N° 638

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024

Enregistré à la Présidence du Sénat le 29 mai 2024

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (1) de la commission des affaires sociales (2) sur la fiscalité comportementale dans le domaine de la santé,

Par Mmes Élisabeth DOINEAU, rapporteure générale,
et Cathy APOURCEAU-POLY,

Sénatrices

(1) Cette mission d'évaluation est composée de : M. Alain Milon, président ; Mmes Élisabeth Doineau, Annie Le Houerou, vice-présidentes ; Mmes Cathy Apourceau-Poly, Véronique Guillotin, Marie-Claude Lermytte, Solanges Nadille, Raymonde Poncet Monge, secrétaires ; Mmes Chantal Deseyne, Pascale Gruny, M. Olivier Henno, Mme Corinne Imbert, MM. Bernard Jomier, Philippe Mouiller, Mmes Émilienne Poumirol, Marie-Pierre Richer, M. Jean Sol.

(2) Cette commission est composée de : M. Philippe Mouiller, président ; Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale ; Mme Pascale Gruny, M. Jean Sol, Mme Annie Le Houerou, MM. Bernard Jomier, Olivier Henno, Xavier Iacovelli, Mmes Cathy Apourceau-Poly, Véronique Guillotin, M. Daniel Chasseing, Mme Raymonde Poncet Monge, vice-présidents ; Mmes Viviane Malet, Annick Petrus, Corinne Imbert, Corinne Féret, Jocelyne Guidez, secrétaires ; Mmes Marie-Do Aeschlimann, Christine Bonfanti-Dossat, Corinne Bourcier, Céline Brulin, M. Laurent Burgoa, Mmes Marion Canalès, Maryse Carrère, Catherine Conconne, Patricia Demas, Chantal Deseyne, Brigitte Devésa, M. Jean-Luc Fichet, Mme Frédérique Gerbaud, M. Khalifé Khalifé, Mmes Florence Lassarade, Marie-Claude Lermytte, Monique Lubin, Brigitte Micouleau, M. Alain Milon, Mmes Laurence Muller-Bronn, Solanges Nadille, Anne-Marie Nédélec, Guylène Pantel, M. François Patriat, Mmes Émilienne Poumirol, Frédérique Puissat, Marie-Pierre Richer, Anne-Sophie Romagny, Laurence Rossignol, Silvana Silvani, Nadia Sollogoub, Anne Souyris, MM. Dominique Théophile, Jean-Marie Vanlerenberghe.

L'ESSENTIEL

___________

Chaque année en France, le tabagisme, la consommation d'alcool et l'obésité entraînent respectivement 70 000, 40 000 et 27 000 décès prématurés. Aux conséquences sanitaires s'ajoute l'impact sur les finances publiques, qui justifie également une préoccupation budgétaire. La fiscalité comportementale peut contribuer à réduire le nombre de morts évitables. Le rapport propose ainsi notamment d'augmenter la fiscalité du tabac et des boissons sucrées. Il recommande aussi de réfléchir à l'instauration d'un prix minimum par unité d'alcool pur, et de recourir à d'autres outils tels que l'encadrement de l'exposition publicitaire ou des normes de composition nutritionnelle.

I. UN EFFORT CONTRASTÉ ET UN CONSTAT D'ÉCHEC RELATIF DES POLITIQUES DE PRÉVENTION MENÉES

A. UNE PRÉVALENCE DU TABAGISME TOUJOURS FORTE MALGRÉ LE NIVEAU ÉLEVÉ DE LA FISCALITÉ

En France, la fiscalité des produits du tabac rapporte à la sécurité sociale 14 milliards d'euros par an.

Un paquet de 20 cigarettes « premium » était vendu au 1er janvier 2024 12,5 euros, dont environ 8,5 euros d'accise sur les tabacs, 2 euros de TVA, 1 euro de rémunération du buraliste et 1 euro de marge du fabriquant (cf. graphique page suivante).

La France fait partie des six États de l'OCDE où le prix du paquet de cigarettes est le plus élevé. En Europe, seuls le Royaume-Uni et l'Irlande ont des tarifs supérieurs.

La fiscalité n'est pas le seul outil de lutte contre le tabagisme. On peut en particulier mentionner la « loi Veil » de 1976 (encadrement de la publicité), la « loi Évin » de 1991 (interdiction de la publicité et interdiction de fumer dans les lieux à usage collectif) et, plus récemment, la campagne « Mois sans tabac » (2016), le paquet neutre (2017 - la France étant le premier État à l'instaurer après l'Australie) et un meilleur remboursement des substituts nicotiniques (2019).

Prix d'un paquet de 20 cigarettes « premium » au 1er janvier 2024

(en €)

Source : Direction générale des douanes et droits indirects

On pourrait donc s'attendre, compte tenu des moyens mis en oeuvre, à ce que la politique de lutte contre le tabagisme soit un succès.

Pourtant, la politique de réduction du tabagisme est un échec.

Contrairement aux autres États couvertes par l'OCDE, la France affiche une prévalence du tabagisme à peu près stable depuis 1960, malgré l'effet de la hausse de la fiscalité de 2018-2020.

Proportion de fumeurs quotidiens parmi la population de 15 ans et plus
selon l'OCDE (1960-2022)

(en %)

Source : D'après l'OCDE

Le tabagisme présente ainsi un coût social important

 
 
 

Nombre de décès prématurés

Coût net pour les finances publiques*

Coût social total

Source : Pierre Kopp, Le coût social des drogues : estimation en France en 2019, OFDT, juillet 2023

* Cette estimation ne prend pas en compte l'impact négatif sur le PIB.

B. L'ABSENCE DE RÉELLE POLITIQUE, NOTAMMENT FISCALE, DE LUTTE CONTRE LA CONSOMMATION NOCIVE D'ALCOOL

Selon la Cour des comptes (2021), si les pouvoirs publics mènent une politique résolue de réduction de la consommation de tabac, aucun « effort notable » n'a été engagé dans le cas de l'alcool.

La « loi Evin » de 1991 impose des règles beaucoup moins strictes que pour le tabac en matière de publicité (interdiction seulement pour la télévision et le cinéma, seul le contenu étant contraint).

Le produit de la fiscalité de l'alcool représente seulement 4 milliards d'euros par an.

La taxation de l'unité standard d'alcool (10 grammes d'alcool pur, soit un « verre standard » de la boisson concernée), forte pour les spiritueux et moyenne pour la bière, est négligeable dans le cas du vin.

Taxation de 10 g d'alcool pur (2024)

(en euros)

Source : Mecss du Sénat

La consommation nocive d'alcool a un coût social élevé. En particulier, son coût net pour les finances publiques serait le double de celui du tabac.

 
 
 

Nombre de décès prématurés

Coût net pour les finances publiques*

Coût social total

Source : Pierre Kopp, Le coût social des drogues : estimation en France en 2019, OFDT, juillet 2023

* Cette estimation ne prend pas en compte l'impact négatif sur le PIB.

C. UNE FISCALITÉ NUTRITIONNELLE ENCORE BALBUTIANTE

Dans le champ nutritionnel, seules les boissons à sucres ajoutés et édulcorées font l'objet d'une taxe à visée comportementale depuis 2012 en France. Il faut néanmoins attendre la LFSS pour 2018 pour conférer une dimension véritablement comportementale à la taxe sur les boissons à sucres ajoutés1(*).

Les contributions sur les boissons à sucres ajoutés et les boissons édulcorées génèrent respectivement 443 millions d'euros et 43 millions d'euros de recettes en 2023.

La taxation de la teneur en sucres d'une boisson poursuit deux objectifs : accroître le prix des produits les plus sucrés pour décourager leur consommation, et inciter les producteurs à modifier la composition de leurs produits pour échapper à la taxe.

La France a été l'un des premiers pays à expérimenter la mise en oeuvre d'une taxe sur les boissons à sucres ajoutés. Dix ans plus tard, les taxes sodas sont en vigueur dans près de cinquante États dans le monde.

Toutefois, la révision du barème de la taxe en 2018 a eu un effet marginal sur la hausse de prix des boissons sucrées (+ 1,7 % par rapport au prix des boissons édulcorées) et sur leur consommation (équivalant à environ 1 gramme de sucre de moins par jour).

L'impact sur la reformulation par les fabricants de la composition de leurs produits apparaît également limité, même si la Cour des comptes relevait en 2019 quelques évolutions substantielles (- 70 % de sucres pour un producteur de limonade). À l'inverse, des producteurs disposant de gammes de produits édulcorés ou sans sucres n'ont que peu ou pas fait évoluer leurs pratiques.

L'augmentation continue des recettes fiscales associées à cette taxe (+ 18 % depuis 2018) tend à démontrer que le seuil fiscal optimal de la courbe de Laffer n'est pas atteint et que l'imposition pourrait être renforcée.

2023

 

2023

 
 

Taxe sur les boissons sucrées

Taxe sur les boissons édulcorées

Décès prématurés annuels

Le recours à l'outil fiscal n'est pas isolé ; il s'accompagne de mesures diverses, telles que l'usage du Nutri-Score ou des démarches d'engagement volontaire des producteurs, mais qui demeurent insuffisantes pour structurer une politique nutritionnelle globale.

II. SE DONNER LES MOYENS DE LA PRÉVENTION : PROPOSITIONS POUR UNE ACTION VOLONTARISTE

A. PROPOSITIONS TRANSVERSALES

Des études démontrent qu'une mesure de fiscalité comportementale est d'autant mieux acceptée que les recettes fiscales qu'elle génère sont réinvesties dans des actions de prévention en santé.

De plus, alors que les actions d'information et de sensibilisation des usagers aux risques associés à certaines consommations influencent les comportements, les rapporteures relèvent qu'il n'existe pas de campagne de prévention dédiée à la lutte contre les consommations excessives d'alcool.

Enfin, la protection des mineurs doit être une priorité. Elle exige de se donner les moyens de faire respecter la législation en vigueur concernant les interdictions de vente de tabac et d'alcool.

Proposition n° 1 : Orienter davantage les recettes de la fiscalité comportementale vers des actions de prévention et communiquer clairement à ce sujet.

Proposition n° 2 : Concevoir et structurer une politique de prévention globale impliquant les structures scolaires et les collectivités territoriales, et intensifier les efforts en faveur de l'information et de la sensibilisation des consommateurs.

Proposition n° 3 : Assurer le respect des interdictions de vente de tabac et d'alcool aux mineurs, par le renforcement des contrôles et des sanctions et la mise en place d'outils conditionnant le paiement à la vérification de l'âge.

B. RENFORCER LA LUTTE CONTRE LE TABAGISME

La perspective d'une baisse importante de la prévalence du tabagisme au cours des prochaines décennies est aujourd'hui enfin envisageable, du fait de sa récente diminution parmi les lycéens, dont on peut espérer qu'elle s'étendra à l'ensemble de la population au fil du renouvellement générationnel.

Cette baisse résulte notamment du prix élevé de la cigarette, qui dissuade l'entrée dans le tabagisme.

Usage du tabac au lycée

(en %)

Source : Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT)

L'augmentation du prix des produits du tabac est préconisée notamment par l'Organisation mondiale de la santé (OMS). En France, la prévalence du tabagisme diminue quand le prix augmente de plus de 4 %. L'échec de la lutte contre le tabagisme vient de son caractère erratique.

Augmenter le prix des produits du tabac de 5 % par an (3,25 % hors inflation si celle-ci est de 1,75 %) jusqu'en 2040 permettrait de porter le prix du paquet de cigarettes d'environ 12 euros aujourd'hui à 25 euros en 2040 (20 euros en euros de 2024). Le prix actuel est de plus de 20 euros en Nouvelle-Zélande et 25 euros en Australie. Cette hausse moyenne pourrait être modulée pour prévoir une hausse d'environ 10 % certaines années (particulièrement efficace en 2018-2020).

Sur le plan économique, il n'y a pas de corrélation évidente entre les hausses de prix des cigarettes et l'évolution du nombre de buralistes (cf. graphique ci-contre). De fait, ceux-ci ne réalisent qu'une faible part de leurs marges sur la vente de produits du tabac.

Par ailleurs, l'argument de l'industrie du tabac selon lequel les hausses de prix favoriseraient l'augmentation du marché parallèle (c'est-à-dire le commerce transfrontalier légal, la contrebande et la contrefaçon) doit être relativisé.

Évolution du nombre de buralistes

Source : confédération des buralistes

Ses estimations, figurant dans une étude annuelle commandée au cabinet KPMG par Philip Morris et reposant sur des données fournies par l'industrie du tabac, s'appuient sur une méthodologie peu transparente et sont contestées, notamment, par la Direction générale des finances publiques (DGFiP), la direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI) et l'Observatoire français des drogues et des tendances addictives (ODFT).

Par ailleurs, comme le montrent les graphiques ci-après, selon les chiffres de l'industrie du tabac, l'augmentation continue depuis 2010 de la part du marché parallèle proviendrait essentiellement de la diminution du nombre de cigarettes vendues par les buralistes, l'augmentation du nombre de cigarettes vendues dans le cadre du marché parallèle étant bien moins spectaculaire, et concentrée sur les seules années 2021 et 2022.

Principales estimations du marché parallèle

En % du nombre total de cigarettes

En milliards de cigarettes

 
 

Source : Mecss du Sénat, d'après les sources indiquées

La hausse du prix des cigarettes entraîne habituellement un moindre taux de baisse des quantités vendues, et donc une augmentation de la rémunération des buralistes (ou « remise »), définie réglementairement en proportion du prix de vente. On pourrait renforcer ce phénomène en augmentant réglementairement le taux de cette rémunération.

Proposition n° 4 : Augmenter le prix des produits du tabac d'au moins 3,25 % par an hors inflation jusqu'en 2040, par la fiscalité et par une augmentation du taux de rémunération des buralistes.

Une nouvelle augmentation de la fiscalité du tabac rendrait d'autant plus nécessaire de renforcer la lutte contre le marché parallèle, ce qui passe par des travaux d'estimation plus approfondis de celui-ci (prévus par le « plan tabac » 2023-2025 de la DGDDI) et diverses actions pour réduire le nombre de cigarettes vendues dans ce cadre.

Proposition n° 5 : Chiffrer selon une méthodologie fiable et transparente le nombre de cigarettes vendues dans le cadre du marché parallèle, et réduire ce nombre, par un renforcement de la lutte contre le commerce illicite, par des actions de prévention ciblées dans le cas du commerce transfrontalier licite, et en promouvant une révision en ce sens des directives tabac (harmonisation des prix à la hausse, application obligatoire des règles sur l'approvisionnement proportionné des marchés prévues par le protocole de 2012 à la convention de l'OMS sur la lutte antitabac).

Actuellement, produits de vapotage exceptés, la vente de produits contenant de la nicotine n'est pas encadrée, ce qui n'est pas justifiable du point de vue de la santé publique.

Proposition n° 6 : Mieux encadrer la vente de produits contenant de la nicotine, en la limitant aux bureaux de tabac et aux magasins spécialisés et en interdisant leur vente aux mineurs, voire en instaurant une licence pour les magasins spécialisés.

L'article 15 de la LFSS 2023 prévoit d'aligner d'ici le 1er janvier 2026 la fiscalité du tabac à chauffer sur celle des cigarettes. Cette augmentation doit être effectivement menée à terme, malgré la demande de l'industrie du tabac que le tabac à chauffer bénéficie d'une fiscalité préférentielle. Contrairement à ce que suggèrent les industriels du tabac, le tabac à chauffer étant plus nocif que la cigarette électronique, son usage ne saurait être encouragé comme substitut à la cigarette.

Proposition n° 7 : Mener à bien, comme prévu par la loi, l'alignement de la fiscalité du tabac à chauffer sur celle des cigarettes.

Les rapporteures ne proposent pas en revanche d'instaurer une taxation des produits du vapotage, afin d'éviter le risque d'un report de certains consommateurs vers le tabac.

C. DÉFINIR UNE POLITIQUE DE LUTTE CONTRE LA CONSOMMATION NOCIVE D'ALCOOL

Selon l'Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT), les seuls États de l'Union européenne producteurs taxant le vin sont la France et l'Espagne, qui ont fixé cette fiscalité à un niveau symbolique. Par ailleurs, selon Santé publique France, en 2017, 10 % des 18-75 ans consommaient 58 % de l'alcool. L'augmentation de la fiscalité de l'alcool, et en particulier du vin, pour souhaitable qu'elle soit du point de vue de la santé publique, semble donc difficilement envisageable en pratique.

Une solution alternative serait d'instaurer un prix minimum de vente par unité d'alcool pur, comme le préconisent l'OMS (2010), la Cour des comptes (2016), de récents travaux de simulation de Fabrice Etilé (2022) ou la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale (2023). Une telle mesure présente l'intérêt de cibler les consommations les plus pathologiques. Selon les travaux de simulation précités, un prix minimum de 0,5 euro pour 10 grammes d'alcool pur réduirait la mortalité par cancer imputable à la consommation d'alcool de 22 % et augmenterait les marges et les profits des producteurs indépendants de vin.

Un tel prix minimum a été récemment instauré en Écosse (2018), dans le Territoire du Nord australien (2018), au Pays de Galles (2020) et en Irlande (2022). À la suite d'une évaluation de Public Health Scotland (2023), le Parlement écossais a décidé en 2024 de pérenniser la mesure (le prix minimum étant porté de 0,5 livre à 0,65 livre pour 10 grammes d'alcool pur).

Malgré tout, la proposition suscite en France l'opposition des représentants de la filière, qui lors de leur audition par la Mecss, ont exprimé la crainte que l'augmentation des marges soit captée par les distributeurs.

Proposition n° 8 : Poursuivre, en associant les producteurs, la réflexion sur l'instauration éventuelle d'un prix minimum par unité d'alcool, afin notamment d'éviter que les augmentations de marge soient captées par les distributeurs.

Actuellement, la publicité pour l'alcool est autorisée sur la quasi-totalité des supports, y compris internet (depuis 2009). Seul son contenu est encadré, qui doit se borner à des informations objectives. Comme le souligne l'association Addictions France, ces règles sont fréquemment violées, en particulier sur internet.

Proposition n° 9 : Mieux encadrer la publicité pour l'alcool, en inscrivant à l'article L. 3351-7 du code de la santé publique des peines plus dissuasives et adaptées et en interdisant la publicité pour l'alcool sur internet.

La Cour des comptes préconise, dans son rapport public thématique précité de 2016, d'« élaborer un programme national de réduction des consommations nocives d'alcool », sur le modèle de ce qui existe dans cas du tabac. Un tel programme national permettrait de fixer des objectifs clairs et favoriserait la cohérence des actions menées.

Proposition n° 10 : Élaborer et rendre public un programme national de réduction des consommations nocives d'alcool.

D. CRÉER LES CONDITIONS D'UN ENVIRONNEMENT NUTRITIONNEL FAVORABLE À LA SANTÉ

1. Se doter d'une fiscalité nutritionnelle plus audacieuse

Compte tenu de son bilan mitigé, l'efficacité de la taxe soda doit être renforcée. Il est pour cela recommandé de s'inspirer du modèle britannique. Celui-ci a produit un impact significatif2(*), grâce à un barème fiscal fortement désincitatif et à d'importants effets de seuils générés par des tranches fiscales favorisant la reformulation des compositions nutritionnelles par les producteurs.

Comparaison des taxes sur les boissons sucrées en France
et au Royaume-Uni

Source : Commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, rapport d'information concluant les travaux du Printemps social de l'évaluation, juin 2023

Le dispositif fiscal doit être lisible et aisément compréhensible par les acteurs du marché pour faciliter leur repositionnement, à l'inverse de la taxe française dont le barème graduel apparaît complexe et peu incitatif.

En cohérence avec la proposition n° 1, la pédagogie autour de cette taxe devrait être renforcée pour améliorer son acceptabilité.

Proposition n° 11 : Réformer le barème de la taxe sur les boissons sucrées, en augmentant ses taux et en limitant le nombre de tranches d'imposition, afin de renforcer son efficacité et d'accentuer sa visée comportementale.

Proposition n° 12 : Accompagner la réforme de la taxe sur les boissons sucrées d'une communication adaptée, explicitant les objectifs poursuivis en termes de santé publique et valorisant le financement d'actions de prévention.

2. Au-delà de l'outil fiscal, structurer une politique nutritionnelle globale

Le choix de recourir à des outils non contraignants pour faire évoluer la composition des produits alimentaires (réduction des taux de sucre, de sel, de gras) n'a pas fait ses preuves. Sur le modèle d'autres pays dans le monde (Autriche, Danemark), des standards de composition nutritionnelle pourraient être fixés pour certains catégories d'aliments. Cette mission serait confiée à l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses). Le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) avait recommandé d'agir en ce sens dès 20173(*).

En parallèle, le soutien à la consommation de fruits et de légumes, par le biais d'un dispositif de type « chèque alimentaire », a fait l'objet de tergiversations de la part de l'exécutif après avoir été préconisé par la convention citoyenne pour le climat. Convaincues de l'intérêt d'une telle mesure, les rapporteures souhaitent l'ouverture d'un débat au Parlement à l'appui d'une étude d'impact consolidée.

Par ailleurs, depuis la « loi Gattolin » du 20 décembre 20164(*), les conditions de la régulation du marketing alimentaire n'ont pas évolué. Le cadre législatif actuel, minimaliste et désormais dépassé, doit être renforcé. Les travaux réalisés par Santé Publique France conduisent les rapporteures à formuler une recommandation ambitieuse.

Enfin, les rapporteures appellent de leurs voeux une évolution de la réglementation européenne en faveur d'un Nutri-Score obligatoire, compte tenu de l'impact avéré de l'affichage de ce logo sur les choix des consommateurs.

Proposition n° 13 : Fixer des quantités maximales de sucre, de sel ou de matières grasses pour certaines catégories d'aliments.

Proposition n° 14 : Produire et transmettre au Parlement dans les meilleurs délais le rapport sur les modalités de mise en oeuvre d'un chèque alimentaire prévu par la loi « Climat et résilience » de 2021, puis expérimenter un dispositif de soutien à l'achat de fruits et légumes par les ménages disposant de ressources inférieures à un seuil à déterminer.

Proposition n° 15 : Interdire à la télévision et sur internet les publicités pour des aliments de faible qualité nutritionnelle ciblant les enfants de moins de 17 ans.

Proposition n° 16 : Plaider pour un Nutri-Score obligatoire à l'échelle européenne grâce à une révision du règlement EU n° 1169/2011.

Réunie le mercredi 29 mai 2024 sous la présidence de Philippe Mouiller, la commission des affaires sociales a adopté le rapport et les recommandations, et en a autorisé la publication.

LISTE DES PRINCIPALES PROPOSITIONS

___________

PROPOSITIONS TRANSVERSALES

Proposition n° 1 : Orienter davantage les recettes de la fiscalité comportementale vers des actions de prévention et communiquer clairement à ce sujet.

Proposition n° 2 : Concevoir et structurer une politique de prévention globale impliquant les structures scolaires et les collectivités territoriales, et intensifier les efforts en faveur de l'information et de la sensibilisation des consommateurs.

Proposition n° 3 : Assurer le respect des interdictions de vente de tabac et d'alcool aux mineurs, par le renforcement des contrôles et des sanctions et la mise en place d'outils conditionnant le paiement à la vérification de l'âge.

RENFORCER LA LUTTE CONTRE LE TABAGISME

Proposition n° 4 : Augmenter le prix des produits du tabac d'au moins 3,25 % par an hors inflation jusqu'en 2040, par la fiscalité et par une augmentation du taux de rémunération des buralistes.

Proposition n° 5 : Chiffrer selon une méthodologie fiable et transparente le nombre de cigarettes vendues dans le cadre du marché parallèle, et réduire ce nombre, par un renforcement de la lutte contre le commerce illicite, par des actions de prévention ciblées dans le cas du commerce transfrontalier licite, et en promouvant une révision en ce sens des directives tabac (harmonisation des prix à la hausse, application obligatoire des règles sur l'approvisionnement proportionné des marchés prévues par le protocole de 2012 à la convention de l'OMS sur la lutte antitabac).

Proposition n° 6 : Mieux encadrer la vente de produits contenant de la nicotine, en la limitant aux bureaux de tabac et aux magasins spécialisés et en interdisant leur vente aux mineurs, voire en instaurant une licence pour les magasins spécialisés.

Proposition n° 7 : Mener à bien, comme prévu par la loi, l'alignement de la fiscalité du tabac à chauffer sur celle des cigarettes.

RENFORCER LA LUTTE CONTRE LA CONSOMMATION NOCIVE D'ALCOOL

Proposition n° 8 : Poursuivre, en associant les producteurs, la réflexion sur l'instauration éventuelle d'un prix minimum par unité d'alcool, afin notamment d'éviter que les augmentations de marge soient captées par les distributeurs.

Proposition n° 9 : Mieux encadrer la publicité pour l'alcool, en inscrivant à l'article L. 3351-7 du code de la santé publique des peines plus dissuasives et adaptées et en interdisant la publicité pour l'alcool sur internet.

Proposition n° 10 : Élaborer et rendre public un programme national de réduction des consommations nocives d'alcool.

FAIRE ÉVOLUER L'ENVIRONNEMENT NUTRITIONNEL : UNE EXIGENCE SANITAIRE ET POLITIQUE

Proposition n° 11 : Réformer le barème de la taxe sur les boissons sucrées, en augmentant ses taux et en limitant le nombre de tranches d'imposition, afin de renforcer son efficacité et d'accentuer sa visée comportementale.

Proposition n° 12 : Accompagner la réforme de la taxe sur les boissons sucrées d'une communication adaptée, explicitant les objectifs poursuivis en termes de santé publique et valorisant le financement d'actions de prévention.

Proposition n° 13 : Fixer des quantités maximales de sucre, de sel ou de matières grasses pour certaines catégories d'aliments.

Proposition n° 14 : Produire et transmettre au Parlement dans les meilleurs délais le rapport sur les modalités de mise en oeuvre d'un chèque alimentaire prévu par la loi « Climat et résilience » de 2021, puis expérimenter un dispositif de soutien à l'achat de fruits et légumes par les ménages disposant de ressources inférieures à un seuil à déterminer.

Proposition n° 15 : Interdire à la télévision et sur internet les publicités pour des aliments de faible qualité nutritionnelle ciblant les enfants de moins de 17 ans.

Proposition n° 16 : Plaider pour un Nutri-Score obligatoire à l'échelle européenne grâce à une révision du règlement EU n° 1169/2011.

LISTE DES PRINCIPAUX SIGLES

___________

Anses

Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail

ANSP

Agence nationale de la santé publique (également Santé Publique France, SPF)

Arcom

Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique

BEH

Bulletin épidémiologique hebdomadaire (publication de SPF)

CCMSA

Caisse centrale de la mutualité sociale agricole

CJUE

Cour de justice de l'Union européenne

Cnam

Caisse nationale de l'assurance maladie

CNCT

Comité national contre le tabagisme (association)

CPO

Conseil des prélèvements obligatoires

DGAL

Direction générale de l'alimentation

DGCCRF

Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes

DGDDI

Direction générale des douanes et droits indirects

DGFiP

Direction générale des finances publiques

DGS

Direction générale de la santé

EHESP

École des hautes études en santé publique

FLCA

Fonds de lutte contre les addictions

HCSP

Haut Conseil de la santé publique

HPST

Loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires

INCa

Institut national du cancer

Insee

Institut national de la statistique et des études économiques

Inrae

Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement

Inserm

Institut national de la santé et de la recherche médicale

LFI

Loi de finances initiale

LFSS

Loi de financement de la sécurité sociale

Mecss

Mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale

Mildeca

Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives

OCDE

Organisation de coopération et de développement économiques

OFDT

Observatoire français des drogues et des tendances addictives

OMS

Organisation mondiale de la santé

Oqali

Observatoire de l'alimentation

PIB

Produit intérieur brut

PLFSS

Projet de loi de financement de la sécurité sociale

PNAN

Programme national de l'alimentation et la nutrition

PNLT

Programme national de lutte contre le tabac

PNNS

Programme national nutrition santé

PNRT

Programme national de réduction du tabagisme

PPA

Parité de pouvoirs d'achat

RAVGDT

Régime d'allocations viagères des gérants de débits de tabac

SNANC

Stratégie nationale pour l'alimentation, la nutrition et le climat

SPF

Santé Publique France (également Agence nationale de la santé publique, ANSP)

TVA

Taxe sur la valeur ajoutée

UE

Union européenne

UFC

Union fédérale de consommateurs

LA MISSION D'ÉVALUATION ET DE CONTRÔLE DE LA SÉCURITÉ SOCIALE (MECSS)

La Mecss du Sénat

Selon l'article L.O. 111-10 du code de la sécurité sociale, « il peut être créé au sein de la commission de chaque assemblée saisie au fond des projets de loi de financement de la sécurité sociale une mission d'évaluation et de contrôle chargée de l'évaluation permanente de ces lois ».

Ainsi, chacune des deux commissions des affaires sociales a créé en son sein une Mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss).

Les commissions des affaires sociales disposent de prérogatives importantes en matière de contrôle5(*).

Dans le cas des missions d'évaluation et de contrôle, en cas de non-transmission d'informations, le président de la commission peut demander au juge statuant en référé de faire cesser l'entrave sous astreinte6(*). Par ailleurs, la mission d'évaluation et de contrôle peut adresser aux pouvoirs publics des observations, ceux-ci ayant deux mois pour y répondre7(*).

Conformément à son règlement intérieur, la Mecss du Sénat comprend 16 membres désignés de façon à assurer une représentation proportionnelle des groupes politiques, auxquels s'ajoute le président de la commission. Le rapporteur général et les rapporteurs de branche sont membres de droit de la Mecss.

Déroulé des travaux

Lors de sa réunion du 12 décembre 2023, la Mecss du Sénat a adopté son programme de travail pour 2024, comprenant un contrôle sur la fiscalité comportementale dans le domaine de la santé. Lors de sa réunion du 14 décembre 2023, le bureau de la commission des affaires sociales a validé ce programme de travail.

Lors de sa réunion du 17 janvier 2024, la Mecss a nommé Elisabeth Doineau (groupe Union centriste, sénatrice de la Mayenne) rapporteure générale, et Cathy Apourceau-Poly (groupe Communiste, républicain, citoyen et écologiste - Kanaky, sénatrice du Pas-de-Calais) co-rapporteures de ce contrôle. Cette désignation conjointe d'un membre de la majorité et d'un membre de l'opposition sénatoriales a pour objet de garantir l'objectivité des travaux.

Des questionnaires écrits ont été adressés à l'ensemble des personnes ou entités auditionnées. Leur liste figure à la fin du présent rapport.

Le rapport a été adopté par la commission des affaires sociales du Sénat le 29 mai 2024.

AVANT-PROPOS

Chaque année en France, environ 70 000 personnes meurent prématurément du tabac, 40 000 de l'alcool et 27 000 de l'obésité. Pour ces personnes, le nombre moyen d'années de vie perdues est estimé à 14 ans pour le tabac, 17 ans pour l'alcool et 8 ans pour l'obésité morbide.

Le tabagisme, la consommation d'alcool et l'obésité favorisent l'apparition et le développement des maladies non transmissibles (cancers, maladies cardio-vasculaires, diabète, etc.). Ils présentent des coûts sanitaires et sociaux importants, qui justifient la préoccupation des pouvoirs publics pour en diminuer l'impact au travers de politiques de prévention en santé, plus ou moins volontaristes.

Leurs conséquences sur les finances publiques justifient également une analyse sous l'angle budgétaire. En effet, le coût net pour les finances publiques8(*) serait de 1,7 milliard d'euros pour le tabac, 3,3 milliards d'euros pour l'alcool et 9,5 milliards d'euros pour l'obésité, selon les données de l'Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT) et de la direction générale du Trésor9(*). Toutefois ces chiffrages ne prennent pas en compte le fait que le tabac, l'alcool et l'obésité réduisent également le PIB10(*), ce qui pourrait considérablement accroître l'impact sur les finances publiques11(*).

Selon le code de la santé publique12(*), la prévention « a pour but d'améliorer l'état de santé de la population en évitant l'apparition, le développement ou l'aggravation des maladies ou accidents et en favorisant les comportements individuels et collectifs pouvant contribuer à réduire le risque de maladie et d'accident ». La mise en oeuvre d'une politique de prévention efficace et adaptée permettrait d'améliorer à la fois l'état de santé général de la population et le solde du déficit public (par la réduction des dépenses de soins et des impacts positifs sur l'emploi).

La France accuse un retard certain dans le déploiement de politiques de prévention en santé, qu'entend combler le « virage de la prévention » annoncé par le Gouvernement dès 2017. Le budget consacré aux dépenses de prévention, historiquement faible13(*), a connu un rebond en 2020 et 2021 en raison de la crise sanitaire de la covid-19 - dépenses de dépistage et de vaccination. Les efforts à déployer pour structurer une politique de prévention ambitieuse restent pourtant à accomplir.

Dans ce contexte, la fiscalité comportementale se présente comme un outil susceptible d'être utilisé par les pouvoirs publics au soutien d'une politique visant à réduire le tabagisme, la consommation nocive d'alcool et l'obésité. On distingue souvent la fiscalité comportementale de la fiscalité de rendement, cette dernière ayant pour objet principal d'accroître les recettes publiques, alors que la fiscalité dite « comportementale » vise prioritairement à orienter les comportements des individus afin d'améliorer la santé de la population.

La politique de lutte contre le tabagisme recourt très largement à l'outil fiscal dans une visée comportementale. Les recettes dégagées par la fiscalité du tabac témoignent d'ailleurs du fait que fiscalité de rendement et fiscalité comportementale ne s'opposent pas nécessairement. En revanche, elle n'est que peu ou pas mobilisée pour lutter contre la consommation nocive d'alcool ou de produits alimentaires défavorables à la santé.

Constatant cette situation, dans un contexte budgétaire sous tension et compte tenu des inquiétants indicateurs de santé publique enregistrés en France, les rapporteures se sont efforcées de dresser un bilan des politiques conduites en matière de fiscalité comportementale et de comprendre les conditions dans lesquelles il pouvait être opportun de recourir ou non à l'outil fiscal pour prévenir des comportements défavorables à la santé et coûteux pour l'ensemble du système de santé.

Dans le champ de la fiscalité applicable aux biens et aux services, la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) constitue l'imposition la plus importante (environ 200 milliards d'euros de recettes par an), suivie de la fiscalité de l'énergie (environ 50 milliards d'euros de recettes par an). La fiscalité comportementale pesant sur le tabac, l'alcool et les denrées alimentaires constitue le troisième poste fiscal ; elle représente près de 20 milliards d'euros de recettes par an, dont environ 14 milliards d'euros sont générés par le tabac, 4 milliards d'euros par l'alcool et 0,5 milliard d'euros par l'imposition sur les boissons sucrées et édulcorées.

La fiscalité des jeux, bien que relevant également de la santé publique, obéit à des problématiques spécifiques. Le présent rapport ne l'abordera donc pas.

La mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss) du Sénat s'était déjà penchée sur la fiscalité comportementale dans le domaine de la santé dans un rapport d'information de 201414(*). Ses travaux l'avaient conduite à recommander une forte augmentation de la fiscalité du tabac15(*). Elle ne préconisait pas toutefois, au vu des enjeux économiques de la filière vitivinicole, de rapprocher la fiscalité du vin de celle des autres boissons alcoolisées. Elle jugeait en outre important de mieux encadrer la publicité sur les aliments16(*).

Plusieurs raisons ont amené la Mecss du Sénat à évaluer à nouveau les politiques de fiscalité comportementale.

Tout d'abord, cette question n'a jamais cessé d'être d'actualité, comme en attestent le nombre d'études et la variété des institutions ayant consacré des travaux à ce sujet. Parmi les plus récents, on peut notamment citer le rapport de la Cour des comptes relatif à la prévention et à la prise en charge de l'obésité (2019)17(*), les travaux du Conseil des prélèvements obligatoires sur la fiscalité nutritionnelle (2023)18(*), ou le rapport19(*) de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale relatif au « printemps social de l'évaluation » de 2023. On peut aussi, plus largement, renvoyer aux diverses études de la Commission européenne, de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), de l'OFDT ou aux travaux universitaires ayant abordé cette question.

Les parlementaires n'ont pas manqué de se saisir de ces enjeux. Au Sénat, de nombreux amendements relatifs à des taxes comportementales sont discutés chaque année lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). Ainsi, lors de l'examen du PLFSS 2024, une quarantaine d'amendements ont été déposés, tendant à alléger, alourdir ou créer certaines taxes à visée comportementale. Le Sénat en a adopté plusieurs, qui n'ont pas été maintenus dans la suite de la discussion, le Gouvernement ayant exprimé un avis défavorable à chacun d'eux20(*).

Ensuite, le débat, enrichi de nouveaux travaux et de nouvelles expérimentations en France et à l'étranger, a notablement évolué depuis 2014.

Dans le cas du tabac, une forte augmentation de la fiscalité est intervenue en 2018-2020, suivant la recommandation de la Mecss du Sénat dans son rapport précité de 2014 ; cela a été suivi par une baisse de la proportion de fumeurs quotidiens, de 30 % à 25 % environ.

Dans le cas des boissons alcoolisées, des réflexions nouvelles ont porté sur l'instauration d'un prix minimum de vente au consommateur par unité d'alcool, comme solution alternative à une augmentation de la fiscalité. Le recours récent à cet outil dans plusieurs pays, généralement à un niveau infra-étatique21(*), a fait l'objet de premières évaluations. Selon Public Health Scotland, en Écosse le prix unitaire minimum aurait réduit le nombre annuel de décès directement imputables à l'alcool de 13,4 %. En France, la mesure a fait l'objet de simulations22(*) suggérant un fort impact sur la santé publique et, dans le cas des producteurs indépendants de vin, une augmentation des bénéfices. La filière s'oppose toutefois à une telle mesure, considérant que l'augmentation des marges pourrait être confisquée par les distributeurs.

Dans le cas de l'obésité, la taxe sur les boissons sucrées a fait l'objet en 2018 d'une réforme importante, consistant à rendre son barème progressif, afin de favoriser la réorientation des comportements des consommateurs. Une évaluation de cette réforme a été récemment conduite, coordonnée par l'École des hautes études en santé publique (EHESP), à laquelle les rapporteures ont eu accès et qui devrait être prochainement publiée.

Enfin, le rapport précité de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale relatif au « printemps social de l'évaluation » de 2023 formule diverses recommandations. Parmi les plus audacieuses, on relèvera celles préconisant d'augmenter la fiscalité du vin23(*) ainsi que celle proposant de réfléchir à l'instauration d'un prix minimum par unité d'alcool24(*). Le rapport propose également, de façon plus consensuelle, de rapprocher le barème de la taxe sur les boissons sucrées de celui de la taxe britannique25(*). Il n'aborde pas le sujet de la fiscalité du tabac.

Une jurisprudence constitutionnelle restrictive appliquée à la fiscalité comportementale

La fiscalité comportementale est soumise au contrôle du juge constitutionnel, qui se fonde à la fois sur le principe d'égalité devant la loi fiscale et sur celui de l'égalité devant les charges publiques. Le Conseil constitutionnel examine notamment l'adéquation entre les caractéristiques de la taxe comportementale - son assiette, son taux - et l'objectif d'intérêt général qu'a souhaité poursuivre le législateur. Cet objectif doit être clairement énoncé et en rapport avec les modalités de l'imposition.

« La fiscalité sur les biens et services est encadrée par des normes supra-législatives au nombre desquelles se situent le principe de libre circulation des marchandises du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), le régime général d'accise, second système de taxation harmonisé au niveau européen après la TVA, et enfin le principe constitutionnel d'égalité devant les charges publiques.

Concernant ce dernier principe, il convient mentionner l'appréciation particulière du principe d'égalité devant les charges publiques par le Conseil constitutionnel lorsqu'il est question de fiscalité comportementale, au sens fiscal du terme. Cette qualification emporte des exigences plus strictes que pour la fiscalité de rendement, essentiellement car elles conduisent à ce que les différences de traitement introduites présentent un lien avec la finalité comportementale poursuivie26(*). »

Source : DGFiP, réponse au questionnaire des rapporteures

Pour apporter une contribution utile au débat, les rapporteures ont adopté une approche évaluative, ce qui est l'une des vocations de la Mecss, et se sont imposé de suivre quatre règles.

La première règle a été d'examiner la fiscalité comportementale non pas de manière isolée, mais en relation avec les autres instruments de politique publique envisageables en matière de lutte contre le tabagisme, la consommation nocive d'alcool et une alimentation de mauvaise qualité. En particulier, il ne s'agissait pas, pour les rapporteures, de comparer la pertinence de la fiscalité comportementale à une situation d'inertie totale ou d'absence de politique publique, mais bien d'évaluer son efficacité par rapport aux autres instruments susceptibles d'être utilisés.

La deuxième règle suivie par les rapporteures a été, pour objectiver un débat souvent passionné, de s'appuyer sur une revue aussi exhaustive que possible des études disponibles. Plus de 100 publications, françaises ou internationales, pour la plupart mentionnées dans le corps du rapport ou dans ses annexes, ont été prises en compte dans les développements ci-après et les propositions formulées.

La troisième règle suivie par les rapporteures a été d'entendre le plus grand nombre possible de parties prenantes, soit une quarantaine d'entités, dont environ 15 dans le cadre d'auditions publiques par la Mecss et environ 25 dans le cadre d'auditions des rapporteures.

La quatrième règle suivie par les rapporteures a été, dans le cas des propositions, de se limiter à des mesures qui ne se heurtaient pas à une impossibilité manifeste de mise en oeuvre.

Cette approche a amené à retenir pour le présent rapport une structuration en trois parties.

La première partie analyse les forces et les limites de la fiscalité comportementale dans le domaine de la santé.

La deuxième partie dresse un bilan des politiques conduites, y compris en ce qui concerne leur volet non fiscal.

Enfin, la troisième partie présente les propositions de la Mecss pour conduire des politiques plus volontaristes et efficientes en matière de lutte contre le tabagisme, la consommation nocive d'alcool et l'obésité liée à une alimentation de mauvaise qualité.

I. I. LA FISCALITÉ COMPORTEMENTALE : FORCES ET LIMITES

A. LA FISCALITÉ COMPORTEMENTALE PERMET DE RÉDUIRE DES COMPORTEMENTS QUI ONT UN COÛT POUR LA SOCIÉTÉ

1. Le tabac, l'alcool et l'obésité ont un coût social important
a) Plusieurs dizaines de milliers de décès prématurés chaque année

Selon l'OFDT27(*), en 2019, 41 080 décès prématurés auraient été imputables à l'alcool et 73 189 au tabac. Compte tenu d'une espérance de vie à la naissance de 83 ans, ces personnes perdraient 17 années de vie pour l'alcool (décès à 66 ans en moyenne) et 14 années de vie pour le tabac (décès à 69 ans en moyenne).

Selon l'OCDE28(*), l'obésité provoquerait en France environ 27 000 décès prématurés par an29(*).

b) Des comportements et pathologies qui, sauf pour l'alcool, concernent surtout les personnes les moins aisées

Les inégalités de consommation du tabac et de l'alcool traduisent des inégalités socio-économiques.

Dans le cas du tabac30(*), en 2022, la proportion de fumeurs quotidiens s'élevait à 24,5 % dans la population générale. Toutefois, elle était de 30,8 % parmi les personnes n'ayant aucun diplôme ou un diplôme inférieur au baccalauréat et de 16,8 % parmi les titulaires d'un diplôme supérieur au baccalauréat. La prévalence était la plus élevée parmi le tiers de la population dont les revenus étaient les plus bas (33,6 %) et de 42,3 % parmi les personnes au chômage.

La prévalence de l'obésité en 2020, de 9,9 % pour les cadres, était de 17,8 % pour les employés et 18 % pour les ouvriers31(*).

En revanche, dans le cas de l'alcool, le dépassement des repères à moindre risque32(*) est d'autant plus fréquent que le revenu est élevé. Selon Santé publique France, en 2020, 23,7 % des 18-75 ans ont déclaré consommer de l'alcool au-delà des repères à moindre risque, ce taux étant de 30 % et 19,2 % pour les tiers de personnes dont les revenus étaient respectivement les plus élevés et les plus bas. Ce taux était d'environ 22,7 % parmi les personnes au chômage.

c) Un coût social de plus de 100 milliards d'euros associé au tabac, à l'alcool et à l'obésité

Diverses études s'efforcent d'évaluer l'impact du tabac, de l'alcool et de l'obésité non seulement pour les personnes concernées, mais aussi pour l'ensemble de la société, au moyen d'un chiffrage monétaire : c'est ce qu'on appelle le « coût social ».

Ces chiffrages regroupent des éléments disparates :

- le coût dit « externe », pour les personnes concernées (valeur des vies humaines perdues, perte de qualité de vie) et pour le reste de la société (pertes de production des entreprises et des administrations) ;

- le coût pour les finances publiques, défini comme correspondant essentiellement au coût des soins net des ressources fiscales.

Les principales estimations disponibles du coût social de l'alcool, du tabac et de l'obésité sont synthétisées par le tableau ci-après.

Principales estimations du coût social de l'alcool, du tabac et de l'obésité

(en millions d'euros,
sauf OCDE (2019) en millions de dollars PPA)

 

Kopp (2023)

OCDE (2021)

OCDE (2023)

Trésor-Eco
(2016)

OCDE (2019)

 

Alcool

Tabac

Alcool

Tabac

Obésité

Obésité

Année prise en compte pour le chiffrage du coût social

2019

2019

2015

2019

2012

Moyenne 2020-2050

1. Coût externe (2+3+4+5)

-98 457

-154 200

-88 600

-74 200

-9 100

-167 619*

2. Coût des vies perdues

-55 349

-88 216

-73 000

-67 000

 

-114 268*

3. Coût de la perte de qualité de vie

-35 949

-55 674

       

4. Pertes de production

-7 159

-10 310

-15 600

-7 200

-7 100

-53 351*

5. Dépenses de soins non remboursées

       

-2 000

 

6. Coût pour les finances publiques (7+8+9+10)

-3 332

-1 691***

-1 900

-4 600

-9 500

-10 077*

7. Coût des soins

-7 849

-16 439

-1 900

-4 600

-17 100

-10 077*

8. Économie de retraites venant des décès prématurés

1 256

2 845

   

7 200

 

9. Prévention et répression

-740

-778

       

10. Taxation

4 000

13 100

   

400

 

11. Effet sur le bien-être** (M€)

-3 998

-1 527

-2 280*

-5 520*

-11 400*

-12 092*

12. Coût social (1+11) (M€)

-102 455

-155 726

-90 880*

-79 720*

-20 500*

-179 711*

L'absence de renseignement d'une case signifie que le coût social correspondant n'est pas pris en compte par l'étude.

Les références précises figurent en annexe I au présent rapport.

Notes :

* Calculs de la Mecss du Sénat.

** Coût d'opportunité des fonds publics selon Kopp (2023) : la ligne 6 multipliée par 1,2.

*** Ce montant est différent de la somme des lignes 7 à 10.

Source : Mecss du Sénat, d'après les sources indiquées

Ces chiffrages reposent sur des méthodologies relativement complexes, pouvant varier d'une étude à l'autre, présentées en annexe I.

Schématiquement, le « coût externe » se situerait autour de 100 milliards d'euros pour chacune des trois pathologies. Il correspond en quasi-totalité à la monétarisation, sur la base d'hypothèses largement conventionnelles, des décès prématurés (à partir d'une estimation de la valeur de la vie humaine33(*)) et de la perte de bien-être (sur la base des années de vie ajustées par leur qualité) venant de la maladie.

Le coût net pour les finances publiques serait comparativement modeste, de « seulement » quelques milliards d'euros pour le tabac ou l'alcool, à environ 10 milliards d'euros pour l'obésité.

d) Une augmentation du déficit public de plusieurs dizaines de milliards d'euros selon les estimations de la Mecss

Au-delà des différences de périmètre, les chiffrages du coût pour les finances publiques présentent des différences méthodologiques pour ce qui concerne le coût des soins et, surtout, ne prennent pas en compte l'impact de la perte de PIB sur les finances publiques.

Un chiffrage détaillé de l'impact sur les finances publiques du tabac, de l'alcool et de l'obésité dépassait le champ du présent rapport.

La Mecss s'est toutefois efforcée, à titre indicatif, de chiffrer cet impact, selon une méthodologie présentée en annexe I au présent rapport. Les montants, délibérément arrondis, doivent être considérés comme des ordres de grandeur.

La principale différence par rapport aux études disponibles est que ce chiffrage prend en compte l'impact sur les recettes de la perte de PIB résultant de l'absentéisme, du présentéisme34(*) et d'un moindre taux d'emploi (tels qu'évalués, notamment, par diverses études de l'OCDE). Cet impact, majeur, a pour effet de rendre négatif un solde qui aurait été fortement négatif (obésité), moyennement négatif (alcool) ou légèrement négatif (tabac).

Au total, les pathologies associées à la consommation de tabac et d'alcool et l'obésité pourraient dégrader le solde public de plusieurs dizaines de milliards d'euros.

Ce chiffrage doit être affiné. Il illustre toutefois l'importance de la prévention pour la maîtrise des dépenses publiques.

Chiffrage indicatif par la Mecss de l'impact de l'alcool, du tabac et de l'obésité sur les finances publiques (2023)

(en milliards d'euros)

 

Tabac

Alcool

Obésité

Total (non corrigé des doublons)*

Coût des soins

-16

-8

-17

-41

Économie de retraites

3

1

7

11

Prévention, répression

-1

-1

 

-2

Taxation

14

4

<1

19

Sous-total

<0

-4

-9

-13

Impact de la perte de PIB sur les recettes

-13

-13

-13

-40

Total

-13

-17

-22

-53

* L'impact total est moindre, du fait des personnes cumulant plusieurs risques.

Les sources et hypothèses sont explicitées en annexe I au présent rapport.

Source : Mecss du Sénat

2. La fiscalité comportementale permet de réduire les comportements présentant un coût social tout en augmentant les recettes publiques
a) Une réaction du consommateur plus forte pour les boissons sucrées que pour les cigarettes, l'alcool et l'alimentation

Le coût social élevé des comportements visés, en particulier en ce qui concerne leur impact sur les finances publiques, justifie que les pouvoirs publics s'efforcent de les réduire.

La fiscalité comportementale est de ce point de vue un instrument auquel il peut être utilement recouru. En effet, il ressort des études disponibles (synthétisées en annexe IV) qu'une augmentation du prix de 1 % réduit la consommation d'environ 0,4 % pour les cigarettes, 0,5 % pour l'alcool (ce taux étant moins élevé pour la bière et plus élevé pour les spiritueux), 0,5 % pour les principaux types d'aliments et 1,5 % pour les boissons sucrées. Autrement dit, l'élasticité-prix de la demande est respectivement d'environ - 0,4 (cigarettes), - 0,5 (alcool et aliments) et - 1,5 (boissons sucrées).

Si une année donnée, l'élasticité-prix peut s'écarter de ce niveau théorique, cette relation est en revanche vérifiée à moyen et long termes.

À titre d'illustration, le graphique ci-après met en relation, dans le cas de la France, le volume des ventes de cigarettes, le prix des cigarettes et l'élasticité-prix annuelle « apparente »35(*) qui en résulte (c'est-à-dire le taux de croissance des ventes de cigarettes divisé par le taux de croissance du prix du tabac).

Depuis l'année 2000, la moyenne de cette élasticité-prix a été de -0,6. Elle est d'autant plus élevée que les hausses de prix sont fortes. Ainsi, les principales années de hausse de prix ont été 2003 et 2004 (hausse de 13,2 % et 22,7 %, avec une élasticité de - 1,0 et - 0,9), puis 2018, 2019 et 2020 (hausse de 11,8 %, 11,4 % et 13,3 %, avec une élasticité de -0,8, -0,7 et -0,3).

Élasticité-prix de la demande de cigarettes en France

Élasticité-prix : taux de croissance des ventes de cigarettes divisé par le taux de croissance du prix du tabac.

Source : Mecss du Sénat, d'après les données de l'Observatoire français des drogues et des tendances addictives (réponse au questionnaires des rapporteures)

b) Une source importante de recettes publiques
(1) Des recettes publiques de près de 20 milliards d'euros

La fiscalité comportementale n'a pas pour vocation première de susciter de recettes publiques pérennes, le comportement taxé ayant vocation à disparaître.

Elle correspond toutefois en France à des recettes publiques importantes, d'environ 14 milliards d'euros pour le tabac, 4 milliards d'euros pour les boissons alcoolisées et 0,5 milliard d'euros pour les boissons non alcoolisées.

La suppression des comportements concernés impliquerait des taux de taxation très élevés. Par exemple, dans le cas du tabac, une hypothèse d'élasticité-prix de - 0,4 impliquerait - en supposant qu'elle reste valide à de tels niveau de taxation - une multiplication du prix par environ 3,5 pour supprimer totalement la consommation de cigarettes.

(2) La possibilité d'affecter partiellement ces recettes à des actions de prévention

Le financement par la fiscalité comportementale de dépenses pertinentes permet de bénéficier de ce qu'il est convenu d'appeler (en particulier dans le domaine environnemental) un « double dividende ».

Actuellement, la fiscalité comportementale est affectée à la sécurité sociale, ce qui présente une utilité incontestable.

Surtout, la fiscalité comportementale peut être partiellement affectée à des actions de prévention dans le domaine concerné, ce qui présente en outre l'intérêt d'accroître son acceptabilité sociale (cf. III infra).

B. DES ARGUMENTS DE NATURE ÉCONOMIQUE SONT AVANCÉS POUR S'OPPOSER À DES MESURES DE FISCALITÉ COMPORTEMENTALE

L'expérience de la taxe danoise sur les graisses36(*) est souvent citée pour illustrer les effets pervers que peut engendrer une mesure de fiscalité comportementale. Entrée en vigueur au mois d'octobre 2011, son impact en termes de santé publique s'est avéré mineur37(*) et a été largement contrebalancé par diverses conséquences délétères ayant conduit à sa suppression dès le mois de janvier 2013, en particulier : 

- un signal économique négatif vis-à-vis des acteurs industriels et des difficultés de mise en oeuvre par les entreprises ;

- des effets anti-redistributifs liés au niveau élevé de taxation et à la nature des produits ciblés par la taxe ;

- une stratégie de contournement de la part des consommateurs, qui s'est traduite par une explosion des achats transfrontaliers ;

- des reports de consommation sur certains produits salés.

Ce cas, isolé mais illustratif des risques d'une taxe mal calibrée, atteste des précautions à adopter dans la conception d'une mesure de fiscalité comportementale.

1. Un impact potentiellement négatif sur l'activité économique
a) Un impact légèrement récessif de la fiscalité actuelle ?

Divers modèles suggèrent que la fiscalité comportementale, en tant qu'elle constitue une imposition supplémentaire, pourrait avoir un impact négatif sur le PIB à long terme.

Par exemple, selon le modèle Mésange38(*) utilisé par l'Insee et la direction générale du Trésor, une augmentation de la TVA de 1 point de PIB en France réduirait à terme le PIB de 0,7 point39(*).

En France, la fiscalité comportementale dans le domaine de la santé est d'environ 20 milliards d'euros, soit 0,7 point de PIB. Ces modélisations suggèrent, par analogie, qu'elle pourrait réduire le PIB de long terme d'environ 0,5 point. Cet impact pourrait cependant être réduit, voire annulé, par divers phénomènes40(*).

b) Un impact différencié selon les filières
(1) Un impact potentiellement important pour les filières agricoles et de l'agroalimentaire

Les filières agricoles et de l'agro-alimentaire représentent un secteur majeur de l'économie française et le troisième poste d'excédent commercial de la France avec 8 milliards d'euros en 202141(*). L'agroalimentaire constitue en outre le premier secteur industriel français en termes de chiffre d'affaires et d'emplois.

La filière des vins et spiritueux est l'un des deux principaux contributeurs à l'excédent commercial agricole et agroalimentaire français, avec les céréales. Elle représente 15,7 milliards d'euros d'exportation, soit 18,5 % de part de marché mondial, avec un excédent ayant progressé de plus de 4 milliards d'euros entre 2010 et 201942(*). En termes d'emplois, la filière vitivinicole représente 440 000 emplois directs et indirects, et celle des spiritueux en compte 150 000.

Le secteur des vins et spiritueux, qui repose principalement sur des TPE-PME, joue aussi un rôle important dans le soutien à l'agriculture française. La filière des spiritueux, qui transforme environ 5 millions de tonnes de production végétale à l'année sur le territoire, est étroitement liée à son amont agricole.

Alors que l'essentiel de la production est orienté vers l'export, le coût de production est un facteur de compétitivité important pour l'équilibre économique de ces secteurs, d'autant que l'émergence plus récente de producteurs du « nouveau monde » sur le marché mondial (Etats-Unis, Australie, Argentine, Chili) a aiguisé la concurrence. Or, le marché des vins et spiritueux fait face à un renchérissement de ses coûts de production dans un contexte d'inflation élevée. Plus globalement, la compétitivité du secteur agroalimentaire français se dégrade ces dernières années43(*).

Le marché des vins et spiritueux connaît par ailleurs des transformations profondes, en particulier une tendance très marquée à la déconsommation depuis les années 1960. La consommation de vin en France a ainsi diminué de 70 % en 60 ans44(*). Cette tendance n'est pas propre à la France, elle s'observe plus généralement au niveau européen.

L'évolution des modes de consommation, couplée à une conjoncture économique défavorable, est donc susceptible de fragiliser le secteur. Dans ce contexte, toute mesure fiscale nouvelle pourrait sembler inopportune.

Pourtant, si la direction générale du Trésor a pu relever que le « taux d'imposition sur la production agroalimentaire (5,5 % en moyenne sur la période 2008-2016) est le deuxième plus élevé en part de valeur ajoutée parmi les branches productives françaises »45(*), les vins sont à peu près exemptés d'imposition par des droits d'accise, de même que chez les principaux pays producteurs européens, en particulier l'Espagne et l'Italie. Tel n'est pas le cas des spiritueux, puisque 72 % des recettes sur les boissons alcoolisées proviennent des spiritueux (soit 3 milliards d'euros sur 4 milliards d'euros) alors même qu'ils ne représentent que 24 % de la consommation totale d'alcool pur.

Tout projet de taxe comportementale qui viserait la filière des vins et spiritueux revêt donc une sensibilité politique et sociale particulière, compte tenu des enjeux économiques qu'elle représente et de l'essence patrimoniale et culturelle attachée à la filière.

L'impact d'une augmentation de la fiscalité des boissons alcoolisées sur la consommation et les producteurs

Un rapport de 2022 pour l'Institut national du cancer (INCa) et la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca) réalisé sous la direction de Fabrice Étilé46(*) présente les résultats de simulations. Selon ce rapport, le remplacement des taxes actuelles par une taxe uniforme par unité standard d'alcool calibrée de manière à compenser le coût net estimé de la consommation nocive d'alcool pour les finances publiques47(*) aurait sur la consommation de vin, de bière et d'alcools forts un impact de respectivement - 17,7 %, - 11,0 % et + 22,3 % (- 9,4 % pour l'ensemble de la consommation d'alcool) et un impact sur les profits des producteurs de respectivement - 24,9 %, - 10,8 % et + 1,9 %.

D'autres filières de l'agroalimentaire sont susceptibles d'être concernées, selon l'objet et le périmètre des taxes imaginées (les produits de la boulangerie-pâtisserie par exemple, en cas de taxe visant les produits sucrés).

(2) Dans le cas du tabac, un impact qui concerne essentiellement les buralistes

La filière de production du tabac est quasi-inexistante en France, le marché mondial étant dominé par quelques géants du secteur (Philip Morris, Imperial Tobacco Seita, British American Tobacco et Japan Tobacco International). Le marché du tabac reste dynamique puisque son chiffre d'affaires global a progressé de 19,3 % entre 2018 et 202148(*), alors que le prix du paquet de cigarettes de la marque la plus vendue augmentait de 33,2 % sur la même période.

La question de l'impact des hausses de la fiscalité des produits du tabac sur les buralistes est complexe.

Le nombre de buralistes est en diminution continue, comme le montre le graphique ci-après. Leur nombre est ainsi passé d'environ 33 000 débits au début des années 2000 à 24 000 en 2020.

Évolution du nombre de buralistes en France continentale et en Corse

Source : confédération des buralistes

On pourrait a priori supposer que les hausses de la fiscalité des produits du tabac ont joué un rôle important dans cette baisse.

Toutefois, il résulte du mécanisme de la « remise »49(*) qu'une augmentation du prix du tabac se traduit normalement par une augmentation des bénéfices des buralistes sur la vente des produits du tabac50(*). Par ailleurs, les produits du tabac représentent moins de la moitié des ventes des buralistes51(*) et une part bien plus faible de leurs marges52(*). L'impact de la hausse du prix du tabac sur les bénéfices des buralistes, indirect et difficilement chiffrable, vient essentiellement du fait que le tabac joue le rôle de « produit d'appel ».

Ainsi, comme le montre le graphique ci-avant, la diminution du nombre de buralistes a été continue, sans que les deux fortes hausses de la fiscalité, en 2003-2004 et en 2017-2020, aient eu un effet visible. D'autre facteurs ont joué un rôle, comme une image moins favorable des produits du tabac, la désertification des centres-villes et les départs à la retraite.

c) Dans le cas du tabac, un impact sur le marché parallèle à relativiser
(1) Une probable surestimation du marché parallèle par l'industrie du tabac

Le lien entre la hausse des prix du tabac et le développement des marchés parallèles, en particulier du marché illégal53(*), est régulièrement avancé comme argument pour justifier une posture d'opposition à l'augmentation de la fiscalité sur le tabac.

Cet argument trouve un écho particulier dans un contexte d'augmentation spectaculaire des volumes des saisies douanières de produits du tabac ces dernières années. 473 tonnes de cigarettes ont été interceptées en 2022, contre 173 tonnes en 2021, soit une hausse de 173 %.

Les saisies de tabac par la Douane

Source : bilan annuel de la Douane 202254(*)

Ces saisies témoignent de l'existence d'un important trafic illégal des produits du tabac55(*) et de l'attention renforcée portée par les pouvoirs publics à ces trafics de grande ampleur qui financent les réseaux de criminalité organisée.

Si le prix d'un produit peut être un facteur favorisant le développement de certains trafics illicites, de nombreux éléments contribuent à expliquer la réalité de la contrebande et de la contrefaçon de tabac en France. D'une part, les moyens dédiés à la lutte contre ce trafic ont permis la réalisation d'importantes opérations de saisies, à l'appui du plan d'action national de lutte contre les trafics illicites de tabac 2020-2022. D'autre part, sa position de carrefour géographique contribue à faire de la France un pays de destination autant que de transit du trafic illégal du tabac ; de fait, une partie des volumes saisis sont destinés aux marchés britanniques et irlandais.

Le cabinet de conseil KPMG56(*) réalise depuis 2006 une étude annuelle très médiatisée sur le marché illégal du tabac57(*). Cette étude, commandée par Philip Morris et dont l'industrie du tabac fournit certaines données quantitatives, non vérifiées par KPMG58(*), indique qu'en 2022 les achats de cigarettes hors du réseau légal des buralistes français auraient représenté près de 40 % de la consommation totale de cigarettes en France et que 32,4 % seraient provenus de la contrebande et de la contrefaçon. En 2023, 7 milliards d'euros de perte de recettes fiscales auraient résulté de ces achats illégaux59(*).

La méthodologie du rapport annuel de KPMG pour Philip Morris

L'approche retenue consiste à ramasser des paquets jetés sur la voie publique dans un panel de lieux considérés comme représentatifs, puis à déterminer leur origine pour réaliser des extrapolations.

Comme le souligne un rapport de la RAND pour la Commission européenne, si ces études présentent l'intérêt de reposer sur des objets physiques plutôt que sur des déclarations, elles comportent de forts risques de biais, les paquets collectés pouvant ne pas être représentatifs de la consommation de la zone60(*). En outre, l'analyse des paquets jetés sur la voie publique est réalisée par les fabricants, qui ont a priori un intérêt à surestimer la part du commerce illicite.

L'annexe méthodologique du rapport n'est pas suffisamment précise pour garantir l'absence de biais.

En particulier, les rapports signalent chaque année en annexe d'importantes corrections à la hausse par KPMG des estimations de flux transfrontaliers de cigarettes transmises par les industriels du tabac, sur la base de données et hypothèses qui ne sont pas clairement indiquées. L'importance de ces corrections conduit à s'interroger sur la fiabilité des données transmises par les industriels du tabac s'agissant du commerce transfrontalier, et donc sur la fiabilité globale de l'estimation du commerce transfrontalier par les rapports de KPMG.

Ces estimations sont contestées, tant par la direction générale des finances publiques (DGFiP) et la direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI)61(*) que par l'OFDT62(*), la Mildeca63(*), le Comité national contre le tabagisme (CNCT)64(*), en raison notamment de précisions insuffisantes sur la méthodologie retenue, de risques de biais et d'écarts importants par rapport aux autres estimations disponibles.

Par ailleurs, l'augmentation de la contrebande observée en 2020 selon le « rapport KPMG » ne s'explique pas par une modification des comportements, mais par un décret faisant passer au 1er août 2020 de quatre à une le nombre de cartouches pouvant être ramenées par un particulier pour son usage personnel65(*). À la suite d'une décision de 2023 du Conseil d'État, jugeant le nouveau plafond contraire au droit communautaire66(*), un décret67(*) a supprimé tout plafond, préférant retenir un ensemble de critères68(*) permettant d'apprécier le caractère personnel de la consommation.

Les études internationales suggèrent que le commerce illicite ne dépend que marginalement de la taxation, certaines estimant même que les pays où les taxes sont plus élevées ont une pénétration du commerce illicite plus faible que ceux où les taxes sont plus faibles69(*).

D'autres études, plus explicites sur la méthodologie suivie, permettent d'approcher de façon a priori plus crédible le volume de cigarettes acheté hors du réseau légal des buralistes.

Une mission d'information de la commission des finances de l'Assemblée nationale menée par Éric Woerth et Zivka Park70(*) s'est penchée sur la consommation de tabac en France lors de la crise sanitaire de la covid-19. L'ouverture des bureaux de tabac ayant été maintenue pendant le confinement du printemps 202071(*), cette période permet en effet d'observer en situation réelle le report sur les buralistes français des achats de tabac habituellement réalisés sur le marché parallèle. Selon la mission, le volume des achats réalisés sur le marché parallèle - incluant les achats transfrontaliers légaux - serait compris entre 14 % et 17 % de la consommation totale de tabac (entre 9 % et 12 % de la consommation totale de cigarettes manufacturées). Elle estime le montant des pertes fiscales associées entre 2,5 et 3 milliards d'euros par an.

De plus, une étude de l'Insee publiée en février 2024, reposant également sur l'expérience du premier confinement de 2020, corrobore ces ordres de grandeur72(*) en évaluant le volume des achats de tabac réalisés à l'étranger à 13,5 %73(*) des ventes des buralistes74(*).

Les écarts de prix du tabac entre la France et ses voisins européens induisent inévitablement des comportements d'optimisation de la part de certains consommateurs. Pour mémoire, le paquet de cigarettes était vendu à 6,70 euros en Belgique et à 5 euros en Espagne en 2020, contre 10 euros en France la même année.

Cette situation donne lieu à des phénomènes de sur-approvisionnement de certains territoires qui alimentent le commerce transfrontalier en exploitant les différences de politiques fiscales entre pays. En effet, en 2019, la France réceptionnait l'équivalent de 552 cigarettes par habitant contre 5 287 cigarettes par habitant pour le Luxembourg. Comme le relève le CNCT, « si cet approvisionnement était uniquement destiné au marché intérieur, il impliquerait que les Luxembourgeois consomment en moyenne près de 10 fois plus de tabac que les Français »75(*).

Une récente enquête déclarative de l'OFDT réalisée auprès de fumeurs indique que la baisse tendancielle des ventes de tabac chez les buralistes n'est que peu liée à une modification des habitudes d'achat des fumeurs. Les achats transfrontaliers, qui concernent principalement les zones limitrophes, demeurent stables en proportion entre 2014 et 2021. Les autres modes d'approvisionnement seraient quant à eux marginaux. Indépendamment de la politique de hausse des prix du tabac, on constate donc une grande stabilité des modalités d'achat déclarées par les consommateurs depuis 2014.

Répartition (en %) des lieux d'achat déclarés du dernier paquet de cigarettes
et de tabac à rouler

* D'après les données du Baromètre santé de Santé publique France

Source : OFDT (graphique transmis aux rapporteures)

Le « plan tabac » 2023-2025 de la DGDDI, publié fin 2022, prévoit la réalisation par la DGDDI et la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca) de travaux d'estimation du marché parallèle du tabac. Ces travaux devraient contribuer à éclairer la question.

(2) Exprimée en milliards de cigarettes, l'augmentation du marché transfrontalier affichée par l'industrie du tabac n'aurait concerné que 2021 et 2022

La présentation par l'industrie du tabac de ses estimations du marché parallèle en part du nombre total de cigarettes vendues peut être trompeuse.

Les graphiques ci-après synthétisent les principales données disponibles, selon qu'on les exprime en part du nombre total de cigarettes vendues ou en milliards de cigarettes.

Principales estimations du marché parallèle, en part et en nombre total de cigarettes vendues

En % du nombre total de cigarettes

En milliards de cigarettes

 

Source : Mecss du Sénat, d'après les sources indiquées

Si l'on raisonne en pourcentage du nombre total de cigarettes vendues (graphique de gauche), selon l'industrie du tabac la part du marché parallèle aurait doublé par rapport à 2010. Toutefois cette augmentation « structurelle » résulterait essentiellement de la diminution du nombre de cigarettes vendues par les buralistes (évidemment voulue par les pouvoirs publics).

En effet, si l'on raisonne en milliards de cigarettes vendues (graphique de droite), les estimations de l'industrie du tabac indiquent une quasi-stabilité du marché parallèle, suivie d'une augmentation en 2021 et 2022.

Il s'agirait donc, en supposant que les estimations de l'industrie du tabac soient exactes, de comprendre les raisons de la hausse éventuelle du marché parallèle en 2021 et 2022 (alors que l'augmentation de la fiscalité a été réalisée, on le rappelle, en 2018-2020). La modification de la répartition entre marché transfrontalier et contrebande résultant des nouvelles règles applicables au 1er août 2020 dans le cas du commerce transfrontalier (cf. supra) rend la lecture des chiffres difficile. Par ailleurs, l'importance des corrections effectuées chaque année par KPMG aux données transmises par les industriels du tabac sur l'estimation du commerce transfrontalier (cf. encadré supra) conduit à s'interroger sur la part de cette évolution pouvant résulter de simples changements méthodologiques.

d) Des inquiétudes soutenues par un défaut d'évaluation de l'impact de telles mesures
(1) Des études sectorielles peu nombreuses incitant à la prudence

Il n'existe que peu d'études d'impact sur les conséquences qu'induirait, sur les filières économiques concernées, un renforcement de la fiscalité pesant sur le tabac, l'alcool ou les produits alimentaires de faible qualité nutritionnelle76(*).

On peut s'en étonner, compte tenu des enjeux économiques que recouvrent ces taxes et de leur sensibilité politique, mais la difficulté de l'exercice de prévision et la fragilité des estimations incitent sans doute à une certaine prudence.

