E. LES MISES EN CAUSE DE TOTALENERGIES DANS LE CADRE DE SES ACTIVITÉS D'EXPLOITATION DANS CERTAINES RÉGIONS DU MONDE

La commission d'enquête a souhaité examiner les conditions dans lesquelles TotalEnergies conduit ses projets d'exploitation des gisements de pétrole et de gaz. Elle a ainsi réalisé plusieurs « focus » géographiques en auditionnant à chaque fois des représentants du groupe, des représentants d'ONG ainsi que plusieurs ambassadeurs de France.

1. L'engagement de TotalEnergies dans les projets Tilenga et EACOP en Ouganda et Tanzanie

Le groupe TotalEnergies est présent en Ouganda et en Tanzanie. Selon les informations communiquées à la commission d'enquête par la compagnie, elle détient en Ouganda une participation majoritaire (56,7 %) dans un projet d'exploitation des ressources pétrolières de trois blocs du bassin sédimentaire du lac Albert. Ses partenaires sont la compagnie chinoise CNOOC (28,3 %) et la compagnie nationale ougandaise Unoc (15 %). Les ressources pétrolières sont estimées à 1 milliard de barils, et la production devrait atteindre un rythme de croisière de 230 000 barils par jour en 2026.

Ce projet comporte plusieurs sites de forage. TotalEnergies opère le projet Tilenga, « avec le forage de 420 puits répartis sur 29 emplacements, dont 132 puits sur 8 emplacements localisés dans le parc national des Murchison Falls ». Le projet Kingfisher est en revanche opéré par CNOOC, avec le forage de 31 puits. Les investissements nécessaires pour mener à bien les deux projets Tilenga et Kingfisher sont estimés à 6 milliards de dollars.

Source : éléments transmis par TotalEnergies à la commission d'enquête

Afin de permettre l'exportation sur les marchés internationaux du pétrole issu des gisements ougandais, une société dédiée EACOP Ltd est chargée de réaliser un oléoduc transfrontalier de l'Ouganda à l'Océan indien via la Tanzanie, dit oléoduc EACOP (East African Crude Oil Pipeline). TotalEnergies est actionnaire majoritaire à 62 % de cette société, en partenariat avec l'Unoc (15 %), la Tanzania Petroleum Development Corporation (TPDC) (15 %) et CNOOC (8 %).

L'oléoduc en projet sera enterré et mesurera 1 443 km, depuis Kabale en Ouganda jusqu'au port de Tanga en Tanzanie. À la suite d'un accord intergouvernemental signé entre l'Ouganda et la Tanzanie en mai 2017, EACOP a signé en 2021 un accord avec chacun des deux États afin de définir les modalités de réalisation du projet dans chaque pays.

Les investissements nécessaires pour mener ce projet sont estimés à 4 milliards de dollars, financés en partie par les fonds propres des entreprises actionnaires et en partie par des financements externes. Selon les informations fournies par TotalEnergies, « de nombreuses banques internationales ont confirmé leur intérêt pour participer à ces financements ».

Selon TotalEnergies, ces projets bénéficieront aux économies locales. Le groupe met en avant que « le projet de développement des ressources du Lac Albert (amont/aval) est un projet d'investissement majeur dans l'histoire de l'Ouganda et de la Tanzanie. Il représente une véritable opportunité de transformation économique et sociale pour ces deux pays. Avec près de 2 milliards de dollars d'investissements attribués à des entreprises locales, ce projet va créer, en phase de construction, près de 80 000 emplois directs et indirects et générer, en phase d'exploitation, des ressources budgétaires très significatives pour les deux pays ».

Le groupe souligne également que les émissions de gaz à effet de serre produites afin d'extraire le pétrole ougandais sont en deçà de la moyenne internationale. Il estime en effet qu'elles seront de 13 kg de CO2 par baril, à comparer avec une moyenne TotalEnergies de 18 kg de CO2 par baril et une moyenne mondiale de l'industrie à 60 kg de CO2 par baril selon les données transmises par la compagnie à la commission d'enquête.

