D. UN « PLAN DE VIGILANCE » DE TOTALENERGIES CONTESTÉ

Conformément à la loi269(*), le plan de vigilance de TotalEnergies SE est rendu public au sein de son rapport de gestion. En pratique, il fait l'objet d'une section au sein de la partie « Risques et contrôle » du document d'enregistrement universel qui inclut le rapport de gestion mais aussi le rapport sur le gouvernement d'entreprise ou la déclaration de performance extra-financière.

Le plan de vigilance de TotalEnergies, conformément à la loi, est structuré en plusieurs parties.

En introduction du plan, TotalEnergies présente la méthodologie d'élaboration du plan de vigilance en mettant l'accent sur :

- les procédures, les dispositifs de gestion et les outils de reporting en matière d'hygiène, de sécurité et d'environnement (HSE) et de droits humains qui nourrissent le plan de vigilance - à l'instar de son comité HSE depuis 2016 ou de son comité de pilotage droits humains mis en place depuis 2010 ;

Source : p. 154 du document d'enregistrement universel 2023 de TotalEnergies

- le dialogue avec les parties prenantes : la loi relative au devoir de vigilance précise que « Le plan a vocation à être élaboré en association avec les parties prenantes de la société, le cas échéant dans le cadre d'initiatives pluripartites au sein de filières ou à l'échelle territoriale »270(*). Ainsi, TotalEnergies identifie, cartographie et hiérarchise ses principales parties prenantes au niveau de ses filiales et de ses sites en fonction de leurs niveaux d'attente et d'implication. Selon le groupe, « ce dispositif permet d'expliquer les activités de la Compagnie aux communautés et autres parties prenantes, et de porter une attention particulière aux populations locales potentiellement vulnérables »271(*). TotalEnergies donne notamment l'exemple de réseau de médiateurs auprès des communautés riveraines mis en place au sein dans certaines filiales du secteur Exploration-Production, qui remplissent un rôle d'agents de liaison en charge de la mise en oeuvre d'un dialogue continu avec les communautés locales et les autorités. TotalEnergies précise : « Employés par TotalEnergies, parfois issus des communautés locales, ils parlent les langues locales et comprennent les usages locaux. Leur rôle est déterminant pour établir une bonne relation entre TotalEnergies et ses parties prenantes avec une attention particulière portée aux populations les plus vulnérables. »

La première partie du plan de vigilance est une cartographie des atteintes graves. Conformément à la loi, cette cartographie est « destinée à leur identification, leur analyse et leur hiérarchisation. »

Parmi les atteintes graves en matière de santé, sécurité et environnement, les travaux d'analyse interne de TotalEnergies lui permettent d'identifier notamment les risques suivants :

- les risques « résultant d'un accident industriel majeur sur un site offshore ou onshore » ;

- les risques « liés au cycle de vie des produits fabriqués, aux substances et matières premières utilisées » ;

- les risques « liés au transport pour lesquels la probabilité d'occurrence d'un accident opérationnel dépend non seulement de la dangerosité des produits manipulés, mais aussi des quantités, de la longueur des trajets et de la sensibilité des zones traversées (qualité des infrastructures, densité de population, environnement) » qui sont « susceptibles de résulter d'accidents ou d'incidents dans le cadre du transport des matières premières et produits finis de la Compagnie, notamment le transport par navire, pipeline ou le transport routier, ainsi que d'accidents ou d'incidents dans le transport aérien de personnes ».

Le changement climatique fait l'objet d'un passage au sein de cette partie du plan de vigilance en tant que « risque global pour la planète qui est le résultat d'actions humaines diverses dont la consommation d'énergie ». TotalEnergies y rappelle que les émissions de gaz à effet de serre associées aux installations opérées par TotalEnergies ont représenté en 2023 moins de 0,1 % des émissions mondiales de 2022 et renvoie à sa déclaration de performance extra-financière pour ce qui concerne sa stratégie en matière climatique.

