I. III. UN OUTIL PERTINENT MAIS INSUFFISANT : PROPOSITIONS POUR UNE POLITIQUE DE PRÉVENTION VOLONTARISTE

A. TABAC, ALCOOL ET ALIMENTATION : DES MESURES TRANSVERSALES POUR SOUTENIR LA PRÉVENTION EN SANTÉ

1. Flécher une partie des recettes vers des actions servant les mêmes objectifs que la fiscalité comportementale

Des études170(*) démontrent qu'une mesure de fiscalité comportementale est d'autant mieux comprise et acceptée que les recettes fiscales qu'elle engendre sont réinvesties dans des actions permettant de servir les mêmes objectifs que ceux que poursuit la taxe (lutte contre le tabagisme, la consommation excessive d'alcool ou l'obésité).

En conséquence, les recettes fiscales générées par les accises comportementales pourraient être davantage orientées vers le financement de campagnes d'information et de sensibilisation, ou vers des dispositifs de soutien à l'achat de produits alimentaires favorables à la santé.

Bien qu'il n'y ait pas juridiquement d'affectation directe au financement de la prévention (les fiscalités du tabac et de l'alcool étant affectées respectivement à l'assurance maladie et aux régimes agricoles), on peut considérer que la fiscalité comportementale contribue au financement, au sein de la Cnam, du Fonds de lutte contre les addictions (FLCA), dont le budget soutient diverses actions de prévention. Toutefois ses crédits sont limités, de l'ordre de 130 millions d'euros seulement (cf. encadré ci-après).

L'opportunité de renforcer l'adéquation entre l'objet d'une taxe et son affectation budgétaire avait été soulignée par la Cour des comptes dans son rapport de 2022 sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale171(*).

Proposition n° 1 : Orienter davantage les recettes de la fiscalité comportementale vers des actions de prévention et communiquer clairement à ce sujet.

Le Fonds de lutte contre les addictions (FLCA)

Au sein de la Caisse nationale de l'Assurance maladie, un « Fonds de lutte contre le tabac » a été instauré en 2017 par le décret n° 2016-1671 du 5 décembre 2016. La LFSS pour 2019 l'a remplacé en 2019 par un « Fonds de lutte contre les addictions liées aux substances psychoactives ». La LFSS pour 2022 l'a, à son tour, remplacé par l'actuel « Fonds de lutte contre les addictions » (FLCA).

La base juridique de ce fonds est l'article L. 221-1-4 du code de la sécurité sociale, qui prévoit qu' « il est créé, au sein de la Caisse nationale de l'assurance maladie, un fonds de lutte contre les addictions » et qu' « un arrêté des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale fixe, chaque année, le montant de la dotation de la branche Maladie finançant le fonds et détermine la liste des bénéficiaires des financements attribués par le fonds ainsi que les montants et la destination des sommes qui leur sont versées en application du présent article ».

Dans le cas de l'exercice 2023, ce fonds est doté de près de 130 millions d'euros. Près des trois quarts des crédits ne sont fléchés vers aucun type d'addiction ; les montants explicitement fléchés vers le tabac et l'alcool représentent respectivement 14 % et 10 % des crédits environ.

Répartition des crédits du Fonds de lutte contre les addictions (2023)

(en euros)

 

Montant

Tabac

Alcool

Drogues illicites

Jeux d'argent et de hasard

Non explicité

Cnam

34 621 691

3 627 600

2 105 000

   

28 889 091

CCMSA

340 000

140 000

     

200 000

ANSP (Santé publique France)

28 575 600

13 326 600

9 640 500

678 000

1 766 000

3 164 500

INCa

9 636 362

1 286 362

     

8 350 000

Inserm

18 501 909

       

18 501 909

Soutien aux déclinaisons régionales du programme national de lutte contre le tabac et de la stratégie interministérielle de mobilisation contre les addictions

34 000 000

       

34 000 000

OFDT

3 240 000

30 000

890 000

2 070 000

 

250 000

Cnam - marché d'évaluation portant sur des thématiques cibles

622 604

       

622 604

Total

129 538 166

18 410 562

12 635 500

2 748 000

1 766 000

93 978 104

%

100,0

14,2

9,8

2,1

1,4

72,5

Cnam : Caisse nationale de l'assurance maladie. CCMSA : Caisse centrale de de la mutualité sociale agricole. ANSP : Agence nationale de la santé publique (Santé publique France). INCa : Institut national du cancer. Inserm : Institut national de la santé et de la recherche médicale. OFDT : Observatoire français des drogues et des tendances addictives.