De ce point de vue, on peut rappeler quelques constats. En premier lieu, malgré une fiscalité en hausse constante, qui représente désormais 85 % du prix d'un paquet de cigarettes, la France dispose toujours du niveau de prévalence tabagique le plus élevé d'Europe, même si le nombre de cigarettes vendues a fortement baissé du fait de la hausse de la taxation. En second lieu, la faiblesse des droits d'accise pesant sur le vin a coïncidé avec une diminution substantielle et continue de sa consommation depuis les années 1960, sans qu'aucune évolution fiscale majeure ne soit intervenue.

Ces constats, paradoxaux ou a minima contre-intuitifs, conduisent à éviter de tirer des conclusions hâtives concernant un lien immédiat, univoque et évident entre la charge fiscale pesant sur un produit et l'évolution de la consommation de ce même produit. Le II du présent rapport reviendra sur ces constats en soulignant que l'absence d'augmentation continue du taux d'imposition des produits du tabac et la quasi-absence de taxation du vin ont privé l'outil fiscal de l'essentiel de son efficacité comportementale.

(2) Un impact positif sur l'emploi et la productivité des travailleurs

Enfin, à rebours des craintes anticipant un impact négatif non chiffré des mesures de fiscalité comportementale sur les filières économiques concernées, trois études de l'OCDE soulignent l'impact positif qu'aurait sur le PIB une réduction de la consommation nocive d'alcool, du tabagisme ou de l'obésité.

Selon une première étude, la disparition de toute consommation nocive d'alcool pourrait se traduire par une augmentation de plus de 400 000 travailleurs en équivalents temps plein (ETP) par an sur la période 2020-2050.

Une deuxième étude77(*), à partir d'une évaluation du programme national de lutte contre le tabagisme en France, évalue à 19 800 ETP supplémentaires disponibles par an le gain résultant d'une réduction de la prévalence du tabagisme située entre 24 % et 17,5 % sur la période de 2023 à 2050 (scénario central).

Selon une troisième étude78(*), l'impact de l'obésité sur l'absentéisme, le présentéisme79(*), le taux d'emploi et la retraite anticipée aurait pour effet de réduire la production annuelle moyenne de la main-d'oeuvre en 2020-2050 d'environ 1,5 %.

2. La fiscalité comportementale, une mesure a priori inégalitaire dont les effets redistributifs sont peu perceptibles

La taxe carbone, qui a contribué au déclenchement de la crise des Gilets jaunes, a démontré la sensibilité politique attachée à la fiscalité comportementale. Cette taxe, payée par les particuliers et les entreprises, est intervenue dans un contexte d'augmentation du coût du baril de pétrole et alors que nombre de Français ne disposent pas de solution de substitution à l'usage d'un véhicule fonctionnant aux énergies fossiles.

a) Une taxe pesant davantage sur les ménages les plus vulnérables

L'une des critiques communément adressées à la fiscalité comportementale tient à ses effets anti-redistributifs et à son caractère inégalitaire. Les taxes pesant sur les biens et services, parce qu'elles sont indifférentes au niveau de revenu des consommateurs, pèsent proportionnellement plus sur les catégories les moins aisées. C'est ainsi que les dépenses d'alimentation, troisième poste de dépenses après le logement et les transports, représentent 18,3 % du budget des ménages du 1er quintile dans la répartition des revenus contre 14,2 % pour les ménages du dernier quintile80(*).

L'inflation accentue la pression sur les budgets des ménages. Or, l'alimentation a été la principale contributrice à l'inflation entre septembre 2022 et septembre 2023 (+ 7,6 % sur un an en novembre 2023)81(*) et les prix de l'alimentation semblent avoir connu depuis une décennie un renchérissement relativement plus important en France que dans d'autres pays européens, en particulier s'agissant des fruits et légumes et de la viande82(*).

Les inégalités de revenus reflètent en outre des différences marquées dans le modèle de consommation alimentaire des ménages, les fruits et légumes étant relativement plus consommés par les ménages les plus aisés, et les boissons de type sodas, davantage par les ménages les moins aisés. Des données de consommation précises sont présentées en annexe du dernier Programme national nutrition santé (PNNS)83(*).

Dans un rapport d'information réalisé au nom de la délégation sénatoriale à la prospective et portant sur les enjeux d'une alimentation durable84(*), les sénateurs Françoise Cartron et Jean-Luc Fichet avaient ainsi souligné que l'alimentation demeure « un puissant marqueur social ».

Le Haut Conseil de la santé publique (HCSP), dans un avis du 6 mars 2023, indiquait : « L'alimentation est l'un des déterminants majeurs de la santé. La problématique de la réduction des inégalités sociales et territoriales de santé en matière d'alimentation correspond à une demande politique et sociale, et a été inscrite dans le Programme national de l'alimentation et la nutrition (PNAN) et dans la stratégie décennale de lutte contre les cancers. Améliorer l'accès de tous à une alimentation durable et favorable pour la santé est un enjeu majeur. »

L'acceptabilité des taxes comportementales dans le champ alimentaire est une question sensible, parce qu'elles peuvent être vécues comme stigmatisantes et que l'alimentation est globalement associée à des dépenses de première nécessité. Pourtant, un ciblage de la taxe sur une gamme circonscrite de produits identifiés comme défavorables à la santé, ainsi que l'existence de produits substituables dans des gammes de prix comparables, permettent de contrer l'effet anti-redistributif de ces taxes.

Le mécanisme anti-redistributif est le même concernant l'alcool et le tabac. À titre d'illustration, une étude récente85(*) souligne que la charge fiscale apparente (taxes/dépenses) des boissons alcooliques s'élevait en 2014 à 31 % pour les ménages aisés contre 35 % pour les ménages les plus modestes.

Concernant le tabac, l'effet anti-redistributif se trouve renforcé par le fait que le tabagisme affecte davantage les catégories socio-professionnelles les plus vulnérables : la prévalence du tabagisme quotidien s'élève ainsi à 33,3 % pour les personnes du premier tercile en termes de revenus et à 18 % pour celles du tercile le plus élevé ; elle avoisine les 44 % pour les chômeurs86(*).

b) La nécessité d'une répercussion suffisante de la fiscalité dans les prix pour que la taxe soit efficace

La fiscalité comportementale a pour objet de modifier le comportement du consommateur par une augmentation de prix déclenchée par l'application d'une taxe. Il faut donc que la taxe soit substantiellement répercutée dans le prix du produit.

Le taux de répercussion de la taxe dépend de la stratégie qu'adoptent les industriels et les distributeurs. Face à une augmentation de la fiscalité, ceux-ci ont la possibilité soit d'internaliser le coût de la taxe par une réduction de leurs marges, soit de la répercuter sur le prix final du bien afin de préserver leurs marges, s'ils font le pari que les consommateurs, relativement captifs du marché, se reporteront peu vers d'autres produits concurrents.

Plus le montant d'une taxe est élevé, plus il est probable que son coût sera répercuté au moins en partie dans le prix final. De ce point de vue, le cas de la taxe « prémix » constitue une expérience réussie de fiscalité comportementale en France. Le tarif de cette taxe, fixé à 11 euros par décilitre d'alcool pur, a permis de réduire rapidement et significativement les ventes de ces boissons à base d'alcools forts consommées par les jeunes. Étendue en 2020 aux boissons aromatisées à base de vin sur une base de 3 euros par décilitre d'alcool pur87(*), l'application de cette taxe comportementale confirme qu'une importante augmentation des prix permet d'atteindre des objectifs de santé publique en modifiant les choix des consommateurs.

Toutefois, les études menées sur les différentes expériences de taxation comportementale à l'international démontrent l'hétérogénéité des pratiques concernant le taux de répercussion des taxes, qui dépendent des conditions de marché et du montant de la taxe. La Banque mondiale, qui a récemment dressé un panorama des taxes sodas existant dans le monde, indique que le taux de répercussion des taxes sur les boissons à sucres ajoutés dans le prix varie de moins de 50 % à près de 100 %88(*).

Concernant l'alcool, les taux de répercussion varient aussi fortement selon la catégorie d'alcool et notamment, selon la gamme de qualité. Des études menées dans les pays de l'OCDE sur la période 2003-2016 ont démontré que les taxes d'accise sur le vin ont été sur-transmises dans les prix (+ 240 %), de même que pour certains spiritueux (+ 171 % pour le cognac), alors qu'elles ont été répercutées à un taux proche de 100 % pour les autres alcools89(*).

L'hétérogénéité des taux de répercussion des taxes comportementales dans les prix suggère que les politiques de marge des industriels et des distributeurs, qui caractérisent des situations de concurrence imparfaite sur un marché, peuvent contribuer à aggraver l'effet a priori anti-redistributif des taxes comportementales.

En France, l'annonce de la modification de la règle d'indexation du prix du paquet de cigarettes à compter du 1er janvier 202490(*) a illustré la marge de manoeuvre dont disposent les industriels dans les modalités de fixation de leurs prix. En effet, les industriels ont dans l'ensemble augmenté le prix de leur paquet de cigarettes de 50 centimes, à l'exception notable de Philip Morris qui l'a augmenté du double, soit 1 euro91(*). En parallèle, l'augmentation constatée des prix sur le tabac à rouler oscille entre 1 euro et 1,2 euro alors qu'elle devrait s'établir, sur la seule base de l'inflation, à 70 centimes pour un paquet de tabac à rouler à 16 euros. Deux hypothèses principales peuvent être faites : soit cette hausse a été réalisée en anticipation des prochaines augmentations fiscales annoncées dans le cadre du dernier PNLT ; soit elle dissimule un effet d'aubaine concomitant aux annonces du Gouvernement.

Dans le secteur de l'alimentation, l'UFC-Que choisir dénonce l'opacité du mécanisme de formation des prix dans la grande distribution. Les principales enseignes semblent en effet opérer des marges moindres sur les marques distributeurs d'entrée de gamme et sur les produits d'appel transformés, qui sont ceux plébiscités par les ménages aux revenus les plus faibles ; les marges réalisées sur les produits bruts non transformés tels que les fruits et les légumes seraient en revanche bien plus importantes (jusqu'à 50 %). Une telle politique, en reproduisant les effets d'une taxe pesant sur les produits les plus sains, irait à contrecourant des objectifs d'une fiscalité comportementale dans le champ nutritionnel.

De ce point de vue, la transparence des marges des distributeurs est une question qui mériterait d'être objectivée. Dans un souci d'information du consommateur et une optique d'évolution des comportements de consommation, l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires pourrait procéder à l'analyse des taux de marges par catégorie de produits pour chaque industriel.

c) Un ciblage à adapter pour éviter des effets de substitution non souhaités (le risque d'effets de report nocifs)

L'existence d'effets de substitution dans le panier d'achat des ménages est une réaction naturelle des consommateurs à l'effet recherché par la taxe comportementale. Ces effets doivent toutefois être anticipés et si possible, orientés, pour contrecarrer le caractère a priori anti-redistributif de la taxe. Une fois l'élasticité-prix intégrée et le principe de substitution entériné, les effets-reports sont conditionnés par plusieurs facteurs : l'existence ou non de produits considérés comme équivalents ou substituables du point de vue du consommateur ; une gamme de prix proche, ou dont le coût moyen n'excède pas l'élasticité-prix du produit taxé ; la facilité d'approvisionnement en produits de substitution.

Chacun de ces déterminants doit être intégré pour réussir la réorientation des comportements des consommateurs et atteindre les objectifs finaux de la taxe comportementale appliquée.

(1) Dans le cas du tabac

S'agissant des produits du tabac, il a été établi au niveau européen qu'un important effet de substitution s'est manifesté entre les cigarettes classiques fortement taxées et le tabac à rouler, jusqu'à récemment peu taxé.

Entre 2002 et 2004, la quantité moyenne de cigarettes mises à la consommation a ainsi diminué de 10 %, tandis que la quantité de tabac à rouler (qui représente environ un dixième des ventes de produits du tabac) a parallèlement augmenté de 20 %92(*). Or, diminuer sa consommation de cigarettes de tabac pour se tourner vers un autre produit comportant des risques similaires ne présente aucun bénéfice en matière de santé publique.

Toutefois, l'OFDT relève qu'entre 2020 et 2021, les ventes de cigarettes et de tabac à rouler ont respectivement diminué de 6,9 % et 8,4 %, tandis que sur la même période, la part de marché des autres produits du tabac a augmenté de 4,8 %. Ces derniers produits représentent désormais 5,6 % des volumes vendus, soit leur plus haut niveau historique93(*). L'OFDT en conclut que « les stratégies de report longtemps observées entre cigarette et tabac à rouler se font désormais vers les autres produits du tabac [...] souvent moins taxés et moins chers, tandis que le différentiel de prix entre tabac à rouler et cigarettes manufacturées se réduit. En 2021, une cigarette (1 g) de la marque la plus vendue coûte ainsi 0,53 € contre 0,49 € pour 1 gramme de tabac à rouler. En 2011, les prix au gramme étaient respectivement de 0,30 € contre 0,18 € ».

La LFSS pour 2023 prévoit d'aligner la taxation du tabac à rouler et du tabac à chauffer sur celle de la cigarette, respectivement au 1er janvier 2025 et au 1er janvier 2026.

(2) Dans le cas de l'alcool

D'importants effets de substitution peuvent également exister sur le marché de l'alcool selon le modèle de taxation qui prévaut. L'étude sous la direction de Fabrice Étilé précédemment citée94(*) met en évidence des reports de consommation entre des catégories de produits au degré d'alcool très divers ; en particulier, une fiscalité pesant sur le contenu en alcool des vins pourrait avoir pour effet de dégrader la compétitivité-prix des vins par rapport aux autres alcools plus forts et encouragerait donc ces effets de substitution, à rebours de l'objectif de santé publique poursuivi.

L'élargissement de l'assiette fiscale aux produits considérés comme également néfastes pour la santé et dont les pouvoirs publics souhaitent décourager la consommation peut permettre d'éviter les effets de substitution indésirables. Toutefois, plus l'assiette fiscale est large, plus l'effet anti-redistributif peut s'avérer pesant.

En conclusion, un ciblage optimal des produits à taxer doit être recherché en fonction des objectifs de santé publique poursuivis, en veillant à préserver des options de substitution favorables à la santé du consommateur et accessibles économiquement.

d) Un caractère anti-redistributif qui disparaît quand les objectifs de la taxe sont atteints

Il ressort de ces développements que le caractère a priori anti-redistributif ou inégalitaire de la fiscalité comportementale, qui se vérifie à court terme, est automatiquement annulé lorsque la mesure fiscale atteint son objectif à moyen ou long terme. C'est précisément parce-que l'augmentation des prix sera forte que les ménages seront incités à modifier leur comportement de consommation. Les ménages les moins favorisés, qui sont théoriquement les plus enclins à modifier leurs comportements d'achat en raison de leurs contraintes de revenu, devraient donc être ceux qui en retireront les effets les plus bénéfiques en termes de santé publique95(*).

Il convient dans ce cadre de veiller à préserver la capacité des ménages à se reporter vers d'autres produits plus sains et accessibles économiquement, ce qui suppose un ciblage optimal de la taxe. Ce point est essentiel car il détermine l'acceptabilité d'une réforme tendant à mettre en oeuvre ou à renforcer des mesures de fiscalité comportementale.

II. LA FISCALITÉ, UN OUTIL DIVERSEMENT MOBILISÉ EN APPUI AUX POLITIQUES DE PRÉVENTION

A. UNE PRÉVALENCE DU TABAGISME TOUJOURS FORTE MALGRÉ LE NIVEAU ÉLEVÉ DE LA FISCALITÉ

1. Une lutte contre le tabagisme reposant fortement sur la fiscalité

La fiscalité du tabac a été modifiée par la LFSS 2023, essentiellement pour aligner la taxation du tabac à rouler et du tabac à chauffer sur celle des cigarettes. Son produit annuel est de près de 14 milliards d'euros, correspondant en quasi-totalité aux droits de consommation sur les tabacs. Elle est affectée à la Cnam.

Elle est présentée plus en détail en annexe II au présent rapport.

Montant des taxes sur les produits du tabac

(en millions d'euros)

 

2012

2013

2014

2015

2016

2017

2018

2019

2020

2021

2022

2023

2024 (p)

Droits de consommation sur les tabacs

11 133

11 169

11 236

11 421

11 224

11 394

12 324

12 632

14 420

14 346

13 398

13 252

13 592

Droit de licence sur la rémunération des débitants de tabacs

325

325

325

330

327

330

344

394

420

393

366

362

360

Total

11 458

11 494

11 561

11 751

11 551

11 724

12 668

13 026

14 840

14 739

13 764

13 614

13 952

Source : DGFiP (réponse au questionnaire des rapporteures)

a) Une fiscalité correspondant à plus de 80 % du prix des cigarettes, qui place la France parmi les six États de l'OCDE où leur prix est le plus élevé

Le prix de vente des différents produits est fixé par les fabricants et homologué par arrêté sur l'ensemble du territoire.

À partir de ce prix de vente sont calculés :

- la « remise », qui constitue la rémunération du buraliste et dont le taux est actuellement de 10,19 % ;

- l'accise sur les produits du tabac, égale soit à un minimum de perception, soit à la somme du prix de vente multiplié par le taux de l'accise et du tarif de l'accise. Les minima, taux et tarifs diffèrent selon la catégorie fiscale96(*). Les minima et tarifs sont indexés chaque 1er janvier sur l'inflation par arrêté. La LFSS 2023 a supprimé la disposition selon laquelle leur évolution annuelle ne pouvait excéder 1,8 %97(*) ;

- la TVA dite « en dedans », correspondant à 16,6667 % du prix de vente98(*).

À titre d'illustration, le tableau ci-après décompose le prix d'un paquet de cigarettes au 1er janvier 2024.

Celui-ci est d'environ 12,5 euros, dont 8,5 euros d'accise (taux en % du prix de vente plus tarif à l'unité), 2 euros de TVA (taux de 16,6667 % du prix de vente), 1 euro pour le buraliste (taux de 10,09 % du prix de vente) et 1 euro pour le fabricant (par différence).

Décomposition du prix d'un paquet de 20 cigarettes (1er janvier 2024)

(en euros)

Structure du prix

Taux / Tarif

Cigarettes « bas de marché »

Cigarettes « premium »

Prix de vente au détail (pour un paquet de 20 cigarettes)

 

11,50

12,50

Accise hors minimum de perception

     

Taux de l'accise

55 %

6,33

6,88

Tarif de l'accise (en € pour 1 000 unités)

71,30

1,43

1,43

Minimum de perception (en € pour 1000 unités) - non concerné ici

371,40

7,43

7,43

TVA « en dedans » sur le prix de vente au détail

16,6667 %

1,92

2,08

Remise brute du débitant de tabac

10,19 %

1,17

1,27

Marge du fabricant

 

0,66

0,84

Total

 

11,5

12,5

Source : DGDDI (réponse au questionnaire des rapporteures)

Il en résulte que la France fait partie des six États couverts par les statistiques de l'OCDE où le prix du paquet de cigarettes est le plus élevé99(*). En Europe, seuls le Royaume-Uni et l'Irlande ont des tarifs supérieurs (cf. annexe III).

b) D'autres outils essentiels concourent à la lutte contre le tabagisme

La politique de lutte contre le tabagisme ne se limite pas à la fiscalité.

On peut en particulier mentionner les mesures portées par deux lois « fondatrices » :

- la loi n° 76-616 du 9 juillet 1976 relative à la lutte contre le tabagisme, dite « loi Veil », a interdit la publicité pour les produits du tabac à la radio, à la télévision, sur la voie publique et dans les publications destinées à la jeunesse (mais pas dans le reste de la presse écrite). Elle a en outre imposé l'inscription de la mention « abus dangereux » sur les paquets de cigarettes ;

- la « loi Évin »100(*) de 1991, portant également sur la lutte contre l'alcoolisme, a renforcé l'encadrement de la publicité (notamment en interdisant la publicité indirecte101(*), en réaction à certaines pratiques des grandes marques de tabac102(*)). Afin de lutter contre le tabagisme passif, elle interdit, dans son article 16 (actuel article L. 3512-8 du code de la santé publique), de fumer dans les lieux affectés à un usage collectif et dans les moyens de transport collectif, sauf dans les emplacements expressément réservés aux fumeurs. Elle a en outre instauré une manifestation annuelle intitulée « jour sans tabac ».

L'interdiction de fumer dans les lieux à usage collectif étant en pratique peu appliquée103(*), le décret n° 2006-1386 du 15 novembre 2006 l'a renforcée à compter du 1er février 2007104(*), prévoyant qu'il n'était possible de fumer que dans les emplacements mis, le cas échéant, à disposition des fumeurs. Cette interdiction a été étendue au vapotage par le décret n° 2017-633 du 25 avril 2017.

Plus récemment, ont été instaurés :

- à l'automne 2016, la campagne « Mois sans tabac », inspirée par le Stoptober britannique et lors de laquelle les fumeurs sont invités à cesser de fumer pendant un mois ;

- le 1er janvier 2017, le paquet neutre, la France étant alors le deuxième État à adopter cette mesure après l'Australie (2012) ;

- le 1er janvier 2019, le remboursement des substituts nicotiniques selon les conditions de droit commun (remboursement classique de 65 %, le reste à payer étant généralement pris en charge par la complémentaire santé), et non plus dans la limite d'un forfait annuel de 150 euros.

2. Des actions sporadiques et globalement peu efficaces
a) Contrairement à la quasi-totalité des États couverts par les statistiques de l'OCDE, la France n'a pas connu de baisse de la prévalence du tabagisme depuis les années soixante

Dans le cas du tabac, l'indicateur le plus pertinent en matière de santé publique est non le nombre total de cigarettes vendues, mais le nombre de personnes fumant quotidiennement. En effet, c'est le fait d'être un fumeur régulier, plus que le nombre de cigarettes consommées, qui suscite le risque sanitaire105(*).

Ce taux est à peu près stable depuis les années soixante, la France n'ayant pas connu la forte baisse constatée dans la quasi-totalité des 49 États couverts par les statistiques de l'OCDE106(*). Elle fait aujourd'hui partie, parmi ces États, des six où cette prévalence est la plus élevée, comme le montre le graphique ci-après.

Prévalence du tabagisme (fumeurs quotidiens) parmi la population de 15 ans et plus selon l'OCDE (1960-2022)

(en %)

Les données absentes ont été interpolées de manière linéaire.

Champ : les 49 États suivis par l'OCDE (les 38 États membres, plus : Afrique du Sud, Argentine, Brésil, Bulgarie, Chine, Croatie, Inde, Indonésie, Pérou, Roumanie, Russie).

Source : d'après les données de l'OCDE ( https://data.oecd.org/healthrisk/daily-smokers.htm)

Ce graphique montre l'existence d'une forte spécificité de la France en matière de tabagisme.

Dans les années soixante, avec une prévalence d'environ 25 %, la France faisait partie des États où celle-ci était la plus faible. Les Pays-Bas affichaient un taux supérieur à 60 %.

Puis, alors que la prévalence diminuait dans la quasi-totalité des pays, elle restait à peu près stable en France, pour atteindre 25,3 % en 2021 (alors qu'elle avait atteint 14,7 % aux Pays-Bas). Les seul États à avoir une prévalence supérieure à celle de la France sont l'Indonésie (32,6 % en 2020), la Bulgarie, la Turquie, la Russie et la Chine.

À titre de comparaison, onze États ont une prévalence inférieure à 10 %, dont la Suède, les Etats-Unis, le Canada, la Norvège, la Nouvelle-Zélande et l'Islande (avec la prévalence la plus basse, de 6,2 % en 2022)107(*).

La France fait partie des six États dont la prévalence a le moins diminué entre 2000 et 2020. Sur la même période, 17 États ont vu leur prévalence diminuer de plus de 10 points, dont onze États européens108(*).

Usage du tabac parmi les adultes

(en %)

Les données manquantes ont été interpolées de manière linéaire.

Source : données OFDT (réponse au questionnaire des rapporteures)

Certes, on observe depuis le début des années 1990 trois baisses particulièrement marquées : celle du début des années 1990 avec la loi Évin de 1991, celle de 2003-2004 (première forte augmentation de la fiscalité) et celle de 2016-2019 (seconde forte augmentation de la fiscalité).

Toutefois, la baisse de 2003-2004 a été compensée par une hausse au cours des dix années qui ont suivi.

La baisse de 2016-2019 a été pour l'instant suivie d'une relative stabilité.

Ces courbes suggèrent la nécessité d'actions répétées pour entretenir la baisse de la prévalence du tabagisme109(*). En particulier, la direction générale de la santé (DGS) considère, d'une manière qui n'est qu'a priori paradoxale, que l'absence de mesure nouvelle dans le domaine de la fiscalité après les fortes hausses de prix de 2003-2004 constitue non un statu quo, mais un « retour en arrière des politiques fiscales »110(*).

Surtout, la tendance spontanée à la baisse de la prévalence du tabagisme observée dans la quasi-totalité des États couverts par l'OCDE depuis 1960 ne s'est pas produite en France.

b) Un objectif de réduction de la prévalence à moins de 20 % reporté de 2024 à 2027 par le dernier PNLT

En 2021, la prévalence du tabagisme quotidien était de 16,5 % dans l'OCDE111(*), contre 25,3 % pour la France.

Les objectifs de la France en matière de lutte contre le tabagisme ont été fixés successivement par le programme national de réduction du tabagisme (PNRT) sur la période 2014-2019 puis par les programmes nationaux de lutte contre le tabac (PNLT) respectifs pour 2018-2022 et 2023-2027.

Le PNRT 2014-2019 et le PNLT 2018-2022, très proches, prévoyaient une réduction de la prévalence, alors autour de 25 %, à environ 20 % en 2024.

Compte tenu de la prévalence observée, le PNLT 2023-2027, publié en novembre 2023, retient une trajectoire nettement moins ambitieuse, l'objectif de 20 % étant repoussé à 2027.

La prévalence observée en 2020, 2021 et 2022 a été supérieure d'environ 2 points aux objectifs gouvernementaux.

Prévalence du tabagisme quotidien (18-75 ans) : objectifs et prévalence observée

(en %)

Source : OFDT, SPF, PNRT 2014-2019 et PNLT 2018-2022 et 2023-2027

3. Des mesures probablement insuffisantes pour atteindre les objectifs du PNLT 2023-2027
a) Selon l'OCDE, les mesures de 2016-2020 ne permettraient pas d'atteindre les objectifs du PNLT 2023-2027
(1) Selon l'OCDE, les mesures prises en 2016-2020 auraient pour effet de ramener la prévalence du tabagisme quotidien, actuellement d'environ 25 %, à 17,5 % en 2050

Comme le souligne la convention-cadre de l'OMS pour la lutte antitabac de 2003, la politique de lutte contre le tabac ne peut se limiter à un seul instrument et doit agir sur un ensemble de facteurs, tant du côté de la demande (avec des mesures concernant la fiscalité, mais aussi de nombreux autres domaines112(*)) que de l'offre113(*).

En matière d'évaluation, la pratique de l'OCDE, que la direction générale de la santé a indiqué approuver aux rapporteures114(*), est de chercher à évaluer l'impact sur la santé non d'un instrument particulier (comme la fiscalité), mais d'un ensemble d'instruments.

Ainsi, l'OCDE, dans son évaluation de 2023 sur les mesures prises en 2016-2020 dans le cadre du programme national de lutte contre le tabac (PNLT) 2018-2022 (réalisée à la demande de Santé publique France, qui l'a financée), ne distingue pas l'impact des différents instruments sur le tabagisme.

Avantages et inconvénients de l'approche globale retenue
par la simulation de l'OCDE (2023)

Comme l'OCDE l'a confirmé aux rapporteures, l'étude ne fait pas d'hypothèses explicites relatives aux différents outils mis en oeuvre. En particulier, l'OCDE indique ne pas avoir utilisé d'hypothèse d'élasticité-prix de la demande. L'approche a consisté à imputer totalement la baisse de prévalence du tabagisme observée en 2016-2020 à la politique menée en 2016-2020, et à en déduire, au moyen d'un modèle d'ensemble combinant différents résultats de régression, une projection à long terme.

L'avantage de cette approche est qu'elle prend en compte les interactions des instruments entre eux.

Il résulte toutefois de cette méthodologie le résultat paradoxal que la projection ne repose pas sur une hypothèse précise en matière d'évolution des prix et de fiscalité. Certes, il est fait état d'une hypothèse de poursuite de l'augmentation du prix du tabac. Toutefois on ne sait pas si celle-ci devrait être supérieure à l'inflation115(*) et si des mesures législatives seraient donc nécessaires.

Par ailleurs, comme l'OCDE l'a confirmé aux rapporteures, il est possible que la baisse observée en 2016-2020, totalement attribuée aux mesures prises, provienne en partie d'autres facteurs, comme une baisse « spontanée » du tabagisme ou un report vers la cigarette électronique. Cela ne remettrait pas nécessairement en cause la projection ; toutefois celle-ci ne résulterait qu'en partie des mesures prises.

Selon l'étude de l'OCDE, ces mesures (incluant l'augmentation de la fiscalité, mais aussi le paquet neutre, la campagne annuelle « Mois sans tabac » et le remboursement des substituts nicotiniques) auraient eu pour effet de ramener la prévalence du tabagisme quotidien de 29,4 % à 24,0 % entre 2016 et 2019, et susciteraient ensuite (dans le scénario central) une diminution supplémentaire de 0,2 point par an, ramenant la prévalence à 17,5 % en 2050.

L'impact à long terme des mesures prises en 2016-2020, selon l'OCDE

Mesures prises en compte : augmentation progressive sur trois ans des prix des produits du tabac ; paquet neutre ; campagne annuelle « Mois sans tabac » ; remboursement des substituts nicotiniques.

Source : Marion Devaux, Alexandra Aldea, Aliénor Lerouge, Marina Dorfmuller Ciampi, Michele Cecchini, Évaluation du programme national de lutte contre le tabagisme en France, Documents de travail de l'OCDE sur la santé n° 155, 8 juin 2023

(2) Un scénario qui ne permettrait pas d'atteindre les objectifs du PNLT 2023-2027

Dans le scénario central de l'OCDE, l'objectif du PNLT 2023-2027 de ramener la prévalence du tabagisme quotidien à 20 % en 2027 (pourtant revu à la baisse par rapport au PNLT 2018-2022) ne serait pas atteint, la prévalence ne passant sous ce seuil que vers 2035.

Par ailleurs, la prévalence du tabagisme quotidien en 2022 (24,5 %) était analogue, voire légèrement supérieure, à son niveau de 2019 (24 %), ce qui suggère qu'on se situe plutôt à ce stade dans le scénario « pessimiste ».

b) Quelle efficacité respective des divers instruments mis en place entre 2016 et 2020 ?

Les rapporteures sont conscientes de l'impossibilité d'évaluer précisément l'impact de chacune des mesures prises en 2016-2020 sur la prévalence tabagique, que soulignent l'OCDE et la DGS. Elles jugent néanmoins nécessaire, malgré les interactions des mesures entre elles et l'insuffisance des données disponibles116(*), de compléter l'approche globale de l'OCDE par une approche par mesure, afin de les hiérarchiser par ordre d'importance, et de déterminer ce que l'on peut raisonnablement attendre de chacune d'elles.

(1) L'augmentation de la fiscalité, à l'origine de l'essentiel de la baisse de la prévalence entre 2016 et 2020 ?

De 2016 à 2020, le prix des cigarettes a augmenté de 42 %117(*). L'application d'une hypothèse conventionnelle d'élasticité-prix de la demande de -0,4, correspondant aux études disponibles (cf. supra), conduit à la réduction du nombre de cigarettes consommées au niveau national de 17 %, ce qui est proche de la diminution observée (20 %)118(*).

En ce qui concerne la prévalence du tabagisme quotidien, celle-ci est passée de 29,3 % en 2016 à 25,5 % en 2020, ce qui représente une diminution de près de 13 %. La diminution de la consommation de cigarettes serait donc majoritairement provenue de celle de la prévalence.

L'augmentation de la fiscalité pourrait également contribuer à la poursuite de la diminution annuelle de la prévalence du tabagisme, en dissuadant les jeunes de se mettre à fumer.

(2) Le paquet neutre : un impact faible à court terme mais important à long terme ?

Les études disponibles suggèrent que le paquet neutre n'a pu que légèrement contribuer à la diminution de la prévalence du tabagisme alors constatée (cf. encadré).

Il n'en est pas moins vraisemblable qu'en supprimant un élément essentiel du marketing il contribue à la baisse constatée du tabagisme chez les jeunes, et a donc un impact substantiel à long terme.

L'impact du paquet neutre sur la consommation

La France a rendu obligatoire le paquet neutre au 1er janvier 2017.

Une étude119(*) de 2019 de Santé publique France montre toutefois que les fumeurs qui sont gênés de sortir leur paquet à la vue de tous à cause de son aspect étaient deux fois plus nombreux en 2017 (12 %) qu'en 2016 (6 %).

Une revue de littérature120(*) de 2017, portant sur 51 études relatives à l'Australie (qui a été le premier État à rendre obligatoire le paquet neutre, en 2012), mentionne une étude indiquant une réduction de la prévalence du tabagisme de 0,5 point (avec une faible confiance) et quatre études rapportant des résultats contradictoires sur l'impact sur la consommation.

(3) Un impact direct modeste pour le remboursement intégral des substituts nicotiniques et le « Mois sans tabac » ?

Parmi les mesures mises en oeuvre en 2016-2020, deux visent à favoriser le sevrage : le remboursement intégral des substituts nicotiniques et le « Mois sans tabac ».

(a) Le remboursement intégral des substituts nicotiniques

Depuis le 5 décembre 1999, les substituts nicotiniques peuvent être achetés sans ordonnance dans les pharmacies.

Ils sont pris en charge partiellement depuis 2007 et totalement depuis le 1er janvier 2019 :

- en 2007 a été mis en place un forfait de prise en charge de 50 euros par an et par assuré ;

- en 2017, le forfait de 150 euros, mis en place pour certains publics (comme les femmes enceintes) et correspondant à environ trois mois de traitement pour un fumeur moyen, a été généralisé ;

- depuis le 1er janvier 2019, le forfait est remplacé par un remboursement classique de 65 %, le reste à payer étant généralement pris en charge par la complémentaire santé.

(b) Le « Mois sans tabac »

Inspirée par le Stoptober britannique, la campagne « Mois sans tabac » a été instaurée en 2016 et invite les fumeurs à cesser de fumer pendant un mois.

Santé publique France apprécie l'efficacité de la campagne sur la base d'enquêtes téléphoniques, dont les résultats sont synthétisés par le tableau ci-après. Chaque année, au cours des trois derniers mois, autour de 3,5 % des fumeurs s'arrêtent de fumer au moins 24 heures du fait du « Mois sans tabac ».

Taux d'arrêt tabagique pendant au moins 24 heures
dans les trois derniers mois de l'année

(en % du nombre de fumeurs)

 

2016

2017

2018

2019

2020

Total

15,9

18,7

22,5

24,4

19,9

Dont imputable au « Mois sans tabac » (en points)

2,9

2,9

4,8

4,3

2,5

En % du total

18,2

15,5

21,3

17,6

12,6

Sources : Romain Guignard, Arnaud Gautier, Raphaël Andler, Noémie Soullier, Viêt Nguyen-Thanh, « Tentatives d'arrêt du tabac pendant l'opération Mois sans tabac (2016-2019) : résultats des baromètres de Santé publique France », Bulletin épidémiologique hebdomadaire, Santé publique France, 26 octobre 2021 ; Romain Guignard, Anne Pasquereau, Raphaël Andler, Justine Avenel, François Beck, Viêt Nguyen Thanh, Effectiveness of the French Mois sans tabac on quit attempts in the first year of Covid-19: a population-based study, European Society for Prevention Research et Santé publique France, 4 novembre 2022

(c) Un impact direct modeste sur la prévalence ?

Quelques calculs simples suggèrent que le remboursement des substituts nicotiniques et le « Mois sans tabac » ont probablement eu un impact direct modeste sur l'évolution annuelle du taux de prévalence (cf. encadré).

Leur impact indirect (augmentation de l'incitation à cesser de fumer...) est toutefois difficile à évaluer.

L'impact direct du remboursement des substituts nicotiniques et de la campagne « Mois sans tabac » sur le taux de prévalence du tabagisme : quelques ordres de grandeur

En France chaque année environ 30 % des fumeurs quotidiens tentent d'arrêter de fumer.

Si on suppose que les substituts nicotiniques augmentent la probabilité de succès de 2 points121(*), l'augmentation du recours à ces traitements à la suite de la réforme de leur remboursement en 2019 (cf. graphique) suggère une baisse de la prévalence du tabagisme de moins de 0,02 point par an122(*).

Nombre annuel de bénéficiaires d'un remboursement de traitement de substitution nicotinique (TNS) (forfait ou remboursement à 65 %)

Source : Marie-Caroline Laï, La prescription remboursée des traitements d'aide à l'arrêt du tabac en France : évolution, conséquences de la covid-19 et perspectives, 15ème congrès de la SFT, 25 novembre 2021

Dans son rapport précité de 2023, l'OCDE publie une estimation très favorable de l'impact sanitaire du « mois sans tabac »123(*), sans toutefois indiquer les hypothèses retenues et les résultats intermédiaires, notamment en matière de prévalence du tabagisme.

Selon Santé publique France, le « Mois sans tabac » serait à l'origine d'environ 17 % des tentatives d'arrêt de tabac sur les trois derniers mois de l'année (cf. tableau ci-avant sur le « mois sans tabac »). Si on suppose que ces 17 % de tentatives d'arrêt lors des trois derniers mois de l'année sont bien des tentatives « en plus », et pas des tentatives qui ont été seulement anticipées, elles correspondent à environ 4 % des tentatives sur l'année. Sous l'hypothèse d'un taux de succès de 6 %, cela revient à réduire la prévalence du tabagisme de 0,02 point par an124(*).

B. L'ABSENCE, NOTAMMENT SUR LE PLAN FISCAL, DE RÉELLE POLITIQUE DE LUTTE CONTRE LA CONSOMMATION NOCIVE D'ALCOOL

1. Une consommation préoccupante
a) Une consommation d'alcool qui, bien qu'ayant fortement diminué depuis 1960, demeure l'une des plus élevées de l'OCDE
(1) Une forte baisse depuis 1960
(a) Une consommation de boissons alcoolisées divisée par plus de 2 depuis 1960

La consommation de boissons alcoolisées par personne a fortement diminué au cours des dernières décennies, passant de 200 litres en 1960 à 80 litres en 2018.

La baisse a principalement porté sur le vin, dont la consommation est passée de 130 litres à 40 litres (avec cependant une augmentation de la consommation du vin dit « de qualité »), du fait en particulier de la fin de l'usage de consommation systématique lors des repas. Celle de cidre, de plus de 25 litres en 1960, a quasiment disparu.

Actuellement, sur les 80 litres de boissons alcoolisées consommés par personne et par an, le vin représente 40 litres, la bière 30 litres, les spiritueux et le champagne 5 litres chacun.

Consommation de boissons alcoolisées

(en litres de boisson par personne et par an)

Source : Alice Cochard, Sébastien Oparowski, Les dépenses des ménages en boissons depuis 1960, Insee première n° 1794, février 2020

(b) Une consommation d'alcool divisée par plus de 2 depuis 1970

Une évolution analogue s'observe dans le cas de la consommation d'alcool pur, comme le montre le graphique ci-après.

Consommation d'alcool

(en litres d'alcool par personne
de plus de 15 ans et par an)

Source : OCDE ( https://data.oecd.org/healthrisk/alcohol-consumption.htm#indicator-chart)

(2) Une consommation d'alcool parmi les plus élevées

Malgré cette forte diminution, la France demeure parmi les États dont la consommation d'alcool par habitant est la plus élevée.

Ainsi, parmi les 49 États couverts par les statistiques de l'OCDE, seuls trois avaient en 2019 une consommation par habitant supérieure, comme le montre le tableau ci-après.

Les dix États consommant le plus d'alcool par habitant, selon l'OCDE (2019)

(en litres d'alcool par personne
de plus de 15 ans et par an)

 

Consommation

République tchèque

11,9

Autriche

11,6

Lettonie

11,6

France

11,4

Bulgarie

11,2

Lituanie

11,1

Slovénie

11,1

Luxembourg

11,0

Pologne

11,0

Roumanie

11,0

Champ : les 49 États suivis par l'OCDE (les 38 États membres, plus Afrique du Sud, Argentine, Brésil, Bulgarie, Chine, Croatie, Inde, Indonésie, Pérou, Roumanie, Russie).

Source : OCDE ( https://data.oecd.org/healthrisk/alcohol-consumption.htm#indicator-chart)

Après avoir connu un pic à 23,6 litres d'alcool par personne en 1994 à la suite de l'effondrement de l'URSS, la consommation en Russie aurait fortement diminué, pour atteindre 10,8 litres en 2019.

b) 10 % de la population consomme près de 60 % de l'alcool

Malgré cette diminution globale de la consommation de boissons alcoolisées, de nombreuses personnes continuent d'avoir une consommation excessive.

Ainsi, selon Santé publique France, en 2017, 10 % des 18-75 ans consommaient 58 % de l'alcool, comme le montre le graphique ci-après.

Distribution de la quantité d'alcool consommée dans l'année parmi les 18-75 ans en France métropolitaine en 2017

Source : Jean-Baptiste Richard, Raphaël Andler, Chloé Cogordan, Stanislas Spilka, Viêt Nguyen-Thanh et le groupe Baromètre de Santé publique France 2017, « La consommation d'alcool chez les adultes en France en 2017 », Bulletin épidémiologique hebdomadaire n°5-6, Santé publique France, 19 février 2019

2. L'absence de réelle politique de lutte contre la consommation nocive d'alcool
a) L'absence de réelle fiscalité comportementale dans le cas de l'alcool

Schématiquement, les boissons alcooliques sont soumises aux droits sur les alcools, auxquels s'ajoute, pour celles dont le titre alcoométrique volumique est de plus de 18 % (ce qui correspond en pratique essentiellement aux spiritueux), une cotisation spéciale sur les boissons alcooliques. Les droits comme la cotisation contribuent au financement de la caisse centrale de la mutualité sociale agricole (CCMSA).

Les tarifs sont définis selon une nomenclature complexe, synthétisée en annexe II au présent rapport.

Dans le cas des droits, celle-ci comprend douze catégories : celles-ci comprennent, outre le vin (dénommé « vin tranquille »), la bière de plus de 2,8 % de degré alcoométrique et les « autres alcools » (correspondant essentiellement aux spiritueux), des catégories spécifiques pour, par exemple, le mousseux, le cidre, les liqueurs, la bière fabriquée par de petites brasseries, le rhum des départements d'outre-mer, etc. La loi de finances pour 2024 a remplacé le droit réduit des petits bouilleurs de cru par une exonération totale.

Dans le cas de la cotisation, la nomenclature comprend une demi-douzaine de catégories, distinguant, notamment, le rhum des départements d'outre-mer, les prémix à base de vin et les autres prémix.

Les tarifs sont exprimés non par rapport au prix de vente, mais par rapport au volume de boisson ou d'alcool pur.

Le produit est de plus de 4 milliards d'euros, dont 0,7 milliard d'euros pour la cotisation spéciale sur les boissons alcooliques.

Montant des prélèvements sur les boissons alcooliques

(en millions d'euros)

 

2012

2013

2014

2015

2016

2017

2018

2019

2020

2021

2022

2023

2024 (p)

Cotisation de solidarités alcools

628

705

732

728

731

735

726

717

717

752

751

721

771

Droits/ vins, cidres, poirés et hydromels

120

121

122

123

122

120

115

114

100

108

108

106

112

Droits/produits intermédiaires

99

76

76

73

72

70

66

65

60

64

60

57

57

Droit sur les bières et les boissons non alcoolisées

393

783

950

909

935

975

1 026

1 088

1 024

1 068

1 158

1 131

1 313

Droits de consommation sur les alcools

1 992

2 241

2 218

2 224

2 229

2 234

2 202

2 181

2 160

2 276

2 270

2 188

2 312

Total

3 232

3 926

4 098

4 057

4 089

4 134

4 135

4 165

4 061

4 268

4 347

4 203

4 565

Source : DGFiP (réponse au questionnaire des rapporteures)

(1) Une taxation du verre d'alcool pur élevée pour les spiritueux, moyenne pour la bière et quasi nulle pour le vin

Un verre « standard » de n'importe quelle boisson alcoolisée correspond à environ 10 grammes d'alcool pur (éthanol)125(*), ce qui correspond à « l'unité standard » d'alcool pur utilisée par la France126(*).

Équivalence en alcool des différentes boissons alcoolisées

Source : Caisse nationale de l'assurance maladie ( www.ameli.fr)

Du point de vue de la santé publique, il n'y a pas de raison de taxer différemment un verre standard d'alcool selon la boisson concernée.

Pourtant, comme le montre le tableau ci-après, un verre standard est imposé 0,4 centime dans le cas d'un vin à 12,5°, 10 centimes dans le cas d'une bière à 5° et 31 centimes dans le cas d'un spiritueux à 40°.

La taxation d'un litre de boisson est quant à elle de respectivement 4 centimes, 40 centimes et un peu moins de 10 euros.

Taxation d'un verre standard d'alcool (10 g) pour les trois principaux types de boisson (2024)

 

Vin 12,5°

Bière 5°

Spiritueux 40°

Fiscalité

     

Tarif

Droits de consommation

4,05 €/hl

7,96 €/degré/hl

1 866,52 €/hl d'alcool pur (hlap)

Cotisation

   

599,31 €/hl d'alcool pur (hlap)

Droits de consommation (€) par litre

0,04

0,40

 

Droits de consommation (€) pour 10 ml d'alcool pur

   

1,87

Cotisation (€) pour 10 ml d'alcool pur

   

0,59

Imposition totale (€) pour 1 litre

0,04

0,40

9,82

Calculs

     

Quantité d'alcool pur pour 1 litre (ml)

125,00

50,00

400,00

Unité standard d'alcool pur en ml (définie comme correspondant à 10 g d'éthanol)

12,67

12,67

12,67

Nombre d'unités standard d'alcool pur/litre

9,86

3,95

31,56

Taxation de l'unité standard d'alcool pur (€)

0,004

0,10

0,31

Source : calculs de la Mecss du Sénat

(2) La quasi-absence de fiscalité sur le vin, correspondant à une « niche sociale » de fait de plusieurs milliards d'euros

Il résulte du tableau ci-avant que l'alcool du vin est environ 25 fois moins taxé que celui de la bière et 75 fois moins taxé que celui des spiritueux. Par ailleurs, le produit de la fiscalité du vin127(*) en 2023 était de seulement 0,1 milliard d'euros.

À titre d'ordre de grandeur, si l'on considère que la norme de référence est la taxation du verre standard de bière, le vin bénéficie d'une niche sociale de fait d'environ 2,5 milliards d'euros128(*). Si l'on considère que la norme de référence est la taxation du verre standard de spiritueux, le vin bénéficie d'une niche sociale de fait d'environ 8 milliards d'euros (et la bière d'environ 2 milliards d'euros129(*)).

Ainsi, la fiscalité de l'alcool correspond en France à une aide de plusieurs milliards d'euros par an pour la filière vin.

(3) Du fait du plafonnement de la revalorisation annuelle, une fiscalité sur l'alcool inférieure de 300 millions d'euros en 2025 par rapport à ce qui aurait résulté en 2024 et 2025 de l'indexation sur l'inflation

Non seulement la fiscalité de l'alcool ne poursuit pas d'objectif de santé publique, mais en plus, du fait du maintien du plafonnement de la revalorisation de ses tarifs et de la forte inflation de 2022 et 2023130(*), elle est inférieure à ce qui résulterait de l'indexation sur l'inflation, pour un montant d'environ 150 millions d'euros en 2024 et, à droit inchangé, pourrait l'être131(*) d'environ 300 millions d'euros en 2025 et 2026.

Le plafonnement de l'indexation sur l'inflation des tarifs de la fiscalité des boissons alcooliques

Les tarifs de la fiscalité des boissons alcooliques sont exprimés non par rapport au prix de vente, mais par rapport au volume de boisson ou d'alcool pur. Il importe donc de les actualiser chaque année pour prendre en compte l'inflation. À défaut, l'imposition rapportée au prix de vente diminue, ce qui correspond de fait à un allégement de la fiscalité par rapport à celle des autres produits alimentaires (correspondant habituellement à la seule TVA, définie par rapport au prix de vente). Dans le cas de l'accise comme de la cotisation, l'indexation se fait sur l'inflation hors tabac de l'année n-2.

L'indexation des tarifs est plafonnée à 1,75 % dans le cas de l'accise132(*) comme de la cotisation133(*). Si dans le cas du tabac ce plafonnement a été supprimé par la LFSS 2023134(*), il a en revanche été maintenu dans le cas de l'alcool135(*).

On rappelle qu'un litre de vin est taxé 4 centimes, soit 3 centimes pour une bouteille de 75 centilitres.

b) L'absence d'avancée notable depuis la « loi Évin » de 1991, par ailleurs affaiblie et imparfaitement appliquée
(1) La loi Évin de 1991 : une publicité autorisée sur la quasi-totalité des médias mais dont le contenu doit se limiter à des informations factuelles et à un message sanitaire

La loi fondatrice en matière de lutte contre la consommation nocive d'alcool est la « loi Évin »136(*) de 1991, portant également sur la lutte contre le tabagisme.

Cette loi a essentiellement encadré la publicité pour l'alcool.

Contrairement à ce qui est le cas pour le tabac, la publicité pour l'alcool est largement autorisée. Certes, selon la rédaction actuelle de l'article L. 3323-2 du code de la santé publique, qui reprend les dispositions de la loi Évin, la publicité n'est concernée que pour certains médias. Toutefois ceux-ci sont importants, et comprennent en particulier la presse écrite (à l'exclusion des publications destinées à la jeunesse), la radio pour certaines tranches horaires, les affiches et enseignes, les affichettes et objets à l'intérieur des lieux de vente et les documents publicitaires. Depuis 2009, la publicité sur internet est également autorisée (cf. infra). Ainsi, la publicité n'est en pratique interdite qu'à la télévision et au cinéma.

Les principales contraintes, qui semblent d'ailleurs donner lieu à la plupart des contentieux137(*), sont la limitation du contenu de la publicité à certains éléments objectifs138(*) et à la présence obligatoire d'un message précisant que l'abus d'alcool est dangereux pour la santé. Par ailleurs, est considérée comme relative à l'alcool toute publicité qui, d'une manière ou d'une autre, rappelle une boisson alcoolique139(*).

La loi Évin a également interdit le parrainage, la vente aux mineurs de moins de 16 ans, ainsi que la vente dans les stades (cette disposition a toutefois été atténuée depuis, comme indiqué infra).

(2) L'absence d'avancées notables depuis la loi Évin

Comme la Cour des comptes le soulignait en 2021, si les pouvoirs publics mènent une politique résolue de réduction de la consommation de tabac, aucun « effort notable » n'a été engagé dans le cas de l'alcool.

Ainsi, selon la Cour, « Depuis 2018, les pouvoirs publics ont engagé une politique résolue de réduction de la consommation de tabac, par relèvement de la fiscalité, qui a des effets tangibles : le nombre de fumeurs a baissé en valeur absolue. En revanche, ils n'ont pas engagé d'effort notable afin de réduire la consommation d'alcool, qui continue à s'inscrire à un niveau élevé par rapport à la plupart des pays européens »140(*).

Dans son rapport public thématique141(*) de 2016 sur la lutte contre les consommations nocives d'alcool, la Cour des comptes recommandait en particulier d'« élaborer un programme national de réduction des consommations nocives d'alcool », sur le modèle de ce qui avait été mis en place dans le cas du tabac142(*). Pourtant, il n'existe toujours aucun document de ce type, l'alcool n'étant qu'un aspect parmi d'autres de la « stratégie interministérielle de mobilisation contre les conduites addictives 2023-2027 »143(*).

(3) L'atténuation de l'encadrement de la publicité depuis 1991

Comme la Cour des comptes le souligne dans son rapport précité de 2016, « cette loi n'a cessé depuis sa promulgation d'être remise en cause ».

(a) L'autorisation depuis 2009 de la publicité sur internet

Le principal enjeu porte sur l'autorisation par la loi dite « HPST »144(*) de la publicité pour l'alcool sur internet depuis 2009.

Les seules interdictions145(*) concernent les services destinés à la jeunesse et ceux édités par certaines entités sportives ainsi que la publicité « intrusive » ou « interstitielle »146(*). La publicité doit par ailleurs respecter les règles de droit commun, comme la limitation de son contenu à certains éléments objectifs et la présence obligatoire d'un message précisant que l'abus d'alcool est dangereux pour la santé. Le parrainage est interdit.

La loi dite « influenceurs » de 2023147(*) rappelle que s'appliquent à ceux-ci les articles L. 3323-2 à L. 3323-4 du code de la santé publique, relatifs à la publicité pour l'alcool.

Les dispositions concernées sont insuffisamment appliquées. En 2023, saisi par l'association Addictions France148(*), le tribunal judiciaire de Paris a ordonné à Meta le retrait de 37 publications d'Instagram149(*), provenant de 19 influenceurs.

(b) Des remises en cause de moindre importance

D'autres affaiblissements de la loi Évin sont de moindre importance.

(i) La possibilité depuis 2000 pour le maire d'autoriser ponctuellement la vente d'alcool dans les stades

La loi Évin a interdit la vente et la distribution de boissons alcooliques à l'intérieur des établissements où se pratiquaient des activités physiques ou sportives.

Un arrêt du Conseil d'État ayant annulé un décret permettant des dérogations préfectorales150(*), l'article 21 de la loi de finances rectificative pour 1998151(*), inséré par le Sénat avec l'avis défavorable du Gouvernement, permet au préfet d'accorder ponctuellement des dérogations. L'article 18 de la loi de finances pour 2001152(*) a transféré cette faculté d'accorder une dérogation au maire, ce qui selon la Cour des comptes153(*) « facilite son obtention et limite son contrôle ».

Ces dispositions figurent actuellement à l'article L. 3335-4 du code de la santé publique.

(ii) L'exclusion depuis 2015 des boissons protégées ou disposant d'une identification de la qualité ou de l'origine du champ de ce qui est considéré comme une publicité

Depuis 2015, la loi pour la modernisation de notre système de santé154(*) prévoit que ne sont pas considérées comme des publicités certaines communications concernant des boissons protégées ou disposant d'une identification de la qualité ou de l'origine155(*).

Selon l'objet de l'amendement adopté par le Sénat, il s'agissait de supprimer un « carcan » pour « l'information journalistique et oenotouristique ».

Cet amendement avait suscité l'opposition de la présidente de la Mildeca, du directeur général de l'INPES, de la présidente de l'INCa et des sociétés savantes156(*).

(4) Le principal problème : le faible respect de la loi Évin

Plus que l'affaiblissement des dispositions de la loi Évin, c'est leur non-respect qui pose problème. L'autorisation de la publicité sur internet serait moins problématique si celle-ci se faisait dans le respect des règles.

L'association Addictions France indique avoir engagé plus de cent contentieux portant sur les dispositions de la loi Évin relatives à la publicité pour l'alcool, dont 85 % ont confirmé l'illégalité des faits157(*).

Les exemples indiqués sur son site internet158(*) concernent en quasi-totalité le contenu des publicités. En effet, l'article L. 3323-4 du code de la santé publique prévoit que celles-ci ne peuvent comprendre que certains éléments objectifs, limitativement énumérés (cf. supra). Addictions France donne les exemples d'une publicité pour une marque de bière évoquant la séduction et la convivialité, une autre pour une autre marque de bière se référant manifestement au football, une autre pour une marque d'apéritif évoquant des « rencontres », une autre pour une liqueur utilisant le mot « troublant » avec en arrière-plan le Baiser de Fragonard, etc.

Les sanctions, prévues par l'article L. 3351-7 du code de la santé publique, sont peu dissuasives pour de grands groupes industriels. Les infractions sont « punies de 75 000 euros d'amende », ce montant pouvant « être porté à 50 % du montant des dépenses consacrées à l'opération illégale ». En cas de récidive, les personnes physiques peuvent encourir la peine complémentaire d'interdiction, pendant une durée de cinq ans, de vente de la boisson alcoolique qui a fait l'objet de l'opération illégale.

(5) Une interdiction de vente aux mineurs essentiellement théorique

L'article L. 3353-3 du code de la santé publique prévoit que « la vente à des mineurs de boissons alcooliques est punie de 7 500 € d'amende », ce montant pouvant être doublé en cas de récidive.

Les personnes physiques concernées encourent également la peine complémentaire d'interdiction à titre temporaire d'exercer les droits attachés à leur licence de débit de boissons pour une durée d'un an au plus.

Toutefois selon Addictions France, 9 établissements sur 10 vendraient de l'alcool aux mineurs159(*).

C. UNE FISCALITÉ NUTRITIONNELLE ENCORE BALBUTIANTE

1. La fiscalité nutritionnelle, circonscrite à la « taxe soda », n'a pas produit les effets annoncés
a) D'une fiscalité de rendement à une fiscalité comportementale 

En France, les seuls produits alimentaires qui font l'objet de taxes comportementales visant un objectif de santé publique sont les boissons sucrées et édulcorées. Ces taxes sont prévues aux articles 1613 ter (contribution sur les boissons contenant des sucres ajoutés) et 1613 quater (contribution sur les boissons édulcorées) du code général des impôts. Leurs caractéristiques, notamment en termes d'assiette, sont présentées plus en détail en annexe II.

Dans la suite du rapport, on désignera ces deux taxes sous l'appellation générique de « taxe soda ».

Ces taxes ont d'abord été pensées comme une fiscalité de rendement et non comme un dispositif à visée comportementale. En effet, l'article 27 de la loi de finances initiale (LFI) pour 2012 en a fixé le montant indépendamment de la teneur en sucres ajoutés ou en édulcorants de synthèse qu'elles contiennent.

La LFSS pour 2018 a permis de réviser la contribution sur les boissons non alcooliques contenant des sucres ajoutés pour lui conférer une véritable dimension comportementale. Avant 2018, le tarif de cette contribution était déterminé par un taux fixe appliqué à chaque hectolitre. La réforme de 2018 fixe un barème progressif dépendant du taux de sucre ajouté contenu dans le produit imposable (en kilogramme par hectolitre). Initialement linéaire, le dispositif est ainsi devenu progressif afin de favoriser la réorientation des comportements des consommateurs.

Le tarif de la contribution s'échelonne sur quinze paliers compris entre 3,17 euros par hectolitre de boisson pour les quantités de sucres inférieures ou égales à 1 kilogramme, et 24,78 euros par hectolitre lorsque la quantité de sucre équivaut à 15 kilogrammes. Au-delà, le tarif applicable par kilogramme supplémentaire est fixé à 2,10 euros par hectolitre de boisson160(*).

Tarif de la contribution sur les boissons contenant des sucres ajoutés

Quantité de sucre (en kg de sucres ajoutés par hl de boisson)

Tarif applicable (en euros par hl de boisson)

Inférieure ou égale à 1

3,17

2

3,7

3

4,22

4

4,74

5

5,8

6

6,86

7

7,91

8

10,02

9

12,13

10

14,23

11

16,34

12

18,45

13

20,56

14

22,67

15

24,78

En revanche, la contribution sur les boissons édulcorées n'a pas été révisée depuis 2012. Elle conserve un effet linaire, à l'appui d'un montant forfaitaire fixé à 3,17 euros par hectolitre, qui ne produit donc pas d'effet pénalisant croissant avec le taux d'édulcorants dans le produit.

Cette différence de modèle avec la taxe sur les boissons à sucres ajoutés interroge car si la taxe sur les boissons édulcorées prétend poursuivre un objectif de santé publique, une réforme du dispositif serait justifiée. Les objectifs de cette contribution mériteraient donc d'être clarifiés.

Les contributions sur les boissons contenant des sucres ajoutés et sur les boissons édulcorées sont à l'origine de recettes budgétaires d'un montant respectif de 443 millions d'euros et de 43 millions d'euros en 2023. Leur produit est intégralement affecté à la branche « assurance maladie, invalidité et maternité » du régime de protection sociale des personnes non salariées des professions agricoles (2° de l'article L. 722-8 code rural).

Depuis le 1er janvier 2019, le recouvrement et le contrôle de ces deux contributions sont assurés par la direction générale des finances publiques, dans un souci d'homogénéisation des circuits de recouvrement et de contrôle, et pour renforcer la lutte contre la fraude fiscale.

Montants recouvrés de la « taxe soda » de 2018 à 2023

(en millions d'euros)

 

2018

2019

2020

2021

2022

2023

Évolution depuis 2018

Contribution sur les boissons avec sucres ajoutés

375

418

383

414

453

443

+18,1 %

Contribution sur les boissons avec édulcorants

42

39

39

37

41

43

+ 2,4 %

Total

417

457

422

451

494

486

+ 16,5 %

Source : Sénat, d'après les données communiquées par la DGFiP

b) Un bilan décevant qui reflète une ambition trop réservée

Les effets de la « taxe soda » ont été évalués en deux temps, pour tenir compte de la modification de la contribution sur les boissons sucrées par la LFI pour 2018. Elle porte donc d'abord sur la période de 2012 à 2018 puis sur la période écoulée depuis 2018.

Dans son format de 2012, la « taxe soda » ne présentait pas les caractéristiques d'une fiscalité comportementale. Son assiette n'était pas cohérente avec un objectif de réduction des apports en sucres, puisqu'elle incluait les boissons contenant des édulcorants de synthèse sans sucres ajoutés, et parce que son taux n'était ni indexé sur la teneur en sucres de la boisson, ni suffisamment élevé pour produire un signal-prix perceptible par les consommateurs. L'allocation de ses recettes se répartissait pour moitié entre le budget de l'État et le budget de la sécurité sociale.

Le rôle des édulcorants dans l'orientation des goûts et des pratiques alimentaires161(*)

En 2015, l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) a produit un avis dans le cadre d'un rapport d'expertise collective portant sur l'évaluation des bénéfices et des risques nutritionnels des édulcorants intenses. L'industrie agroalimentaire recourt de plus en plus à ces édulcorants intenses (aspartame, acésulfame K, sucralose) pour développer des gammes sans sucres ou allégées en sucres. La réduction de l'apport calorique, associée au maintien du goût sucré des aliments, est devenue un argument marketing à part entière. Ces édulcorants ont en effet un pouvoir sucrant plusieurs centaines de fois supérieur à celui du saccharose162(*).

De cette étude, l'Anses a conclu « qu'il n'existe pas d'élément probant permettant d'encourager, dans le cadre d'une politique de santé publique, la substitution des sucres par des édulcorants intenses. Cet objectif de réduction des apports en sucres doit être atteint par la réduction globale du goût sucré de l'alimentation, et ce dès le plus jeune âge. À ce titre, l'Agence recommande que les boissons édulcorées et les boissons sucrées ne se substituent pas à la consommation d'eau ». 

D'autres études plus récentes indiquent un lien entre la consommation d'édulcorants de synthèse et un risque accru de cancer163(*).

La taxation des boissons édulcorées est néanmoins contestée par les industriels de l'agroalimentaire.

L'évaluation de la taxe sur les boissons sucrées dans son format de 2018 a donné lieu à un projet de recherche interdisciplinaire et collaboratif, baptisé « soda tax », coordonné par l'École des hautes études en santé publique (EHESP), dont le rapport doit être prochainement publié. Les chercheurs rappellent que l'indexation de la taxe sur la teneur en sucres d'une boisson poursuit deux objectifs : d'une part, accroître le prix des produits les plus sucrés pour décourager leur consommation ; d'autre part, inciter les producteurs à modifier la composition de leurs produits pour ne pas s'exposer au risque d'une baisse de leurs ventes, le cas échéant au profit de produits concurrents.

(1) Un effet limité sur la hausse des prix et donc sur la consommation

En premier lieu, on observe que la révision du barème de la taxe a eu un effet limité sur la hausse de prix des boissons sucrées par rapport aux boissons édulcorées, qui s'est traduit par une légère baisse des achats de ces boissons.

Sur la période 2017-2019, les prix des boissons de marques nationales soumises à la taxation ont vu leur charge fiscale augmenter dans une fourchette comprise entre 2,1 % et 4,4 % selon le distributeur ; pour les autres marques et les marques distributeurs, l'impact est encore plus limité, presque imperceptible. L'indice de prix moyen des boissons à sucres ajoutés a augmenté de 1,7 % par rapport à celui des boissons édulcorées si l'on compare la moyenne des 12 mois précédant la mise en oeuvre de la réforme en juillet 2018 à celle des 12 mois suivants.

La réduction de la consommation de sucres associée à celle des boissons à sucres ajoutés taxées s'établirait à 29,7 grammes par mois par ménage, soit 1 gramme de moins par jour.

En conclusion, l'impact de la taxe sur la baisse de la consommation de sucres provenant des sodas est marginale. Cette baisse a été plus sensible pour les ménages les plus modestes.

(2) Un effet limité sur les reformulations par les industriels

En deuxième lieu, la taxe a conduit certains industriels à reformuler la composition de leurs produits, mais les stratégies adoptées ont été diverses.

Le projet « soda tax » conclut à un effet de reformulation limité de la nouvelle taxe sur les boissons à sucres ajoutés164(*). Au total, sur la période 2014-2019, 69 reformulations à la baisse ont été identifiées, soit 12 % des produits concernés par la taxe. Mais seules 26 baisses apparaissent significatives, c'est-à-dire supérieures à 2 milligrammes pour 100 millilitres, seuil autorisant le changement de catégorie fiscale au sens de la réforme de la LFSS pour 2018. Ces reformulations ont été principalement opérées en 2018 et se poursuivent en 2019.

Dans un rapport de 2019165(*), la Cour des comptes notait les évolutions positives induites par la « taxe soda » en matière de reformulation, dont certaines substantielles, soulignant en particulier l'exemple d'un producteur de limonade ayant diminué le taux de sucre dans ses boissons de plus de 70 %. D'autres producteurs, à l'instar de Coca-cola, n'ont en revanche pas ou peu modifié la composition de leurs boissons. Le fait pour un fabricant de disposer d'une gamme de produits édulcorés ou sans sucres, autorisant des effets de report sans impact économique excessivement défavorable pour la marque, peut contribuer à expliquer cette inertie.

En parallèle, l'émergence régulière sur le marché de nouveaux sodas allégés en sucres est une tendance objectivée, qui semble attester que les producteurs privilégient le développement de produits moins sucrés pour s'adapter aux nouvelles contraintes du marché, notamment fiscales, et à l'évolution des goûts des consommateurs.

La stratégie de reformulation de la composition des boissons par les producteurs est l'un des impacts recherchés par la taxe, dès lors qu'elle contribue à diminuer la consommation globale de sucres. Ces reformulations doivent donc être encouragées.

Les recettes fiscales associées à cette taxe n'ont cessé d'augmenter depuis sa création, y compris suite à sa révision en 2018. Cette tendance démontre que le seuil fiscal optimal de la courbe de Laffer n'est donc pas atteint. En effet, tant que les recettes sont croissantes, à assiette fiscale constante, le taux de taxation peut continuer à augmenter. Les recettes commenceront à diminuer lorsque les consommateurs réorienteront suffisamment leurs comportements d'achat. La fiscalité sur les boissons sucrées et édulcorées pourrait donc être renforcée.

Des expériences de fiscalité nutritionnelle en progression dans le monde

Carte des pays dans le monde appliquant une taxe d'accise sur les boissons à sucres ajoutés

Source : World Bank Group, Taxes on sugar-sweetened beverages : international evidence and experiences, septembre 2020

Rappelons que la France a été l'un des premiers pays à expérimenter la mise en oeuvre d'une taxe portant sur les boissons à sucres ajoutés. Dix ans plus tard, les taxes sodas sont en vigueur dans près d'une cinquantaine d'États dans le monde. Ce modèle de taxe s'est donc largement diffusé sur l'ensemble des cinq continents et rencontre un relatif succès qui illustre l'adhésion grandissante dont elle fait l'objet, tant de la part des pouvoirs publics que des consommateurs.

L'évolution globale constatée à l'échelle internationale en faveur de la diffusion de politiques de taxation des boissons sucrées traduit un consensus des opinions publiques et des gouvernements, d'une part sur les finalités de santé publique poursuivies via la moindre consommation de certains produits, d'autre part sur la pertinence de l'outil fiscal pour réduire ces consommations. Les revues de littérature internationale soulignent en effet l'intérêt de cet outil et l'Organisation mondiale de la santé recommande d'y recourir pour prévenir le surpoids et l'obésité, diverses pathologies chroniques comme les maladies cardio-vasculaires ou le diabète de type 2, ainsi que les cancers.

En revanche, peu de pays ont décidé de mettre en oeuvre des taxes à visée comportementale sur des produits alimentaires autres que les boissons. En effet, les taxes ciblant des aliments de faible qualité nutritionnelle demeurent rares, en raison des difficultés de mise en oeuvre auxquelles elles sont associées et de leur ciblage qui peut conduire à renchérir le prix de biens considérés comme de première nécessité (par exemple, le beurre).

En Europe, à part l'expérience danoise qui s'est rapidement révélée être un échec - la taxe sur les graisses saturées ayant été supprimée à peine plus d'un an après son instauration fin 2011 -, seule la Hongrie s'est engagée dans cette voie et y a persisté. Dès 2014, elle a mis en place un dispositif de taxation des produits alimentaires préemballés riches en sel et en sucre (à des taux d'imposition variables) associée à une réduction de 3,4 % de la consommation d'aliments transformés et à une augmentation parallèle de 1,1 % des aliments non transformés166(*).

2. L'inscription de l'outil fiscal dans une politique nutritionnelle globale : une évolution en cours

Les expériences internationales et française démontrent que l'outil fiscal, lorsqu'il vise à modifier les comportements des consommateurs, n'est jamais mobilisé de façon isolée. Il n'est efficace qu'intégré à un arsenal de mesures - campagnes d'information et de sensibilisation des consommateurs, encadrement des conditions de vente, réglementation de la composition des produits, etc. - visant un même objectif, qu'il s'agisse de faire diminuer la consommation des boissons sucrées ou de lutter contre le tabagisme.

La conception de politiques publiques à visée large et transversale pour édifier un environnement nutritionnel globalement favorable à la santé s'inscrit dans la lignée de la Déclaration d'Helsinki de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) qui, en 2014, a souligné l'interconnexion des différentes politiques publiques et mis en exergue le concept de « santé dans toutes les politiques ».

En France, la volonté portée par ce concept trouve à s'incarner dans la Stratégie nationale pour l'alimentation, la nutrition et le climat (SNANC), prévue par la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021, qui reste néanmoins à formaliser. Elle permettra de fixer un cadre plus global que le Programme national nutrition-santé (PNNS) 2019-2023, dont le premier axe vise à améliorer l'environnement alimentaire général et qui poursuit comme objectifs une diminution de 20 % de la fréquence de surpoids et d'obésité chez les enfants et adolescents, et de 15 % de l'obésité chez les adultes.

a) Des démarches d'engagement volontaires pour tenter de mobiliser les industriels

La conception d'une politique globale, non centrée exclusivement sur la fiscalité, permet d'élargir la responsabilité de ces évolutions pour éviter qu'elles ne pèsent que sur des consommateurs incités ou enjoints à modifier leurs choix.

Par exemple, les reformulations des compositions nutritionnelles de certains produits, selon qu'elles sont imposées ou suggérées, relèvent soit de la responsabilité des pouvoirs publics, soit de celle des industriels.

En France, la réglementation ne prévoit pas de cadre contraignant en la matière mais les industriels sont invités à s'inscrire dans des démarches volontaires, en contractualisant avec les pouvoirs publics au travers de « chartes d'engagement » ou d'« accords collectifs ». Ces deux outils, respectivement promus par le PNNS et le PNA, rencontrent un succès très relatif.

