IV. LE CONTRÔLE DE SUBSIDIARITÉ

Il est utile de rappeler le contexte dans lequel le respect du principe de subsidiarité doit être apprécié. En effet, lorsque la Commission européenne était présidée par M. Jean-Claude Juncker, elle avait affiché une volonté claire de réduire le nombre de ses propositions législatives pour recentrer son activité autour de quelques grandes priorités politiques. Cette volonté s'accompagnait de l'objectif de mieux respecter le principe de subsidiarité.

Cependant, avec la Commission présidée par Mme Ursula von der Leyen, le nombre d'initiatives législatives est de nouveau reparti à la hausse. Et cette tendance a été confortée par la nécessité de répondre en urgence aux crises par une harmonisation européenne renforcée.

Néanmoins, s'il satisfait le Conseil et le Parlement européen, ce pouvoir normatif « extensif » (par exemple dans le domaine de l'industrie de défense) est parfois difficilement compatible avec la lettre des traités et empiète sur les compétences des États membres.

1. Rappel sur le contrôle de subsidiarité : les avis motivés

Depuis l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, le 1er décembre 2009, les Parlements nationaux disposent de compétences propres en matière de contrôle de la subsidiarité126(*). Pour les assemblées du Parlement français, ces compétences sont également visées à l'article 88-6 de la Constitution :

« L'Assemblée nationale ou le Sénat peuvent émettre un avis motivé sur la conformité d'un projet d'acte législatif européen au principe de subsidiarité. »

Dans ce cadre, pour chaque texte concerné, le Sénat doit vérifier que l'Union européenne, en adoptant ce projet d'acte législatif, reste bien dans son rôle, qu'elle intervient à bon escient et évite l'excès de réglementation.

En pratique, le Sénat peut adopter un avis motivé prenant la forme d'une résolution s'il estime qu'une proposition législative ne respecte pas le principe de subsidiarité, avis dans lequel il indique les raisons pour lesquelles la proposition ne lui paraît pas conforme. À cette fin, comme les autres assemblées parlementaires des États membres, le Sénat est directement destinataire de certains projets de réglementation européenne ressortant de domaines de compétences partagées entre l'Union et les Etats membres (123 textes en 2022-2023 contre 110 en 2021- 2022).

Dans ce cadre, il va en pratique vérifier :

· si l'Union européenne est bien compétente pour proposer l'initiative concernée ;

· si la base juridique choisie est pertinente ;

· si l'initiative proposée est nécessaire et si elle apporte une « valeur ajoutée » par rapport au droit en vigueur ;

· enfin, si elle n'excède pas ce qui est nécessaire pour mettre en oeuvre les objectifs poursuivis. En effet, dans son contrôle de la conformité des textes au principe de subsidiarité, le Sénat effectue également un contrôle de proportionnalité des mesures envisagées.

Le délai pour adopter un avis motivé est fixé par les traités à huit semaines à compter de la date à laquelle le Sénat a été saisi du texte127(*).

UN GROUPE DE VEILLE SUR LA SUBSIDIARITÉ

Un groupe pilote a été constitué au sein de la commission des affaires européennes afin d'effectuer un examen systématique des projets d'actes législatifs au regard du principe de subsidiarité. Le Règlement du Sénat permet, en effet, à la commission des affaires européennes d'adopter un projet d'avis motivé de sa propre initiative.

Ce groupe pilote est présidé par le président de la commission des affaires européennes et comporte un représentant de chaque groupe politique.

Il a été renouvelé à l'occasion des élections sénatoriales du 24 septembre 2023.

Le Règlement du Sénat prévoit que tout sénateur peut déposer une proposition de résolution portant avis motivé. Celle-ci doit d'abord être adoptée par la commission des affaires européennes. Elle est ensuite soumise à l'approbation de la commission compétente au fond, si cette dernière souhaite intervenir. Si, en revanche, elle ne statue pas dans les délais, le texte élaboré par la commission des affaires européennes est considéré comme adopté. En outre, à tout moment de la procédure, le président d'un groupe peut demander un examen en séance publique. Une fois adopté, l'avis motivé est aussitôt transmis aux institutions européennes (Commission européenne, Conseil et Parlement européen). Et le Gouvernement en est informé.

Conformément au protocole n° 2 annexé aux traités sur l'Union européenne et sur le fonctionnement de l'Union européenne, si un tiers des Parlements nationaux émet un avis motivé sur une même proposition législative, celle-ci doit être réexaminée par l'institution européenne concernée qui peut décider de la maintenir, de la modifier ou de la retirer. C'est ce que l'on appelle le « carton jaune ». Ce seuil est abaissé à un quart des Parlements nationaux pour les projets d'acte législatif intervenant dans le domaine de la coopération judiciaire et policière en matière pénale.

TROIS PRÉCÉDENTS EN MATIÈRE DE « CARTON JAUNE »

Depuis l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, les Parlements nationaux ont adressé trois « cartons jaunes » à la Commission européenne. Le Sénat a contribué aux deux premiers avis :

le premier concernait le paquet « Monti II », un ensemble de textes relatifs au droit de grève. Des assemblées parlementaires de douze États membres128(*), représentant 19 voix, ont estimé que ces textes étaient contraires au principe de subsidiarité. La Commission européenne a retiré ce paquet le 26 septembre 2012 ;

- le deuxième « carton jaune » visait la proposition de règlement créant un Parquet européen. Des assemblées de dix États membres129(*), représentant 18 voix, se sont exprimées dans le même sens. La Commission a souhaité maintenir son texte. Mais le Conseil et le Parlement européen, prenant acte des avis motivés, ont fait ensuite évoluer le projet conformément aux voeux du Sénat ;

- le troisième « carton jaune » portait sur la proposition de directive visant à réviser la directive de 1996 relative au détachement des travailleurs. Des assemblées de onze États membres130(*), représentant 22 voix, ont considéré que ce texte, en particulier la question de la fixation des salaires, était contraire au principe de subsidiarité. Le 20 juillet 2016, la Commission a cependant maintenu son texte, rappelant que la directive qu'elle proposait de réviser datait de plus de vingt ans.

