C. LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE DÉSORMAIS CONFRONTÉE AU DÉFI DE SON APPLICATION ET DE SON ACCEPTATION SOCIALE

Tout comme l'UE, la France a adapté sa législation pour décarboner son économie mais la transition énergétique demeure confrontée au défi de son acceptation sociale et aux difficultés matérielles de son application.

1. Les objectifs énergétiques nationaux fixés par le code de l'énergie

Les objectifs énergétiques nationaux, de nature législative, inscrits dans le code de l'énergie83(*) poursuivent la décarbonation de l'économie.

La loi « Energie-Climat », du 8 novembre 201984(*), a actualisé les objectifs figurant à l'article L. 100-4 de ce code notamment :

- en introduisant l'objectif de « neutralité carbone » à l'horizon 2050, et en prévoyant une division par un facteur supérieur à 6 des émissions de GES entre 1990 et 2050, contre un facteur 4 auparavant (1°) ;

- en ajoutant aux objectifs de réduction de la consommation énergétique finale de 20 % d'ici 2030 et 50 % d'ici 2050 un jalon de 7 % dès 2023 (2°) ;

- en relevant de 30 à 40 % d'ici 2030 l'objectif de réduction de la consommation énergétique primaire des énergies fossiles (3°) ;

- en relevant de 22 à 33 % au moins d'ici 2030 la part des énergies renouvelables dans la consommation finale brute d'énergie, cette part étant d'au moins 40 % pour la production d'électricité, 38 % pour la consommation finale de chaleur, 15 % pour la consommation finale de carburant et 10 % pour la consommation de gaz (4°) ;

- en introduisant un objectif d'1 gigawatt par an d'éolien en mer attribué par appels d'offres d'ici 2024 (4° ter) ;

- en introduisant un objectif de 20 à 40 % d'hydrogène renouvelable ou bas-carbone dans les consommations industrielle et totale d'hydrogène d'ici 2030 (10°).

C'est la commission des affaires économiques du Sénat qui a introduit la référence à l'Accord de Paris, de 2015, et l'objectif en matière d'éolien en mer ; elle a également consolidé les objectifs proposés en matière d'énergies renouvelables et d'hydrogène renouvelable ou bas-carbone.

2. Les objectifs énergétiques nationaux prévus par la programmation nationale de l'énergie (PPE) et la stratégie nationale bas-carbone (SNBC)

Ces objectifs énergétiques législatifs sont complétés par des objectifs réglementaires fixés par la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) et la stratégie nationale bas-carbone (SNBC).

Prévue à l'article L. 141-1 du code de l'énergie, la PPE définit, sur deux périodes de cinq ans, les modalités d'action des pouvoirs publics pour la gestion de l'ensemble des formes d'énergie sur le territoire métropolitain continental.

Mentionnée à l'article L. 222-1 B du code de l'environnement, la SNBC définit, sur trois périodes de cinq ans, la marche à suivre pour conduire la politique d'atténuation des émissions de GES dans des conditions soutenables sur le plan économique à moyen et long termes.

Un décret du 21 avril 202085(*) est venu fixer l'actuelle PPE.

Elle a prévu des objectifs de réduction de la consommation finale d'énergie de 16,5 % d'ici 2028 et de réduction de la consommation d'énergie primaire fossile de 22 % pour le gaz naturel, 34 % pour le pétrole et 80 % pour le charbon (article 2).

À l'inverse, elle a prévu des objectifs de développement des énergies renouvelables d'ici 2028 avec :

- entre 157 et 169 TWh de chaleur et de froid produits à partir de la biomasse (article 4) ;

- entre 24 et 32 TWh de biogaz (article 5) ;

- 2,8 % de biocarburants avancés pour la filière gazole et 3,8 % pour la filière essence (article 7).

Un décret du 21 avril 202086(*) a, quant à lui, fixé l'actuelle SNBC.

Les budgets carbone87(*) ont été institués à 422 MtCO2eq, de 2019 à 2023, 359, de 2024 à 2028, et 300, de 2029 à 2033, contre 458 en 2015 (articles 2 et 3).

Ces budgets carbone ont été fixés à (article 4) :

- 128, 112 et 94 MtCO2eq pour les transports ;

- 78, 60 et 43 MtCO2eq pour le bâtiment ;

- 72, 62 et 51 MtCO2eq pour l'industrie ;

- 48, 35 et 30 MtCO2eq pour l'énergie.

