D. LA SOUVERAINETÉ ÉNERGÉTIQUE À NOUVEAU PRÉGNANTE DEPUIS LE LANCEMENT DE LA GUERRE RUSSE EN UKRAINE

1. Du plan « REPowerEU » aux sanctions économiques européennes

Lors de la réunion informelle des chefs d'État ou de Gouvernement à Versailles, les 10 et 11 mars 2022103(*), et à l'issue du Conseil européen à Bruxelles, les 24 et 25 mars 2022104(*), a été convenu le principe pour l'Union européenne de se défaire progressivement de sa « dépendance aux importations de gaz, de pétrole et de charbon russes, et ce dès que possible ».

Comme évoqué plus haut, le 8 mars 2022, la Commission européenne a présenté l'action conjointe REPowerEU selon laquelle « la dépendance aux combustibles fossiles issus de Russie peut être progressivement éliminée bien avant 2030 »105(*). Le 8 mai 2022, elle a dévoilé le plan REPowerEU qui « vise à réduire dès que possible notre dépendance à l'égard des combustibles fossiles russes »106(*).

Treize paquets de sanctions européennes ont été adoptés à l'encontre de la Russie107(*). 1 706 personnes et 419 entités ont été concernées. 21,5 Mds€ d'avoirs et 300 Mds€ d'actifs ont été gelés. 48 Mds€ d'exportations et 91,2 Mds€ d'importations ont été placés sous sanctions108(*).

S'agissant du secteur de l'énergie, plusieurs mesures109(*) ont été prises :

- l'interdiction de l'importation du pétrole brut et des produits pétroliers raffinés transportés par voie maritime110(*) ;

- l'interdiction de l'importation du charbon ;

- l'interdiction de l'importation du gaz de pétrole liquéfié (GPL) ;

- le plafonnement des prix du pétrole brut importé par voie maritime, à 60 $ le baril, des produits pétroliers négociés avec une décote, à 45 $ le baril, et des produits pétroliers avec une prime, à 100 $ le baril ;

- l'interdiction de nouveaux investissements énergétiques, sauf exception pour l'énergie nucléaire ou le transport énergétique, de nouveaux investissements miniers, sauf exception pour certaines matières premières, d'exportation de certaines technologies de raffinage et de réservation des capacités de stockage de gaz.

Au total, ces mesures ont pour effet de réduire en totalité les importations de charbon et autour de 90 % celles de pétrole. Cela représente pour la Russie un manque à gagner de 8 Mds€ par an pour le charbon111(*),112(*).

Le graphique ci-après113(*), synthétise les sanctions économiques prises par l'UE à l'encontre de la Russie en matière d'énergie.

2. Les évolutions législatives nationales pour garantir la sécurité et la souveraineté énergétiques

En France, plusieurs dispositions législatives ont été prises pour renforcer la sécurité et la souveraineté énergétiques.

D'une part, la loi « Pouvoir d'achat », du 22 août 2022114(*), a prévu, en cas de menace sur la sécurité d'approvisionnement, des dispositions permettant d'imposer une trajectoire de remplissage des infrastructures de stockage gazier (article L. 421-7-2 du code de l'énergie), de restreindre, suspendre ou réquisitionner les installations de production d'électricité utilisant du gaz naturel (article L. 143-6-1 du même code), d'autoriser un terminal méthanier flottant pour une durée d'exploitation n'excédant pas 5 ans (articles 29 et 30 de cette loi), de mettre à disposition les capacités d'effacement ou les installations de stockage disponibles (articles L. 321-17-1 et L. 321-17-2 du même code). Dans le même temps, cette loi a facilité l'interruption de fourniture de gaz pour les consommateurs industriels et prohibé l'interruption de la fourniture d'électricité115(*) pour les consommateurs particuliers (articles L. 431-6-2 du code de l'énergie et L. 115-3 du code de l'action sociale et des familles).

D'autre part, la loi « EDF », du 11 avril 2024116(*), a fait de ce groupe une société anonyme d'intérêt national détenue à 100 % par l'État, contre à plus de 70 % par le passé (article L. 111-67 du code de l'énergie). Auparavant, la loi de finances rectificative pour 2022, du 16 août 2022117(*), a autorisé à mobiliser 12 Mds€ pour porter le capital de l'État de 84 à 100 % ; dans le même ordre d'idées, la loi « Pouvoir d'achat », du 22 août 2022118(*), a permis de mieux encadrer le dispositif de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh), en abaissant son plafond de 150 à 120 TWh et en relevant son prix de 42 à 49,5 €119(*) par MWh (articles L. 336-2 et L. 337-16 du code de l'énergie).