En outre, dans le cadre de la procédure législative ordinaire (codécision entre le Parlement européen et le Conseil), si la moitié des Parlements nationaux émet un avis motivé sur une même proposition législative, la Commission doit réexaminer sa proposition et décider soit de la maintenir, soit de la modifier, soit de la retirer. Si, malgré le nombre important d'avis négatifs, elle choisit de la maintenir, elle doit justifier cette décision en publiant elle-même un avis motivé indiquant les raisons pour lesquelles elle estime que cette proposition est conforme au principe de subsidiarité. De leur côté, le Parlement européen et le Conseil devront vérifier, avant d'achever la première lecture, la conformité du texte au principe de subsidiarité. Si le Parlement européen, à la majorité des suffrages exprimés, ou une majorité de 55 % des membres du Conseil estime qu'il n'est pas conforme, la proposition législative est rejetée et son examen n'est pas poursuivi. C'est ce que l'on appelle le « carton orange ».

Le contrôle de subsidiarité par le Sénat peut également en principe s'effectuer a posteriori. C'est ce que l'on appelle le « carton rouge ». Le Sénat peut ainsi, en application de l'article 88-6 de la Constitution, former un recours devant la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) contre un acte législatif européen déjà adopté, dans les deux mois suivant cette adoption, afin de faire constater qu'il ne respecte pas le principe de subsidiarité. Toutefois, en pratique, cette procédure n'a jamais été mise en oeuvre.

La procédure d'adoption est alors la même que pour les avis motivés. Cependant, la Cour de justice peut également être saisie, sans qu'une décision du Sénat soit nécessaire, dès lors qu'au moins soixante sénateurs en font la demande.

2. Le contrôle de subsidiarité : un regain quantitatif, des inquiétudes pour l'avenir

Affirmant qu'elle tient toujours compte des principes de subsidiarité et de proportionnalité dans les analyses d'impact de ses propositions stratégiques, la Commission européenne, dans son rapport sur les principes de subsidiarité et de proportionnalité et sur ses relations avec les parlements nationaux pour l'année 2022131(*), indique que le comité d'examen de la réglementation, organisme indépendant qui conseille le collège des commissaires, a examiné 70 analyses d'impact en 2022, contre 83 en 2021.

Le Parlement européen veille également au respect du principe de subsidiarité. Sa commission des affaires juridiques désigne un rapporteur pour la subsidiarité pour un mandat de six mois, sur la base d'une rotation entre les groupes politiques. Ce rapporteur suit les avis motivés reçus et a la possibilité de se saisir de questions qu'ils soulèvent pour en débattre en commission et pour adresser d'éventuelles recommandations à la commission compétente sur le texte concerné. La commission des affaires juridiques formule aussi des observations sur les rapports annuels de la Commission relatifs aux principes de subsidiarité et de proportionnalité.

De son côté, le Conseil informe aussi les États membres des avis motivés des Parlements nationaux sur les propositions de règlement et de directive.

Dans son rapport annuel 2022 précité, la Commission européenne a pris acte du regain quantitatif significatif de la procédure de contrôle de subsidiarité, avec 32 avis motivés reçus, soulignant que « c'est beaucoup plus qu'au cours des trois années précédentes (2019-2021) et deux fois plus qu'en 2021. 132(*)»

Avant de relativiser immédiatement la portée de cette augmentation : « Malgré cette augmentation, la Commission a constaté que plusieurs avis motivés ne reposaient pas sur une critique précise tirée d'une violation du principe de subsidiarité, mais plutôt sur ce qui était perçu comme un manque d'analyse de la situation nationale. »

Cette affirmation péremptoire n'en est pas moins erronée concernant les 4 avis motivés transmis par le Sénat sur la période considérée qui, eux, ont bien décelé des atteintes à la répartition des compétences entre États membres et Union européenne prévue par les traités et à la proportion entre les objectifs à atteindre et les réformes « mises sur la table ».

Néanmoins, comme déjà souligné l'an dernier, il conviendra d'examiner pour l'avenir, si ce regain se confirme ou s'il était une exception liée à l'examen de réformes européennes transversales et synonymes de changements significatifs pour les politiques nationales. L'année 2021, avec 9 avis motivés consacrés aux textes du paquet « ajustement à l'objectif 55 »133(*) (sur 16 avis au total), pouvait le laisser penser. Mais en 2022, force est de constater que les 32 avis motivés adoptés traitent de sujets très variés et que les seules initiatives ayant donné lieu à plusieurs avis motivés sont la réforme du droit électoral européen (5 avis motivés), l'acte européen sur la liberté des médias (4 avis motivés) et les propositions de révision des textes relatifs aux marchés du gaz et de l'hydrogène (4 avis motivés).

En effectuant rigoureusement ce contrôle des initiatives normatives européennes les plus importantes au titre du contrôle de subsidiarité, le Sénat, comme les autres chambres nationales, joue un rôle essentiel de gardien des traités et, plus particulièrement, de la répartition des compétences entre États membres et Union européenne prévue par ces derniers.

Ce contrôle est d'autant plus important à l'heure actuelle, que depuis 2019, à traité constant, l'Union européenne a gagné - souvent pour des motifs d'intérêt général, mais pas toujours, de nouvelles prérogatives. Ce fut le cas pour mener la transition écologique de l'Union européenne, pour conduire la numérisation des économies européennes, pour tirer les conséquences des crises liées à la pandémie de covid-19 et à la guerre en Ukraine. Ces extensions de compétences ont reçu l'assentiment de la totalité ou de la majorité des États membres mais ont de fait restreint d'autant la marge de contrôle autonome des parlements nationaux.