3. L'encadrement des installations de production d'électricité à partir d'énergies fossiles

Au-delà des objectifs énergétiques, législatifs et réglementaires, les installations de production d'électricité à partir d'énergies fossiles sont encadrées.

La loi « Énergie-Climat », du 8 novembre 201988(*), a prévu qu'un plafond d'émission vienne, à compter du 1er janvier 2022, réguler les installations de production d'électricité à partir de combustibles fossiles émettant plus de 0,55 tCO2eq/MWh (article L. 311-5-3 du code de l'énergie).

L'enjeu était alors d'arrêter de recourir aux quatre dernières centrales à charbon pour la production d'électricité d'ici 2022.

Une habilitation à légiférer par ordonnance a été prévue par la loi précitée, afin de tirer les conséquences, sur le plan du droit social, de cet arrêt.

Sur ce fondement a été prise l'ordonnance n° 2020-921 du 29 juillet 2020 portant diverses mesures d'accompagnement des salariés dans le cadre de la fermeture des centrales à charbon. Un projet de loi de ratification n° 680 (2021-2022) a été déposé au Sénat le 15 juin 2022.

Cependant, le décret d'application initial, du 5 février 202289(*), a été modifié à deux reprises90(*),91(*) de sorte que cet arrêt n'est pas pleinement intervenu.

De plus, la loi « Pouvoir d'achat », du 22 août 202292(*), a consacré la possibilité de rehausser par décret le plafond d'émissions précité, en cas de menace sur la sécurité d'approvisionnement, et a tiré les conséquences d'une reprise temporaire d'activité pour ces installations, sur le plan du droit social.

Par ailleurs, la PPE interdit la délivrance de nouvelles autorisations aux installations de production d'électricité à partir de combustibles fossiles situées sur le territoire métropolitain continental dont la puissance est supérieure à un seuil : l'article R. 311-2 du code de l'énergie a prévu un seuil de 20 mégawatts (MW) pour le gaz naturel et 10 MW pour les autres combustibles.

4. L'arrêt progressif de l'exploration et de l'exploitation d'hydrocarbures sur l'ensemble du territoire national

Si la production d'électricité à partir d'énergies fossiles est donc encadrée, l'exploration et l'exploitation d'hydrocarbures doivent être arrêtées progressivement sur l'ensemble du territoire national.

D'une part, la loi « Fracturation hydraulique », du 13 juillet 201193(*), a permis de prohiber l'exploration et l'exploitation des mines d'hydrocarbures liquides ou gazeux par des forages suivis de fracturation hydraulique de la roche.

D'autre part, la loi « Hydrocarbures », du 30 décembre 201794(*) a permis d'interdire l'attribution de nouveaux permis de recherche ou de nouvelles concessions d'énergies fossiles95(*), de prévoir l'extinction des concessions existantes après 204096(*) et de conforter l'interdiction précitée de l'exploration et de l'exploitation concernant la fracturation hydraulique.

La réforme du code minier, conduite dans le cadre de la loi « Climat et résilience », du 22 août 2021, a maintenu ces interdictions ; dans le cadre de l'habilitation à légiférer par ordonnance, prévue à l'article 81 de cette loi, la commission des affaires économiques du Sénat a souhaité exclure expressément la Terre Adélie de l'application de la réforme, les activités minières ne devant pas s'y développer en application du protocole relatif à la protection de l'environnement dans l'Antarctique signé à Madrid le 4 octobre 1991, au traité sur l'Antarctique conclu à Washington le 1er décembre 1959.

Au total, 5 ordonnances ont été publiées en application de l'habilitation à légiférer par ordonnance susmentionnée :

- l'ordonnance n° 2022-534 du 13 avril 2022 relative à l'autorisation environnementale des travaux miniers ;

- l'ordonnance n° 2022-535 du 13 avril 2022 relative au dispositif d'indemnisation et de réparation des dommages miniers ;

- l'ordonnance n° 2022-536 du 13 avril 2022 modifiant le modèle minier et les régimes légaux relevant du code minier ;

- l'ordonnance n° 2022-537 du 13 avril 2022 relative à l'adaptation outre-mer du code minier ;

- l'ordonnance n° 2022-1423 du 10 novembre 2022 portant diverses dispositions relatives au code minier.

