IV. COMMENT FAIRE FACE À LA MÉSINFORMATION ET À LA DÉSINFORMATION ?

A. LA CONSTRUCTION D'UNE INFORMATION ACCESSIBLE ET DE QUALITÉ, DÉLIVRÉE PAR DES MESSAGES ADAPTÉS

Une des causes principales des fausses croyances résidant dans le manque d'information de la population, il semble essentiel de lui fournir des informations adaptées et pouvant être identifiées comme fiables.

À la suite de la crise sanitaire, plusieurs instances ont appelé à renforcer la communication sur les sujets scientifiques et de santé. Dans son avis sur le futur des vaccins à ARNm, le Comité de veille et d'anticipation des risques sanitaires estimait indispensable de mener des efforts de pédagogie afin d'informer la population « de façon claire, didactique et transparente »428(*). Dans son retour d'expérience sur la campagne vaccinale, le Conseil d'orientation de la stratégie vaccinale a quant à lui proposé la création de « cellules scientifiques de crise » par les organismes de recherche afin de disposer de sources d'informations de référence à destination des décideurs, des professionnels de santé, des journalistes et du grand public. Enfin, on peut également souligner la recommandation provenant d'un groupe de travail issu des Ateliers de Giens429(*) appelant à la création d'une plateforme collaborative centralisant les ressources d'informations sur les produits de santé, estimant que celles-ci sont aujourd'hui « existante[s] mais [...] dispersée[s], non structurée[s], peu harmonisée[s] »430(*). Cette plateforme, qui serait alimentée par la communauté scientifique avec une procédure de relecture par les pairs, aurait pour objectif d'apporter des réponses fiables et faciles d'accès aux questions des citoyens et journalistes, de manière objective, transparente et indépendante.

De telles initiatives n'auront qu'un impact limité sur les individus les plus militants, ou les plus méfiants à l'égard des canaux d'information officiels et des médias traditionnels431(*), mais elles peuvent contrecarrer l'influence des fausses informations sur les individus moins engagés.

Au cours des dernières années, plusieurs travaux académiques se sont intéressés aux résultats des processus de vérification des faits (qualifiés de « fact-checking » ou de « debunking »). Globalement, ils montrent que ces interventions parviennent à réduire l'adhésion aux fausses informations432(*), notamment au cours de la crise sanitaire433(*), mais ont parfois l'effet inverse434(*). Cette approche a toutefois plusieurs limites : les effets peuvent être relativement faibles, limités dans le temps et aux personnes n'ayant pas d'avis ou se fourvoyant de bonne foi. En outre, son efficacité est hautement dépendante de la confiance accordée au média ou à l'instance qui effectue la vérification. Enfin, le principal obstacle de cette approche est l'évidente impossibilité de démystifier l'ensemble des fausses informations en circulation, plus rapides à produire qu'à réfuter.

Les actions d'information ne doivent donc pas se limiter à cette approche mais inclure également des actions préventives (qualifiées de « prebunking »), visant à mettre en garde les individus contre les fausses informations avant qu'ils n'y soient exposés, notamment en réfutant les arguments erronés les plus utilisés et en expliquant les stratégies employées435(*). Ces interventions peuvent être plus ou moins spécifiques et prendre la forme d'interventions ludiques436(*), à l'instar du jeu en ligne « Go Viral »437(*) conçu pour lutter contre la désinformation liée à la covid-19. Cette approche, qui permet à chacun d'apprendre à discerner les fausses informations et de devenir son propre « fact-checker », réduit la nécessité de placer sa confiance dans une tierce partie, comme le requièrent les interventions de « debunking ». Le récent développement d'outils d'écoute des réseaux sociaux438(*) devrait permettre d'identifier les fausses informations dès leur émergence et d'y répondre précocement, avant qu'une part importante de la population n'y soit exposée.

La mise à disposition d'informations n'est pas suffisante. Dans le cadre de la crise sanitaire, les effets indésirables des vaccins contre la covid-19 en fournissent un exemple éloquent : la mise en ligne de rapports réguliers de pharmacovigilance n'a pas suffi à leur appropriation par la population. Construire des supports pédagogiques et assurer leur portage vers la population, notamment au travers des médias et des réseaux sociaux, est essentiel. À cet effet, Laurent Cordonier propose de mettre en réseau les créateurs de contenus engagés dans la communication scientifique et de leur fournir les ressources nécessaires. La communauté Fides mise en place par l'OMS439(*), qui regroupe des influenceurs engagés dans le domaine de la santé, et l'alliance CoronaVirusFacts mise en place par l'International Fact-Checking Network440(*), qui regroupe des vérificateurs de faits, sont à cet égard des exemples à suivre.

Les campagnes de communication doivent également être déclinées pour cibler, avec des messages différenciés, les sous-groupes de population susceptibles d'être particulièrement touchés par une fausse information. Pour ce faire, elles doivent être construites à partir des besoins des populations visées et s'appuyer sur des médiateurs de confiance, souvent plus à même de porter des messages et de permettre leur appropriation que les institutions. S'il existe donc un besoin d'une base de ressources centralisée pouvant servir de référence, les actions de communication doivent s'appuyer sur un foisonnement d'initiatives afin de répondre au mieux aux attentes de la population.