Cependant, ces projets ont des caractéristiques telles qu'ils pourraient causer des dégâts sur la biodiversité locale et occasionner des violations des droits humains. La compagnie revendique néanmoins avoir identifié et neutralisé ces risques. Le plan de vigilance du groupe décrit la doctrine d'action de TotalEnergies sur le sujet : mener des études d'impact, en tirer des plans d'action et veiller à leur application via des comités de pilotage. La compagnie indique en particulier avoir mis en place de nombreux dispositifs d'implication des parties prenantes.

Sur les enjeux relatifs à la biodiversité, le groupe a reconnu que « Les projets Tilenga et EACOP sont situés dans un environnement naturel particulièrement sensible, notamment sur le plan de la biodiversité. (...) S'agissant du projet Tilenga, la partie Nord du développement est située dans des zones de fort intérêt en termes de biodiversité : le parc national des Murchison Falls et le delta du Nil Victoria ». Sur la base des études d'impact qu'elle a menées, la compagnie a cherché à éviter, réduire et compenser les effets sur la biodiversité. Selon les informations transmises à la commission d'enquête, le projet Tilenga n'aurait une empreinte que sur « 0,03 % de la surface du parc ». Quant au projet EACOP, la compagnie souligne que « le tracé de l'oléoduc a été conçu pour éviter au maximum les zones d'intérêt environnemental, et est principalement situé en zone de terres agricoles. Le tracé ne traverse pas le Lac Victoria ni aucune aire protégée UICN. L'oléoduc sera enterré sur la totalité de son tracé. Ainsi, une fois l'oléoduc installé, le terrain sera revégétalisé pour être rendu à son état initial ». Le groupe concède cependant que « Le tracé traverse néanmoins ponctuellement certaines réserves forestières et aires d'habitat naturel abritant des espèces protégées » pour lesquelles sera mis en oeuvre un « plan de gestion et de sauvegarde de la biodiversité ». In fine, TotalEnergies revendique néanmoins « produire un impact positif net sur la biodiversité ».

Les violations des droits humains en relation avec les projets seraient liées au programme d'acquisition de terres d'ampleur nécessité par les projets Tilenga et EACOP, « pour environ 6 400 hectares (la part la plus importante concerne le tracé de l'oléoduc ; une bande de 30 m de large et 1 450 km de long soit environ 4 400 hectares, 69 % de l'ensemble) » selon le groupe. Il estime que 19 000 foyers -- représentant 100 000 personnes environ -- seraient concernés, parce qu'ils possèdent ou utilisent un actif278(*) indispensable durant le temps des travaux ou situé sur des emprises pérennes. Dans le détail, la majorité des foyers touchés sont concernés par le projet EACOP. Selon TotalEnergies, « À la fin décembre 2023, 3 660 PAPs (Project Affected Persons) étaient recensés en Ouganda et 9 904 en Tanzanie » dans le cadre du projet EACOP279(*).

Selon les informations transmises à la commission d'enquête par le groupe, « 775 foyers, soit environ 5 000 personnes, résidaient sur l'emprise des projets et ont été relogées à proximité et dans de meilleures conditions (735 nouvelles maisons construites et livrées à ce jour) ». En outre, « 99 % des accords de compensation sont maintenant signés ». Concernant plus précisément EACOP, TotalEnergies a indiqué à la commission d'enquête qu'« en mars 2024, 96 % des accords ont été signés pour l'Ouganda et 93 % des PAPs ont été payés ». Côté tanzanien, en décembre 2023, « 9 822 PAPs avaient signé leur formulaire de compensation et ont été dédommagés soit 99 % ». Sur le volet relogement d'EACOP, TotalEnergies estime que 203 foyers étaient concernés en Ouganda pour 177 maisons à construire, et 344 foyers en Tanzanie pour 339 maisons à construire. Le groupe a indiqué à la commission d'enquête que « fin décembre [2023], le programme de relogement était achevé puisque toutes les maisons étaient construites et les foyers relogés dans leurs nouvelles maisons ».

Le groupe revendique un processus mené dans le respect des législations nationales et des standards de la Banque mondiale déployé en étroite concertation avec les parties prenantes locales et accordant une attention particulière « à la protection des personnes les plus vulnérables et des droits des femmes ». Il précise également que « pour la très grande majorité, le propriétaire d'un terrain situé sur le tracé d'EACOP en disposera après les travaux ».