Source : Mecss du Sénat, d'après l'arrêté du 25 juillet 2023 fixant la liste des bénéficiaires et les montants alloués par le fonds de lutte contre les addictions ainsi que le montant de la dotation de la branche maladie finançant le fonds de lutte contre les addictions au titre de l'année 2023

2. Structurer une politique de prévention globale et intensifier les efforts en faveur de l'information et de la sensibilisation des consommateurs

La Cour des comptes souligne, dans son rapport public thématique172(*) de 2016 sur la lutte contre les consommations nocives d'alcool, qu'il n'existe pas de campagne de prévention dédiée à la lutte contre l'alcoolisme ou les consommations excessives d'alcool (contrairement à ce qui est le cas pour le tabac). Il est incompréhensible que les pouvoirs publics ne mènent pas de telle campagne, alors que les représentants des principales fédérations du secteur ont déclaré, lors de leur audition publique par la Mecss le 19 mars 2024, être favorables à une meilleure éducation et information du consommateur173(*).

Concernant la qualité de l'alimentation, les campagnes existantes pourraient être renforcées et diverses actions menées auprès de publics cibles. Dans un avis du 6 mars 2023174(*), le HCSP recommandait de mettre en oeuvre une politique de prévention tout au long de la vie en agissant sur les principaux déterminants de santé. Si les rendez-vous de prévention créés par la LFSS pour 2023 permettront d'aborder notamment les consommations addictives et la nutrition, ces consultations concernent seulement les personnes majeures et ne constituent que des bilans ponctuels au cours d'une vie, qui ne peuvent remplacer une politique de promotion de la santé globale impulsée au niveau national.

Une politique de prévention structurée devrait en particulier cibler les enfants et les adolescents. Les institutions scolaires ont ici un rôle primordial à jouer, de même que les collectivités territoriales. Les professionnels de ces structures, au contact des usagers, doivent être formés à la prévention en santé ; cette dimension devrait être partie intégrante des politiques de gestion prévisionnelle des métiers et des compétences.

La mise en oeuvre de cette recommandation exige un portage politique fort impulsé au niveau national.

Proposition n° 2 : Concevoir et structurer une politique de prévention globale impliquant les structures scolaires et les collectivités territoriales, et intensifier les efforts en faveur de l'information et de la sensibilisation des consommateurs.

3. Assurer le respect des interdictions de vente aux mineurs pour le tabac et l'alcool

Comme indiqué précédemment, les interdictions de vente de tabac et d'alcool aux mineurs sont peu appliquées.

Il convient donc d'assurer le respect de ces interdictions.

Il s'agit d'un enjeu d'autant plus important dans le cas du tabac que 90 % des fumeurs commencent à fumer avant 18 ans.

Cela pourrait notamment passer par :

- un renforcement des sanctions (amendes, suspension de la licence, fermeture administrative...) ;

- la mise en place d'un dispositif conditionnant techniquement le paiement à une vérification de l'âge (par exemple par la reconnaissance faciale) ;

- un renforcement des contrôles, par exemple en donnant compétence aux agents de la répression des fraudes de procéder à des contrôles, qui actuellement relèvent de la seule police.

Proposition n° 3 : Assurer le respect des interdictions de vente de tabac et d'alcool aux mineurs, par le renforcement des contrôles et des sanctions et la mise en place d'outils conditionnant le paiement à la vérification de l'âge.


* 170 Une enquête réalisée en 2021 par une équipe de recherche française dans le cadre du projet « soda tax » montre ainsi que plus de 76 % des personnes interrogées sont favorables à une taxe sur les boissons sucrées si les recettes sont réinvesties dans le système de santé.

* 171 Cour des comptes, La sécurité sociale - rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale, octobre 2022 (ces développements figurent au A - « Clarifier et simplifier les circuits de financement » du II- « Améliorer la lisibilité et le pilotage des comptes sociaux » du Chapitre II).

* 172 Cour des comptes, Les politiques de lutte contre les consommations nocives d'alcool, rapport public thématique - évaluation d'une politique publique, juin 2016.

* 173 Par exemple, M. Samuel Montgermont, président de Vin & Société, a déclaré que le vin devait être traité « en insistant sur l'éducation, la formation et la promotion de la consommation responsable ». M. Jérôme Volle, vice-président de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles, a par ailleurs souligné l'investissement de la FNSEA dans l'éducation des consommateurs, rappelant : « En 2021, notre réseau s'est impliqué dans la campagne « Un bon vin se sert avec tout, avec modération surtout », à destination du grand public et aussi des plus jeunes ».

* 174 HCSP, Avis relatif à la contribution du Haut conseil de la santé publique pour la future Stratégie nationale de santé, 6 mars 2023.

Partager cette page