VI. LE SYSTÈME DE PHARMACOVIGILANCE DANS LE CADRE DE LA CAMPAGNE VACCINALE

Plusieurs travaux ont tenté de tirer les leçons de la crise en termes de pharmacovigilance. L'efficacité des systèmes mis en place au niveau européen et mondial et la collaboration entre les différents pays ont été saluées117(*). On peut également souligner que les signaux de pharmacovigilance mis en évidence rétrospectivement par des suivis de cohortes à grande échelle118(*) avaient, dans leur grande majorité, déjà été détectés par les systèmes de pharmacovigilance et pris en compte par les autorités sanitaires, démontrant leur efficacité. Le système français s'est montré particulièrement efficace avec la communication aux autorités européennes de plus de 50 signaux potentiels, renforçant ou initiant un signal de sécurité.

La crise sanitaire a également permis la découverte des CRPV par de nombreux professionnels de santé libéraux119(*), qui les sollicitent aujourd'hui plus fréquemment pour des demandes d'avis. Elle a permis une acculturation de la population à la pharmacovigilance ; l'ANSM a relevé une meilleure compréhension des concepts de pharmacovigilance lors de ses communications et on peut noter une augmentation de la part des déclarations effectuées par des patients, qui atteint aujourd'hui 17 % des déclarations hors vaccins contre 13 % en 2019 et 6 % en 2016.

Au cours de la crise sanitaire, des tutoriels et un guide d'aide à la déclaration ont été mis à disposition pour améliorer la qualité des déclarations effectuées au sujet des troubles menstruels120(*). D'après les pharmacologues des CRPV, si la mise en ligne de ces documents a stimulé le nombre de déclarations, elle ne se serait pas traduite par une amélioration de leur qualité. Les efforts doivent donc être poursuivis et notamment porter sur le portail de déclaration en ligne.

Comme l'a montré une publication consacrée aux déclarations de myocardites post-vaccinales effectuées via ce portail121(*), les professionnels n'y sont pas suffisamment encouragés à détailler leurs observations cliniques et seule une faible part des déclarations sont jugées bien documentées et exploitables pour une expertise. L'action engagée en ce sens par l'ANSM, qui a déployé une nouvelle version du portail en avril 2023, doit ainsi être prolongée, grâce à une discussion collégiale impliquant les pharmacovigilants et les professionnels de santé. À cet égard, les initiatives locales, telles que le dispositif de déclaration simplifiée122(*) ou la formation des délégués de la Caisse primaire d'assurance maladie de la Manche123(*) mis en place par le CRPV de Caen Normandie, qui ont permis d'augmenter le nombre de déclarations, doivent être sources d'inspiration.

Si la crise sanitaire a « renforcé les liens du [réseau français des CRPV] avec l'ANSM grâce à la mise en place d'échanges en circuit court et le développement d'un partenariat réel »124(*), le réseau des CRPV regrette que cette organisation collaborative et non cloisonnée, qui a permis de gagner en fluidité, en agilité et, par conséquent, en efficience, ait été limitée à la situation de crise. C'est pourquoi, comme cela était déjà indiqué dans le rapport de l'Office de juin 2022, le réseau des CRPV continue de juger nécessaire de rétablir les comités techniques de pharmacovigilance, qui réunissaient chaque mois l'ensemble des CRPV au sein de l'ANSM jusqu'en 2019.

Enfin, si la surveillance des vaccins contre la covid-19 a été menée avec succès, ce résultat ne doit pas occulter les défis auxquels le système de pharmacovigilance est actuellement confronté. La crise sanitaire - et la hausse d'activité correspondante - est survenue alors que l'activité du réseau des CRPV était déjà en augmentation depuis plusieurs années125(*) et malgré des moyens humains insuffisants et en diminution126(*). Par conséquent, la crise a entraîné une saturation des services de pharmacovigilance, qui a perturbé ses activités de fond et conduit à un épuisement de ses équipes.