TotalEnergies revendique une « totale transparence » sur ces projets et a créé une page internet pour expliciter son action. Le groupe diffuse également des évaluations de ces projets. Il déclare également entretenir un dialogue avec les ONG locales.

Pourtant, en dépit de cet ensemble de mesures, l'implication de TotalEnergies dans ces projets a fait l'objet de critiques, notamment issues d' ONG qui dénoncent l'impact du projet sur la biodiversité et sur les droits humains. Le Parlement européen a même adopté une résolution le 15 septembre 2022 sur les violations des droits de l'homme en Ouganda et en Tanzanie en lien avec les investissements réalisés dans des projets fondés sur les énergies fossiles. Plusieurs enquêtes journalistiques, notamment dans La Croix, ont décrit des compensations insuffisantes et versées dans des délais trop longs. Elles pointent également la tendance des autorités ougandaises à réprimer les ONG et les particuliers qui s'opposeraient au projet.Maxwell Atuhura, directeur général de Tasha research institute Africa limited, une organisation qui défend les droits de l'homme, l'environnement et la justice climatique, et promeut en particulier la mise en place d'une bonne gouvernance des ressources naturelles en Ouganda a fait part à la commission de l'arrestation dont il a été victime, due, selon lui, à ses propos à l'encontre des projets Tilenga et EACOP. Au total, il estime avoir été harcelé onze fois à cause de son action à l'encontre de ces projets qui ont selon lui pour effet de bafouer de nombreux droits, sans que les indemnisations attendues soient toujours versées. Plus généralement, selon lui, la faune locale est perturbée par le projet, notamment par des forages menés de nuit, ce qui effraie les animaux, en particulier les éléphants et les buffles, qui peuvent alors avoir des comportements dangereux pour les personnes vivant aux alentours.

En réponse à ces différentes mises en cause, le groupe TotalEnergies explique être intervenu en mai 2021 par courrier280(*) auprès des autorités ougandaises, à la suite de l'arrestation de M. Maxwell Atuhura, pour demander à ce que les droits des personnes détenues soient respectés rappelant l'engagement de TotalEnergies en matière de défense des droits humains. Le groupe est également intervenu auprès des mêmes autorités en décembre 2023, à la suite de l'arrestation de 7 étudiants qui manifestaient contre les projets de TotalEnergies en Ouganda et demandait à ce que leurs droits soient respectés.

La commission d'enquête considère que les difficultés particulières soulevées par ces projets en Ouganda et en Tanzanie justifient une attention spécifique des pouvoirs publics et la réalisation d'un état des lieux périodique afin de s'assurer du respect des droits humains et environnementaux par les énergéticiens.

2. L'implication de TotalEnergies dans le projet Mozambique LNG

TotalEnergies est impliqué dans le projet Mozambique LNG qui consiste dans l'exploitation d'un gisement de gaz et sa liquéfaction dans deux trains de liquéfaction d'une capacité totale de 13,1 millions de tonnes par an. En 2019, les entreprises impliquées dans le projet ont décidé d'investir 20 milliards de dollars pour le mener à bien. TotalEnergies détient un intérêt de 26,5 % dans le projet aux côtés d'ENH Rovuma Área Um S.A. (15 %), Mitsui E&P Mozambique Area1 Limited (20 %), ONGC Videsh Rovuma Limited (10 %), Beas Rovuma Energy Mozambique Limited (10 %), BPRL Ventures Mozambique B.V. (10 %), et PTTEP Mozambique Area 1 Limited (8,5 %). TotalEnergies assure le leadership industriel du projet.

Le projet est situé sur le site d'Afungi dans la province du Cabo Delgado, qui est le théâtre d'insurrections armées de longue date. La situation s'est dégradée à partir de 2017, et plus rapidement encore en juin 2019, date des premières attaques revendiquées par l'État islamique dans la région. En 2020, la ville de Mocímboa da Praia, à 80 kilomètres environ des sites exploités par Mozambique LNG, tombe entre les mains des djihadistes. Ensuite, l'État islamique attaque le 24 mars 2021 la ville de Palma et s'en empare le 27 mars. Cette ville est située à six kilomètres de sites exploités par Mozambique LNG. La ville est reprise par l'armée mozambicaine le 5 avril. À partir de juin 2021, plusieurs États prêtent assistance au Mozambique, notamment le Rwanda, pour combattre l'insurrection terroriste.