Un projet de loi ratifiant les quatre premières ordonnances a été déposé au Sénat le 20 avril 2022. De plus, un projet de loi ratifiant la dernière ordonnance a été déposé au Sénat le 4 janvier 2023.

5. Une loi quinquennale sur l'énergie toujours en suspens

La nouvelle programmation énergétique est encore attendue, à commencer par la loi quinquennale sur l'énergie.

Dans le cadre de la loi « Énergie-Climat »97(*), les commissions des affaires économiques du Sénat et de l'Assemblée nationale, avec l'appui du Gouvernement, ont prévu qu'une loi quinquennale sur l'énergie fixe notre prochaine programmation énergétique.

Cette loi a vu son champ être étendu par le Sénat à la rénovation énergétique et à l'autonomie énergétique, dès la loi « Énergie-Climat » de 201998(*), à l'hydroélectricité et à l'hydrogène renouvelable ou bas-carbone, par la loi « Climat et résilience » de 202199(*), ainsi qu'au stockage des énergies renouvelables, par la loi « Accélération des énergies renouvelables » de 2023100(*).

Depuis lors, l'article L. 100-1 A du code de l'énergie dispose qu'une loi « détermine les objectifs et fixe les priorités d'action de la politique énergétique nationale » à compter du 1er juillet 2023 puis tous les cinq ans.

Son champ doit englober au moins cinq domaines : la réduction des émissions de GES, la réduction de la consommation énergétique, le développement et le stockage des énergies renouvelables, la diversification du mix de production d'électricité, la rénovation énergétique des bâtiments et l'autonomie énergétique dans les outre-mer.

Cette loi doit prévaloir sur quatre documents réglementaires : la PPE, la SNBC, le plan national intégré en matière d'énergie et de climat (Pniec) et la stratégie de rénovation de long terme.

Depuis lors, le Gouvernement n'a présenté aucun texte législatif, en application de cet article L. 100-1 A du code de l'énergie.

Pourtant, il a organisé depuis 2021 des ateliers, une concertation publique, une concertation nationale et des groupes de travail101(*). De plus, il a présenté un avant-projet de loi sur la souveraineté énergétique, dont le titre premier, consacré à la programmation énergétique, a été retiré des consultations préalables.

Dans ce contexte, dans sa délibération du 19 janvier 2024, le Conseil national de la transition écologique (CNTE) « demande la présentation d'un calendrier de travail sur l'élaboration de la programmation énergie-climat ». Dans son avis du 25 janvier 2024, le Conseil supérieur de l'énergie (CSE) « regrette la suppression du titre programmatique, qui aurait permis de fixer un cap indispensable à la réussite de la transition énergétique et climatique ».

Dans un courrier au Premier ministre, publié le 2 avril 2024102(*), la présidente du Haut conseil pour le climat (HCC) a indiqué : « Le Haut conseil pour le climat souhaite attirer toute votre attention sur le niveau d'urgence actuel, tant en matière d'atténuation que d'adaptation, qui invite à réaffirmer fermement et sans délai la politique climatique de la France, en adoptant au plus vite les documents de programmation prévus dans la loi de 2019 relative à l'énergie et au climat. Le Haut conseil pour le climat a salué l'articulation et la mise en cohérence des différentes composantes des politiques climatiques présentées par le Secrétariat général à la planification écologique au Conseil national de la transition écologique du 12 juillet 2023, qui faisait écho aux recommandations formulées dans ses rapports. Cependant, à ce jour, le Haut conseil pour le climat constate qu'après plusieurs consultations et débats, ni la loi de programmation énergie et climat, ni la Stratégie française énergie et climat, ni la 3ème Stratégie nationale bas-carbone, ni le 3ème Plan national d'adaptation au changement climatique, ni la 3ème Programmation pluriannuelle de l'énergie n'ont été formellement adoptés, en dépit des obligations législatives. Ces documents sont essentiels afin de guider l'action climatique à long terme. Ces documents doivent en outre fixer le niveau des budgets carbone de la France pour les périodes 2029-2033 et 2034-2038 en cohérence avec l'atteinte de la neutralité carbone en 2050, établir les priorités d'action pour la production et la gestion de l'énergie au-delà de 2028, et fixer les nouveaux plafonds indicatifs d'émissions pour les transports internationaux et l'empreinte carbone de la France. Le Haut conseil pour le climat ne peut que s'inquiéter du risque de recul de l'ambition de la politique climatique induit par les dérives de calendrier de ses instruments les plus structurants. »

