernement du Kosovo a annoncé le 13 mars 2024 qu'il reconnaissait les droits de propriété du monastère orthodoxe de Deèani sur 24 hectares de terres l'entourant. C'est un bon exemple qui montre que l'adhésion au Conseil de l'Europe entraîne des progrès substantiels en matière d'État de droit.
Ensuite, la loi sur les expropriations, qui doit être pleinement conforme à la Constitution et aux normes juridiques du Kosovo et communiquer au grand public les motifs pour lesquels les expropriations sont nécessaires, avec en toile de fond l'équilibre ethnique, notamment entre Albanais et Serbes.
Enfin, la question des Serbes vivant sur les quatre communes du Nord, autour de Mitrovicë. À la suite du boycott des élections municipales par les Serbes, les quatre communes ont porté à leur tête des maires albanais avec des taux de participation infinitésimale. Après des mois de crise qui ont culminé avec l'attaque armée de Banjska en septembre 2023, de nouvelles élections sont prévues le 21 avril prochain. Nous discuterons de la constitution d'une association des communes à majorité serbe et du premier pas qui pourrait être fait en ce sens.
Évidemment, ce débat est très important et devra prendre en compte les intérêts des représentants serbes, ici présents. Il ne s'agit pas de faire gagner les uns et perdre les autres, mais plutôt de trouver un équilibre permettant d'apaiser les populations de l'ensemble de cette région meurtrie par l'Histoire et leur offrir une perspective européenne.
Le débat est donc ouvert, et j'espère en tant que président de la commission qu'il sera fructueux.
Merci.