Face à l'attaque, TotalEnergies a indiqué que « l'ensemble des personnels présents sur le site a été évacué du site ». L'état de force majeure a également été déclaré. Le projet est pour le moment suspendu. Pour Nicolas Terraz, directeur général Exploration-Production de TotalEnergies, « La sécurité de nos employés est une valeur pour notre compagnie et le premier point de notre code de conduite. Nous ne reprendrons le projet du Cabo Delgado que si la sécurité de l'ensemble des personnes peut être assurée. Cela fait bientôt trois ans que nous avons déclaré la force majeure sur ce projet. Celle-ci ne sera levée que si Mozambique LNG, au sein de laquelle TotalEnergies détient une participation de 26,5 %, aux côtés de compagnies indiennes qui détiennent 30 % du capital, de la compagnie japonaise Mitsui qui en détient 20 %, de la compagnie thaïlandaise PTTEP et de la compagnie nationale, décide que les conditions sont réunies, la condition essentielle pour la levée de la force majeure étant aujourd'hui que la sécurité soit assurée de manière durable au Cabo Delgado ».

Plus largement, ce projet a été critiqué parce qu'il serait facteur de violations de droits humains, notamment à l'occasion des déplacements de certaines populations situées sur l'emprise du projet. Afin d'en mesurer l'ampleur et de pouvoir y remédier, Patrick Pouyanné a commandé un rapport à Jean-Christophe Rufin.

Ce document a été rendu public en mai 2023. S'il met en avant que TotalEnergies a su faire preuve d'« une conception plus ouverte et plus extensive de la relation avec les populations de la région » que le précédent gestionnaire du projet, il pointe des difficultés persistantes. Mozambique LNG a en effet développé diverses actions socio-économiques dont la philosophie générale est qualifiée de « pertinente », mais « la mise en oeuvre de ces programmes, leur définition et leur choix pose un problème de cohérence d'ensemble et de coordination ». Le gestionnaire du projet a en effet une action pensée dans une logique sécuritaire et ses actions souffriraient d'un manque de coordination.

Le rapport analyse également les actions de relocalisation et d'indemnisation des populations affectées par le projet. Il souligne que « les populations engagées dans le processus émettent des réserves de diverses natures quant à la mise en oeuvre stricto sensu de la procédure. Certaines réserves concernent un manque de consentement ou d'informations, d'autres les évaluations du préjudice, d'autres enfin les indemnisations et le paiement de ces indemnités, tant personnelles que communautaires, qu'elles soient en nature ou en numéraire. L'examen du processus révèle également un problème concernant les délais de traitement de la procédure et les voies de recours disponibles ». Devant « l'écart entre le processus théorique et les constatations de terrain », Jean-Christophe Rufin recommande donc notamment de mieux contrôler les procédures et d'améliorer les conditions de recueillement du consentement des populations.

À la suite de ce rapport, TotalEnergies a publié un plan d'actions afin de répondre aux critiques qui y sont formulées et de prendre en compte ses recommandations. Selon Patrick Pouyanné, « Le rapport Rufin recommande de partager, sans attendre la production en 2028 ou 2029, les dividendes des futurs profits. C'est ce que nous faisons, via une fondation dotée de 200 millions d'euros qui développe l'activité économique au bénéfice des populations. Un des moyens de lutter contre les groupes islamistes est sans doute de faire des populations des alliées, en partageant la prospérité sans attendre les profits, que, d'ailleurs, nous ne réaliserons peut-être pas, si le projet ne va pas à son terme ».

Il est encore difficile aujourd'hui de tirer le bilan de ces engagements.