À titre d'exemple, en juillet 2020, l'Union européenne a mis en oeuvre un plan de relance européen inédit (Next generation EU)134(*) afin de stimuler la reprise de la croissance économique et fournir un soutien massif aux secteurs fragilisés ou innovants, garanti par un emprunt exceptionnel de l'Union européenne. Or, cette capacité d'emprunt n'était pas inscrite dans les traités. A contrario, l'article 310 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) met en avant la nécessité pour le budget européen d'être « équilibré » et l'interdiction, pour l'Union européenne, d'adopter des « actes susceptibles d'avoir des incidences notables sur le budget sans donner l'assurance que les dépenses découlant de ces actes peuvent être financés dans la limite des ressources propres de l'Union et dans le respect du Cadre financier pluriannuel ». Ce dispositif, qui s'est finalement imposé en raison de l'urgence et de l'intérêt des États membres, a donc suscité un débat juridique justifié.

Autre exemple : sur la base d'une interprétation « constructive » de l'article 2 du traité de l'Union européenne (TUE), qui recense les valeurs de l'Union européenne, cette dernière a institué, à compter de 2020, un suivi annuel de l'État de droit dans les États membres, qui conduit la Commission européenne à évaluer politiquement et « éthiquement » leur organisation judiciaire, leurs actions de lutte contre la corruption, leurs règles applicables aux médias et leurs procédures législatives. Et à conditionner explicitement l'octroi de fonds européens aux États membres à leur respect préalable de l'État de droit135(*).

Dernier exemple, déjà évoqué : dans le cadre du soutien de l'Union européenne à l'Ukraine, la Commission européenne a pris récemment plusieurs initiatives pour faciliter la coopération des industries de défense européennes et conforter leur production afin d'accélérer la production de munitions. La stratégie industrielle de défense européenne (EDIS), présentée le 5 mars dernier pour instaurer une nouvelle capacité européenne de programmation et de passation conjointe de marchés, étendre la logique d'intervention des règlements EDIRPA et ASAP et lancer des projets européens d'intérêt commun dans le secteur de la défense, est fondée sur plusieurs articles du TFUE, dont le choix souligne la difficulté de trouver une base juridique pertinente et de respecter la compétence des États membres dans le domaine de la défense. Elle est ainsi fondée à la fois sur l'article 114 précité du TFUE (développement du marché intérieur), sur son article 173 (relatif à l'industrie, au titre de la compétitivité de la base industrielle et technologique de défense européenne (BITDE)), son article 212 (relatif à la coopération économique, financière et technique avec des pays tiers, pour le renforcement de la BITD ukrainienne) et 322 (relatif aux règles financières de l'Union européenne) du TFUE.

En outre, contrairement à ses engagements, la Commission européenne omet désormais très souvent de présenter une analyse d'impact pour accompagner ses nouvelles initiatives et démontrer que ces dernières respectent le principe de subsidiarité. Parmi les textes récents d'importance dépourvus d'une telle analyse d'impact, on peut citer la proposition de directive sur la protection des personnes qui participent au débat public contre les procédures judiciaires manifestement infondées ou abusives136(*), la proposition de règlement établissant des mesures pour renforcer la solidarité et les capacités dans l'Union européenne à détecter les menaces et les incidents liés à la cybersécurité, à s'y préparer et à y répondre (dite « cybersolidarité »)137(*) ou encore, la proposition de directive de lutte contre la corruption138(*).

Il faut ajouter à ces constats une volonté croissante de la Commission européenne de présenter des règlements d'application directe en lieu et place de directives lesquelles nécessitent une transposition dans le droit national des États membres. Cela, afin d'uniformiser, et non plus seulement d'harmoniser, la diversité des législations nationales, cette diversité étant désormais systématiquement dénoncée par elle comme un obstacle au marché intérieur dans les exposés des motifs de ses propositions de textes. Ce présupposé est préoccupant, dans la mesure où il prive les parlements nationaux de toute possibilité d'intervention, une fois le règlement devenu définitif.

Ainsi, le règlement « cybersolidarité » précité vient modifier la directive (UE) 2022/2555 du 14 décembre 2022 (directive SRI2), qui devait pourtant déjà « assurer un niveau élevé commun de cybersécurité dans l'ensemble de l'Union » tout en maintenant la libre appréciation des États membres sur les priorités opérationnelles, dès lors que la sécurité nationale et la défense nationale étaient en jeu.

C'est aussi par un règlement que la Commission européenne a proposé un « réservoir européen de talents »139(*), dispositif destiné à attirer une immigration économique régulière dans les États membres de l'Union européenne, afin de « répondre aux pénuries actuelles et futures de main d'oeuvre et de compétences » dans les secteurs économiques en tension et de « réduire la pression exercée par la migration irrégulière »140(*), alors même que les États membres étaient divisés sur cet objectif (les débats au Sénat sur un dispositif inspiré de cette réglementation et présenté dans le cadre de la loi « immigration » du 26 janvier 2024141(*) en ont été l'illustration).

Enfin, conformément aux articles 290 (actes délégués)142(*) et 291 (actes d'exécution)143(*) du TFUE, les textes présentés confèrent régulièrement de grands pouvoirs d'exécution et/ou de délégation à la seule Commission européenne pour mettre en oeuvre voire compléter et modifier leur dispositif. En principe, les actes délégués ne peuvent être pris en application de dispositions essentielles des règlements ou directives européens mais, en pratique, la tentation est grande pour la Commission de s'octroyer la délégation la plus large possible.

Ainsi, dans son avis motivé relatif à la proposition de règlement précitée relative au « certificat européen de filiation », le Sénat a estimé que la délégation de compétences octroyée à la Commission européenne ne pouvait concerner le contenu de ce certificat, ce dernier étant, à l'évidence, la disposition essentielle de la réforme.