Aussi, faute d'un soutien permettant de faire face à la dynamique actuelle de l'activité, il existe un réel risque que le réseau ne soit pas en capacité de répondre à une prochaine crise avec la même efficacité, voire tout simplement à assurer ses missions - pourtant essentielles - en dehors de toute situation de crise. Similairement, les moyens financiers et humains d'EPI-PHARE restent aujourd'hui bien en deçà des objectifs estimés nécessaires pour remplir pleinement les missions inscrites dans son plan stratégique127(*).

En outre, comme cela était indiqué dans le rapport de juin 2022, la réforme des vigilances, en cours de déploiement depuis le début d'année 2023, suscite des inquiétudes au sein du réseau des CRPV. Ceux-ci craignent une déstabilisation de leur maillage actuel, puisque les ARS ont dorénavant la possibilité de réviser le schéma d'organisation territorial, et un risque de fragilisation financière, en raison d'une mutualisation des ressources avec les autres structures de vigilance.


* 117 a) S. B. Black et al., Vaccine 2023, 41, 3790 ( https://doi.org/10.1016%2Fj.vaccine.2023.04.055) ; b) J. Durand et al., Clin. Pharmacol. Ther. 2023, 113, 1223 ( https://doi.org/10.1002/cpt.2828).

* 118 a) M. Raethke et al., Drug Saf. 2023, 46, 391 ( https://doi.org/10.1007%2Fs40264-023-01281-9) ; b) M. Sturkenboom et al., medRXiv 2022 ( https://doi.org/10.1101/2022.08.17.22278894) ; c) K. Faksova et al., Vaccine 2024, sous presse ( https://doi.org/10.1016/j.vaccine.2024.01.100).

* 119 A.-P. Jonville-Béra et al., Therapies 2023, 78, 477 ( https://doi.org/10.1016/j.therap.2023.02.009).

* 120 D'autres initiatives ont également été menées récemment par l'ANSM : une vidéo d'aide à la déclaration a été réalisée pour les déclarations concernant le finastéride et un formulaire complémentaire a été ajouté pour les déclarations relatives à l'utilisation d'antiépileptiques pendant la grossesse.

* 121 A. Grandvuillemin et al., Therapies 2023, sous presse ( https://doi.org/10.1016/j.therap.2023.10.006).

* 122 Cet outil, développé avec le Département de médecine générale de l'Université de Caen Normandie, a permis d'augmenter le nombre de déclarations faites par les médecins généralistes sans en diminuer la qualité. Voir : A. Trenque et al., Sci. Rep. 2024, 14, 1766 ( https://doi.org/10.1038/s41598-024-51753-w).

* 123 Cette formation a permis aux délégués de la CPAM de rappeler aux médecins généralistes le mode de fonctionnement et l'intérêt de la pharmacovigilance, avec un effet positif sur le nombre de déclarations. Voir : Fedrizzi et al., Santé publique 2022, 34, 795 ( https://doi.org/10.3917/spub.226.0795 ).

* 124 A.-P. Jonville-Béra et al., Therapies 2023, 78, 477 ( https://doi.org/10.1016/j.therap.2023.02.009).

* 125 Le nombre de déclarations de pharmacovigilance a augmenté de plus de 20 % entre 2015 et 2023. Cette hausse serait notamment due à la stimulation des déclarations par les autorités, au désengagement des industriels vis-à-vis de la pharmacovigilance et aux dispositifs d'accès précoce et compassionnel qui nécessitent un suivi de pharmacovigilance accru. Les demandes d'avis de professionnels ont également augmenté sur cette période, en raison de l'apparition de nombreux traitements innovants.

* 126 En raison de moyens financiers constants ne permettant pas de couvrir l'augmentation des coûts de personnel, le réseau des CRPV estime avoir perdu 12 équivalents temps plein entre 2015 et 2023.

* 127 Élaboré avec son conseil scientifique et ses tutelles, ce plan estimait que, pour accomplir pleinement ses missions, EPI-PHARE devait disposer d'un effectif de 80 personnes et d'un budget global de 15 millions d'euros.

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