Depuis 2019, un seul accord collectif a pu être signé. Il concerne la filière de la boulangerie et prévoit une réduction de 30 % du taux de sel dans le pain à horizon 2025. Cet accord fait l'objet d'un suivi régulier pour mesurer l'atteinte des cibles fixées par l'accord167(*). Aucune sanction n'est toutefois associée à la non-atteinte des objectif initiaux.

b) Un Nutri-Score dont l'usage progresse, à défaut d'être obligatoire

De même, la mise en oeuvre du Nutri-Score depuis 2017 s'inscrit dans cette évolution générale de l'environnement nutritionnel.

S'il est encouragé par les pouvoirs publics, l'usage de ce système d'étiquetage nutritionnel simplifié dépend de la volonté des industriels, libres de l'apposer ou non sur leurs emballages. Le droit communautaire restreint en effet les mentions obligatoires imposées sur les emballages à celles prévues par le règlement européen EU n° 1169/2011 du 25 octobre 2011 concernant l'information du consommateur sur les denrées alimentaires.

Les données les plus récentes de l'Oqali montrent que l'utilisation du Nutri-Score s'étend progressivement : en 2023, les produits arborant le logo représentaient 62 % des parts de marché en volumes de ventes en France168(*).

Pourtant, les représentants du secteur de l'industrie agro-alimentaire sont globalement opposés à la mise en oeuvre d'un étiquetage nutritionnel obligatoire, comme en attestent les discussions à l'échelle européenne et les oppositions qu'elles cristallisent. Les fabricants des produits les moins favorables à la santé n'ont en effet aucune incitation à afficher clairement le bilan de la composition nutritionnelle de leurs produits.

Près de 40 % des produits vendus n'indiquent pas ce score nutritionnel et parmi les produits commercialisés en grandes et moyennes surfaces, l'étiquetage « E » est le moins représenté (10,8 % des produits) alors que les produits de classe « A » sont les plus représentés (29 %). Ces données mettent en évidence la frilosité des industriels vis-à-vis de cet affichage pour les catégories de produits les plus mal classées.

Source : Oqali, Suivi du Nutri-Score, bilan annuel, édition 2021

c) Des évolutions sectorielles positives à encourager

Une étude récente de l'Oqali169(*) fait le constat d'une diminution importante des taux de sucres dans les boissons sucrées, avec ou sans édulcorants, entre 2013 et 2019. Cette tendance s'observe déjà entre 2010 et 2013, mais elle s'accentue fortement entre 2013 et 2019. Deux causes peuvent contribuer à expliquer ce phénomène : d'une part, la mise en oeuvre d'une taxation spécifique des boissons à sucres ajoutés et des boissons avec édulcorants de synthèse ; d'autre part, la signature d'un accord collectif par les industriels du secteur des boissons à sucres ajoutés en 2015, s'engageant à diminuer la teneur moyenne en sucres de l'ensemble des boissons rafraichissantes sans alcool.

À titre d'illustration, parmi les évolutions significatives entre 2010 et 2019, on peut relever une diminution de 4,3 grammes de sucres pour volume de 100 ml pour les colas sucrés et édulcorés, soit une baisse de 45 %, ou une diminution de 1,8 gramme de sucres pour 100 millilitres dans les eaux aromatisées sucrées et édulcorées, soit une baisse de 26 %. Cette évolution n'est toutefois pas uniforme car le taux de sucres a fortement augmenté dans d'autres boissons, par exemple les boissons au thé sucrées et édulcorées (+2,4 g / 100 ml soit +121 %). De même, le taux de sucres dans les boissons énergisantes sucrées et édulcorées avait très fortement augmenté depuis 2010, même s'il connaît une diminution entre 2013 et 2019.

d) Un encadrement encore insuffisant du marketing alimentaire à l'attention des jeunes

Enfin, les pouvoirs publics peuvent agir pour encadrer et diminuer l'exposition au marketing alimentaire des jeunes consommateurs.

La loi du 20 décembre 2016 relative à la suppression de la publicité commerciale dans les programmes jeunesse de la télévision publique, dite loi « Gattolin », a supprimé depuis le 1er janvier 2018 tout message publicitaire autre que ceux relatifs à la santé et au développement des enfants ou à des campagnes d'intérêt général au moment de la diffusion de programmes destinés aux enfants de moins de 12 ans.

Cette loi, qui a constitué un premier pas dans la lutte contre le marketing alimentaire vis-à-vis des publics jeunes, apparaît aujourd'hui très insuffisante, tant vis-à-vis du public qu'elle cible, trop restreint, que s'agissant du support de communication concerné, c'est-à-dire la seule télévision publique.

I. III. UN OUTIL PERTINENT MAIS INSUFFISANT : PROPOSITIONS POUR UNE POLITIQUE DE PRÉVENTION VOLONTARISTE

A. TABAC, ALCOOL ET ALIMENTATION : DES MESURES TRANSVERSALES POUR SOUTENIR LA PRÉVENTION EN SANTÉ

1. Flécher une partie des recettes vers des actions servant les mêmes objectifs que la fiscalité comportementale

Des études170(*) démontrent qu'une mesure de fiscalité comportementale est d'autant mieux comprise et acceptée que les recettes fiscales qu'elle engendre sont réinvesties dans des actions permettant de servir les mêmes objectifs que ceux que poursuit la taxe (lutte contre le tabagisme, la consommation excessive d'alcool ou l'obésité).

En conséquence, les recettes fiscales générées par les accises comportementales pourraient être davantage orientées vers le financement de campagnes d'information et de sensibilisation, ou vers des dispositifs de soutien à l'achat de produits alimentaires favorables à la santé.

Bien qu'il n'y ait pas juridiquement d'affectation directe au financement de la prévention (les fiscalités du tabac et de l'alcool étant affectées respectivement à l'assurance maladie et aux régimes agricoles), on peut considérer que la fiscalité comportementale contribue au financement, au sein de la Cnam, du Fonds de lutte contre les addictions (FLCA), dont le budget soutient diverses actions de prévention. Toutefois ses crédits sont limités, de l'ordre de 130 millions d'euros seulement (cf. encadré ci-après).

L'opportunité de renforcer l'adéquation entre l'objet d'une taxe et son affectation budgétaire avait été soulignée par la Cour des comptes dans son rapport de 2022 sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale171(*).

Proposition n° 1 : Orienter davantage les recettes de la fiscalité comportementale vers des actions de prévention et communiquer clairement à ce sujet.

Le Fonds de lutte contre les addictions (FLCA)

Au sein de la Caisse nationale de l'Assurance maladie, un « Fonds de lutte contre le tabac » a été instauré en 2017 par le décret n° 2016-1671 du 5 décembre 2016. La LFSS pour 2019 l'a remplacé en 2019 par un « Fonds de lutte contre les addictions liées aux substances psychoactives ». La LFSS pour 2022 l'a, à son tour, remplacé par l'actuel « Fonds de lutte contre les addictions » (FLCA).

La base juridique de ce fonds est l'article L. 221-1-4 du code de la sécurité sociale, qui prévoit qu' « il est créé, au sein de la Caisse nationale de l'assurance maladie, un fonds de lutte contre les addictions » et qu' « un arrêté des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale fixe, chaque année, le montant de la dotation de la branche Maladie finançant le fonds et détermine la liste des bénéficiaires des financements attribués par le fonds ainsi que les montants et la destination des sommes qui leur sont versées en application du présent article ».

Dans le cas de l'exercice 2023, ce fonds est doté de près de 130 millions d'euros. Près des trois quarts des crédits ne sont fléchés vers aucun type d'addiction ; les montants explicitement fléchés vers le tabac et l'alcool représentent respectivement 14 % et 10 % des crédits environ.

Répartition des crédits du Fonds de lutte contre les addictions (2023)

(en euros)

 

Montant

Tabac

Alcool

Drogues illicites

Jeux d'argent et de hasard

Non explicité

Cnam

34 621 691

3 627 600

2 105 000

   

28 889 091

CCMSA

340 000

140 000

     

200 000

ANSP (Santé publique France)

28 575 600

13 326 600

9 640 500

678 000

1 766 000

3 164 500

INCa

9 636 362

1 286 362

     

8 350 000

Inserm

18 501 909

       

18 501 909

Soutien aux déclinaisons régionales du programme national de lutte contre le tabac et de la stratégie interministérielle de mobilisation contre les addictions

34 000 000

       

34 000 000

OFDT

3 240 000

30 000

890 000

2 070 000

 

250 000

Cnam - marché d'évaluation portant sur des thématiques cibles

622 604

       

622 604

Total

129 538 166

18 410 562

12 635 500

2 748 000

1 766 000

93 978 104

%

100,0

14,2

9,8

2,1

1,4

72,5

Cnam : Caisse nationale de l'assurance maladie. CCMSA : Caisse centrale de de la mutualité sociale agricole. ANSP : Agence nationale de la santé publique (Santé publique France). INCa : Institut national du cancer. Inserm : Institut national de la santé et de la recherche médicale. OFDT : Observatoire français des drogues et des tendances addictives.

Source : Mecss du Sénat, d'après l'arrêté du 25 juillet 2023 fixant la liste des bénéficiaires et les montants alloués par le fonds de lutte contre les addictions ainsi que le montant de la dotation de la branche maladie finançant le fonds de lutte contre les addictions au titre de l'année 2023

2. Structurer une politique de prévention globale et intensifier les efforts en faveur de l'information et de la sensibilisation des consommateurs

La Cour des comptes souligne, dans son rapport public thématique172(*) de 2016 sur la lutte contre les consommations nocives d'alcool, qu'il n'existe pas de campagne de prévention dédiée à la lutte contre l'alcoolisme ou les consommations excessives d'alcool (contrairement à ce qui est le cas pour le tabac). Il est incompréhensible que les pouvoirs publics ne mènent pas de telle campagne, alors que les représentants des principales fédérations du secteur ont déclaré, lors de leur audition publique par la Mecss le 19 mars 2024, être favorables à une meilleure éducation et information du consommateur173(*).

Concernant la qualité de l'alimentation, les campagnes existantes pourraient être renforcées et diverses actions menées auprès de publics cibles. Dans un avis du 6 mars 2023174(*), le HCSP recommandait de mettre en oeuvre une politique de prévention tout au long de la vie en agissant sur les principaux déterminants de santé. Si les rendez-vous de prévention créés par la LFSS pour 2023 permettront d'aborder notamment les consommations addictives et la nutrition, ces consultations concernent seulement les personnes majeures et ne constituent que des bilans ponctuels au cours d'une vie, qui ne peuvent remplacer une politique de promotion de la santé globale impulsée au niveau national.

Une politique de prévention structurée devrait en particulier cibler les enfants et les adolescents. Les institutions scolaires ont ici un rôle primordial à jouer, de même que les collectivités territoriales. Les professionnels de ces structures, au contact des usagers, doivent être formés à la prévention en santé ; cette dimension devrait être partie intégrante des politiques de gestion prévisionnelle des métiers et des compétences.

La mise en oeuvre de cette recommandation exige un portage politique fort impulsé au niveau national.

Proposition n° 2 : Concevoir et structurer une politique de prévention globale impliquant les structures scolaires et les collectivités territoriales, et intensifier les efforts en faveur de l'information et de la sensibilisation des consommateurs.

3. Assurer le respect des interdictions de vente aux mineurs pour le tabac et l'alcool

Comme indiqué précédemment, les interdictions de vente de tabac et d'alcool aux mineurs sont peu appliquées.

Il convient donc d'assurer le respect de ces interdictions.

Il s'agit d'un enjeu d'autant plus important dans le cas du tabac que 90 % des fumeurs commencent à fumer avant 18 ans.

Cela pourrait notamment passer par :

- un renforcement des sanctions (amendes, suspension de la licence, fermeture administrative...) ;

- la mise en place d'un dispositif conditionnant techniquement le paiement à une vérification de l'âge (par exemple par la reconnaissance faciale) ;

- un renforcement des contrôles, par exemple en donnant compétence aux agents de la répression des fraudes de procéder à des contrôles, qui actuellement relèvent de la seule police.

Proposition n° 3 : Assurer le respect des interdictions de vente de tabac et d'alcool aux mineurs, par le renforcement des contrôles et des sanctions et la mise en place d'outils conditionnant le paiement à la vérification de l'âge.

B. RENFORCER LA LUTTE CONTRE LE TABAGISME

La baisse annuelle de la prévalence prévue par le PNLT 2023-2027 est de 1 point en 2025-2027, ce qui est analogue à la baisse annuelle prévue par les plans précédents175(*).

Compte tenu du niveau élevé de cette prévalence (environ 25 %), il importe qu'un effort de cet ordre puisse être soutenu sur une vingtaine d'années.

Cet objectif, bien qu'ambitieux, semble pouvoir être approché.

En effet, un phénomène majeur est la récente baisse du tabagisme chez les jeunes176(*) qui, si elle se maintenait, permettrait à la France d'enclencher enfin le mécanisme de baisse structurelle de la prévalence constatée dans la plupart des pays de l'OCDE depuis les années soixante. Cela implique d'être particulièrement vigilant afin d'éviter que les industriels du tabac parviennent à contrecarrer ce phénomène (ou à le remplacer par une dépendance à d'autres produits contenant de la nicotine).

Une augmentation du prix des produits du tabac de par exemple 5 % par an (soit 3,25 % hors inflation de 1,75 %), permettrait d'accélérer significativement cette baisse.

Un plus grand taux de succès des tentatives de sortie du tabagisme, par exemple par un recours accru à la cigarette électronique (si l'efficacité de celle-ci comme instrument de sevrage était confirmée) aurait vraisemblablement un impact modeste, non pris en compte par le tableau ci-après.

Scénario indicatif d'évolution de la prévalence du tabagisme quotidien
(2025-2050)

 

Par an

Au bout de 25 ans

Prévalence en 2024 (% de la population de 18-75 ans)

 

25,01

Principaux facteurs d'évolution (hypothèses)

-0,6

-15,0

Dont :

   

Augmentation du prix des produits du tabac d'au moins 3,25 % par an hors inflation

-0,22

-5,02

Remplacement générationnel, avec maintien de la faible prévalence du tabagisme constatée chez les jeunes au cours des dix dernières années (« sécurisée » par des politiques adaptées)

-0,4

-10,0

Prévalence en 2050 (% de la population de 18-75 ans)

 

10,0

Les chiffrages sont explicités ci-après dans le texte.

1 Par convention.

2 Il s'agit d'une estimation basse. Le précédent de 2018-2020 suggère que cet impact pourrait être accru par une modulation du taux annuel de 5 % (3,25 % hors inflation) de manière à permettre certaines années une augmentation supérieure (par exemple de 10 %).

Source : Mecss du Sénat

1. La cigarette électronique : un moyen efficace de sortie du tabagisme avec un encadrement par un professionnel de santé
a) La proportion de patients qui réussissent à arrêter de fumer serait de 6 % avec les substituts nicotiniques et de 8 % à 10 % avec une cigarette électronique utilisant de la nicotine

Selon une récente « revue Cochrane »177(*) réalisée à partir du suivi de plusieurs groupes de patients, le taux d'arrêt du tabagisme serait de 6 % avec un substitut nicotinique et de 8 % à 10 % avec une cigarette électronique utilisant de la nicotine.

Il ne serait pas possible, selon cette étude, de déterminer si les effets indésirables de la cigarette électronique sont plus fréquents ou graves que ceux des substituts nicotiniques178(*).

Taux de succès des tentatives d'arrêt du tabac selon différents procédés

(en %)

Le succès est défini ici comme l'absence de reprise de la consommation au bout de six mois.

Source : Nicola Lindson, Ailsa R. Butler, Hayden McRobbie, Chris Bullen, Peter Hajek, Rachna Begh, Annika Theodoulou, Caitlin Notley, Nancy A Rigotti, Tari Turner, Jonathan Livingstone-Banks, Tom Morris, Jamie Hartmann-Boyce, « Electronic cigarettes for smoking cessation », Cochrane Database of Systematic Reviews, 2024, n° 1

En France, le Haut Conseil de la santé publique a publié en 2021 un avis179(*) défavorable au recours à la cigarette électronique comme moyen de sortir du tabagisme, du fait notamment de rares effets indésirables graves (pneumopathies notamment), d'un possible effet de « porte d'entrée » dans le tabagisme et d'études alors jugées peu concluantes en termes d'efficacité.

L'« étude Cochrane » précitée suggère que l'évolution des connaissances pourrait amener le HCSP à revoir sa position. Par ailleurs, des fumeurs peuvent spontanément recourir à la cigarette électronique pour sortir du tabagisme.

Certains États ont choisi d'adopter des politiques différentes. À titre d'illustration, au Royaume-Uni, des cigarettes électroniques sont distribuées à des populations ciblées, dans une perspective de réduction des risques. En France, le professeur Lowenstein a indiqué aux rapporteures être favorable à une telle approche.

Toutefois, comme le montre le graphique ci-avant, l'avantage de la cigarette électronique par rapport aux substituts nicotiniques reste modeste. Le nombre de personnes concernées ne représenterait vraisemblablement chaque année qu'une minorité des 30 % de fumeurs tentant d'arrêter de fumer. Enfin, il reste à déterminer si une telle politique présenterait une balance bénéfices-risques favorable.

Pour ne pas interférer avec les décisions à venir des autorités sanitaires, le présent rapport ne fait pas de proposition à ce sujet.

b) L'absence de lien entre l'usage de la cigarette électronique dans une population donnée et le recul du tabagisme

Les études précitées analysées par la « revue Cochrane » indiquent les taux de succès des tentatives de sortie du tabagisme supervisées par un professionnel de santé.

Une autre question est de savoir si un recours important à la cigarette électronique dans une population donnée, y compris sans supervision par un professionnel de santé, est un facteur de baisse du tabagisme.

En particulier, la cigarette classique et la cigarette électronique ne sont pas exclusives l'une de l'autre, la moitié180(*) des utilisateurs de la seconde recourant également à la première.

Pour tenter de répondre à cette question, les rapporteures ont croisé les données de l'OCDE sur la prévalence du tabagisme avec une récente étude sur le recours à la cigarette électronique dans les États européens.

Les données suggèrent l'absence de lien entre le recours de la population d'un pays à la cigarette électronique et la diminution de la prévalence du tabagisme, comme le montre le graphique ci-après.

Corrélation entre la prévalence de l'usage régulier de la cigarette électronique (2017-2018) et l'évolution de la prévalence du tabagisme quotidien depuis 2008

Les données sont issues des sources suivantes :

- pour la prévalence de la cigarette électronique : Silvano Gallus et al., « Electronic Cigarette Use in 12 European Countries: Results From the TackSHS Survey », Journal of Epidemiology, volume 33, n° 6, 2023 ;

- pour l'évolution de la prévalence du tabagisme : OCDE ( https://data.oecd.org/healthrisk/daily-smokers.htm). Les données manquantes pour 2008 et 2018 ont été interpolées de manière linéaire.

NB : dans le cas du Royaume-Uni, la prévalence de la cigarette électronique concerne la seule Angleterre.

Source : Mecss du Sénat, d'après les sources indiquées

Ainsi, le Royaume-Uni, parfois mis en avant comme un exemple de succès d'un État ayant réduit la prévalence du tabagisme grâce à un recours important à la cigarette électronique (5,7 % d'utilisateurs réguliers), n'a pas davantage réduit la prévalence du tabagisme quotidien depuis 2008 que la moyenne des autres États de l'OCDE.

La France et la Grèce, où l'usage régulier de la cigarette électronique se situe autour de 3 %, ont connu des diminutions très différentes du tabagisme, de respectivement 3,4 points (passage de 28,8 % à 25,4 %) et 14,3 points (passage de 39,7 % à 25,4 %). Par ailleurs, dans le cas de la France, la diminution de la prévalence du tabagisme s'explique notamment par les mesures prises en 2016-2018181(*).

Le recours à la cigarette électronique semble d'autant plus devoir être envisagé avec précaution que la plupart des consommateurs utilisent de la nicotine.

2. Augmenter le prix des produits du tabac d'au moins 3,25 % par an hors inflation d'ici 2040

L'instrument de politique publique le plus efficace pour réduire la prévalence du tabagisme est une augmentation forte et régulière du prix des produits du tabac.

Ainsi, selon l'OMS, « l'augmentation des taxes sur les produits du tabac est la mesure de lutte antitabac la plus efficace »182(*).

Cela est reconnu par le Gouvernement, même s'il ne prévoit pas d'augmentation de la fiscalité des cigarettes. Ainsi, comme Aurélien Rousseau, alors ministre de la santé et de la prévention, l'indique dans son « édito » au PNLT 2023-2027, « le levier du prix, c'est ce qui fonctionne le mieux ».

La quasi-totalité des études disponibles concernent l'élasticité-prix de la demande de cigarettes (c'est-à-dire la manière dont le prix influe sur le nombre total de cigarettes vendues), et non la manière dont la prévalence du tabagisme (c'est-à-dire la proportion de fumeurs dans la population) dépend d'une augmentation du prix de la cigarette, qui est, on l'a vu, ce qui importe du point de vue de la santé publique.

Certaines études183(*) suggèrent qu'aux Etats-Unis l'élasticité-prix de la demande de cigarettes proviendrait pour environ la moitié de la baisse du nombre de fumeurs et la moitié de celle du nombre de cigarettes par fumeur.

Il ne semble pas exister de telle étude dans le cas de la France.

On observe toutefois que même s'il n'existe pas de corrélation, au sens statistique du terme, entre croissance du prix du paquet de cigarettes et évolution du taux de prévalence du tabagisme, la première conditionne fortement la seconde, comme le montre le graphique ci-après.

Impact de la croissance du prix du paquet de cigarettes sur la prévalence du tabagisme (2001-2022)

Les prévalences absentes ont été interpolées de manière linéaire.

Source : Mecss du Sénat, d'après des données de l'OFDT

Schématiquement, si une année donnée le prix des cigarettes augmente de moins de 4 %, la prévalence du tabagisme augmente ; si elle augmente de plus de 4 %, elle diminue (d'environ 0,2 point pour une augmentation autour de 5 %).

Augmenter le prix des cigarettes de 5 % par an jusqu'en 2040 permettrait de porter le prix du paquet de 20 cigarettes de 12 euros aujourd'hui à 25 euros en 2040 (20 euros en euros de 2024184(*)). À titre de comparaison, le prix actuel est de plus de 20 euros en Nouvelle-Zélande et 25 euros en Australie.

Ce taux d'augmentation de 5 % par an suppose une inflation « normale », d'environ 1,75 %. L'expérience récente montrant que l'inflation peut fortement fluctuer, il paraît préférable de fixer une cible de taux d'augmentation hors inflation. Celle-ci serait alors de 3,25 %.

Il s'agit d'un minimum, des augmentations de prix supérieures étant parfois suggérées. Ainsi, l'Alliance contre le tabac préconise une augmentation de 10 % par an. Toutefois une telle augmentation risque de ne pouvoir être soutenue sur le long terme. Une solution intermédiaire serait de moduler la hausse de prix de 5 % par an de manière à permettre certaines années une augmentation de plus de 10 %. En effet, le précédent de 2018-2020 suggère que l'impact sur la prévalence pourrait être considérablement accru185(*).

Comme indiqué supra, les estimations du marché parallèle (marché transfrontalier, contrebande et contrefaçon) par l'industrie du tabac sont nettement supérieures à celles disponibles par ailleurs.

Sous l'hypothèse d'une élasticité-prix de -0,4, une augmentation des tarifs de 3,25 % par an (en plus de l'actuelle indexation sur l'inflation) accroîtrait les recettes fiscales de 2040 d'environ 5 milliards d'euros.

L'impact de l'augmentation de la fiscalité du tabac sur les buralistes doit être relativisé (cf. I.B. supra). En particulier, si l'on omet le rôle du tabac comme « produit d'appel », il résulte du mécanisme de la « remise »186(*) qu'une augmentation du prix du tabac se traduit normalement par une augmentation des bénéfices des buralistes187(*). On pourrait renforcer ce phénomène en augmentant le prix de vente des cigarettes non seulement par une augmentation de la fiscalité, mais aussi par une augmentation du taux de remise.

Proposition n° 4 : Augmenter le prix des produits du tabac d'au moins 3,25 % par an hors inflation jusqu'en 2040, par la fiscalité et par une augmentation du taux de rémunération des buralistes.

Une nouvelle augmentation de la fiscalité du tabac rendrait d'autant plus nécessaire de renforcer la lutte contre le marché parallèle.

Il convient tout d'abord de réaliser des travaux d'estimation du marché parallèle, comme le prévoit le « plan tabac » 2023-2025 de la DGDDI. Ces travaux devront chiffrer le nombre de cigarettes vendues dans ce cadre selon une méthodologie fiable et transparente, distinguant commerce transfrontalier licite, contrebande et contrefaçon.

Le nombre de cigarettes vendues dans ce cadre devra bien entendu être réduit.

Cela implique de renforcer la lutte contre le commerce illicite et de réaliser des actions de prévention ciblées vers les publics s'approvisionnant dans le cadre du commerce transfrontalier licite.

La France devrait promouvoir une révision en ce sens des directives tabac188(*). La Commission européenne devait présenter depuis la fin de l'année 2021 une révision de ces textes, mais cela a sans cesse été repoussé.

La fixation d'un prix ou d'une fiscalité minimum sont toutefois loin de faire consensus, en raison du lobbying de l'industrie du tabac, mais aussi des différences de niveau de vie entre États membres.

Un sujet connexe est celui du sur-approvisionnement volontaire des pays limitrophes de la France par l'industrie du tabac, afin de favoriser le contournement de la fiscalité française. Frédéric Valletoux, alors député, a déposé en 2023 une proposition de loi189(*) visant à ce que la France applique le protocole de 2012 « Pour éliminer le commerce illicite des produits du tabac » à la convention-cadre de l'OMS pour la lutte antitabac (cf. encadré ci-après). Concrètement, cela impliquerait de fixer chaque année par arrêté les quantités maxima de produits du tabac susceptibles d'être livrées aux buralistes. Selon les termes de l'exposé des motifs, il s'agirait pour la France de « montrer l'exemple », afin de favoriser une révision de la directive des produits du tabac qui rendrait de tels quotas obligatoires. Lors de son audition par la commission des affaires sociales du Sénat le 21 mai 2024, Frédéric Valletoux a confirmé souhaiter une telle évolution.

Le protocole de 2012 « Pour éliminer le commerce illicite des produits du tabac » à la convention-cadre de l'OMS pour la lutte antitabac

La France a signé ce protocole en 2013 et l'a ratifié en 2015. Il est entré en vigueur en 2018. Comme la convention-cadre, il définit des bonnes pratiques plutôt que des règles contraignantes.

Son article 7 prévoit que chaque État partie, conformément notamment à son droit national, « exige que toutes les personnes physiques et morales prenant part à la chaîne logistique du tabac des produits du tabac et du matériel de fabrication (...) contrôlent les ventes à leurs clients afin de s'assurer que les quantités sont proportionnées à la demande de ces produits sur le marché où ils sont destinés à être vendus ou utilisés ».

Selon son article 10, chaque État partie, s'il y a lieu et conformément notamment à son droit national, exige que les industriels du tabac « fournissent des produits du tabac ou du matériel de fabrication seulement en quantités proportionnées à la demande de ces produits sur le marché où ils sont destinés à être vendus au détail ou utilisés ».

Son article 8 prévoit quant à lui que « les Parties conviennent d'instaurer, dans les cinq ans suivant l'entrée en vigueur du présent Protocole, un régime mondial de suivi et de traçabilité ». La réunion des Parties au Protocole pour éliminer le commerce illicite des produits du tabac s'est réunie en février 2024, sans avancées majeures.

Proposition n° 5 : Chiffrer selon une méthodologie fiable et transparente le nombre de cigarettes vendues dans le cadre du marché parallèle, et réduire ce nombre, par un renforcement de la lutte contre le commerce illicite, par des actions de prévention ciblées dans le cas du commerce transfrontalier licite, et en promouvant une révision en ce sens des directives tabac (harmonisation des prix à la hausse, application obligatoire des règles sur l'approvisionnement proportionné des marchés prévues par le protocole de 2012 à la convention de l'OMS sur la lutte antitabac).

3. Soutenir la récente tendance à la baisse de l'entrée des jeunes dans le tabagisme

Comme précédemment indiqué, contrairement à ce qui s'est produit dans la plupart des États de l'OCDE, la tendance spontanée à la baisse de la prévalence du tabagisme qu'on y observe depuis les années soixante ne s'est pas produite en France.

Néanmoins, la prévalence du tabagisme chez les jeunes est en fort recul. Alors qu'en 2011 la prévalence du tabagisme quotidien des lycéens était de 30,8 %, soit un taux analogue à celui observé en population générale, elle était en 2022 de 6,2 %.

Usage du tabac au lycée

(en %)

Source : OFDT (données transmises aux rapporteures)

Le renouvellement générationnel devrait donc susciter mécaniquement une baisse progressive du tabagisme. En effet, 90 % des dépendances au tabac se développent avant 18 ans.

La diminution du tabagisme chez les jeunes s'explique en grande partie par l'augmentation du prix des cigarettes190(*).

Les industriels du tabac s'efforcent bien entendu d'enrayer cette baisse de leur chiffre d'affaires, grâce au tabac à chauffer191(*) et, dans une moindre mesure, à la cigarette électronique192(*) (dont le marché est plus concurrentiel).

C'est donc à juste titre que le PNLT 2023-2027 fixe l'objectif d'une « génération sans tabac » en 2032, et que le premier de ses deux « piliers » consiste à « prévenir l'entrée dans le tabagisme, en particulier chez les plus jeunes - en réduisant l'accessibilité financière du tabac, en sortant le tabac des espaces quotidiens ou encore en encadrant les produits du vapotage attractifs auprès des jeunes »193(*).

a) Assurer le respect de l'interdiction de vente aux mineurs

Il convient donc en premier lieu d'assurer le respect de l'interdiction de vente aux mineurs des produits du tabac et des dispositifs de vapotage (cf. III.A. supra).

b) Mieux encadrer la vente de produits contenant de la nicotine

La cigarette électronique utilisant de la nicotine, si elle paraît utile dans des tentatives de sortie du tabagisme encadrées par des professionnels de santé, semble d'une manière générale peu réduire la prévalence du tabagisme (cf. supra).

Par ailleurs, elle n'est pas dépourvue de tout risque pour la santé, et, bien que le phénomène paraisse marginal, elle peut servir de point d'entrée dans le tabagisme.

Il convient donc de trouver un équilibre entre, d'une part, la nécessité de préserver l'accès à la cigarette électronique pour permettre à des fumeurs d'arrêter de fumer et, d'autre part, le souci de ne pas en favoriser à l'excès le développement.

Les dispositifs électroniques de vapotage à usage unique, ou « puffs », visent spécifiquement les jeunes. Il faut donc se réjouir de ce que les deux chambres du Parlement soient parvenues à un accord sur la proposition de loi tendant à interdire les dispositifs électroniques de vapotage à usage unique194(*).

Actuellement, malgré un régime s'écartant sur certains points de celui des produits du tabac (fiscalité, monopole de vente...), la cigarette électronique est fortement encadrée. L'interdiction de la publicité195(*) et l'interdiction de la vente aux mineurs196(*) font consensus. Certaines dispositions sont parfois contestées, comme l'interdiction de vapoter dans les lieux publics197(*) ou certaines mesures du PNLT (limitation des arômes198(*), instauration du paquet neutre). Toutefois, comme indiqué supra, il n'est pas évident à ce stade que les avantages de la cigarette électronique l'emportent sur ses inconvénients.

Le véritable sujet selon les rapporteures est l'encadrement de la vente de produits contenant de la nicotine. Il convient d'aller plus loin sur de point, en interdisant la vente aux mineurs non seulement des produits du vapotage199(*), mais aussi des autres produits contenant de la nicotine200(*), et en réduisant les points de vente aux seuls bureaux de tabac et commerces spécialisés, comme suggéré par une récente proposition de loi201(*) de la sénatrice Alexandra Borchio Fontimp202(*). L'instauration d'une licence pour les commerces spécialisés pourrait en outre faciliter le contrôle.

Les rapporteures ne proposent pas en revanche d'instaurer une taxation des produits du vapotage, afin d'éviter le risque d'un report de certains consommateurs vers le tabac.

Proposition n° 6 : Mieux encadrer la vente de produits contenant de la nicotine, en la limitant aux bureaux de tabac et aux magasins spécialisés et en interdisant leur vente aux mineurs, voire en instaurant une licence pour les magasins spécialisés.

4. Mener à bien comme prévu l'alignement de la fiscalité du tabac à chauffer sur celle des cigarettes

L'article 15 de la LFSS 2023 prévoit d'aligner d'ici le 1er janvier 2026 la fiscalité du tabac à chauffer sur celle des cigarettes.

Cette augmentation doit être effectivement menée à terme.

Contrairement à ce que le suggèrent les industriels du tabac, le tabac à chauffer étant plus nocif que la cigarette électronique, son usage ne saurait être encouragé comme substitut à la cigarette. Cela implique de résister au fort lobbying du secteur.

L'affirmation des industriels du tabac selon laquelle les pouvoirs publics devraient favoriser le tabac à chauffer

Pour faire face au recul des ventes de cigarettes sur leurs principaux marchés, les industriels du tabac s'efforcent de se diversifier en développant le tabac à chauffer (dont le marché est moins concurrentiel que celui de la cigarette électronique)203(*).

Aussi, ils tendent à présenter la cigarette électronique et le tabac à chauffer comme deux alternatives plus ou moins équivalentes à la cigarette classique, moins nocives que celles-ci et qu'il conviendrait donc de promouvoir. En particulier, si la cigarette électronique n'est pas soumise à la fiscalité des produits du tabac, tel est le cas du tabac à chauffer, dont la fiscalité devrait donc, selon l'industrie du tabac, être allégée.

Toutefois une revue de littérature de 2021 conclut, dans le cas du tabac à chauffer, que « les études évaluant l'impact du [tabac chauffé] sur la santé humaine sont rares », que « la plupart d'entre elles ont été menées par l'industrie du tabac », que « les preuves sont insuffisantes pour conclure que [le tabac chauffé] serait moins dangereux que les cigarettes classiques » et que « [le tabac chauffé] peut être beaucoup plus nocif que les cigarettes électroniques, notamment en émettant des carbonyles (acroléine, acétaldéhyde, formaldéhyde) et des [hydrocarbures aromatiques polycycliques] »204(*).

Proposition n° 7 : Mener à bien, comme prévu par la loi, l'alignement de la fiscalité du tabac à chauffer sur celle des cigarettes.

C. DÉFINIR UNE POLITIQUE DE LUTTE CONTRE LA CONSOMMATION NOCIVE D'ALCOOL

1. Certaines mesures, bénéfiques du point de vue de la santé publique, ne semblent pas envisageables en pratique
a) La réduction de la « niche » fiscale de fait dont bénéficie le vin ne semble pas envisageable compte tenu du poids économique du secteur vinicole

Comme indiqué, actuellement le vin n'est quasiment pas taxé, la bière est moyennement taxée et les spiritueux sont fortement taxés. Par rapport à la taxation du verre d'alcool applicable à la bière, le vin bénéficie d'une « niche » fiscale de fait d'environ 2,5 milliards d'euros. Ainsi, le rapport205(*) de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale relatif au « printemps social de l'évaluation » de 2023 préconise d'augmenter la fiscalité du vin206(*).

Par ailleurs, du fait du maintien du plafonnement à 1,75 % de la revalorisation de ses tarifs et de la forte inflation de 2022 et 2023, la taxation des boissons alcoolisées est inférieure à ce qui résulterait de l'indexation sur l'inflation pour un montant d'environ 150 millions d'euros en 2024 et, à droit inchangé, le sera d'environ 300 millions d'euros en 2025 et 2026. Par rapport aux autres produits, en quasi-totalités taxés sur la base du prix, il s'agit donc d'un allégement de fait de la fiscalité. Dans le cas du tabac, ce plafonnement (de 1,8 %) a été supprimé par la LFSS 2023. La suppression de ce plafonnement est préconisée par le rapport précité de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale.

Lors de l'examen au Sénat du PLFSS 2024, des amendements tendant à augmenter la fiscalité du vin où à supprimer ce plafonnement ont été examinés. Toutefois aucun n'a été adopté.

Selon l'OFDT, les seuls États de l'Union européenne producteurs de vin taxant celui-ci sont la France et l'Espagne, qui ont fixé cette fiscalité à un niveau symbolique (cf. annexe III au présent rapport). Par ailleurs, comme indiqué supra, en France, en 2017, 10 % des 18-75 ans consommaient 58 % de l'alcool207(*).

Par souci de réalisme, les rapporteures ne feront pas de proposition d'augmentation de la fiscalité de l'alcool.

b) Le prix minimum du verre d'alcool : un dossier à travailler avec la filière vinicole
(1) Une instauration récente dans plusieurs pays

Plusieurs pays ont récemment instauré un prix minimum par unité d'alcool : Écosse (2018), Territoire du Nord australien (2018), Pays de Galles (2020), Irlande (2022).

Le rapport d'évaluation publié en 2023 par Public Health Scotland, qui juge clairement la mesure bénéfique en matière de santé publique, indique qu'il existe des « preuves solides » que le prix unitaire minimum a réduit le nombre de décès directement imputables à l'alcool (- 13,4 %) et réduit les hospitalisations entièrement imputables à l'alcool (- 4,1 %).

Le rapport souligne toutefois la nécessité de mener des actions spécifiques à destination des personnes dépendantes à faibles revenus (la mesure n'ayant vraisemblablement pas réduit la consommation des personnes dépendantes, qui représentent une sous-catégorie des personnes ayant une consommation excessive).

L'impact économique sur les producteurs et les vendeurs au détail aurait été mineur.

L'expérience écossaise est présentée plus en détail en annexe III au présent rapport.

(2) Une préconisation ancienne dans le cas de la France mais qui se heurte à l'opposition de la filière

L'instauration d'un prix minimum par unité d'alcool est une préconisation ancienne.

En 2010, l'Assemblée mondiale de l'OMS a adopté une résolution mentionnant le prix minimum parmi les instruments susceptibles d'être utilisés208(*).

Dans un rapport public thématique209(*) de 2016, la Cour des comptes recommande l'instauration du prix minimum210(*).

Un rapport de 2022 pour l'INCa et la Mildeca réalisé sous la direction de Fabrice Étilé211(*), qui a servi de base à un article publié en 2023 dans la revue Économie et statistique212(*), s'appuyant sur des travaux de simulation, considère que le prix minimum serait préférable à la fiscalité. Il préconise l'instauration d'un prix minimum de 0,5 euro par verre standard d'alcool pur, qui selon lui diminuerait la consommation de 13,5 %, réduirait la mortalité par cancer imputable à la consommation d'alcool de 22 % et augmenterait les profits des producteurs indépendants de vin (+ 39 %), en leur permettant d'augmenter leurs marges.

Le rapport de 2022 pour l'INCa et la Mildeca réalisé sous la direction de Fabrice Étilé213(*)

Ce rapport s'appuie sur des données Kantar WordlPanel de 2013-2014, relatives à la consommation à domicile (ce qui exclut donc la consommation au restaurant ou dans des bars). La relative ancienneté des données et le périmètre de l'étude ne semblent pas toutefois en remettre en cause les conclusions.

Les simulations poursuivent des objectifs O1 (stabilité du produit fiscal) ou O2 (majoration du produit fiscal pour compenser les coûts sociaux).

Les résultats sont les suivants.

Variations (%) des quantités d'alcool (l) achetées par les ménages

Comme c'est logique, la taxe uniforme baisse la taxation des alcools forts et augmente celle des autres.

La taxe progressive, qui consiste à maintenir une « pénalisation » des alcools forts, réduit, voire supprime, ce phénomène.

Le prix minimum (que ce soit avec maintien de la fiscalité actuelle ou instauration d'une taxe progressive) réduit la consommation des bières et alcools forts de moins de 10 % (respectivement 9,5 % et 7,3 %) et des vins tranquilles de 23 %.

Le prix minimum augmenterait les profits des producteurs de toutes les catégories d'alcool. En effet, « l'implémentation d'un prix minimum augmente les marges unitaires des producteurs, ce qui peut largement compenser d'éventuelles baisses des volumes achetés ».

Variations des profits des producteurs par catégorie d'alcool

Le rapport214(*) précité de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale préconise d'« engager des réflexions autour du prix minimum des boissons alcooliques, comme le recommandent l'OMS, la Cour des comptes ainsi que le chercheur Fabrice Étilé dans son rapport remis à la Mildeca ».

(3) Un dossier à travailler avec la filière vinicole, éventuellement en la combinant avec un « prix plancher » d'achat aux producteurs ?

Malgré les bons résultats de l'expérience écossaise et ces simulations encourageantes, la proposition suscite l'opposition des représentants de la filière, qui lors de leur audition par la Mecss ont exprimé la crainte que l'augmentation des marges soit captée par les distributeurs.

Une solution voisine (ou complémentaire) consisterait à instaurer un « prix plancher »215(*) d'achat des boissons alcoolisées aux producteurs. L'Assemblée nationale a récemment adopté, malgré l'opposition du Gouvernement, une proposition de loi tendant à instaurer un tel prix plancher d'achat pour les produits agricoles.

Le projet de prix plancher d'achat des produits agricoles aux producteurs

Le 30 novembre 2023, l'Assemblée nationale a rejeté une proposition de loi216(*) de députés du groupe La France insoumise tendant notamment à instaurer pour les produits agricoles des prix plancher d'achat aux producteurs.

Le 24 février 2024, le Président de la République a affirmé qu'il convenait d'établir « des prix planchers qui permettront de protéger le revenu agricole et de ne pas céder à toutes les pratiques les plus prédatrices qui aujourd'hui sacrifient nos agriculteurs et leurs revenus ».

Le 22 février 2024, le Premier ministre avait chargé les députés Anne-Laure Babault et Alexis Izard d'une mission d'évaluation d'une potentielle évolution du cadre législatif et réglementaire des lois EGalim et, plus globalement, des négociations commerciales.

Le 4 avril 2024, l'Assemblée nationale a adopté, malgré l'opposition du Gouvernement, une proposition de loi217(*) déposée par des députés du groupe écologiste prévoyant qu'une filière puisse décider d'organiser une conférence publique de filière pour fixer un prix minimal d'achat.

Comme cela a été souligné notamment par le président Bruno Retailleau, un prix plancher d'achat des produits agricoles aux producteurs ne prendrait pas suffisamment en compte la diversité des régions et des exploitations.

Par ailleurs, la filière vinicole ne semble pas favorable à l'instauration d'un prix plancher d'achat aux producteurs.

Il n'appartient pas à la Mecss de prendre position sur un sujet relevant de la politique agricole.

Les rapporteures relèvent toutefois que dans le cas particulier des boissons alcoolisées, l'instauration d'un prix plancher fixé sur la base d'objectifs de santé publique obéirait à une autre logique. Elles considèrent que les enjeux de santé publique - et les enjeux de finances publiques afférents - méritent que les échanges et réflexions se poursuivent sur la manière d'éviter que les augmentations de marge permises par l'instauration éventuelle d'un prix minimum soient captées par les distributeurs.

Proposition n° 8 : Poursuivre, en associant les producteurs, la réflexion sur l'instauration éventuelle d'un prix minimum par unité d'alcool, afin notamment d'éviter que les augmentations de marge soient captées par les distributeurs.

2. Assurer le respect de l'interdiction de vente aux mineurs

L'usage de l'alcool au lycée est, comme celui du tabac (cf. supra), en net recul. Ainsi, l'usage régulier serait passé de 21,3 % en 2011 à 5,3 % en 2022.

Usage de l'alcool au lycée

(en %)

Source : OFDT (données transmises aux rapporteures)

Toutefois, selon l'association Addictions France, 9 établissements sur 10 vendraient de l'alcool aux mineurs218(*).

Afin de ne pas risquer d'enrayer la baisse de la consommation, l'effectivité de l'interdiction de vente aux mineurs doit être renforcée. Les moyens mis en oeuvre pourraient être analogues à ceux proposés pour le tabac (cf. supra, Proposition n° 3).

3. Renforcer l'encadrement de la publicité pour l'alcool
a) Renforcer les sanctions en cas d'infraction

Comme indiqué supra, les infractions relatives au contenu des publicités sont nombreuses.

L'article L. 3351-7 du code de la santé publique, qui définit les pénalités, semble inadapté. Les sanctions « de base » sont peu dissuasives pour de grands groupes industriels (amende « par défaut » de 75 000 euros) ou délicates à mettre en oeuvre (amende pouvant être portée à 50 % du coût de l'opération). Par ailleurs, la sanction prévue en cas de récidive est probablement trop forte pour être appliquée (interdiction de vente de la boisson pendant cinq ans) et s'applique à une personne physique, et non à la société concernée.

Les sanctions des infractions aux règles de publicité pour l'alcool

Les sanctions sont prévues à l'article L. 3351-7 du code de la santé publique.

Les infractions sont « punies de 75 000 euros d'amende », ce montant pouvant « être porté à 50 % du montant des dépenses consacrées à l'opération illégale ».

En cas de récidive, les « personnes physiques » peuvent encourir la peine complémentaire d'interdiction, pendant une durée de cinq ans, de vente de la boisson alcoolique qui a fait l'objet de l'opération illégale.

Une augmentation du montant de l'amende de 75 000 euros pourrait conduire à un montant excessif pour de petits producteurs ; il n'est en outre pas évident que le juge décide d'appliquer son montant maximal. Par ailleurs, il peut sembler souhaitable de maintenir un « droit à l'erreur » et de ne prévoir les sanctions les plus lourdes qu'en cas de récidive.

Une possibilité serait de prévoir que les peines en cas de récidive s'appliquent à la personne morale (et non physique) et d'ajouter à l'actuelle peine complémentaire d'interdiction de vente pendant cinq ans de la boisson concernée (trop forte pour être prononcée) une interdiction de publicité pendant cinq ans pour la boisson concernée.

b) Interdire la publicité pour l'alcool sur internet

Comme indiqué supra, la publicité pour l'alcool sur internet est autorisée depuis 2009 par la loi dite « HPST »219(*) et les règles relatives au contenu des publicité sont mal respectées.

L'association Addictions France considère que, compte tenu notamment du grand nombre de publicités émises par les influenceurs, leur contrôle est de fait impossible. Par ailleurs, ils visent souvent un public jeune, voire mineur. Aussi, elle estime que « la publicité pour l'alcool par les influenceurs doit être interdite »220(*).

Il convient donc d'interdire totalement la publicité pour l'alcool sur internet.

Proposition n° 9 : Mieux encadrer la publicité pour l'alcool, en inscrivant à l'article L. 3351-7 du code de la santé publique des peines plus dissuasives et adaptées et en interdisant la publicité pour l'alcool sur internet.

4. Élaborer et publier un programme national de réduction des consommations nocives d'alcool

La Cour des comptes préconise, dans son rapport public thématique précité de 2016, d'« élaborer un programme national de réduction des consommations nocives d'alcool », sur le modèle de ce qui existe dans cas du tabac.

Un tel programme national permettrait de fixer des objectifs clairs et favoriserait la cohérence des actions menées. Des initiatives comme la campagne « Dry January », portée par l'association britannique Alcohol Change UK et adaptée en France par un collectif d'associations et de réseaux nationaux, pourraient y être incluses.

Proposition n° 10 : Élaborer et rendre public un programme national de réduction des consommations nocives d'alcool.

D. CRÉER LES CONDITIONS D'UN ENVIRONNEMENT NUTRITIONNEL FAVORABLE À LA SANTÉ

1. Se doter d'une fiscalité nutritionnelle plus audacieuse : l'enjeu d'une nouvelle réforme de la « taxe soda »

L'évaluation de la « taxe soda » depuis 2018 montre un impact très limité sur la consommation des boissons à sucres ajoutés. Ce bilan plus que mitigé doit encourager une nouvelle évolution de la taxe française, dans une optique comportementale plus assumée. Il est pour cela recommandé de s'inspirer du modèle britannique, qui a produit des résultats significatifs.

a) Une taxe sur les boissons sucrées actuellement moins incitative que la taxe britannique

Le projet de recherche « soda tax » précité établit une comparaison des modèles de taxation britannique et français. Il conclut à ce qu'un dispositif fiscal identifiant un faible nombre de seuils ou de tranches fiscales, et créant des différentiels de taxe substantiels, produit des effets plus importants qu'un barème fiscal très graduel tel que le modèle français.

La taxe britannique sur les boissons sucrées présente quelques différences notables avec la taxe sur les boissons sucrées française.

D'une part, elle prend en compte la teneur totale en sucres de la boisson, et non les seuls sucres ajoutés.

D'autre part, elle repose sur un dispositif ne fixant que deux tranches fiscales, alors que le dispositif fiscal français en compte quinze. Au Royaume-Uni, la première tranche fiscale concerne les boissons contenant 5 à 8 grammes de sucres pour 100 millilitres ; la deuxième concerne les boissons dont le contenu en sucres est supérieur ou égal à 8 grammes pour 100 millilitres. En-deçà d'un taux de 5 grammes de sucres pour 100 millilitres, les produits échappent donc à la taxe. Le système français, lui, ne prévoit aucune exonération, les produits étant taxés dès le premier kilogramme de sucre par hectolitre. 

Enfin, le montant de la taxe britannique est globalement supérieur à celui de la taxe française.

Comparaison des taxes sur les boissons sucrées au Royaume-Uni et en France

 

Royaume-Uni

(taux de sucres total)

France

(taux de sucres ajoutés)

Boissons contenant moins de 50 g de sucres pour 1 litre

(soit moins de 5 kg de sucres par hectolitre)

Pas de taxe

De 3,03 € à 4,55 € pour 1 kg à 4 kg de sucres ajoutés par hectolitre

Boissons contenant 50 g à 80 g de sucres pour 1 litre

(soit 5 à 8 kg de sucres par hectolitre)

18 pence (0,21 €) par litre

21 € pour 5 à 8 kg de sucres par hectolitre

De 5,56 € à 9,6 € pour 5 à 8 kg de sucres ajoutés par hectolitre

Boissons contenant plus de 80 g de sucres pour 1 litre

(soit plus de 8 kg de sucres par hectolitre)

24 pence (0,28 €) par litre

28 € pour plus de 8 kg de sucres par hectolitre

De 11,62 € à 23,74 € pour 9 à 15 kg de sucres ajoutés par hectolitre

Source : Mecss du Sénat

La mise en oeuvre de la taxe britannique à compter de 2018 s'est traduite par un nombre conséquent de reformulations des compositions des boissons visées. Le niveau de taxation élevé a fortement incité les industriels à modifier la composition de leurs produits pour se situer en-dessous du seuil de 5 grammes de sucres pour 100 millilitres de boisson. Ainsi, la proportion de boissons sucrées dépassant le seuil à partir duquel les boissons sont taxées (soit 5 grammes par millilitre) est passée de 49 % en 2015 à 15 % en 2019221(*). Environ un tiers des marques de boissons à sucres ajoutés ou avec édulcorants ont procédé à ces reformulations, à l'exception notable de certaines marques leaders (Coca-Cola, Pepsi ou Redbull)222(*).

Par ailleurs, l'impact sur les prix a été substantiel pour les boissons dont les compositions n'ont pas été modifiées.

Comparaison des taxes sur les boissons sucrées en France et au Royaume-Uni

Source : Commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, rapport d'information concluant les travaux du Printemps social de l'évaluation, juin 2023

Au final, la taxe britannique produit des effets de seuils plus significatifs que la taxe française. En agissant tant sur l'offre (industriels incités à reformuler leurs produits) que sur la demande (comportement des consommateurs ayant reporté leurs achats sur des produits moins chers), son effet s'est révélé dix fois supérieur à celui de la taxe française, si l'on considère le moindre volume de sucres consommés par les ménages.

b) Simplifier et revaloriser le barème de la taxe pour produire des effets seuils plus importants

Alors que le format de la taxe française sur les boissons sucrées apparaît complexe et peu incitatif, une fiscalité simplifiée, lisible dans ses objectifs et aisément compréhensible par les acteurs du marché faciliterait donc le repositionnement des industriels. En agissant avec peu de tranches fiscales et des effets de seuil significatifs, les fabricants sont davantage incités à reformuler la composition de leurs produits et les reports d'achats des consommateurs sont plus nets, en raison d'effets marqués sur les prix.

Pour mémoire, lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2024, le Sénat a adopté un amendement s'inspirant du barème britannique, contre l'avis du Gouvernement, afin d'alourdir la taxation des boissons sucrées223(*). Cette disposition n'a pas été maintenue dans le texte définitivement adopté par l'Assemblée nationale le 4 décembre 2023224(*).

L'impact limité de la taxe actuelle sur le prix des boissons à sucres ajoutés (augmentation de prix inférieure à 5 %) plaide pour une augmentation de la fourchette des tarifs applicables par kilogramme de sucres. En effet, plusieurs travaux ont démontré la nécessité d'un impact de l'ordre de 10 % à 15 % sur les prix pour agir sur le comportement des consommateurs.

En procédant au regroupement des seuils de taxation actuels en trois tranches (tranche 1 : absence de taxe ; tranche 2 : premier niveau de taxe ; tranche 3 : second niveau de taxe), les niveaux de taxes associés devraient être revalorisés au-delà du niveau de taxe moyen actuel pour les mêmes teneurs en sucres.

La réalisation d'une étude de marché préalable apparaît utile pour déterminer les tranches fiscales les plus adaptées pour inciter un maximum d'industriels à reformuler les compositions de leurs produits. La répartition des parts de marché des boissons à sucres ajoutés en fonction de leur teneur en sucres est en effet déterminante, puisque les industriels ont tendance à minimiser l'effort de reformulation de façon à se situer juste en-dessous du seuil fiscal auquel ils se trouvent assujettis.

Proposition n° 11225(*: Réformer le barème de la taxe sur les boissons sucrées, en augmentant ses taux et en limitant le nombre de tranches d'imposition, afin de renforcer son efficacité et d'accentuer sa visée comportementale.

c) Accompagner la réforme de la taxe sur les boissons sucrées d'une communication adaptée

Enfin, une mesure d'augmentation de la charge fiscale d'un bien présente toujours le risque d'une contestation d'ordre social et économique et revêt une certaine sensibilité. C'est pourquoi il apparaît important de rappeler aux consommateurs :

- que la taxe porte sur un panel circonscrit de produits, ce qui autorise des effets de report, et que les produits ciblés ne correspondent pas à des biens de première nécessité ;

- que les objectifs poursuivis sont la réduction des inégalités de santé et des bénéfices individuels en termes de santé publique à moyen et long termes ;

- que les gains associés à une réduction de la consommation de ces produits pour un individu ou une famille sur une année (qu'il conviendrait donc de chiffrer) peuvent être affectés à d'autres consommations ;

- que les recettes générées par la taxe pourront être orientées vers des actions de prévention et de promotion de la santé, ou de soutien financier aux ménages les plus vulnérables (cf. supra, Proposition n° 1).

Proposition n° 12 : Accompagner la réforme de la taxe sur les boissons sucrées d'une communication adaptée, explicitant les objectifs poursuivis en termes de santé publique et valorisant le financement d'actions de prévention.

2. Au-delà de l'outil fiscal, structurer une politique nutritionnelle globale
a) Fixer des normes de composition nutritionnelle dans la réglementation

La reformulation des compositions nutritionnelles des aliments par les industriels, si elle est généralisée, est un outil puissant pour modifier les apports caloriques et rééquilibrer l'alimentation des populations.

En France, l'option privilégiée a été de recourir à des outils incitatifs plutôt que contraignants : tel est l'objet des chartes d'engagement volontaire de progrès nutritionnel et des accords collectifs. Les premières, mises en oeuvre dans le cadre du PNNS, traduisent les engagements d'une entreprise du secteur de l'agro-alimentaire alors que les seconds, relevant du programme national de l'alimentation (PNA), concrétisent des accords de filière et agrègent plus largement les entreprises d'un secteur226(*).

Malgré le bilan décevant de ces deux outils227(*), le Gouvernement envisage de les remobiliser dans le cadre de la future stratégie nationale pour l'alimentation, la nutrition et le climat (SNANC). L'énergie investie sur l'accord signé avec la filière de la boulangerie-pâtisserie en 2022 ne permet pas de reproduire ce schéma avec une diversité de filières. Le ministère de l'agriculture a confirmé la difficulté à mobiliser les acteurs de l'agro-alimentaire sur ces projets, ainsi que la lourdeur des discussions à mener sur les cibles à atteindre. De l'aveu de la direction générale de l'alimentation (DGAL), les industriels priorisent la mise en conformité de leur production avec des normes contraignantes portant par exemple sur les emballages plastique, au détriment des enjeux de qualité nutritionnelle.

L'équation entre les moyens mobilisés et le résultat doit donc conduire à s'interroger sur la méthode et sur l'opportunité de recourir à des outils contraignants, c'est-à-dire à des normes de composition nutritionnelle fixées par la réglementation.

Souscrivant au constat de l'inefficience des chartes d'engagement volontaire et des accords collectifs, la Cour des comptes recommandait, dans un rapport de 2019228(*), d'inscrire dans la réglementation des seuils maximum de sel, de sucre et de gras :

« L'amélioration de la qualité nutritionnelle des aliments reposerait donc sur la détermination de seuils plafonds, notamment en ce qui concerne les taux de sel, de sucre et de gras. Pour préparer ce type d'action normative, il pourrait être envisagé, conformément aux recommandations de l'OMS, d'inclure dans la loi des objectifs cibles en termes de taux maximaux de sel, sucre et de gras, par filière. »

Le HCSP avait également, dès 2017, recommandé de définir par voie réglementaire des standards de composition nutritionnelle (limites maximales) par catégories ou familles d'aliments229(*).

Pour assurer la compatibilité d'une telle mesure avec le droit de l'Union européenne, il conviendrait d'argumenter sa nécessité au regard de l'enjeu de protection de la santé publique et de démontrer son caractère proportionné à l'objectif poursuivi, au risque d'être sinon considérée comme une atteinte à la libre circulation des marchandises. Ce cadre n'a pas empêché plusieurs pays européens de se doter de législations limitant la teneur en acides gras transformés dans les denrées alimentaires, comme l'Autriche, le Danemark, la Lettonie et la Hongrie.

L'Anses pourrait être chargée de définir ces standards de composition nutritionnelle par catégories de produits, à partir des données collectées par l'Oqali. L'observatoire français relevait par exemple en 2018 des écarts de teneurs en sucres variant de 38 à 62 g/100 g dans les macarons, soulignant « qu'il peut exister des marges de manoeuvre importantes pour reformuler les produits et donc en revoir la composition »230(*).

Proposition n° 13 : Fixer des quantités maximales de sucre, de sel ou de matières grasses pour certaines catégories d'aliments.

b) Produire et transmettre au Parlement le rapport prévu par la loi « Climat et résilience » sur les conditions de mise en oeuvre d'un chèque alimentaire

À titre liminaire, il peut être rappelé que l'article L. 266-1 du code de l'action sociale et des familles précise que la lutte contre la précarité alimentaire, « vise à favoriser l'accès à une alimentation sûre, diversifiée, de bonne qualité et en quantité suffisante aux personnes en situation de vulnérabilité économique ou sociale. » L'accès à une alimentation équilibrée est donc un objectif poursuivi par le législateur.

Le projet d'un dispositif de soutien à la consommation des fruits et des légumes pour lutter contre la précarité alimentaire et faire évoluer les habitudes de consommation n'est pas nouveau.

Rappelons qu'en 2017, le HCSP avait recommandé la distribution de coupons alimentaires destinés à l'achat de ces denrées sous toutes leurs formes - frais, surgelés, en conserve - dans un avis préalable au PNNS 2017-2021. L'autorité sanitaire suggérait, s'agissant du mode de distribution, que la Caisse d'allocations familiales (CAF) puisse être chargée de la distribution de ces coupons de façon à les inscrire dans une politique de prestation sociale familiale.

Plus récemment, la convention citoyenne pour le climat, dans son rapport remis l'été 2020, érige en recommandation la création de chèques alimentaires pour les ménages en situation de précarité231(*). Cette proposition, initialement acceptée par le Président de la République et le Gouvernement, a finalement été abandonnée. La loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 « Climat et résilience » conserve les stigmates de cet échec, en prévoyant la remise d'un rapport au Parlement sur les conditions de la mise en oeuvre du « chèque alimentation durable » dans les six mois de la promulgation de la loi232(*). Deux ans et demi plus tard, aucun rapport n'a pourtant été présenté au Parlement.

Faute de ces travaux inscrits dans la loi comme un engagement du Gouvernement à l'égard de la représentation nationale, aucune hypothèse concrète relative à la mise en oeuvre de chèques alimentaires n'a pu être étudiée, s'agissant des personnes bénéficiaires, de la valeur du chèque ou des modalités de sa distribution233(*).

Les rapporteures, convaincues de l'intérêt de cette proposition, tiennent à rappeler au Gouvernement ses engagements, pour permettre aux parlementaires d'ouvrir un débat sur l'opportunité de cette mesure à l'appui d'une étude d'impact consolidée. Le cas échéant, sa mise en oeuvre pourrait être initiée dans le cadre d'une expérimentation, pour une durée à définir.

Proposition n° 14 : Produire et transmettre au Parlement dans les meilleurs délais le rapport sur les modalités de mise en oeuvre d'un chèque alimentaire prévu par la loi « Climat et résilience » de 2021, puis expérimenter un dispositif de soutien à l'achat de fruits et légumes par les ménages disposant de ressources inférieures à un seuil à déterminer.

c) Renforcer l'encadrement du marketing alimentaire, en particulier à l'égard des publics jeunes
(1) Un PNNS 2019-2023 insuffisant

Le Programme national nutrition santé 2019-2023 fixait la réduction du marketing alimentaire, en particulier vis-à-vis des enfants et des adolescents, comme l'un de ses objectifs. Au terme de ce PNNS, force est de constater qu'aucune mesure n'a permis de réguler efficacement l'exposition publicitaire des publics jeunes aux aliments considérés comme peu favorables à la santé.

La seule nouveauté consiste en la transposition en droit national, plus de dix après son adoption, de la directive européenne « Services de médias audiovisuels » du 10 mars 2010234(*). L'ordonnance n° 2020-1642 du 21 décembre 2020 a ainsi prévu que le Conseil supérieur de l'audiovisuel - désormais l'Arcom (Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique) - promeut « la conclusion de codes de bonne conduite visant à réduire efficacement l'exposition des enfants aux communications commerciales audiovisuelles relatives à des denrées alimentaires ou des boissons contenant des nutriments ou des substances ayant un effet nutritionnel ou physiologique, notamment les matières grasses, les acides gras trans, le sel ou sodium et les sucres, dont la présence en quantités excessives dans le régime alimentaire global n'est pas recommandée. [...] »

On ne peut raisonnablement penser que la seule référence à des codes de bonne conduite édictés par l'Arcom soit de nature à réduire l'influence du marketing alimentaire. D'ailleurs, les données produites par Santé publique France dressent un état des lieux inquiétant : les publicités pour des produits alimentaires étiquetés D ou E par le Nutri-Score représentent 53,3 % des publicités alimentaires visionnées par les enfants (4-12 ans), et 52,5 % de celles visionnées par les adolescents (13-17 ans)235(*). Les mesures d'auto-régulation sont donc globalement inefficaces.

(2) Un cadre législatif minimaliste

Le cadre législatif actuel fixe les conditions d'une régulation minimaliste. Si la « loi Gattolin » du 20 décembre 2016 relative à la suppression de la publicité commerciale dans les programmes jeunesse de la télévision publique236(*) a constitué une avancée indéniable, elle est aujourd'hui dépassée. Cette loi a interdit la diffusion de messages autres que ceux relatifs à la santé et au développement des enfants ou des campagnes d'intérêt général, durant la diffusion des programmes destinés aux publics de moins de 12 ans et pendant un délai de quinze minutes avant et après leur diffusion.

Plusieurs insuffisances doivent être relevées : seuls les jeunes enfants sont visés, à l'exclusion des adolescents ; internet échappe à toute régulation, alors qu'il est devenu le premier média visionné par les adolescents ; les tranches horaires visées sont marginales et les programmes jeunesse ciblés par la loi Gattolin ne représentent pas 1 % des programmes vus par les enfants. En revanche, la tranche horaire qui cumule le plus de téléspectateurs, comprise entre 19h et 22h237(*), ne fait l'objet d'aucun encadrement.

Le cadre législatif actuel échoue donc à réguler le marketing alimentaire. C'est la raison pour laquelle il apparaît indispensable de le réformer, en élargissant non seulement le public ciblé, mais aussi les médias concernés, pour s'adapter aux nouveaux usages.

(3) Instaurer une interdiction des publicités pour des produits alimentaires de faible qualité nutritionnelle ciblant les enfants de moins de 17 ans à la télévision et sur internet

Une interdiction de tout message publicitaire et de toute activité promotionnelle pour des produits alimentaires et des boissons trop riches en sucres, sels ou matières grasses, ciblant les enfants de moins de 17 ans, apparaît comme une mesure de santé publique pour contribuer à lutter efficacement contre le surpoids, l'obésité, et l'ensemble des pathologies chroniques associées.

Cette interdiction devrait porter sur l'ensemble des chaînes de télévision et concerner internet.

Suivant les recommandations de Santé Publique France, elle pourrait cibler les produits de faible qualité nutritionnelle, classés D et E selon le Nutri-Score.

Proposition n° 15 : Interdire à la télévision et sur internet les publicités pour des aliments de faible qualité nutritionnelle ciblant les enfants de moins de 17 ans.

Les recommandations des autorités sanitaires sur la régulation du marketing alimentaire

Les autorités sanitaires s'accordent sur la nécessité de réduire le marketing alimentaire, prioritairement à l'égard des enfants et des adolescents. Il s'agit d'une recommandation forte de l'OMS238(*), mais aussi du HCSP et de Santé publique France.

Le HCSP239(*), dans le cadre d'un avis préalable à la formalisation du troisième PNNS, avait ainsi clairement pris position : « Le HCSP recommande de réglementer le marketing et interdire les communications commerciales, les ventes promotionnelles (vente avec prime, vente par lots, jeux promotionnels) et la promotion des marques agro-alimentaires associées pour les aliments de pauvre qualité nutritionnelle (classés D et E selon le NutriScore) » et « d'interdire la promotion des marques agro-alimentaires associées à des aliments moins favorables au plan nutritionnel, c'est-à-dire classés D ou E selon le NutriScore »240(*).

En 2020, à l'appui de données de Médiamétrie, d'Ipsos et de Kantar Media, Santé publique France241(*) a conduit une étude et également conclu que « l'ampleur du marketing alimentaire pour des produits gras, sucrés, salés en direction des enfants se maintient en particulier à la télévision et ce malgré les mesures d'autorégulation prises par les industries agroalimentaires et l'interdiction de la publicité pendant les programmes jeunesse des chaînes publiques. Ces résultats conduisent à préconiser une restriction du marketing alimentaire pour les produits de faible qualité nutritionnelle, notamment à la télévision, aux heures où l'audience des enfants et des adolescents est élevée. Par ailleurs, l'augmentation du temps passé sur Internet par les enfants et les adolescents laisse augurer d'une exposition bien plus massive aux publicités pour les produits gras, sucrés, salés, sans qu'il ne soit à ce jour possible de la mesurer mais pour laquelle l'encadrement apparaît tout aussi nécessaire ».

d) Soutenir une mise en oeuvre obligatoire du Nutri-Score à l'échelle européenne

L'affichage du Nutri-Score relève d'une démarche volontaire des industriels et des producteurs. L'absence de caractère obligatoire est une conséquence de la réglementation européenne, qui interdit toute obligation d'affichage sur les emballages alimentaires autres que celles prévues par le règlement européen EU n° 1169/2011 du 25 octobre 2011 concernant l'information du consommateur sur les denrées alimentaires.

En dehors des mentions prévues par ce règlement, en particulier celles de la déclaration nutritionnelle et de la liste des ingrédients, les États membres ne peuvent imposer d'autres affichages que s'ils concernent « des types ou catégories spécifiques de denrées alimentaires » (article 39 du règlement). Le Nutri-Score ayant vocation à concerner indifféremment tous les produits alimentaires emballés, il ne répond donc pas à la condition fixée par le règlement européen.

Pour autant, depuis 2017, la démarche du Nutri-Score a essaimé au-delà de la France, puisque six autres pays européens recommandent à ce jour son utilisation : la Belgique, la Suisse, l'Allemagne, l'Espagne, les Pays-Bas et le Luxembourg. Ces pays, avec la France, se sont dotés d'un dispositif de coordination transnationale qui s'appuie sur un comité de pilotage et un comité scientifique, avec l'objectif d'harmoniser les conditions de mise en oeuvre du Nutri-Score.

L'enjeu est donc de poursuivre la dynamique engagée et de soutenir l'activité de plaidoyer de la France auprès de l'Union européenne pour parvenir à un Nutri-Score européen obligatoire.

Une étude menée en 2020 par Santé publique France242(*) confirme l'impact de ce logo sur les choix des consommateurs et témoigne de l'importance de la sensibilisation par l'information pour agir sur les comportements des individus. Selon cette étude, près d'un consommateur sur cinq se réfère au Nutri-Score comme critère d'achat pour évaluer la qualité nutritionnelle des produits, et plus de la moitié (57 %) des personnes interrogées déclaraient avoir modifié au moins l'une de leurs habitudes de consommation grâce au Nutri-Score. Enfin, neuf personnes sur dix considéraient que ce logo devrait être obligatoire.

Les dessous du Nutri-Score243(*)

Le Nutri-Score est un logo attribué à partir d'une note calculée sur une portion de produit (100 grammes ou 100 millilitres) et tenant compte de la teneur en nutriments et aliments à favoriser (fibres, protéines, fruits, légumes, légumineuses, fruits à coques, huile de colza, de noix et d'olive) d'une part, en nutriments à limiter (énergie, acides gras saturés, sucres, sel) d'autre part. La note finale est traduite par une lettre et une couleur.

En 2024, un nouveau Nutri-Score sera progressivement déployé, suite aux adaptations de l'algorithme adoptées par le comité scientifique représentant les sept pays européens partenaires. Cette évolution permet de mieux tenir compte des connaissances scientifiques et recommandations alimentaires et conduit à ajuster le barème du Nutri-Score pour certains produits.

Proposition n° 16 : Plaider pour un Nutri-Score obligatoire à l'échelle européenne grâce à une révision du règlement EU n° 1169/2011.

ANNEXES

_______

I. CHIFFRAGE DU COÛT SOCIAL DE L'ALCOOL, DU TABAC ET DE L'OBÉSITÉ

Les principales estimations du coût social de l'alcool, du tabac et de l'obésité sont synthétisées par le tableau ci-après.