Autre exemple : dans la proposition de règlement précitée créant un « réservoir européen de talents », la liste des secteurs et métiers en tension serait fixée par la seule Commission européenne par un acte délégué.

Le contrôle de subsidiarité est donc essentiel pour préserver une marge d'appréciation nationale et le rôle des parlements nationaux dans le vote des lois et le contrôle du pouvoir exécutif.

Cependant, comme le rappelait le rapport d'information de la mission d'information du Sénat sur la judiciarisation de la vie publique144(*), plusieurs obstacles, souvent cumulatifs, se présentent aux Parlements nationaux lorsqu'ils souhaitent contrôler les initiatives législatives européennes au titre du contrôle de subsidiarité :

· « en raison du fait majoritaire dans nombre de démocraties européennes, les chambres peuvent être conduites à renoncer à leurs prérogatives en matière de subsidiarité afin de ne pas gêner les positions diplomatiques défendues par le pouvoir exécutif dans les négociations européennes ». En pratique, en 2022, ce renoncement a, de fait, concerné une majorité de 25 chambres ;

· « la mise en oeuvre du contrôle de subsidiarité est cantonnée dans un délai de huit semaines incompressible et ce délai est court, voire trop court, pour adopter un avis motivé puis pour convaincre les autres Parlements nationaux de la pertinence de la position adoptée... » ;

· « le seuil à atteindre pour former un « carton jaune » (un tiers des voix attribuées aux Parlements nationaux) est également dissuasif » ;

· enfin, « le contrôle de subsidiarité n'est pas un contrôle au fond des projets d'actes législatifs examinés. (...) Pour des raisons de délai et de cohérence, le Sénat, en premier lieu sa commission des affaires européennes, peut être conduit à privilégier l'adoption de (...) résolutions et avis politiques en y insérant des éléments de subsidiarité. »

En pratique, ces facteurs pourraient conduire à une « mort lente » du contrôle de subsidiarité. Le Sénat, conscient du risque démocratique d'une telle évolution, plaide donc depuis plusieurs mois pour sa réhabilitation afin de garantir une réelle évaluation de la nécessité et de la proportionnalité des initiatives législatives européennes, comme le prévoient les traités.

Il souhaite plus généralement un développement du rôle européen des Parlements nationaux.

Ainsi, les conclusions précitées du groupe de travail de la COSAC sur le rôle des Parlements nationaux dans l'Union européenne, adoptées par consensus par les parlementaires qui en étaient membres - hormis les eurodéputés - le 14 juin 2022, ainsi que la mission d'information sénatoriale précitée, ont parallèlement proposé un aménagement des modalités pratiques du contrôle de subsidiarité (proposition d'allongement du délai d'examen, de huit à dix semaines) et un assouplissement des conditions de déclenchement du « carton jaune » (qui serait effectif dès lors que les avis motivés adoptés sur un texte rassembleraient un quart -et non un tiers- des voix attribuées aux Parlements nationaux, comme c'est déjà le cas pour le seul domaine de la coopération judiciaire et policière en matière pénale).

Considérant que l'expression politique européenne du Sénat devait être non seulement « défensive » avec le contrôle de subsidiarité mais également « offensive », les conclusions du groupe de travail et la mission d'information précitée ont aussi demandé la création d'un « carton vert » (droit d'initiative indirect permettant aux parlements nationaux d'émettre des propositions législatives européennes).

En complément, ce groupe de travail de la COSAC a souhaité également « inscrire dans le marbre » le droit de questionnement écrit auprès des institutions européennes qui existe déjà de manière officieuse à l'heure actuelle mais qui, en raison de cette nature officieuse, engage peu lesdites institutions.

De son côté, la mission d'information précitée a recommandé l'adoption, en séance publique, de la résolution sur le programme de travail annuel de la Commission européenne pour 2023, et l'organisation d'un débat d'orientation préalable.

Elle a également préconisé la mise en oeuvre, dès que possible, d'un recours pour non-conformité d'un projet de texte européen au principe de subsidiarité devant la CJUE afin de faire vivre cette procédure et d'enclencher « un dialogue opérationnel » avec la Cour au sujet du contrôle de subsidiarité.

3. Les avis motivés adoptés par le Sénat

Depuis l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne jusqu'au 30 septembre 2023, le Sénat a adopté 42 avis motivés au titre du contrôle de subsidiarité, soit :

· 1 en 2011, sur les exigences prudentielles applicables aux établissements de crédit et aux entreprises d'investissement ;

· 10 en 2012, sur l'accès aux ressources génétiques, la gestion collective des droits d'auteur et licences multiterritoriales de droits portant sur des oeuvres musicales en vue de leur utilisation en ligne, le contrôle technique périodique des véhicules à moteur, le paquet « Monti II » (qui a atteint le seuil du « carton jaune »), l'information du public sur les médicaments et sur les médicaments à usage humain soumis à prescription médicale, la reconnaissance des qualifications professionnelles, le règlement général sur la protection des données, la définition des grands axes stratégiques du transport transeuropéen, et le suivi et l'évaluation des projets de plans budgétaires dans les États membres de la zone euro ;

· 4 en 2013, sur la déclaration de TVA normalisée, les commissions d'interchange pour les opérations de paiement liées à une carte, la création du parquet européen (qui a atteint le seuil du « carton jaune ») et le 4paquet ferroviaire ;

· 2 en 2014, sur des mesures structurelles améliorant la résilience des établissements de crédit de l'Union européenne et le règlement sur les nouveaux aliments ;

· aucun en 2015 ;

· 4 en 2016, sur l'organe des régulateurs européens des communications électroniques, le mécanisme d'échange d'informations en ce qui concerne les accords intergouvernementaux et les instruments non contraignants conclus entre des États membres et des pays tiers dans le domaine de l'énergie, les contrats de fourniture de contenu numérique, les contrats de vente (dont en ligne) et de toute autre vente à distance de biens, et le paquet « déchets » ;