Il est important de souligner que l'« infodémie » affecte l'ensemble de la société, y compris les professionnels de santé qui n'ont pas les moyens de se tenir informés de la masse d'articles scientifiques publiés quotidiennement. Au cours de la crise sanitaire, ces professionnels ont dû faire face aux inquiétudes de leurs patients alors qu'ils ne disposaient eux-mêmes que d'informations parfois contradictoires. Selon une étude française, les lacunes dans la communication envers les médecins généralistes au cours de la première vague pandémique ont constitué une difficulté et un facteur de stress pour ceux-ci441(*). Il apparaît donc essentiel de développer des canaux d'information dédiés afin de communiquer efficacement et en temps utile les informations et ressources pertinentes aux professionnels de santé, de manière à ce qu'ils puissent prendre en charge et répondre au mieux aux questions et inquiétudes de leur patientèle442(*).

Comme cela était souligné dans le rapport d'étape de l'Office, la crise sanitaire a été marquée par une abondance de messages « DGS-urgent », parfois pluriquotidiens, démontrant les limites de cet outil. Un travail doit être mené afin de recentrer ces messages sur les situations d'alerte sanitaire, d'améliorer leur compréhensibilité443(*) et de mieux cibler les professionnels de santé. En parallèle, un canal alternatif consacré aux informations qui, bien qu'utiles, ne relèveraient pas de l'urgence doit être développé. Pour le groupe de travail issu des Ateliers de Giens, ce pourrait être le rôle de la plateforme d'information sur les produits de santé proposée.


* 428 Covars, Avis du Comité de veille et d'anticipation des risques sanitaires (Covars) du 9 février 2023 sur le futur des vaccins à ARNm dans l'anticipation et la gestion des crises sanitaires, 2023 ( https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/sites/default/files/2023-02/avis-du-covars-sur-le-futur-des-vaccins-arnm---13-f-vrier-2023-26444.pdf).

* 429 Think tank créé en 1983, les Ateliers de Giens visent à favoriser les échanges entre les milieux académique, institutionnel et industriel dans le domaine de la pharmacologie et de la recherche clinique. Voir : http://www.ateliersdegiens.org/

* 430 J. Micaleff et al., Therapies 2023, sous presse ( https://doi.org/10.1016/j.therap.2023.10.004). L'idée de cette plateforme est inspirée de la « foire aux questions » mise en place par la Société française de pharmacologie et de thérapeutique (SFPT) au cours de la crise sanitaire. Voir : L. Larrouquere et al., Fundam. Clin. Pharmacol. 2020, 34, 389 ( https://doi.org/10.1111/fcp.12564).

* 431 Pour ces individus, qui contribuent fortement à la production et la propagation de fausses informations, des interventions portant sur les causes de leur marginalisation doivent être menées.

* 432 a) N. Walter et al., Political Commun. 2020, 37, 35 ( https://doi.org/10.1080/10584609.2019.1668894) ; b) N. Walter et al., Health Commun. 2021, 36, 1776 ( https://doi.org/10.1080/10410236.2020.1794553).

* 433 R. Smith et al., Health Affairs 2023, 42, 1738 ( https://doi.org/10.1377/hlthaff.2023.00717).

* 434 À titre d'exemple, dans le cadre de l'épidémie de Zika au Brésil, la réfutation des fausses informations a eu pour conséquence d'augmenter les fausses croyances. Voir : J. M. Carey et al., Sci. Adv. 2020, 6, eaaw7449 ( https://doi.org/10.1126/sciadv.aaw7449).

* 435 S. Lewandowsky et al., Eur. Rev. Soc. Psychol. 2021, 32, 348 ( https://psycnet.apa.org/doi/10.1080/10463283.2021.1876983).
Si les interventions préventives ont montré être parfois plus efficaces que les interventions correctives, cela n'est pas systématique. Voir : a) D. Jolley
et al., J. Appl. Soc. Psychol. 2017, 47, 459 ( https://doi.org/10.1111/jasp.12453) ; b) H. Bruns et al., OSF Preprints 2023 ( https://doi.org/10.31219/osf.io/vd5qt).

* 436 J. Roozenbeek et al., HKS Misinformation Review 2020, 3 ( https://doi.org/10.37016//mr-2020-008).

* 437 M. Basol et al., Big Data Soc. 2021, 8, 1, 205395172110138 ( https://doi.org/10.1177/20539517211013868).

* 438 Un tel outil d'écoute social a été mis en place par l'Organisation mondiale de la santé au cours de la crise sanitaire. Voir : T. D. Purnat et al., Stud. Health Technol. Inform. 2021, 281, 1009 ( https://doi.org/10.3233/shti210330).

* 439 Le nom Fides provient de la déesse de la confiance dans la mythologie romaine. Voir : https://www.who.int/teams/digital-health-and-innovation/digital-channels/fides

* 440  https://www.poynter.org/coronavirusfactsalliance/

* 441 M. Dutour et al., BMC Fam. Pract. 2021, 22, 36 ( https://doi.org/10.1186/s12875-021-01382-3).

* 442 À cet égard, on peut saluer l'élaboration par l'Organisation mondiale de la santé d'un manuel de communication à l'intention des autorités sanitaires et des praticiens afin d'améliorer la communication sur les vaccins covid-19. Voir : M. Juanchich et al., The COVID-19 Vaccine Communication Handbook. A practical guide for improving vaccine communication and fighting misinformation, 2021 ( https://sks.to/c19vax).

* 443 Dans cette perspective, les messages « DGS-Urgent » sont aujourd'hui relus par le Collège de médecine générale et les sociétés savantes concernées.

Les thèmes associés à ce dossier

Partager cette page