Pour identifier les atteintes graves en matière de droits humains et de libertés fondamentales, TotalEnergies a réalisé en 2016 un travail de concertation avec des parties prenantes internes et externes suivant un processus établi conformément à la méthodologie du Guide de reporting des Principes Directeurs des Nations Unies. Ce travail a permis à TotalEnergies d'identifier des risques saillants, qu'il a hiérarchisés. En 2019, il a mis à jour ses processus d'analyse de risques d'atteinte aux droits humains pour intégrer le pays, les types d'activités, de matières premières ou de produits et services achetés.

Selon le plan de vigilance de TotalEnergies, l'ensemble de ces travaux a permis d'identifier six risques saillants, répartis au sein de trois thèmes clés pour la Compagnie :

- les droits humains sur le lieu de travail des collaborateurs de TotalEnergies et des employés de ses fournisseurs, et de ses autres partenaires commerciaux : le travail forcé et le travail des enfants, la discrimination et les atteintes aux conditions de travail équitables, satisfaisantes et sûres ;

- les droits humains et les communautés locales : les atteintes à l'accès à la terre en raison de déplacements de populations et les atteintes au droit à la santé et à un niveau de vie suffisant, qui concernent par exemple des activités pouvant avoir des conséquences sur l'accès à l'eau douce des populations ;

- le respect des droits humains et les activités de sûreté, notamment le risque de l'usage disproportionné de la force lorsque l'intervention de forces de sûreté gouvernementales ou privées est nécessaire pour protéger le personnel et les installations de la Compagnie.

En ce qui concerne les risques d'atteintes graves résultant des activités des fournisseurs, TotalEnergies se fonde sur une cartographie des risques RSE liés aux achats de TotalEnergies, qu'il croise avec les indices de risques liés aux droits humains et à l'environnement par pays afin d'identifier les fournisseurs les plus à risque en matière de droits humains, santé, sécurité et environnement. Cette cartographie n'est pas publiée.

Par rapport à la structuration du plan de vigilance prescrit par la loi, TotalEnergies ajoute un chapitre relatif aux « principes d'action et d'organisation ». Il est dédié à la présentation des référentiels mis en place pour prévenir les atteintes en matière de droits humains, santé et sécurité des personnes et environnement. Il y présente succinctement son organisation dans les matières concernées par le plan de vigilance (HSE, sûreté, développement durable, achats, etc.), son code de conduite, les règles internes incluant des éléments relatifs aux droits humains, sa charte sécurité santé environnement qualité (disponible sur son site internet), sa politique de prévention de la survenance d'un accident industriel majeur, des accidents au poste de travail, des risques pour la santé au travail, des risques en matière de santé et de sécurité des consommateurs et d'accidents de transports.

En matière environnementale, il y présente également les mesures mises en place pour « limiter l'empreinte environnementale des activités de TotalEnergies » en termes de protection de l'air et de protection des sols ainsi que les actions pour « maîtriser les atteintes à la biodiversité et à la nature dans les projets et les opérations », qui sont détaillées par ailleurs au sein d'une partie de la déclaration de performance extrafinancière dédiée aux « enjeux liés à l'environnement et à la nature ».

La troisième partie du plan de vigilance correspond à la présentation des procédures d'évaluation des filiales et de ses fournisseurs. Cela correspond au deuxième type de mesures devant composer le plan selon la loi272(*). Les dispositifs d'évaluation des filiales incluent les évaluations HSE
- grâce à une auto-évaluation tous les deux ans et un audit HSE a minima tous les cinq ans ainsi que d'autres dispositifs ciblés comme une enquête annuelle Hygiène industrielle - et les évaluations en matière de droits humains - grâce au recours à un mandataire spécialisé, à des études d'impacts des projets ou encore à un questionnaire annuel d'auto-évaluation. En ce qui concerne l'évaluation des fournisseurs, il est précisé qu'« en phase précontractuelle, le processus de préqualification des Fournisseurs de biens et services, portant sur six critères (administratif, anticorruption, technique, HSE, financier et développement durable) permet l'évaluation des Fournisseurs quant au respect des droits humains au travail, de la sécurité, de la santé et de l'environnement. » (...) « Pendant la relation contractuelle, TotalEnergies a mis en place un dispositif d'évaluation des Fournisseurs, par des tierces parties indépendantes, pour identifier et prévenir les risques d'atteinte grave envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé, la sécurité des personnes et l'environnement. »