· 7 en 2017, sur la certification des technologies de l'information et des communications en matière de cybersécurité, le cadre applicable à la libre circulation des données à caractère non personnel, le marché intérieur de l'électricité, l'agence de l'Union européenne pour la coopération des régulateurs de l'énergie, la coordination des systèmes de sécurité sociale, la procédure de notification des régimes d'autorisation et des exigences en matière de services, mise en place d'un contrôle de proportionnalité avant l'adoption d'une nouvelle réglementation de professions ;

· 2 en 2018, sur les règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel et l'évaluation des technologies de la santé ;

· aucun en 2019 ;

· 1 en 2020145(*), sur le cadre requis pour parvenir à la neutralité climatique et modifiant la loi européenne sur le climat (règlement (UE) 2018/1999) ;

· 4 en 2021, dont 3 sur les propositions de règlement relatives aux menaces transfrontières graves pour la santé, sur l'institution d'un centre européen de prévention et de contrôle des maladies et sur un rôle renforcé de l'agence européenne des médicaments, et 1 sur la neutralité climatique d'ici à 2035 dans le secteur de l'utilisation des terres, de la foresterie et de l'agriculture ;

· 4 en 2022, respectivement relatifs à la proposition de règlement sur le développement du réseau transeuropéen de transport, à la proposition de directive relative aux poursuites stratégiques altérant le débat public, à la révision des directives relatives aux énergies renouvelables, à la performance énergétique et à l'efficacité énergétique, ainsi qu'au cadre commun pour les services de médias dans le marché intérieur ;

· 3 en 2023, respectivement relatifs à l'instauration d'un certificat européen de filiation, aux normes européennes relatives aux emballages et à la protection de l'Union européenne contre la manipulation du marché de gros de l'énergie.

Sur la session parlementaire examinée (1er octobre 2022-30 septembre 2023), sont pris en compte les 4 avis relatifs à la liberté des médias, au certificat européen de filiation, aux emballages et aux déchets d'emballages et à la protection de l'Union européenne contre la manipulation du marché de gros de l'énergie.

Tableau des avis motivés adoptés au titre de la session parlementaire 2022-2023

Texte

Proposition
de résolution portant avis motivé de la commission des affaires européennes

Résolution

Réponse
de la Commission européenne

Proposition de règlement établissant un cadre commun pour les services de médias dans le marché intérieur (législation européenne sur la liberté des médias) et modifiant la directive 2010/13/UE

COM(2022) 457 final

N° 194 de Mme Florence Blatrix Contat, M.André Gattolin et Mme Catherine Morin-Desailly, déposée le 08/12/2022

N° 36, adoptée le 11/12/2022

Transmise le 31/03/2023

Proposition de règlement relatif à la compétence, à la loi applicable, à la reconnaissance des décisions et à l'acceptation des actes authentiques en matière de filiation ainsi qu'à la création d'un certificat européen de filiation

COM(2022) 695 final

N° 446 de M. Dominique de Legge, déposée le 22 mars 2023

N° 84, adoptée le 22 mars 2023

Transmise le 12/06/2023

Proposition de règlement relatif aux déchets et aux déchets d'emballages, modifiant le règlement (UE) 2019/1020 et la directive 2019/904, et abrogeant la directive 94/62/CE

COM(2022) 677 final

N° 526 de Mme Marta de Cidrac, déposée le 12 avril 2023

N° 96, adoptée le 24 avril 2023

Transmise le 25/07/2023

Proposition de règlement modifiant les règlements (UE) n°1227/2011 et (UE) 2019/942 afin d'améliorer la protection de l'Union contre la manipulation du marché de gros de l'énergie

COM(2023) 147 final

N° 622 de MM. Daniel Gremillet, Claude Kern et Pierre Laurent, déposée le 17/05/2023

N° 111, adoptée le 22/05/2023

Transmise le 04/08/2023

a) La résolution n°36 portant avis motivé sur la conformité au principe de subsidiarité de la proposition de règlement COM(2022) 457 final établissant un cadre commun pour les services de médias dans le marché intérieur (législation européenne sur la liberté des médias)

Ce texte, à titre principal, détermine les droits et obligations des fournisseurs de services de médias et institue un nouveau comité européen pour les services de médias (composé des autorités nationales compétentes, l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM) pour la France), qui doit assumer les tâches dévolues aujourd'hui au groupe des régulateurs européens des services de médias audiovisuels et de nouvelles missions (contrôle des systèmes de mesure des audiences ; répartition juste et équitable de la publicité d'État et protection des sources journalistiques). Enfin, elle doit établir un « dialogue structuré » avec les très grandes plateformes en ligne afin de garantir l'intégrité éditoriale des contenus mis en ligne et pose un cadre juridique pour le contrôle des concentrations.

Dans sa résolution, le Sénat a en particulier :

· rappelé que la liberté de la presse et l'indépendance des médias étaient des conditions essentielles de la vie démocratique et indiqué qu'il soutenait donc le principe d'une nouvelle norme européenne destinée à protéger le pluralisme ;

· contesté en revanche la pertinence de l'article 114 du TFUE comme base juridique de la réforme envisagée, en constatant que le marché des médias n'était pas européen mais essentiellement structuré sur une base nationale, voire régionale ou locale, et en soulignant que le pluralisme des médias et de la presse écrite constituaient en revanche l'expression incontestable de la diversité culturelle et linguistique de l'Union européenne, garantie plutôt par l'article 167 du TFUE et pour laquelle l'Union européenne ne dispose que d'une compétence d'appui ;

· estimé que le choix d'une proposition de règlement, d'application directe et uniforme, pour cette réforme, au lieu d'une proposition de directive, qui aurait laissé aux États membres le choix de la forme et des moyens de sa mise en oeuvre, ainsi que la création d'un nouvel échelon de recours européen contre les décisions des autorités nationales de régulation contrevenaient au respect de cette diversité et au principe de proportionnalité.

