B. LE DÉPLACEMENT DU PRÉSIDENT DE LA DÉLÉGATION FRANÇAISE EN SERBIE ET AU KOSOVO DU 1ER AU 4 AVRIL 2024
À la suite de l'adoption par la commission des affaires politiques de l'APCE, le 27 mars 2024, du projet d'avis recommandant l'adhésion du Kosovo au Conseil de l'Europe, présenté par Mme Dora Bakoyannis (Grèce, PPE/DC), et dans la perspective du débat en séance plénière du 16 avril, M. Bertrand Bouyx, président de la délégation française, s'est rendu en Serbie et au Kosovo, du 1er au 4 avril 2024, afin d'y conduire un certain nombre d'entretiens politiques.
À Belgrade, il a rencontré M. Ivica Daèiæ, vice-Premier ministre et ministre des affaires étrangères, puis M. Petar Petkovic, directeur du Bureau du Kosovo, ainsi que des chercheurs et des intellectuels.
La réaction des autorités serbes à la perspective de l'adhésion du Kosovo au Conseil de l'Europe a été virulente. Le ministre des affaires étrangères a qualifié de « honteuse et scandaleuse » l'orientation de la commission des questions politiques et de la démocratie, qui « détruit tous les principes sur lesquels repose le Conseil de l'Europe, en proposant pour la première fois l'admission d'un territoire qui n'est pas membre des Nations Unies et n'est pas reconnu internationalement. Cette décision viole notre intégrité territoriale et notre souveraineté... ». Les autorités ont ajouté qu'il y a « un désir de se précipiter dans la résolution de la question du statut du Kosovo, en raison de certains intérêts géostratégiques qui n'ont pas grand-chose à voir avec Belgrade ou Pristina », sans exclure une réaction plus engageante si le Kosovo était finalement admis. Elles ont fait valoir qu'aucun des engagements conditionnant l'adhésion n'a été respecté par le Kosovo.
M. Bertrand Bouyx leur a rappelé les termes de l'accord d'Ohrid, qui stipule que la Serbie n'empêcherait pas l'accès du Kosovo aux institutions internationales, mais a toutefois souligné que la France était attentive aux respects des contreparties, notamment à la prise en compte des intérêts de la minorité serbe. Il a relevé que M. Didier Marie avait défendu des amendements dans cette optique lors de la réunion de la commission des questions politiques et de la démocratie qui s'était tenue le 27 mars 2024.
Au Kosovo, M. Bertrand Bouyx a eu des entretiens politiques de haut niveau avec Mme Vjosa Osmani, Présidente de la République, M. Albin Kurti, Premier ministre, et M. Glauk Konjufça, président de l'Assemblée nationale. Il a également rencontré les principaux partis d'opposition et les représentants de la minorité serbe, notamment à Graèanica, la principale commune à majorité serbe dans la banlieue de Pristina.
Il a également effectué des visites de terrain au monastère de Deèani, à Mitrovica-Nord et auprès des forces armées de la Kfor, déployées par l'OTAN. La situation entre Serbes et Albanais demeure fortement polarisée.
Les dirigeants kosovars ont évidemment salué le vote de la commission des affaires politiques et de la démocratie de l'APCE. Le Premier ministre a parlé « d'un grand pas en avant pour le Kosovo » et souligné que l'avis « reconnaît que le Kosovo remplit toutes les conditions d'adhésion ». Il a par ailleurs fait le lien avec la situation internationale, notamment en visant la relation russo-serbe : « c'est une bonne nouvelle pour l'Europe, pour la nation albanaise et pour la démocratie, que dans cette période géopolitique et historique, la Fédération de Russie soit dehors et que la République du Kosovo y entre ». La présidente Vjosa Osmani a quant à elle déclaré : « Nous continuerons à travailler avec nos alliés pour garantir que tous nos citoyens bénéficient d'un accès légitime aux instruments du Conseil de l'Europe grâce à l'adhésion à part entière du Kosovo ».
Les pré-rapports faisaient état de trois conditions préalables à l'adhésion. Ceux-ci ont été assouplis dans le rapport présenté par Mme Dora Bakoyannis, sur lequel les membres de l'APCE doivent se prononcer :
- le respect par le Kosovo du respect des décisions de sa propre Cour constitutionnelle, avec en point d'orgue la décision concernant le monastère de Deèani. En effet, un contentieux foncier mettait face à face le monastère et les autorités kosovares. Ce monastère est un lieu de culte particulièrement sensible car il est considéré par les Serbes comme le lieu de fondation de leur église orthodoxe autocéphale. La Cour constitutionnelle a donné raison au monastère mais les autorités du Kosovo ont refusé d'appliquer la décision. Sous la pression internationale et dans la perspective de l'adhésion au Conseil de l'Europe, le gouvernement du Kosovo a annoncé, le 13 mars 2024, qu'il reconnaissait les droits de propriété du monastère orthodoxe de Deèani sur 24 hectares de terres l'entourant ;
- la loi sur les expropriations, qui doit être pleinement conforme à la Constitution et aux normes juridiques du Kosovo, les motifs pour lesquels les expropriations sont nécessaires devant être communiqués au grand public, avec en toile de fond l'équilibre ethnique, notamment entre Albanais et Serbes ;
- enfin, la question des Serbes (environ 50 000 personnes) vivant sur les quatre communes du Nord, autour de Mitrovica. À la suite du boycott des élections municipales par les Serbes, les quatre communes ont porté à leur tête des maires albanais, avec des taux de participation particulièrement faibles. Après des mois de crise, qui ont culminé avec l'attaque armée de Banska en septembre 2023, de nouvelles élections sont prévues le 21 avril 2024. Le rapport de Mme Bakoyannis, dans sa version initiale, conditionnait l'adhésion à la constitution d'une association des communes à majorité serbe (ASMM), condition adoucie mais toujours refusée par les autorités kosovares.
Le « quint », formation composée des ambassadeurs français, américain, allemand, britannique et italien, a proposé aux autorités kosovares, a minima, de soumettre à la Cour constitutionnelle le projet d'association préparé par l'Union européenne. M. Albin Kurti refuse tout mouvement dans ce sens, alors que son Gouvernement a déjà le plus grand mal à établir son autorité dans le Nord ; qui reste organiquement lié à la Serbie dans toutes les actions de la vie quotidienne.
Sur les 46 États membres du Conseil de l'Europe, 34 reconnaissent le Kosovo, tandis que 12 États membres ne le reconnaissent pas. C'est la raison pour laquelle un débat sera vraisemblablement engagé sur l'adhésion du Kosovo en tant qu'État ou en tant que pays, le Statut du Conseil de l'Europe évoquant les deux termes mais réservant, dans son article 4, le statut de membre à un État.
À la suite de l'adoption en commission, la discussion a été inscrite en assemblée plénière le mardi 16 avril, l'avis proposé par la rapporteure étant adopté à une très vaste majorité (cf. infra).
La décision finale revient néanmoins au Comité des ministres du Conseil de l'Europe. Réuni les 16 et 17 mai 2024 au niveau ministériel, il a décidé de ne pas inscrire à ce stade cette question à l'ordre du jour.