Principales estimations du coût social de l'alcool, du tabac et de l'obésité

 

Kopp (2015)

Kopp (2023)

OCDE (2021)

OCDE (2023)

Trésor-Eco
(2016)

OCDE (2019)

 

Alcool

Tabac

Alcool

Tabac

Alcool

Tabac

Obésité

Obésité

Année prise en compte pour le chiffrage du coût social

2010

2010

2019

2019

2015

2019

2012

Moyenne 2020-2050

Unité

M€

M€

M€

M€

M€

M€

M€

M$ PPA (année de référence non spécifiée)

Décès attribués au comportement concerné

49 051

78 966

41 080

73 189

       

Supplément de décès résultant du comportement concerné

       

16 400

16 000

-

26 647*

Nombre de malades

1 418 237

683 396

1 055 044

1 348 187

   

9 800 000 (pers.
obèses)

 

Nombre de « consommateurs à problèmes »

3 800 000

13 400 000

3 500 000

13 000 000

       

1. Coût externe (2+3+4+5)

-114 399

-105 391

-98 457

-154 200

-88 600

-74 200

-9 100

-167 619*

2. Coût des vies perdues

-66 218

-65 057

-55 349

-88 216

-73 000

-67 000

 

-114 268*

3. Coût de la perte de qualité de vie

-39 167

-31 695

-35 949

-55 674

       

4. Pertes de production

-9 014

-8 639

-7 159

-10 310

-15 600

-7 200

-7 100

-53 351*

5. Dépenses de soins non remboursées

           

-2 000

 

6. Coût pour les finances publiques (7+8+9+10)

-3 049

-13 881

-3 332

-1 691***

-1 900

-4 600

-9 500

-10 077*

7. Coût des soins

-7 696

-25 887

-7 849

-16 439

-1 900

-4 600

-17 100

-10 077*

8. Économie de retraites venant des décès prématurés

1 726

1 791

1 256

2 845

   

7200

 

9. Prévention et répression

-283

-182

-740

-778

       

10. Taxation

3 204

10 397

4 000

13 100

   

400

 

11. Effet sur le bien-être** (M€)

-3 658

-16 658

-3 998

-1 527

-2 280*

-5 520*

-11 400*

-12 092*

12. Coût social (1+11) (M€)

-118 057

-122 049

-102 455

-155 726

-90 880*

-79 720*

-20 500*

-179 711*

13. Finances publiques /PIB (%)

0,15

0,69

0,14*

0,07*

0,09*

0,19*

0,45*

-

14. Coût social/ « consommateurs à problèmes » (€)

31 068

9 108

29 273*

11 979*

       

L'absence de renseignement d'une case signifie que le coût social correspondant n'est pas pris en compte par l'étude.

Études utilisées :

Kopp (2015) : Pierre Kopp, Le coût social des drogues en France, rapport commandé par l'OFDT et la DGS, décembre 2015.

Kopp (2023) : Pierre Kopp, Le coût social des drogues : estimation en France en 2019, OFDT, juillet 2023.

OCDE (2021) : OCDE, Rapport final sur le modèle international de simulation des politiques de lutte contre la consommation nocive d'alcool - résultats pour la France, mai 2021.

OCDE (2023) : Marion Devaux, Alexandra Aldea, Aliénor Lerouge, Marina Dorfmuller Ciampi, Michele Cecchini, « Évaluation du programme national de lutte contre le tabagisme en France », Documents de travail de l'OCDE sur la santé n° 155, 8 juin 2023.

Trésor-Eco (2016) : Daniel Caby, « Obésité : quelles conséquences pour l'économie et comment les limiter ? », Trésor-Eco n° 179, septembre 2016.

OCDE (2019) : OCDE, The Heavy Burden of Obesity - the economics of prevention, OECD Health Policy Studies, 2019.

Notes :

* Calculs de la Mecss du Sénat. Dans le cas de la dernière colonne, l'OCDE indique un montant en dollars en parité de pouvoir d'achat (PPA) par habitant ; la conversion en dollars PPA pour l'ensemble de la population a été faite sur la base d'une population de 68 millions d'habitants (tout comme la conversion du nombre de décès prématurés, présenté par l'OCDE pour 100 000 habitants). L'OCDE (2019) considère que la ligne 11, qui additionne des montants de nature différente, n'a pas lieu d'être ; on la renseigne toutefois, y compris dans le cas de l'OCDE, afin de permettre la comparaison.

** La ligne 11 est égale au produit de la ligne 6 par 1,2, soit le coût d'opportunité des fonds publics.

*** Ce montant est différent de la somme des lignes 7 à 10.

Source : Mecss du Sénat, d'après les sources indiquées

A. PLUSIEURS DIZAINES DE MILLIERS DE DÉCÈS PRÉMATURÉS CHAQUE ANNÉE

L'estimation du nombre de décès prématurés dépend de la méthodologie retenue.

1. Selon l'OFDT, plus de 40 000 décès prématurés pour l'alcool et 70 000 pour le tabac

Une première approche, retenue par l'OFDT et Trésor-Eco, consiste à prendre en compte les décès résultant une année donnée du comportement concerné, présent ou passé.

Ainsi, dans son étude pour l'OFDT, Pierre Kopp (2023) attribue à l'alcool 41 080 décès prématurés et au tabac 73 189 décès prématurés (en 2019).

Le nombre d'années de vie perdues par les personnes concernées est important, comme le montre le tableau ci-après. Compte tenu d'une espérance de vie à la naissance de 83 ans, elles perdraient 17 années de vie pour l'alcool (décès à 66 ans en moyenne) et 14 années de vie pour le tabac (décès à 69 ans en moyenne).

Synthèse des données d'impact sanitaire de l'alcool en 2019, selon l'OFDT

nd : données non disponibles

* Ce chiffre est le résultat de l'addition des années de vies perdues pour les différents sous-types de pathologies pour une catégorie donnée (par exemple, concernant la catégorie des cancers, il s'agit de l'addition des années de vies perdues pour les cancers digestifs, du larynx, du sein, ...). Il n'est donc pas directement le résultat de la multiplication du nombre de décès total par le nombre d'années de vies perdues en moyenne.

1. « Autres maladies » regroupe les pathologies suivantes : diabète de type 2, encéphalopathie de Wernicke, maladies mentales dues à l'alcool, dégénérescence du système nerveux, épilepsie et mal épileptique, polynévrite alcoolique. « Causes externes » regroupe les accidents.

2. les fractions attribuables lorsqu'elles ne sont pas disponibles pour un groupe de pathologie sont calculées par moyenne pondérée.

Source : Pierre Kopp, Le coût social des drogues : estimation en France en 2019, OFDT, juillet 2023

2. L'OCDE : des estimations plus faibles, les décès pris en compte étant ceux qui seraient évités en moyenne au cours des 30 prochaines années si le comportement concerné cessait subitement

Une seconde approche consiste à utiliser un modèle pour estimer le supplément de mortalité par rapport à une situation où le comportement concerné, tout en ayant existé dans le passé, disparaîtrait subitement. En effet, les personnes ayant eu autrefois ce comportement verraient tout de même en moyenne leur espérance de vie réduite.

Ainsi, l'OCDE évalue le supplément annuel de décès prématurés à 16 400 pour le tabac (en 2023-2050) et 16 000 pour l'alcool (en 2020-2050). Dans le cas de l'obésité, l'OCDE estime à environ 27 000 le nombre de décès prématurés par an (en 2020-2050).

B. UN COÛT SOCIAL DE PLUS DE 100 MILLIARDS D'EUROS POUR CHACUN DES TROIS RISQUES, CORRESPONDANT EN QUASI-TOTALITÉ À LA MONÉTARISATION DES ANNÉES DE VIE PERDUES ET DE LA PERTE DE QUALITÉ DE VIE

Le coût social des différents risques est relativement consensuel, au moins en termes d'ordre de grandeur, les principaux écarts provenant du champ des coûts pris en compte.

Ainsi, selon un périmètre « maximaliste », le coût de chacun des trois risques serait supérieur en France à 100 milliards d'euros244(*). Le coût nettement moins élevé de l'étude du Trésor de 2016 sur l'obésité vient du fait que cette étude ne prend en compte ni le coût des vies perdues, ni le coût de la perte de qualité de vie. De même, l'étude de l'OCDE de 2023 sur le tabac (tout comme celle de 2019 sur l'obésité) ne prend pas en compte le coût de la perte de qualité de vie, ce qui contribue à expliquer un coût inférieur à 100 milliards d'euros.

Il faut toutefois garder à l'esprit que ce coût social de plus de 100 milliards d'euros pour chacun des trois risques correspond en quasi-totalité au coût dit « externe », lui-même presque exclusivement constitué du coût des vies perdues et du coût de la perte de qualité de vie. Ces coûts ne correspondent pas à des coûts financiers, mais à la monétarisation, sur la base d'hypothèses largement conventionnelles, des décès prématurés (sur la base d'une estimation de la valeur de la vie humaine245(*)) et de la perte de bien-être246(*) venant de la maladie.

Les coûts « externes » comprennent également les pertes de production, entre 7 milliards d'euros et 11 milliards d'euros pour chacun des trois risques. La seule exception est l'étude de l'OCDE de 2019 sur l'obésité (plus de 50 milliards d'euros) ; toutefois les données ne sont pas comparables, l'étude de l'OCDE concernant la moyenne de la période 2020-2050 (et non une année récente comme pour les autres études). Il est à noter que cette perte de production n'est pas une perte de PIB l'année concernée par l'étude, mais l'actualisation des pertes de production à venir provenant des décès prématurés. On pourrait a priori considérer que, les décès concernés concernant majoritairement des retraités, la perte de production est faible. Toutefois certaines études (comme celle de Pierre Kopp de 2015 sur le tabac et l'alcool) prennent explicitement en compte la production non marchande.

C. UN COÛT ANNUEL POUR LES FINANCES PUBLIQUES DE PLUSIEURS DIZAINES DE MILLIARDS D'EUROS SELON LES ESTIMATIONS DE LA MECSS

Le chiffrage du coût pour les finances publiques pourrait a priori sembler plus objectif que celui des coûts externes. Il est compris entre environ 1 milliard d'euros et 10 milliards d'euros selon le risque et l'étude concernés.

Toutefois, au-delà des différences de périmètre, ces chiffrages présentent des différences méthodologiques pour ce qui concerne le coût des soins et, surtout, ne prennent pas en compte l'impact de la perte de PIB sur les finances publiques.

1. Une méthodologie variable pour le chiffrage du coût des soins

Le chiffrage du coût des soins varie fortement selon la méthodologie retenue.

Les rapporteures estiment que, dans le contexte du présent rapport, la méthodologie la plus adapté consiste à prendre en compte les soins découlant d'un comportement pathologique présent ou passé des personnes concernées (cf. encadré ci-après).

Ainsi, selon l'étude de Pierre Kopp (2023) pour l'OFDT, l'alcool et le tabac augmenteraient les dépenses de santé de respectivement 7,7 milliards d'euros et 25,9 milliards d'euros en 2019. L'article de Trésor-Eco (2016) chiffre quant à lui cet impact à 17,1 milliards d'euros en 2012 pour l'obésité.

Comment chiffrer le coût des pathologies ?

Première approche : prendre en compte les soins découlant d'un comportement pathologique présent ou passé des personnes concernées

Selon l'étude de Pierre Kopp de 2015, l'alcool et le tabac augmenteraient les dépenses de santé de respectivement 7,7 milliards d'euros et 25,9 milliards d'euros en 2010.

Toutefois la question est de savoir jusqu'à quel point une pathologie peut être considérée comme découlant d'un comportement.

Ainsi, dans son étude de 2023 (sur 2019), Pierre Kopp a revu son estimation à la baisse, en excluant désormais, dans le cas du tabac, les cas de diagnostic relié ou associé au tabagisme (et ne prenant en compte que les cas où le tabac est cité en diagnostic principal), avec un coût ramené à 16,4 milliards d'euros. Le chiffrage reste toutefois analogue dans le cas de l'alcool (7,8 milliards d'euros).

Seconde approche : supposer que les comportements pathologiques disparaissent subitement

Une seconde méthodologie, retenue par l'OCDE, consiste à supposer que les comportements pathologiques disparaissent subitement, et à évaluer, au moyen d'un modèle, l'économie permise par rapport à une situation où ils resteraient inchangés.

Cela conduit à évaluer le coût des soins à « seulement » 1,9 milliard d'euros par an pour l'alcool et 4,6 milliards d'euros par an pour le tabac (sur la base des dépenses de santé dans les 30 années à venir si la consommation d'alcool ou de tabac était éliminée).

La première approche semble le plus correspondre à l'objet du présent rapport

Ces deux approches sont également pertinentes ; toutefois elles ne mesurent pas la même chose.

Dans le cadre du présent rapport, les rapporteures jugent la première approche préférable. En effet, elle correspond bien au coût actuel pour les finances publiques de l'alcool, du tabac ou de l'obésité, ce qui est ce que l'on veut mesurer.

La seconde approche correspond quant à elle à un scénario théorique de disparition subite des comportements pathologiques.

2. L'absence de prise en compte de l'impact de la perte de PIB conduit à majorer l'impact sur le solde public de plusieurs dizaines de milliards d'euros

Surtout, aucune de ces études ne prend en compte l'impact sur les finances publiques de la perte de PIB provenant des comportements et pathologies concernés.

Cela provient vraisemblablement du fait que la perte de production (bien que, comme indiqué ci-avant, il ne s'agisse pas d'une perte de PIB) est déjà prise en compte parmi le coût externe. Toutefois la perte de PIB constitue un coût majeur pour les finances publiques.

Il est possible de s'appuyer sur les trois études précitées de l'OCDE pour évaluer l'impact sur le PIB du tabac, de l'alcool et de l'obésité, et l'impact sur les finances publiques en résultant.

Les rapports précités de l'OCDE sur le tabac, l'alcool et l'obésité, suggèrent que la réduction de la production du travail pourrait être, dans chaque cas, d'environ 1,5 %, du fait de l'absentéisme, du présentéisme247(*) et d'un moindre taux d'emploi248(*).

Toutefois des estimations plus faibles sont possibles (cf. encadré ci-après).

On considère ci-après, de manière en partie conventionnelle, que l'impact sur le PIB est de 1 point pour chacun des trois risques.

Ainsi, avant mesures de correction budgétaire éventuelles, pour chacun des trois risques, la perte de PIB résultant de l'obésité augmenterait le déficit public d'environ 0,5 point de PIB, soit près de 15 milliards d'euros249(*).

Chiffrages indicatifs de l'impact sur le PIB du tabagisme, de la consommation nocive d'alcool et de l'obésité, à partir des sources disponibles

Dans le cas du tabac et de l'alcool, les données disponibles suggèrent que le moindre taux d'emploi des personnes tombant malades, généralement en fin de carrière250(*), pourrait réduire l'emploi d'environ 0,5 % pour le tabac comme pour l'alcool251(*), l'effet de l'absentéisme et du présentéisme étant nettement moindre252(*). En supposant que les 2/3 de ces effets se retrouvent dans le PIB253(*), cela correspondrait à une réduction du PIB d'environ 0,6 point pour le tabac comme pour l'alcool.

Dans le cas de l'obésité, la perte de PIB pourrait être analogue, le moindre impact individuel étant compensé par le plus grand nombre de personnes concernées (plus de 15 % de la population). Le moindre taux d'emploi (réduit de 7 points pour les femmes obèses254(*)) et une productivité réduite de 3 % selon certaines études255(*) pourraient réduire le PIB de 0,6 point256(*).

3. Une tentative de chiffrage par la Mecss de l'impact des trois risques sur les finances publiques : une aggravation du déficit public de plusieurs dizaines de milliards d'euros

Un chiffrage détaillé de l'impact sur les finances publiques du tabac, de l'alcool et de l'obésité dépassait le champ du présent rapport.

La Mecss s'est toutefois efforcée, à titre indicatif, de chiffrer cet impact, en s'appuyant principalement sur les études mentionnées supra. Les montants, délibérément arrondis, doivent être considérés comme des ordres de grandeur.

Le présent rapport portant sur le tabac, l'alcool et l'obésité, la dernière colonne propose un chiffrage global. Ces totaux devraient toutefois être minorés, pour un montant qu'il n'a pas été possible de déterminer, pour prendre en compte le fait que certaines personnes cumulent plusieurs risques.

Dans le cas du coût des soins, on s'appuie sur les estimations de Pierre Kopp et de Trésor-Eco, qui prennent en compte les soins découlant d'un comportement pathologique présent ou passé des personnes concernées.

La principale différence par rapport aux études disponibles est que l'on prend en compte l'impact sur les recettes de la perte de PIB résultant de l'absentéisme, du présentéisme et d'un moindre taux d'emploi. Cet impact, majeur, a pour effet de rendre négatif un solde qui aurait été fortement négatif (obésité), moyennement négatif (alcool) ou légèrement négatif (tabac).

Au total, les pathologies associées à la consommation de tabac et d'alcool et l'obésité pourraient dégrader le solde public d'environ 50 milliards d'euros (sans correction des doublons). En effet, le coût des soins et, surtout, l'impact de la perte de PIB sur les recettes ne seraient que partiellement compensés par les économies sur les retraites et les recettes fiscales.

Ce chiffrage doit être affiné. Il paraît toutefois raisonnable de considérer que le tabagisme, la consommation nocive d'alcool et l'obésité aggravent le déficit public de plusieurs dizaines de milliards d'euros.

Chiffrage indicatif par la Mecss de l'impact de l'alcool, du tabac et de l'obésité sur les finances publiques (2023)

(en milliards d'euros)

 

Tabac

Alcool

Obésité

Total (non corrigé des doublons)*

Coût des soins1

-16

-8

-17

-41

Économie de retraites1

3

1

7

11

Prévention, répression2

-1

-1

 

-2

Taxation3

14

4

<1

19

Sous-total

<0

-4

-9

-13

Impact de la perte de PIB sur les recettes4

-13

-13

-13

-40

Total

-13

-17

-22

-53

* L'impact total est moindre, du fait des personnes cumulant plusieurs risques.

Sources et hypothèses

Les montants sont délibérément arrondis.

1 - Kopp (2023) pour le tabac et l'alcool ; Trésor-Eco (2016) pour l'obésité.

2 - Document de politique transversale Politique de lutte contre les drogues et les conduites addictives annexé au projet de loi de finances pour 2024 et arrêté du 25 juillet 2023 fixant la liste des bénéficiaires et les montants alloués par le FLCA ; répartition entre risques effectuée proportionnellement aux montants indiqués dans Kopp (2023).

3 - Cf. annexe I du présent rapport.

4 - Calculs de la Mecss, s'appuyant notamment sur des estimations de l'OCDE (cf. texte supra).

Source : Mecss du Sénat, d'après les études mentionnées supra et en prenant en compte l'impact de la perte de PIB sur les recettes

II. PRÉSENTATION DES TAXES ACTUELLES

A. MONTANT ET AFFECTATION DES DIFFÉRENTES TAXES

(Cf. page suivante.)

Montant et affectation des différentes taxes

(en millions d'euros)

Montant

Affectation 

 

2012

2013

2014

2015

2016

2017

2018

2019

2020

2021

2022

2023

2024 (p)

Tabac

Droits de consommation sur les tabacs

11 133

11 169

11 236

11 421

11 224

11 394

12 324

12 632

14 420

14 346

13 398

13 252

13 592

Assurance maladie et 0,5 % qui est attribué au RAVGDT

Droit de licence sur la rémunération des débitants de tabacs

325

325

325

330

327

330

344

394

420

393

366

362

360

Assurance maladie

Total

11 458

11 494

11 561

11 751

11 551

11 724

12 668

13 026

14 840

14 739

13 764

13 614

13 952

 

Alcool

Cotisation de solidarités alcools

628

705

732

728

731

735

726

717

717

752

751

721

771

CCMSA :
- Assurance vieillesse et veuvage du régime de protection sociale des non-salariés agricoles
- Assurances maladie, invalidité et maternité du régime de protection sociale des non-salariés agricoles
- Assurance vieillesse complémentaire obligatoire des non-salariés agricoles

Droits/ vins, cidres, poirés et hydromels

120

121

122

123

122

120

115

114

100

108

108

106

112

Droits/produits intermédiaires

99

76

76

73

72

70

66

65

60

64

60

57

57

Droit sur les bières et les boissons non alcoolisées

393

783

950

909

935

975

1 026

1 088

1 024

1 068

1 158

1 131

1 313

Droits de consommation sur les alcools

1 992

2 241

2 218

2 224

2 229

2 234

2 202

2 181

2 160

2 276

2 270

2 188

2 312

Total

3 232

3 926

4 098

4 057

4 089

4 134

4 135

4 165

4 061

4 268

4 347

4 203

4 565

 

Boissons sucrées et édulcorées

Taxe sur les boissons sucrées

288

305

309

321

322

320

375

418

383

414

453

443

468

CCMSA :
Assurances maladie, invalidité et maternité du régime de protection sociale des non-salariés agricoles

Taxe sur les boissons édulcorées

28

60

58

57

53

55

42

39

39

37

41

43

43

CCMSA :
- Assurance vieillesse et veuvage du régime de protection sociale des non-salariés agricoles
- Assurances maladie, invalidité et maternité du régime de protection sociale des non-salariés agricoles

Total

316

365

367

378

375

375

417

457

422

451

494

486

511

 

Total général

15 006

15 785

16 026

16 186

16 015

16 233

17 220

17 648

19 323

19 458

18 605

18 303

19 028

 

Source : DGFiP (réponse aux rapporteures)

B. LA FISCALITÉ DU TABAC

1. Les contraintes du droit communautaire

Les droits d'accise sur les tabacs sont réglementés par :

- la directive 2020/262/UE du Conseil du 19 décembre 2019 établissant le régime général d'accise ;

- spécifiquement, la directive 2011/64/UE du Conseil du 21 juin 2011 concernant la structure et les taux des accises applicables aux tabacs manufacturés.

Les niveaux d'imposition fixés par cette dernière directive constituent uniquement un socle minimum commun et les États membres sont libres d'appliquer des droits d'accises plus élevés.

Dans une évaluation de 2020257(*), la Commission européenne considère que l'impact de la directive sur la santé publique a été modéré et relève que seuls quelques États membres, dont les niveaux d'imposition étaient très bas, ont réellement été concernés258(*).

2. La base de la fiscalité : le prix de vente

L'article 572 du code général des impôts259(*) prévoit que « le prix de détail de chaque produit (...) est unique pour l'ensemble du territoire et librement déterminé par les fabricants et les fournisseurs agréés » et que « le prix de détail est applicable après avoir été homologué par arrêté conjoint des ministres chargés de la santé et du budget ».

Les ministres concernés prennent donc chaque année un arrêté renvoyant en annexe à un fichier Excel détaillé, consultable sur le site internet de la DGDDI, fixant le tarif de chaque produit du tabac commercialisé en France.

3. La rémunération du buraliste : la remise

En application de l'article 570 du code général des impôts, tout gérant d'un débit de tabac obtient une remise pour la vente au détail de toutes les catégories de tabac.

Cette remise, déterminée par référence au prix de vente, est fixée par arrêté au niveau national par l'article 56 AJ de l'annexe IV du code général des impôts. Les taux applicables en 2024 sont, pour la remise brute, de 10,19 % (11,323 % en Corse) et, pour la remise nette, de 8,25 % (9,167 %)260(*).

C'est cette remise qui constitue la rémunération du buraliste.

4. L'accise sur les produits du tabac
a) Le droit en vigueur

L'accise sur les produits du tabac est définie par le code de l'imposition des biens et services.

Selon l'article L. 314-21 du code précité, le montant de l'accise est égal à la somme du produit du « taux de l'accise » par le prix de vente et du « tarif » de l'accise. Un « minimum de perception » est toutefois prévu.

Les tarifs, taux et minima de perception sont fixés par l'article L. 314-24 du code précité, dans sa rédaction résultant de l'article 15 de la LFSS 2022. Les tarifs et minima de perception (mais bien entendu, pas les taux) étant indexés chaque 1er janvier sur l'inflation, ceux effectivement en vigueur ne sont pas ceux de l'article L. 314-24 précité, mais ceux fixés par arrêté.

L'article 15 de la LFSS 2023 a supprimé la disposition selon laquelle l'évolution annuelle ne pouvait excéder 1,8 %. Elle prévoit en outre que la fiscalité du tabac est dorénavant liée à l'inflation de l'année précédente (et non plus à celle de l'année n-2), à partir de la prévision de l'indice des prix figurant dans le rapport économique, social et financier (Refs) joint au projet de loi de finances pour l'année de la révision.

Les tarifs et minima de perception relatifs à 2024 sont fixés par un arrêté de décembre 2023261(*).

Le tableau ci-après indique les tarifs, taux et minima applicables en 2024 en métropole.

Taux, tarif et minima de perception applicables en 2024
pour l'accise sur les tabacs

Catégorie fiscale

Paramètres de l'accise

Montant

Cigares et cigarillos

Taux (%)

36,3

Tarif (€/ 1000 unités)

54,7

Minimum de perception (€/ 1000 unités)

296,6

Cigarettes

Taux (%)

55

Tarif (€/ 1000 unités)

71,3

Minimum de perception (€/ 1000 unités)

371,4

Tabacs fine coupe destinés à rouler les cigarettes

Taux (%)

49,1

Tarif (€/ 1000 grammes)

99,7

Minimum de perception (€/ 1000 grammes)

345,4

Tabacs à chauffer commercialisés en bâtonnets

Taux (%)

51,4

Tarif (€/ 1000 unités)

30,2

Minimum de perception (€/ 1000 unités)

268

Autres tabacs à chauffer

Taux (%)

51,4

Tarif (€/ 1000 grammes)

113,9

Minimum de perception (€/ 1000 grammes)

1011,3

Autres tabacs à fumer ou à inhaler après avoir été chauffés

Taux (%)

51,4

Tarif (€/ 1000 grammes)

35,2

Minimum de perception (€/ 1000 grammes)

149,5

Tabacs à priser

Taux (%)

58,1

Tabacs à mâcher

Taux (%)

40,7

Exemple262(*)

Pour 1 000 cigarettes vendues à 400 euros, le droit d'accise est de 288,1 euros, calculé comme suit :

- le taux de l'accise multiplié par le prix de vente, soit 55 % x 400 euros = 220 euros ;

- + le tarif de l'accise pour 1 000 unités, soit 71,3 euros.

Soit un total de 220 + 71,3 = 291,3 euros.

b) La réforme de l'article 15 de la LFSS 2023

L'article 15 de la loi n° 2022-1616 du 23 décembre 2022 de financement de la sécurité sociale pour 2023 a notamment réformé la fiscalité du tabac à chauffer et prévu un alignement progressif de la fiscalité de certains produits du tabac sur celle des cigarettes (au 1er janvier 2025 pour le tabac à rouler et au 1er janvier 2026 pour le tabac à chauffer).

Le cigare demeure toutefois moins taxé (de même que le tabac à priser et le tabac à mâcher).

c) Le transfert du recouvrement de la DGDDI à la DGFiP au 1er janvier 2024

Au 1er janvier 2024, le recouvrement des impositions sur le tabac et l'alcool, jusqu'alors de la compétence de la DGDDI, a été transféré à la DGFiP.

Le transfert de la DGDDI à la DGFiP du recouvrement des impositions sur le tabac et l'alcool au 1er janvier 2024

L'article 184 de la loi de finances pour 2020 a habilité le Gouvernement à prendre par voie d'ordonnance les mesures relevant du domaine de la loi et visant au transfert, notamment, des accises sur les alcools, les boissons alcooliques et les tabacs manufacturés (1er janvier 2024). Le code de l'imposition des biens et services, entré en vigueur le 1er janvier 2022, prévoyait ainsi un tel transfert dans le cas des accises sur les alcools et les tabacs et de la taxe « prémix ».

Dans un souci de simplification pour l'administration et pour l'usager, l'article 111 de la loi de finances pour 2024 a étendu ce transfert au droit de licence, à la cotisation de sécurité sociale sur les boissons alcooliques et à la cotisation finançant le régime d'allocations viagères des gérants de débits de tabac.

d) Un produit correspondant très majoritairement à la cigarette

Plus de 80 % du produit des droits de consommation sont assis sur les cigarettes, comme le montre le tableau ci-après.

Répartition par catégorie du produit des droits de consommation sur le tabac

(en euros)

 

Total 2023

Cigarettes

10 941 173 953

Tabac à rouler

1 977 215 953

Cigares

317 077 182

Tabac à priser ou à mâcher

25 387 975

TOTAL

13 260 855 064

Source : DGDDI (réponse au questionnaire des rapporteures)

5. La TVA « en dedans »

Le prix de vente étant par nature TTC, la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) qui s'applique est égale au taux normal de TVA (ici, 20 %, soit 0,2) divisé par la somme de 1 et du taux normal (ici, 1+0,2=1,2).

Dans le cas présent, avec un taux normal de TVA de 20 %, le taux de TVA applicable, dit « en dedans », est de 16,6667 %.

6. Décomposition du prix d'un paquet de cigarettes

À titre d'illustration, le tableau ci-après décompose le prix d'un paquet de cigarettes au 1er janvier 2024.

Celui-ci est d'environ 12,5 euros, dont 8,5 euros d'accise (taux en % du prix de vente plus tarif à l'unité), 2 euros de TVA (taux de 16,6667 % du prix de vente), 1 euro pour le buraliste (taux de 10,09 % du prix de vente) et 1 euro pour le fabricant (par différence).

Décomposition du prix d'un paquet de 20 cigarettes (1er janvier 2024)

(en euros)

Structure du prix

Taux / Tarif

Cigarettes « bas de marché »

Cigarettes « premium »

Prix de vente au détail (pour un paquet de 20 cigarettes)

 

11,50

12,50

Accise hors minimum de perception

     

Taux de l'accise

55 %

6,33

6,88

Tarif de l'accise (en € pour 1 000 unités)

71,30

1,43

1,43

Minimum de perception (en € pour 1000 unités) - non concerné ici

371,40

7,43

7,43

TVA « en dedans » sur le prix de vente au détail

16,6667 %

1,92

2,08

Remise brute du débitant de tabac

10,19 %

1,17

1,27

Marge du fabricant

 

0,66

0,84

Total

 

11,5

12,5

Source : DGDDI (réponse au questionnaire des rapporteures)

C. LA FISCALITÉ DE L'ALCOOL

Les boissons alcooliques sont soumises aux droits sur les alcools, auxquels s'ajoute, pour celles dont le titre alcoométrique volumique est de plus de 18 % (ce qui correspond en pratique essentiellement aux spiritueux), une cotisation spéciale sur les boissons alcooliques. Les droits comme la cotisation financent la sécurité sociale.

Les droits et la cotisation sont considérés comme des éléments du prix de vente et doivent, à ce titre, être inclus dans l'assiette de la TVA.

1. Les contraintes du droit communautaire

La directive relative à la fiscalité des boissons alcooliques est la directive 92/83/CEE « Structures harmonisées des droits d'accises sur l'alcool et les boissons alcooliques », modifiée par la directive (UE) 2020/1151 modifiant la directive 92/83/CEE.

Comme pour le tabac, cette directive ne définit que des taux minimaux harmonisés. Les États membres peuvent donc appliquer des taux d'accise supérieurs.

Dans le cas de la France, la décision (UE) 2020/1791 du Conseil du 16 novembre 2020 autorise la France à appliquer un taux réduit pour certaines taxes indirectes sur le rhum « traditionnel » produit en Guadeloupe, en Guyane française, en Martinique et à La Réunion jusqu'au 31 décembre 2027.

Une évaluation de cette directive est en cours par la Commission européenne. Les résultats d'une consultation publique de 2022 sont disponibles sur le site de la Commission européenne263(*).

2. Droits de consommation sur les alcools et les boissons alcooliques

Les tarifs des droits de consommation sont indexés sur l'inflation de l'année n-2. Toutefois, l'évolution annuelle ne peut ni être négative ni excéder 1,75 %. Ce plafonnement revient à réduire l'imposition relative de l'alcool par rapport aux autres produits, ce qui est peu cohérent avec un objectif de santé publique.

Les tarifs et minima de perception relatifs à l'année 2024 ont été fixés par arrêté en décembre 2023264(*).

Le tableau ci-après synthétise les différents tarifs applicables en 2024.

Droits de consommation sur les alcools et les boissons alcooliques applicables en 2024

Boisson

Droit de consommation

Article du CIBS*

Vin tranquille

4,05 €/hl

L. 313-20

Boisson fermentée autre que le vin et la bière

4,05 €/hl

L. 313-20

Vin mousseux

10,02 €/hl

L. 313-20

Cidre, poiré, hydromel

1,41 €/hl

L. 313-21

Vin de liqueur et vin doux naturel

50,6 €/hl

L. 313-21

Autre produit intermédiaire : porto, pineau, pommeau

202,39 €/hl

L. 313-20

Bière dont le degré alcoométrique ne dépasse pas 2,8 %vol., y compris un panaché (mélange de bière et de boisson non alcoolique ayant un titre alcoométrique volumique acquis entre 0,5 % et 2,8 % vol.)

3,98 €/degré/hl

L. 313-20

Bière avec plus de 2,8 % vol de degré alcoométrique

7,96 €/degré/hl

L. 313-20

Petite brasserie produisant jusqu'à 200 000 hl par an

3,98 €/degré/hl

L. 313-23

Rhum des Dom

933,78 €/hl d'alcool pur (hlap)

L. 313-25

Autre alcool

1 866,52 €/hl d'alcool pur (hlap)

L. 313-20

Droit réduit bouilleurs

Supprimé au 1er janvier 2024

L. 313-35

* Code sur l'imposition des biens et services

Le droit réduit des petits bouilleurs de cru265(*), prévu par l'article L. 313-35 du code des impositions de biens et services, s'appliquait dans la limite de 10 litres d'alcool pur, pour certains produits266(*). L'article 111 de la loi de finances pour 2024 a remplacé ce droit réduit par une exonération totale (de même que pour la cotisation sur les boissons alcooliques), et porté le plafond à 50 litres.

3. Cotisation de sécurité sociale sur les alcools

La cotisation de sécurité sociale sur les alcools concerne les seules boissons d'une teneur en alcool supérieure à 18 % (soit en pratique essentiellement les spiritueux).

Ses tarifs sont fixés par les articles L. 245-7 et suivants du code de la sécurité sociale.

Ils sont relevés au 1er janvier de chaque année conformément à l'inflation hors tabac de l'année n-2.

Ils sont synthétisés par le tableau ci-après.

Cotisation de sécurité sociale sur les alcools applicable en 2024

Boisson

Cotisation

Article du CSS* ou du CGI**

Alcool - taux plein

599,31 €/hl d'alcool pur (hlap)

L. 245-9 CSS

Produit intermédiaire de plus de 18 % vol - taux plein

50,6 €/hl

L. 245-9 CSS

Produit intermédiaire de plus de 18 % vol - taux réduit à 40 %

20,26 €/hl

L. 245-9 CSS

Bière de plus de 18 % vol - taux réduit à 40 %

50,6 €/hl

L. 245-9 CSS

Rhum et alcool à base d'alcool du cru de plus de 18 % vol., produit et consommé dans les Dom

482 €/hlap

L. 758-1 CGI

Prémix à base de vin

3 € par décilitre d'alcool pur

1613 bis CGI

Autre prémix

11 € par décilitre d'alcool pur

1613 bis CGI

* Code de la sécurité sociale. ** Code général des impôts.

4. Comparaison des impositions par unité d'alcool des trois principales boissons

Ce qui importe du point de vue de la santé publique, c'est l'absorption non d'une certaine quantité de boisson, mais d'une certaine quantité d'alcool (plus précisément d'éthanol).

Les États recourent donc, dans leur politique de la santé publique, à une certaine quantité d'éthanol considérée comme correspondant schématiquement à un verre, et dénommée « unité standard ».

La définition de cette unité standard varie selon les États. Dans le cas de la France, elle correspond à 10 grammes d'éthanol267(*).

Comme le montre le tableau ci-après, une unité standard d'éthanol est imposée 0,4 centime dans le cas d'un vin à 12,5°, 10 centimes dans le cas d'une bière à 5° et 31 centimes dans le cas d'un spiritueux à 40°.

Taxation d'une unité standard d'alcool (10 g) pour les trois principaux types de boisson (2024)

 

Vin 12,5°

Bière 5°

Spiritueux 40°

Fiscalité

     

Tarif

Droits de consommation

4,05 €/hl

7,96 €/degré/hl

1 866,52 €/hl d'alcool pur (hlap)

Cotisation

   

599,31 €/hl d'alcool pur (hlap)

Droits de consommation (€) par litre

0,04

0,40

 

Droits de consommation (€) pour 10 ml d'alcool pur

   

1,87

Cotisation (€) pour 10 ml d'alcool pur

   

0,59

Imposition totale (€) pour 1 litre

0,04

0,40

9,82

Calculs

     

Quantité d'alcool pur pour 1 litre (ml)

125,00

50,00

400,00

Unité standard d'alcool pur en ml (définie comme correspondant à 10 g d'éthanol)

12,67

12,67

12,67

Nombre d'unités standard d'alcool pur/litre

9,86

3,95

31,56

Taxation de l'unité standard d'alcool pur (€)

0,004

0,10

0,31

Source : calculs de la Mecss du Sénat

5. Le transfert du recouvrement à la DGFiP au 1er janvier 2024

Au 1er janvier 2024, le recouvrement des impositions sur le tabac et l'alcool, jusqu'alors de la compétence de la DGDDI, a été transféré à la DGFiP (cf. supra).

D. LA FISCALITÉ DES BOISSONS SUCRÉES ET ÉDULCORÉES

Contrairement au tabac et à l'alcool, le droit européen ne fixe aucun cadre spécifique à la fiscalité sur les boissons non alcooliques, qui relève donc pleinement de la législation nationale. Seules les règles relatives à la TVA s'appliquent, soit la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, modifiée successivement par plusieurs directives.

En revanche, le règlement 2021/847 établissant le programme « Fiscalis » aux fins de la coopération dans le domaine fiscal268(*) a permis d'installer à l'échelle européenne un groupe de travail portant sur les taxes sur les boissons non alcoolisées. Ce groupe constitue un espace d'échanges d'informations et de bonnes pratiques pour l'ensemble des pays ayant mis en oeuvre ou projetant la mise en oeuvre de ce type de taxe.

La fiscalité des boissons non alcooliques sucrées et édulcorées

Taxe affectée*

Base légale

Dispositif technique

Affectataire(s)

Contribution sur les boissons non alcooliques contenant des sucres ajoutés

Article 1613 ter du code général des impôts

Barème progressif non linéaire, comprenant 15 catégories fiscales, échelonnées de 3,17 € par hectolitre de boisson à 24,78 par hectolitre.

Au-delà de 15 kg de sucres ajoutés par hectolitre de boisson, le tarif applicable par kg supplémentaire est fixé à 2,10 € par hectolitre de boisson.

Assurance maladie, invalidité et maternité du régime de protection sociale des personnes non salariées des professions agricoles (2° de l'article L. 722-8 du code rural et de la pêche maritime).

Contribution sur les eaux minérales, eaux de source, eaux potables et autres

Article 1613 quater (1° du II.) du code général des impôts

Barème linéaire fixé à 0,54 € par hectolitre pour les produits contenant des édulcorants de synthèse

2° de l'article L. 722-8 du code rural et de la pêche maritime, et assurance vieillesse et veuvage du régime de protection sociale des non-salariés agricoles (4° bis de l'article L. 731-3 du code rural et de la pêche maritime).

Contribution sur les boissons non alcooliques contenant des édulcorants de synthèse

Article 1613 quater (2° du II.) du code général des impôts

Barème linéaire fixé à 3,17 € par hectolitre pour les produits contenant des édulcorants de synthèse

2° de l'article L. 722-8 du code rural et de la pêche maritime, et 4° bis de l'article L. 731-3 du même code.

* A ces taxes, cumulables entre elles, s'ajoute la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) au taux de 5,5 % ou de 10 % selon le conditionnement et le mode de consommation des produits.

Pour chacune des deux taxes présentées ci-après, le fait générateur de la contribution est constitué par la première livraison en France, indépendamment du lieu de fabrication, y compris en cas d'introduction sur le territoire national préalable ou concomitante à cette livraison.

1. La contribution sur les boissons non alcooliques contenant des sucres ajoutés

La contribution sur les boissons non alcooliques contenant des sucres ajoutés ( article 1613 ter du code général des impôts) est un impôt national recouvré par la direction générale des finances publiques (DGFiP). Son barème, fixé en fonction du taux de sucre contenu dans le produit ajouté (défini en kilogramme par hectolitre), évolue chaque année selon l'inflation.

Seules sont imposables au titre de cette contribution les boissons contenant des sucres ajoutés, c'est-à-dire celles dans lesquelles la présence de sucres résulte d'une adjonction intentionnelle lors du processus de fabrication. En revanche, les boissons contenant moins d'un demi-kilogramme de sucres ajoutés par hectolitre ne sont pas imposées.

Entrent dans le champ de cette contribution les produits relevant des codes NC 2009 et NC 2202 :

- le code NC 2009 regroupe les jus de fruits ou de légumes non fermentés dont le titre alcoométrique volumique n'excède pas 0,5 %, à l'exception de certains jus dilués qui relèvent du code NC 2202 ;

- le code NC 2202 agrège les eaux additionnées de sucres, d'édulcorants ou d'arômes, les bières sans alcool et les mélanges de bières et de boissons non alcooliques dont le titre alcoométrique volumique n'excède pas 0,5 %, et toute autre boisson qui n'est pas un jus de fruits ou de légumes dont le titre alcoométrique volumique n'excède pas 0,5 %.

Périmètre de la contribution sur les boissons non alcooliques à sucres ajoutés

La DGFiP rappelle que sont notamment concernés269(*)

par la contribution : 

- les colas, boissons aux fruits, limonades, limes, tonics ;

- les boissons à base de lait (notamment le lait aromatisé ou chocolaté), de cacao, de café, de thé ou de sirops ;

- les boissons à base de soja, de céréales, de graines ou de fruits à coque, y compris lorsque ces boissons sont présentées comme des substituts de lait ;

- les préparations toniques susceptibles d'être consommées sans être diluées, lorsqu'elles ne constituent pas des médicaments ;

- les jus de fruits ou de légumes dilués.

En revanche, en sont notamment exclus le lait, la crème de lait et les yaourts à boire, les sirops et les fruits ou légumes mixés de type smoothies lorsqu'ils ne sont pas mélangés à des jus (NC 2008).

Source : Bulletin officiel des finances publiques - Impôts270(*)

2. La contribution sur les boissons non alcooliques contenant des édulcorants de synthèse

Toutes les boissons contenant des édulcorants de synthèse, quelle qu'en soit la quantité, sont soumises à cette imposition.

Les édulcorants « de synthèse » sont des additifs non assimilés à des ingrédients caractéristiques de l'alimentation. En conséquence, ne sont pas considérés comme édulcorants de synthèse les sucres ni les denrées alimentaires édulcorantes telles que le miel ou le sirop d'agave, ni les édulcorants d'origine naturelle (exemple : la thaumatine ou E957).

Deux règlements européens fixent la liste et les caractéristiques des édulcorants autorisés à être utilisés comme additifs dans les boissons et jus de fruits ou de légumes : il s'agit du règlement (CE) n° 1333/2008 du Parlement européen et du Conseil en date du 16 décembre 2008 sur les additifs alimentaires (et plus particulièrement son annexe II), et du règlement (UE) n° 231/2012 de la Commission du 9 mars 2012 établissant les spécifications des additifs alimentaires énumérés aux annexes II et III du règlement (CE) n° 1333/2008 du Parlement européen et du Conseil.

Au 1er janvier 2019, la liste des édulcorants « de synthèse » caractérisant les boissons susceptibles d'être frappées par la contribution sur les boissons non alcooliques contenant des édulcorants de synthèse est fixée comme suit :

E 950

Acésulfame

E 951

Aspartame

E 952

Cyclamates

E 954

Saccharines

E 955

Sucralose

E 959

Néohespéridine DC

E 961

Néotame

E 962

Sel d'aspartame-acésulfame

E 964

Sirop de polyglycitol

E 969

Advantame

III. COMPARAISONS INTERNATIONALES ET EXPÉRIENCES ÉTRANGÈRES

A. TABAC

1. Comparaisons internationales

Évolution de la prévalence du tabagisme (fumeurs quotidiens) parmi la population de 15 ans et plus dans les États couverts par les statistiques de l'OCDE

(prévalence en %)

 

2000

2020

Écart

Indonésie

30,2

32,6

2,4

Chine

27,5

25,3

-2,2

Afrique du Sud

22,6

20,2

-2,4

Autriche

24,3

20,6

-3,7

Costa Rica

12,5

8,4

-4,1

France

30,0

25,5

-4,5

Mexique

12,4

7,4

-5,0

Hongrie

30,2

24,9

-5,3

Italie

24,4

18,8

-5,6

Portugal

20,3

14,2

-6,1

République tchèque

23,5

16,6

-6,9

Israël

24,1

16,2

-8,0

Brésil

17,6

9,5

-8,1

Suisse

27,5

19,1

-8,4

Australie

19,6

11,2

-8,4

Turquie

36,4

28,0

-8,4

Belgique

24,1

15,4

-8,7

Allemagne

24,7

15,7

-9,1

Russie

34,9

25,8

-9,1

Luxembourg

26,0

16,9

-9,1

Suède

18,9

9,5

-9,4

Argentine

33,5

24,0

-9,5

Etats-Unis

19,1

9,4

-9,7

Grèce

35,0

24,9

-10,1

Corée

26,1

15,9

-10,2

Japon

27,0

16,7

-10,3

Pologne

28,4

17,1

-11,3

Finlande

23,4

12,0

-11,4

Espagne

32,1

19,8

-12,3

Estonie

30,3

17,9

-12,4

Royaume-Uni

27,0

14,5

-12,5

Canada

22,4

9,4

-13,0

Irlande

27,0

14,0

-13,0

Nouvelle-Zélande

25,0

11,9

-13,1

Islande

22,4

7,3

-15,1

Danemark

30,5

14,7

-15,9

Pays-Bas

32,0

14,4

-17,6

Inde

26,9

8,1

-18,8

Norvège

32,0

9,0

-23,0

Pérou

33,9

8,2

-25,7

Les données absentes en 2000 ou en 2020 ont été interpolées de manière linéaire.

Champ : les 38 États membres de l'OCDE, plus Afrique du Sud, Argentine, Brésil, Bulgarie, Chine, Croatie, Inde, Indonésie, Pérou, Roumanie, Russie.

Source : d'après les données de l'OCDE ( https://data.oecd.org/healthrisk/daily-smokers.htm)

Prix au détail du paquet de 20 cigarettes le plus vendu (2020)

(en dollars,
selon la parité de pouvoir d'achat)

Source : Organisation mondiale de la santé ( https://apps.who.int/gho/data/view.main.TOBRETAILv)

2. Quelques expériences étrangères emblématiques

En 2020, l'Australie et la Nouvelle-Zélande étaient selon l'OMS les pays où les prix des cigarettes étaient les plus élevés (cf. graphique ci-avant).

L'Australie a été le premier État à instaurer l'obligation du paquet neutre (en 2012).

En 2023, sous l'impulsion de sa Première ministre Jacinda Ardern (travailliste), la Nouvelle-Zélande a adopté une loi271(*) interdisant la vente de cigarettes aux personnes nées après le 1er janvier 2009. Le nouveau Gouvernement conservateur constitué en octobre 2023 a toutefois annoncé son intention d'abroger cette loi, en mettant en avant un possible risque de développement d'un marché parallèle.

En avril 2024, les députés britanniques ont adopté à leur tour un projet de loi interdisant la vente de cigarettes aux personnes nées à partir du 1er janvier 2009. Ce texte est toujours en cours de discussion.

B. ALCOOL

1. L'absence de taxation du vin dans la moitié des États de l'Union européenne

Comme le montre une note de l'OFDT272(*), la moitié des États de l'Union européenne ne taxent pas le vin (alors que tous taxent la bière ou les spiritueux).

Par ailleurs, il est structurellement difficile pour un État producteur de taxer le vin. Selon cette note, « La France, seul pays producteur avec la Grèce à taxer le vin, a le plus faible niveau de taxation et se situe ainsi en 2019 en 14e position pour le vin (par ordre décroissant de niveau de taxation), en 15e position pour la bière et en 17e position pour les spiritueux ».

Droits d'accise ajusté sur la parité des pouvoirs d'achat par unité standard d'alcool suivant les catégories de boissons en 2019

(en euros)

Source : OFDT, d'après Angus et al., 2019 ; les valeurs exprimées en livres sterling ont été converties en euros en utilisant le taux de change entre l'euro et la livre sterling du 31 décembre 2019

L'article dont sont issues ces données souligne ce paradoxe, qu'il explique par le fait qu'un pays producteur ne peut en pratique pas taxer le vin (ou alors le fait a minima, comme la France ou la Grèce), de même que le Royaume-Uni imposait très faiblement le cidre (d'où, comme les autres impositions sont au Royaume-Uni élevées, une consommation massive de cidre chez les gros buveurs)273(*).

Cette situation dans le cas du cidre a toutefois depuis été compensée en Écosse et au Pays de Galle par l'instauration d'un prix minimum de l'unité d'alcool (cf. infra).

2. L'instauration d'un prix minimum par unité d'alcool : le cas de l'Écosse

Dans plusieurs pays a récemment été instauré un prix minimum par unité d'alcool, généralement à un niveau infra-étatique (cf. encadré).

Les développements ci-après concernent plus spécifiquement l'Écosse, qui a fait figure de pionnier, avec une loi votée en 2012, en vigueur depuis le 1er mai 2018.

La loi prévoyant que cette mesure n'était, sauf prorogation par le Parlement, en vigueur que pour six ans (ce qui aurait conduit à son extinction le 30 avril 2024), un rapport d'évaluation a été publié le 27 juin 2023 par Public Health Scotland. Le 17 avril 2024, le Parlement écossais a prorogé ce dispositif.

Les États ayant instauré un prix minimum par unité d'alcool

La loi écossaise instaurant un prix unitaire minimum (minimum unit pricing, MUP) de 0,5 £ pour 10 grammes d'alcool a été adoptée en 2012 et, du fait d'une procédure contentieuse, mise en oeuvre en 2018. Le 17 avril 2024, le Parlement écossais a prorogé ce dispositif, en portant le prix minimum de 0,5 £ à 0,65 £.

Un prix unitaire minimum a été instauré dans le Territoire du Nord australien en octobre 2018 (1,30 dollar australien, soit environ 0,8 euro, pour 10 grammes d'alcool).

Au Pays de Galles, le prix minimum, instauré en 2018, a été mis en oeuvre en mars 2020 (0,5 £ pour 10 grammes d'alcool).

En Irlande, le prix minimum, instauré en 2018, est entré en vigueur en janvier 2022 (1 euro pour 10 grammes d'alcool).

Les débats se sont notamment appuyés sur d'importants travaux de simulation réalisés par l'université de Sheffield (cf. encadré).

Le « modèle de Sheffield »

Le « modèle de Sheffield », ou « modèle de Sheffield de politique de l'alcool » (« Sheffield Alcohol Policy Model »), a été commandé à l'université de Sheffield par le ministère de la santé du Royaume-Uni et a donné lieu à une première publication en 2008.

Il simule l'impact des prix sur la consommation (modèle « prix vers la consommation »), puis de la consommation sur la santé (ce qui comprend les maladies et les blessures, en particulier dans des accidents de la route), et même les crimes et délits et l'absentéisme au travail (modèle « consommation vers la santé et les dommages »). Dans le cas du volet « santé », la simulation est faite par pathologie.

Le modèle est régulièrement mis à jour.

Il a joué un rôle important dans le débat relatif à la mise en place d'un prix minimal de l'alcool en Écosse, avec une loi votée en 2012 et une mise en oeuvre effective en 2018.

Ce modèle est public, ce qui permet à différents chercheurs de s'en inspirer.

Ainsi, en France, la simulation sous-jacente au rapport de 2022 précité réalisé sous la direction de Fabrice Étilé préconisant la mise en place d'un prix minimum s'inspire de la version 2015 de ce modèle pour son volet « santé ». Cette simulation se limite toutefois à la seule prise en compte des cancers, et exclut donc les autres maladies et les accidents.

a) Une disposition conforme au droit communautaire selon la Cour Suprême du Royaume-Uni

La Cour suprême du Royaume-Uni a considéré en 2017274(*), s'appuyant notamment sur un renvoi préjudiciel devant la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), que l'instauration d'un prix minimum du verre d'alcool prévue par une loi écossaise de 2012 était conforme au droit communautaire.

Les arguments en présence, pouvant présenter un intérêt du point de vue français, sont synthétisés par l'encadré ci-après.

Le prix unitaire minimum de l'unité d'alcool en Écosse : une conformité au droit communautaire confirmée par la Cour Suprême du Royaume-Uni275(*)

La loi relative au prix minimum des boissons alcoolisées en Écosse a été adoptée en 2012 par le Parlement écossais.

La Scotch Whisky Association et plusieurs autres entreprises du secteur des boissons alcoolisées ont formé un recours contre cette loi, qu'elles considéraient contraire, notamment, à l'article 34276(*) du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) et au règlement (UE) n° 1308/2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles (dit « règlement OCM unique »).

La Court of Session, Outer House (tribunal de droit civil de première instance en Écosse) a rejeté ce recours en 2013. Puis la Court of Session, Inner House (Cour d'appel du droit civil en Écosse) a interrogé le 3 juillet 2014 la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) dans le cadre d'un renvoi préjudiciel.

Dans un arrêt du 23 décembre 2015277(*), la CJUE a rappelé que, selon sa jurisprudence, une telle mesure ne pouvait être justifiée par des raisons de protection de la santé que si elle était proportionnée à l'objectif poursuivi278(*), et s'est interrogée sur la possibilité de parvenir au même résultat par une mesure fiscale visant à augmenter le prix de l'alcool, susceptible selon elle d'avoir un effet moins restrictif sur le marché. Conformément à l'usage s'agissant d'un renvoi préjudiciel, elle n'a pas tranché le litige.

La Court of Session, Inner House a rejeté l'appel le 21 octobre 2016, considérant que le principe de proportionnalité avait été respecté.

L'affaire a ensuite été portée en appel devant la Cour Suprême (Supreme Court) du Royaume-Uni, qui dans un jugement du 15 novembre 2017279(*) a également rejeté l'appel, considérant elle aussi que le principe de proportionnalité avait été respecté, essentiellement parce que le prix minimum présentait selon elle l'intérêt par rapport à la taxation d'être de fait ciblé sur les populations les plus à risque280(*). La Cour suprême a également considéré la clause selon laquelle la disposition n'était valable que pour six ans sauf prorogation comme un argument en ce sens281(*).

b) Un impact du prix minimum du verre d'alcool en Écosse bénéfique à la santé publique

La loi prévoyant que cette mesure n'était, sauf prorogation par le Parlement, en vigueur que pour six ans, un rapport d'évaluation a été publié le 27 juin 2023 par Public Health Scotland.

Ce rapport indique que la mesure a réduit les décès et hospitalisations imputables aux causes chroniques directement liées à l'alcool (comme les maladies alcooliques du foie), tout en soulignant la nécessité de mener des actions spécifiques à destination des personnes dépendantes à faibles revenus (la mesure n'ayant vraisemblablement pas réduit la consommation des personnes dépendantes, qui représentent une sous-catégorie des personnes ayant une consommation excessive). L'impact économique sur les producteurs et les vendeurs au détail aurait été mineur.

Le prix unitaire minimum instauré en Écosse en 2018 : résumé du rapport d'évaluation de Public Health Scotland (2023)282(*)

Le rapport a été commandé par le Gouvernement écossais à Public Health Scotland, qui a réalisé de manière indépendante ou a financé certaines évaluations, tout en s'appuyant sur des évaluations existantes.

Le rapport juge clairement la mesure bénéfique en matière de santé publique283(*).

Tout d'abord, le prix minimum a augmenté le prix de vente par unité d'alcool. L'impact a été particulièrement important pour le cidre (+ 25,6 % l'année suivant la mesure), dont le Royaume-Uni était un producteur important et qui était donc nettement moins taxé que les autres boissons alcoolisées (comme le vin en France, pour des raisons analogues), ainsi que pour le poiré (+ 50 %). Les prix de la bière, du vin et des spiritueux ont nettement moins augmenté (de respectivement 7,3 %, 6,1 % et 7,0 %).

En conséquence de cette augmentation des prix, les ventes d'alcool ont diminué en trois ans de 3 % en volume d'alcool pur. Cette baisse a été particulièrement forte pour le cidre (-21,5 %) et le poiré (-31,3 %).

L'impact économique aurait été mineur. Selon le rapport, « les détaillants ont constaté que la perte de ventes était généralement compensée par une augmentation des prix ; l'impact sur les bénéfices globaux n'est pas clair. Dans l'ensemble, il n'existe aucune preuve cohérente que le [prix unitaire minimum] ait eu un impact positif ou négatif sur l'industrie des boissons alcoolisées dans son ensemble ».

Il existe en revanche des « preuves solides » que le prix unitaire minimum a réduit le nombre de décès directement imputables à l'alcool (-13,4 %) et réduit les hospitalisations entièrement imputables à l'alcool (- 4,1 %)284(*). Il est possible que les décès et hospitalisations dus à des causes aiguës aient augmenté, mais l'incertitude est forte à ce sujet285(*).

Selon le rapport, « les réductions observées des décès entièrement imputables et des hospitalisations ont été plus importantes chez les hommes et ceux vivant dans les zones les plus défavorisées d'Écosse ».

Le rapport indique qu'« il n'existe aucune preuve cohérente » que le [prix unitaire minimum] ait eu un impact sur les appels d'ambulance, les visites aux urgences, la prescription de médicaments pour la dépendance à l'alcool, la criminalité liée à l'alcool ou la consommation de drogues illicites.

Toutefois si l'augmentation du prix de l'alcool a réduit la consommation nocive d'alcool, tel ne semble pas avoir été le cas pour les personnes dépendantes à l'alcool. La situation de ces personnes a donc pu se dégrader quand elles avaient de faibles revenus286(*). Le rapport préconise donc de mener une politique spécifique vis-à-vis de ces personnes287(*).

C. BOISSONS SUCRÉES ET ALIMENTS DE FAIBLE QUALITÉ NUTRITIONNELLE

À titre liminaire, une observation s'impose : la majorité des taxes nutritionnelles à visée comportementale étant d'application récente, leurs impacts en termes de santé publique et d'économies pour les systèmes de santé ne peuvent être mesurées à ce jour. Seules peuvent l'être les évolutions des achats et des consommations, mais non pas leur traduction en termes d'indicateurs de santé publique. C'est l'une des limites à l'adhésion des populations et des gouvernements à ce type de politique, dont les effets ne sont mesurables qu'au terme de plusieurs années.

1. Taxes sur les boissons sucrées non alcooliques

Selon la Banque mondiale, les taxes reposant sur la teneur en sucres des boissons sont les plus efficaces du point de vue de la santé publique, parce qu'elles produisent un effet de levier plus fort que les taxes ciblant le volume de boisson ; pourtant, près de la moitié des taxes sodas en vigueur dans le monde (46 %) sont aujourd'hui basées sur la quantité globale du produit plutôt que sur le taux de sucres288(*).

En effet, les taxes appliquées aux boissons sucrées et aux sodas peuvent revêtir des formes très diverses : taxes ad valorem portant sur un pourcentage de la valeur du produit, ou taxes d'accise portant sur le volume total d'un produit ou sur la teneur de l'ingrédient dont on souhaite diminuer la consommation (sucre, sel, gras, alcool pur...).

Les études commandées par l'OMS, s'appuyant sur diverses expériences de pays ayant implémenté une taxe soda, attestent de la pertinence de l'outil fiscal pour réduire la consommation de boissons sucrées289(*).

a) Situation en Europe

Dans un rapport de 2022, l'OMS regrettait qu'à peine un cinquième des pays appartenant à la région « européenne » de l'OMS - soit 11 États sur un total de 53 - aient adopté une fiscalité à visée comportementale portant spécifiquement sur les boissons sucrées.

Une note du Conseil des prélèvements obligatoires290(*), datée de juillet 2023, présente sous forme de tableau synthétique les taxes en vigueur dans les dix pays d'Europe où s'applique une politique fiscale sur les boissons sucrées (Belgique, région de la Catalogne en Espagne, Estonie, Finlande, Hongrie, Irlande, Lettonie, Norvège, Portugal, Royaume-Uni).

Cette revue atteste de la variété des modèles utilisés, s'agissant tant des barèmes - taxe linéaire ou taxe progressive, montant ou taux de la taxe - que des assiettes retenues. Par exemple, le Royaume-Uni et l'Estonie ont fait le choix de barèmes progressifs, afin de taxer plus fortement les boissons les plus sucrées, alors que la Norvège ou la Finlande appliquent une taxe linéaire par litre de boisson contenant des sucres.

Chronologie des taxes dans la région européenne de l'OMS

Source : European Journal of Public Health291(*)

b) Situation dans le monde

La présente mission d'information n'avait ni pour but ni les moyens de réaliser un panorama des expériences de fiscalité nutritionnelle à travers le monde, d'autant que des revues diverses ont déjà pu être réalisées (projet « soda tax », revues de l'OMS). À ce jour, près d'une cinquantaine d'États dans le monde appliquent des taxes ciblant les boissons sucrées.

En 2022, une méta-analyse commandée par l'OMS et réalisée sur la base de 62 études sélectionnées292(*) confirme :

- la répercussion incomplète des taxes appliquées dans les prix de ces boissons, avec un taux moyen de répercussion fiscale des taxes implémentées de 82 % ;

- la sensibilité de la consommation des boissons sucrées aux variations de prix, avec des réductions moyennes des ventes de l'ordre de 15 % selon les pays et les taux de taxes ;

- la tendance à la reformulation des compositions des boissons taxées par les fabricants pour échapper à la taxe ou supporter un niveau inférieur de taxe, en cas de barème progressif.

L'étude s'est appuyée sur une revue de littérature incluant plus largement 86 études, dont notamment 17 relatives au Mexique, 7 relatives au Royaume-Uni, 4 relatives à la France, 3 au Chili, 3 au Danemark, 2 portant sur la Barbade et 2 sur le Portugal ; elle inclut également des études concernant les politiques menées en Finlande, en Hongrie, en Arabie Saoudite et en Afrique du Sud. Les autres situations étudiées, au nombre de 42, concernent des taxes locales, régionales, ou appliquées à l'échelle d'un État membre d'un État fédéral comme la Pennsylvanie, la Californie ou l'Illinois.

2. Taxes sur les denrées alimentaires autres que les boissons

Une taxe progressive sur les denrées alimentaires solides peut être fixée en référence au taux de sucre, de sel ou de gras, ou bien sur la base d'un référentiel nutritionnel tel que le Nutri-Score. Dans tous les cas, la mise en oeuvre de ce type de taxe suppose l'existence d'un affichage de la composition nutritionnelle du produit ou de la qualité nutritionnelle, appréciée par un indicateur global.

a) Situation en France

En France, les denrées alimentaires solides ne font pas l'objet d'une taxation spécifique.

Preuve pourtant d'une réflexion qui progresse, un amendement créant une contribution sur les produits alimentaires transformés contenant des sucres ajoutés avait été adopté par le Sénat lors de l'examen du PLFSS 2024293(*), bien que non maintenu dans la version de la loi promulguée.

Dans le cadre de la présente mission, la direction générale de la santé a par ailleurs indiqué aux rapporteures que la création d'une taxe portant sur les denrées alimentaires sucrées, par extension du modèle actuel de la taxe sur les boissons sucrées, avait fait l'objet de travaux des services ministériels. La mesure consisterait à élargir l'assiette de la taxe sur les boissons sucrées aux produits alimentaires à la teneur élevée en sucres, en ciblant les produits les plus consommés par les publics jeunes notamment. Auraient pu être concernés les céréales pour petit déjeuner et les barres céréalières, les gâteaux et biscuits sucrés, les confiseries et produits chocolatés.

Une telle taxe permettrait, selon les services ministériels, de collecter des recettes supérieures à 800 millions d'euros par an.

b) Situation en Europe

La fiscalité nutritionnelle à visée comportementale demeure peu développée hors du champ des boissons sucrées : en Europe, deux pays seulement ont expérimenté une taxe sur les denrées alimentaires solides et un seul, la Hongrie, poursuit encore cette politique.

· Au Danemark

L'expérience malheureuse du Danemark s'est rapidement soldée par un échec, dont il est utile de tirer toutes les conclusions pour éviter la reproduction des mêmes erreurs.

Le périmètre de la taxe mise en oeuvre en octobre 2011 portait sur les aliments contenant plus de 2,3 % de graisses saturées, soit un large panel d'aliments comprenant des biens de première nécessité tels que le fromage, le beurre, la margarine, les huiles et la charcuterie, avec des possibilités de substitution relativement limitées pour certains de ces produits.

L'assiette excessivement large de cette taxe, conjuguée à un montant particulièrement élevé, a fortement grevé le budget des ménages. La taxe a également été abondamment critiquée en raison des complexités administratives qu'elle a engendrées pour les entreprises chargées de déclarer le taux de graisses contenu dans les produits finis qu'elles fabriquaient ou importaient.

Mise en oeuvre sur une période de treize mois, cette taxe aurait conduit à une diminution de la consommation des produits riches en graisses saturées de 4 % et permis, selon une modélisation de son impact sur la mortalité, de sauver 123 vies en une année294(*).

· En Hongrie

Depuis 2011, l'instauration du Public Health Product Tax a soumis à une imposition spécifique divers aliments transformés préemballés. Sont notamment visés les produits riches en sucres tels que les produits chocolatés, les confiseries, les biscuits, les boissons sucrées, ainsi que les produits riches en sel tels que les snacks. Si l'assiette de la taxe a été élargie à plusieurs reprises depuis son entrée en vigueur, les produits traditionnels hongrois - dont les diverses charcuteries à haute teneur en sel et graisses - en restent exonérés.

Une étude de 2015 ayant analysé les impacts de ces taxes sur la consommation des produits imposés associe cette politique fiscale à une moindre consommation d'aliments transformés de l'ordre de 3,4 %, et à une augmentation corrélative de la consommation des aliments non transformés d'environ 1,1 %295(*). Les résultats attestent également de la forte incitation des industriels à s'engager dans des reformulations de la composition nutritionnelle de leurs produits.

c) Situation dans le monde : le cas du Mexique

Premier pays en termes d'obésité et de surpoids, le Mexique a créé en 2014 une imposition sur les produits dont la valeur calorique excède 275 kcal pour 100 grammes, à hauteur de 8 % du prix du produit. Une taxe sur les boissons sucrées d'un montant d'un peso par litre a par ailleurs été créée en parallèle.

Si les ventes de ces produits ont diminué d'environ 7 % au cours des deux premières années296(*), elles sont ensuite reparties à la hausse. Dix ans plus tard, le taux d'obésité n'a pas baissé au Mexique.

Le cas mexicain illustre les limites de l'outil fiscal pour infléchir le comportement des consommateurs, qui doit tenir compte d'une variété de facteurs économiques et culturels et s'intégrer à un arsenal de mesures plus large pour améliorer l'état de santé d'une population. La fiscalité comportementale doit ainsi s'inscrire dans une politique transversale, pour une évolution plus durable des modes de consommation et de l'environnement nutritionnel.

3. Le Chili : exemple d'une politique nutritionnelle globale

Le Chili constitue une expérience intéressante de politique nutritionnelle globale, incluant l'utilisation de l'outil fiscal. Comme d'autres pays d'Amérique latine, le Chili est fortement touché par l'obésité et notamment, par l'obésité infantile.

Dans un premier temps, le pays a conduit une réforme fiscale ayant eu pour effet de créer des effets de seuil significatifs en distinguant des tranches fiscales progressives selon la teneur en sucres des boissons. Ainsi, en octobre 2014, le Chili a réévalué de 13 % à 18 % le taux de la taxe pesant sur le prix des boissons à forte teneur en sucres tandis que la taxation des produits à faible teneur en sucres a été abaissée de 13 % à 10 %.

Dans un second temps, une loi de 2016 portant sur l'étiquetage et la publicité des aliments a imposé un dispositif d'étiquetage nutritionnel sur les emballages et fixé des règles pour encadrer le marketing alimentaire. Cette loi a également interdit la vente dans les écoles d'aliments et de boissons contenant des sucres ajoutés ou des graisses saturées dépassant certains seuils.

Ces mesures ont permis de constater une baisse de 25 % de la consommation des boissons sucrées dans les dix-huit mois ayant suivi l'application de la taxe ainsi qu'une hausse de 5 % de la consommation d'eau minérale ou de boissons sans sucres ajoutés297(*).

Progressivement, le Chili a bâti une politique nutritionnelle globale, dont les résultats positifs commencent à être mesurés.

IV. TRANSMISSION DES HAUSSES DE TAXE DANS LES PRIX ET ÉLASTICITÉ-PRIX

1. Transmission des hausses de taxe dans les prix et élasticité-prix

La mécanique de formation des prix est un processus complexe influencé par une pluralité de facteurs. La situation de concurrence pure et parfaite dans laquelle le prix reflète un équilibre atteint par la rencontre de l'offre et de la demande, où intervient la « main invisible du marché », est une abstraction de la théorie classique et néoclassique en économie.

La réalité des prix sur un marché répond à diverses contraintes et circonstances, parmi lesquelles le coût de production et la structure du marché, plus ou moins concurrentielle ou monopolistique, ainsi que l'existence d'alternatives ou de produits substituables entre eux, offrant au consommateur l'opportunité de reporter ses achats vers d'autres types de biens.

Ces deux derniers facteurs sont particulièrement susceptibles d'influencer le taux de répercussion (« pass-through rate ») d'une taxe dans le prix d'un bien. Or, la sous-répercussion d'une taxe comportementale dans le prix d'un bien nuit à l'efficacité de la politique fiscale conduite, puisque le prix agit comme une courroie de transmission pour infléchir le comportement des consommateurs. Dans le champ de la fiscalité comportementale, l'étude de ce taux de répercussion est donc fondamentale dès lors qu'il ne revêt pas un caractère automatique.

Outre ce premier point d'attention, un second enseignement tiré des expériences internationales tient à ce qu'il n'existe pas de corrélation parfaite entre l'augmentation du prix d'un produit et la baisse de sa consommation. Ce constat fait appel à la notion d'élasticité-prix des biens dans le temps, qu'il convient d'appréhender pour déterminer, en fonction de l'anticipation de la réaction des consommateurs à une variation du prix, le niveau minimal d'augmentation du prix susceptible de produire l'effet recherché par les pouvoirs publics (par exemple, une diminution de 10 % de la consommation de tabac ou l'atteinte d'un taux de prévalence tabagique de 15 %).

Tenant compte de la complexité de ces mécanismes, l'efficacité d'une politique de fiscalité comportementale conduit à recommander a minima le respect de deux consignes :

1) l'impact de la taxe sur le prix doit être substantiel ;

2) cet impact doit être d'autant plus important que les principaux consommateurs sont aussi les moins sensibles aux variations de prix.

S'agissant du premier point, une évaluation de la réforme de la taxe française sur les boissons sucrées298(*) par l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae) suggère qu'une taxe de 0,20 euro par litre sur les boissons sucrées sans alcool pourrait permettre de réduire la consommation de sucre de plus de 2 kg par an en moyenne et de plus de 5 kg pour les 5 % de la population adulte le plus en surpoids, soit des résultats substantiellement plus élevés que ceux enregistrés depuis 2018, et a fortiori depuis 2012.

L'Inrae déduit d'une autre étude portant sur la politique fiscale et de prix des alcools en France299(*) deux enseignements :

- seule une taxe progressive très élevée sur la teneur alcoolique des boissons permettrait d'augmenter le prix de l'ensemble des alcools vendus sur le marché ;

- une politique de prix minimum serait plus intéressante qu'une réforme de la fiscalité, quelles que soient les modalités fiscales envisagées300(*).

Les auteurs de cette étude concluent ainsi qu' « [il] peut être intéressant de compléter ou de remplacer des mesures fiscales par l'instauration d'un prix minimum, si cela permet de mieux cibler les produits bon marché et à teneur élevée en alcool ».