3. L'implication de TotalEnergies en Azerbaïdjan

TotalEnergies est impliqué indirectement en Azerbaïdjan dans l'exploitation d'un champ de gaz naturel281(*). Selon les éléments, communiqués à la commission d'enquête, une filiale de TotalEnergies détient une participation de 35 % dans le champ de gaz d'Absheron, situé en mer Caspienne, à 100 km au sud-est de Bakou. Les autres partenaires sont la compagnie nationale azerbaïdjanaise Socar (35 %) et la compagnie nationale émiratie ADNOC (30 %). Le champ gazier était détenu jusqu'en août 2023 par TotalEnergies et Socar. Les deux partenaires ont alors cédé une participation de 15 % chacun à Adnoc.

L'exploitation du champ de gaz et de condensats est menée par Jocap (Joint Operating Company Absheron Petroleum), une société conjointe entre Socar, TotalEnergies et Adnoc.

Le champ, découvert en 2011, a bénéficié d'un développement lancé en 2018. La production de gaz a commencé en juillet 2023. Elle alimente le marché domestique azéri.

TotalEnergies a indiqué à la commission d'enquête que « Les sociétés opérant ces actifs n'étant pas contrôlées, directement ou indirectement, par TotalEnergies SE au sens du II de l'article L. 233-16 du code de commerce, leurs activités ne relèvent pas du plan de vigilance de TotalEnergies en application de l'article L225 102-4 du code de commerce ». Cependant, la participation de filiales du groupe dans ce projet d'exploitation de gaz naturel en Azerbaïdjan a suscité des critiques relatives à la situation politique du pays et de sa politique étrangère, notamment à l'égard de l'Arménie. En effet, selon Mai Rosner, chargée de campagne de l'ONG Global Witness « Le régime d'Aliev en Azerbaïdjan est hautement dépendant de la production et de l'exportation de combustibles fossiles : il s'agit du principal contributeur aux finances publiques de ce régime ».

Devant la commission d'enquête, Patrick Pouyanné a dénoncé ces critiques en déclarant : « Ne nous demandez pas de faire la morale à la place des pouvoirs publics. Si l'Union européenne et les Nations unies décident de sanctions contre l'Azerbaïdjan, nous les appliquerons. Mais je ne vois pas en quoi, aujourd'hui, nous devrions renoncer à cette production de gaz qui intervient dans des conditions respectant les lois, les règlements et nos propres codes de conduite ».

4. L'exploitation de gaz de schiste par TotalEnergies en Amérique

Le gaz de schiste est un gaz non conventionnel qui est présent de manière diffuse dans des roches peu perméables. Son extraction exige que soient utilisées des techniques spécifiques, comme la fracturation hydraulique.

TotalEnergies produit du gaz de schiste. Selon les informations communiquées à la commission d'enquête, « TotalEnergies EP Barnett opère des actifs gaziers (détenus à 95 % en moyenne) dans le bassin du Barnett pour une production de 4,6 bcm en 2023, ce qui représente 0,4 % de la production de gaz aux États-Unis. Le 5 avril 2024, TotalEnergies a finalisé l'acquisition de 20 % des intérêts détenus par Lewis Energy Group dans les licences de Dorado, situées dans le bassin de l'Eagle Ford, et opérées par EOG. Cette acquisition correspond à une production estimée d'environ 0,4 bcm de gaz pour 2024 ». Toutefois, selon Nicolas Terraz, directeur général Exploration-Production de TotalEnergies, il faut replacer cette production sur un marché global : « Nous sommes un tout petit producteur de gaz de schiste, puisque nous produisons à peu près 500 millions de pieds cubes par jour. Notre production se concentre aux États-Unis et en Argentine ».

Le groupe revendique d'inclure cette énergie dans sa stratégie de transition. Selon Aurélien Hamelle, directeur général Stratégie et développement durable de TotalEnergies, « S'agissant du gaz et le gaz de schiste, la COP28 a rappelé que le gaz est une énergie de transition, parce qu'il permet de décarboner la génération électrique, celle-ci étant assurée à plus d'un quart par du charbon, qui génère les trois quarts des 37 milliards de tonnes de COémis. La génération électrique par le gaz représente un peu moins d'un quart de la production électrique mondiale et environ un quart des émissions de GES. Autrement dit le gaz permet de produire de l'électricité avec deux fois moins de CO2 que de charbon. À cet égard le gaz, en substituant du charbon, qui est très utilisé dans beaucoup de pays, est une énergie vertueuse pour permettre la décarbonation de la génération électrique. C'est pourquoi l'essor du gaz de schiste a permis aux États-Unis de réduire leurs émissions de GES, parce qu'ils ont substitué des centrales à gaz à des centrales à charbon depuis une dizaine d'années voire un peu plus ».

