D. UN MANQUE DE CONFIANCE

La croyance et la diffusion d'informations erronées sont souvent corrélées à une importante méfiance et à un certain scepticisme à l'égard des sources officielles et des institutions. Chez les individus présentant une forte défiance envers les médias, les institutions et le gouvernement, on observe une plus grande fréquentation de sources d'information non fiables ainsi qu'une plus forte adhésion aux théories du complot421(*), facteurs eux-mêmes associés à une plus grande susceptibilité vis-à-vis des fausses informations.

L'étude de Laurent Cordonier a montré qu'un niveau de confiance élevé en la science, à l'égard des communautés médicale et scientifique, ainsi qu'envers les institutions, le gouvernement et les médias, était associé à une plus faible adoption de comportements de santé à risque. On peut également noter qu'à l'échelle internationale la confiance dans les scientifiques est apparue au cours de la crise comme le principal déterminant de l'adhésion aux politiques sanitaires et d'un comportement respectueux des gestes barrières422(*) et que la confiance dans les institutions publiques a été identifiée comme l'un des principaux facteurs prédictifs du nombre de décès attribués à la covid-19423(*).

De même, plusieurs travaux ont montré que la confiance dans les institutions, dans les sciences et dans les autorités sanitaires constituait un facteur prédictif de l'attitude à l'égard des vaccins424(*). Pour Jérémy Ward, ce facteur serait même l'un des éléments les plus déterminants de l'adhésion vaccinale : la réticence vaccinale ne reposerait pas sur la remise en cause du principe de la vaccination mais plutôt sur un manque de confiance dans les différents acteurs chargés de s'assurer de leur innocuité.

Cette défiance peut être accentuée par une certaine colère sociale, comme en témoigne le rapport aux vaccins des professionnels de santé. Chez les infirmières et aides-soignantes, la défiance à l'égard des autorités sanitaires, qui se traduirait par des réticences vaccinales, serait associée à des sentiments de manque de reconnaissance et d'insatisfaction à l'égard des conditions de travail, des rémunérations et des perspectives de carrière425(*).

E. LE PROCESSUS DE LÉGITIMATION DES FAUSSES INFORMATIONS

L'adhésion aux fausses informations est souvent considérée comme résultant de la mobilisation d'acteurs critiques marginaux. Mais l'impact direct de ces acteurs est relativement limité, en raison de leur faible capacité à toucher un public large, et c'est la légitimation des discours critiques par des acteurs bénéficiant d'une plus forte audience qui a un impact important.

Pour Jérémy Ward, l'augmentation de l'hésitation vaccinale observée au cours des dernières années proviendrait d'une hausse de la légitimation des discours associés, consécutive à une recomposition du milieu de la critique vaccinale. Le développement de discours moins radicaux, bénéficiant d'une crédibilité scientifique apparente, d'une certaine plausibilité et du soutien d'acteurs pouvant se prévaloir d'un capital scientifique, leur a permis d'être portés dans des médias d'information généralistes et de bénéficier, ainsi, d'une large visibilité.

Aussi, les médias traditionnels jouent un rôle important au travers des informations qu'ils choisissent de traiter et de la manière dont ils le font, en raison de la tribune qu'ils offrent aux discours critiques426(*). Cela est d'autant plus vrai sur les sujets scientifiques, où la rigueur est de mise et où toute manipulation à des fins politiques doit être évitée. Les scientifiques et professionnels du monde médical, qui bénéficient d'une forte confiance de la population, jouent un rôle clef à ce titre. Ils se doivent d'adopter une parole particulièrement responsable, circonscrite à leur domaine de compétence et en accord avec les données scientifiques, et condamner fermement les prises de position qui s'écartent de ces principes. En effet, la littérature scientifique montre que les désaccords entre experts - dont les différences de légitimité ne sont que difficilement perceptibles par la population - sont particulièrement susceptibles d'induire des doutes sur les recommandations officielles et des croyances allant à l'encontre du consensus scientifique427(*). De la même manière, les individus pouvant endosser un rôle de relais d'influence auprès de la population, comme les sportifs ou les artistes, doivent être particulièrement prudents dans leurs propos.


* 421 a) L. Cordonier et al., Comment les Français s'informent-ils sur Internet ? Analyse des comportements d'information et de désinformation en ligne, Étude de la Fondation Descartes, 2021 ( https://www.fondationdescartes.org/2021/03/comment-les-francais-sinforment-ils-sur-internet/) ; b) J. M. Miller et al., Am. J. Political Sci. 2016, 60, 824 ( https://doi.org/10.1111/ajps.12234).

* 422 Y. Algan et al., Confiance dans les scientifiques par temps de crise, Focus N° 068, 2021 ( https://www.cae-eco.fr/confiance-dans-les-scientifiques-par-temps-de-crise).

* 423 A. Adamecz et al., World Med. Health Policy 2023, 1 ( https://doi.org/10.1002/wmh3.568).

* 424 a) D. Zimand-Sheiner et al., Int. J. Environ. Res. Public Health 2021, 18, 12894 ( https://doi.org/10.3390/ijerph182412894) ; b) W. Jennings et al., Vaccines 2021, 9, 593 ( https://doi.org/10.3390/vaccines9060593) ; c) C. J. McKinley et al., Vaccines 2023, 11, 1319 ( https://doi.org/10.3390/vaccines11081319).

* 425 J. K. Ward et al., La recherche sur les aspects humains et sociaux de la vaccination en France depuis le covid-19 - 1ère édition, 2024 ( https://shs-vaccination-france.com/la-recherche-sur-les-aspects-humains-et-sociaux-de-la-vaccination-en-france-depuis-le-covid-19-1ere-edition/).

* 426 Y. Tsfati, Ann. Int. Commun. Assoc. 2020, 44, 1 ( https://doi.org/10.1080/23808985.2020.1759443).

* 427 J. K. Ward et al., La recherche sur les aspects humains et sociaux de la vaccination en France depuis le covid-19 - 1ère édition, 2024 ( https://shs-vaccination-france.com/la-recherche-sur-les-aspects-humains-et-sociaux-de-la-vaccination-en-france-depuis-le-covid-19-1ere-edition/). Dans le cadre des vaccins contre la covid-19, plus de 50 % des Français estimaient à l'été 2022 que les experts ne semblaient pas d'accord sur cette thématique. Voir : J. E. Mueller et al., Bull. Epidémiol. Hebd. 2021, Cov_2, 2 ( http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2021/cov_2/2021_Cov_2_1.html).

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