S'appuyant sur les travaux d'E.J. Llopis, A. O'Donnell, P. Anderson301(*), ils relèvent que la politique de prix minimum conduite en Écosse et au Pays de Galle semble d'ailleurs avoir poussé les consommateurs « à des substitutions des bières et cidres à forte teneur en alcool vers des produits moins alcoolisés, et qu'elle a eu un impact concentré dans les 20 % de ménages consommant le plus d'alcool par tête, quel que soit le niveau de revenu ».

Le prix minimum permettrait en effet d'agir prioritairement sur le prix d'entrée de gamme et ferait principalement reposer l'effort financier sur la population des consommateurs les plus importants, dont les achats se portent majoritairement sur des alcools d'entrée de gamme. Une politique de prix minimum pourrait ainsi constituer un outil pertinent pour cibler les consommateurs les plus dépendants.

À l'appui du second point, plusieurs études tendent à démontrer que la sensibilité aux variations de prix est inversement corrélée au niveau de consommation. Pour les boissons sucrées de type sodas, la réactivité à une hausse de prix peut être dix fois plus forte pour un consommateur moyen que pour un grand consommateur302(*).

B. PRINCIPALES ESTIMATIONS DE L'ÉLASTICITÉ-PRIX DE LA DEMANDE

1. Principales estimations de l'élasticité-prix de la demande dans le cas du tabagisme

Le tableau ci-après synthétise les principales méta-études relatives à l'élasticité-prix de la demande de tabac, qui suggèrent une élasticité-prix d'environ - 0,4 au niveau international comme pour la France.

Principales méta-études sur l'élasticité-prix de la demande de tabac dans les pays développés

Référence

Élasticité-prix

Chaloupka Frank J., Warner Kenneth E., « The economics of smoking », in Handbook of Health Economics, volume 1, 2000, pages 1539-1627 https://fjc.people.uic.edu/Presentations/Papers/hand0623.pdf

De -0,14 à -1,23 ; habituellement de -0,3 à -0,5

Gallet Craig A., List John A., « Cigarette demand: a meta-analysis of elasticities », Health Economics, n° 12, 27 novembre 2002, p. 821-835.

-0,48

Gallus S., Schiaffino A., La Vecchia C., et al., « Price and cigarette consumption in Europe », Tobacco Control, 2006, n° 15, p. 114-119. https://tobaccocontrol.bmj.com/content/15/2/114.info

-0,5 à -0,7

International Agency for Research on Cancer, « Effectiveness of Tax and Price Policies for Tobacco Control », IARC Handbooks of Cancer Prevention, volume 14, 2011

https://www.nber.org/system/files/working_papers/w22296/w22296.pdf

-0,2 à -0,6

Banque Mondiale, Boîte à outils de l'économie de la fiscalité du tabac, mars 2018

https://documents1.worldbank.org/curated/en/926851541190614820/pdf/Economics-of-Tobacco-Taxation-Toolkit.pdf

-0,2 à -0,7, la plupart des estimations s'établissant autour de -0,4

Kohler A et al., « Cross-country and panel data estimates of the price elasticity of demand for cigarettes in Europe », British Medical Journal Open, 13(6), 16 juin 2023

https://bmjopen.bmj.com/content/13/6/e069970

-0,4

Source : Mecss du Sénat, d'après les sources indiquées

Les études propres à la France suggèrent un résultat analogue. Cette élasticité a pu fortement varier d'une année à l'autre, avec en particulier une élasticité proche de -1 lors de la forte augmentation de fiscalité de 2003-2004.

Principales études sur l'élasticité-prix de la demande de tabac en France

Référence

Élasticité-prix

Danielle Besson, « Consommation de tabac : la baisse s'est accentuée depuis 2003 », Insee Première n° 1110, décembre 2006 https://www.bnsp.insee.fr/ark:/12148/bc6p06zskkz.pdf

Jusqu'en 2002 : - 0,3

2003-2004 : environ - 1

Fromentin Vincent, « L'impact de la taxation sur les ventes de cigarettes en France - Une approche économétrique », Revue économique 2015/3 (Vol. 66), Presses de Sciences Po, pages 601 à 614. https://www.cairn.info/revue-economique-2015-3-page-601.htm

2000-2003 (fortes hausses de prix) : - 0,45 à court terme et - 0,47 à long terme

2004-2012 (hausses de prix moindres et plus espacées) : - 0,17 à court terme et - 0,2 à long terme

Hill Catherine, Legoupil Clémence, « Taxation et prix du tabac en France et conséquences sur la consommation », BEH 14-15, 29 mai 2018, p. 309 https://www.santepubliquefrance.fr/determinants-de-sante/tabac/documents/article/taxation-et-prix-du-tabac-en-france-et-consequences-sur-la-consommation

1950-2015 : - 0,47

2000-2015 : - 0,41

Source : Mecss du Sénat, d'après les sources indiquées

2. Principales estimations de l'élasticité-prix de la demande dans le cas de la consommation nocive d'alcool

Le tableau ci-après synthétise les principales méta-études relatives à l'élasticité-prix de la demande d'alcool, qui suggèrent, au niveau international, une élasticité-prix autour de - 0,5 (la valeur absolue étant un peu inférieure pour la bière et un peu supérieure pour le vin et, surtout, les spiritueux).

Principales méta-études sur l'élasticité-prix de la demande d'alcool dans les pays développés

Référence

Élasticité-prix

Vin

Bière

Spiritueux

Craig A. Gallet, « The demand for alcohol: a meta-analysis of elasticities », Australian Journal of Agricultural and Ressource Economics, n° 51, 9 mai 2007, pp. 121-135.

- 0,70

- 0,36

- 0,68

Alexander C. Wagenaar, Matthew J. Salois, Kelli A. Komro, « Effects of beverage alcohol price and tax levels on drinking: a meta-analysis of 1003 estimates from 112 studies », Addiction, n° 104, 200; pp. 179-190.

- 0,69

- 0,46

- 0,80

James Fogarty, « The demand for beer, wine and spirits: a survey of the literature », Journal of Economic Surveys, n° 24, 2010, pp. 428-478

https://www.researchgate.net/publication/227374775_The_Demand_for_Beer_Wine_and_Spirits_A_Survey_of_the_Literature

- 0,65

- 0,45

- 0,73

Jon P. Nelson*, « Estimating the price elasticity of beer: Meta-analysis of data with heterogeneity, dependence, and publication bias », Journal of Health Economics, n° 33, 2014, p. 180-187

- 0,45

- 0,20

- 0,55

G. Emmanuel Guindon, Kevin Zhao, Tooba Fatima, Sophiya Garasia, Nicholas Quinn, N. Bruce Baskerville, Guillermo Paraje, « Prices, taxes and alcohol use: a systematic umbrella review », Addiction, n° 117, 2022, pp. 3004-3023

https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC9796894/

- 0,6

- 0,3

- 0,65

OCDE, Rapport final sur le modèle international de simulation des politiques de lutte contre la consommation nocive d'alcool - résultats pour la France, mai 2021.

https://www.oecd.org/health/Mod%C3%A8le-international-simulation-politiques-consommation-nocive-alcool-France-Mai2021.pdf

- 0,43 / - 0,65

- 0,41/ - 0,62

- 0,49/- 0,70

* Selon le rapport d'expertise collective de l'Inserm Réduction des dommages associés à la consommation d'alcool (2021), « même si des controverses existent du fait de ses liens d'intérêt très marqués avec l'industrie de l'alcool (Nelson, 2016 ; Xuan et coll., 2016) puisqu'il travaille pour le IARD (Inter national Alliance for Responsible Drinking), un lobby alcoolier vantant les mérites de la consommation responsable d'alcool, ses travaux sont toujours inclus dans les méta-analyses établissant les élasticités prix de la demande d'alcool ».

Source : Mecss du Sénat, d'après les sources indiquées

Selon le rapport d'expertise collective de l'Inserm Réduction des dommages associés à la consommation d'alcool (2021)303(*), « Au meilleur de notre connaissance, il n'existe pas d'estimation d'élasticité prix de la demande d'alcool en France ». De fait, les rares études concernant la France dont la Mecss du Sénat a connaissance sont anciennes, souvent étrangères (la France étant l'un des États étudiés) et donnent des résultats contradictoires.

Principales études sur l'élasticité-prix de la demande d'alcool en France

Référence

Élasticité-prix

Vin

Bière

Spiritueux

Centre de recherches et de documentation sur la consommation (CREDOC), Effets du prix et du revenu sur la consommation de boissons, 1968

https://www.credoc.fr/publications/effets-du-prix-et-du-revenu-sur-la-consommation-de-boissons

-0,21

-0,1

-1,32

Walter Labys (1976) « An international comparison of price and income elasticities for wine consumption », Australian Journal of Agricultural Economics, vol. 20, n° 1, 1976, pp. 33-36

-0,06

   

Saroja Selvanathan, Eliyathamby A. Selvanathan, The Demand for Alcohol, Tobacco and Marijuana: International Evidence, Routlege, 2005

- 0,05 à

- 0,09

- 0,06 à 
- 0,08

- 0,06 à
- 0,14

Nicolas Ruiz, Alain Trannoy, « Le caractère régressif des taxes indirectes : les enseignements d'un modèle de microsimulation », Economie et statistique, n°413, 2008, pp. 21-46

http://www.persee.fr/doc/estat_0336-1454_2008_num_413_1_7034

Tabacs et alcools : - 0,522

Source : Mecss du Sénat, d'après les sources indiquées

3. Principales estimations de l'élasticité-prix de la demande dans le cas des boissons sucrés et édulcorées

Dans le cas des boissons sucrées et édulcorées, il existe peu de méta-études relatives à l'élasticité-prix de la demande de boissons sucrées ou édulcorées. Une méta-étude récente (2022) indique une élasticité-prix de la demande de -1,59.

Principales méta-études et études sur l'élasticité-prix de la demande de boissons sucrées ou édulcorées dans les pays développés

Référence

Élasticité-prix

Fletcher J.M., Frisvold D.E. et Tefft N., « The effects of soft drink taxes on child and adolescent consumption and weight outcomes », Journal of Public Economics, n° 94, 2010, pp. 967-974.

-0,15 à -1,90 selon les études

Tatiana Andreyeva, Michael W. Long, Kelly D. Brownell, « The Impact of Food Prices on Consumption: A Systematic Review of Research on the Price Elasticity of Demand for Food», American Journal of Public Health, vol. 100, n° 2, février 2010

-0,79 pour les soft drinks (Etats-Unis)

Fabrice Étilé, Anurag Sharma, « Do High Consumers of Sugar-Sweetened Beverages Respond Differently to Price Changes? A Finite Mixture IV-Tobit Approach », Health Economics, vol. 24 n° 9, septembre 2015, pp. 1147-63.

-2,3 à la médiane, -0,2 pour le 95e quantile (Australie)

Tatiana Andreyeva, Keith Marple, Samantha Marinello, Timothy E. Moore, Lisa M Powell, « Outcomes Following Taxation of Sugar-Sweetened Beverages: A Systematic Review and Meta-analysis », Journal of the American Medical Association, 1er juin 2022

-1,59

Source : Mecss du Sénat, d'après les sources indiquées

4. Principales estimations de l'élasticité-prix de la demande dans le cas des aliments

Les méta-études relatives à l'élasticité-prix de la demande d'aliments sont également peu nombreuses. Les estimations sont habituellement entre -  0,5 et - 0,6.

Principales méta-études sur l'élasticité-prix de la demande des aliments

Référence

Élasticité-prix

Fabienne Femenia, A meta-analysis of the price and income elasticities of food demand, Working Paper SMART - LERECO n° 19-03, avril 2019

Généralement entre -0,5 et -0,6

Tatiana Andreyeva, Keith Marple, Timothy E. Moore, et al., « Evaluation of Economic and Health Outcomes Associated With Food Taxes and Subsidies - A Systematic Review and Meta-analysis », Journal of the American Medical Association, 1er juin 2022

Fruits et légumes : -0,59 pour les ventes mais -0,17 pour la consommation

Source : Mecss du Sénat, d'après les sources indiquées

TRAVAUX DE LA COMMISSION

___________

I. COMPTES RENDUS DES AUDITIONS PAR LA MECSS

Audition de Mme Stéphanie Martel, directrice des affaires externes
et gouvernementales, Philip Morris France, M. Benoît Bas, directeur
des affaires publiques et de la communication, Japan Tobacco International France, M. Vincent Zappia, responsable des affaires publiques, British American Tobacco France et M. Cyril Lalo, directeur
des relations extérieures, Imperial Tobacco Seita

(27 février 2024)

M. Alain Milon, président. - Nous nous réunissons aujourd'hui pour une table ronde avec des représentants de l'industrie du tabac, suivie d'une audition du président de la confédération des buralistes. Le 17 janvier dernier, la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss) a en effet chargé nos collègues Élisabeth Doineau et Cathy Apourceau-Poly de réaliser un contrôle sur le thème de la fiscalité comportementale dans le domaine de la santé. Ce contrôle, qui s'inscrit dans une réflexion sur les politiques de prévention en santé, portera sur la fiscalité du tabac, de l'alcool, des boissons sucrées ou édulcorées non alcoolisées et des aliments à faible qualité nutritionnelle.

Je précise que nos travaux font l'objet d'une captation télévisuelle, diffusée en direct sur le site du Sénat, puis accessible en ligne. Ils feront également l'objet d'un compte rendu public. Nous aurons donc tout d'abord le plaisir d'entendre Mme Stéphanie Martel, directrice des affaires externes et gouvernementales de Philip Morris France, M. Cyril Lalo, directeur des relations extérieures d'Imperial Tobacco Seita, M. Benoît Bas, directeur des affaires publiques et de la communication de Japan Tobacco International France et M. Vincent Zappia, responsable des affaires publiques de British American Tobacco France.

Madame, messieurs, merci de votre présence. Avant que les sénateurs présents ne vous interrogent, je vous invite à tenir un bref propos liminaire et je suggère que les interventions se déroulent dans l'ordre décroissant des chiffres d'affaires réalisés en France par vos sociétés respectives.

Mme Stéphanie Martel, directrice des affaires externes et gouvernementales, Philip Morris France. - Les chiffres que je citerai sont tous issus de données publiques. Comme vous le savez, l'objectif principal de la fiscalité comportementale est de peser sur le comportement du consommateur, en le dissuadant de consommer un produit nocif pour sa santé. À cet égard, l'objectif de collecte de recettes fiscales reste secondaire. Certes, les recettes sont utilisées pour couvrir les coûts de santé associés, mais, à terme, le but premier est bien d'éliminer la consommation d'un produit.

Appliquée au tabagisme, l'efficacité de la fiscalité comportementale s'apprécie donc à l'aune de la prévalence tabagique. Se demander si les taxes sur le tabac sont efficaces, c'est se demander si le nombre de fumeurs baisse. Force est de constater que c'est loin d'être le cas en France. De fait, les taxes sur le tabac n'agissent pas comme devrait agir une véritable fiscalité comportementale : sur les vingt dernières années, la prévalence tabagique des fumeurs adultes n'a baissé que de 5,5 points, passant de 30 % à 24 % de la population en 2022, tandis que les prix ont été multipliés par plus de trois sous l'effet des taxes. Par ailleurs, alors que le plan fiscal 2017-2020 a fait passer le prix du paquet de cigarettes de sept à dix euros, la proportion de fumeurs n'a baissé que de 1,4 point. Avec 12 millions de fumeurs quotidiens, la France est le pays d'Europe de l'Ouest affichant la prévalence tabagique la plus haute, malgré un niveau de fiscalité parmi les plus élevés.

Cette politique fiscale a par ailleurs engendré des inégalités sociales majeures. En vingt ans, la proportion de fumeurs a stagné, voire augmenté, dans les segments de population les plus modestes alors qu'elle a chuté chez les plus favorisés. Que l'on retienne le critère du revenu, de l'emploi ou du niveau d'éducation, les personnes les plus fragiles fument aujourd'hui en moyenne 1,5 à 2 fois plus que les catégories aisées. En 2022, 42 % des chômeurs fumaient contre 26 % des actifs. On trouvait 31 % de fumeurs chez les non-diplômés contre 16 % seulement chez les diplômés du supérieur. On observe là un effet contre-intuitif de la fiscalité, puisque ceux qui devraient être les premiers concernés sont finalement les derniers touchés.

La fiscalité du tabac en France est donc un échec, au sens où elle n'influe qu'à la marge sur le comportement des fumeurs. Cet échec a d'ailleurs conduit le Gouvernement à revoir à la baisse son ambition en la matière, l'objectif 2027 de prévalence tabagique ayant été remonté de 16 % à 20 % dans le nouveau programme national de lutte contre le tabac (PNLT). Or, selon l'OCDE, la prévalence tabagique en France se situera encore entre 22 % et 23 % en 2027 et entre 17 % et 19 % en 2050.

Si le nombre de fumeurs ne baisse que très lentement, le marché légal du tabac, lui, s'effondre. Selon les douanes, les ventes légales de cigarettes ont baissé de 28 % entre 2017 et 2022. Les fumeurs sont donc allés s'approvisionner ailleurs, hors du réseau des buralistes. En réalité, plutôt que d'inciter les fumeurs à arrêter la cigarette, les taxes les poussent à contourner le prix élevé du paquet légal en achetant des cigarettes de contrefaçon ou de contrebande, qui sont très accessibles et très bon marché. De fait, le marché parallèle explose. Le rapport d'information fait en 2021 par Éric Woerth et Zivka Park pour la commission des finances de l'Assemblée nationale mettait déjà en avant ce phénomène. Le rapport KPMG de 2022 indique que les cigarettes achetées hors du réseau des buralistes représentent désormais 40 % de la consommation totale en France, dont 32 % sont des achats illicites, pour moitié de contrebande et pour moitié de contrefaçon.

La France est aujourd'hui le pays d'Europe le plus touché par les trafics. À cet égard, il n'est plus de mise d'occulter le phénomène galopant et national de la contrefaçon et de rester focalisé sur les achats frontaliers. Le développement du marché illicite engendre des baisses de recettes fiscales - plus d'un milliard d'euros depuis 2021 -, dues non pas à l'efficacité de la fiscalité comportementale et à une baisse de la prévalence, mais bien à la bascule progressive des achats de cigarettes vers le marché clandestin. Les achats illégaux représentent une perte annuelle de revenus colossale pour l'État - 7 milliards d'euros non perçus en 2022 selon KPMG. L'approche fiscale actuelle est donc aussi un échec pour les recettes de l'État.

En minorant le phénomène de l'illicite et en occultant l'impact limité des hausses de taxes sur la prévalence, l'État justifie la poursuite des augmentations fiscales. Depuis plusieurs années, la direction de la sécurité sociale (DSS) présente ainsi aux parlementaires, lors de l'examen des projets de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), des prévisions de recettes exagérément optimistes. Depuis 2022, l'écart observé entre les prévisions et les recettes réelles est en effet d'environ 500 millions d'euros. Il devrait être du même ordre en 2024. Ce procédé répétitif questionne la fiabilité et la sincérité des informations fournies par les services de l'État à la représentation nationale.

La fiscalité du tabac en France n'atteint donc ni son objectif comportemental ni son objectif budgétaire. Comment dès lors sortir de cette spirale négative ? L'idée n'est pas de remettre en cause les deux impératifs du sevrage et de la non-initiation, mais de proposer des solutions aux 12 millions de fumeurs quotidiens tout en préservant les non-fumeurs. En fait, les taxes sur le tabac ont été érigées en pilier de la politique actuelle à un moment où seuls existaient les produits combustibles, qui sont tous nocifs. Ces taxes ont enfermé les fumeurs dans un choix limité entre cigarette légale au prix fort et cigarette illicite à bas prix.

Le marché offre désormais au consommateur une pluralité de produits alternatifs à la cigarette : cigarette électronique, tabac chauffé ou encore sachets de nicotine. Certes, ces produits contiennent de la nicotine. Ils sont donc addictifs et non sans risques. Mais ils se caractérisent par l'absence de combustion, qui, comme cela a été démontré dans de multiples études et avis indépendants, réduit drastiquement leur nocivité.

Dans ce nouveau contexte, les droits de consommation ont vocation à être repensés dans un cadre fiscal incluant l'ensemble des produits du tabac et de la nicotine. Il serait pertinent d'appliquer des niveaux de taxe différenciés en fonction de la nocivité des produits. La fiscalité des produits alternatifs en France est aujourd'hui incohérente. Le tabac à chauffer, par exemple, est quatre fois plus taxé que la moyenne européenne, tandis que la cigarette électronique n'est pas soumise à des droits d'accise alors qu'elle l'est dans dix-neuf états européens. Nous préconisons donc d'adopter un niveau modéré de taxe pour la cigarette électronique, qui n'est pas sans risque, et de revenir sur le plan de convergence fiscale du tabac chauffé, en le taxant significativement moins que les produits combustibles. Ainsi seulement, la fiscalité gagnera en efficacité et jouera vraiment un rôle comportemental.

Toutefois, une fiscalité différenciée ne suffira pas à changer les comportements si elle n'est pas accompagnée d'une information claire des fumeurs adultes sur la nocivité réduite des alternatives à la cigarette. Cette information factuelle doit être mise en place bien entendu sans y exposer les non-fumeurs, qu'il n'est pas question d'initier. Dans un même esprit de responsabilité, il faut repenser la distribution commerciale de ces produits et la régulation des arômes, afin de réduire leur attractivité auprès des mineurs.

Une telle évolution implique que les autorités de santé se prononcent sur les risques et bénéfices des alternatives sans combustion par rapport à la cigarette. Or ces avis officiels tardent à venir. L'an dernier pourtant, les parlementaires avaient appelé l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), au travers de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst), à publier rapidement de tels avis, selon le mandat que l'agence a reçu de la direction générale de la santé voilà cinq ans. Les élus recommandent aussi une approche de réduction des risques. Plusieurs pays, comme la Suède, la Nouvelle-Zélande ou le Royaume-Uni, ont vu leur nombre de fumeurs baisser très rapidement après avoir adopté cette politique.

En conclusion, la fiscalité du tabac en France est un échec, parce qu'elle pousse les fumeurs à consommer des cigarettes illicites sans les encourager à se tourner vers des alternatives sans combustion. Ces produits, pourtant disponibles, sont insuffisamment évalués par les autorités françaises, mal fiscalisés et mal connus des fumeurs adultes. Si la France veut rattraper son retard dans la lutte contre le tabagisme, elle devra s'inspirer des exemples étrangers pour établir un cadre réglementaire et fiscal fondé sur la science et différenciant les produits selon leur nocivité. Dans cette évolution, le Parlement a un rôle essentiel à jouer.

M. Cyril Lalo, directeur des relations extérieures, Imperial Tobacco Seita. - Je représente Seita, filiale d'Imperial Brands. Nous opérons en France sur le tabac et le vapotage et sommes le dernier acteur à disposer d'une usine en France, près du Havre. Depuis une dizaine d'années, nous sommes engagés dans une transformation de grande ampleur. Cela fait des décennies, en effet, que l'industrie tente de réduire la nocivité du tabac. C'est un fait établi : dès lors qu'il y a combustion, il y a nocivité. Tous les produits évitant la combustion - vapotage, tabac à chauffer, sachets de nicotine - présentent donc un intérêt dans une approche de réduction des risques. Notre société a d'ailleurs été la première dans le secteur traditionnel, en 2018, à tenter de démocratiser le vapotage au sein du réseau des buralistes, avec la marque Blu. Notre objectif en France est simple : accompagner le fumeur qui n'arrive pas à arrêter de fumer vers le vapotage.

Comme l'évoquait Mme Martel, la fiscalité comportementale n'est pas efficace d'un point de vue budgétaire, avec des recettes fiscales en baisse depuis 2022, voire 2021. Pour justifier les propositions de hausse fiscale qu'elle présente aux parlementaires, la DSS promet une hausse des recettes. Force est de constater que cette dernière n'a pas eu lieu. En 2023, par exemple, alors qu'on lui promettait 270 millions d'euros de recettes supplémentaires, l'État a en réalité perdu 170 millions d'euros comparé à 2022.

Au-delà, il faut également prendre en compte les pertes fiscales mentionnées par Gabriel Attal dès décembre 2022. Il est étonnant et malheureux d'entendre le ministre de l'économie et des finances annoncer une réduction des dépenses publiques d'environ 10 milliards d'euros cette année quand, dans le même temps, son homologue de la santé rappelle, dans les colonnes du journal de la Confédération des buralistes, le Losange, que le commerce parallèle du tabac entraîne pour l'État des pertes fiscales de 5 milliards d'euros.

D'un point de vue comportemental, la fiscalité du tabac n'est pas plus efficace. De 2017 à 2022, la fiscalité des cigarettes et du tabac à rouler a été respectivement augmentée de 50 % et 90 %. Pour quels résultats ? La prévalence tabagique stagne ou baisse très légèrement et, dans le même temps, les ventes légales ont chuté de 28 %, tandis que la population générale augmentait légèrement. L'équation ne peut fonctionner que si l'on prend en considération le marché parallèle, qui explose de façon terrifiante. En 2022, quatre cigarettes sur dix fumées en France ne provenaient pas du réseau des buralistes. Ce week-end, 17 tonnes de tabac de contrebande ont été saisies près d'Angers. N'oublions pas que durant le confinement de 2020, les ventes légales ont bondi en moyenne de plus de 25 % en France et jusqu'à plus de 283 % près des frontières, du fait de l'inaccessibilité du marché transfrontalier et de la contrebande.

Depuis plusieurs années déjà, nous demandons que l'État publie un rapport annuel examinant le marché du tabac dans son entièreté, en tenant compte du marché illégal. Cette connaissance globale est essentielle si l'on veut prendre des décisions fiscales pertinentes. En l'état, la fiscalité du tabac nourrit le marché parallèle et finance les réseaux criminels ; elle ne réduit pas sensiblement le nombre de fumeurs.

Vous nous interrogez sur les effets de l'augmentation déjà actée de la fiscalité du tabac. Je dirai : mêmes causes, mêmes effets. La poursuite de l'augmentation, jointe à la montée en charge de la filière environnementale des mégots, risque d'affecter le marché dans sa globalité. Si le rythme d'évolution du marché parallèle et de son corollaire, la baisse des ventes chez les buralistes, se poursuit, il y aura d'ici à cinq ans autant de tabac acheté sur le marché parallèle que chez les buralistes.

Enfin, Mme Martel évoquait les prévisions erronées de la DSS. J'ajouterai que dans la présentation qui a été faite à l'occasion du PLFSS pour 2022, il manquait un élément fondamental. Alors que le baromètre annuel de Santé publique France, habituellement publié en mai, était prêt en août, il n'a été publié qu'en décembre, soit après la fin des travaux parlementaires. Or, il rappelait que la prévalence tabagique n'avait pas sensiblement évolué depuis 2017, reconnaissant ainsi le mauvais fonctionnement de la politique fiscale. Il s'agit là d'une pratique douteuse gênante, qui n'a pas permis au Parlement d'avoir une vision complète du marché.

En conclusion, la fiscalité du tabac n'est plus efficace d'un point de vue budgétaire, elle n'est plus efficace d'un point de vue sanitaire et son seul impact, à ce rythme, pourrait se résumer ainsi : moins de ventes légales, moins de recettes fiscales et plus de marché parallèle. Nous offrons sur un plateau le marché du tabac aux réseaux criminels.

M. Benoît Bas, directeur des affaires publiques et de la communication, Japan Tobacco International France. - Force est de constater que la fiscalité comportementale sur le tabac n'atteint pas, ou très modestement, son objectif d'une baisse forte et durable de la prévalence tabagique. Les études de Santé publique France nous apprennent que malgré les fortes hausses de fiscalité qui sont intervenues par exemple entre 2003 et 2016 - 72 % d'augmentation pour le paquet de cigarettes -, la proportion de fumeurs est passée de 30 % à 29,4 % sur la même période. En 2019, la prévalence tabagique a légèrement baissé à 24 %, avant de remonter à 25 % en 2020. Elle est donc en stagnation depuis au moins vingt ans. Elle est aussi la plus élevée derrière la Turquie au sein des pays de l'OCDE, qui affichent une moyenne de 16 %.

Non seulement la fiscalité comportementale n'entraîne pas de changement majeur de comportement chez les fumeurs, mais elle s'accompagne d'effets pervers : stratégies de contournement et explosion du marché parallèle, baisses de recettes fiscales, accroissement du risque sanitaire ou encore creusement des inégalités sociales.

Le marché parallèle regroupe deux catégories : les achats légaux transfrontaliers, touristiques ou duty free d'une part, les achats illégaux - produits de contrebande ou de contrefaçon - d'autre part. Je rappelle que la contrefaçon viole les droits de propriété intellectuelle et occasionne d'énormes pertes pour l'industrie. Surtout, elle approvisionne le marché en produits particulièrement dangereux ne bénéficiant d'aucune traçabilité. Au sein des 40 % du marché global que représente aujourd'hui le marché parallèle, 15 % sont des produits de contrefaçon et 61 % des volumes de contrefaçon saisis dans l'Union européenne le sont en France !

Ces chiffres issus de l'étude annuelle KPMG sont confortés par ceux de la Confédération des buralistes. Pour ces derniers, la perte de chiffre d'affaires due à cette concurrence illégale est estimée entre 30 % et 40 % et 450 à 500 bureaux de tabac par an mettent la clef sous la porte. En 2020, la période de confinement avait mis en lumière ce phénomène de marché parallèle : les ventes légales avaient alors augmenté de 25 %, notamment du fait de la fermeture des frontières. Par ailleurs, une étude du cabinet Alvarez & Marsal (A&M) démontre que chaque augmentation de 10 % ou plus du prix du tabac se traduit par une augmentation d'environ 7 % du marché parallèle. Elle souligne également que les moyens alloués aux forces de l'ordre et aux douanes sont très amoindris lorsque la fiscalité demeure très élevée.

Le deuxième effet pervers est le dépassement du seuil fiscal optimal. Nous sommes classiquement en haut de la courbe de Laffer. La tendance à la baisse des recettes fiscales de l'État s'observe en effet depuis 2021. Entre 2021 et 2022, les droits d'accise ont chuté de près d'un milliard d'euros, passant de 14 à 13 milliards d'euros hors TVA. Quant à l'impact du marché illicite sur les droits d'accise, il serait situé entre 2,5 et 3 milliards d'euros selon le rapport d'information des députés Woerth et Park et entre 5 et 7 milliards d'euros d'après KPMG. En parallèle, les volumes de ventes légales chez les buralistes baissent en moyenne de 7 à 8 % par an et jusqu'à 30 à 37 % dans des régions frontalières comme la région Grand Est ou les Hauts-de-France. Les grands perdants de cette politique fiscale sont donc l'État français, les buralistes et les consommateurs, et les grands gagnants les groupes criminels.

J'en viens au risque sanitaire croissant et à l'absence de traçabilité dans la composition des produits de contrefaçon. Il y a six ans, la contrefaçon était quasi inexistante en France. Nous en sommes, je le répète, à 60 % des volumes saisis dans l'Union européenne. Depuis 2021, fait inédit, cinq usines clandestines ont été démantelées en France. Alors que la filière du tabac a mis en place une traçabilité de ses produits depuis l'usine jusqu'au consommateur, les produits de contrefaçon ne sont pas du tout tracés et contiennent des ingrédients dangereux.

Autre effet pervers, la dernière étude de Santé publique France met en évidence le creusement des inégalités sociales, avec un écart de 12 points de prévalence tabagique entre les plus bas et les plus hauts revenus, de 14 points entre les personnes non diplômées et les personnes diplômées de l'enseignement supérieur et de 16 points entre les chômeurs et les actifs. La fiscalité comportementale s'apparente donc aujourd'hui à un impôt régressif. Elle est profondément inégalitaire, car elle pénalise les populations les plus précaires. C'est un point très important.

La France est dans une situation paradoxale en ce qu'elle détient un triple record européen en matière de niveau de fiscalité, de prévalence tabagique et de taille du marché parallèle. Ce constat nous amène aux réflexions suivantes. Les États connaissant une baisse forte et durable de leur prévalence tabagique sont ceux qui ont mis en place une politique de santé publique fondée sur le triptyque information-éducation-incitation, avec un usage minimal de l'outil fiscal. L'Allemagne, classée en avant-dernière position dans une étude sur les pays les plus moralisateurs fiscalement, affiche pourtant un taux de prévalence tabagique de 15 % seulement. Une étude de l'Institut économique Molinari montre par ailleurs que l'innovation est un outil plus puissant pour agir sur les comportements que la hausse des taxes ou les interdits. Elle conclut qu'il faudrait, d'une part, appliquer une fiscalité et une réglementation distinctes, plus favorables pour les produits à risque réduit que pour les produits avec combustion, et, d'autre part, renforcer l'information des consommateurs sur les produits alternatifs à la cigarette et sur leur bon usage. Un cadre réglementaire spécifique pour ces produits protégerait en outre les consommateurs, le segment étant inondé de produits chinois très bon marché échappant à tout contrôle.

En conclusion, on pourrait croire que la fiscalité comportementale joue sur la prévalence tabagique. Au contraire, nous avons vu qu'elle était davantage punitive que comportementale. Sa principale conséquence est d'alimenter le marché parallèle, mais aussi de priver l'État de plusieurs milliards d'euros de recettes fiscales. Elle n'atteint pas son objectif, engendre de nombreuses externalités négatives, va à l'encontre même de la politique de santé publique : sortons de cette logique punitive pour aller vers une fiscalité incitative !

M. Vincent Zappia, responsable des affaires publiques, British American Tobacco France. - Nous sommes ici pour témoigner de l'efficacité ou de l'inefficacité de la politique de santé publique sur le tabac en France. Force est de constater que l'État a failli dans sa mission de libérer les gens du tabac. Si la politique de prix ne fonctionne pas, c'est tout simplement que le rituel du fumeur est plus fort. Le fumeur qui, le matin, après avoir emmené ses enfants à l'école et avant d'aller au travail se rend chez son buraliste ou chez son vendeur à la sauvette a ce rituel ancré en lui. Cela tombe bien : aujourd'hui, nous pouvons l'accompagner, en proposant des produits à faible risque, comme les produits de vapotage ou les sachets de nicotine, dans lesquels nous investissons massivement.

La nicotine n'est pas cancérigène. Ce n'est pas moi qui le dis, mais l'Institut national du cancer (INCa) et l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Si l'État se prive d'une réflexion autour de ces nouveaux moyens de consommation, il faillira dans sa mission de libérer les gens du tabac. Le PNLT a été très clair sur ce sujet, en demandant que l'on réfléchisse à un cadre réglementaire sur les nouveaux produits nicotiniques. Je vous y invite très vivement. La Suède a réussi, puisqu'elle affiche une prévalence tabagique de 5 %. Il en est de même du Royaume-Uni : alors que la prévalence y était semblable à la nôtre voilà quelques années, elle est aujourd'hui descendue à 12 %, grâce au vapotage.

Donnons-nous les moyens de libérer les gens du tabac ! Fixons un cadre réglementaire précis et une fiscalité adaptée. Accompagnons le fumeur sans lui demander d'aller en pharmacie ou ailleurs et laissons-lui son rituel. Ainsi, nous éviterons de tomber dans l'écueil qu'a représenté, pour le tabac, l'explosion du marché parallèle.

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Le sujet de la fiscalité comportementale revient de façon récurrente, à l'occasion de chaque PLFSS, ce pourquoi nous avons souhaité, au travers de cette mission d'information, parfaire notre connaissance en la matière. La littérature est abondante. Chacun peut se prévaloir de tel ou tel chiffre, mais dès le lendemain, d'autres avancent des chiffres différents, démontrant le contraire.

Notre objectif principal est, non pas d'accroître les recettes fiscales, mais bien d'améliorer la santé des Français. En tant que représentants de l'industrie, vous avez naturellement, comme les buralistes, d'autres objectifs, comme celui de vendre des produits alternatifs ou encore de lutter contre la fraude. Pour notre part, nous recherchons les moyens d'agir du mieux possible pour réduire la consommation excessive de tabac, d'alcool ou de boissons sucrées, responsable de nombreux décès.

Je vous ai écoutés et je m'interroge très fortement. Vous avez dit que la fiscalité comportementale était inefficace. Pourtant, des études réalisées après l'augmentation des prix des cigarettes ont montré que la consommation avait baissé, en particulier chez les jeunes générations. Il semble que dans la perspective d'une génération sans tabac, les actions menées dans le cadre des derniers PNLT aient été efficaces. Or ce n'est pas ce que j'ai senti dans vos propos.

J'entends bien que le marché parallèle s'est ouvert, que des produits de mauvaise qualité circulent et que la lutte contre la fraude doit être une priorité du Gouvernement. Je vous rejoins sur la nécessité d'une mise en cohérence de la fiscalité. Il faut aussi une meilleure coordination avec les pays voisins. En Grande-Bretagne, où le prix du tabac est élevé, la contrebande est plus faible qu'en France. Mais c'est une île. La France a beaucoup de pays frontaliers, sa situation est donc différente.

Les statistiques sur le nombre de décès varient selon la méthodologie. Santé publique France avance par exemple 75 000 décès liés au tabagisme en France en 2015 quand l'OCDE, qui prend en compte le fait que la disparition de la mortalité liée au tabac serait partiellement compensée par l'augmentation des autres causes de mortalité, estime le nombre de décès prématurés à environ 16 000 par an entre 2023 et 2050. Quel regard portez-vous sur ces chiffres et sur quelles sources vous appuyez-vous ?

Pourriez-vous par ailleurs nous donner des éléments sur le chiffre d'affaires que vos sociétés respectives réalisent en France ?

Enfin, quels facteurs expliquent selon vous le maintien en France d'un niveau élevé de prévalence tabagique comparativement aux autres pays d'Europe ? Peut-on vraiment considérer que les plans de lutte contre le tabagisme sont inefficaces ?

Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure. - Vous avez longuement parlé du marché parallèle. Certes, il existe. J'habite le Pas-de-Calais, un département proche de la Belgique, et je lis la presse. Je prends par ailleurs régulièrement le train à la gare du Nord. Je vois bien le trafic qui s'y déroule. Vous nous dites que la fiscalité n'est pas la solution, car elle ferait baisser les recettes de l'État. Mais Mme la rapporteure générale l'a dit : ce n'est pas l'objet essentiel de notre mission d'information. Vous nous dites aussi que les différentes augmentations de la fiscalité sur le tabac n'ont pas eu d'effets sur le nombre de fumeurs.

Quelles sont, dès lors, vos propositions ? Vos sociétés respectives mènent-elles des actions pour réduire la mortalité prématurée liée au tabac ? Quel regard portez-vous sur les mesures inscrites dans le dernier PNLT ? En un mot, quelles seraient vos recommandations pour faire baisser le tabagisme en France ?

Mme Stéphanie Martel. - Les différences de chiffres s'expliquent par des différences méthodologiques. Selon des chiffres de 2019 de l'Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT) publiés en 2022, les coûts seraient à peu près couverts dès lors que l'on prend en compte la TVA. Mais la dimension budgétaire n'est pas, en effet, la plus importante.

Une large communauté médicale d'experts a accumulé des preuves scientifiques conduisant au constat, partagé de par le monde, que la combustion du tabac est à l'origine de maladies tabagiques comme les cancers, les bronchopneumopathies chroniques obstructives (BPCO) ou encore les maladies cardiovasculaires.

Vous nous interrogez sur nos propositions. Aujourd'hui sont disponibles sur le marché des alternatives « sans combustion », moins nocives que la cigarette. Pour créer un cercle vertueux, il faudrait différencier leur traitement par rapport à la cigarette. Nous considérons que la fiscalité n'est pas comportementale aujourd'hui en France, car elle n'encourage pas les gens à arrêter de fumer. Elle peut d'autant moins fonctionner seule qu'existent toutes ces alternatives. La France affiche un niveau de prévalence très élevé, qui ne baisse que très lentement. En raison de fortes taxes, les prix sont élevés, ce qui rend le marché illicite extrêmement compétitif. À l'inverse, les alternatives ne sont pas compétitives ou ne sont pas encouragées. L'idée n'est pas de communiquer auprès des jeunes et des mineurs, mais auprès des fumeurs adultes, afin de les inciter à se tourner vers les alternatives. La fiscalité doit également jouer ce rôle. Elle doit surtout être accompagnée de mesures d'information et différencier les produits.

Prenons l'exemple de la Nouvelle-Zélande, dont l'ambition est d'atteindre une génération sans tabac en 2025. Faisant le constat que l'approche restrictive fondée sur des hausses de taxes était inefficace et aggravait les inégalités sociales, ce pays a complètement changé d'approche. Il a décidé d'encourager la réduction des risques, de mener des campagnes d'information et de différencier la fiscalité sur le vapotage et le tabac à chauffer. En l'espace de dix ans, la prévalence tabagique a été divisée par deux pour atteindre 8 %. À l'inverse, l'Australie, qui n'a pas suivi le même chemin, ne parvient pas à faire baisser sa prévalence.

En France, on constate certes par moments une corrélation entre la hausse des taxes et la baisse de la prévalence, mais cette baisse est très lente. L'OCDE projette un taux de prévalence de 22 % à 23 % en 2025, loin de l'objectif de 16 % annoncé pour 2027. Le fait que le Gouvernement ait remonté cet objectif à 20 % est peut-être, d'ailleurs, un aveu que la France ne peut pas être aussi ambitieuse qu'elle le voudrait. Selon l'OCDE, le taux de prévalence en France en 2050 restera de 17 à 19 %. Nous avons donc 25 à 30 ans de retard par rapport aux autres pays de l'OCDE. Les alternatives nicotiniques doivent être encadrées de façon à encourager l'arrêt de la cigarette.

M. Cyril Lalo. - Le chiffre d'affaires global de l'industrie est public. Il suffit de prendre les chiffres de ventes publiés par les douanes et de faire le calcul en appliquant le taux de fiscalité sur chaque type de produit.

En 2022, le chiffre d'affaires de la filière était d'environ 20 milliards d'euros. Dans le terme « filière », j'inclus cependant l'État - pour un peu plus de 17 milliards d'euros sous forme de taxes -, les buralistes - environ 2 milliards d'euros - et l'industrie - 1,2 milliard d'euros. Ainsi, quand les ONG antitabac affirment que nous faisons 20 milliards d'euros de marge, elles confondent marge et chiffre d'affaires, et ne citent pas le chiffre qui nous concerne.

Les différents plans mis en oeuvre auraient induit des changements de comportement... En réalité, le principal changement comportemental constaté est une démarche d'optimisation fiscale du consommateur ! Pour prendre un exemple absurde, mais qui relève du quotidien, imaginons deux boulangeries très proches l'une de l'autre, la première vendant la baguette à 10 euros, la seconde à 5 euros : au bout d'un moment, même si la baguette à 5 euros est moins bonne, le client finira par l'acheter. Dans un pays où les questions d'inflation et de pouvoir d'achat sont importantes, cela devient un réflexe. Il faut le savoir, un fumeur français découvrant le marché parallèle ne retournera jamais chez son buraliste ; il échappera alors aux politiques de santé publique.

Par ailleurs, le maintien de la prévalence tabagique à un niveau élevé s'explique par les différents éléments déjà évoqués. Effectivement, la France, pays européen où les prix du tabac sont les plus élevés, n'est pas une île. Dès lors qu'il est possible, au sein de l'Union européenne, de traverser rapidement une frontière pour acheter des produits deux fois moins chers, les gens le font. Les achats transfrontaliers de tabac ont créé une sorte d'appel d'air. On a commencé avec une contrebande de fourmis, puis le marché parallèle a suscité l'intérêt des réseaux de criminalité et, en parallèle, la contrefaçon a explosé. En 2017, le marché parallèle était constitué pour moitié d'achats transfrontaliers et pour moitié de contrebande. En 2022, la contrefaçon en représente encore 50 %, avec une surface de contact entre acheteurs et vendeurs à la sauvette qui s'est développée de façon ahurissante. Hier, il fallait traverser la frontière ; aujourd'hui, il suffit d'aller en bas de chez soi !

Manifestement, la fiscalité comportementale sur le tabac n'est plus la solution. M. Bas le disait très justement : du point de vue des recettes fiscales, nous avons dépassé le pic de la courbe de Laffer. Les chiffres annuels de Santé publique France sont par ailleurs incontestables.

Vous évoquez le succès des campagnes du PNLT. En la matière, la manifestation phare annuelle est le « Mois sans tabac », dont le nombre d'inscrits baisse d'année en année. Par ailleurs, la réduction de la prévalence tabagique observée en 2018 et 2019 est liée non pas à la politique fiscale, mais au développement du vapotage. Or, le vapotage qui était encouragé, à la fois, lors du « Mois sans tabac » et sur Tabac Info Service, ne l'est plus.

Dès lors, que peut-on améliorer ? Il faut surtout faire de l'information. Au Royaume-Uni, le National Health Service (NHS), l'équivalent de Santé publique France, a pris clairement fait et cause pour le vapotage, en multipliant les campagnes d'information, d'éducation et de sensibilisation. Dans le cadre du programme « Swap to stop » - « Changer pour arrêter », le Gouvernement a distribué plus d'un million de kits de vapotage à des fumeurs en leur disant : « Essayez, parce que ça marche ». Et en effet, cela fonctionne. Dès 2019, des études concluaient que le vapotage était plus efficace pour arrêter de fumer que les patchs nicotiniques. Rappelons que le premier ne coûte rien à l'État quand les seconds représentent plusieurs centaines de millions d'euros de remboursement. Là encore, il faut s'interroger et, probablement, changer de logiciel.

M. Benoît Bas. - Malgré les communications ambiguës laissant croire à une réduction du nombre de fumeurs, les hausses de fiscalité n'ont pas fait baisser la prévalence tabagique. Ce qui chute, ce sont les ventes dans le réseau légal : les fumeurs fument toujours autant ; ils vont simplement s'approvisionner ailleurs !

Que faire ? Je le redis, il faut encourager les alternatives au travers d'un cadre fiscal favorable et, surtout, renforcer la communication auprès des fumeurs sur la balance bénéfices-risques entre les différents produits. Au Royaume-Uni, l'agence Public Health England a mis en place des politiques de ce type, ainsi qu'un cadre fiscal adapté. Rappelons au passage que si les prix sont plus élevés au Royaume-Uni, le niveau de taxes y est de 60 %, contre 84 % en France. De plus, le caractère insulaire du pays facilite la lutte contre le marché parallèle. Il y a bien une corrélation entre, d'une part, la hausse de la fiscalité et, d'autre part, la hausse du marché parallèle et la baisse des ventes légales. En revanche, il n'y en a pas avec le niveau de consommation réelle dans le pays et la prévalence tabagique.

M. Vincent Zappia. - Madame la rapporteure générale, vous nous avez présentés comme des industriels du tabac, alors que nous sommes des industriels de la nicotine.

Nous l'avons compris, la finalité du fumeur est non pas le tabac, mais la nicotine. Nous avons donc investi massivement dans le vapotage et les sachets de nicotine. Pour libérer le fumeur du tabac, il convient de l'accompagner, en lui proposant des produits permettant d'arrêter de fumer. C'est le cas en Suède, pays qui possède la prévalence la plus faible pour la consommation de tabac et le cancer du poumon. L'Angleterre a également fait ce choix pragmatique.

Pourquoi n'allons-nous pas dans le même sens ? Des cadres réglementaires pour le vapotage et les sachets de nicotine permettraient de libérer le fumeur du tabac, tout comme la promotion par l'État de ces usages permettrait de faire baisser la prévalence tabagique.

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Vous évoquez une « libération » du fumeur. Pourquoi, dès lors, l'enchaîner à tous ces substituts, associés à des odeurs attrayantes ?

M. Vincent Zappia. - Il est très difficile de sortir de l'addiction du tabac. C'est la raison pour laquelle il faut proposer au fumeur, dans les bureaux de tabac, une alternative dont les risques sont réduits. Je le rappelle, la nicotine n'est pas cancérigène. Pourquoi se priver d'un produit non cancérigène permettant d'aider le fumeur ?

M. Cyril Lalo. - Les produits de vapotage des industriels présents autour de cette table ne sont pas concernés par les odeurs attractives qui viennent d'être évoquées. Certes, il y a depuis dix ans une variété des arômes de vapotage, mais rien qui soit lié à la confiserie. Les conditionnements visant directement les jeunes, par exemple faisant référence à des dessins animés, proviennent des États-Unis ou de Chine.

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Je pensais à des vapotages goût barbe à papa ou caramel.

M. Cyril Lalo. - Aucun d'entre nous ne vend de tels produits, qui n'ont rien à faire sur le marché. Nous avons tenté de faire cadrer ces phénomènes, mais le ministère de la santé nous a opposé une fin de non-recevoir.

M. Benoît Bas. - En tant qu'entreprises responsables bénéficiant de contrôles qualité et d'une fabrication au sein de l'Union européenne, nous jugeons nécessaire de mener une réflexion sur la vente de tels produits, que l'on peut trouver n'importe où - dans les supermarchés, sur internet. Pourquoi les buralistes, qui, en tant que préposés de l'État, doivent s'assurer que les mineurs n'achètent pas ces produits, n'en sont-ils pas les vendeurs exclusifs ?

Mme Stéphanie Martel. - La question peut être abordée sous un autre angle, si l'on s'intéresse aux arômes permettant au fumeur d'arrêter de fumer. Cela étant, il y a bien, liée à cette thématique des arômes, celle de l'attractivité auprès des mineurs. Selon nous, il convient d'éviter l'accès des jeunes à tous ces produits, ce qui met en jeu, à la fois, leur attractivité et leur accès. Nous serions favorables à la vérification de l'âge par contrôle de pièce d'identité, mais aussi par reconnaissance faciale, qui pourrait devenir un standard pour la distribution de ces produits.

Si la prévalence tabagique a baissé parmi les mineurs, la taxe n'est qu'un facteur parmi d'autres mesures liées à la prévention et aux restrictions d'usage de la cigarette. Nous sommes convaincus que la taxe comportementale, appliquée d'une certaine manière, fonctionne. Toutefois, elle doit être accompagnée d'informations.

M. Alain Milon, président. - Les premières connaissances médicales sur la dangerosité du tabac n'ont émergé qu'en 1947. Soyons donc modérés sur l'usage du vapotage ! Je pense notamment aux substances chimiques que celui-ci implique et dont on ne connaît pas encore les conséquences sur la santé.

À titre personnel, je n'approuve pas le discours consistant à dire que la nicotine n'est pas cancérigène, sans ajouter qu'il s'agit d'un produit addictif. Ce n'est pas un hasard si certains utilisent des arômes pour piéger les jeunes. En outre, la nicotine entraîne des problèmes cardiaques et tensionnels importants.

Mme Émilienne Poumirol. - Vous affirmez haut et fort - cela me gêne un peu - que la nicotine n'est pas cancérigène. Toutefois, le lien semble avoir été fait avec le cancer de la vessie. Par ailleurs, la nicotine a des effets cardiovasculaires. Elle provoque des maladies chroniques telles que les insuffisances cardiaques, les artérites et les accidents vasculaires cérébraux. Nous avons récemment interdit les puffs, dans lesquelles la quantité de nicotine est extrêmement élevée. Si les produits du vapotage contiennent de la nicotine, on peut penser que les effets cardiovasculaires seront les mêmes que ceux que nous connaissons aujourd'hui avec le tabac.

Sur le plan de la santé publique, nous ne gagnerons rien à remplacer la cigarette par le vapotage. Et je ne parle pas du coût des maladies que je viens d'évoquer pour le budget de la sécurité sociale !

Mme Stéphanie Martel. - De notre point de vue, la nicotine est addictive et n'est pas sans risque. Mais cela renvoie à la notion de sevrage et, en conséquence, au PNLT. Ce programme est très axé sur le sevrage, avec des outils comme le remboursement des substituts nicotiniques ou le « Mois sans tabac », que l'on ne peut qu'encourager, mais qui restent assez peu efficaces. Quant au paquet neutre, il a eu son efficacité en 2017, au moment de son entrée en vigueur. Mais les fumeurs s'y sont habitués et, alors que l'on pourrait utiliser le paquet comme support d'information sur la nocivité des produits, un paquet neutre pour toutes les catégories de produits équivaut à dire au consommateur que tout se vaut.

Le sevrage reste évidemment un enjeu prioritaire. Mais l'efficacité des outils étant limitée, nous estimons qu'il faut une approche complémentaire : dans la mesure où les fumeurs ont des profils différents, développer les alternatives sans combustion, c'est maximiser leurs chances d'arrêter de fumer. Ainsi, une fois le tabac chauffé adopté, 73 % des fumeurs ne reviennent pas à la cigarette.

Le nouveau PNLT reconduit les mesures de l'ancien et, sans revenir sur la question de la taxe, les mêmes causes produiront les mêmes effets. En outre, on ne peut que le déplorer, l'évaluation des produits est de nouveau rognée, le budget du fonds de lutte contre les addictions (FLCA) ayant été divisé par deux en trois ans. Or il y a, autour de l'émission de ces avis, un enjeu important : toute réglementation et toute fiscalité qui se veulent cohérentes et efficaces pour réduire la consommation de cigarettes en France doivent se fonder sur la science et les évaluations.

M. Vincent Zappia. - Mme la rapporteure générale nous a demandé ce que nous proposions pour réduire la prévalence tabagique et nous avons évoqué les mesures alternatives, telles que le vapotage et le sachet de nicotine, et leur promotion. J'ai l'impression, en écoutant les propos tenus, que l'on accorde une prime à l'immobilisme. Il est certain que, si on ne fait rien, la prévalence tabagique ne baissera pas, le commerce parallèle explosera et les recettes fiscales diminueront. Par ailleurs, mesdames, messieurs les sénateurs, puisque la nicotine a des effets cardiovasculaires, pourquoi n'interdisez-vous pas les patchs vendus en pharmacie ?

Mme Émilienne Poumirol. - Je n'ai absolument pas dans l'idée qu'il faut rester immobile. Je me suis simplement insurgée contre des affirmations selon lesquelles la nicotine n'est pas cancérigène et serait un produit banal. Oui, il faut changer les comportements, et ce en répétant que la nicotine est addictive et emporte des effets cardiovasculaires.

Du reste, je vous rejoins entièrement sur la nécessité d'évaluer les produits utilisés pour fabriquer les liquides de vapotage, car on en sait encore trop peu sur ce sujet. Comme l'indiquait Alain Milon, on s'apercevra peut-être dans vingt ans que certains produits chimiques employés, y compris en l'absence de nicotine, sont toxiques. Il serait donc utile d'avoir des évaluations scientifiques régulières sur ces questions. Nous pourrions ainsi mieux informer les consommateurs.

M. Cyril Lalo. - Madame la sénatrice, vous avez soulevé deux points importants.

D'une part, vous avez indirectement comparé les taux de nicotine contenus dans un produit de vapotage et dans une cigarette. Ces taux sont difficilement comparables. En effet, la nicotine inhalée par vapotage est absorbée par le corps de façon plus diffuse que lorsqu'il y a combustion, cette dernière demeurant, malheureusement, la manière la plus efficace d'obtenir un pic nicotinique.

D'autre part, vos observations rappellent qu'il existe sur le marché français des produits ne respectant tout simplement pas la loi sur le dosage maximal de nicotine dans les liquides. Ce problème, je le déplore, ne sera pas traité dans le cadre de la proposition de loi visant à interdire les dispositifs électroniques de vapotage à usage unique, dite puffs.

Vous avez raison : la nicotine est un produit addictif et il serait bien entendu préférable de respirer de l'air frais. Cependant, le vapotage, le tabac à chauffer et les sachets de nicotine apparaissent comme des outils réellement susceptibles de provoquer un changement de comportement chez les fumeurs.

M. Alain Milon, président. - Avant les prochaines interventions, permettez-moi de rappeler que votre rôle de représentants de l'industrie du tabac est de limiter le nombre de fumeurs et de personnes tombant malades, sans pour autant perdre des clients ou voir votre chiffre d'affaires diminuer. Je n'ai rien à y redire : d'un point de vue économique, cela se justifie pleinement. Mais l'objectif que nous visons de notre côté, en qualité de sénateurs, est à la fois que les gens fument moins, qu'il y ait moins de malades et que les jeunes ne tombent dans l'addiction. De ce point de vue, il est possible que nos rôles s'opposent...

Mme Pascale Gruny. - Je suis entièrement d'accord avec le président Milon : nous devons éviter que les jeunes ne tombent dans l'addiction au tabac, ou à toute autre substance.

Je souhaite vous interroger sur votre volume de ventes dans l'Union européenne, puisque vous commercialisez en France, au Luxembourg ou en Belgique les mêmes cigarettes. Avez-vous constaté une baisse de ce volume de vente ?

Vous avez indiqué que la consommation de cigarettes en France ne baissait pas, car les consommateurs se fournissent dans les pays frontaliers. J'ignore comment sont calculées ces statistiques, dès lors que les consommateurs ne déclarent pas leurs achats de cigarettes en franchissant la frontière à leur retour de Belgique, du Luxembourg ou d'Espagne.

Mme Annie Le Houérou. - Avez-vous évalué l'impact de la mise en place du paquet neutre ?

Par ailleurs, êtes-vous soumis à une obligation de déclaration de la composition de vos produits de vapotage ? En effet, l'origine de certains produits reste inconnue. Comment cette composition est-elle vérifiée ?

M. Cyril Lalo. - S'agissant de la composition des produits de vapotage, les ingrédients doivent être déclarés en ligne sur le point d'entrée électronique commun de l'Union européenne (PEC-UE), ce que nos entreprises respectives font systématiquement. En France, la liste de ces ingrédients est notifiée à l'Anses. Les ingrédients contenus dans nos produits déclarés sur la plateforme européenne sont donc connus. Encore faut-il que tous les fabricants en fassent de même, ce qui est une autre question...

S'agissant de l'entrée des jeunes dans le tabagisme à travers le vapotage, une étude de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) parue en 2020 concluait à l'absence d'effet passerelle du vapotage vers le tabac. Cette étude a été réalisée avant l'arrivée des arômes de type bonbon. C'est la raison pour laquelle Seita Imperial Tobacco tient à avancer sur ce sujet, en créant une relation de travail avec les parlementaires, le Gouvernement ou encore l'administration, de manière à réglementer le vapotage pour en faire un véritable outil de réduction des risques et du nombre de fumeurs. C'est un sujet que nous devons traiter.

Le paquet neutre a été mis en oeuvre au 1er janvier 2017, sans aucune évolution du prix avant le 13 novembre 2017, afin d'étudier l'effet de cette mesure. Celle-ci n'a eu aucun impact sur les ventes légales. Le paquet neutre a seulement cristallisé les parts de marché des fabricants : la marque la plus connue en a bénéficié.

M. Benoît Bas. - Japan Tobacco n'a pas relevé d'impact sur le comportement des fumeurs à la suite de la mise en place du paquet neutre et il n'existe aucune preuve d'un tel effet. Les pays ayant adopté la même mesure - l'Irlande, la Nouvelle-Zélande ou encore l'Australie - n'ont pas davantage constaté d'effet sur la consommation de tabac.

La baisse de la prévalence du tabagisme résulte effectivement d'un ensemble de mesures - plus incitatives que punitives, comme on l'a vu -, non de l'instauration du paquet neutre. Cette dernière découlait d'un postulat erroné, à savoir que le fumeur fait son choix dans le rayon du buraliste en fonction de la couleur du paquet. Or le fumeur, lorsqu'il est habitué à une marque de cigarettes, achète toujours la même, indépendamment du packaging.

M. Vincent Zappia. - Jamais au grand jamais nous ne ciblons les jeunes ! Les industriels du tabac ont été accusés d'avoir inventé les cigarettes jetables. C'est faux ! Je n'ai pas peur de nommer le premier acteur qui est arrivé sur le marché français avec des arômes et un marketing agressif à destination des jeunes : il s'agit de la société Liquideo, avec ses cigarettes jetables WPuff. Nous n'avons pas inventé les cigarettes jetables et il n'était pas question pour nous, à l'origine, d'en vendre ; nous avons seulement dû répondre à un marché.

Lorsque nous commercialisons un produit, nous formons les buralistes de manière très stricte ; si l'un d'entre eux se retrouve pris la main dans le sac, nous lui retirons nos produits. Cela a également été le cas avec les sachets de nicotine. De la même manière, l'accès à nos sites internet est conditionné par un double mécanisme de vérification de l'âge, qui s'appuie à la fois sur la carte d'identité et sur la reconnaissance faciale.

C'est un véritable procès qui a été intenté à mon entreprise et aux industriels classiques du tabac. Nous ne sommes pas responsables de ces dérives. Nous avons toujours demandé des cadres réglementaires et fiscaux pour éviter que les jeunes aient accès aux produits et pour aider les fumeurs à se libérer du tabac.

Mme Stéphanie Martel. - Je n'ai pas de chiffres précis sur la prévalence du tabagisme en Europe, mais la France fait aujourd'hui figure d'exception. La prévalence baisse dans les pays qui nous entourent, comme l'Allemagne, l'Italie ou l'Espagne. Nous pourrons vous communiquer des chiffres ultérieurement. Néanmoins, dans ces pays, la fiscalité sur le tabac est bien moins forte que celle de la France.

Pour rebondir sur les propos de Vincent Zappia concernant les jeunes, nous devons trouver une approche équilibrée, qui encourage les fumeurs à adopter une alternative moins nocive pour leur santé, tout en évitant l'exposition des mineurs au tabac.

De ce point de vue, nos entreprises suivent une approche responsable : leurs produits ne sont pas attractifs pour les jeunes et sont distribués dans des réseaux qui, en principe, sont eux aussi responsables. Néanmoins, un arsenal de mesures et de réglementations reste à mettre en place pour éviter l'accès des jeunes aux produits - sans pour autant en priver les fumeurs. Un compromis doit être trouvé entre ces deux impératifs, conformément à l'approche suivie par le rapport « Les nouveaux produits du tabac ou à base de nicotine : lever l'écran de fumée » de 2023 de l'Opecst. Votre ancienne collègue Catherine Procaccia, qui en était l'une des auteurs, s'était intéressée aux moyens de réglementer les arômes des cigarettes électroniques et les puffs, tout en insistant sur la nécessité de faire avancer l'évaluation des nouveaux produits en France, notamment par l'Anses.

La France est aussi isolée sur la question de l'évaluation. Dans les pays qui nous entourent, mais pas seulement - les États-Unis, le Japon, l'Allemagne, les Pays-Bas, le Royaume-Uni ou l'Italie -, les autorités de santé émettent des avis, font des revues de littérature et réalisent leurs propres études pour montrer que le tabac chauffé, le vapotage, les sachets de nicotine et le snus sont moins nocifs que la cigarette. Les évaluations varient selon les autorités, tous les produits n'étant pas systématiquement étudiés ; mais c'est en tout cas le travail que nous attendons de notre autorité d'évaluation des risques !

Mme Émilienne Poumirol. - Vous avez beaucoup insisté sur le fait que les produits de vapotage étaient distribués et contrôlés dans des circuits, et vous évoquez des bureaux de tabac. Or certaines boutiques sont spécialisées dans la vente de ces produits...

M Alain Milon, président. - Il y a beaucoup à dire sur ce sujet : à l'époque, j'avais proposé à la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, Marisol Touraine, que les produits de vapotage soient commercialisés par des boutiques situées dans les bureaux de tabac. Elle avait refusé.

Mme Émilienne Poumirol. - Ce que vous décrivez n'est donc pas la réalité. Je suis un peu étonnée de vous entendre dire que vous formez les buralistes pour qu'ils incitent leurs clients à se tourner vers le vapotage plutôt que vers le tabac. Pour ma part, j'achète mon liquide pour cigarette électronique dans une boutique ne vendant que des produits de vapotage.

M. Benoît Bas. - C'est la raison pour laquelle nous soutenons l'initiative du président Milon : il faut réserver la vente de ces produits - qui ne sont pas des produits comme les autres - à des professionnels du tabac et de la nicotine, afin qu'ils puissent être contrôlés par les douanes et les autorités de santé. C'est aussi un moyen de prévenir l'entrée des jeunes dans le tabagisme. Les supermarchés ou boutiques commercialisant à l'heure actuelle ces produits ne sont pas soumis aux mêmes contrôles ni aux mêmes contraintes que les bureaux de tabac.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de M. Philippe Coy,
président de la Confédération des buralistes

(27 février 2024)

M. Alain Milon, président. - Mes chers collègues, nous avons le plaisir d'entendre M. Philippe Coy, président de la Confédération des buralistes, sur la fiscalité des produits du tabac.

Je rappelle que ces auditions ont lieu dans le cadre des travaux de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss) sur la fiscalité comportementale dans le domaine de la santé. Nos collègues Élisabeth Doineau, rapporteure générale, et Cathy Apourceau-Poly ont en effet été chargées par la Mecss, le 17 janvier 2024, de réaliser un contrôle sur ce thème.

Cette audition fait l'objet d'une captation télévisuelle, diffusée en direct sur le site du Sénat, puis accessible en ligne.

M. Philippe Coy, président de la Confédération des buralistes. - Je suis très honoré d'être aujourd'hui parmi vous, car je crois que la Confédération des buralistes est auditionnée pour la première fois par votre commission sur le sujet de la fiscalité comportementale. Je vous sais gré d'écouter notre profession et j'estime, en tant qu'homme de dialogue, qu'il faut confronter les idées divergentes afin de contribuer au bien commun.

Je vous remercie donc de nous recevoir sur un deuxième créneau, au titre des distributeurs et non pas au titre d'émetteurs sur le marché. Les 23 000 buralistes que je représente sont des entrepreneurs, des hommes et des femmes qui exercent leur métier de débitant de tabac sur tout le territoire sur la base d'un traité de gérance. La Confédération des buralistes est l'organisation professionnelle représentative de ces 23 000 buralistes, avec un taux d'adhésion assez flatteur de 87 %.

Chargé de cette organisation depuis octobre 2017, j'exerce moi-même le métier de buraliste depuis vingt-trois ans dans les Pyrénées-Atlantiques, plus précisément dans la petite commune de Lescar, dans laquelle j'ai exercé un mandat d'élu jusqu'en 2020. Passionné de commerce de proximité, j'ai rejoint la famille des buralistes en 2000. Je précise que Lescar est située à 45 minutes de la frontière espagnole.

Cette proximité n'a pas douché mon ambition de devenir buraliste et de porter cette vision d'une profession qui est avant tout une profession de commerçant engagée sur tous les territoires, désireuse d'être utile au travers d'un plan de transformation que j'ai initié lors de mon arrivée aux responsabilités. Mon constat était qu'après des années difficiles, le réseau de buralistes disposait malgré tout d'opportunités : 10 millions de Français fréquentent chaque jour nos commerces, dont 42 % ne viennent pas pour acheter du tabac.

Au-delà des sujets préoccupants et prégnants du tabac, coeur de métier des buralistes, nous devions donc saisir toutes les opportunités dans le cadre de ce plan, signé dès 2018 avec le ministère des comptes publics. J'ai porté une vision non pas de combat, mais davantage de soutien et de mutation du métier de buraliste. L'évolution n'est en aucun cas synonyme de reniement : il s'agit de savoir s'adapter aux enjeux contemporains et aux contraintes réglementaires, ledit plan ayant été renouvelé en janvier 2022 pour cinq ans supplémentaires.

La première phase d'application, de 2018 à 2022, s'est avérée un succès puisque 4 426 entreprises, avec le concours des fonds publics, se sont engagées dans cette transformation visant à donner un nouvel élan à notre métier. L'un de nos objectifs consiste à atteindre un taux de 50 % d'entreprises transformées à l'horizon de 2027, en rappelant que la Confédération regroupe des indépendants et non pas des franchisés : son rôle consiste à faciliter la prise de conscience des professionnels quant aux responsabilités qui leur incombent en vertu des contrats de gérance, dont celles qui sont liées à la protection des mineurs.

D'ici à la fin de mon mandat en octobre 2025, je souhaiterais bâtir un meilleur encadrement des produits dits « sensibles » et notamment ceux qui sont liés à la nicotine. En effet, aucun cadre réglementaire n'existe actuellement pour cette substance alors qu'il vaudrait mieux anticiper. Ma démarche peut paraître surprenante aux yeux des autorités sanitaires ou de la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca), mais j'estime que solliciter un encadrement réglementaire relève d'une approche responsable. Nous avons d'ailleurs déjà joué le rôle de lanceurs d'alerte par rapport à des nouveaux produits arrivant sur le marché.

Les entrepreneurs que je représente, engagés au service d'une population, d'un territoire et d'un métier, expriment, à l'instar de leurs concitoyens, de nombreuses inquiétudes. Témoins du quotidien, les buralistes souhaitent être utiles et faire évoluer leur métier de débitant à commerçant d'utilité locale. En remplissant le rôle de relais essentiel du lien social et du bien-vivre ensemble dans les territoires, ils sont en quelque sorte « les plus près des plus éloignés ». Dans le cadre de ces évolutions du métier, nous devons tenir compte des contraintes sociétales et servicielles : le buraliste est en effet au service des populations et des territoires, son contrat de gérance impliquant des obligations auprès de la direction générale des finances publiques (DGFiP) - avec le paiement de proximité - et du service postal.

Nous ne sommes en aucun cas des opposants à la santé publique. Comme je l'ai expliqué aux quatre ministres avec qui j'ai été amené à travailler en six années de mandat, les manifestations des buralistes organisées dès 2003 ne visaient pas la politique de santé publique à proprement parler - nous devons tous en être les acteurs - mais la méthode choisie, à savoir une augmentation exponentielle de la pression fiscale. Le premier plan Santé adopté sous la présidence de Jacques Chirac avait abouti à une augmentation du prix du tabac de 40 % en octobre 2003, d'où des années difficiles et la fermeture de 10 000 établissements en l'espace de quinze ans, phénomène que vous avez pu observer dans vos territoires respectifs. La fermeture de ces commerces de proximité a souvent été un drame, tant ils pouvaient être l'âme d'un village ou d'un quartier. Mes collègues qui ont baissé définitivement le rideau n'étaient pas fautifs, mais n'ont pas eu le temps de s'adapter à un changement brutal.

En conclusion, nous souhaitons être des acteurs responsables et réactifs par rapport aux enjeux de société, dont la santé. Je signale que nous avions alerté les autorités à propos des dérives observées autour des puffs sur lesquels vous vous êtes prononcés récemment, en pointant leurs techniques de commercialisation et leur appropriation par un public trop jeune. Nous avons également soutenu la loi « Influenceurs » et travaillé avec la Mildeca comme avec l'Autorité nationale des jeux (ANJ) : acteurs du quotidien, nous sommes les mieux placés pour veiller à mieux protéger certaines populations des produits engendrant certaines dérives.

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Merci de nous apporter votre expertise concernant cette profession qui compte beaucoup dans nos territoires, le réseau des buralistes contribuant en effet au vivre-ensemble de par son maillage territorial. Pour autant, nous sommes avant tout attachés à ce que nos concitoyens vivent le plus longtemps possible en meilleure santé, alors qu'ils sont avant tout des clients pour votre profession.

Dans le cadre de cette mission d'information, nous souhaitons examiner les effets comportementaux de la fiscalité sur le tabac, démarche que nous élargirons à l'alcool, aux boissons sucrées et aux aliments gras ou sucrés susceptibles de favoriser des maladies.

S'agissant de votre Confédération, nous centrons nos interrogations sur le tabac, même si vous pouvez être amenés à vendre de l'alcool et des jeux, sujets que nous pourrions aborder en examinant l'ensemble des comportements addictifs. En résumé, nous souhaitons identifier les leviers permettant d'améliorer les comportements et d'éviter un certain nombre de décès prématurés.