Le Premier ministre a annoncé, le 15 mars dernier, le lancement d'une nouvelle consultation sur la PPE et la SNBC. Puis, le ministre chargé de l'énergie a indiqué par voie de presse, le 10 avril dernier, le renoncement du Gouvernement à légiférer sur les objectifs énergétiques nationaux. La difficulté à trouver un chemin parlementaire, entre les soutiens à l'énergie nucléaire et ceux aux énergies renouvelables, de même qu'une volonté globale du Gouvernement de moins légiférer, ont pu être avancées par lui pour justifier ce renoncement.

Pour autant, il s'agit bien là d'un véritable contournement du Parlement, contraire à la loi votée et aux engagements pris. Et un débat manqué sur notre politique énergétique nationale, de même que notre souveraineté et notre transition énergétiques. La guerre en Ukraine remet au premier plan la souveraineté énergétique, le rôle de régulation de l'État et la protection des intérêts stratégiques.


* 83 Articles L. 100-2, L. 100-3 et L. 100-4 du code de l'énergie notamment.

* 84 Loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat (article 1).

* 85 Décret n° 2020-456 du 21 avril 2020 relatif à la programmation pluriannuelle de l'énergie.

* 86 Décret n° 2020-457 du 21 avril 2020 relatif aux budgets carbone nationaux et à la stratégie nationale bas-carbone.

* 87 Hors émissions et absorptions associées à l'usage des terres et à la foresterie.

* 88 Loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat (article 12).

* 89 Décret n° 2022-123 du 5 février 2022 modifiant le plafond d'émission de gaz à effet de serre pour les installations de production d'électricité à partir de combustibles fossiles.

* 90 Décret n° 2022-1233 du 14 septembre 2022 modifiant le plafond d'émission de gaz à effet de serre pour les installations de production d'électricité à partir de combustibles fossiles pris en application de l'article 36 de la loi n° 2022-1158 du 16 août 2022 portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat.

* 91 Décret n° 2023-817 du 23 août 2023 modifiant le plafond d'émission de gaz à effet de serre pour les installations de production d'électricité à partir de combustibles fossiles pris en application de l'article 36 de la loi n° 2022-1158 du 16 août 2022 portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat.

* 92 Loi n° 2022-1158 du 16 août 2022 portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat (articles 32 et 36).

* 93 Loi n° 2011-835 du 13 juillet 2011 visant à interdire l'exploration et l'exploitation des mines d'hydrocarbures liquides ou gazeux par fracturation hydraulique et à abroger les permis exclusifs de recherches comportant des projets ayant recours à cette technique (article 1er).

* 94 Loi n° 2017-1839 du 30 décembre 2017 mettant fin à la recherche ainsi qu'à l'exploitation des hydrocarbures et portant diverses dispositions relatives à l'énergie et à l'environnement.

* 95 L'article L. 111-6 du code minier précise qu'« il est mis fin progressivement à la recherche et à l'exploitation du charbon et de tous les hydrocarbures liquides ou gazeux, quelle que soit la technique employée [...] afin de parvenir à un arrêt définitif de ces activités ». Il pose une exception pour « le gaz de mine » et pour « intégrer [les] hydrocarbures dans un processus industriel dès lors que leur extraction est reconnue comme le préalable indispensable à la valorisation des substances sur lesquelles porte le titre d'exploitation ou qu'elle résulte d'impératifs liés à la maîtrise des risques. »

* 96 Tout en permettant la prolongation des permis de recherche existants.

* 97 Loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat (article 2).

* 98 Loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat (article 2).

* 99 Loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets (articles 87 et 89).

* 100 Loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables (article 89).

* 101 30 000 contributions ont été reçues et 200 jeunes tirés au sort ont été consultés.

* 102 Le courrier du Haut conseil pour le climat (HCC) est consultable ici.

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