Enfin, dans le cadre des textes financiers, le Gouvernement a institué un « bouclier tarifaire » à l'intention des consommateurs d'électricité et de gaz. Plusieurs mesures ont été prises : boucliers individuel et collectif pour l'électricité et le gaz, mécanismes d'amortisseur et de suramortisseur, aides complémentaires aux très petites entreprises (TPE)... Son coût s'est élevé à 36,8 Mds€ de 2021 à 2024, dont 2,9 Mds€ pour 2024120(*).

3. Des mesures nationales et européennes encore insuffisantes pour prévenir les risques de dépendance et d'émission

Les mesures prises, aux échelons européen et national, ont permis de réduire la dépendance des économies européennes, dont celle de la France, aux importations d'hydrocarbures russes.

Ce progrès a été relevé par Bruno Le Maire, ministre de l'économie, devant la commission d'enquête : « Le gaz russe représente encore 15 % des importations de gaz naturel de l'Union européenne, soit sous forme de GNL - pour 7 % -, soit par le biais de gazoducs à travers l'Ukraine et la mer - pour un peu plus de 9 %. L'objectif est de sortir de cette dépendance, déjà fortement réduite, d'ici 2027. »

Pour autant, un risque de dépendance et d'émission demeure. D'une part, si la Russie ne représente plus que 6,1 % du GNL et 8,7 % du gaz par gazoduc importés dans l'Union européenne, 19,40 % du gaz est issu des États-Unis, 14,10 % d'Afrique du Nord et 5,30 % du Qatar121(*). D'autre part, le GNL est émetteur de GES.

Devant la commission d'enquête, le professeur Jean-Marc Jancovici a rappelé l'importance de ces émissions : « Le GNL américain n'est particulièrement pas bas-carbone en raison des émissions fugitives aux États-Unis associées à l'extraction et au transport du gaz. L'Energy Institute, ancien BP Statistical Review a publié des statistiques qui m'ont éberlué. Les émissions fugitives et de process liées au gaz représenteraient 4 milliards de tonnes équivalent CO2 par an dans le monde. C'est absolument considérable. Si on impute au gaz ces émissions-là, globalement, par unité d'énergie, il se situe au-dessus du pétrole, si ces chiffres sont exacts bien entendu ».

Pour autant, Louis Gallois, président de la Fabrique de l'Industrie, a estimé que le GNL peut être utile pour le secteur maritime : « Je ne suis pas un technicien, et je n'ai pas vérifié moi-même si le GNL était meilleur ou pire que le pétrole. Mais je lis que certains spécialistes s'interrogent sur cette question. Je lis également que des fuites sont constatées pour le gaz de schiste, sur les puits, au moment de la liquéfaction et au moment de la regazéification. Il existe une question, à laquelle je n'ai pas la réponse. Je suppose toutefois que le GNL est préférable au mazout lourd des bateaux, et qu'à ce titre il présente un intérêt. Je ne veux donc pas condamner le GNL. » Au reste, Rodolphe Saadé, président-directeur général (P-DG) de CMA-CGM, a évoqué l'intérêt de l'utilisation du GNL dans la stratégie de décarbonation de sa propre compagnie : « Le GNL n'est pas une solution définitive, ne réglera pas la question, mais il permet tout de même de réduire nos émissions de CO2 de 15 à 20 % - c'est un bon début ! »


* 103 La déclaration est consultable ici.

* 104 Les conclusions sont consultables ici.

* 105 L'action conjointe est consultable ici.

* 106 La communication est consultable ici.

* 107 Le chiffrage est issu de la Commission européenne et consultable ici.

* 108 Les chiffrages sont issus du Conseil et consultables ici.

* 109 Les mesures sont issues du Conseil et de la Commission européenne et consultables ici et ici.

* 110 Et par oléoduc pour l'Allemagne et la Pologne.

* 111 De plus, les exportations de pétrole brut et de produits raffinés vers l'Europe représentaient 71 Mds€ pour la Russie en 2021.

* 112 Les chiffrages sont issus de la Commission européenne et consultables ici.

* 113 Le graphique est issu du Conseil et consultable ici.

* 114 Loi n° 2022-1158 du 16 août 2022 portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat (articles 23, 24, 26, 29, 30, 33, 34 et 36).

* 115 Non précédée d'une réduction de puissance ne pouvant être inférieure à 1 mois.

* 116 Loi n° 2024-330 du 11 avril 2024 visant à protéger le groupe Électricité de France d'un démembrement (article 1er).

* 117 Loi n° 2022-1157 du 16 août 2022 de finances rectificative pour 2022.

* 118 Loi n° 2022-1158 du 16 août 2022 portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat (articles 39 et 40).

* 119 Sous réserve de la notification de la Commission européenne.

* 120 Direction générale de l'énergie et du climat (DGEC).

* 121 Les chiffrages sont issus du Conseil et consultables ici.

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