Vous avez évoqué les nombreuses fermetures d'établissement, qui ne semblent pas exclusivement liées à la hausse du prix du tabac dans la mesure où la démographie et les comportements de nos concitoyens ont évolué. Nous sommes cependant conscients de la nécessité d'offrir la possibilité à une profession dont l'activité économique est affectée par une politique publique de trouver des voies d'adaptation. Pouvez-vous nous en dire davantage sur les 42 % de clients qui n'achètent pas de tabac ?

Par ailleurs, comment pourrions-nous, avec vous, mieux faire respecter la loi sur l'interdiction de la vente de tabac aux mineurs ? Certains d'entre eux se voient parfois accorder la possibilité d'acheter des cigarettes.

Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure. - Je suis particulièrement attachée aux buralistes, qui sont souvent le seul lien présent dans nos villages et dont le métier a énormément évolué. Quelle appréciation portez-vous sur la fiscalité du tabac telle que résultant de l'article 15 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 ? Quelles évolutions souhaiteriez-vous éviter ?

M. Philippe Coy. - Après le choc brutal de fiscalité survenu en 2003, dans le cadre d'une volonté très louable de préserver la santé publique et de faire diminuer la prévalence tabagique qu'aucun buraliste ne conteste, nombre de nos collègues ont eu des difficultés à s'adapter. La vente de tabac, l'essence même du commerce, représentait 80 % à 90 % des recettes des entreprises, le jeu et la presse étant des activités complémentaires.

Parallèlement, des changements dans les comportements sociétaux sont intervenus, ce que nous n'avons pas su anticiper. Nous avons sans doute été aveuglés par la colère liée au fait de voir nos clients non pas arrêter de fumer, mais arrêter d'acheter du tabac en France pour privilégier des pays voisins tels que la Belgique et l'Espagne. Privés du temps nécessaire à notre adaptation à ce nouveau contexte, nous n'avons pas vu qu'une partie de la baisse des volumes était aussi liée à un changement sociétal plus large, le tabac ayant régressé au sein de l'ensemble de l'Union européenne, comme j'ai pu le constater en tant que vice-président de la Confédération européenne des détaillants en tabac.

À la fois très forte et très rapide en France, la diminution des volumes n'a pas suivi les évolutions de la société. Les buralistes n'ont pas cru à la cigarette électronique lors de son arrivée quinze ans plus tôt, d'où une inadaptation du réseau à des clients qui souhaitaient abandonner une consommation de tabac onéreuse et nocive pour s'orienter vers des produits moins nocifs.

Pris dans la tourmente de la fiscalité, le réseau a été lourdement affecté, enregistrant une perte de volumes et de valeur. Sur le premier aspect, je rappelle que nous sommes un commerce de flux, chaque établissement accueillant en moyenne 450 clients à 500 clients par jour. Un client qui vient acheter du tabac en profite généralement pour acheter un jeu ou un journal, ce flux de fréquentation assurant l'équilibre économique de l'établissement. Nous avons connu un nombre élevé de fermetures en raison de la diminution de ce flux, que le plan de transformation vise à enrayer.

L'hémorragie qu'a représentée la fermeture de 10 000 entreprises a été un véritable drame, que notre stratégie semble avoir heureusement stoppé, même si le réseau reste fragile et si certaines entreprises sont portées à bout de bras par des collègues qui refusent d'abandonner.

L'enjeu de la protection des mineurs est bien évidemment essentiel. La Confédération ne nie pas l'existence de quelques erreurs très regrettables, et a constitué depuis 2019 un groupe de travail sur ce sujet pour sensibiliser - plutôt que vilipender - nos collègues. Je travaille avec des autorités telles que la Mildeca et avec des parlementaires afin de responsabiliser nos collègues, qui ont des droits et des devoirs. Le dernier protocole que j'ai signé avec le ministre des comptes publics conditionne d'ailleurs toutes les aides publiques au respect de la réglementation, toute infraction en matière de vente de tabac aux mineurs faisant perdre le bénéfice des dispositifs d'aide. J'ajoute que protéger les mineurs n'a parfois rien d'évident lorsque nous avons affaire à des jeunes très véhéments et qu'il n'est pas toujours aisé de se faire respecter.

En 2019, nous avons lancé une campagne de communication plus positive accompagnant l'affichage des interdictions réglementaires. Inspirée du modèle anglais, celle-ci a été menée au moyen de stickers indiquant « Si tu veux en acheter et que tu as l'âge requis, prouve ton identité », afin de responsabiliser le consommateur. Il nous fallait néanmoins aller plus loin, d'où la création en 2023 d'une plateforme de certification dénommée « Bob » (buraliste officiellement bienveillant), qui repose, je le concède, sur le volontariat. Afin d'adapter notre message aux jeunes, nous avons sollicité des écoles de marketing et retenu un projet inspiré par celui qui est mené en matière de prévention routière avec le chauffeur Sam. Le buraliste doit ainsi obtenir neuf sur dix en validant plusieurs modules en ligne - tabac, vape, alcool et jeux - pour recevoir ensuite un diplôme qu'il peut afficher dans son établissement, une partie des clients étant sensibles à ce geste responsable en faveur de la protection des mineurs.

Nous sommes donc pleinement engagés dans cette démarche, afin de responsabiliser les 23 000 buralistes et leurs 80 000 collaborateurs. J'ajoute que cet objectif de protection des mineurs ne suscite plus aucune contestation dans notre réseau, à tel point que nous avons accueilli des professionnels de santé lors des deux dernières éditions de notre congrès national, dont l'addictologue Jean-Pierre Couteron, venu animer une conférence sur les dangers que représente l'accès des mineurs à des produits tels que le tabac ou le jeu, ainsi que William Lowenstein, autre expert renommé. Je tiens à souligner la difficulté à trouver des intervenants en raison de la diabolisation dont nous sommes parfois l'objet, alors que nous ne pourrons pas adopter de bonnes pratiques sans échanger avec ces professionnels de santé.

Concernant la fiscalité, je ne dissimulerai pas ma contrariété. Dans la mesure où notre revenu est lié à une commission, on pourrait penser à première vue que l'augmentation du prix représentait une aubaine pour la profession, mais ce raisonnement théorique ne serait valable qu'avec des volumes de vente constants. Dans les faits, ces volumes ont fortement diminué en France durant les vingt dernières années, sans que la prévalence tabagique diminue dans les mêmes proportions.

L'outil fiscal ne s'est donc pas montré aussi vertueux qu'escompté en l'absence d'harmonisation européenne. En tant que buraliste à Lescar, comment voulez-vous que je me satisfasse d'un paquet à 12,5 euros dès lors que le consommateur peut l'acheter à 5,5 euros en passant la frontière espagnole à proximité, voire à 3,25 euros en Andorre ? L'effet dissuasif d'un prix élevé se voit ainsi neutralisé par ces moyens de contournement que les citoyens qui ne souhaitent pas arrêter de fumer ou qui s'orientent vers des produits moins nocifs utilisent largement. Cette pression fiscale a désormais atteint un sommet dans le déraisonnable, d'où la demande d'un moratoire sur la fiscalité que nous avons adressée au ministre de la santé. Nous ne pouvons pas courir en tête de l'Union européenne avec des voisins qui proposent des prix inférieurs de moitié : la France n'est pas une île.

En outre, le phénomène de la contrefaçon s'est développé depuis la pandémie. Je me souviens d'un message de la directrice générale des douanes, en 2020, m'indiquant qu'aucune usine de contrefaçon n'existait en France : elle s'était ensuite ravisée en précisant que ses services n'en avaient pas encore trouvé, avant que cinq usines soient découvertes et démantelées. L'une d'entre elles était installée dans la banlieue de Toulouse au fond d'un garage et fabriquait 1 500 cigarettes par minute.

Nous avons donc cassé le modèle de prévention et abîmé une profession, sans atteindre les objectifs fixés en matière de santé publique. Une fois encore, je ne prétendrai pas que fumer est bon pour la santé et ne réclamerai pas de retour en arrière, mais j'insiste sur le fait que la France ne peut agir seule. L'importance du phénomène de contrefaçon a encore été illustrée cette semaine, 17 tonnes de tabac contrefait ayant été saisies à Angers. Je tiens d'ailleurs à saluer le remarquable travail de l'administration des douanes, présente en permanence sur le terrain et dont les agents mettent parfois en péril leur intégrité physique.

Cette pression fiscale n'est donc plus supportable, à tel point que j'en viens à regretter la période 2003-2005. La situation des frontaliers que nous évoquions alors avec insistance semblait agacer tout le monde, seuls les primofrontaliers - des Pyrénées-Atlantiques, de l'Ariège, du Nord ou du Pas-de-Calais - étant alors concernés. Au sein même de la Confédération, personne ne comprenait alors le mal que nous dénoncions, mais nous sommes désormais tous frontaliers : dans les Côtes-d'Armor ou dans le centre de la France, les problèmes sont partout les mêmes, avec des bandes criminelles qui distribuent du tabac de contrefaçon. Il est même possible d'en commander via son smartphone et de s'en faire livrer.

Merci de m'avoir permis de vous alerter sur cette pression fiscale inadmissible, qui n'a pas atteint ses objectifs louables en matière de santé publique. Certes, la prévalence tabagique a diminué chez les jeunes, ce dont nous pouvons nous féliciter ; en revanche, les résultats ne sont pas au rendez-vous pour les Français les plus modestes et les femmes.

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Nous sommes bien conscients que d'autres leviers, tels que l'éducation et l'information, doivent être mobilisés aux côtés de la fiscalité.

Mme Solanges Nadille. - Comment voyez-vous l'avenir de vos commerces alors qu'il n'y aura probablement aucun retour en arrière sur la fiscalité ? Celle-ci représente une manne financière, même si elle est peut-être mal dirigée.

M. Philippe Coy. - Avec un mélange de sérénité et d'ennui. En ce qui concerne la fiscalité, les objectifs de collecte affichés dans le cadre des projets de loi de financement de la sécurité sociale ne sont plus atteints depuis quelques années. Si la hausse du prix du tabac venait conforter les revenus des buralistes, l'inquiétude ne serait pas de mise, mais nous observons depuis deux ans la conjonction entre une baisse des volumes et des valeurs négatives chez les buralistes. L'année dernière, les volumes comme les valeurs ont reculé de 7,5 %, une symétrie qui n'avait jamais été constatée jusqu'à présent et qui signifie que le rendement de la fiscalité est lui-même largement affecté.

Il serait bien sûr irréaliste de vous demander de faire marche arrière : solliciter un moratoire semble plus raisonnable afin de pouvoir organiser des politiques de santé publique. Pour y parvenir, j'estime que nous devrions faire preuve d'une ambition en termes de prévention et d'éducation qui fait à ce stade cruellement défaut. Souvent citée, l'Allemagne pourrait être une source d'inspiration, car ce pays a obtenu de véritables résultats avec une prévalence tabagique inférieure de 10 points à celle de la France. La publicité pour le tabac y était pourtant autorisée jusqu'à récemment, tandis que les prix y sont plus bas et que des distributeurs automatiques y sont accessibles. L'écart avec la France tient à l'existence d'une véritable politique éducative et de sensibilisation, dès le plus jeune âge.

Au cours d'une audition à l'Assemblée nationale, je m'étais interrogé sur la moindre ambition française dans ce domaine : si l'enjeu consiste à empêcher les jeunes d'entrer dans le tabagisme, une sensibilisation est nécessaire dès le plus jeune âge et non pas au moment de l'adolescence, à un moment où les amis peuvent exercer une influence. Trois ans plus tôt, j'avais écrit aux deux organisations de parents d'élèves afin de travailler avec elles sur ce sujet, mais mes courriers sont hélas ! restés sans réponse. Il est tout à fait possible de reprocher aux buralistes de vendre du tabac, mais je rappelle que ce produit est légal, et qu'aucune politique ne pourra être menée sans une mobilisation de l'ensemble des acteurs, qu'il s'agisse des parents d'élèves, de l'Éducation nationale, des professionnels de santé ou des parlementaires, sans stigmatiser inutilement une profession.

Nous avons cependant un avenir, qui passera par un approfondissement de notre plan de transformation : parmi les 4 426 collègues qui ont déjà opéré leur transformation, un sur deux a créé un emploi complémentaire, développé un nouveau flux de clients et augmenté de 20 % à 25 % son chiffre d'affaires connexe. Il s'agit bien de créer de la valeur ajoutée, non pas autour du tabac, mais autour de nouveaux produits de nouvelle génération, à la condition qu'un cadre réglementaire clair leur soit fourni.

Ayant participé récemment à la célébration des dix ans du monopole hongrois, instauré pour mieux maîtriser la distribution, j'ai pu échanger avec le directeur qui soutenait ma démarche consistant à demander un nouveau cadre réglementaire, les législations existantes étant débordées par l'arrivée de produits tels que les puffs ou les perles de nicotine.

L'horizon des buralistes se dessine également au travers du renforcement de leur rôle de commerce essentiel de proximité : ils peuvent prendre le relais de La Poste, voire celui des établissements bancaires en installant des distributeurs d'argent à leurs frais. Dans une logique similaire, le succès du paiement de proximité pour les impôts du quotidien a pleinement satisfait la DGFiP tout en facilitant la vie des usagers. Nous sommes donc utiles aux territoires, en complément et non pas en remplacement du service public.

Ces évolutions n'ont rien d'inné chez des commerçants indépendants, mais il me semble indispensable d'accomplir ce pas de côté pour assurer un avenir à notre profession, qui doit s'adapter aux nouvelles générations et aux nouveaux produits.

Mme Émilienne Poumirol. - Pensez-vous que les différents produits de vapotage devraient être vendus uniquement chez les buralistes ?

M. Philippe Coy. - Il existe plusieurs enjeux, dont l'un consiste à encadrer la nicotine non thérapeutique, la nicotine thérapeutique étant légitimement distribuée par les pharmaciens. La nicotine peut désormais être consommée de diverses manières, dont le vapotage, qui répond à des besoins sanitaires et économiques et semble avoir des vertus en l'état de la connaissance scientifique. J'ai du respect pour les entrepreneurs qui tiennent des magasins de vape et n'envisage pas de plaider en faveur d'une restriction de la vente des cigarettes électroniques aux seuls buralistes, même si l'Espagne a décidé d'adopter une loi en ce sens.

Il faudrait cependant s'assurer que tous les acteurs jouent avec les mêmes règles. À ce titre, je rappelle que les buralistes ne peuvent pas, dans le cadre d'une installation au sein d'une commune, se rapprocher d'un établissement de santé ou d'un établissement scolaire, une obligation qui ne s'applique pas aux magasins de vapotage. Les professionnels tenant ces établissements devraient quant à eux suivre les mêmes formations que les buralistes en matière de protection des mineurs. Trois jours de formation sont nécessaires pour devenir buraliste, dont un module d'une demi-journée consacré à la santé : commençons donc par remettre de l'ordre dans la réglementation.

Si ces deux canaux de distribution des cigarettes électroniques sont fiables, il n'est pas trop tard, par ailleurs, pour légiférer sur les produits de nouvelle génération qui se profilent, en posant le principe selon lequel tout produit contenant de la nicotine devra être distribué dans un canal identifié, sécurisé et contrôlé, à savoir le réseau des buralistes. Je parle bien de nicotine sous toutes ses formes, qu'elle soit naturelle ou non : de nouvelles cigarettes sans tabac, mais contenant de la nicotine de synthèse, pourraient être utilisées pour contourner la législation actuelle.

Selon moi, il vaudrait mieux anticiper afin de renforcer le monopole d'État et le réseau des buralistes, en leur accordant une certification de qualité leur permettant de distribuer toute nouvelle forme de nicotine, sans quoi nous risquons de passer notre temps à courir après des produits toujours plus innovants. J'ajoute qu'une telle orientation apporterait de la considération aux buralistes, chargés de vendre des produits à base de nicotine pour le compte des pouvoirs publics.

M. Alain Milon, président. - Je suis complètement d'accord avec vos dernières propositions. Je vous remercie.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de MM. Thomas Gauthier, directeur général de la Fédération française des spiritueux, Jérôme Volle, vice-président de la FNSEA,
Jérôme Perchet, président de la Fédération française des vins d'apéritif,
Samuel Montgermont, président de Vin & Société (en téléconférence),
et Mme Magali Filhue, déléguée générale de Brasseurs de France

(19 mars 2024)

M. Alain Milon, président. - Nous nous réunissons aujourd'hui pour une table ronde avec des représentants des producteurs de boissons alcoolisées. Ces auditions se placent dans le cadre des travaux de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss) sur la fiscalité comportementale dans le domaine de la santé. Nos collègues, Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale, et Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure, ont été chargées par la Mecss, le 17 janvier 2024, de réaliser un contrôle sur ce thème.

Ce contrôle, qui s'inscrit dans une réflexion sur les politiques de prévention en santé, portera sur la fiscalité du tabac, de l'alcool, des boissons sucrées ou édulcorées non alcoolisées et des aliments dits « à faible qualité nutritionnelle ». Il nous a semblé important, dans un souci de transparence, que les auditions des représentants des différents secteurs soient publiques. Nous avons déjà entendu les industriels du tabac et la confédération des buralistes le 27 février dernier, et nous entendrons les producteurs de boissons sucrées et de produits alimentaires le 2 avril prochain. Comme le prévoit l'usage, ces auditions publiques n'empêchent pas les rapporteures de mener leurs propres auditions, qui sont nombreuses.

Nos travaux de cet après-midi font l'objet d'une captation vidéo, diffusée en direct sur le site du Sénat, puis accessible en ligne ; ils feront également l'objet d'un compte rendu public. Nous avons le plaisir d'entendre M. Jérôme Volle, vice-président de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), M. Thomas Gauthier, directeur général de la Fédération française des spiritueux, Mme Magali Filhue, déléguée générale de Brasseurs de France, M. Jérôme Perchet, président de la Fédération française des vins d'apéritif et, en visioconférence, M. Samuel Montgermont, président de Vin & Société.

M. Thomas Gauthier, directeur général de la Fédération française des spiritueux. - Composé à 95 % par des petites et moyennes entreprises (PME), notre secteur constitue la première filière de l'Union européenne (UE) en termes de valeur créée et de diversité des productions. Il dégage un chiffre d'affaires de 13 milliards d'euros, avec un PIB induit de 17 milliards d'euros et, à l'export, grâce au vin, c'est le deuxième ou troisième solde positif - à hauteur de 15 milliards d'euros - de la balance commerciale française. Selon une étude réalisée par le cabinet indépendant Utopies, le secteur compte 151 600 emplois, soit un emploi direct pour 12,7 emplois indirects ou induits.

Le lien avec l'agriculture est très important dans la mesure où nous transformons 4 millions de tonnes de matières agricoles françaises, c'est-à-dire à peu près autant que la viticulture. Un historique très ancien de contractualisation poussée valorise la matière agricole que nous utilisons.

Sur le plan économique, nous subissons actuellement un effet de ciseaux avec, d'une part, un cycle économique très mauvais et, d'autre part, une explosion de nos coûts de production. Au niveau du marché intérieur, les chiffres témoignent d'un début d'année catastrophique pour les grandes et moyennes surfaces (GMS), avec une baisse de 8 % en volume - un pourcentage qui n'avait pas été atteint depuis longtemps - ; après une baisse de 5 % en 2023 et de 5 % en 2022. On constate une accélération de la baisse de la consommation de nos produits depuis quelques années.

Phénomène relativement nouveau, on observe également une chute de nos exportations en 2023, de l'ordre de 12 % en volume et un peu plus en valeur, notamment au niveau du marché américain - notre premier marché -, qui enregistre une baisse de 20 %.

Par ailleurs, l'explosion de nos coûts de production, combinée à de mauvaises négociations commerciales, entraîne une importante baisse des marges pour 95 % de nos entreprises. Selon une enquête menée en partenariat avec la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), 44 % de nos entreprises ont connu une baisse de leur chiffre d'affaires pour le dernier exercice. On observe une fragilisation financière, avec une baisse de la trésorerie pour 63 % d'entre elles.

En termes de santé, on note une baisse de 60 % en soixante ans de la consommation moyenne de boissons alcoolisées. La consommation quotidienne s'établit à 8 %, contre 25 % dans les années 1990. Aujourd'hui, 60 % des Français consomment moins d'une fois par semaine une boisson alcoolisée. Ces tendances lourdes s'accélèrent aujourd'hui. De même, les alcoolisations ponctuelles importantes (API), notamment chez les jeunes, se sont réduites de 32 % en six ans.

De manière générale, on constate une évolution sociétale de la consommation des boissons alcoolisées ; cette tendance s'inscrit dans la durée. De notre côté, si nous condamnons sans ambiguïté la consommation nocive, nous défendons l'idée d'une consommation modérée et raisonnable, préservant la convivialité si importante dans notre société. Pour cela, nous développons une offre permettant de consommer moins mais mieux, que l'on appelle également « premiumisation ».

Les pratiques de baisse de consommation les plus structurelles sont inscrites dans les habitudes et les évolutions sociétales. Nous devons davantage cibler les poches de consommation nocive, qui induisent des comportements à risque. En tant que secteur, nous sommes responsables de la situation et nous faisons déjà partie de la solution.

Mme Magali Filhue, déléguée générale de Brasseurs de France. - Notre syndicat représente environ 98 % de la production brassicole française. Notre secteur a vécu une période atypique. En effet, à partir des années 2000, beaucoup de micro-brasseries ont vu le jour sur l'ensemble du territoire. Il existait une trentaine de brasseries dans les années 1980, contre 2 500 aujourd'hui, à la fois sur le territoire métropolitain et dans les départements et régions d'outre-mer (Drom). Ce phénomène des « crave-beer », apparu dès les années 1990 aux États-Unis, s'est développé en France.

Nous sommes le premier pays en nombre d'entreprises, mais le dernier - avec la Grèce - en termes de consommation de bière, loin derrière l'Allemagne ou la Belgique. Nous sommes, avant tout, un pays de tradition vitivinicole. À la différence de la filière des spiritueux, l'exportation constitue une part assez minime de notre marché ; notre production et notre consommation s'avèrent essentiellement françaises.

Cependant, nous subissons la diminution structurelle de la consommation d'alcool ; l'année dernière, notre marché a connu une baisse de 4,5 %. Nous ne disposons, à ce jour, que des chiffres pour les GMS ; bientôt, nous aurons ceux de la consommation hors domicile (CHD), qui risquent d'être atones, voire négatifs ; or, ce dernier marché représente le tiers du marché total de la filière brassicole.

Cette diminution de la consommation a des effets immédiats. On observe ainsi une fragilité structurelle de nos entreprises, avec, pour la première fois cette année, un nombre de fermetures supérieur au nombre d'ouvertures. Actuellement, plus d'une soixantaine d'entreprises se trouvent devant le tribunal de commerce, et nous recensons plus d'une centaine de fermetures volontaires. La fragilité du marché des micro-brasseries est due à la baisse de la consommation, mais aussi à une forte augmentation du coût des intrants ; je pense notamment au verre, dont l'augmentation du coût est liée à celle de l'énergie. Nous subissons à la fois l'augmentation du prix de nos matières premières, que celles-ci soient industrielles ou agricoles, et de nos coûts directs, comme celui de l'énergie.

Pour faire de la bière, quatre ingrédients sont nécessaires : l'eau, l'orge, le houblon et la levure. La France est, avant tout, un pays d'orge brassicole ; une bière sur cinq dans le monde est brassée avec de l'orge ou du malt français. Notre performance s'explique par un travail en filière, notamment concernant les recherches et le développement. La filière de l'orge est ainsi très structurée, « de l'épi au demi », comme on dit. En 2020, nous avons lancé une interprofession autour du houblon, afin de relancer une filière qui éprouve des difficultés depuis la crise des années 1980.

Au sujet de la prévention, nous disposons, au niveau à la fois de nos fédérations et de nos entreprises, d'un programme de lutte contre toute consommation à risque - consommation excessive d'une part, et, lorsqu'il s'agit de conduire ou lors d'une grossesse, inappropriée d'autre part. Depuis trente ans, notre secteur est engagé dans l'association Avec modération, qui réunit brasseurs, producteurs de spiritueux et producteurs de vins d'apéritif, puis dans l'association Prévention et modération, sur laquelle nous reviendrons sans doute ultérieurement. À l'appel du Président de la République, nous avons déposé un programme de prévention en 2017.

M. Jérôme Perchet, président de la Fédération française des vins d'apéritif. - Notre fédération existe depuis plus de cinquante ans et rassemble 33 entreprises au sein de trois syndicats : le Conseil national des vins aromatisés, qui représente les producteurs et les distributeurs de produits vitivinicoles aromatisés ; le syndicat français des vins mousseux, qui rassemble les producteurs et distributeurs de vins mousseux sans indication géographique (IG) ; et le syndicat des grandes marques de porto. La plupart des grandes maisons de porto sont la propriété de groupes français, et les Français sont, traditionnellement, les plus nombreux consommateurs de porto au monde. Voilà pourquoi notre fédération compte parmi ses membres les marques de porto.

C'est le vin, en premier lieu, qui nous fédère. Tous les produits représentés par la Fédération française des vins d'apéritif (FFVA) sont élaborés à partir de vins, et les vins d'apéritif nécessitent la mise en oeuvre d'environ 20 000 hectares de vignes en Europe. La FFVA représente environ 3 000 emplois directs en France. Exportateur, le secteur des vins d'apéritif contribue à l'excédent commercial de la balance des paiements. Environ 50 % des vins mousseux sans IG et 60 % des vins aromatisés sont exportés ; ces derniers ont vu la valeur de leurs exportations augmenter de 3,5 % en 2023.

En revanche, en France, la consommation de nos produits est en baisse. Entre 2013 et 2022, la consommation des vins d'apéritif a diminué de 22 % en volume (- 11 % pour la catégorie des vermouths, - 28 % pour celle des portos, et - 23 % pour celle des vins mousseux sans IG).

La principale activité de notre fédération consiste à apporter un support réglementaire à nos adhérents. La FFVA, attachée à la promotion d'une consommation responsable de boissons alcoolisées et à la prévention contre les comportements à risque, est membre fondateur de l'association Prévention et modération.

Concernant la taxation des produits alcoolisés, nous pensons que l'augmentation du prix de nos produits, ainsi que ceux des autres boissons alcoolisées, n'est pas la bonne manière d'atteindre l'objectif de baisse des consommations à risque ou abusives. L'élasticité-prix pour les consommateurs à risque de boissons alcoolisées nous paraît faible, voire très faible. En conséquence, une augmentation du prix des produits alcoolisés par la taxe ou un mécanisme de prix minimum aurait, selon nous, très peu d'impact sur le comportement des populations à risque. En outre, cela pourrait conduire les catégories sociales les plus défavorisées à réaliser des arbitrages au détriment d'autres biens et services alimentaires ou sanitaires. Il nous semble, en revanche, que le renforcement des plans de prévention devrait être une priorité, et nous sommes disponibles pour y travailler.

M. Samuel Montgermont, président de Vin & Société. - Notre association regroupe l'ensemble de nos interprofessions régionales ainsi que nos métiers, c'est-à-dire l'intégralité de la filière vin. En termes d'efficacité sur la consommation de vin, la fiscalité comportementale n'a pas eu d'impact, dans la mesure où celle-ci n'a pas évolué. Or, en soixante ans, nous avons perdu 70 % de notre consommation. Aujourd'hui, 90 % des Français boivent moins de dix verres d'alcool par semaine, et 80 % d'entre eux boivent moins de deux verres. Chez les jeunes, les principaux indicateurs sont également à la baisse. Enfin, la proportion d'alcoolodépendants en France a été divisée par deux entre 2000 et 2016. Sans cette fiscalité comportementale, nous avons assisté à une déconsommation généralisée, que l'on pourrait qualifier de sociétale.

Concernant la consommation des buveurs excessifs, comme le montre l'exemple écossais, la fiscalité comportementale ne produit aucun effet ; il s'agit d'une fausse bonne idée, inefficace face aux enjeux sanitaires.

La filière viticole connaît aujourd'hui une crise profonde. De manière conjoncturelle, les marchés s'avèrent plus complexes et plus tendus à développer. À un niveau plus structurel et propre à la filière viticole, la déconsommation que nous subissons s'accélère ; cela entraîne une surproduction, avec aujourd'hui 100 000 hectares de vignoble que nous nous apprêtons à arracher. La situation économique de la viticulture est donc très fragilisée.

Nous avons pour habitude, au travers de la marque France, de porter haut et fort les valeurs de la viticulture. Il convient aujourd'hui de cultiver et de préserver ces valeurs. La fiscalité comportementale ne nous permet pas de sauvegarder notre capacité de production. Si l'on ajoutait à cette déconsommation une fiscalité comportementale, ce n'est pas 100 000 hectares que l'on devrait arracher pour recalibrer notre production, mais probablement le double ou le triple ; pour vous donner une idée, il faudrait alors supprimer l'équivalent de trois fois le vignoble de la vallée du Rhône.

D'un côté, notre filière viticole s'avère, aux yeux d'un certain nombre de nos gouvernants, une valeur forte de la marque France, témoignant de notre culture et de notre patrimoine ; et d'un autre, alors que l'on souhaite développer nos exportations, nous stigmatisons ce produit, qui n'est pas traité comme il devrait l'être, c'est-à-dire en insistant sur l'éducation, la formation et la promotion de la consommation responsable.

Dans le cadre de nos filières, nous avons gagné la bataille de la modération. La baisse de la consommation que nous avons connue, à hauteur de 70 % en soixante ans, est aussi le résultat des politiques menées, et nous en sommes fiers. En revanche, si l'on ajoutait de la complexité, l'avenir de la filière viticole s'annoncerait très sombre ; et je n'aimerais pas que, dans dix ans, on se demande ce que l'on a fait.

M. Jérôme Volle, vice-président de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles. - C'est en tant que représentant des vignerons français que notre fédération participe à cette table ronde. La FNSEA s'est beaucoup investie dans l'éducation des consommateurs, notamment dans la lutte contre la consommation excessive d'alcool. En 2021, notre réseau s'est impliqué dans la campagne « Un bon vin se sert avec tout, avec modération surtout », à destination du grand public et aussi des plus jeunes. L'idée était de communiquer, à partir d'une approche culturelle, sur la manière de déguster le vin, en ouvrant sur la richesse de notre gastronomie et de nos terroirs ; cette campagne soulignait le lien entre vin, alimentation et modération.

La filière vitivinicole représente aujourd'hui 440 000 emplois directs et indirects. Elle est présente sur quasiment tous les territoires ; certains, qui n'avaient pas de filières, sont en train d'investir dans des plantations de vignes, ce qui montre bien le dynamisme rural. Beaucoup d'exploitants vivent de la filière vitivinicole, notamment dans des régions où il y a peu d'autres productions. La taille moyenne d'une exploitation reste familiale ; elle s'établit autour de sept hectares de vignes, avec des systèmes coopératifs très développés. Par ailleurs, le secteur se situe en troisième position des contributeurs à l'excédent commercial, avec 59 milliards d'euros de la vigne au verre et, si l'on compte l'ensemble des intermédiaires et toutes les taxes, 92 milliards d'euros pour la filière. Je rappelle que la France est également le premier producteur d'orge brassicole de l'UE.

Dans un contexte inflationniste, le marché des vins et spiritueux a connu une hausse des prix en 2022. La tendance est à la déconsommation des produits en France. En revanche, on observe une hausse des ventes à l'exportation, à hauteur de 10,8 % en 2022. Cela s'explique par la levée des restrictions tarifaires, notamment celle des États-Unis, et par des vendanges particulièrement réussies, avec de bons millésimes. Sous l'effet de l'inflation, les coûts de production du secteur augmentent, avec un fort impact économique sur notre filière.

L'année 2024 sera marquée par la crainte d'une récession économique au niveau mondial. Concernant la production viticole, on appréhende une réduction des enveloppes de la nouvelle politique agricole commune (PAC), ainsi que la poursuite de la vague inflationniste avec ses effets sur la consommation des ménages. Enfin, la loi Descrozaille ou Égalim 3 a pour objectif de renforcer le pouvoir de négociation des industriels face à la distribution.

Concernant les tendances de consommation, on prévoit des produits plus éthiques, avec moins d'alcool ; de plus en plus, nous expérimentons des vins désalcoolisés, ou avec moins d'alcool. Notons également comme autres tendances pour l'année qui vient la « premiumisation », c'est-à-dire la montée en gamme des produits, et la poursuite de la communication pour une consommation modérée du vin.

En période de forte inflation, une augmentation de la fiscalité pénaliserait le pouvoir d'achat des consommateurs, en particulier des moins aisés. Les spiritueux sont les premiers contributeurs aux rentrées fiscales liées à l'alcool en France, avec 72 % de la collecte pour seulement 24 % des volumes d'alcools purs consommés. Si la fiscalité venait à augmenter, cela aggraverait une situation économique déjà très dégradée pour notre secteur.

En matière d'alcool, la France dispose d'un cadre légal et réglementaire parmi les plus protecteurs d'Europe, concernant aussi bien l'alcool au volant, l'accessibilité des boissons alcoolisées, le système de licence de vente, les taxations, les restrictions de la publicité dans le cadre de la loi Évin, la réglementation stricte pour l'affichage, les informations au consommateur. S'il fallait aller plus loin, nous pourrions concentrer nos efforts sur deux aspects : l'éducation du consommateur, en l'informant sur les risques liés à la consommation excessive ; et la prévention, via notamment la promotion des repères de consommation à moindre risque, définis par Santé publique France.

Si l'on souhaite prévenir les conduites à risque, nous devons collectivement nous interroger sur les causes poussant un grand nombre de nos concitoyens à recourir à des substances addictives ou psychotropes, avec les conséquences dramatiques que cela entraîne. La problématique relève de la santé publique plutôt que de la taxation de l'alcool et des vins.

M. Alain Milon, président. - Notre domaine d'évaluation est la santé. Chaque année, nous regardons en détail le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) et nous constatons que, régulièrement, les dépenses de santé liées au sucre, à l'alcool et au tabac sont en augmentation. Or nous ne disposons plus des recettes nécessaires pour mettre en oeuvre la politique de santé publique sur le territoire national.

Par ailleurs, nous observons une augmentation du nombre de personnes souffrant du diabète et développant des cancers en relation avec la consommation de tabac et d'alcool. Cette situation n'est pas liée à la fiscalité. L'idée n'est donc pas d'augmenter la fiscalité, mais de trouver des solutions susceptibles de permettre à nos concitoyens d'apprécier vos produits, tout en protégeant leur santé ; tel est l'objectif de cette table ronde.

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - L'objectif de notre réunion n'est pas d'aboutir à une proposition de loi visant à augmenter la fiscalité comportementale. Chaque année, il s'agit pour nous d'évaluer la performance de la dépense sociale. Comme vous le savez, le déficit le plus important concerne l'assurance maladie. Je n'ai pas l'impression que chaque citoyen soit conscient de n'avoir qu'une vie et qu'il doive la protéger du mieux possible. Nous observons des comportements excessifs, éloignés d'une consommation modérée et de la convivialité ; cela est valable pour l'alcool, le tabac, ainsi que pour certains produits alimentaires.

Pouvez-vous préciser la part des dépenses consacrée chaque année aux actions de prévention, notamment dans le cadre de l'association Prévention et modération ? Peut-on augmenter cette part ?

Les taxes ne sont pas responsables de la baisse structurelle que l'on observe dans notre pays ; cette baisse s'explique par des évolutions sociétales. Pour autant, les taxes ne peuvent-elles pas contribuer à réduire certains comportements excessifs ? Certains parmi vous ont alerté sur le fait que cela pénaliserait les populations moins aisées ; faut-il alors les laisser consommer ? Aujourd'hui, 10 % de la population consomment 58 % du volume total ; je relève une contradiction entre, d'un côté, votre volonté de ne pas baisser le volume de consommation, et, d'un autre côté, les conséquences inévitables d'une réduction des consommations excessives sur ce volume.

Je ne veux pas stigmatiser vos filières. L'éducation, la prévention et la formation sont sans doute insuffisantes. Il faut porter l'effort dès le plus jeune âge. Les enfants souffrent de la consommation excessive de leurs parents et de la violence que cela entraîne. L'alcool est également un facteur souvent présent dans les féminicides.

Comment peut-on améliorer l'efficacité et la performance, avec des recettes identifiées, de telle sorte que cela ait un impact sur la santé de la population qu'un euro dépensé soit un euro utile ?

M. Jérôme Volle. - L'investissement humain du producteur de vin commence dès l'acte de vente. Dans les différents endroits où le vin est commercialisé, la question de la modération est toujours prise en considération. Cet investissement n'est pas calculable sur le plan économique, mais chaque acteur a bien conscience des enjeux.

Vous avez évoqué les 10 % des citoyens qui consomment 58 % du volume. Le sujet n'est pas de perdre des consommateurs ; nous sommes passés de plus de 60 millions à environ 39 millions d'hectolitres produits en moyenne en France, sachant qu'une part de la production vient d'Espagne ou d'autres régions d'Europe. En revanche, on observe une progression au niveau des exportations. Nous avons vocation à faire connaître notre patrimoine et notre culture, en proposant dans le monde entier des produits de qualité et reconnus.

Si la consommation des 10 % personnes ciblées venait à diminuer, nous avons la capacité de rebondir. Nous ne craignons pas non plus la fiscalité.

En revanche, nous craignons que de nouvelles mesures fiscales ne réduisent notre compétitivité au profit d'autres territoires, sans qu'elles aient d'effets positifs sur le budget de la sécurité sociale.

La FNSEA participe au Conseil d'orientation des retraites (COR). Nous travaillons avec la Mutualité sociale agricole (MSA). Nous accompagnons les publics sensibles.

Il y a des drames liés à l'alcool, mais opposer les deux ne résout pas le problème.

Il faut également réfléchir à la question des lieux de consommation, car là où les bouteilles se vendent cher, la consommation peut tout de même être excessive.

M. Thomas Gauthier. - En 2018, nous avons répondu à l'appel du Président de la République à révolutionner la prévention, en proposant un plan en quatre ans, que nous avions élaboré tous ensemble.

La force de nos organisations est de représenter des filières ; s'agissant de fédérations professionnelles, nos organisations engagent la totalité des entreprises. Notre but est que les entreprises soient nos relais. Nous fonctionnons comme des têtes de réseau. Dans le cadre du spiritourisme, de l'oenotourisme ou du tourisme brassicole, nous essayons d'adresser les bons messages aux visiteurs, afin de leur montrer comment bien consommer.

En tant que têtes de réseau, nous pouvons diffuser dans les territoires les bonnes recommandations et les bonnes pratiques, au travers de nos entreprises et des collectivités territoriales, car, pragmatiques, elles savent qu'elles ont intérêt à faire en sorte que les festivals se passent correctement.

Certaines associations ne travaillent pas avec nous, car, en acceptant nos financements, elles perdraient du même coup leurs financements publics, alors même que notre budget nous permettrait de les aider. Certains représentants d'organisations publiques leur imposent de choisir entre des financements privés ou publics.

Mme Magali Filhue. - Sur cette question-là, nous pouvons vous fournir des exemples précis d'associations nous ayant adressé des courriers en ce sens. Cela soulève un véritable problème en matière de co-construction de la politique de prévention.

M. Thomas Gauthier. - J'en viens au sujet de l'évolution sociétale des consommations.

La part de personnes ayant une consommation quotidienne a baissé, passant de 25 % à 8 % à l'heure actuelle. Les grands consommateurs sont ceux qui ont des habitudes de consommation : boire un verre de vin à table aux différents repas, par exemple.

De plus, les alcoolisations ponctuelles importantes - le binge drinking - baissent globalement. L'évolution sociétale devrait progresser dans le bon sens, comme en témoignent les chiffres du baromètre 2021, car ces alcoolisations ne concernent plus que 54 % des consommations pour 10 % de la population, contre 58 % en 2017.

Nos secteurs essayent d'accompagner cette évolution, au travers de la prémiumisation, c'est-à-dire le fait de proposer des produits de meilleure qualité, qui coûteront plus cher - un spiritueux vieilli, par exemple -, de valoriser le local - des petites distilleries mettent en avant des produits locaux -, ou encore d'innover dans les recettes. Il s'agit également de développer les boissons sans alcool, ce qui est plus ou moins important selon les secteurs ; dans le secteur des spiritueux, cette démarche se heurte à certaines limites techniques.

Mme Magali Filhue. - Les profils de consommateurs à risque sont différents, puisqu'il peut s'agir des jeunes, des femmes enceintes ou des conducteurs. Aussi, il est important que la prévention soit ciblée, car on ne s'adresse pas de la même manière à chacun d'entre eux.

Notre objectif est de soutenir les associations qui font de la prévention spécifique. Par exemple, SAF France a eu des résultats probants, notamment à La Réunion, en matière de prévention des femmes enceintes. Nous travaillons également avec la prévention routière. La prévention ciblée est importante, et elle doit être dotée de moyens.

Nous ne sommes pas des acteurs de la prévention, mais nous pouvons soutenir les associations qui en font, à l'instar de Prévention et Modération, tandis que nos entreprises diffusent le message de la prévention.

Nous pensons que la prévention ciblée est l'une des meilleures, compte tenu de l'évolution sociétale des consommations. À cet égard, selon un rapport de l'Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT), l'alcool n'est « plus systématiquement perçu comme une dimension incontournable de la fête aux yeux des nouvelles générations d'adolescents ». Il faut accompagner cette évolution structurelle des comportements sur l'ensemble des classes d'âges ; la jeune génération est plus responsable que les précédentes.

Or la fiscalité n'est pas un outil permettant de cibler la prévention, car l'augmentation du prix n'a aucun effet sur les consommations très excessives ; au contraire, elle pénaliserait les consommateurs raisonnables. Les personnes qui ont la plus petite part de revenus sont celles qui respectent le mieux les repères de consommation d'alcool préconisée, selon les études de Santé publique France, à savoir « ne pas consommer plus de dix verres standard par semaine, ne pas consommer plus de deux verres par jour ; avoir des jours sans consommation dans une semaine ». Aussi, augmenter les prix reviendrait surtout à les pénaliser !

Mettre en place une fiscalité qui touche tout le monde et pénalise les foyers à faibles revenus, qui respectent les repères de consommation, ne permettrait pas d'atteindre l'objectif de mieux cibler les actions de prévention sur les personnes à risque.

Je rappelle que certaines femmes ne savent pas qu'il ne faut boire aucun verre d'alcool pendant la grossesse, comme en témoigne le dernier sondage de SAF France. Il reste du travail à faire sur ce point ! Parfois, elles ont plus en tête l'interdiction de manger des sushis que celle de boire un verre d'alcool ! Notre filière essaye de porter ce sujet, mais il reste beaucoup de travail, et ce n'est pas la fiscalité qui permettra de changer la donne.

M. Alain Milon, président. - Le syndrome d'alcoolisation foetale commence dès le premier verre !

Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure. - Nous sommes là non pas pour instaurer de nouvelles mesures de fiscalité comportementale, mais pour évaluer les politiques de santé. Or on sait que d'autres facteurs interviennent dans la consommation excessive : l'addiction, le mal-être au travail, etc.

Vous prétendez que vous seriez en peine de financer des associations, même si vous consacriez du budget à la prévention. Qu'est-ce qui bloque ?

M. Thomas Gauthier. - Certaines associations cherchant des financements privés ou publics seraient intéressées de travailler avec nous, mais elles y renoncent, car des financeurs publics leur demandent de choisir entre un financement public ou privé. Il ne leur serait pas possible de travailler avec à la fois des entreprises produisant des boissons alcoolisées et le secteur public.

Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure. - Et ce alors même qu'il s'agit de financer des campagnes de prévention ?

M. Thomas Gauthier- En effet, certaines associations, parce qu'elles travaillent avec nous, sont obligées de renoncer à des financements publics.

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Est-ce également le cas pour l'association Prévention et Modération ?

M. Thomas Gauthier. - Oui, c'est non pas l'objet de l'association qui dérange, mais l'origine des financements.

M. Alain Milon, président. - Est-il envisageable de mettre en place une fiscalité régionalisée ? J'avais proposé une telle mesure à l'époque, mais j'avais fait marche arrière, après avoir été critiqué par toutes les associations régionales. Aujourd'hui, j'aimerais savoir ce qu'il en serait.

Mme Magali Filhue. - On en revient au même sujet : la fiscalité n'est pas un outil de prévention. Or l'efficacité d'une prévention ciblée sur les personnes à risque est démontrée.

M. Thomas Gauthier. - La Réunion a été très sensibilisée au problème du syndrome d'alcoolisation foetale, à la suite d'un long travail de terrain.

À l'inverse, dans certaines régions métropolitaines, notamment en Île-de-France, on observe les plus mauvais scores. Pour que les comportements évoluent, il faut faire un travail spécifique.

Mme Magali Filhue. - J'ajouterai qu'un tel travail doit être multipartenarial, pour développer des actions au plus proche des problèmes, même s'il n'est pas toujours évident à entreprendre.

M. Jérôme Volle. - Nous avons mis en place des cellules sur le mal-être agricole, à la suite des suicides d'agriculteurs, pour essayer de comprendre les motifs du passage à l'acte. L'étude du problème des consommations excessives doit s'inscrire dans cette même logique, car la fiscalité ne changera pas la cause primaire qui les entraîne.

Il faut comprendre pourquoi certains consomment plus que de raison, au risque de mettre en danger leur propre vie et celle d'autrui, afin de réduire le mal-être social, dont la consommation excessive - d'alcool, mais pas seulement - est symptomatique.

Il faut que l'on travaille collectivement sur cette question, qui ne sera pas résolue par la fiscalité.

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - La consommation de tabac, de produits sucrés ou d'alcool dépend aussi d'un facteur rituel, qui n'est pas lié au mal-être. Il faut bien avoir ce point à l'esprit.

Dans les Drom, il y a un véritable problème, et je n'en connais pas la solution. Certains drames peuvent être liés à une consommation excessive. En tout cas, les familles qui s'engagent dans des associations pour lutter contre l'alcool, après avoir subi un drame, font le lien entre la mort de leur proche et la consommation excessive, je puis vous l'assurer.

M. Alain Milon, président. - Il faut lutter contre les habitudes qui peuvent exister dans les Drom, comme elles ont pu exister dans d'autres régions de France - je pense au verre de calvados le matin ! - avant que les habitudes ne changent et que la santé de nos concitoyens ne s'améliore.

M. Jérôme Perchet. -Dans les Drom, ce n'est pas forcément le rhum qui est un facteur d'alcoolisation, même si l'on en produit. Le problème n'est pas que celui du simple accès au produit ; l'alcoolisation peut se faire avec tous les types de produits.

M. Alain Milon, président. - Il faut tout de même lutter contre certains produits d'appel.

M. Jérôme Volle. - Nous ne fermons pas les yeux sur les drames qui se produisent. Au contraire, nous nous demandons comment faire en sorte qu'ils soient les moins fréquents possible. Nous cherchons à gérer les causes de la consommation excessive, qui entraîne des comportements inadaptés.

Dans les Drom, tout comme dans certaines zones rurales ou urbaines, il y a un véritable sujet d'accompagnement. Il faut réfléchir à la façon dont l'éducation - je suis responsable d'un opérateur de compétences (Opco) - peut aider à faire baisser la consommation excessive dans certains territoires, ce qui fonctionnera davantage qu'une fiscalité aveugle. Je soutiens davantage une telle mesure, qui doit résulter d'une volonté politique et d'un travail entre les pouvoirs publics et nos filières.

M. Samuel Montgermont. - J'insiste sur le fait que le prix minimum n'est pas réellement une mesure fiscale : c'est la marge des distributeurs qui serait affectée.

De plus, c'est une fausse bonne idée de penser qu'un prix minimum favoriserait la valeur ajoutée de la filière ; ce n'est pas le cas, d'où notre inquiétude sur les arguments en faveur du prix minimum, qui défendent ses effets sur la valorisation économique de la filière.

Compte tenu de la structuration de notre filière - la somme d'une quantité de petites entités de production -, toucher aux prix la déstabiliserait totalement ; la filière vin n'est pas une filière industrielle !

Nous aimerions que les études soient réactualisées, car elles sont fondées sur des niveaux de consommation de 2002 et sur des chiffres de 2015, je pense aux 41 000 morts. Il est nécessaire de disposer de chiffres pour comparer la réalité de la consommation excessive à celle de la consommation globale des Français aujourd'hui.

Un tel éclairage serait utile pour orienter la politique de santé. Ceux qui critiquent notre filière s'appuient sur des niveaux de consommation datés. Je puis vous dire que, à l'avenir, le panel de consommateurs de vins sera beaucoup plus large, mais très occasionnel.

Il faut travailler sur la prévention, ce que l'on pourrait faire aisément si les chiffres étaient actualisés. Ils ne permettent pas de disposer d'une vision objective de la trajectoire, alors que la consommation est très occasionnelle aujourd'hui, même si la consommation excessive existe encore.

Si nous avons gagné la bataille de la modération, nous devons désormais gagner la bataille de la consommation excessive, qui se remportera par de la prévention ciblée. Or la fiscalité comportementale aurait un effet sur l'ensemble des consommateurs et non sur certains publics cibles.

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Notre questionnaire aborde la question du prix minimum, non parce que nous souhaitions le mettre en place, mais parce que ce dispositif existe dans certains pays comme l'Écosse, même si les résultats ne sont peut-être pas concluants.

Par ailleurs, nous avons lancé une évaluation, car, chaque année, la question de la fiscalité comportementale est abordée au moment de l'examen du PLFSS. Cette étude permettra d'apporter des réponses précises à nos collègues. Voilà pourquoi nous vous auditionnons.

Je prends en compte les revendications des régions de brasseurs - il y en a en Mayenne ! -, mais j'évalue aussi la qualité de la dépense publique et le nombre de morts évitées, afin de prolonger les années de vie en bonne santé. On s'interroge sur tous ces produits, car nous devons contrôler la dépense publique, dans le but d'améliorer la santé des Français.

M. Thomas Gauthier. - Pour s'adresser aux jeunes en matière de binge drinking, il faut leur demander comment ils communiqueraient. Avec l'association Prévention et Modération, nous sommes allés voir des écoles de publicité, dont les élèves ont produit des spots de communication qui fonctionneraient très bien s'ils étaient diffusés !

M. Alain Milon, président. - Le degré d'alcool augmente chaque année, le Châteauneuf-du-Pape atteint près de 15 degrés aujourd'hui ! Les vignerons devront régler ce problème.

M. Samuel Montgermont. - La réglementation européenne permet de désalcooliser les vins, mais cette possibilité n'est pas très utilisée.

M. Alain Milon, président. - Nous attendons vos réponses écrites. Si vous avez d'autres réponses d'ici à la publication du rapport fin mai, nous sommes preneurs.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de MM. Jean-Philippe André, président (en visioconférence),
et Simon Foucault, directeur des affaires publiques,
de l'Association nationale des industries alimentaires,
Laurent Oger, directeur général de l'Association internationale
des édulcorants, et Mme Hélène Courades, directrice générale de Boissons rafraîchissantes de France

(2 avril 2024)

M. Alain Milon, président. - Mes chers collègues, nous nous réunissons aujourd'hui pour une table ronde avec des représentants des producteurs de boissons sucrées et édulcorées et d'aliments dits « de faible qualité nutritionnelle ». Ces auditions se placent dans le cadre des travaux de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss) sur la fiscalité comportementale dans le domaine de la santé. Nos collègues Élisabeth Doineau, rapporteure générale, et Cathy Apourceau-Poly, ont en effet été chargées par la Mecss, le 17 janvier dernier, de réaliser un contrôle sur ce thème.

Ce contrôle, qui s'inscrit dans une réflexion sur les politiques de prévention en santé, concerne également la fiscalité du tabac et de l'alcool. Nous avons déjà entendu publiquement les industriels du tabac et la confédération des buralistes le 27 février dernier et les représentants des producteurs de boissons alcoolisées le 19 mars.

Il nous a en effet semblé important, dans un souci de transparence, que les auditions des représentants des différents secteurs soient publiques. Comme c'est l'usage, ces auditions publiques n'empêchent pas les rapporteures de mener leurs propres auditions, qui sont nombreuses : plus de vingt-cinq auditions ont été réalisées ou sont prévues. Nos travaux de cet après-midi font donc l'objet d'une captation télévisuelle, diffusée en direct sur le site du Sénat, puis accessible en ligne. Ils feront également l'objet, comme c'est l'usage, d'un compte rendu public.

Nous avons donc le plaisir d'entendre M. Laurent Oger, directeur général de l'Association internationale des édulcorants (International Sweeteners Association - ISA), Mme Hélène Courades, directrice générale de Boissons rafraîchissantes de France, M. Jean-Philippe André, président de l'Association nationale des industries alimentaires (Ania), en téléconférence, et M. Simon Foucault, directeur des affaires publiques de l'Ania.

Mme Hélène Courades, directrice générale de Boissons rafraîchissantes de France. - Il est important de revenir sur l'ambition et l'efficacité réelle de la fiscalité appliquée aux produits que nous représentons. Le secteur des boissons rafraîchissantes sans alcool, porté par Boissons rafraîchissantes de France, a été précurseur en la matière.

La fiscalité n'est pas forcément le meilleur outil pour lutter contre l'obésité. En effet, la taxe sur les boissons sucrées n'est pas corrélée avec une baisse de l'obésité dans les pays qui l'ont instaurée, que ce soit en France ou ailleurs. Sur le long terme, les habitudes de consommation perdurent. Les consommateurs continuent à consommer les mêmes produits ou les remplacent par d'autres produits « plaisir ». Le nombre de calories consommées ne diminue donc pas forcément, du fait de ce phénomène d'adaptation.

En outre, cette taxe a un impact certain sur les entreprises concernées, qui se trouvent et produisent en France, qu'il s'agisse des petites et moyennes entreprises (PME) ou des grandes entreprises. Nous pourrons demander à nos petites entreprises adhérentes de nous fournir des calculs à ce sujet si vous le souhaitez. L'impact économique de cette fiscalité sur la compétitivité des entreprises, petites et grandes, n'est pas négligeable.

La presse s'est récemment fait l'écho d'un rapport de l'Observatoire de l'alimentation (Oqali), qui aurait souligné l'efficacité de la taxe soda dans la lutte contre l'obésité. En réalité, le rapport souligne : « il n'est pas possible, dans la suite de cette partie, de distinguer les impacts liés à la taxe de ceux liés à l'accord collectif. » Si un impact sur le consommateur est constaté, il est donc impossible de l'imputer à la fiscalité ou à d'éventuels accords sectoriels passés en France ou en Europe sur le sujet. Gardons-nous des conclusions hâtives.

M. Laurent Oger, directeur général de l'Association internationale des édulcorants. - L'ISA est une association internationale qui intervient à l'échelle mondiale, européenne et française. Nous n'avons pas pu répondre à certaines questions du questionnaire que vous nous avez transmis faute d'avoir accès à des informations précises sur le marché français. Nous représentons les producteurs et les utilisateurs de substances édulcorantes qui peuvent être utilisées en tant qu'ingrédients dans des produits ou des boissons ainsi que les producteurs d'édulcorants de table, qui sont des produits autonomes. Notre association a une approche scientifique et s'efforce de promouvoir les informations les plus qualitatives et les plus à jour possible sur les aspects sécuritaires et nutritionnels de nos produits.

Les édulcorants à faible teneur en calories ont été soumis à la fiscalité comportementale sans que leurs avantages soient pris en compte. Or ils peuvent contribuer, dans le cadre d'un régime équilibré, à apporter un goût sucré tout en préservant un bon apport calorique. Ils présentent également d'autres avantages sur le plan glycémique, par exemple pour les personnes souffrant de diabète, ou en matière de santé bucco-dentaire, leur consommation n'étant pas cariogène. Il est donc regrettable et assez contradictoire d'inclure ces ingrédients dans la liste des produits soumis à une taxe comportementale, d'autant que cela brouille et teinte négativement le message adressé aux consommateurs.

M. Jean-Philippe André, président de l'Association nationale des industries alimentaires. - Le sujet, de quelque manière qu'on le traite, touche à la première industrie de notre pays. L'industrie agroalimentaire rassemble en effet 450 000 emplois et 19 000 entreprises.

Nous ne sommes pas favorables à l'instauration d'une taxe. Il y va de la santé économique de notre secteur, d'autant que les chiffres de la compétitivité ne sont pas bons depuis plusieurs années. Ainsi, l'industrie alimentaire a diminué de moitié sa part de marché à l'export. De plus, nous essayons de convaincre plusieurs groupes étrangers de continuer à investir en France. Il est essentiel de leur donner de la visibilité en matière fiscale. Ne ravivons pas l'image d'une France qui chercherait à résoudre le moindre problème par l'instauration d'une taxe supplémentaire. En outre, l'activité des entreprises est compliquée par la période d'hyperinflation que nous traversons. Près de 20 % seulement des 75 plus grandes entreprises de l'agroalimentaire ont connu une augmentation de leur activité en volumes en 2023.

Certains pays, comme le Danemark, sont revenus en arrière après avoir instauré une taxe sur les graisses, faute d'une réelle efficacité et du fait du lancement d'importations parallèles.

Par ailleurs, personne n'a le monopole de la lutte contre l'obésité. Lorsque j'étais président exécutif d'Haribo France, j'ai toujours eu à l'esprit le souci de développer mon entreprise, tout en prenant en compte les enjeux de santé publique tels que l'obésité, dont les causes sont multifactorielles.

L'alimentation représente en moyenne 15 % du budget des ménages, mais elle compte davantage dans le budget des catégories socioprofessionnelles inférieures, dites « CSP moins ». Une taxe serait particulièrement pénalisante pour ces consommateurs et citoyens. En outre, nos entreprises sont déjà très taxées. Je ne crois donc pas que cette fiscalité soit une solution.

Les produits de l'industrie agroalimentaire française sont appréciés et enviés à l'étranger. Or un mouvement de « food bashing » se développe depuis plusieurs années. Nous avons tendance, en France, à nous autoflageller sur des aspects de notre économie que le monde nous envie. Sans nier le problème qu'il est question ici de traiter, passer par une taxe ne me paraît pas la bonne solution.

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Cathy Apourceau-Poly et moi-même avons conscience de l'importance des industries alimentaires sur notre territoire, mais, en tant que membres de la commission des affaires sociales, nous nous soucions particulièrement de la santé de nos concitoyens. Chacun doit pouvoir faire une activité physique et bien se nourrir.

La mission d'information qui nous a été confiée a trait à la fiscalité comportementale, appliquée à un champ très vaste couvrant tant le tabac et l'alcool que les boissons sucrées et les aliments trop gras, trop salés ou trop sucrés. Toutefois, il existe d'autres leviers pour réduire les risques associés à ces substances, pour améliorer la santé des Français et, à long terme, réduire les dépenses de santé. C'est un enjeu important, le déficit de la sécurité sociale étant dû en grande partie à celui de l'assurance maladie.

Vous dites que la fiscalité n'entraîne pas forcément des comportements plus vertueux, mais, en ce cas, que proposez-vous ? Vos industries travaillent-elles avec des professionnels de la santé, des diététiciens, par exemple, ou des dentistes, pour améliorer la santé de nos concitoyens ? Sur quels leviers d'action travaillez-vous pour un meilleur comportement alimentaire ?

Mme Hélène Courades. - S'il existait un antidote magique pour lutter contre l'obésité, cela se saurait et nous nous efforcerions de l'obtenir. C'est un ensemble d'outils qui permettra de lutter contre ce fléau, qui est multifactoriel. Le premier outil est l'éducation nutritionnelle. Les gens doivent être conscients de la nécessité d'avoir une consommation raisonnée et raisonnable de nos produits, dans le cadre d'un mode de vie sain. Une charte alimentaire sur la publicité a été rédigée à cette fin avec l'Ania.

Un travail est en cours au sein de Boissons rafraîchissantes de France pour réfléchir à l'avenir, dans lequel nos adhérents sont pleinement mobilisés. Je serai ravie de venir vous en présenter les conclusions dès qu'il aura abouti à des engagements concrets. Nous travaillerons sur la question de la réduction du taux de sucre en France et en Europe, et sur la publicité au moyen de la charte alimentaire travaillée avec l'Ania. Chaque entreprise développe également ses propres bonnes pratiques. Nous ne demandons qu'à discuter avec vous si des pistes de travail sont identifiées, pour aller au-delà de ces démarches.

M. Laurent Oger. - Un effort de reformulation a été engagé par certaines entreprises pour changer le profil et la composition de certains produits. Des efforts continus sont menés, pour réduire notamment le taux de sucre.

L'éducation nutritionnelle est également très présente dans nos campagnes de communication. La journée mondiale pour la santé bucco-dentaire a eu lieu récemment, tout comme la journée mondiale contre l'obésité. Un travail important est mené pour rassembler des informations claires sur ces sujets et promouvoir un mode de consommation sain et équilibré. Nous relayons les messages des experts en nutrition.

Enfin, certains projets de recherche au long cours sont suivis par l'ISA en partenariat avec des universités, dont les protocoles ont été publiés. Nous espérons que leurs résultats participeront à la discussion, en toute transparence.

M. Jean-Philippe André. - Dans nos affaires, nous cherchons l'efficacité, en toute responsabilité. Si nous ne sommes pas favorables au déploiement de nouvelles taxes, nous sommes prêts à vous soutenir et à vous présenter nos pistes de travail. La première a trait à la reformulation de gamme. L'un des principaux adhérents de Boissons rafraîchissantes de France a bien montré qu'il était possible de reformuler une gamme sans perdre en efficacité commerciale. Le brasseur que j'ai été peut ainsi témoigner que la bière sans alcool, devenue aujourd'hui un produit tendance, a eu initialement du mal à s'imposer. Or la qualité de certaines bières sans alcool concurrence désormais celle de certaines bières traditionnelles. De même, dans une gamme comme celle de l'entreprise que je représente, en confiserie, nous avons introduit progressivement des produits présentant 30 % de sucre en moins. Ce type de reformulation de gamme mériterait d'être généralisé.

Il est également possible de modifier les recettes de manière générale. En dix ans, toutes les recettes des produits de grandes marques ont évolué. Nous sommes condamnés à nous adapter aux goûts du consommateur. C'est la deuxième piste à explorer.

La troisième piste porte sur la portion. Lorsque je suis arrivé chez Haribo en 2006, la taille standard de packaging proposé au consommateur était de 300 grammes. Nous courions alors le risque que ces 300 grammes soient consommés par une seule personne en une ou plusieurs fois. Or en quinze ans cette portion est passée à moins de 200 grammes. La portion devient ainsi un élément d'information donné aux consommateurs. Tout ce qui touche à l'offre de gamme, à l'évolution des recettes et à la portion peut donc aider à faire évoluer les choses.

Nous pouvons agir ensuite sur l'éducation. L'équilibre alimentaire n'est pas un élément naturel dans les foyers « CSP moins », les plus exposés aux risques dont nous parlons. L'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) a demandé à l'Ania il y a quelques années de participer à des campagnes d'information. Nous avons donc produit, grâce à l'argent de nos adhérents, des spots publicitaires d'information coconstruits avec les effectifs de l'Arcom. Nous pourrions imaginer en faire de même avec d'autres structures. Il est de notre intérêt que les gens soient bien informés.

Certaines initiatives ne sont pas encore abouties, comme le Nutriscore. Nous sommes favorables, à ce propos, à un dispositif de dimension européenne, pour ne pas stigmatiser un pays par rapport à un autre.

Nous soutenons également plusieurs initiatives. La grande majorité de nos adhérents qui sont annonceurs ont adhéré à l'European Union Pledge (EU Pledge), code de conduite par lequel ils s'engagent à ne plus diffuser de publicités auprès des enfants de moins de 13 ans. Nous avons signé aussi une charte avec l'Arcom, dont l'application s'achève en 2024. Presque plus aucun annonceur n'est présent sur les écrans destinés aux enfants. Nous travaillons à présent sur les engagements que prendra l'industrie agroalimentaire pour la charte Arcom couvrant les années 2025 à 2028.

Enfin, il existe également des initiatives comme l'opération Vivons en forme (VIF), qui m'a surpris par ses résultats. Le fonds de dotation Vivactéo va être lancé en 2024. Il concerne quatre ministères : le ministère de la santé et de la prévention, le ministère délégué chargé des collectivités territoriales et de la ruralité, le ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire et le ministère délégué chargé de l'industrie et de l'énergie. Pas moins de 270 villes sont adhérentes au programme VIF. Les taux de surpoids et d'obésité ont diminué fortement dans certaines d'entre elles, par exemple à Saint-André-lez-Lille, de 40 % en sept ans. Ces initiatives vont dans le bon sens.

Ces dispositifs ne sont pas coercitifs. Nous nous sommes mis d'accord récemment avec Mme la ministre Olivia Grégoire pour travailler sur l'Origine-score. Certes, ces démarches prennent du temps, mais « à te regarder, ils s'habitueront », écrivait René Char. Une entreprise qui verrait les résultats de ces initiatives et prendrait le risque de ne pas les soutenir risquerait de le payer cher.

Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure. - Le professeur Philippe Froguel, qui dirige PreciDIAB, un centre spécialisé dans le traitement du diabète, m'a dit que, si le taux de diabète avait diminué de 20 % après l'épidémie de covid-19, cela tenait aussi au fait qu'il avait explosé durant cette période en raison de l'arrêt imposé de l'activité physique et sportive.

Venant du Pas-de-Calais, marqué par la désindustrialisation, je suis sensible aux catastrophes sociales qu'elle est susceptible d'entraîner. L'industrie alimentaire est très importante dans nos départements. Nous savons quelles conséquences les licenciements peuvent avoir sur la santé des personnes concernées.

Les reformulations se font-elles régulièrement ? Comment procédez-vous pour reformuler les produits ?

Des études sont menées, notamment à Lille par le professeur Storme, sur les 1 000 premiers jours de l'enfant. Travaillez-vous avec ces professeurs de médecine sur des produits nouveaux ? Les 1 000 premiers jours sont notamment ceux de la découverte du goût. Reformulez-vous des produits nouveaux pour qu'ils soient moins riches en gras et en sucre ?

Mme Hélène Courades. - Des engagements ont été pris par Boissons rafraîchissantes de France pour baisser de 5 % le taux de sucre de ses produits entre 2010 et 2015. Je pourrai vous transmettre des tableaux à ce sujet. En Europe, le taux de sucre a diminué de 10 % entre 2000 et 2015, puis de 10 % supplémentaires entre 2015 et 2019. Une nouvelle diminution de 10 % intervient sur la période actuelle, entre 2019 et 2025. Les boissons ont donc fortement évolué.

Aucune reformulation particulière n'est prévue en lien avec les 1 000 premiers jours de l'enfant. J'espère que les enfants de cet âge ne consomment pas les produits que je représente ! Nous revenons à l'éducation nutritionnelle. Il revient aux parents de donner à leurs enfants une alimentation équilibrée.

Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure. - Les 1 000 premiers jours, cela va quasiment jusqu'à 3 ans.

Mme Hélène Courades. - C'est une question d'éducation à la consommation raisonnable du produit, qui doit rester un produit « plaisir » dans un cadre sain et équilibré. Nous pouvons tout à fait envisager de creuser ce sujet avec les professionnels dont vous parliez.

Ce qui a été dit précédemment illustre bien les injonctions contradictoires auxquelles font face les industriels. Les édulcorants sont présentés comme des outils pour reformuler nos produits, mais ils sont aussi taxés. De même, certains demandent la fin des petits formats de canette, pour réduire le nombre d'emballages. J'en ai discuté récemment avec le ministère de la transition écologique, dans le cadre de la responsabilité élargie du producteur (REP). Les petits formats sont pénalisés financièrement, alors qu'ils ont été développés pour limiter la consommation de nos produits. Nos adhérents ont besoin de clarté à ce sujet. La direction générale de la prévention des risques (DGPR) nous a dit qu'elle se rapprocherait de la direction générale de la santé (DGS). Nous en sommes là.

M. Laurent Oger. - En ce qui nous concerne, un texte européen interdit les édulcorants pour les produits destinés aux enfants de moins de 3 ans.

M. Jean-Philippe André. - La diminution du portionnage s'avère en effet antinomique avec les objectifs poursuivis par certains ministères.

S'agissant des 1 000 premiers jours de l'enfant, l'Ania vient de lancer un plan de travail dont l'un des axes consiste à analyser, de manière plus fine et plus scientifique qu'à l'heure actuelle, le phénomène de l'obésité, et à se pencher sur l'éducation des enfants à l'alimentation. La réflexion devrait d'ailleurs s'élargir à l'éducation des enfants à l'utilisation des écrans au cours de ces 1 000 premiers jours.

Concernant le risque d'une catastrophe sociale, notre industrie est très résiliente, ce qui devrait dissiper vos inquiétudes, madame la sénatrice. Les entreprises ont en effet appris à répondre à toutes les demandes, même lorsque celles-ci viennent contrarier le développement des affaires. J'adopterai même un angle d'interrogation différent : comment pourrions-nous faire en sorte que les entreprises agroalimentaires, bien plus légitimes que leurs concurrentes étrangères, deviennent, dans votre circonscription et au-delà, un atout qu'il convient de développer ?

Mme Émilienne Poumirol. - Vous avez parlé d'éducation : quel pourcentage de votre budget y consacrez-vous réellement ?

Pour ce qui est des injonctions contradictoires, fabriquer de plus petites boîtes génère bien davantage d'emballages, mais du point de vue des industriels, passer d'un paquet de 300 grammes à un paquet de 100 grammes qui sera vendu au même prix me semble être intéressant.

Permettez-moi donc de ne pas être tout à fait persuadée - voire suspicieuse - de vos intentions lorsque vous tentez de nous faire croire que vous produisez de plus petits paquets pour défendre la santé de nos enfants. L'argument ne me convainc pas du tout, le réel objectif tenant davantage à la recherche du profit et à la volonté de lutter contre des taxes qui vous dérangent toujours, alors qu'elles nous paraissent intéressantes et qu'elles ont contribué à améliorer les comportements en matière d'alimentation.

Si les produits ultra-transformés focalisent l'attention, j'espère que l'éducation jouera un rôle bénéfique en matière d'alimentation. Comme l'a rappelé Élisabeth Doineau, les dépenses de santé deviendront insoutenables si nous n'accomplissons pas des progrès suffisants dans la prévention de pathologies chroniques - diabète, obésité, insuffisance rénale, insuffisance cardiaque - qui grèvent les comptes de la sécurité sociale.

Mme Hélène Courades. - Je ne saurais vous répondre précisément sur le budget alloué par chaque entreprise. L'éducation passe avant tout par l'information fournie sur les emballages, et Boissons rafraîchissantes de France - membre de l'Ania - ne mène pas d'actions d'éducation à proprement parler. Notre syndicat ne compte que deux salariés, ce qui limite nos possibilités d'action.

M. Jean-Philippe André. - Nous vous fournirons les chiffres pour nos actions d'éducation. L'action la plus claire et la plus quantifiable renvoie à la participation des annonceurs de l'Ania à des campagnes d'information, à la production et à la diffusion de messages d'éducation. Une fois encore, nous avons fait part de notre disponibilité à l'Arcom pour renouveler et renforcer cet effort : nous ne pouvons pas nous opposer à une taxe nutritionnelle sans nous mobiliser dans le même temps pour ces campagnes.

Par ailleurs, votre question sur la réduction des portions est en effet particulièrement soupçonneuse, mais c'est de bonne guerre et j'accepte volontiers ce débat. J'y répondrai en indiquant qu'un industriel peut fort bien chercher à atteindre deux objectifs concomitants, en développant ses affaires de manière harmonieuse, au bénéfice des actionnaires et des salariés d'une part ; en agissant de manière responsable, d'autre part. Ainsi, nous ne sommes plus présents sur les écrans destinés aux enfants depuis plus de dix ans et avons retiré des additifs de nos produits alors que personne ne nous y avait contraints. L'activité s'est-elle arrêtée pendant cette période ? Non, elle s'est même, au contraire, développée, et je pense que nous devrions développer cet état d'esprit dans le pays.