La quatrième partie du plan de vigilance correspond à la présentation des actions d'atténuation des risques et de prévention des atteintes graves. Cela correspond au troisième type de mesures devant composer le plan selon la loi273(*).

TotalEnergies y détaille les actions mises en oeuvre conformément aux principes d'actions de l'entreprise. Ces actions reposent sur : i) les retours d'expérience grâce à un processus d'analyse des événements accidentels ; ii) la sensibilisation et la formation des collaborateurs ; iii) la sensibilisation et formation des fournisseurs ; iv) la gestion de crise.

Concernant les actions mises en oeuvre pour maîtriser et réduire ses émissions de GES de son scope 1 et 2 en lien avec le risque lié au climat qu'il décrit comme un « risque global résultant de l'ensemble des activités humaines », il renvoie au compte rendu de mise en oeuvre, dernière partie du plan de vigilance.

La cinquième partie du plan de vigilance correspond à la présentation des mécanismes d'alertes ouverts aux collaborateurs, aux fournisseurs et aux tiers. Cela correspond au quatrième type de mesures devant composer le plan selon la loi274(*). Ces mécanismes d'alerte reposent sur la saisine du comité d'éthique pour toute question ou signalement et d'autres mécanismes mis en oeuvre au niveau des filiales.

La sixième partie du plan de vigilance correspond à la présentation des dispositifs de suivi des mesures mises en oeuvre. Cela correspond au cinquième type de mesures devant composer le plan selon la loi275(*). Ce suivi est assuré par des comités pluridisciplinaires notamment le comité d'éthique et le comité de pilotage droits humains ainsi que par le système de reporting interne.

Enfin, TotalEnergies présente le compte rendu de la mise en oeuvre de son plan de vigilance276(*).

En ce qui concerne le climat, il y reprend des éléments figurant au sein de sa déclaration de performance extra-financière. Il y rend compte de ses émissions résultant de son activité (scope 1 et 2), de la gouvernance en matière de climat (notamment sa supervision après le conseil d'administration), ainsi que sa stratégie en matière climatique et de transition énergétique.

Sur le fondement de la loi relative au devoir de vigilance, TotalEnergies a été assigné à plusieurs reprises en justice par des ONG contestant l'insuffisance de son plan de vigilance.

Le 29 octobre 2019, TotalEnergies a été assigné par les associations Les amis de la Terre France, la National Association of Professionnal Environmentalists (Nape) et l'African Institute for Energy Governance (Afiego). Le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris a rendu une ordonnance le 28 février 2023 prononçant l'irrecevabilité de la requête.

Le 10 février 2020, TotalEnergies a été assigné par les associations Notre Affaire à Tous, Sherpa, Zéa, Eco-Maires, France nature environnement, Amnesty International France, les communes d'Arcueil, Bayonne, Bègles, Bize-Minervois, Correns, Grenoble, La Possession, Mouans-Sartoux, Nanterre, Sevran, Vitry-le-François, Paris, Poitiers, New York, l'établissement Est-Ensemble, la région Centre-Val de Loire concernant sa stratégie climatique devant le tribunal judiciaire de Paris qui a rendu le 6 juillet 2023 une décision d'irrecevabilité. Les requérants ayant fait appel, une nouvelle audience a eu lieu le 5 mars 2024 au sein de la nouvelle chambre spécialisée de la cour d'appel de Paris. La décision est attendue le 18 juin 2024.

Le 23 février 2023, TotalEnergies a été assigné par l'ONG Mena Rights Group concernant des pratiques commises par des forces gouvernementales sur le site de Balhaf au Yémen exploité par Yémen LNG dont TotalEnergies est actionnaire à hauteur de 39,6 %277(*).