TotalEnergies importe également du GNL en France via des méthaniers affrétés pour partie par le groupe. Il est ensuite livré « dans les trois terminaux onshore français dans lesquels TotalEnergies détient des capacités de regazéification (Dunkerque, Montoir et Fos), ainsi qu'au terminal flottant du Havre à partir de fin 2023 ». Le groupe a indiqué à la commission d'enquête que « Le fonctionnement du marché de gros du gaz aux États-Unis ne permet pas de distinguer l'origine du gaz entre source conventionnelle et source non conventionnelle ».

L'exploitation du gaz de schiste est cependant contestée, car elle peut mener à des pollutions locales d'ampleur, notamment des nappes phréatiques. Son bilan carbone est également plus défavorable que celui du gaz conventionnel à cause de fuites de méthanes plus importantes. Selon Lou Welgryn, analyste au sein de Carbon4Finance, coprésidente de l'association Data For Good : « Une étude chinoise publiée dans Nature Communications en 2020 indique que l'extraction de gaz de schiste émet quatre fois plus de GES que celle du gaz conventionnel, 50 à 70 % de ces émissions étant dues aux fuites de méthane. Ces techniques posent également des problèmes de gestion de l'eau et de qualité de l'air ». Jean-Marc Jancovici a également attiré l'attention de la commission d'enquête sur une publication de Carbon 4 :  Importations de gaz naturel : tous les crus ne se valent pas mentionnant que « À partir de 2012, le Fonds de défense de l'environnement a coordonné une vaste campagne de recherche sur 5 ans, qui a notamment montré que les taux de rejet de méthane en phase d'extraction étaient plus de 2 fois supérieurs à ceux estimés par l'Agence Fédérale Américaine de l'Environnement (EPA) à l'époque. En 2019, une étude de l'Université de Cornell montre que l'augmentation de la concentration atmosphérique de méthane, qui s'est accélérée depuis la fin des années 2000, serait causée à hauteur d'un tiers par le boom du gaz de schiste aux États-Unis ».


* 278 Selon TotalEnergies, « un actif peut être un logement, une construction, une parcelle de terrain nu ou cultivé, des plantes, des arbres, des cultures ».

* 279 Selon TotalEnergies, « Un PAP (Project Affected Person) correspond à un groupe d'individus formant un foyer ou une entité (institution, société) qui a été identifié, dans le cadre des études réalisées pour le programme d'acquisition des terrains nécessaires à l'exécution du projet, comme ayant au moins un actif impacté par la mise en oeuvre du projet. Un actif peut être un logement, une construction, une parcelle de terrain nu ou cultivé, des plantes, des arbres, des cultures. Ces concepts sont définis dans les méthodologies établies par les standards de la SFI ».

* 280 Courriers transmis à la commission d'enquête le 23 mai 2024.

* 281 TotalEnergies a indiqué à la commission d'enquête qu'« une autre filiale de TotalEnergies détient également 5 % dans l'oléoduc BTC (capacité 1 Mb/j), qui relie Bakou en Azerbaïdjan à Tbilissi (en Géorgie) et Ceyhan (en Turquie) ». Par ailleurs, « La filiale de TotalEnergies en Azerbaïdjan a signé en juin 2023 un protocole d'accord avec le ministère de l'Énergie pour l'évaluation et le développement de 500 MW d'énergies renouvelables éoliennes et solaires et de systèmes de stockage d'énergie destinés au réseau électrique national. Enfin, TotalEnergies et Socar ont signé un accord de coopération pour réduire les émissions de gaz à effet de serre grâce au déploiement de la technologie AUSEA qui permet de détecter les émissions de méthane. Cette technologie développée par TotalEnergies sera d'abord déployée sur le champ d'Absheron puis sur les installations de Socar dans le pays ».

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