De plus, je tiens à vous assurer que les paquets de 300 grammes et ceux de 175 grammes sont vendus à un prix différent, ce qui ne nous empêche pas de chercher à vendre davantage les seconds, afin d'élargir notre gamme et de prendre des parts de marché à des concurrents qui n'auraient pas fait les mêmes choix. La très grande majorité des entreprises ont à coeur de développer ce modèle vertueux.

Mme Christine Bonfanti-Dossat. - Mme Courades a affirmé que la taxe sur les boissons sucrées n'était pas corrélée à la réduction de l'obésité dès lors que certaines habitudes ont été prises. Or cette taxe a permis, dans de nombreux pays, de réduire la consommation de ce type de boissons et de réinvestir les sommes dégagées dans des programmes de prévention. Pourquoi une taxe comportementale, qui a donné des résultats probants avec le tabac, ne fonctionnerait-elle pas pour les boissons sucrées ?

Par ailleurs, les taxes appliquées aux édulcorants s'appliquent-elles aux édulcorants naturels tels que la stévia ?

Mme Hélène Courades. - Dès lors qu'une taxe est instaurée ou augmentée, on observe une baisse de la consommation à court terme, mais celle-ci est ensuite suivie d'une nouvelle augmentation après une phase d'accoutumance au nouveau prix.

Mme Christine Bonfanti-Dossat. - Le consommateur pourrait ne pas revenir vers ce type de produits s'il constate que la réduction de consommation a été bénéfique pour sa santé.

Mme Hélène Courades. - La diminution de la consommation ne s'accompagne pas d'une réduction du nombre de calories consommées, ce qui signifie que le consommateur boit ou mange d'autres produits en substitution aux boissons sucrées. C'est pourquoi l'outil fiscal ne semble pas nécessairement efficace sur le long terme : je note que le Chili et le Mexique, qui ont instauré une taxe sur les sodas élevée, affichent également de forts taux d'obésité. Si une taxe peut être l'un de leviers de lutte contre l'obésité, elle ne constitue à l'évidence pas la panacée.

M. Laurent Oger. - Une partie des édulcorants sont à faible teneur en calories ou sans calories - dont les fournisseurs sont représentés au sein de l'ISA - et une autre partie se situe sur un spectre plus proche de celui du sucre en termes de pouvoir sucrant. Un certain nombre de produits de cette seconde catégorie ne sont pas taxés.

Par ailleurs, je ne pourrais pas, en tant que représentant d'un syndicat professionnel, vous communiquer un budget précis concernant les actions en faveur de l'éducation, les adhérents développant différentes stratégies. Je vous assure néanmoins que nous menons très régulièrement des campagnes et des actions, accessibles en ligne.

M. Jean-Philippe André. - Le cas du Chili est assez emblématique : le taux de la taxe soda, instaurée en 2014, a d'abord été fixé à 13 %, puis porté à 18 % en 2016. Une étude consacrée à ce pays montre que la consommation de boissons sucrées y a chuté de 25 %, mais que le taux d'obésité a continué à y croître fortement jusqu'à atteindre 74 % en 2019, soit un record mondial. J'ajoute que ces mesures fiscales ont eu un impact direct sur les consommateurs les moins aisés, ce qui permet de constater qu'une augmentation de la taxe a parfois des effets contre-intuitifs.

Mme Anne-Sophie Romagny. - Une fois n'est pas coutume, j'ai eu la même réflexion que Mme Poumirol lorsque vous avez évoqué la réduction des portions, dont le prix n'a pas nécessairement diminué en conséquence.

En revanche, je salue les entreprises du secteur agroalimentaire qui, au nom de la liberté, peuvent proposer des produits sucrés, des produits avec réduction de sucre et des produits sans sucre. Il me semble nécessaire d'encourager la liberté de choix entre ces produits plus ou moins sucrés, puisque c'est bien l'excès, en toute chose, qui pose problème, à l'image de l'alcool. Doit-on interdire ou surtaxer dès lors que la consommation est raisonnable ?

Avez-vous réalisé des sondages afin de mesurer l'appétence des consommateurs pour les produits moins sucrés ? Se dirigent-ils davantage vers ces derniers ?

Mme Hélène Courades. - Une étude avait été réalisée en 2019 par le Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie (Crédoc), mais ces données sont désormais obsolètes. Une nouvelle étude doit être lancée auprès des consommateurs dans les prochaines semaines et nous disposerons des résultats complets d'ici à la fin de l'année, voire en début d'année prochaine. Il existe une réelle diversité de produits, mais je ne peux guère vous répondre à ce stade.

M. Jean-Philippe André. - Certaines entreprises ont décidé de faire des produits à teneur en sucre réduite les premiers de leur gamme : le premier segment du plus grand brasseur mondial, Budweiser, est ainsi celui de la bière légère, la Budweiser light. De la même manière, le Coca-Cola zéro est devenu le produit vedette de la gamme.

Pour ce qui concerne la confiserie, nous avons lancé des produits contenant 30 % de sucre en moins en pensant d'abord qu'ils resteraient cantonnés à une niche, mais une gamme s'est peu à peu constituée. Il me semble essentiel, à l'avenir, de donner le choix au consommateur sur des gammes de grandes marques, représentées au sein de l'Ania. De ce point de vue, une charte permettrait de s'assurer que toutes les grandes marques offrent une alternative aux consommateurs, leur permettant, avec des conseils d'alimentation, d'éclairer leurs choix.

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Ces dernières années, les boulangers ont mis en oeuvre une politique consistant à réduire la quantité de sel dans le pain, ce à quoi les consommateurs se sont habitués. Des produits tests tels que la bière sans alcool pourraient être utilisés pour éduquer et responsabiliser les consommateurs, plus ou moins au fait, selon leur niveau d'études, des bienfaits d'une alimentation saine pour leurs enfants.

Les jeunes parents diplômés ne donnent ainsi généralement pas de sucre à leurs enfants avant l'âge de 3 ans, contrairement aux pratiques de la génération précédente, ce qui forcera les professionnels à proposer des produits transformés contenant moins de sucre, moins de sel et moins de gras. À l'inverse, les familles plus précaires peinent à appréhender les préconisations formulées en termes d'alimentation, et c'est en leur sein que l'on trouve le plus souvent des enfants atteints d'obésité ou surconsommant certains produits.

Des produits tests pourraient donc être utilisés, de manière à la fois éducative et ludique, afin de conseiller les enfants, quelle que soit la famille dans laquelle ils vivent.

M. Jean-Philippe André. - Je partage tout à fait votre approche : il faut donner des opportunités à certains produits et offrir le choix au consommateur, une démarche préférable à des injonctions telles que de nouvelles taxes, traditionnellement utilisées en France. Il faudra observer les résultats des gammes enrichies par des produits différents sur une période de trois à cinq ans, mais je pense qu'ils iront inévitablement dans le bon sens.

M. Simon Foucault, directeur des affaires publiques de l'Association nationale des industries alimentaires. - Les industriels de l'alimentaire se sont engagés de diverses manières, avec notamment la diminution du taux de sel dans le pain que vous avez mentionnée. Dans le cadre du programme national nutrition santé (PNNS), les industriels peuvent signer des chartes d'engagement visant à améliorer la qualité nutritionnelle de leurs produits. Depuis 2007, 35 chartes de ce type ont été signées, ce qui traduit la bonne volonté des acteurs en vue d'améliorer la qualité de l'offre alimentaire.

Nous sommes prêts à aller plus loin dans ces engagements et à vous accompagner pour atteindre des objectifs chiffrés, mais il faudra également nous aider, notamment en créant des espaces de discussion : le droit de la concurrence rend parfois malaisée la réunion de l'ensemble des acteurs d'un secteur donné autour de la même table. Une fois encore, les industriels sont prêts à s'engager.

Mme Hélène Courades. - Le rapport de l'Observatoire de l'alimentation, consacré non pas à la consommation, mais aux produits mis sur le marché, montre une évolution au niveau des produits sans sucre, avec ou sans édulcorants, les industriels procédant à des études lorsqu'ils lancent un produit. Plus largement, l'obésité est multifactorielle, et il convient d'y répondre par une palette d'actions, dont la diversité des produits offerts et l'éducation nutritionnelle.

M. Laurent Oger. - Les édulcorants ne sont que l'un des outils à disposition de l'industrie pour proposer une nouvelle offre. Nous nous trouvons dans une situation paradoxale dans la mesure où certains efforts de reformulation peuvent être pénalisés par cette taxe, ce qui n'est guère incitatif pour les industriels. Je pense aussi à la récente évolution du Nutriscore, qui aboutit à faire changer de classe une boisson en raison de la simple présence d'un édulcorant, sans lien avec le taux. Nous ne comprenons ni la logique ni les bases scientifiques d'une telle décision.

M. Alain Milon, président. - Je vous remercie pour l'ensemble des réponses que vous nous avez apportées. Je tiens à rappeler que la mise en place de cette évaluation fait suite au constat d'une augmentation importante des dépenses de santé, notamment liée à une forte hausse du nombre de cas de diabète de tous types - la sécurité sociale évoque une augmentation du nombre de diabétiques de l'ordre de 1 million par an -, d'obésité et d'hypertension artérielle.

Notre objectif consiste à enrayer ce phénomène, qui entraîne un déséquilibre des comptes de la sécurité sociale, et non pas à proposer une augmentation de la taxation, je tiens à vous rassurer sur ce point. Nous avons en effet constaté depuis longtemps, en particulier dans le domaine alimentaire, que celle-ci n'entraîne pas une diminution du nombre de diabétiques et d'obèses, et qu'il convient plutôt de travailler avec vous afin de diminuer la quantité de sucre présente dans les aliments. Nous entendons faire des propositions en ce sens.

Pour terminer avec une question qui détendra l'atmosphère, êtes-vous l'auteur du slogan - terriblement efficace, mais terriblement dangereux - « Haribo, c'est beau la vie » ?

M. Jean-Philippe André. - Le slogan complet est « Haribo c'est beau la vie, pour les grands et les petits », mais je n'en suis pas l'auteur. Nous avons énormément développé le chiffre d'affaires de la société, dans l'intérêt à la fois des consommateurs et des salariés, qui bénéficient d'un système d'intéressement égalitaire dans lequel chacun, du balayeur au président, perçoit la même somme. Ce choix, ajouté à nos engagements sur la nature des produits, donne une cohérence globale à nos orientations.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

II. EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 29 mai 2024, sous la présidence de M. Philippe Mouiller, président, la commission a examiné le rapport, fait au nom de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale, de Mmes Élisabeth Doineau et Cathy Apourceau-Poly, rapporteures, sur la fiscalité comportementale dans le domaine de la santé.

M. Philippe Mouiller, président. - Nous allons entendre à présent la communication de la rapporteure générale Élisabeth Doineau et de Cathy Apourceau-Poly à l'issue des travaux de la mission d'information qu'elles ont conduite, au nom de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss), sur la fiscalité comportementale dans le domaine de la santé.

Je vous rappelle que les travaux de nos collègues s'inscrivent dans le programme de contrôle de la Mecss pour la session 2023-2024, dont le bureau de la commission a pris acte à la fin de l'année dernière.

Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure. - J'illustrerai mon propos à l'aide de plusieurs diapositives.

Si la fiscalité comportementale est parfois qualifiée de « fiscalité puritaine », nous n'avons évidemment pas abordé le sujet dans une optique moralisatrice. Il ne s'agit pas de dire qu'il est mal de boire de l'alcool ou de manger gras, sucré ou salé - tant que c'est avec modération. La situation est plus compliquée dans le cas du tabac, puisque la quasi-totalité des fumeurs sont des usagers quotidiens ou presque. Or c'est le fait d'être un fumeur quotidien, plus que le nombre de cigarettes fumées, qui est dangereux pour la santé.

Le sujet de notre rapport est particulièrement important. Il s'agit en effet, en utilisant la fiscalité comme point d'entrée, de nous interroger sur les politiques de lutte contre le tabagisme, la consommation nocive d'alcool et l'obésité.

Pourquoi nous interroger sur ces politiques ? Parce que ces comportements et pathologies entraînent un nombre élevé de décès prématurés, qu'ils réduisent considérablement le bien-être de nos concitoyens, qu'ils ont un coût élevé pour les finances publiques, et, enfin, parce qu'il existe un consensus technique sur ce qu'il convient de faire pour mettre en place des politiques de prévention efficaces.

Deux informations sont essentielles. D'abord, le tabac, l'alcool et l'obésité tuent globalement en France plus de 100 000 personnes par an, soit trente fois plus que les accidents de la route. Ensuite, leur coût net pour les finances publiques est globalement supérieur à 10 milliards d'euros selon les estimations usuelles. Il est plus élevé encore, si on prend en compte le fait que les personnes concernées produisent moins, ce qui a bien entendu des conséquences sur les recettes.

Nous nous sommes efforcées d'adopter autant que possible une approche évaluative, afin d'aborder sans polémique ce sujet qui déchaîne les passions.

Nous avons aussi voulu faire preuve de pragmatisme, en nous fixant pour règle de ne retenir que des mesures effectivement susceptibles d'être mises en oeuvre.

L'industrie du tabac n'est pas une industrie comme une autre, du fait bien sûr de la létalité de sa production, mais aussi de l'intensité de son lobbying. Les États membres de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) ont, pour cette raison, adopté en 2003 une convention-cadre pour la lutte antitabac, ratifiée en 2004 par la France, qui, notamment, oblige les pouvoirs publics à la transparence dans leurs relations avec l'industrie du tabac. Cette convention est explicitement citée dans le guide déontologique à destination des sénateurs. Nous nous sommes évidemment conformées à une exigence de transparence. En particulier, les représentants de l'industrie du tabac ont été auditionnés par la Mecss en plénière.

J'en viens à la première partie de notre présentation, relative au constat - lequel, vous vous en douterez, est un constat d'échec.

Dans le cas du tabac, cet échec est d'autant plus paradoxal que les moyens mis en oeuvre sont considérables. La fiscalité du tabac s'élève à 14 milliards d'euros par an. Elle représente plus de 80 % du prix d'un paquet de cigarettes. La France fait partie des six États où ce prix est le plus élevé.

Par ailleurs, la fiscalité n'est évidemment pas le seul outil de lutte contre le tabagisme. On pourrait donc s'attendre, compte tenu des moyens mis en oeuvre, à un éclatant succès de la politique menée en la matière. Or c'est tout le contraire.

Si l'on s'intéresse à la santé publique, l'indicateur pertinent n'est pas le nombre de cigarettes vendues, mais la proportion de fumeurs quotidiens. C'est en effet le fait de fumer régulièrement, plus que le nombre de cigarettes fumées, qui suscite le risque sanitaire.

Dans la plupart des pays de l'OCDE, le tabagisme a baissé de manière continue depuis les années 1960. Le fait que cette baisse soit ancienne, constante et quasi systématique suggère qu'elle a reposé sur des phénomènes sociaux plus que sur des politiques publiques. Or la France se distingue par rapport aux autres pays, comme on le voit sur le graphique, puisque le tabagisme est demeuré quasiment stable depuis cette période.

On observe une baisse du tabagisme après l'adoption de la loi Évin en 1991 et après les deux principales hausses de fiscalité, entre 2003 et 2004 puis entre 2018 et 2020. Les hausses de taxe sont donc efficaces. Toutefois, d'autres phénomènes, peut-être indépendants des politiques publiques, qui se sont produits dans la plupart des autres pays, ne se sont manifestement pas produits chez nous.

J'en viens maintenant à l'alcool.

L'alcool ne pose pas de problème tant qu'il est consommé avec modération. Par ailleurs, chacun sait que la consommation d'alcool a fortement baissé en France depuis les années 1960. À l'époque, il était normal de boire du vin quasiment à chaque repas. Ce n'est heureusement plus le cas aujourd'hui.

Toutefois, l'alcool demeure un problème majeur de santé publique.

Le graphique de gauche montre comment la consommation d'alcool pur par habitant a évolué depuis les années 1960 dans les États de l'OCDE. Nous avons clairement un problème : malgré sa forte baisse, la consommation d'alcool reste aujourd'hui en France supérieure à ce qu'elle était dans la plupart des pays de l'OCDE dans les années 1960. Aujourd'hui, dans l'OCDE, seuls trois États affichent une consommation d'alcool par habitant supérieure à celle de la France : la République tchèque, l'Autriche et la Lettonie.

Le graphique de droite montre que, en France, 10 % de la population sont à l'origine de près de 60 % de l'alcool consommé. Le modèle économique de la filière complique donc la lutte contre la consommation nocive d'alcool.

Si nous en sommes là, c'est parce que la politique de lutte contre la consommation nocive d'alcool a été singulièrement timide, beaucoup plus que celle contre le tabagisme.

Cette timidité a amené la Cour des comptes, dans une note de 2021 sur les enjeux structurels en matière de santé, à estimer que, contrairement à la lutte contre le tabagisme, les pouvoirs publics « n'ont pas engagé d'effort notable afin de réduire la consommation d'alcool ».

La loi Évin de 1991, qui interdit totalement la publicité pour le tabac, l'autorise sur la quasi-totalité des supports pour l'alcool, à l'exception de la télévision et du cinéma. Les contraintes portent en fait sur le contenu : on n'a pas le droit de parler d'autre chose que d'éléments factuels. Il n'est pas autorisé, par exemple, de chercher à associer une boisson alcoolisée à la convivialité. Les publicités doivent mentionner le fameux slogan « l'abus d'alcool est dangereux pour la santé ». Depuis 2009, la publicité est autorisée sur internet, ce qui, rétrospectivement, n'apparaît pas une bonne chose, tant les infractions sont nombreuses.

Par ailleurs, l'alcool est relativement peu taxé. Les recettes fiscales sont de seulement 4 milliards d'euros par an, contre 14 milliards d'euros pour le tabac. Surtout, le vin n'est quasiment pas taxé, ce qui prive de fait la fiscalité de l'alcool de tout effet sur la santé.

Enfin, après le tabac et l'alcool, nous avons examiné la fiscalité comportementale dans le champ nutritionnel. Il s'agit d'un sujet relativement récent, dans lequel les politiques sont tout juste initiées.

En 2012, le législateur a franchi un premier pas en instaurant la « taxe soda », qui se compose en fait de deux taxes : l'une sur les boissons à sucres ajoutés, l'autre sur les boissons édulcorées. La France a été l'un des premiers pays à décider de la mise en oeuvre de cette fiscalité, et une cinquantaine d'État dans le monde y ont recours aujourd'hui.

Ces politiques rencontrent donc un succès certain, alors qu'à l'inverse, les taxes sur les produits alimentaires solides se développent peu. Il n'existe pas en France de taxe à visée comportementale sur les aliments autres que les boissons.

La loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2018 a cherché à donner une dimension véritablement comportementale à la taxe sur les boissons sucrées, parce qu'elle ne produisait pas d'effet incitatif - ou plutôt désincitatif - dans son format précédent. Son barème linéaire a donc été modifié pour le rendre progressif. En revanche, cette réforme n'a pas concerné la taxe sur les boissons édulcorées, qui a conservé un barème linéaire et qui produit peu d'effet.

Ces deux taxes ont permis de récolter 486 millions d'euros de recettes en 2023, un montant en augmentation depuis 2018.

Pourtant, malgré la réforme de 2018, le bilan de la « taxe soda » est mitigé : l'augmentation des prix des boissons sucrées a été très faible - inférieure à 2 % par rapport au prix des boissons édulcorées -, et la moindre consommation de sucres est évaluée à moins d'un gramme par mois par habitant.

Enfin, sauf dans certains cas, les producteurs n'ont pas vraiment diminué le taux de sucre de leurs produits - ce que l'on appelle l'effet de reformulation - pour réduire le poids de la taxe qu'ils doivent payer.

Ce bilan décevant s'explique par le format de la taxe, trop complexe - elle présente quinze paliers ! - et trop progressif, qui ne produit pas d'effet de seuil significatif pour inciter les consommateurs ou les industriels à modifier leur comportement. D'autres modèles existent, nous le verrons par la suite.

D'ailleurs, tant que les recettes fiscales continuent d'augmenter, on peut considérer que la taxe ne décourage pas suffisamment la consommation des boissons sucrées.

Enfin, d'autres mesures sont mobilisées pour essayer de structurer une politique nutritionnelle, avec plus ou moins de succès. Les chartes d'engagements volontaires qui permettent à l'État de contractualiser avec des filières de production pour améliorer la composition nutritionnelle des produits, sur la base du volontariat, ont eu un effet très limité. De même, la loi du 20 décembre 2016 relative à la suppression de la publicité commerciale dans les programmes jeunesse de la télévision publique, dite loi Gattolin, est aujourd'hui dépassée et très largement insuffisante.

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure. - Je prends le relais pour vous présenter la seconde partie de notre exposé, relative aux propositions. Celles-ci se décomposent en quatre parties : des propositions transversales, puis des recommandations relatives au tabac, à l'alcool, et enfin à la nutrition.

Il nous apparaît d'abord important que les recettes fiscales générées par les accises comportementales puissent être davantage orientées vers le financement de campagnes d'information et de sensibilisation - toutes les personnes auditionnées sont allées dans ce sens - , ou vers des dispositifs de soutien à l'achat de produits alimentaires favorables à la santé. Cette affectation est de nature à renforcer l'acceptabilité des taxes et crée un lien direct entre l'objet de la taxe et l'utilisation de ces recettes.

Ensuite, nous avons voulu souligner que la prévention doit être globale, alors qu'elle n'est aujourd'hui concentrée que sur le tabac. Une véritable politique de prévention de la consommation excessive d'alcool et de la mauvaise alimentation est nécessaire. Il faut pour cela cibler les publics, en priorité les jeunes et les adolescents, et travailler en partenariat avec les institutions scolaires et les collectivités locales, qui agissent au plus près des populations pour proposer des outils pragmatiques.

Enfin, nous devons nous donner les moyens de faire respecter la réglementation en vigueur concernant les interdictions de vente de tabac et d'alcool aux mineurs. C'est loin d'être le cas aujourd'hui - neuf débits de boissons sur dix ne respectent pas la loi. C'est un constat d'échec. Nous proposons d'alourdir les sanctions, qui n'ont pas d'effet dissuasif, et de renforcer les contrôles par une vérification des données d'identité pour s'assurer de l'âge lors de l'achat en magasin et en donnant compétence aux agents de la répression des fraudes.

J'en viens maintenant aux propositions concernant la lutte contre le tabagisme. Compte tenu des enjeux et de l'activité intense de communication et de lobbying de l'industrie du tabac, je suis obligée de m'attarder un peu sur le sujet.

D'abord, ce graphique montre le principal motif d'optimisme. Alors qu'il y a dix ans, le tabagisme quotidien au lycée était de 30 %, soit équivalent à celui du reste de la population, il s'élevait à 6 % en 2022. Si l'industrie du tabac ne trouve pas le moyen de contrecarrer cette évolution, le remplacement générationnel devrait permettre à la France de connaître enfin, au cours des prochaines décennies, la baisse du tabagisme qui a eu lieu dans les autres pays.

Toutefois, cela ne veut pas dire qu'il ne faut rien faire. La principale proposition que nous faisons est de reprendre l'augmentation de la fiscalité du tabac. Cela peut a priori sembler paradoxal, si on considère que la France est à la fois l'un des pays où la fiscalité du tabac est la plus élevée et où le tabagisme est le plus élevé.

Toutefois, on a vu que l'étonnante stabilité du tabagisme en France, qui la distingue des autres pays, remonte aux années 1960, soit bien avant les hausses de fiscalité de ces vingt dernières années.

Par ailleurs, les principales hausses de fiscalité, celles de 2003-2004 et de 2018-2020, ont correspondu à deux des trois principales baisses du tabagisme, la dernière étant consécutive à la loi Évin de 1991. Il y a donc bien une efficacité des hausses de taxe.

Le graphique permet d'objectiver ce phénomène. Les années où le prix des cigarettes augmente de moins de 4 %, le tabagisme augmente généralement. En revanche, quand le prix des cigarettes augmente de plus de 4 %, le tabagisme diminue presque toujours.

La direction générale de la santé (DGS) nous a donc indiqué préconiser une hausse continue du prix des produits du tabac - une véritable augmentation, pas une simple indexation sur l'inflation, comme c'est actuellement le cas.

La fiscalité est d'ailleurs indiquée par l'OMS comme la mesure antitabac la plus efficace.

La reprise de l'augmentation du prix des produits du tabac permettrait en outre de conforter l'éloignement des jeunes du tabagisme, qui est le sujet le plus stratégique.

La hausse de la fiscalité du tabac suscite, comme chacun sait, l'opposition de l'industrie du tabac et des buralistes. Il apparaît pourtant que les hausses de fiscalité ne sont pas la principale cause de la baisse du nombre de buralistes. En moyenne, quand le prix augmente, la baisse des ventes est proportionnellement moindre, de sorte que les bénéfices des buralistes augmentent. Le tabac n'en joue pas moins un rôle de produit d'appel.

Le principal argument avancé par l'industrie du tabac pour s'opposer à une hausse de la fiscalité est que, selon elle, l'augmentation des prix en France susciterait une explosion du marché parallèle, notamment illégal. L'industrie du tabac communique abondamment à ce sujet, dans la presse et à l'attention des élus.

Toutefois, ses estimations du marché parallèle sont explicitement contestées par la direction générale des finances publiques (DGFiP), la direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI) et l'Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT), dont les évaluations sont beaucoup plus faibles. Il faut avoir la modestie de reconnaître qu'on ignore l'ampleur exacte du marché parallèle. Le programme national de lutte contre le tabac 2023-2025 de la DGDDI prévoit d'ailleurs la réalisation d'une enquête plus approfondie sur celui-ci.

Par ailleurs, l'augmentation du marché parallèle indiquée par l'industrie du tabac est beaucoup moins spectaculaire si on l'exprime en nombre de cigarettes, et non en pourcentage du nombre total de cigarettes, la hausse étant alors concentrée sur 2021 et 2022. Et en supposant que cette hausse corresponde à une réalité, il resterait à prouver qu'elle vient bien de la hausse de prix de 2018-2020.

La cigarette électronique ne nous semble pouvoir jouer qu'un rôle assez faible dans la diminution du tabagisme. Nous vous proposons donc de laisser les autorités sanitaires faire leur travail d'évaluation et de ne pas faire de propositions à ce sujet.

Le tabac à chauffer est beaucoup plus dangereux que la cigarette électronique. Il nous semble donc nécessaire de résister au lobbying de l'industrie du tabac, qui demande d'abaisser sa fiscalité. Dans la LFSS pour 2023, nous avions voté des dispositions permettant de rapprocher la fiscalité du tabac à chauffer de celle du tabac classique.

La proposition n° 4 consiste à augmenter le prix des produits du tabac d'au moins 3,25 % par an hors inflation jusqu'en 2040 (soit 5 % avec une inflation de 1,75 %). C'est en effet le taux à partir duquel la prévalence du tabagisme baisse en France.

Il nous semble qu'on pourrait augmenter le prix des produits du tabac non seulement par la fiscalité, mais aussi par une augmentation de la part du prix de vente revenant aux buralistes, fixée réglementairement.

La proposition n° 5 est le corollaire de la précédente. Pour qu'une hausse de la fiscalité soit socialement acceptable, il faut renforcer la lutte contre le marché parallèle.

La proposition n° 6 ne concerne pas le tabac, mais les produits contenant de la nicotine. Actuellement, si on excepte la cigarette électronique, ces produits peuvent être vendus aux mineurs. Cela concerne notamment les billes de nicotine. Nous préconisons d'interdire cette vente aux mineurs, conformément à une récente proposition de loi de notre collègue Alexandra Borchio-Fontimp. Comme elle, nous proposons que ces produits ne puissent être vendus que dans des bureaux de tabac ou des magasins spécialisés.

La proposition n° 7 pourrait sembler inutile, puisqu'elle préconise de maintenir le droit inchangé. En réalité, les industriels du tabac font un lobbying intense pour alléger la fiscalité sur le tabac à chauffer. Il nous semble donc utile de réaffirmer notre opposition à cette revendication.

J'en viens maintenant à nos propositions relatives à l'alcool.

Selon l'OFDT, quasiment aucun État européen producteur de vin ne taxe ce produit. Les seules exceptions sont la France et la Grèce, qui ne le taxent presque pas.

Lors du Printemps social de l'évaluation de 2023, la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale a adopté un rapport comprenant divers chapitres thématiques, dont l'un, rédigé par Cyrille Isaac-Sibille et Thierry Frappé, était consacré à la fiscalité comportementale applicable aux boissons. Ce rapport va assez loin dans ses propositions, préconisant notamment d'augmenter la fiscalité du vin.

Nous devons cependant être réalistes. Nous connaissons la teneur des débats concernant l'alcool. La France n'augmentera pas significativement la fiscalité du vin.

Une solution plus pragmatique serait d'instaurer un prix minimum de vente par unité d'alcool, comme c'est notamment le cas en Écosse depuis plusieurs années.

Par exemple, si on fixait un prix minimum à 60 centimes pour 10 grammes d'alcool, une bouteille de vin de 75 centilitres ne pourrait pas être vendue à moins de quatre ou cinq euros. Or certaines bouteilles sont vendues à deux euros.

La proposition n° 8 consiste à préconiser la poursuite des réflexions sur l'instauration d'un prix minimum par unité d'alcool. Actuellement la filière s'y oppose, craignant que la marge générée revienne aux vendeurs et aux grandes surfaces. Nous souhaiterions qu'elle bénéficie uniquement au producteur.

Le rapport de 2023 de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale préconisait non seulement d'augmenter la fiscalité du vin, mais aussi d'instaurer un prix minimum par unité d'alcool.

Je précise que le prix minimum par unité d'alcool ne relève pas des projets de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS).

La proposition n° 9 consiste à mieux encadrer la publicité de l'alcool. Actuellement, les sanctions sont soit insignifiantes, soit inapplicables. Dans le cas d'internet, où la publicité est autorisée depuis 2009, les règles sont peu respectées, en particulier par les influenceurs. Nous vous proposons donc de retenir des peines plus dissuasives et adaptées et d'interdire la publicité pour l'alcool sur internet.

La proposition n° 10 consiste à élaborer et à rendre public un programme national de réduction des consommations nocives d'alcool, sur le modèle des programmes nationaux de lutte contre le tabac. C'est une recommandation qu'avait formulée la Cour des comptes en 2016. Un tel programme national permettrait de fixer des objectifs clairs et favoriserait la cohérence des actions menées.

Pour terminer, nous avons également formulé des propositions dans le champ nutritionnel, pour créer les conditions d'un environnement favorable à la santé.

Concernant le format de la « taxe soda », il nous semble nécessaire de le réformer à nouveau pour lui donner une portée réellement comportementale et renforcer son efficacité. C'est l'objet de la proposition n° 11.

Le cas du Royaume-Uni est tout à fait éclairant : ce pays a mis en place une taxe sur les sodas en 2018, qui pèse sur la quantité totale de sucres dans les boissons, et non sur les seuls sucres ajoutés comme en France. Il n'y a que deux tranches fiscales, contre quinze en France !

L'effet incitatif est d'autant plus fort que les paliers entre les niveaux de taxe sont élevés. Au final, l'effet de la taxe britannique a été dix fois supérieur à celui de la taxe française si l'on compare la moindre quantité de sucres consommés.

Par ailleurs, il est ressorti de nos travaux qu'une taxe bien expliquée aux contribuables et comprise des consommateurs est relativement bien acceptée. C'est pourquoi nous recommandons d'accompagner cette réforme d'une communication claire, en insistant sur le fait que les recettes de ces taxes pourront être affectées au financement d'actions de prévention en santé (proposition n° 12).

Pour aller plus loin, il ne faut pas se limiter à l'outil fiscal. La définition d'une politique nutritionnelle nécessite en effet d'autres mesures.

Tout d'abord, le choix de recourir à des outils non contraignants pour faire évoluer la composition des produits alimentaires des produits - c'est-à-dire réduire les taux de sucre, de sel, de gras - n'a pas fait ses preuves. La Cour des comptes a fait le même constat dans un précédent rapport sur la lutte contre l'obésité.

Sur le modèle d'autres pays, comme l'Autriche ou le Danemark, des standards de composition nutritionnelle pourraient être fixés pour certains catégories d'aliments. C'est le sens de notre proposition n° 13. Cette mission serait confiée à l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses). Je rappelle que le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) avait recommandé d'agir en ce sens dès 2017.

En parallèle, le soutien à la consommation de fruits et de légumes, avec un dispositif de chèque alimentaire, pourrait être prévu. C'est ce qui avait été proposé par la Convention citoyenne pour le climat en 2020. Le Gouvernement avait souscrit à cette idée avant d'y renoncer. Il a seulement été inscrit dans la loi d'août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience que le Gouvernement remettrait au Parlement une étude d'impact dans les six mois sur les conditions de mise en oeuvre d'un chèque alimentaire - nous l'attendons toujours.

Parce que cette mesure nous semble importante, nous voulons, avec la proposition n° 14, rappeler le Gouvernement à ses engagements et disposer de cette étude d'impact pour que le Parlement puisse en débattre et décider de la possibilité d'expérimenter ce dispositif.

La question du marketing nutritionnel nous apparaît aussi très importante et nous l'avons largement discutée avec tous les acteurs rencontrés. Les études démontrent que l'exposition à la publicité a une influence forte sur les comportements alimentaires, et c'est particulièrement vrai pour les enfants et adolescents.

La loi Gattolin, qui régule la publicité durant les programmes télévisés destinés aux enfants de moins de 12 ans, est aujourd'hui dépassée. Internet échappe à toute régulation, alors qu'il s'agit du premier média visionné par les adolescents. De plus, les tranches horaires visées par la loi Gattolin ne représentent que moins de 1 % des programmes vus par les enfants. Donc, sur la base de travaux très précis conduits par Santé publique France, nous proposons d'encadrer beaucoup plus fortement la publicité pour des aliments qui affichent une mauvaise composition nutritionnelle, et pas seulement à la télévision (proposition n° 15).

Concernant le Nutri-Score, enfin, la réglementation européenne ne permet pas d'imposer un affichage obligatoire nouveau sur les emballages alimentaires. C'est le règlement de 2011 qui interdit de nouvelles mentions obligatoires. Le logo reste donc volontaire pour les industriels. Toutefois, et c'est encourageant, six autres pays européens - la Belgique, l'Allemagne, la Suisse, l'Espagne, le Luxembourg et les Pays-Bas - se sont coordonnés avec la France pour la mise en oeuvre du Nutri-Score.

Là encore, les études montrent non seulement que les produits qui seraient étiquetés D ou E affichent peu le Nutri-Score, mais aussi que cet outil influence le choix des consommateurs. C'est pourquoi l'activité de plaidoyer de la France pour un Nutri-Score obligatoire doit être poursuivie et renforcée, comme l'indique notre proposition n° 16.

M. Philippe Mouiller, président. - Je vous remercie pour ce travail de longue haleine, qui a nécessité de nombreuses auditions.

M. Bernard Jomier. - En introduction, vous menez une réflexion sur l'intérêt de la fiscalité comportementale. La dénomination ne me paraît pas bonne. Les sénateurs Catherine Deroche et Yves Daudigny s'interrogeaient également sur cette notion dans le rapport d'information de 2014 de la Mecss, Fiscalité et santé publique : état des lieux des taxes comportementales. La question des comportements est en effet complexe : il serait sans doute plus approprié de parler de « fiscalité sanitaire ». Nous entendrions ainsi mieux son objectif. La fiscalité est instituée soit pour générer des recettes, soit pour améliorer des indicateurs de santé.

Plus loin, vous parlez, à plusieurs reprises, d'un « constat d'échec ». Il me semble que la situation est plus contrastée. Certes, la consommation de tabac reste trop importante, mais la tendance n'est pas si négative que cela. À ce titre, le taux minimal d'augmentation du prix que vous proposez n'est pas très important. Les études montrent pourtant qu'une hausse substantielle, en un seul coup, est nécessaire pour réduire la consommation. Les augmentations annuelles n'ont pas d'impact, et apparaissent davantage comme un moyen d'augmenter les recettes de l'État, ce qui prête le flanc à la critique. Il vaut mieux augmenter la fiscalité de 15 % d'un coup que de 5 % à trois reprises.

En outre, l'industrie du tabac est l'une des plus corruptrices au monde. Nous devrions aller vers une révision de la directive européenne sur les produits du tabac. Or, chacun s'en souvient et le film Une affaire de principe le raconte bien, la dernière révision de 2012 a été l'objet d'un scandale sans nom. Le commissaire européen John Dalli, accusé de corruption par l'industrie du tabac, a été poussé à la démission. Il était pourtant totalement innocent. Il s'agissait d'une manipulation montée par les industriels pour le compromettre. C'est dire jusqu'où va ce lobby !

L'industrie du tabac est en train de glisser vers la commercialisation de produits sans fumée. Comment devons-nous réagir à cette réorientation stratégique ? L'outil de la fiscalité permettra-t-il d'y répondre ?

Enfin, Frédéric Valletoux, alors qu'il était député, avait déposé une proposition de loi afin de lutter contre les marchés parallèles. Le débat est d'une hypocrisie sans nom. Il est bien connu que l'industrie du tabac suralimente les marchés du Luxembourg ou d'Andorre pour nourrir le marché parallèle. Et après cela, les industriels tentent de nous expliquer qu'il faudrait baisser les taxes pour lutter contre ce phénomène !

Concernant l'alcool, il ne faudrait pas que le réalisme soit une résignation. Je comprends la difficulté à défendre certaines mesures, mais demandons-nous d'abord ce qui est utile pour la santé. Vient ensuite l'arbitrage politique entre les différents intérêts.

Je vous remercie d'avoir posé la question de l'instauration d'un prix minimum de l'alcool. Ainsi, les hypocrisies apparaissent. Ce prix minimum n'est pas une hausse de la fiscalité et n'a pas d'impact sur les filières considérées. En revanche, il en a un sur la santé publique, en en améliorant les indicateurs. Une filière qui s'oppose au prix minimum de l'alcool s'oppose à la réduction de la consommation de son produit et fait fi de son impact sanitaire. Nous pourrons avoir le débat lors de l'examen du prochain projet de loi de finances. La présidente de la sixième chambre de la Cour des comptes a dit qu'elle inscrirait ce point à son ordre du jour.

Vous êtes-vous penchées sur l'effet de la fiscalité sur l'équilibre des comptes sociaux ? Je me félicite que vous souhaitiez un meilleur fléchage des recettes de la fiscalité vers la prévention.

M. Alain Milon, président de la Mecss. - Je félicite Élisabeth Doineau et Cathy Apourceau-Poly pour leur travail remarquable. Leurs conclusions et propositions sont assez innovantes, en particulier l'instauration d'un prix minimum de l'alcool. Que les recettes de la fiscalité comportementale servent à la prévention est une bonne idée, mais elle n'est pas évidente à transcrire dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Je trouve que les rapporteures ne sont pas allées assez loin sur le sucre. Certaines entreprises intègrent du sucre dans les aliments pour bébé alors que ce n'est pas utile. Inscrivons l'interdiction de cette pratique dans le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Mme Florence Lassarade. - Merci aux rapporteures pour la qualité de leur travail. On cherche à combattre des addictions par des taxes. Or, il y a des addictions de toutes sortes. Actuellement, nous sommes confrontés à un problème d'obésité. Dans le cadre de la mission d'information sur la périnatalité, nous avons vu que le taux d'obésité avait augmenté de 20 % en vingt ans chez les femmes enceintes. Les coachs sportifs recommandent certains produits contre l'obésité, comme les barres hyper-protéinées, or elles sont nocives et, souvent, les mères qui en consomment en proposent à leurs enfants au petit déjeuner.

L'hypertension est un fléau lié à l'obésité et, sans doute, à la consommation excessive de sel. Dans votre proposition n° 13, vous suggérez de fixer des quantités maximales de sel dans les aliments. Qu'en est-il des eaux pétillantes, très riches en sel ?

On note une déconsommation constante de vin alors que le vin n'est presque pas taxé. Finalement, est-ce que ce sont les taxes qui incitent à moins consommer ?

Mme Raymonde Poncet Monge. - Merci aux rapporteures pour la qualité de leurs auditions. J'ai été étonnée d'entendre que la politique de lutte contre le tabac était un échec. On pourrait plutôt parler d'« essoufflement » de cette politique. La seule approche qui ait fonctionné a été systémique, incluant notamment l'interdiction de la publicité et l'interdiction de fumer dans les lieux publics clos, le paquet neutre et le Mois sans tabac. Il s'agissait de modifier les représentations. Et en effet, les jeunes, désormais, ne cherchent plus à fumer pour ressembler au « cow-boy Marlboro ».

Il faudrait également adopter une politique systémique contre l'alcool. Je regrette l'absence de campagne multi-entrées. On devrait déjà commencer par interdire la publicité pour l'alcool. En outre, pour fonctionner, le signal du prix doit être visible et annoncé. L'évolution progressive du prix des cigarettes a entraîné une habituation.

Là où la politique contre le tabac a en effet été un échec, c'est en matière d'inégalités. Comment faire pour que les 20 % les plus pauvres ne surconsomment pas de tabac ? Certaines habitudes sont parfois difficiles à empêcher. J'ai entendu que les boissons sucrées donnaient un effet illusoire de satiété, par exemple. Pour réduire les inégalités de santé, il faut surtout s'attaquer à la pauvreté.

Bernard Jomier suggérait de parler de « fiscalité sanitaire ». Parlons plutôt de « fiscalité de santé », ce qui englobe les inégalités de santé dans la réflexion.

Pour lutter contre le marché parallèle du tabac, il faut limiter l'approvisionnement en tabac d'un pays à la quantité correspondant à la consommation locale.

M. Bernard Jomier. - C'est l'objet du texte défendu par M. Valletoux.

Mme Raymonde Poncet Monge. - On croit défendre nos filières viticoles, mais le vin qui sera pénalisé par le prix minimum de l'unité d'alcool est importé. Au contraire, on pourra ainsi protéger les niches de vin de meilleure qualité.

Le lobby du sucre est comparable à celui du tabac. Il offre des animations aux enfants pour les inciter à consommer du sucre.

Mme Véronique Guillotin. - Merci aux deux rapporteures pour la qualité de leur travail. J'ai reçu plusieurs fois des représentants de lobbies du vin, venus m'expliquer l'effet néfaste du prix minimum de l'alcool. Je suis très contente que celui-ci soit recommandé par le rapport. Je suis un peu déçue, en revanche, d'une sorte de résignation sur l'alcool qui laisse entendre que l'on ne pourrait pas faire grand-chose. L'impact de ce produit sur la santé publique est réel. Il faut donc des actions ciblées. Certes, le modèle économique de ce secteur ne doit pas être négligé, mais ce n'est pas la priorité de la commission des affaires sociales. J'ai demandé aux représentants de la filière du vin comment ils se projetaient dans l'avenir, en cas de baisse de la consommation. Ils m'ont répondu que ce n'était pas mon problème... Cela a signé la fin de la conversation.

Je ne me résigne pas à l'inaction.

Les chèques alimentaires pour l'achat de fruits et légumes sont une excellente proposition. Il faudrait défendre le slogan : « Faire comme avant », c'est-à-dire donner des légumes et des fruits aux enfants plutôt que des gourdes de compote, qui provoquent un pic de sucre. Retrouvons de bonnes habitudes. En Alsace, des chèques de ce type sont proposés dans les centres communaux d'action sociale.

Je vis à cinq minutes en voiture du Luxembourg, où les produits du tabac coûtent moins cher qu'en France. Un décret publié le 29 mars dernier supprime toute limite explicite au nombre de cigarettes pouvant être achetées par un particulier dans un autre Etat de l'Union européenne. La seule limite éventuelle est qu'il est difficile, si l'on achète quinze paquets par jour, d'affirmer que c'est pour sa consommation personnelle. J'aimerais bien connaître le taux de consommation de tabac des habitants du Luxembourg et celui des habitants des zones frontalières qui s'y approvisionnent.

Je suis plus optimiste que les rapporteures sur l'évolution de la consommation de tabac. Insistons sur la réussite que traduit le moindre taux de consommation chez les jeunes. Les politiques doivent cibler les publics en amont de l'entrée dans le tabagisme, avant que les habitudes ne soient ancrées, car après, il sera difficile de s'en défaire.

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure. - Je voudrais remercier tous ceux qui ont participé aux auditions de la Mecss, car elles ont été passionnantes. La position de certains, dont les industriels du tabac, était connue d'avance.

Nous avons réalisé un travail énorme, au cours d'une quarantaine d'auditions. Il a été compliqué de choisir, ce matin, quelles informations mettre en avant. Aussi, je vous invite à lire notre rapport.

Je remercie Bernard Jomier pour ses remarques, auxquelles nous souscrivons pleinement. Fallait-il conserver le titre de « Fiscalité comportementale » ? Ce que nous voulons, c'est améliorer la santé des Français. Ainsi, si nous avons insisté sur les morts évitables, c'est pour vous interpeller, et ce n'est pas la fiscalité en tant que telle qui nous a intéressées. Certains ont avancé que nous cherchions à augmenter les taxes pour combler le trou de la sécurité sociale, mais ce n'est pas du tout le cas ! Nous voulons surtout qu'il y ait moins de malades à soigner et moins de personnes affaiblies par des addictions.

Le rapport d'information de 2014 qu'a cité notre collègue Bernard Jomier mentionnait la notion de « contribution de santé publique ». Nous avons pris le parti de rester sur la « fiscalité comportementale » par souci de clarté. Tous ceux qui ont intérêt à ce que leurs produits continuent d'être vendus en grande quantité veulent dire « stop » à la fiscalité quand d'autres souhaitent l'augmenter. De notre point de vue, la fiscalité est un outil, mais s'il n'est pas accompagné, il n'a plus aucun intérêt en termes de santé. D'où l'inclusion dans notre rapport de dispositions sur la publicité et sur l'information.

Quand nous employons, dans le cas du tabac, le mot « échec », ce n'est pas pour dire que les politiques n'auraient pas eu d'effet - nous affirmons le contraire -, mais pour souligner le fait que la prévalence du tabagisme quotidien est aujourd'hui l'une des plus élevées de l'OCDE, et est à peu près la même que dans les années soixante, ce dont on ne peut se satisfaire.

Dans le cas de l'alcool, s'il est vrai qu'en France la consommation par habitant a été divisée par deux depuis les années soixante, elle reste supérieure à ce qu'elle était dans la plupart des pays à cette période. Par ailleurs, aujourd'hui, dans l'OCDE, seuls trois États ont une consommation d'alcool par habitant supérieure à celle de la France. Nous ne pouvons rester inactifs.

À la page 37 du rapport, nous avons réalisé un chiffrage indicatif de l'impact de l'alcool, du tabac et de l'obésité sur les finances publiques, en prenant notamment en compte l'effet de la perte de PIB sur les recettes. Le coût net pour les finances publiques serait de plusieurs dizaines de milliards d'euros.

Alain Milon, nous vous remercions, en tant que président de la Mecss, d'avoir soutenu l'inscription de ce rapport au programme de travail de la Mecss. Votre préconisation d'interdire l'ajout de sucre dans certains aliments pour bébé est cohérente avec la proposition n° 13.

Florence Lassarade, vous avez surtout parlé d'obésité et des produits protéinés et salés. Dans les différents programmes de l'État relatifs à l'alimentation et à la santé, des demandes sont faites aux producteurs. Néanmoins, dans le cadre des chartes d'engagement, seuls les boulangers ont mis en oeuvre une politique efficace de diminution de la quantité de sel dans le pain, à hauteur de 30 % d'ici à 2025. De grands cuisiniers font aussi des efforts pour diminuer le sucre dans leurs desserts, mais ces engagements ne sont pas suffisamment suivis par les principaux industriels. En tant que présidente d'une épicerie sociale, quand je vois les étiquettes des produits que je distribue, pizzas ou plats préparés, je suis consternée ! Nous allons travailler sur le sujet localement avec la Banque alimentaire, mais il est grand temps d'agir à la base, c'est-à-dire avec ceux qui produisent ce genre de produits. Si nous ne faisons rien, les gens risquent de s'habituer à mal s'alimenter dès le plus jeune âge. Tout est question de dosage et de santé personnelle, car certains sont plus sensibles au sucre et au sel.

Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure. - Le mot « échec » n'a été employé que sur le tabagisme.

Mme Raymonde Poncet Monge. - L'échec concerne plutôt les deux autres sujets.

Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure. - Certes, mais il concerne aussi le tabagisme. J'ai souhaité inscrire ce terme pour créer un choc, car le tabagisme est quasiment resté à un taux stable depuis les années 1960. Eu égard aux nombreuses campagnes qui ont été menées et aux moyens mis en oeuvre, on ne peut pas parler de « réussite ». Cela dit je ne vois pas d'objection à parler, comme certains collègues, d'« essoufflement ».

Toutefois, l'échec ne veut pas dire qu'il faut arrêter la prévention. Au contraire, il convient de continuer les démarches, de les amplifier et de réfléchir à d'autres campagnes ou à de nouveaux moyens d'action. Il est également important de s'adapter à la société d'aujourd'hui, notamment à l'influence des réseaux sociaux sur les jeunes.

Les pays frontaliers représentent un vrai souci. J'habite dans le Pas-de-Calais, dans une commune limitrophe de la Belgique ; nos habitants s'y rendent chaque semaine pour faire le plein d'essence et pour acheter des cartouches de cigarettes. Nous parlons de santé publique, alors même qu'un récent décret supprime toute limite explicite du nombre de cigarettes en provenance de l'Union européenne.

M. Xavier Iacovelli. - Je soutiens complètement ce rapport. Merci à nos deux rapporteures pour l'important travail qu'elles ont effectué. Si l'on pouvait changer le terme de « fiscalité comportementale » en « fiscalité sanitaire », ce serait plus logique. En effet, la question est avant tout de santé publique et notre responsabilité est de faire en sorte que les prix soient encadrés pour cela.

Sur le sucre et l'obésité, j'avais déposé un amendement lors de l'examen du PLFSS pour 2024, voté à la quasi-unanimité du Sénat, visant à instaurer des taxes pour l'industrie agroalimentaire. Cette dernière nous empoisonne au quotidien, car le sucre est aussi addictif que la cocaïne ! Il ne faut pas taxer les consommateurs, mais contraindre les industriels à diminuer le taux de sucre dans leurs produits. Malheureusement, cet amendement a été écarté après application de la procédure prévue à l'article 49 alinéa 3 de la Constitution. Le débat devrait être reporté à la discussion du PLFSS pour 2025.

Le Nutri-Score a été une très belle invention, d'autant que 60 % des industriels le respectent. Mais ceux de nos concitoyens qui ont de petits revenus regardent le prix plutôt que le Nutri-Score, et cela au détriment de la santé de leurs enfants. Il faudrait que les taxes soient plus importantes sur les produits de mauvaise qualité. Je ne sais pas s'il est possible d'instaurer une taxe différenciée selon la qualité nutritionnelle à l'échelle européenne, mais il faut y travailler, car l'obésité touche souvent les plus précaires.

Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure. - Exactement !

M. Xavier Iacovelli. - En tant qu'élus, nous devons veiller à ce que la restauration dans les collectivités locales soit exemplaire. L'enjeu porte non seulement sur la santé, mais aussi sur l'économie. En effet, les maladies liées à l'obésité représentent un coût de 13 milliards d'euros par an pour la sécurité sociale. Et je ne parle pas de la baisse de productivité que vous avez détaillée dans votre rapport. C'est un vrai sujet de santé publique qui dépasse les clivages partisans.

Mme Chantal Deseyne. - Je voudrais revenir sur le volet de la qualité nutritionnelle, car pas moins de 18 maladies sont induites par le surpoids. Généraliser le Nutri-Score est une bonne mesure, mais l'on pourrait aussi contraindre les industriels de l'alimentation ultra-transformée à modifier la composition de leurs préparations. Je ne suis pas hostile aux taxes, mais on risque de faire payer les plus précaires. Lors des auditions que nous avions organisées dans le cadre de notre mission d'information sur le surpoids et l'obésité, une sociologue nous expliquait que, pour faire plaisir à leurs enfants, les parents aux revenus modestes leur donnaient un soda ou un pain au lait industriel, soit des produits moins chers, mais de mauvaise qualité. Il faut donc développer l'éducation au bien-manger, éventuellement avec des cours de cuisine dispensés dans des associations ou bien grâce à un chèque pour acheter des fruits et légumes.

Mme Brigitte Devésa. - L'alimentation et l'obésité en France sont un drame et nous l'avions montré dans notre rapport d'information Surpoids et obésité, l'autre pandémie. Je vous félicite, mesdames les rapporteures, pour votre travail remarquable. Je suis ravie que vous cherchiez à relancer le Nutri-Score. En effet, lors de nos auditions, nous avions constaté que les industriels français n'étaient pas proactifs sur ce sujet. Si l'on instaure une taxe, il ne faudrait pas que ce soit les plus pauvres qui en pâtissent. Je suis d'accord avec Raymonde Poncet Monge, c'est sur la pauvreté qu'il faut agir.

À l'ONU, 193 pays ont adopté l'Agenda 2030 : ce programme en faveur du développement durable définit 17 propositions pour éradiquer les inégalités concernant la pauvreté, la santé, etc. Sa recommandation n° 3 vise notamment à promouvoir le bien-être à tous les âges. Étant rapporteure sur le dossier de contrôle Entreprises et climat, dans le cadre de la délégation aux entreprises, je me rends compte qu'il est indispensable de mettre en place toutes ces recommandations si l'on veut améliorer la situation. Quelle est votre réflexion à cet égard ?

Mme Céline Brulin. - Ce débat me semble très intéressant. En effet, on pourrait orienter la consommation des gens en fonction de certains objectifs de santé. Mais il ne faut pas oublier les dimensions sociale et culturelle du problème. Vous avez raison, madame la rapporteure générale, de rappeler que le soupçon selon lequel l'enjeu est surtout de remplir les caisses de l'État et d'atténuer le déficit de la sécurité sociale est réel, et il va l'être de plus en plus. Par conséquent, les recettes de cette fiscalité doivent être orientées a minima sur des campagnes de prévention et d'éducation, dans un objectif de santé publique. Je souscris aussi à votre proposition de revenir à la source du problème : de grands groupes et des lobbies offrent sciemment de nouveaux produits qui sont néfastes à la santé et qui créent des addictions. Nous sommes les premiers acteurs de notre santé, mais nos concitoyens ne peuvent pas être tenus comme seuls responsables face aux nouveaux phénomènes de société qui se développent.

Quant à la publicité, la réglementation est moyenâgeuse. Aujourd'hui, internet et les réseaux sociaux jouent un rôle considérable pour susciter des consommations qui ne sont pas bonnes pour la santé.

M. Daniel Chasseing. - Je veux à mon tour féliciter les rapporteures pour ce travail.

Je ne crois pas qu'on puisse parler d'un échec dans la lutte contre le tabagisme, puisque l'usage du tabac chez les jeunes est passé de 30 % en 2011 à 6 % en 2022. Ce n'est sûrement pas suffisant, mais ce n'est quand même pas rien.

Les buralistes évoquent le sentiment d'une explosion du marché parallèle, même dans les départements ruraux non frontaliers. Cela ne semble pas être le cas. Il est important d'avoir un état des lieux précis.

Il faut également bien faire savoir que le tabac à chauffer est aussi dangereux que le tabac.

En ce qui concerne l'alcool, je trouve positif de ne pas avoir augmenté la fiscalité sur le vin. Nous devons travailler avec la filière pour que nos actions profitent aussi aux producteurs. Je note que, dans les départements ruraux notamment, nombre de services d'addictologie ont fermé, certainement par manque de médecins... Or nous savons que 10 % des consommateurs représentent 60 % de la consommation. Il est donc très important de maintenir ces services en vue d'un accompagnement intensif. Il faut aussi mener des campagnes d'information auprès des jeunes sur les dangers d'une addiction massive, même ponctuelle.

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure. - Nous devons effectivement travailler avec les collectivités locales et les acteurs locaux pour lutter contre les addictions, en particulier chez les jeunes. C'est, pour beaucoup, une affaire d'éducation : chacun doit bien avoir conscience qu'il n'a qu'une vie et qu'il faut protéger sa santé.

Les préoccupations de Brigitte Devésa trouvent un écho dans des stratégies nationales, notamment le programme national nutrition santé (PNNS) 2019-2023, qui vise une baisse de 20 % de la fréquence de surpoids et d'obésité chez les enfants et adolescents, et dans la stratégie nationale pour l'alimentation, la nutrition et le climat (Snanc), plus globale. Pour autant, je note que nous ne disposons pas d'un tel programme sur l'alcool, d'où notre proposition d'un programme national de réduction des consommations nocives d'alcool.

Par ailleurs, je note que les industriels sont simplement « invités » à mettre en place des démarches volontaires, par exemple au travers de chartes ou d'engagements collectifs, et que tout cela est trop faible. Nous pensons qu'il faut travailler sur l'idée de trouver de nouvelles formules à leurs produits avec une meilleure qualité nutritive. Le mouvement est très lent ! Par exemple, un limonadier a diminué la quantité de sucre dans ses produits ; malheureusement, ce type d'initiative est très rare. Nous devons trouver un moyen pour forcer les choses.

Enfin, sur le Nutri-Score, les industriels sont trop frileux : le logo est surtout appliqué pour les produits qui ont un bon classement, pas pour les autres... Nous devons trouver, au niveau européen, les moyens d'aller plus loin.

Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure. - Les élus sont souvent inventifs sur le terrain et les idées qu'ils développent - ateliers cuisine, cueillettes, aides à la préparation de repas, etc. - pourraient utilement être reprises et mises en oeuvre plus largement.

Je veux revenir sur un point très important. Ce sont les catégories sociales les plus pauvres qui mangent le plus mal. Les conditions sociales difficiles expliquent aussi en partie la prévalence des addictions. Nous ne devons pas nous voiler la face ! Il faut donc aider particulièrement ces populations. C'est pour cette raison que je ne souhaite pas que nous proposions ce qui pourrait ressembler à une punition : si nous fiscalisons certains produits - je ne parle pas à cet instant de l'alcool ou du tabac -, cela aura des conséquences directes sur les familles et nous devons y prendre garde.

Je crois par ailleurs qu'il faut taxer les régimes protéinés, car les conséquences peuvent être graves.

En ce qui concerne le sucre, nombre de médecins sont très inquiets sur l'importance du sucre ajouté dans les aliments. Cela crée une addiction larvée.

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure. - Je veux insister sur la responsabilité de chacun et sur le fait que nous devons, avec les acteurs locaux, sensibiliser la population dès le plus jeune âge.

Les recommandations sont adoptées.

La commission adopte, à l'unanimité, le rapport d'information et en autorise la publication.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES ET DES CONTRIBUTIONS ÉCRITES

___________

Auditions par la Mecss

Cf. supra les comptes rendus des auditions par la Mecss.

Auditions par les rapporteures

· Direction de la sécurité sociale

Thomas Ramilijaona, adjoint à la sous-direction du financement de la sécurité sociale

Thierry Echaubard, adjoint au chef de bureau de la législation financière

Arnaud Grangeret, chargé de mission sur la fiscalité comportementale

· Observatoire de l'alimentation (Oqali)

Louis-Georges Soler, directeur scientifique adjoint alimentation & bioéconomie (Inrae)

Olivier Allais, directeur de recherche à l'Inrae, co-responsable scientifique de l'Oqali

Julie Gauvreau-Béziat, chef de l'unité observatoire des aliments à l'Anses

Sarah Aubertie, chargée des relations institutionnelles

· Comité national de lutte contre le tabagisme (CNCT)

Pr Yves Martinet, président

Emmanuelle Béguinot, directrice

· Association Addictions France

Hervé Martini, secrétaire général d'Addictions France et médecin addictologue

Morgane Merat, chargée de mission politiques publiques

· Cour des comptes

Véronique Hamayon, présidente de la 6e chambre

Juliette Méadel, conseillère référendaire

· Conseil des prélèvements obligatoires

Patrick Lefas, vice-président

Guilhem Blondy, secrétaire général

· UFC-Que choisir

Olivier Andrault, chargé de mission alimentation et nutrition

· Organisation de coopération et de développement économiques

Marion Devaux, économiste et analyste des politiques de santé

· Direction générale de la santé (DGS)

Christine Jacob-Schuhmacher, sous-directrice de la santé des populations et de la prévention des maladies chroniques

Isabelle de Guido-Vincent-Genod, cheffe du bureau de l'alimentation et de la nutrition (sous-direction de la prévention des risques liés à l'environnement et à l'alimentation)

Élise Riva, cheffe du bureau de lutte contre les addictions

Manon Egnell, conseillère experte sur le Programme national nutrition santé (PNNS) - Bureau de l'alimentation et de la nutrition

· Direction générale des finances publiques - Direction de la législation fiscale

Matthieu Deconinck, sous-directeur Fiscalité des transactions, fiscalité énergétique et environnementale

Vincent Mazeau, chef de bureau de la fiscalité énergétique et environnementale

Florent Robin, adjoint de Vincent Mazeau

Damien Giampaoli, chef de secteur au bureau de la fiscalité énergétique et environnementale

Clara Landais, rédactrice au bureau D2 - Fiscalité environnementale et autres taxes sur le chiffre d'affaires

· Direction générale des douanes et droits indirects

Thibaut Fiévet, sous-directeur de la fiscalité douanière

Julien Coudray, chef du bureau des contributions indirectes

Hélène Melet Ciejka, cheffe de la section « règlementation des accises et fiscalité des alcools », adjointe de Julien Coudray

Étienne Samardjia, chef de la section « tabacs », adjoint de Julien Coudray

· William Lowenstein, addictologue

· Nathalie Hutter-Lardeau, nutritionniste

· Haut Conseil de la santé publique (HCSP)

Didier Lepelletier, président

Anne-Laurence Le Faou, membre de la commission spécialisée Déterminants de santé et maladies non-transmissibles

Marie-France d'Acremont, coordinatrice de la commission spécialisée Déterminants de santé et maladies non-transmissibles

Chantal Julia, ancienne membre experte du HCSP

· Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT)

Guillaume Airagnes, directeur

Ivana Obradovic, directrice adjointe, coordinatrice éditoriale et scientifique

· Alliance contre le tabac (ACT)

Marion Catellin, directrice

Martin Drago, responsable plaidoyer

· Institut de recherches économiques et fiscales (IREF)

Jean-Philippe Delsol, président

Patrick Coquart, chercheur associé à l'IREF

· Santé Publique France

Pierre Arwidson, directeur adjoint de la Direction de la prévention et de la promotion de la santé et Responsable de la cellule compétences psychosociales

Anne-Juliette Serry, responsable de l'Unité alimentation et activités physiques de la Direction de la prévention et de la promotion de la santé

Alima Marie-Malikité, directrice de cabinet

Lucile Migraine, attachée de cabinet en alternance

· Fabrice Étilé, directeur de recherche à l'Inrae, professeur à l'École d'économie de Paris

· École des hautes études en santé publique (EHESP)

Françoise Jabot, enseignante-chercheure, directrice du département Sciences humaines et sociales à l'École des hautes études en santé publique, coordonnatrice du « Projet de recherche sur l'élaboration, la mise en oeuvre et les effets de la taxe soda appliquée en France depuis juillet 2018 »

Yann Le Bodo, ingénieur de recherche à l'École des hautes études en santé publique, membre du « Projet de recherche sur l'élaboration, la mise en oeuvre et les effets de la taxe soda appliquée en France depuis juillet 2018 »

· Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca)

Nicolas Prisse, président

Valérie Saintoyant, déléguée

· Ligue contre le cancer

Pr Daniel Nizri, président

Catherine Simonin, administratrice nationale et présidente de la Commission société et politiques de santé de la Ligue contre le cancer

Dr Emmanuel Ricard, porte-parole

Thomas Gonzalez, conseil

· Fédération interprofessionnelle de la vape (Fivape)

Jean Moiroud, président

Nicolas Des Boscs, directeur adjoint du cabinet Arcturus

· Association Sovape

Nathalie Dunand, présidente

· Foodwatch

Camille Dorioz, directeur des campagnes

Audrey Morice, chargée de campagnes

· Ministère de l'agriculture - Direction générale de la performance économique et environnementale des entreprises

Serge Lhermitte, directeur général adjoint de la performance économique et environnementale des entreprises (DGPE)

Anne Girel-Zajdenweber, sous-directrice adjointe filières agroalimentaires (SDFA)

Erwann de Gavelle, chef du bureau de la politique de l'alimentation

Contributions écrites

Les rapporteures ont adressé un questionnaire à chaque entité auditionnée, par la Mecss (cf. comptes rendus des auditions par la Mecss) ou par elles. À l'exception du ministère de l'agriculture, toutes ont répondu.

En outre, les entités ci-après ont transmis de leur propre initiative une contribution écrite :

- société Logista France (qui approvisionne les buralistes en produits du tabac) ;

- Fédération des fabricants de cigares (FFC) ;

- Association des fournisseurs de tabacs à fumer (AFTF) ;

- Traditab (entreprise de producteurs de tabac du Sud-Ouest) ;

- association SAF France (syndrome d'alcoolisation foetale).

Relations avec les représentants de l'industrie du tabac

La convention-cadre de l'OMS pour la lutte antitabac, adoptée à Genève le 21 mai 2003, signée et ratifiée par la France les 16 juin 2003 et 19 octobre 2004304(*), prévoit, dans son article 5.3, qu'« en définissant et en appliquant leurs politiques de santé publique en matière de lutte antitabac, les Parties veillent à ce que ces politiques ne soient pas influencées par les intérêts commerciaux et autres de l'industrie du tabac, conformément à la législation nationale ». Au sens de la convention-cadre de l'OMS, « on entend par “industrie du tabac” les entreprises de fabrication et de distribution en gros de produits du tabac et les importateurs de ces produits ».

Selon les directives pour l'application de l'article 5.3, rappelées dans le guide de déontologie du Sénateur d'octobre 2023 :

« 2.1 Les Parties ne devraient avoir d'interaction avec l'industrie du tabac que lorsque cela est nécessaire et en se limitant strictement à ce qui est nécessaire pour leur permettre de réglementer efficacement l'industrie du tabac et les produits du tabac.

2.2 Lorsque les interactions avec l'industrie du tabac sont nécessaires, les Parties devraient veiller à ce qu'elles aient lieu dans la transparence. Dans toute la mesure possible, les interactions doivent avoir lieu en public, par exemple dans le cadre d'auditions publiques, d'avis publics ou en divulguant au public la documentation relative à ces interactions. »

Cette convention-cadre n'impose pas au Sénat que les auditions de l'industrie du tabac soient publiques. Toutefois, il s'agit d'une « bonne pratique » que la Mecss a jugé important de respecter.

S'agissant des « interactions » avec l'industrie du tabac, elles ont consisté en la table ronde du 27 février 2024 (industriels stricto sensu et Confédération des buralistes), l'envoi d'un questionnaire à chacune des entités auditionnées et leurs réponses à ce questionnaire. Comme indiqué supra, les entités suivantes ont en outre adressé de leur propre chef une note aux rapporteures : société Logista France (qui approvisionne les buralistes en produits du tabac), Fédération des Fabricants de Cigares (FFC), Association des fournisseurs de tabacs à fumer (AFTF), Traditab (entreprise de producteurs de tabac du Sud-Ouest) ; et les rapporteures ont auditionné des représentants de l'Institut de recherches économiques et fiscales (Iref), dont plusieurs études ont été financées par Philip Morris France.

TABLEAU DE MISE EN oeUVRE
ET DE SUIVI DES PROPOSITIONS

_______

Proposition

Acteurs concernés

Support

1

Orienter davantage les recettes de la fiscalité comportementale vers des actions de prévention et communiquer clairement à ce sujet.

Gouvernement, Parlement, Cnam

Textes législatif et réglementaire

2

Concevoir et structurer une politique de prévention globale impliquant les structures scolaires et les collectivités territoriales, et intensifier les efforts en faveur de l'information et de la sensibilisation des consommateurs.

Gouvernement, Ministère de la santé (DGS) et collectivités territoriales

Stratégie nationale de santé, politiques locales

3

Assurer le respect des interdictions de vente de tabac et d'alcool aux mineurs, par le renforcement des contrôles et des sanctions et la mise en place d'outils conditionnant le paiement à la vérification de l'âge.

Gouvernement, Parlement, direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), ministère de l'intérieur, représentants des commerçants concernés

Textes législatif et réglementaire

4

Augmenter le prix des produits du tabac d'au moins 3,25 % par an hors inflation jusqu'en 2040, par la fiscalité et par une augmentation du taux de rémunération des buralistes.

Gouvernement, Parlement

Texte législatif

5

Chiffrer selon une méthodologie fiable et transparente le nombre de cigarettes vendues dans le cadre du marché parallèle, et réduire ce nombre, par un renforcement de la lutte contre le commerce illicite, par des actions de prévention ciblées dans le cas du commerce transfrontalier licite, et en promouvant une révision en ce sens des directives tabac (harmonisation des prix à la hausse, application obligatoire des règles sur l'approvisionnement proportionné des marchés prévues par le protocole de 2012 à la convention de l'OMS sur la lutte antitabac).

Gouvernement, direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI), mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca), direction générale de la santé (DGS), représentation permanente de la France auprès de l'Union européenne

Publication de statistiques, directives européennes

6

Mieux encadrer la vente de produits contenant de la nicotine, en la limitant aux bureaux de tabac et aux magasins spécialisés et en interdisant leur vente aux mineurs, voire en instaurant une licence pour les magasins spécialisés.

Gouvernement, Parlement

Texte législatif

7

Mener à bien, comme prévu par la loi, l'alignement de la fiscalité du tabac à chauffer sur celle des cigarettes.

Gouvernement, Parlement

-

8

Poursuivre, en associant les producteurs, la réflexion sur l'instauration éventuelle d'un prix minimum par unité d'alcool, afin notamment d'éviter que les augmentations de marge soient captées par les distributeurs.

Gouvernement, Parlement, représentants des filières

Texte législatif éventuel

9

Mieux encadrer la publicité pour l'alcool, en inscrivant à l'article L. 3351-7 du code de la santé publique des peines plus dissuasives et adaptées et en interdisant la publicité pour l'alcool sur internet.

Gouvernement, Parlement

Texte législatif

10

Élaborer et rendre public un programme national de réduction des consommations nocives d'alcool.

Gouvernement

Document publié par le Gouvernement

11

Réformer le barème de la taxe sur les boissons sucrées, en augmentant ses taux et en limitant le nombre de tranches d'imposition, afin de renforcer son efficacité et d'accentuer sa visée comportementale.

Gouvernement, Parlement

Texte législatif

12

Accompagner la réforme de la taxe sur les boissons sucrées d'une communication adaptée, explicitant les objectifs poursuivis en termes de santé publique et valorisant le financement d'actions de prévention.

Gouvernement

Supports de communication divers

13

Fixer des quantités maximales de sucre, de sel ou de matières grasses pour certaines catégories d'aliments.

Gouvernement, Parlement

Textes législatif et réglementaire

14

Produire et transmettre au Parlement dans les meilleurs délais le rapport sur les modalités de mise en oeuvre d'un chèque alimentaire prévu par la loi « Climat et résilience » de 2021, puis expérimenter un dispositif de soutien à l'achat de fruits et légumes par les ménages disposant de ressources inférieures à un seuil à déterminer.