Dans sa réponse en date du 31 mars 2023, la Commission européenne a indiqué vouloir « apaiser les craintes du Sénat ».

Elle a justifié sa base juridique en s'appuyant sur la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne qui a autorisé l'usage de l'article 114 du TFUE « même si la proposition législative a une incidence sur d'autres domaines d'action pour lesquels les traités ne confèrent pas explicitement de compétences à l'Union »146(*).

Elle a aussi assumé son choix d'un règlement au lieu d'une directive en rappelant deux avantages de cet instrument, qui sous-entendent maladroitement que l'intervention des parlements nationaux en cas de transposition d'une directive est avant tout source de lenteur et de complexité : « le règlement permet de donner aux acteurs du marché des médias des droits directement applicables » ; « un règlement ne nécessite pas de transposition et contribue donc à apporter une réponse rapide aux problèmes du marché intérieur des médias ».

Répondant aux critiques du Sénat remettant en cause l'existence d'un marché intérieur européen des médias, elle a considéré que « le caractère régional ou local d'un média n'exclu(ait) pas » sa participation au marché intérieur. Elle a aussi estimé que ce marché pouvait être menacé par des atteintes à « l'indépendance de décisions éditoriales individuelles », par un « risque élevé d'ingérence dans les États membres » et par « un manque de transparence concernant les entreprises de médias », dont le « caractère transfrontière » et « l'ampleur » justifiaient une action européenne, en particulier pour surveiller les concentrations sur les marchés des médias qui sont « susceptibles d'influer sensiblement sur le pluralisme des médias et l'indépendance éditoriale. »

Elle a en outre affirmé que, « lorsqu'elle intervient pour protéger et développer le marché intérieur dans un secteur économique », l'Union européenne est également autorisée à « tenir compte des intérêts publics légitimes de la société et de la protection des droits fondamentaux. » Par exemple lorsque des médias publics financés par des « fonds publics » fournissent des « informations et des opinions biaisées » (toutefois, dans sa réponse, la Commission ne définit pas ce que sont ces informations et opinions biaisées).

La Commission européenne a enfin souhaité donner des garanties au Sénat : la proposition « reconnaît et préserve pleinement les compétences des États membres », maintient leur rôle de « supervision des services de médias » et n'impose « aucune exigence » sur les « contenus médiatiques ».

Les discussions au Conseil et au Parlement ont permis d'aboutir à un accord en trilogue sur la réforme, le 15 décembre 2023. Dans l'intervalle, de nouveaux sujets avaient enrichi les débats, en particulier concernant la possibilité d'utiliser des logiciels de surveillance à l'encontre des journalistes.

Le compromis trouvé renforce l'indépendance éditoriale des médias publics (nomination transparente des responsables éditoriaux et pour un mandat « suffisamment long » ; contrôle indépendant...), souhaite protéger le travail des journalistes (interdiction de la révélation de leurs sources par les journalistes, « sauf pour une raison impérieuse d'intérêt public » et sous réserve d'une autorisation judiciaire), prévoit des mesures de transparence sur la propriété des médias et instaure un dispositif garantissant que les décisions relatives à la modération des contenus par les très grandes plateformes en ligne n'affecteront pas négativement la liberté de la presse.

Évaluant le contenu de la réforme dans une communication présentée le 14 décembre 2023, les sénatrices Mmes Karine Daniel et Catherine Morin-Desailly ont pu se féliciter de compromis « globalement satisfaisants » sur les points clés garantissant la création d'une « norme minimale pour protéger le pluralisme et l'indépendance des médias dans l'ensemble de l'Union européenne », ainsi que les journalistes.

b) La résolution n° 84 portant avis motivé sur la conformité au principe de subsidiarité de la proposition de règlement COM(2022) 695 final du Parlement européen et du Conseil relatif à la compétence, à la loi applicable, à la reconnaissance des décisions et à l'acceptation des actes authentiques en matière de filiation ainsi qu'à la création d'un certificat européen de filiation

Ce texte, pour l'essentiel, vise à imposer, pour les familles connaissant « une situation transfrontière », une reconnaissance mutuelle « automatique » des filiations établies dans chaque État membre, « quelle que soit la manière dont l'enfant a été conçu ou est né, et quel que soit le type de famille de l'enfant », reconnaissance formalisée par la création d'un « certificat européen de filiation ».

Dans sa résolution, le Sénat a :

· déploré les insuffisances de l'étude d'impact pour identifier les difficultés constatées dans l'application du droit en vigueur (l'exposé des motifs de la proposition de règlement affirmant ainsi que deux millions de personnes seraient concernées par la réforme alors que l'analyse d'impact précitée en recensait 103 000) et celles de la rédaction du texte (ex : les « situations transfrontières » justifiant la réforme n'y sont pas définies) ;

· rappelé également que si l'article 81, paragraphe 3, du TFUE permettait bien au législateur européen de prendre une initiative législative en matière de droit de la famille ayant une incidence transfrontière, cette compétence était à la fois dérogatoire, facultative et soumise à une décision à l'unanimité du Conseil, supposant, par là-même, la recherche d'un consensus ;

· constaté qu'en choisissant d'uniformiser, dans les 27 États membres, la reconnaissance de toutes les filiations reconnues dans un seul d'entre eux par la voie d'un règlement d'effet direct, la Commission européenne n'avait pas recherché ce consensus et n'avait pas respecté la compétence des États membres en matière de droit de la famille et de filiation, à l'exemple de la France qui refuse la reconnaissance automatique des filiations issues d'une gestation pour autrui (GPA) ;

