D. LE CONSENSUS SUR UNE SORTIE INÉLUCTABLE DES ÉNERGIES FOSSILES RELANCE LE DÉBAT SUR LE RYTHME DE CETTE SORTIE

Les recherches du Giec ont suscité une prise de conscience collective quant à la nécessité d'agir politiquement pour apporter une réponse au réchauffement climatique. En même temps que les premiers travaux du Giec, en dépit des incertitudes existant encore sur l'origine anthropique du réchauffement climatique, s'ouvre une « fenêtre d'opportunité » politique selon l'historien Christophe Bonneuil devant la commission d'enquête : « la conférence internationale du Programme des Nations unies pour l'environnement (Pnue) et de l'Organisation météorologique mondiale (OMM) à Toronto en juin 1988 conclut qu'un engagement ferme de baisser les émissions mondiales de 20 % entre 1990 et 2005 est nécessaire. La France, les Pays-Bas et la Suède lancent également en 1989 la déclaration de La Haye pour la création d'une autorité mondiale de l'atmosphère ayant un pouvoir contraignant sur les États ».

Deux ans après la publication du premier rapport du Giec s'est tenue la Conférence des Nations Unies sur l'environnement et le développement (CNUED), à Rio de Janeiro, au Brésil, du 3 au 14 juin 1992. Elle a été l'occasion d'adopter la convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, dont les conférences des parties (COP) sont devenues le centre des négociations climatiques internationales. Cette convention marque l'appropriation par les responsables politiques des principales conclusions du premier rapport du Giec sur le changement climatique. Les États parties à la convention affirment en particulier que « l'activité humaine a augmenté sensiblement les concentrations de gaz à effet de serre dans l'atmosphère, que cette augmentation renforce l'effet de serre naturel et qu'il en résultera en moyenne un réchauffement supplémentaire de la surface terrestre et de l'atmosphère, ce dont risquent de souffrir les écosystèmes naturels et l'humanité ».

Les États parties soulignent également que les politiques publiques doivent tirer les conséquences de cette situation. En particulier, « les pays développés doivent agir immédiatement et avec souplesse sur la base de priorités clairement définies, ce qui constituera une première étape vers des stratégies d'ensemble aux niveaux mondial, national et éventuellement régional ».

Les parties définissent l'objectif ultime de la convention comme étant de « stabiliser, conformément aux dispositions pertinentes de la Convention, les concentrations de gaz à effet de serre dans l'atmosphère à un niveau qui empêche toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique ».

Depuis le Sommet de Rio de 1992, 28 conférences des parties ont eu lieu. Elles traduisent une mobilisation internationale croissante afin d'atténuer l'ampleur du réchauffement climatique.

La COP 21 organisée à Paris du 30 novembre au 12 décembre 2015 a donné lieu à la signature d'un accord historique par la quasi-totalité des États du monde. Cet accord fixe l'objectif de contenir l'élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels et en poursuivant l'action menée pour limiter l'élévation de la température à 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels. Pour cela les États parties se sont engagés à ce que soit atteint un plafonnement mondial des émissions de gaz à effet de serre dans les meilleurs délais. Chaque pays se fixe des objectifs qu'il revoit tous les cinq ans afin d'atteindre les objectifs définis par le traité. Il rend également compte des émissions de gaz à effet de serre d'origine anthropique sur son territoire.

Les COP ultérieures ont vu se former progressivement un consensus politique mondial sur la nécessité d'une sortie hors des énergies fossiles. Le Pacte de Glasgow pour le Climat, conclu à l'occasion de la COP 26 en 2021, appelle les parties à accélérer « les efforts vers une diminution progressive de la production d'électricité à partir du charbon et de la disparition progressive des subventions inefficaces aux combustibles fossiles »30(*). La France a défendu à cette occasion sans succès la position d'une disparition progressive plutôt que d'une diminution progressive de la production d'électricité à partir de charbon.

La COP 28, qui s'est tenue aux Émirats arabes unis, s'est achevée par la conclusion d'un accord le 13 décembre 2023. Celui-ci montre que la nécessité d'une transition hors des énergies fossiles fait désormais consensus. L'accord reconnaît la nécessité de « transitionner hors des énergies fossiles dans les systèmes énergétiques, d'une manière juste, ordonnée et équitable, en accélérant l'action dans cette décennie cruciale, afin d'atteindre la neutralité carbone en 2050 conformément aux préconisations scientifiques31(*) ».

Le rythme de cette transition hors des énergies fossiles ne fait pas encore l'objet d'un consensus politique mondial. Les États n'ont pas défini de trajectoire contraignante de diminution de la production et de la consommation d'énergie fossile à l'échelle mondiale.

Une évolution de la demande en énergies fossiles en décalage
avec les objectifs des Accords de Paris

Les données du Giec montrent que l'exploitation en totalité des infrastructures d'extraction des énergies fossiles existantes amènerait à dépasser les budgets carbone disponibles pour maintenir le réchauffement climatique à 1,5 °C. Si l'on ajoute à ces infrastructures celles qui sont planifiées, alors les budgets carbone pour maintenir le réchauffement climatique sous les 2 °C seraient quasiment atteints.

L'AIE en conclut qu'aucun nouvel investissement dans la production d'énergies fossiles n'est souhaitable même si elle convient que le désinvestissement doit être progressif notamment pour éviter une hausse trop forte des prix. La consommation de charbon devrait passer d'environ 5 250 millions de tonnes par an en 2020 à 2 500 en 2030 et moins de 600 en 2050. Cela représente une diminution annuelle moyenne de 7 %. La demande de pétrole, passée sous les 90 millions de barils par jour en 2020 tomberait à 72 millions en 2030 et 24 millions en 2050 - soit une diminution annuelle de 4 % en moyenne. Pour le gaz naturel, la consommation annuelle mondiale passerait de 3 900 milliards de mètres cubes en 2020 à 3 700 en 2030 et 1750 en 2050 - la diminution serait de 3 % par an en moyenne.

Dans ses modélisations de la demande réelle d'énergie à venir, l'AIE anticipe un pic de la consommation d'énergies fossiles d'ici 2030, qui n'est suivi d'une baisse d'ampleur que pour le charbon.

Source : AIE, Word Energy Outlook 2023

Pour Patrick Pouyanné, président-directeur général de TotalEnergies, il y a donc une contradiction entre le scénario Net Zéro de l'AIE et ses prévisions, car « la demande de pétrole continue à augmenter, non en raison des pays occidentaux, mais des pays émergents dont la population croît et aspire à un meilleur niveau de vie ».


* 30 « Accelerating efforts towards the phasedown of unabated coal power and phase-out of inefficient fossil fuel subsidies ».

* 31 « Transitioning away from fossil fuels in energy systems, in a just, orderly and equitable manner, accelerating action in this critical decade, so as to achieve net zero by 2050 in keeping with the science ».

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