Gouvernement, Parlement

Rapport, textes législatif et réglementaire

15

Interdire à la télévision et sur internet les publicités pour des aliments de faible qualité nutritionnelle ciblant les enfants de moins de 17 ans.

Gouvernement, Parlement

Texte législatif

16

Plaider pour un Nutri-Score obligatoire à l'échelle européenne grâce à une révision du règlement EU n° 1169/2011.

Gouvernement, représentation permanente de la France auprès de l'Union Européenne

Règlement européen


* 1 Initialement linéaire, son barème devient progressif, fixé en référence au taux de sucres ajoutés, afin de favoriser la réorientation des comportements des consommateurs.

* 2 L'effet de la taxe britannique a été dix fois supérieur à celui de la taxe française, si l'on considère le moindre volume de sucres consommés par les ménages.

* 3 Haut Conseil de la santé publique, Pour une politique nationale nutrition santé 2017-2021, Avis et rapports, septembre 2017.

* 4 Loi n° 2016-1771 du 20 décembre 2016 relative à la suppression de la publicité commerciale dans les programmes jeunesse de la télévision publique.

* 5 Les pouvoirs de contrôle de la commission sont définis par l'article L.O. 111-9 du code de la sécurité sociale, qui prévoit notamment que « tous les renseignements et documents d'ordre financier et administratif qu'ils [le président, le rapporteur général, le président de la Mecss, les rapporteurs, les membres désignés à cet effet] demandent, y compris tout rapport établi par les organismes et services chargés du contrôle de l'administration, réserve faite des sujets à caractère secret concernant la défense nationale et la sécurité intérieure ou extérieure de l'Etat et du respect du secret de l'instruction et du secret médical, doivent leur être fournis ».

* 6 Article L.O. 111-9-1 du code de la sécurité sociale.

* 7 Article L.O. 111-9-3 du code de la sécurité sociale.

* 8 Coût des soins moins économies sur les retraites et produit des taxes.

* 9 Les sources précises sont indiquées en annexe au présent rapport.

* 10 Par l'absentéisme, la faible productivité des personnes présentes et le moindre taux d'emploi qu'ils suscitent.

* 11 Selon les estimations de la Mecss, s'appuyant notamment sur celles de l'impact sur le PIB par l'OCDE, ce supplément de déficit public pourrait être dans chaque cas compris entre 10 et 15 milliards d'euros. Il n'est toutefois pas possible d'additionner ces chiffres, du fait des personnes cumulant plusieurs risques.

* 12 Article L. 1417-1.

* 13 Dépenses de l'ordre de 5,5 milliards d'euros jusqu'en 2019. Source : Drees, Les dépenses de santé en 2022, 2023.

* 14 Yves Daudigny, Catherine Deroche, Fiscalité et santé publique : état des lieux des taxes comportementales, rapport d'information n° 399 (2013-2014), Mecss du Sénat, 26 février 2014.

* 15 « Recommandation n° 4 : prévoir, au sein du Programme national de réduction du tabagisme, une hausse de 10 % par an du prix des différents produits du tabac sur les cinq prochaines années ».

* 16 « Recommandation n° 9 : repenser les messages sanitaires accompagnant les publicités alimentaires pour garantir leur efficacité ».

* 17 Cour des comptes, La prévention et la prise en charge de l'obésité, communication à la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, novembre 2019.

* 18 Capucine Grégoire, Pierre Prady, « La fiscalité nutritionnelle », Les notes du CPO n° 5, juillet 2023.

* 19 Cyrille Isaac-Sibille, Thierry Frappé, « Les mesures récentes relatives à la « fiscalité comportementale », in Rapport d'information en conclusion des travaux du Printemps social de l'évaluation, n° 1318 (XVIe législature), commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, 2 juin 2023.

* 20 Ces amendements visaient notamment à créer une taxation du tabac à chauffer seulement à l'unité, à augmenter le barème de la taxe sur les boissins sucrées ou à instaurer une taxe sur les produits alimentaires transformés contenant des sucres ajoutés.

* 21 Ecosse (2018), Territoire du Nord australien (2018), Pays de Galles (2020), Irlande (2022).

* 22 Fabrice Etilé (dir.), Effets économiques et épidémiologiques de politiques de prix des boissons alcoolisées, rapport de recherche avec le soutien financier de l'INCa et de la Mildeca, août 2022.

* 23 « Augmenter les taxes et droits d'accise sur les boissons alcooliques, comme le demande la plupart des études sur ce sujet. Compte tenu des distorsions actuelles en matière de droits d'accise, il faudrait cibler en priorité le vin, très peu taxé et dont la fiscalité est inchangée depuis plusieurs décennies [...] » ; « Sur le modèle ce qui a été adopté récemment pour les produits du tabac, l'évolution des droits d'accise devrait se fonder sur l'inflation de l'année N-1 plutôt que celle de l'année N-2, afin que les prix des produits soumis à assise n'évoluent pas moins rapidement que ceux des produits de consommation courante ».

* 24 « Engager des réflexions autour du prix minimum des boissons alcooliques, comme le recommandent l'OMS, la Cour des comptes ainsi que le chercheur Fabrice Etilé dans son rapport remis à la Mildeca ».

* 25 « Réformer la « taxe soda », en passant à trois tranches et en augmentant ses taux ».

* 26 À ce sujet, cf. Cons. Const., 27 décembre 2019, n° 2019-796 DC, Loi de finances pour 2020, paragr.12.

* 27 Pierre Kopp, Le coût social des drogues : estimation en France en 2019, OFDT, juillet 2023.

* 28 OCDE, « The Heavy Burden of Obesity - the economics of prevention », OECD Health Policy Studies, 2019.

* 29 Moyenne annuelle en 2020-2050.

* 30 OFDT, Tabagisme en 2022 : un nombre de fumeurs stable et des inégalités de santé toujours marquées, 31 mai 2023.

* 31 Source : Odoxa-Ligue contre l'obésité, Enquête épidémiologique nationale sur le surpoids et l'obésité pour la Ligue contre l'Obésité, juin 2021. Cette étude (dite « ObÉpi-Roche », financée par les laboratoires Roche) est citée notamment par l'Inrae et l'Observatoire des inégalités.

* 32 10 verres standard par semaine et 2 verres standard par jour.

* 33 L'estimation habituellement retenue étant d'environ 3 millions d'euros.

* 34C'est-à-dire du fait d'être présent au travail avec une productivité réduite du fait de la maladie.

* 35 On parle ici d'élasticité-prix « apparente » parce qu'il s'agit d'un simple résultat comptable, qui ne donne pas d'indication relative à la causalité (par exemple, elle peut être optiquement majorée par d'autres instruments de politique publique).

* 36 Une taxe de 16 couronnes (2,15 euros) par kilogramme a été appliquée sur les aliments contenant plus de 2,3 % de graisses saturées (applicable à la viande, aux graisses animales et végétales, aux huiles, etc.).

* 37 L'impact de la taxe aurait été de 123 vies sauvées chaque année, dont 76 vies de personnes de moins de 75 ans (Smed S., Scarborough P., Rayner M., Jensen J., « The effects of the Danish saturated fat tax on food and nutrient intake and modelled health outcomes: an econometric and comparative risk assessment evaluation », European Journal of Clinical Nutrition - Nature, 2016; 70: 681-8).

* 38 Modèle Économétrique de Simulation et d'ANalyse Générale de l'Économie.

* 39 Source : Insee, direction générale du Trésor, « Le modèle macroéconométrique Mésange : réestimation et nouveautés », Document de travail de la Direction des Études et Synthèses Économique G 2017 / 04, mai 2017. À court-moyen terme, la hausse de la TVA constituerait un choc de demande, diminuant le pouvoir d'achat des ménages, avec un impact sur le PIB croissant au cours des cinq premières années, passant de de - 0,32 point la première année à - 0,81 point la cinquième année. À long terme, l'atténuation du choc de demande serait partiellement compensée par un choc d'offre, la réduction de l'investissement des entreprises augmentant le chômage de long terme, avec un effet négatif durable sur l'activité (- 0,70 point de PIB).

* 40 Contrairement au cas de la TVA (du fait du phénomène dit de « rémanence de TVA »), les investissements ne sont pas taxés par les taxes comportementales. Par ailleurs, comme le soulignent notamment diverses études de l'OCDE (cf. infra), l'amélioration de la santé de la population en âge de travailler augmente le taux d'emploi et la productivité du travail. Toutefois, comme cela est expliqué dans le II du présent rapport, l'absence d'augmentation continue des tarifs des produits du tabac et la quasi-absence de taxation du vin ont privé l'outil fiscal de l'essentiel de son efficacité sanitaire.

* 41 Le premier poste d'excédent commercial est le secteur aéronautique et spatial (19,7 milliards d'euros) suivi, en deuxième position, par celui de la chimie, des parfums et de la cosmétique (15,2 milliards d'euros).

* 42 France Stratégie, Pour une alimentation saine et durable, Analyse des politiques de l'alimentation en France, septembre 2021.

* 43 Selon France AgriMer, cette dégradation est multifactorielle. Elle s'explique notamment par le coût de la main d'oeuvre, globalement plus élevé que dans les autres pays européens, par une perte de compétitivité et par l'environnement fiscal et réglementaire. Voir France AgriMer, Compétitivité des filières agroalimentaires françaises, Caractériser et comprendre la dégradation du solde commercial et l'érosion de la compétitivité des filières agricoles et agroalimentaires ces dix dernières années, 2021.

* 44 Donnée communiquée par Vin et société.

* 45 « Comment expliquer la réduction de l'excédent commercial agricole et agro-alimentaire ? », Note Trésor-éco n° 230, 2018.

* 46 Fabrice Etilé (dir.), Effets économiques et épidémiologiques de politiques de prix des boissons alcoolisées, rapport de recherche avec le soutien financier de l'INCa et de la Mildeca, août 2022.

* 47 Correspondant à une augmentation de 60,4 % du montant global des taxes actuelles.

* 48 Le chiffres d'affaires du marché du tabac s'établit à 21,6 milliards d'euros en 2021 (Observatoire français des drogues et des tendances addictives, Tabagisme et arrêt du tabac en 2021, avril 2022).

* 49 Le mécanisme de la remise est présenté en annexe II.

* 50 La rémunération des buralistes, ou « remise », est fixée réglementairement en proportion du prix de vente des cigarettes (elle est actuellement fixée à 10,19 %). En supposant une élasticité-prix de la demande de -0,4, une augmentation de 10 % du prix des cigarettes réduit le nombre de cigarettes vendues de 4 % et augmente le chiffre d'affaires (et donc la rémunération des buralistes) de (0,96×1,1-1)×100 = 5,6 %.

* 51 Selon la confédération des buralistes, en 2021 la part du tabac dans le chiffre de ventes des buralistes était de 45 % en moyenne.

* 52 Les marges sont plus importantes pour des activités comme le bar, la restauration, la vente de cigarettes électroniques, la restauration légère.

* 53 Le commerce illégal désigne la contrebande et la contrefaçon. En dehors du réseau des buralistes, certains achats peuvent être réalisés dans un cadre légal : il s'agit des achats transfrontaliers et en duty free, sous réserve du respect des seuils autorisés.

* 54  https://www.douane.gouv.fr/sites/default/files/2023-02/22/bilan-annuel-de-la-douane-2022.pdf

* 55 En France, ce trafic porte principalement sur les produits du tabac, et marginalement sur les boissons alcooliques.

* 56 Klynveld, Peat, Marwick et Goerdeler.

* 57 KPMG, La consommation de cigarettes illicites dans l'UE, au Royaume Uni, en Norvège, Suisse, Moldavie et en Ukraine, juin 2023 (étude financée par Philip Morris International) rapport-kpmg---consommation-de-cigarettes-illicites--synthèse-ue-focus-france---résultats-2022.pdf (pmi.com)

* 58 Un « avis important » au début du rapport de KPMG indique : « Nous nous sommes assurés, dans la mesure du possible, que les informations présentées dans ce rapport étaient cohérentes avec les sources d'informations utilisées, mais nous n'avons pas cherché à établir la fiabilité des sources d'informations par référence à d'autres éléments de preuve. Nous nous sommes appuyés sur et avons supposé, sans vérification indépendante, l'exactitude et l'exhaustivité des informations disponibles auprès de sources publiques et tierces » (traduction des rapporteures).

* 59 Chiffre cité par Stéphanie Martel, directrice des affaires externes et gouvernementales de Philip Morris France, lors de son audition par la Mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale du Sénat le 27 février 2024. - https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20240226/mecss.html

* 60 Jirka Taylor, Shann Hulme, Fook Nederveen, Stijn Hoorens, Hana Ross, Emma Disley, Study to identify an approach to measure the illicit market for tobacco products - Final report, RAND Europe, étude commandée par la Commission européenne, avril 2020.

* 61 Réponse de la DGFiP et de la DGDDI au questionnaire du Sénat : « aucune donnée ni observation objective et indépendante de l'industrie du tabac ne permet de corroborer les estimations présentes dans l'étude de 2022 de KPMG pour Philip Morris concernant la part du marché parallèle ».

* 62 L'OFDT indique, dans ses réponses aux rapporteures, que l'étude de KPMG pour Philip Morris « surestime l'ampleur du marché parallèle » et « n'est pas considéré par la recherche scientifique comme une source fiable et rigoureuse pour mesurer le marché parallèle en France ».

* 63 La Mildeca indique, dans ses réponses aux rapporteures, que « certains effets de l'augmentation des prix sur le marché du tabac sont discutés. C'est notamment le cas sur les effets de report sur le marché illicite ou non taxé : les recherches indépendantes contredisant celles financées par les industriels du tabac ».

* 64 CNCT, Lutter contre le commerce illicite de tabac en France - Un enjeu sanitaire, fiscal, sécuritaire et informationnel, 2022.

* 65 Source : réponse de Philip Morris aux rapporteures. Cela est également indiqué en annexe au « rapport KPMG » de juin 2023.

* 66 Décision n° 474580 du 29 septembre 2023 (plafonds inférieurs à ceux prévus par l'article 32 de la directive (UE) 2020/262 du Conseil du 19 décembre 2019 établissant le régime général d'accise).

* 67 Décret n° 2024-276 du 27 mars 2024 pris pour l'application de l'article L. 311-19 du code des impositions sur les biens et services et fixant les éléments caractérisant le déplacement de produits soumis à accise par un particulier pour ses besoins propres.

* 68 Parmi lesquels figure « la quantité de produits ».

* 69 « Les preuves citées par les compagnies de tabac pour établir un lien entre les augmentations de taxes sur le tabac et le commerce illicite sont faibles et reposent généralement sur des études financées par l'industrie du tabac. Ces études rendent rarement leurs méthodes et leurs données accessibles au public pour examen et examen par les pairs. En revanche, des études indépendantes ont utilisé des données internationales pour montrer que les pays où les taxes sont plus élevées ont une pénétration du commerce illicite plus faible que ceux où les taxes sont plus faibles. Des exemples récents sont des cas au Royaume-Uni, aux Philippines et au Botswana. Il est plus probable que le commerce illicite soit moins motivé par la hausse des prix du tabac que par la capacité générale des autorités fiscales à appliquer la taxation - et cela n'est pas seulement vrai pour le tabac » (Guillermo R. Paraje, Prabhat Jha , William Savedoff, Alan Fuchs, « Taxation of tobacco, alcohol, and sugar-sweetened beverages: reviewing the evidence and dispelling the myths », British Medical Journal Global Health, 2023;8, 5 juin 2023 ; traduction par les rapporteures).

* 70 Éric Woerth et Zivka Park, rapport de la mission d'information relative à « l'évolution de la consommation de tabac et du rendement de la fiscalité applicable aux produits du tabac pendant le confinement et aux enseignements pouvant en être tirés », rapport d'information n° 4498 (XVe législature), 29 septembre 2021.

* 71 Décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire.

* 72 Insee, « Les approvisionnements à l'étranger de tabac représentent au moins 9,5 % des ventes de tabac en France », Insee Analyses, n° 94, février 2024.

* 73 L'Insee relève une augmentation des ventes de tabac par les buralistes de 9,5 % entre le 18 mars 2020 et le 15 juin 2020, période au cours de laquelle les frontières ont été fermées. Il considère toutefois que ce volume sous-estime la réalité des achats de tabac habituellement réalisés à l'étranger, les frontières étant restées partiellement ouvertes pour la circulation des travailleurs transfrontaliers.

* 74 On calcule que cela correspond à 11,9 % de l'ensemble constitué par les ventes des buralistes et le commerce transfrontalier (13,5/(100×0,135)×100 = 11,9 %).

* 75 Comité national contre le tabagisme, Lutter contre le commerce illicite de tabac en France - Un enjeu sanitaire, fiscal, sécuritaire et informationnel, 2022.

* 76 Dans le cas des boissons alcoolisées, on peut toutefois mentionner l'étude précitée de 2022 réalisée sous la direction de Fabrice Etilé.

* 77 Marion Devaux, Alexandra Aldea, Aliénor Lerouge, Marina Dorfmuller Ciampi, Michele Cecchini, « Évaluation du programme national de lutte contre le tabagisme en France », Documents de travail de l'OCDE sur la santé n° 155, 8 juin 2023.

* 78 OCDE, The Heavy Burden of Obesity - the economics of prevention, OECD Health Policy Studies, 2019.

* 79 C'est-à-dire la perte de productivité au travail liée à la pathologie.

* 80 Source : Insee, enquête Budget de famille 2017 ; Pierre-Yves Cusset, Ana Gabriela Pradra-Aranguren et Alain Trannoy, « Les dépenses pré-engagées : près d'un tiers des dépenses des ménages en 2017 », La Note d'analyse, n° 102, France Stratégie, août 2021, 12 p.

* 81 Note de conjoncture de l'Insee, décembre 2023.

* 82 France Stratégie, Pour une alimentation saine et durable, Analyse des politiques de l'alimentation en France, septembre 2021.

* 83 PNNS 2019-2023, Annexes, 12. Consommation alimentaire dans l'ensemble de la population 2014-2015 : les individus dont le niveau d'étude équivaut au primaire ou au collège ont une consommation de fruits 1,5 fois moins élevée que celle des individus dont le niveau d'étude équivaut au moins à bac+4 et leur consommation de boissons de type sodas est deux fois plus élevée.

* 84 Françoise Cartron, Jean-Luc Fichet, Vers une alimentation durable : un enjeu sanitaire, social, territorial et environnemental majeur pour la France, rapport d'information n° 476 (2019-2020), délégation sénatoriale à la prospective, 28 mai 2020.

* 85 Fabrice Etilé, Céline Bonnet, Chantal Julia, Sébastien Lecocq, Valérie Orozco, Christine Boizot-Szantaï, Mathilde Touvier, Effets économiques et épidémiologiques de politiques de prix de boissons alcoolisées, étude réalisée avec le soutien de l'INCa et de la Mildeca, août 2022.

* 86 Marc-Antoine Douchet, Tabagisme et arrêt du tabac en 2021, OFDT, avril 2022.

* 87 L'article 15 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 a étendu le périmètre d'application de la taxe dite « prémix » aux produits vinicoles aromatisés répondant aux critères fixés par l'article 1613 bis du code général des impôts.

* 88 World Bank, Taxes on sugar-sweetened beverages: International evidence and experiences, 2020.

* 89 Ce Shang, Anh Ngo, Frank J. Chaloupka, « The pass-through of alcohol excise taxes to prices in OECD countries », European Journal of Health Economics, août 2020, p. 855-867.

* 90 L'indexation est désormais fixée en référence au niveau d'inflation de l'année précédente (N-1) et non plus de l'année N-2, pour éviter un décalage dans l'évolution du prix du paquet de cigarettes à raison de la progression de l'inflation entre 2022 et 2023.

* 91 L'augmentation de 50 centimes correspond à une inflation de 4,5 % pour un paquet de cigarettes vendu 11 euros qui passe à 11,50 euros. Philip Morris a donc profité de cette hausse pour augmenter ses marges.

* 92 S. Cnossen, « Tobacco taxation in the European Union », CESIFO Working Paper n° 1718, 2006. https://www.cesifo.org/DocDL/cesifo1_wp1718.pdf

* 93 M.-A. Douchet, Tabagisme et arrêt du tabac en 2021, OFDT, avril 2022.

* 94 Fabrice Etilé, Céline Bonnet, Chantal Julia, Sébastien Lecocq, Valérie Orozco, Christine Boizot-Szantaï, Mathilde Touvier, Effets économiques et épidémiologiques de politiques de prix de boissons alcoolisées, rapport réalisé avec le soutien de l'INCa et de la Mildeca, août 2022.

* 95 Allcott H., Lockwood B., Taubinsky D., Should We Tax Sugar-Sweetened Beverages? An Overview of Theory and Evidence, National Bureau of Economic Research, 2019.

* 96 Cigares et cigarillos, cigarettes, tabac à rouler, tabacs à chauffer commercialisés en bâtonnets, autres tabacs à chauffer, autres tabacs à fumer ou à inhaler après avoir été chauffés, tabacs à priser, tabacs à mâcher.

* 97 Elle prévoit en outre que la fiscalité du tabac est dorénavant liée à l'inflation de l'année précédente (et non plus à celle de l'année n-2), à partir de la prévision de l'indice des prix figurant dans le rapport économique, social et financier (Refs) joint au projet de loi de finances pour l'année de la révision.

* 98 Le prix de vente étant par nature TTC, la TVA qui s'applique est égale au taux normal de TVA (ici, 20 %, soit 0,2) divisé par la somme de 1 et du taux normal (ici, 1+0,2=1,2).

* 99 Ces six États sont les suivants (2020) : Nouvelle-Zélande (20,4 dollars PPA), Australie (19,8 dollars PPA), Irlande (17,3 dollars PPA), Singapour (16,6 dollars PPA), Royaume-Uni (14,9 dollars PPA), France (13,2 dollars PPA).

* 100 Loi n° 91-32 du 10 janvier 1991 relative à la lutte contre le tabagisme et l'alcoolisme.

* 101 Ces dispositions figurent actuellement à l'article L. 3512-5 du code de la santé publique, selon lequel « est considérée comme propagande ou publicité indirecte la propagande ou la publicité en faveur d'un organisme, d'un service, d'une activité, d'un produit ou d'un article autre que le tabac, un produit du tabac ou un ingrédient défini à l'article L. 3512-2 lorsque, par son graphisme, sa présentation, l'utilisation d'une marque, d'un emblème publicitaire ou un autre signe distinctif, elle rappelle le tabac, un produit du tabac ou un ingrédient défini à l'article L. 3512-2 ».

* 102 Consistant par exemple à vendre des vêtements.

* 103 Le décret 92-478 du 29 mai 1992, qui déterminait les conditions d'application de l'interdiction de fumer prévue par l'article 16 précité, précisait que celle-ci valait pour « tous les lieux fermés et couverts accueillant du public ou qui constituent des lieux de travail ». En pratique, c'était la règle inverse qui prévalait : l'interdiction de fumer ne s'appliquait que dans les emplacements expressément réservés aux non-fumeurs.

* 104 Dans le cas des lieux « de convivialité » (débits de boissons, hôtels, restaurants, débits de tabac, casinos, cercles de jeux et discothèques), la date d'application de la mesure a été fixée au 1er janvier 2008.

* 105 Selon l'INCa, « le risque de développer une maladie liée au tabagisme est lié au nombre de cigarettes fumées chaque jour mais surtout à la durée pendant laquelle on a fumé ». De même, selon Santé publique France, « l'objectif principal des mesures de prévention du tabagisme telles que la hausse de la fiscalité est moins d'obtenir une baisse du nombre de cigarettes fumées que des arrêts du tabac. En effet, la durée du tabagisme a un impact majeur sur le risque de cancer, tandis que les quantités fumées quotidiennement ont un impact bien moindre sur ce même risque » (réponse aux rapporteures).

* 106 Dans le cas de la France, la stabilité globale du tabagisme depuis les années soixante ne doit pas dissimuler une évolution de la prévalence respective des femmes et des hommes, qui serait passée entre 1960 et 2003 de 11 % à 22 % pour les femmes et de 57 % à 30 % pour les hommes (Catherine Hill, Agnès Laplanche, « Évolution de la consommation de cigarettes en France par sexe, 1900-2003 », Bulletin épidémiologique hebdomadaire n° 21-22/2005, Santé publique France).

* 107 Les autres États dont la prévalence est inférieure à 10 % sont l'Inde et certains États d'Amérique latine (Brésil, Pérou, Costa Rica, Mexique).

* 108 Grèce, Pologne, Finlande, Espagne, Estonie, Royaume-Uni, Irlande, Islande, Danemark, Pays-Bas, Norvège.

* 109 Selon Santé publique France, « l'augmentation des prix doit être répétée et importante dans le temps, sinon les fumeurs s'habituent aux nouveaux prix « (réponse aux rapporteures).

* 110 « On a pu constater que les fortes hausses de prix de 2003-2004 se sont accompagnées d'une baisse du tabagisme. Elles ont ensuite été suivies par un gel des taxes sur les produits du tabac a été décidé par le gouvernement, qui n'y mettra fin qu'en 2011, bien que des augmentations à la marge soient intervenues entre-temps. Or, la littérature internationale a répertorié de nombreux exemples dans lesquels le retour en arrière des politiques fiscales a eu comme conséquence une augmentation de la consommation » (DGS, réponse aux rapporteures).

* 111 Source : Marion Devaux, Alexandra Aldea, Aliénor Lerouge, Marina Dorfmuller Ciampi, Michele Cecchini, « Évaluation du programme national de lutte contre le tabagisme en France », Documents de travail de l'OCDE sur la santé n° 155, 8 juin 2023.

* 112 Protection contre l'exposition à la fumée, réglementation de la composition des produits, réglementation des informations sur les produits, conditionnement et l'étiquetage, éducation et communication, publicité, sevrage...

* 113 Lutte contre le commerce illicite, interdiction de la vente aux mineurs...

* 114 « Les mesures antitabac ne peuvent pas se voir attribuer individuellement un coefficient d'efficacité. C'est le fait d'avoir un ensemble de politiques cohérentes, pertinentes, suivies, appliquées et renouvelées qui va avoir un effet sur la réduction du nombre de fumeurs mais aussi sur le nombre de jeunes qui commencent à fumer. (...) Nous réitérons qu'il apparait contreproductif d'examiner l'efficacité des mesures en les disséquant. Il est établi que les résultats dans la lutte contre le tabac ne sont pas observables que lorsque plusieurs mesures sont mises en oeuvre de manière simultanée et cohérente » (DGS, réponses aux rapporteures).

* 115 « Nous faisons l'hypothèse que l'augmentation du prix est poursuivie afin de maintenir les effets sur la consommation dans les années à venir. Nous ne faisons cependant pas d'hypothèse sur la manière et le niveau d'augmentation des prix. L'OMS recommande d'ailleurs de maintenir une augmentation du prix du tabac, a minima pour ajuster sur l'inflation » (réponse aux rapporteures).

* 116 Selon Santé publique France, « en ce qui concerne la hausse de la fiscalité en 2018-2020, l'instauration du paquet neutre et le remboursement des traitements de substitution nicotinique, il n'y a pas assez de données disponibles pour évaluer avec fiabilité leur impact » (réponse aux rapporteures).

* 117 D'après les données de l'OFDT.

* 118 Certes, le nombre de cigarettes consommées au niveau national et la prévalence du tabagisme sont deux notions distinctes. Toutefois, la prévalence du tabagisme quotidien a baissé de 13 % sur la période 2016-2020 (passage de 29,3 % à 25,5 %). La diminution du nombre de cigarettes consommées au niveau national n'a donc pas simplement résulté de celle du nombre moyen de cigarettes consommées par les fumeurs, mais aussi assez largement de celle du nombre de fumeurs.

* 119 Santé publique France, « Perception du paquet de cigarettes par les fumeurs avant et après la mise en place du paquet neutre », Études et enquêtes, janvier 2019.

* 120 Ann McNeill, Shannon Gravely, Sara C. Hitchman, Linda Bauld, David Hammond, Jamie Hartmann-Boyce, « Tobacco packaging design for reducing tobacco use (Review) », Cochrane Database of Systematic Reviews, 2017.

* 121 Selon une récente « revue Cochrane » portant sur les principales études existant au niveau international, le taux de succès, d'environ 4 % sans soutien ou avec un simple soutien comportemental, serait de 6 % avec un substitut nicotinique (Nicola Lindson, Ailsa R. Butler, Hayden McRobbie, Chris Bullen, Peter Hajek, Rachna Begh, Annika Theodoulou, Caitlin Notley, Nancy A Rigotti, Tari Turner, Jonathan Livingstone-Banks, Tom Morris, Jamie Hartmann-Boyce, « Electronic cigarettes for smoking cessation », Cochrane Database of Systematic Reviews, 2024, n° 1).

* 122 500 000 utilisateurs supplémentaires de TNS × taux de sortie majoré de 2 points/50 millions d'adultes × 100.

* 123 Selon l'OCDE, en 2023-2050, les années de vie et les années de vie corrigées des incapacités (AVCI) gagnées, de respectivement 644 000 et 1 040 000 pour l'ensemble des mesures prises en 2016-2020, seraient de respectivement 107 000 et 149 000 pour le seul « Mois sans tabac ».

* 124 Prévalence du tabagisme quotidien de 25 % × 30 % de tentatives d'arrêt × augmentation de 4 % de ces tentatives × 5 % de succès des tentatives.

* 125 Plus de 10 % de cette quantité se retrouve dans le sang. Le corps humain comprenant environ 5 litres de sang, chaque verre consommé fait augmenter le taux d'alcoolémie de plus de 0,2 gramme par litre de sang. En France, il est interdit de conduire avec un taux supérieur ou égal à 0,5 gramme par litre de sang, ce qui correspond donc à environ deux verres. En une heure, ce taux baisse d'environ 0,10 gramme par litre de sang. (Source : Sécurité routière.)

* 126 D'autres États recourent à des définitions légèrement différentes (par exemple, le Royaume-Uni retient parfois une définition de l'unité standard de 10 ml, soit environ 8 grammes).

* 127 Droits sur les vins, cidres, poirés et hydromels.

* 128 De manière analogue, on calcule que les alcools forts, trois fois plus taxés que la bière par verre standard, pour un produit de près de 3 milliards d'euros (dont 2,2 milliards d'euros de droits et 0,7 milliard d'euros de cotisation) seraient surtaxés d'environ 2 milliards d'euros.

* 129 La bière est trois fois moins taxée par verre standard que les alcools forts, pour un produit d'environ 1 milliard d'euros.

* 130 Selon l'Insee, l'inflation hors tabac en moyenne annuelle a été de 5,3 % en 2022 et 4,8 % en 2023.

* 131 En supposant une inflation de 2,5 % en 2024.

* 132 Article L. 313 19 du code des impositions sur les biens et services.

* 133 Article L. 245-9 du code de la sécurité sociale.

* 134 L'article 15 de la LFSS 2023 a supprimé la disposition selon laquelle l'évolution annuelle des tarifs et du minimum de perception ne pouvait excéder 1,8 %. Elle prévoit en outre que la fiscalité du tabac est dorénavant liée à l'inflation de l'année précédente (et non plus à celle de l'année n-2), à partir de la prévision de l'indice des prix figurant dans le rapport économique, social et financier (Refs) joint au projet de loi de finances pour l'année de la révision.

* 135 Lors de l'examen du PLFSS 2024, trois amendements identiques tendant à supprimer ce plafonnement ont été examinés, portant les numéros 448 rect. bis (Mme Guillotin), 1015 rect. ter (M. Henno) et 1101 rect. bis (Mme Canalès). Après que la commission des affaires sociales avait demandé l'avis du Gouvernement, celui-ci a donné un avis défavorable, et ces trois amendements n'ont pas été adoptés.

* 136 Loi n° 91-32 du 10 janvier 1991 relative à la lutte contre le tabagisme et l'alcoolisme.

* 137 Cf. les exemples donnés sur son site internet par l'association Addictions France.

* 138 Selon l'article L. 3323-4 du code de la santé publique, « la publicité autorisée pour les boissons alcooliques est limitée à l'indication du degré volumique d'alcool, de l'origine, de la dénomination, de la composition du produit, du nom et de l'adresse du fabricant, des agents et des dépositaires ainsi que du mode d'élaboration, des modalités de vente et du mode de consommation du produit ». Il est ainsi interdit d'associer l'alcool à la sociabilité, la convivialité, la séduction, etc.

* 139 Selon l'article L. 3323-3 du code de la santé publique, « est considérée comme propagande ou publicité indirecte la propagande ou publicité en faveur d'un organisme, d'un service, d'une activité, d'un produit ou d'un article autre qu'une boisson alcoolique qui, par son graphisme, sa présentation, l'utilisation d'une dénomination, d'une marque, d'un emblème publicitaire ou d'un autre signe distinctif, rappelle une boisson alcoolique ».

* 140 Cour des comptes, Santé : garantir l'accès à des soins de qualité et résorber le déficit de l'assurance maladie, note « enjeux structurels », décembre 2021.

* 141 Cour des comptes, Les politiques de lutte contre les consommations nocives d'alcool, rapport public thématique - évaluation d'une politique publique, juin 2016.

* 142 Les objectifs en matière de lutte contre le tabagisme ont été fixés successivement par le programme national de réduction du tabagisme (PNRT) 2014-2019 puis par les programmes nationaux de lutte contre le tabac (PNLT) 2018-2022 et 2023-2027.

* 143 Cette stratégie porte également sur le tabac, les drogues illégales, les usages abusifs de jeux d'argent et de hasard ou des outils numériques.

* 144 Article 97 de la loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, inséré par l'Assemblée nationale avec un avis favorable du Gouvernement (amendement de Jacques Domergue).

* 145 Selon l'article L. 3323-2 du code de la santé publique, la publicité, directe ou indirecte, en faveur des boissons alcooliques, est autorisée « sur les services de communications en ligne à l'exclusion de ceux qui, par leur caractère, leur présentation ou leur objet, apparaissent comme principalement destinés à la jeunesse, ainsi que ceux édités par des associations, sociétés et fédérations sportives ou des ligues professionnelles au sens du code du sport, sous réserve que la propagande ou la publicité ne soit ni intrusive ni interstitielle ».

* 146 Comme une publicité apparaissant au cours du visionnage d'une vidéo.

* 147 Loi n° 2023-451 du 9 juin 2023 visant à encadrer l'influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux.

* 148 Alors Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie.

* 149 Tribunal judiciaire de Paris, 5 janvier 2023, RG 22/57472.

* 150 Le Conseil d'État a annulé l'article 1er du décret n° 96-704 du 8 août 1996, par décision en date du 30 novembre 1998, au motif qu'en fixant le nombre de dérogations à dix, celui-ci avait contredit la volonté du législateur, qui entendait assurer la protection de la santé publique.

* 151 N° 98-1267 du 30 décembre 1998.

* 152 Article 18 de la loi n° 2000-1352 du 30 décembre 2000, inséré par l'Assemblée nationale avec l'avis favorable du Gouvernement.

* 153 Cour des comptes, Les politiques de lutte contre les consommations nocives d'alcool, rapport public thématique - évaluation d'une politique publique, juin 2016.

* 154 Article 13 de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, inséré par le Sénat avec l'avis défavorable du Gouvernement.

* 155 Selon l'article L. 3323-3-1 du code de la santé publique, « ne sont pas considérés comme une publicité ou une propagande, au sens du présent chapitre, les contenus, images, représentations, descriptions, commentaires ou références relatifs à une région de production, à une toponymie, à une référence ou à une indication géographique, à un terroir, à un itinéraire, à une zone de production, au savoir-faire, à l'histoire ou au patrimoine culturel, gastronomique ou paysager liés à une boisson alcoolique disposant d'une identification de la qualité ou de l'origine, ou protégée au titre de l'article L. 665-6 du code rural et de la pêche maritime ».

* 156 « Le Parlement et le Gouvernement n'ont pas été sensibles aux vives réactions qu'avait suscitées la première présentation de l'amendement dans le projet de loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques que le Conseil constitutionnel avait finalement considéré comme un cavalier législatif. Ces réactions publiques émanaient de la présidente de la Mildeca, du directeur général de l'INPES, de la présidente de l'INCa et de l'ensemble des sociétés savantes qui avaient estimé que « rien dans le texte de l'amendement ouvrant ces exceptions n'exclut les contenus incitatifs à la consommation et les supports destinés à la jeunesse » (Cour des comptes, Les politiques de lutte contre les consommations nocives d'alcool, rapport public thématique - évaluation d'une politique publique, juin 2016).

* 157  https://addictions-france.org/presentation/respect-loi-evin/

* 158 Cf. en particulier Addictions France, Autorégulation des pratiques commerciales des alcooliers - Efficacité ou leurre ?, février 2019.

* 159 Addictions France, Les magasins vendent de l'alcool aux mineurs en toute impunité, octobre 2021 (achats-tests effectués par des mineurs dans des supérettes, supermarchés et hypermarchés dans le Finistère et en Loire-Atlantique).

* 160 Le barème prévu par l'article 1613 ter du code général des impôts est reproduit ci-après.

* 161 Anses, Évaluation des bénéfices et des risques nutritionnels des édulcorants intenses, Rapport d'expertise collective, janvier 2015.

* 162 L'Inserm rappelle que l'aspartame et l'acésurlfame-K ont un pouvoir sucrant 200 fois supérieur à celui du saccharose, et 600 fois supérieur pour le sucralose.

* 163 Charlotte Debras et al., « Artificial sweeteners and cancer risk: Results from the NutriNet-Santé population-based cohort study », PLOS Medicine, 24 marcs 2022.

* 164 Pour parvenir à cette conclusion, les chercheurs se sont basés sur une extraction exhaustive des données de la base Open Food Facts (OFF) pour les boissons non alcoolisées sur la période 2014-2019. La méthodologie complète est détaillée dans l'étude « soda tax » de l'EHESP (p.35-37).

* 165 Cour des comptes, La prévention et la prise en charge de l'obésité, communication à la Commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, novembre 2019.

* 166 Anikó Bíró, « Did the junk food tax make the Hungarians eat healthier? », Food Policy 2015; 54: 107-15.

* 167 La mise en oeuvre de cet accord a fait l'objet d'une évaluation intermédiaire par l'Oqali : Oqali, Suivi de l'accord collectif des professionnels de la boulangerie pour une réduction de la quantité de sel dans le pain - évaluation de l'échéance de juillet 2022, rapport de tierce partie, 2023.

* 168 Oqali, Suivi du Nutri-Score, bilan annuel, édition 2023.

* 169 Oqali, Boissons rafraichissantes sans alcool - évolution de l'offre et de la qualité nutritionnelle entre 2010, 2019 et 2023, mars 2024.

* 170 Une enquête réalisée en 2021 par une équipe de recherche française dans le cadre du projet « soda tax » montre ainsi que plus de 76 % des personnes interrogées sont favorables à une taxe sur les boissons sucrées si les recettes sont réinvesties dans le système de santé.

* 171 Cour des comptes, La sécurité sociale - rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale, octobre 2022 (ces développements figurent au A - « Clarifier et simplifier les circuits de financement » du II- « Améliorer la lisibilité et le pilotage des comptes sociaux » du Chapitre II).

* 172 Cour des comptes, Les politiques de lutte contre les consommations nocives d'alcool, rapport public thématique - évaluation d'une politique publique, juin 2016.

* 173 Par exemple, M. Samuel Montgermont, président de Vin & Société, a déclaré que le vin devait être traité « en insistant sur l'éducation, la formation et la promotion de la consommation responsable ». M. Jérôme Volle, vice-président de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles, a par ailleurs souligné l'investissement de la FNSEA dans l'éducation des consommateurs, rappelant : « En 2021, notre réseau s'est impliqué dans la campagne « Un bon vin se sert avec tout, avec modération surtout », à destination du grand public et aussi des plus jeunes ».

* 174 HCSP, Avis relatif à la contribution du Haut conseil de la santé publique pour la future Stratégie nationale de santé, 6 mars 2023.

* 175 La baisse annuelle de la prévalence prévue par le PNRT 2014-2019 et le PNLT 2018-2022 était de respectivement 1,2 point (2019-2024) et 1,1 point (2020-2027).

* 176 Alors qu'en 2011 la prévalence du tabagisme quotidien des lycéens était de 30,8 %, soit analogue à celle de la population générale, elle était en 2022 de 6,2 %.

* 177 Cochrane, dont le siège est au Royaume-Uni, est une organisation à but non lucratif fournissant des informations pour la prise de décision en santé, réunies dans la « bibliothèque Cochrane » (possédée par Cochrane et publiée par l'éditeur américain Wiley). Ses revues systématiques des travaux scientifiques disponibles sur un sujet donné font référence.

* 178 « Nous ne savons pas s'il existe une différence entre le nombre d'effets indésirables qui se produisent lors de l'utilisation des cigarettes électroniques à la nicotine et ceux provoqués par les substituts nicotiniques, l'absence de soutien ou un simple soutien comportemental. (...) Un faible nombre d'effets indésirables, y compris des effets indésirables graves, ont été rapportés dans des études comparant les cigarettes électroniques à la nicotine aux substituts nicotiniques » (traduction par les rapporteures).

* 179 Haut Conseil de la santé publique, Avis relatif aux bénéfices-risques de la cigarette électronique, 26 novembre 2021.

* 180 54,6 % en France en 2017-2018 (selon Silvano Gallus et al., « Electronic Cigarette Use in 12 European Countries: Results From the TackSHS Survey », Journal of Epidemiology, volume 33, n° 6, 2023).

* 181 Première campagne « Mois sans tabac » (2016), instauration du paquet neutre (2017), première hausse de la fiscalité (2018, d'autres hausses ayant lieu en 2019 et 2020).

* 182 Organisation mondiale de la Santé, Rapport de l'OMS sur l'épidémie mondiale de tabagisme, 2021 - Les produits nouveaux et émergents, 2021.

* 183 Centers for Disease Control and Prevention (CDC), « Response to increases in cigarette prices by race/ethnicity, income, and age groups-United States, 1976-1993 », Morbidity and Mortality Weekly Report (MMWR), 31 juillet 1998 ; 47(29):605-9. Selon cet article, aux Etats-Unis, en 1976-1993, l'élasticité-prix aurait été de - 0,15 pour la prévalence et de - 0,10 pour la consommation, conduisant à une élasticité-prix totale de - 0,25. Cet ordre de grandeur est repris dans International Agency for Research on Cancer (IARC), « Effectiveness of Tax and Price Policies for Tobacco Control », IARC handbooks of cancer prevention: tobacco control, volume 14, 2011.

* 184 Selon l'hypothèse d'une inflation de 1,75 % par an.

* 185 En 2017-2020, les prix ont augmenté d'environ 40 % au total, et la prévalence a diminué d'environ 4 points. Toutefois cela n'a pas été le cas lors de la hausse de prix de 2003-2004 (en 2003-2004, la hausse des prix, également d'environ 40 % au total, a correspondu à une baisse de la prévalence de seulement 1 point).

* 186 Le mécanisme de la remise est présenté en annexe II.

* 187 La rémunération des buralistes, ou « remise », est fixée réglementairement en proportion du prix de vente des cigarettes (elle est actuellement fixée à 10,19 %). En supposant une élasticité-prix de la demande de -0,4, une augmentation de 10 % du prix des cigarettes réduit le nombre de cigarettes vendues de 4 % et augmente le chiffre d'affaires (et donc la rémunération des buralistes) de (0,96×1,1-1)×100 = 5,6 %.

* 188 Directive 2011/64/UE, relative à la structure et aux taux d'accises applicables aux produits du tabac, et article 32 de la directive 2008/118/CE, relatif aux seuils de présomption de détention de tabacs et de boissons alcoolisées à des fins commerciales.

* 189 Proposition de loi n° 1834 visant à appliquer le protocole de l'Organisation mondiale de la santé définissant des quotas de livraison de tabac pour empêcher les cigarettiers d'alimenter le commerce parallèle (7 novembre 2023).

* 190 « Enfin, son prix [du tabac], jugé excessif, est massivement invoqué parmi les motifs de disgrâce de la cigarette (qualifiée de « gouffre à fric »), en particulier parmi les jeunes de milieux populaires (sans argent de poche) » (Ivana Obradovic, Attitudes, Représentations, Aspirations et Motivations lors de l'Initiation aux Substances psychoactives - enquête ARAMIS, OFDT, octobre 2019).

* 191 Avec les dispositifs IQOS (Philip Morris), Pulze (Imperial Tobacco Seita), Ploom (Japan Tobacco International), Glo (British Américan Tobacco).

* 192 VEEV(Philip Morris), JAI (Imperial Tobacco Seita), Logic (Japan Tobacco International), Vuse (British Américan Tobacco).

* 193 Le second « pilier » consiste à « mieux accompagner les fumeurs vers l'arrêt du tabac, en particulier les plus modestes d'entre eux ».

* 194 Cf. texte n° 457 de la commission mixte paritaire déposé le 21 mars 2024 et, au Sénat, le rapport n° 304 (2023-2024) de M. Khalifé Khalifé, déposé le 31 janvier 2024.

* 195 Article L. 3513-4 du code de la santé publique.

* 196 Article L. 3513-5 du code de la santé.

* 197 Article L. 3513-6 du code de la santé publique.

* 198 Concrètement, il s'agirait de réduire les arômes autorisés à des arômes de plante (tabac, menthe, menthol), et d'interdire en conséquence des arômes plus attractifs pour les jeunes (sucrés ou fruités).

* 199 Dont la vente aux mineurs est déjà interdite par l'article L. 3513-5 du code de la santé publique.

* 200 Actuellement, la vente des billes de nicotine n'est encadrée par aucune disposition spécifique ; elles peuvent notamment être vendues aux mineurs.

* 201 Texte n° 459 (2023-2024) de Mme Alexandra Borchio Fontimp, déposé au Sénat le 21 mars 2024.

* 202 Cette proposition de loi propose en outre de confier aux débits de tabac la vente de tous les produits contenant de la nicotine autres que les produits du vapotage.

* 203 Les industriels du tabac commercialisent ainsi IQOS (Philip Morris), Pulze (Imperial Tobacco Seita), Ploom (Japan Tobacco International), Glo (British American Tobacco).

* 204 Magorzata Znyk, Joanna Jurewicz, Dorota Kaleta, « Exposure to Heated Tobacco Products and Adverse Health Effects, a Systematic Review », International Journal of Environmental Research and Public Health, 2021, 18, 6651 (traduction par les rapporteures).

* 205 Cyrille Isaac-Sibille, Thierry Frappé, « Les mesures récentes relatives à la « fiscalité comportementale », in Rapport d'information en conclusion des travaux du Printemps social de l'évaluation, n° 1318 (XVIe législature), commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, 2 juin 2023.

* 206 « Proposition. Augmenter les taxes et droits d'accise sur les boissons alcooliques, comme le demande la plupart des études sur ce sujet. Compte tenu des distorsions actuelles en matière de droits d'accise, il faudrait cibler en priorité le vin, très peu taxé et dont la fiscalité est inchangée depuis plusieurs décennies (...) ».

* 207 Source : Jean-Baptiste Richard, Raphaël Andler, Chloé Cogordan, Stanislas Spilka, Viêt Nguyen-Thanh et le groupe Baromètre de Santé publique France 2017, « La consommation d'alcool chez les adultes en France en 2017 », Bulletin épidémiologique hebdomadaire n°5-6, Santé publique France, 19 février 2019.

* 208 « Les politiques et interventions consistent notamment : (...) d) à fixer, s'il y a lieu, un prix minimum pour l'alcool ».

* 209 Cour des comptes, Les politiques de lutte contre les consommations nocives d'alcool, rapport public thématique, juin 2016.

* 210 Dans sa recommandation 8 : « Préparer la mise en place d'un prix minimum de l'unité d'alcool pur contenu dans chaque boisson, compatible avec le droit européen, pour réduire la consommation des personnes dépendantes ».

* 211 Fabrice Etilé (dir.), Effets économiques et épidémiologiques de politiques de prix des boissons alcoolisées, rapport de recherche avec le soutien financier de l'INCa et de la Mildeca, août 2022.

* 212 Sébastien Lecocq, Valérie Orozco, Christine Boizot-Szantai, Céline Bonnet, Fabrice Etilé, « La régulation des prix des alcools en France : quels scénarios de réforme pour une politique proportionnée aux objectifs de santé publique et d'équité fiscale ? », Economie et Statistique, 541, 17-32, 2023.

* 213 Source : Fabrice Etilé (dir.), Effets économiques et épidémiologiques de politiques de prix des boissons alcoolisées, rapport de recherche avec le soutien financier de l'INCa et de la Mildeca, août 2022.

* 214 Cyrille Isaac-Sibille, Thierry Frappé, « Les mesures récentes relatives à la « fiscalité comportementale », in Rapport d'information en conclusion des travaux du Printemps social de l'évaluation, n° 1318 (XVIe législature), commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, 2 juin 2023.

* 215 Il s'agit de la dénomination habituellement retenue, ce qui présente l'avantage de distinguer la notion de celle du prix minimum de vente aux consommateurs.

* 216 Proposition de loi visant à lutter contre l'inflation par l'encadrement des marges des industries agroalimentaires, du raffinage et de la grande distribution et établissant un prix d'achat plancher des matières premières agricoles.

* 217 Proposition de loi visant à garantir un revenu digne aux agriculteurs et à accompagner la transition agricole.

* 218 Addictions France, Les magasins vendent de l'alcool aux mineurs en toute impunité, octobre 2021 (achats-tests effectués par des mineurs dans des supérettes, supermarchés et hypermarchés dans le Finistère et en Loire-Atlantique).

* 219 Les seules interdictions concernent les services destinés à la jeunesse et ceux édités par certaines entités sportives et la publicité « intrusive » ou « interstitielle » .

* 220  https://addictions-france.org/presse/alcool-et-reseaux-sociaux-pourquoi-il-faut-interdire-la-publicite-en-faveur-de-lalcool-par-les-influenceurs/

* 221 P. Scarborough, V. Adhikari, R.A. Harrington, A. Elhussein, A. Briggs, et al ., « Impact of the announcementand implementation of the UK Soft Drinks Industry Levy on sugar content, price, product size and number of available soft drinks in the UK, 2015-19 : A controlled interrupted time series analysis », PLOS Medicine, 17, 2020.

* 222 Dickson, Alex, Markus Gehrsitz, et Jonathan Kemp. 2023. « Does a Spoonful of Sugar Levy Help the Calories Go Down? An Analysis of the UK Soft Drinks Industry Levy ». Review of Economics and Statistics, mai, 1-29. https://doi.org/10.1162/rest_a_01345.

* 223 Amendement n° 1040 rect. de M. Iacovelli (article 10 undecies dans le texte adopté par le Sénat le 21 novembre 2023).

* 224 Loi n° 2023-1250 de financement de la sécurité sociale pour 2024 du 26 décembre 2023.

* 225 Cette recommandation est convergente avec celle formulée par l'Assemblée nationale dans son rapport d'information publié à l'été 2023 en conclusion des travaux du Printemps social de l'évaluation.

* 226 Pour être considéré comme collectif, l'accord doit représenter une part de marché supérieure à 80 % en volume pour les produits de la filière concernée.

* 227 Le seul accord collectif signé depuis 2019 concerne la filière boulangerie-pâtisserie. Entre 2014 et 2019, six accords collectifs avaient été signés : avec l'entreprise Davigel, les secteurs de la charcuterie, des boissons rafraîchissantes sans alcool et de la boulangerie artisanale, la société Herta, l'association Bleu-Blanc-Coeur.

* 228 Cour des comptes, La prévention et la prise en charge de l'obésité, communication à la Commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, novembre 2019.

* 229 Haut conseil de la santé publique, Pour une politique nationale nutrition santé 2017-2021, Avis et rapports, septembre 2017.

* 230 Oqali, Un observatoire dédié à la qualité de l'offre alimentaire, avril 2023.

* 231 « Nous recommandons notamment la création de chèques alimentaires qui pourront être utilisés pour acquérir des produits durables (issus de l'agro écologie, des circuits courts). Les conditions d'éligibilité restent à définir, nous nous en remettons aux administrations et assemblées compétentes » (Convention citoyenne pour le climat, Les propositions de la convention citoyenne pour le climat, rapport adopté le 21 juin 2020, version corrigée du 29 janvier 2021).

* 232 Article 259 de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.

* 233 Au cours du premier trimestre 2024, le département de Seine-Saint-Denis a prévu de débuter l'expérimentation d'un chèque alimentaire dans quatre villes, en partenariat avec Action contre la faim. Ce dispositif, qui vise à améliorer l'accès à une alimentation de qualité, se double d'un accompagnement sur les questions d'alimentation durable, de santé et de nutrition auprès des publics cibles.

* 234 Dans son article 9, la directive encourage les fournisseurs de services de médias à élaborer des codes déontologiques pour encadrer « la communication commerciale audiovisuelle inappropriée, accompagnant les programmes pour enfants ou incluse dans ces programmes, et concernant des denrées alimentaires ou des boissons » ayant un effet nutritionnel défavorable à la santé.

* 235 Santé Publique France, Exposition des enfants et des adolescents à la publicité pour des produits gras, sucrés, salés, Études et enquêtes, juin 2020.

* 236 Loi n° 2016-1771 du 20 décembre 2016.

* 237 Elle représente 38 % du temps de visionnage pour les 4-12 ans, 47 % pour les 13-17 ans et 41,9 % pour les plus de 18 ans.

* 238 OMS, 63e Assemblée mondiale de la santé, Commercialisation des aliments et des boissons non alcoolisées aux enfants, Résolution WHA63.14, 21 mai 2010.

* 239 HCSP, Pour une politique nationale nutrition santé en France 2017-2021, Avis et Rapports, septembre 2017.

* 240 Page 60 de l'avis précité.

* 241 Santé publique France, Exposition des enfants et des adolescents à la publicité pour des produits gras, sucrés, salés, Études et enquêtes, juin 2020.

* 242 B. Sarda, P. Ducrot, A-J. Serry, Nutri-Score : évolution de sa notoriété, sa perception et son impact sur les comportements d'achat déclarés entre 2018 et 2020, Santé Publique France, 2020.

* 243 Arrêté du 31 octobre 2017 fixant la forme de présentation complémentaire à la déclaration nutritionnelle recommandée par l'État en application des articles L. 3232-8 et R. 3232-7 du code de la santé publique.

* 244 Comme le souligne Pierre Kopp dans sa note de 2015, « certaines personnes décédées du fait de l'alcool sont également des fumeurs, et inversement. (...) Face à l'impossibilité de traiter les doubles comptes, le total arithmétique surestime largement le coût social des drogues et ne doit donc pas être utilisé ».

* 245 Alors que les études les plus anciennes estiment la valeur de la vie humaine sur la base de la production potentielle (approche dite par le « capital humain »), l'approche actuellement retenue, conduisant à des montants plus élevés, consiste à apprécier l'effort que la collectivité est prête à consentir pour réduire un risque de décès, sur la base des comportements observés. L'OCDE retient une valeur de la vie statistique (VVS) de 3 millions de dollars en 2005. Pierre Kopp retient la VVS préconisée par le « rapport Quinet » de 2013 (Emile Quinet, Evaluation socioéconomique des investissements publics, commissariat général à la stratégie et à la prospective, septembre 2013), soit 3 millions d'euros en 2010 (correspondant à 115 000 euros en 2010 par année de vie gagnée). Cette valeur croît chaque année comme le PIB par tête.

* 246 Par exemple, selon l'OMS (WHO methods and data sources for global burden of disease estimates 2000-2019, décembre 2020), un cancer métastasé réduit la valeur de la vie de 75 %, une attaque laissant des séquelles cognitives graves la réduit de 92 % et une démence sévère la réduit de 94 % (alors qu'une maladie infectieuse légère la réduit de seulement 0,5 %).

* 247 C'est-à-dire la perte de productivité au travail liée à la pathologie.

* 248 L'impact de l'obésité sur l'absentéisme, le présentéisme, le taux d'emploi et la retraite anticipée aurait pour effet de réduire la production annuelle moyenne du marché du travail en 2020-2050 de respectivement 0,35 %, 0,75 %, 0,31 % et 0,04 % (rapport de 2019 sur l'obésité). La suppression de la consommation nocive d'alcool se traduirait, pour des raisons analogues, par une augmentation de plus de 400 000 travailleurs équivalent temps plein (rapport de 2021 sur l'alcool). Dans le cas du tabac, l'OCDE indique que le coût annuel pour le marché du travail correspondant par habitant serait analogue pour le tabac et pour l'alcool (respectivement 184,85 euros en 2005-2021 et 168,70 euros en 2023-2050) (rapport de 2023 sur le tabac).

* 249 Le PIB 2023 est de 2 803,80 milliards d'euros.

* 250 Dans le cas du tabac et de l'alcool, selon Kopp (2023) le décès a lieu en moyenne à 68 ans, soit cinq ans après l'âge moyen de départ à la retraite (63 ans), pour une durée de traitement d'une dizaine d'années (sauf pour les cancers du poumon).

* 251 Selon Kopp (2023), le tabac et l'alcool susciteraient chacun environ un million de malades. On peut faire l'hypothèse qu'environ la moitié sont actifs, ce qui correspond dans chaque cas à 500 000 personnes. Sur ces personnes, certaines ne travaillent pas mais le feraient si elles n'étaient pas malades. Si on suppose que cela concerne 30 % d'entre elles (taux constaté en Australie pour les malades de cancer : Nicole Bates et al., « Labour force participation and the cost of lost productivity due to cancer in Australia », BMC Public Health (2018) 18:375), le nombre d'emplois est réduit dans chaque cas d'environ 150 000, soit 0,5 % du nombre d'emplois.

* 252 Les personnes restantes voient leur productivité réduite. Selon une méta-étude de 2023 (S. Rojanasarot et al., « Productivity loss and productivity loss costs to United States employers due to priority conditions: a systematic review », Journal of Medical Economics, volume 26, 2023, n° 1), les cancers et maladies cardio-vasculaires feraient perdre une cinquantaine d'heures de travail par an (par l'absentéisme et le présentéisme), soit environ 3 % du temps de travail, soit (en supposant 350 000 malades employés pour le tabac comme pour l'alcool) à l'échelle de l'ensemble des emplois 0,04 %.

* 253 En France, la croissance du PIB est schématiquement égale à la somme du progrès technique, d'un tiers de la croissance du capital et de deux tiers de la croissance du travail (selon la décomposition découlant de la fonction de production dite de « Cobb-Douglas »).

* 254 Elise Coudin, Arthur Souletie, « Obésité et marché du travail : les impacts de la corpulence sur l'emploi et le salaire », Economie et statistique n° 486-487, 2016. Le taux d'emploi ne serait pas réduit pour les hommes obèses.

* 255 Donna Gates et al., « Obesity and Presenteeism: The Impact of Body Mass Index on Workplace Productivity », Journal of Occupational and Environmental Medicine 50(1):p 39-45, janvier 2008.

* 256 Réduction de l'emploi : 15 %× 0,07/2 = 0,5 %. Réduction de la productivité (en % de l'emploi) : 14,5 % × 0,03 = 0,4 %. Si les 2/3 de ces effets se retrouve dans le PIB, celui-ci est réduit de 0,6 point.

* 257 Commission européenne, Executive summary of the evaluation of the Council Directive 2011/64/UE of 21 June 2011 on the structure and rates of excise duty applied to manufactured tobacco, 10 février 2020.

* 258 « Cette évaluation montre que l'impact de la directive sur la santé publique a été modéré. La directive a donné un premier élan avec l'augmentation des taux minima européens pour les cigarettes et le tabac haché fin, mais seuls quelques États membres, avec des niveaux de taxation très faibles, ont été réellement touchés. Quoi qu'il en soit, la directive ne donne plus cette impulsion » (traduction par les rapporteures).

* 259 L'article 570 du code général des impôts est abrogé à compter du 1er juillet 2025 par l'article 25 de l'ordonnance n°2023-1210 du 20 décembre 2023 portant création du titre V du livre IV du code des impositions sur les biens et services et portant diverses autres mesures de recodification de mesures non fiscales. L'article 30 de cette même ordonnance déplace à compter de cette même date ces dispositions au sein du code de la santé publique (article L. 3512-14-15).

* 260 L'écart entre remise brute et remise nette correspond au droit de licence et à la cotisation au régime d'allocations viagères des gérants de tabacs (RAVGDT).

* 261 Arrêté du 22 décembre 2023 modifiant l'arrêté du 13 décembre 2022 constatant divers tarifs et seuils de régimes d'impositions relatifs à certaines impositions sur les biens et services.

* 262  https://entreprendre.service-public.fr/vosdroits/F23604

* 263  Droits d'accise sur l'alcool et les boissons alcooliques - évaluation des taux d'accise et des structures fiscales (europa.eu)

* 264 Arrêté du 22 décembre 2023 modifiant l'arrêté du 13 décembre 2022 constatant divers tarifs et seuils de régimes d'impositions relatifs à certaines impositions sur les biens et services.

* 265 Comme le rappelle l'évaluation préalable de l'article 18 du projet de loi de finances pour 2024 (devenu l'article 111 du texte promulgué), les bouilleurs de cru sont des particuliers, propriétaires, fermiers, métayers ou vignerons qui fabriquent de l'alcool à partir de fruits provenant exclusivement de leur récolte, pour leur consommation personnelle. Ils ne peuvent pas vendre l'alcool obtenu.

* 266 D'après l'évaluation préalable du Gouvernement, ce régime concernait 60 000 bénéficiaires, pour un coût de 2,4 millions d'euros.

* 267 Les quantités habituellement servies correspondent à peu près à la même quantité d'alcool. Ainsi, selon la sécurité routière, « 25 cl de bière à 5° = 12,5 cl de vin de 10° à 12°= 3 cl d'alcool distillé à 40° (whisky, anisette, gin) = environ 10 g d'alcool pur ».

* 268 Règlement (UE)  2021/847 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2021 établissant le programme « Fiscalis » aux fins de la coopération dans le domaine fiscal et abrogeant le règlement (UE) no 1286/2013.

* 269 Pour certaines boissons, des exceptions substituent le titre alcoométrique volumique plafond de 1,2 % à celui de 0,5 %.

* 270  https://bofip.impots.gouv.fr/bofip/11674-PGP.html/identifiant=BOI-TCA-BNA-10-20191230

* 271 Smokefree Environments and Regulated Products Amendment Act.

* 272 Christophe Palle, Législations nationales et politiques de réduction des dommages liés à l'alcool au sein de l'Union européenne, note n° 2020-03, juillet 2020.

* 273 « Tous les pays de l'UE qui produisent des volumes importants de vin prélèvent des taux de droits extrêmement faibles, voire nuls, sur le vin, tandis que presque tous les pays non producteurs de vin prélèvent des taux plus élevés. Le faible taux d'imposition du cidre au Royaume-Uni a également été influencé par la production locale » (Colin Angus , John Holmes, Petra S. Meier, « Comparing alcohol taxation throughout the European Union », Addiction, mars 2019, 114, p. 1489-1494 ; traduction par les rapporteures).

* 274 Pour mémoire, le « Brexit » date du 31 janvier 2020.

* 275 Les passages cités des arrêts sont traduits par les rapporteures.

* 276 « Les restrictions quantitatives à l'importation ainsi que toutes mesures d'effet équivalent, sont interdites entre les États membres ».

* 277 Arrêt de la Cour (deuxième chambre) du 23 décembre 2015 (demande de décision préjudicielle de la

Court of Session (Scotland) -- Royaume-Uni) -- Scotch Whisky Association e.a./The Lord Advocate, The Advocate General for Scotland (Affaire C-333/14).

* 278 Selon l'article 36 du TFUE : « Les dispositions des articles 34 et 35 ne font pas obstacle aux interdictions ou restrictions d'importation, d'exportation ou de transit, justifiées par des raisons de moralité publique, d'ordre public, de sécurité publique, de protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou de préservation des végétaux, de protection des trésors nationaux ayant une valeur artistique, historique ou archéologique ou de protection de la propriété industrielle et commerciale. Toutefois, ces interdictions ou restrictions ne doivent constituer ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée dans le commerce entre les États membres ».

* 279 Supreme Court, Scotch Whisky Association and others (Appellants) v The Lord Advocate and another (Respondents) (Scotland), [2017] UKSC 76, 15 novembre 2017.

* 280 La Outer House et la Inner House « ont décidé qu'il pouvait raisonnablement être conclu, après un examen objectif des différents éléments présentés devant elles et maintenant devant la Cour suprême, que le système proposé de prix minimum était proportionné au sens requis par le droit de l'Union européenne et maintenant expliqué par la Cour de justice. (...) L'essentiel est que la taxation imposerait une charge involontaire et inacceptable sur des secteurs de la population consommatrice d'alcool, dont les habitudes de consommation d'alcool et la santé ne représentent pas un problème important sur le plan social au même titre que les habitudes de consommation d'alcool et la santé des citoyens, en particulier les plus démunis, dont le Parlement et le Gouvernement écossais souhaitent cibler la consommation et l'abus d'alcool bon marché. En revanche, le prix minimum de l'alcool ciblera bien mieux la consommation réellement problématique vers laquelle les objectifs du Gouvernement ont toujours été orientés et dont la nature est devenue encore plus clairement identifiée par les documents disponibles plus récemment, en particulier l'étude d'avril 2016 de l'Université de Sheffield ».

* 281 « Le système sera expérimental, mais c'est un facteur pris en compte par ses dispositions de révision et sa clause de « revoyure ». Il s'agit d'un facteur important en faveur du maintien du régime de prix minimum proposé ».

* 282 Public Health Scotland, Evaluating the impact of minimum unit pricing for alcohol in Scotland: Final report -A synthesis of the evidence, 27 juin 2023. Les passages cités sont traduits par les rapporteures.

* 283 Par exemple, la conclusion du résumé figurant au début du rapport est ainsi rédigée (la traduction, comme celles des autres citations du rapport, est des rapporteures) :

« Dans l'ensemble, les données probantes confirment que le [prix minimum unitaire] a eu un impact positif sur les résultats en matière de santé, à savoir une réduction des décès et des hospitalisations imputables à l'alcool, en particulier chez les hommes et les personnes vivant dans les zones les plus défavorisées, et qu'il contribue donc à lutter contre les inégalités de santé liées à l'alcool.

Il n'existe aucune preuve claire d'impacts négatifs substantiels sur l'industrie des boissons alcoolisées, ni de préjudices sociaux au niveau de la population. »

* 284 La source de NHS Scotland pour ces chiffres est Grant M. A. Wyper, Daniel F. Mackay, Catriona Fraser, Jim Lewsey, Mark Robinson, Clare Beeston, et al., « Evaluating the impact of alcohol minimum unit pricing on deaths and hospitalisations in Scotland: A controlled interrupted time series study », The Lancet, 20 mars 2023.

* 285 « Certains signes indiquent une légère augmentation des décès dus à des causes aiguës, comme l'intoxication alcoolique, mais il existe une incertitude considérable autour de cette constatation, en partie due au nombre relativement faible de décès dus à causes aiguës. (...) Il existe certaines preuves d'une augmentation des admissions entièrement imputables à des causes aiguës ».

* 286 « Il existe peu de preuves suggérant que le [prix unitaire minimum] a été efficace pour réduire la consommation des personnes dépendantes à l'alcool. Les personnes dépendantes à l'alcool constituent un sous-groupe particulier de celles qui boivent à des niveaux nocifs et ont des besoins spécifiques. Les personnes dépendantes à l'alcool ont besoin d'un traitement rapide et fondé sur des données probantes, ainsi que d'un soutien plus large qui s'attaque à la cause profonde de leur dépendance. L'évaluation a démontré que certaines personnes dépendantes à l'alcool et disposant d'un soutien financier limité peuvent subir une pression financière accrue en raison du [prix unitaire minimum] ».

* 287 « Il convient de réfléchir à la meilleure façon de surveiller les besoins et de fournir des services aux membres de ce groupe afin de minimiser les impacts négatifs du [prix unitaire minimum]. Cela serait particulièrement important si des augmentations du niveau du [prix unitaire minimum] étaient introduites ».

* 288 World Bank Group, Health, Nutrition and Population Global Practice, Taxes on sugar-sweetened beverages : international evidence and experiences, oct. 2020.

* 289 World Bank, Taxes on sugar-sweetened beverages: International evidence and experiences. Washington, 2020.

* 290 CPO, La fiscalité nutritionnelle, note n° 5, juillet 2023.

* 291 Anne Marie Thow, Holly L. Rippin, Georgina Mulcahy, Keeva Duffey, Kremlin Wickramasinghe, « Sugar-sweetened beverage taxes in Europe : learning for the future » , Vol. 32, No. 2, avril 2022, pp. 273-280.

* 292 Andreyeva T., Marple K., Marinello S., Moore T.E., Powell L.M., « Outcomes Following Taxation of Sugar-Sweetened Beverages: A Systematic Review and Meta-analysis », JAMA Network Open, juin 2022.

* 293 Amendement n° 104 rect. ter de M. Bonhomme et plusieurs de ses collègues, déposé en première lecture au Sénat, projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024.

* 294 Smed S., Scarborough P., Rayner M., Jensen J., « The effects of the Danish saturated fat tax on food and nutrient intake and modelled health outcomes: an econometric and comparative risk assessment evaluation », European Journal of Clinical Nutrition - Nature, 2016; 70: 681-86.

* 295 Bíró A., « Did the junk food tax make the Hungarians eat healthier? », Food Policy 2015; 54: 107-15.

* 296 Taillie, L. S., J. A. Rivera, B. M. Popkin, and C. Batis, « Do High vs. Low Purchasers Respond Differently to a Nonessential Energy-Dense Food Tax? Two-Year Evaluation of Mexico's 8% Nonessential Food Tax », Preventive Medicine, 2017, 105 (Supplement): S37-S42.

* 297 Taillie L.S., Reyes M., Colchero M.A., Popkin B., Corvalán C., « An evaluation of Chile's Law of Food Labeling and Advertising on sugar-sweetened beverage purchases from 2015 to 2017: A before-and-after study », PLoS Med, février 2020.

* 298 Bonnet, Céline, et Réquillart, Vincent, « The effects of taxation on the individual consumption of sugar-sweetened beverages », Economics & Human Biology, Volume 51, 2023, 101277.

* 299 Lecocq, S., Orozco, V., Boizot-Szantai, C., Bonnet, C. & Etilé, F., « La régulation des prix des alcools en France : quels scénarios de réforme pour une politique proportionnée aux objectifs de santé publique et d'équité fiscale ? », Economie et Statistique / Economics and Statistics, 2023, 541, 17-32.

* 300 Dans l'étude citée, quatre scénarios fiscaux sont étudiés : deux s'appuient sur une taxe uniforme, c'est-à-dire invariable selon le taux d'alcool, avec une hypothèse basse et une hypothèse haute ; deux autres s'appuient sur une taxe progressive, corrélée au taux d'alcool, avec une hypothèse basse et une hypothèse haute.

* 301 Llopis, E. J., O'Donnell, A. & Anderson, P., Impact of price promotion, price, and minimum unit price on household purchases of low and no alcohol beers and ciders: Descriptive analyses and interrupted time series, 2021.

* 302 Etilé F., Sharma A., « Do High Consumers of Sugar-Sweetened Beverages Respond Differently to Price Changes ? A Finite Mixture IV-Tobit Approach », Health Econ., septembre 2015 ; 24(9):1147-63. doi: 10.1002/hec.3157. Epub 2015 Feb 11. PMID : 25676493.

* 303  https://www.inserm.fr/expertise-collective/reduction-dommages-associes-consommation-alcool/

* 304 Sur la base de l'article 1er de la loi n° 2004-806 du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique.

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