· relevé que la reconnaissance automatique des filiations issues de GPA résultant de la proposition de règlement revenait sur l'équilibre délicat dessiné par la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH), qui, d'une part, estime que le refus de toute reconnaissance de filiation est contraire à l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales mais, d'autre part, a reconnu le droit pour un État partie de ne pas transposer sur les registres d'état civil, l'acte de naissance d'un enfant né à l'étranger d'une GPA désignant la « mère d'intention » comme sa mère, dès lors qu'une solution alternative (comme l'adoption) lui est ouverte ;

· pris acte du fait que la réforme envisagée subordonnait l'invocation par les États membres d'un motif d'ordre public pour refuser une filiation au titre du respect du principe de non-discrimination posé à l'article 21 de la Charte européenne des droits fondamentaux, et affirmé que la réforme devait également respecter les autres droits et principes fondamentaux protégés par la Charte européenne des droits fondamentaux, en particulier l'inviolabilité de la vie humaine (article premier de la Charte), l'interdiction de faire du corps humain une « source de profit » (article 3) et le droit des enfants à connaître leurs parents et leurs origines (article 24) ;

· considéré que la disposition de la proposition de règlement prévoyant que la Commission européenne pourrait définir seule le contenu du certificat européen de filiation par un acte délégué, alors que ce certificat est la disposition essentielle du texte, était inappropriée et contraire au principe de subsidiarité (les actes délégués, comme cela a été précédemment expliqué, ne pouvant être relatifs qu'à des « éléments non essentiels » des directives et règlements européens).

Dans sa réponse en date du 12 juin 2023, la Commission européenne a d'abord estimé que les « différences entre les États membres pour ce qui est du droit matériel de la famille et des règles de droit international privé » « caus(aie)nt des difficultés aux citoyens souhaitant faire reconnaître une filiation dans un autre État membre. »

Concernant les imprécisions du texte, la Commission européenne a admis que le nombre de personnes concernées par la réforme était plutôt 103 000 « parents mobiles » et leurs enfants et non « deux millions ». Elle a confirmé l'interprétation des situations transfrontières donnée par le Sénat, à savoir une situation concernant « au moins deux États membres ».

Elle a estimé que la proposition respectait les compétences des États membres « en ce qui concerne l'adoption de mesures relatives au droit matériel de la famille, telles que des règles touchant à la définition de la famille ou aux conditions d'établissement de la filiation en vertu du droit national. » Elle a simultanément réaffirmé sa compétence pour « adopter des mesures relatives au droit de la famille ayant une incidence transfrontière ».

Reconnaissant que « le droit de l'Union européenne en matière de libre circulation n'impos(ait) pas aux États membres de reconnaître la filiation aux fins de droits fondamentaux (voir arrêt VMA/Stolichna obstina du 14 décembre 2021 de la CJUE) », elle a considéré que cette situation pouvait « avoir des conséquences négatives importantes pour les enfants » et a affirmé que l'intérêt supérieur de l'enfant guidait le contenu de sa réforme.

Elle a justifié son choix d'un règlement par la nécessité d'user d'un instrument « garantissant une interprétation et une application pleinement cohérentes des règles ».

Sans autre explication, elle a également souligné que la réforme préserverait « l'aptitude qu'ont les États membres de réglementer la gestation pour autrui - y compris en l'interdisant - sur leur territoire ».

Elle a enfin argumenté en faveur de la délégation de compétences qui lui serait octroyée par la proposition de règlement pour définir le contenu du certificat européen de filiation, précisant que cette délégation serait soumise à des conditions strictes (consultation d'experts préalable ; possibilité pour le Conseil de la révoquer) et qu'une telle délégation existait déjà dans le domaine des successions147(*).

Par la suite, le Parlement européen a adopté une position favorable à la réforme (14 décembre 2023) tout en rappelant que la question la plus sensible, celle de la GPA, demeurait de la compétence des États membres. En revanche, les débats semblent voués à durer au Conseil, certains États membres étant hostiles au principe même de la réforme (Hongrie ; Slovaquie). Dans les discussions en cours, les autorités françaises ont bien relayé les observations du Sénat sur la nécessaire compatibilité du dispositif prévu avec la Charte européenne des droits fondamentaux, et sur le respect de la prohibition de la GPA en droit français. À ce stade, la présidence belge, qui espère une orientation générale sur le texte en juin prochain, a présenté une proposition de compromis permettant aux États membres de ne pas reconnaître les filiations issues d'une GPA.

c) La résolution n° 125 portant avis motivé sur la conformité au principe de subsidiarité de la proposition de règlement COM (2022) 677 final du Parlement européen et du Conseil relatif aux emballages et aux déchets d'emballages, modifiant le règlement (UE) 2019/1020 et la directive (UE) 2019/904, et abrogeant la directive 94/62/CE

Ce texte a pour objet d'actualiser les normes européennes relatives aux emballages et aux déchets d'emballages pour répondre aux enjeux du « Pacte vert pour l'Europe ». Présentée dans le cadre du plan d'action en faveur de l'économie circulaire (rendu public le 11 mars 2020), cette proposition prévoit de nouvelles exigences pour la mise sur le marché d'emballages ainsi qu'en matière de collecte, de recyclage et de réemploi des déchets d'emballages, afin de réduire la quantité de ces déchets et rendre recyclables tous les emballages produits dans l'Union européenne.