Le 27 juin 2023, TotalEnergies a été assigné par vingt-six ougandais et cinq associations françaises et ougandaises en ce qui concerne les impacts sur les communautés locales et l'environnement du projet EACOP, en demandant réparation du préjudice subi sur le fondement de l'article L. 225-102-5 du code de commerce.

La contestation judiciaire des plans de vigilance

TotalEnergies n'est pas la seule entreprise française à connaître de contentieux sur le fondement du devoir de vigilance :

- EDF a été assignée en octobre 2020 concernant l'impact sur les communautés locales d'un de ses projets éoliens au Mexique. Après une décision d'irrecevabilité, un appel est en cours devant la cour d'appel de Paris et la décision est attendue le 18 juin 2024 ;

- Casino a été assigné en mars 2021 concernant des pratiques d'un fournisseur au Brésil en lien avec la déforestation dans la chaîne d'approvisionnement du boeuf ;

- Suez et Veolia ont été assignées le 7 juin 2021 en raison d'impacts sur les personnes suite à un accident industriel au Chili. Après une décision d'irrecevabilité, l'appel est en cours devant la cour d'appel de Paris. La décision est attendue le 18 juin 2024 ;

- La Poste a été assignée en décembre 2021 en raison des conditions de travail au sein d'un de ses sous-traitants. Le tribunal judiciaire de Paris a rendu sa décision le 5 décembre 2023. Un appel est en cours ;

- Le Groupe Rocher a été assigné le 23 mars 2022 devant le tribunal judiciaire de Paris concernant les conditions de travail de ses travailleurs en Turquie ;

- Le groupe Idemia a été assigné en juillet 2022 en raison des impacts sur les droits humains liés à l'usage d'une solution d'identification fournie au gouvernement kenyan. Un accord a été annoncé à la suite d'une médiation ;

- Le groupe Danone a été assigné en janvier 2023 concernant sa stratégie de déplastification. Une médiation est en cours ;

- Le groupe BNP Paribas a été assigné en février 2023 concernant son financement des énergies fossiles.

D'autres contentieux impliquent TotalEnergies sur des sujets connexes mais présentant d'autres fondements juridiques et ne sont donc pas détaillés dans le présent rapport.


* 269 L'article L. 225-102-4 du code de commerce introduit par la loi du 27 mars 2017 précise que « Le plan de vigilance et le compte rendu de sa mise en oeuvre effective sont rendus publics et inclus dans le rapport de gestion mentionné au deuxième alinéa de l'article L. 225-100. »

* 270 I de l'article L. 225-102-4 du code de commerce.

* 271 P.1 55 du DEU 2023.

* 272 Article L. 225-102-4 du code de commerce, « 2° Des procédures d'évaluation régulière de la situation des filiales, des sous-traitants ou fournisseurs avec lesquels est entretenue une relation commerciale établie, au regard de la cartographie des risques ».

* 273Article L. 225-102-4 du code de commerce « 3° Des actions adaptées d'atténuation des risques ou de prévention des atteintes graves ».

* 274Article L. 225-102-4 du code de commerce « 4° Un mécanisme d'alerte et de recueil des signalements relatifs à l'existence ou à la réalisation des risques, établi en concertation avec les organisations syndicales représentatives dans ladite société ».

* 275Article L. 225-102-4 du code de commerce « 5° Un dispositif de suivi des mesures mises en oeuvre et d'évaluation de leur efficacité. ».

* 276 Avant-dernier alinéa du I de l'article L. 225-102-4 du code de commerce : « Le plan de vigilance et le compte rendu de sa mise en oeuvre effective sont rendus publics et inclus dans le rapport de gestion mentionné au deuxième alinéa de l'article L. 225-100. »

* 277 https://totalenergies.com/fr/medias/actualite/communiques/yemen-lng-rappel-de-la-situation

Partager cette page