Dans cette résolution, le Sénat a :

· déploré le choix d'un règlement, qui « prive les États membres de marge de manoeuvre » et estimé que la base juridique visée, à savoir l'article 114 du TFUE précité, était insuffisante pour fonder seule la nouvelle proposition, en risquant «de remettre en cause des législations nationales plus ambitieuses en matière d'économie circulaire ». Il a ajouté que le texte aurait dû être également basé sur l'article 192 du TFUE, relatif à la politique environnementale, la réduction du nombre d'emballages étant un objectif environnemental avant d'être un moyen de développer le marché intérieur ;

· souligné que la disposition de la proposition imposant aux États membres la mise en place d'un système de consigne pour les bouteilles en plastique et les canettes d'aluminium à usage unique (sauf à ceux qui atteindraient les objectifs de collecte de 90 % par d'autres moyens) ignorait les efforts actuels des États membres et de leurs collectivités territoriales en la matière.

Dans sa réponse en date du 25 juillet 2023, la Commission européenne a justifié simultanément le choix d'un règlement, « instrument juridique idoine », et la référence à l'article 114 du TFUE, pour répondre aux demandes de « l'industrie européenne » qui regrettait « la mosaïque d'exigences nationales » et plaidait « en faveur d'une plus grande harmonisation et d'une réduction de la charge administrative ».

Elle a souligné que le nouveau dispositif devait permettre d'imposer des obligations directes aux opérateurs économiques, d'assurer une plus grande sécurité juridique et de réduire les distorsions de concurrence.

Mentionnant l'analyse d'impact de la proposition, elle a affirmé que ces règles européennes plus strictes permettraient paradoxalement aux États membres de « bénéficier d'une plus grande flexibilité » car elles apporteraient de la clarté.

Enfin, concernant l'imposition d'un dispositif de consigne aux États membres, la Commission européenne est demeurée inflexible, rappelant la dérogation prévue pour les États membres les plus efficaces dans leur collecte et soulignant qu'un « grand nombre de bouteilles en plastique et de boîtes métalliques finiss(ai)ent par être incinérées, mises en décharge voire abandonnées dans la nature. »

Le compromis trouvé sur cette réforme, le 4 mars 2024, par les négociateurs européens en trilogue, toujours fondé sur l'article 114 précité, a bien maintenu le système de consigne obligatoire envisagé pour les bouteilles en plastique et les canettes métalliques (objectif d'une collecte spécifique de ces bouteilles et canettes d'au moins 90 % par an d'ici à 2029). Ce dispositif ne s'appliquera ni aux systèmes nationaux et locaux qui remplissaient déjà l'objectif de 90 % ni à ceux qui doivent atteindre un taux de collecte séparée en 2026148(*).

d) La résolution n° 111 portant avis motivé sur la conformité au principe de subsidiarité de la proposition de règlement COM(2023) 147 final du Parlement européen et du Conseil modifiant les règlements (UE) n° 1227/2011 et (UE) 2019/942 afin d'améliorer la protection de l'Union contre la manipulation du marché de gros de l'énergie, en date du 22 mai 2023

Cette résolution a été adoptée par le Sénat au sujet des nouvelles compétences de l'ACER, préoccupation ensuite réintégrée dans sa résolution européenne n° 141 précitée relative à la réforme du marché de l'électricité et déjà examinée.

Dans cette résolution portant avis motivé, le Sénat a :

· rappelé que l'article 194 du TFUE, relatif à la politique de l'Union européenne dans le domaine de l'énergie, visait, « dans un esprit de solidarité », à assurer le fonctionnement du marché de l'énergie et la sécurité de l'approvisionnement énergétique mais que la politique énergétique relevait des compétences partagées entre les États membres et l'Union européenne et que les mesures prises ne devaient « pas affecter le droit d'un État membre de déterminer les conditions d'exploitation de ses ressources énergétiques, son choix entre différentes sources d'énergie et la structure générale de son approvisionnement énergétique » ;

· pris acte du souhait de la Commission européenne de procéder à une révision d'ampleur du règlement (REMIT)149(*), qui a institué l'agence de coopération des régulateurs de l'énergie (ACER) pour assurer la transparence et l'intégrité du marché de gros de l'énergie, tout en soulignant que cette révision ne lui semblait pas justifiée par d'éventuelles « menaces systémiques » ou par des difficultés de mise en oeuvre ;

· insisté sur l'articulation insuffisante entre les pouvoirs d'enquête des régulateurs nationaux et les nouveaux pouvoirs qui seraient attribués à l'ACER en matière de lutte contre les abus de marché et sur le caractère disproportionné des nouvelles obligations de communication qui s'imposeraient aux autorités de régulation nationales au profit de l'ACER ;

· refusé l'octroi de compétences normatives propres à l'ACER alors qu'elle est par essence un organe chargé d'assister les autorités nationales compétentes dans leur pouvoir de régulation.

Dans sa réponse, en date du 4 août 2023, la Commission européenne a d'abord contesté la position de principe du Sénat, affirmant que « l'évolution récente du marché intérieur de l'énergie et l'expérience acquise dans le cadre de la mise en oeuvre du règlement REMIT » (montraient) « la nécessité de mettre à jour ce règlement ». La Commission a particulièrement visé les limites du système actuel de contrôle décentralisé (i.e. national), estimant qu'elles pouvaient « déboucher sur une surveillance et une supervision insuffisantes du marché. », malheureusement sans donner d'exemple concret de ces insuffisances.

Elle a ensuite rappelé que les nouveaux pouvoirs prévus pour l'ACER seraient applicables seulement dans des situations où trois États membres au moins seraient concernés. Puis elle a confirmé que les pouvoirs de coercition et de fixation d'amendes resteraient « dévolus aux États membres ».

Elle a également précisé que l'obligation nouvelle de communication imposée aux autorités nationales et à destination de l'ACER ne concernait que les décisions et informations que ces autorités transmettent déjà publiquement aux juridictions nationales compétentes : « Aucune information ne serait communiquée à l'ACER dans la mesure où celle-ci ne serait pas rendue publique en raison de restrictions juridiques. »

Par la suite, comme déjà indiqué, la proposition de refonte a été adoptée par les négociateurs européens en trilogue, le 16 novembre dernier. Ce compromis a validé l'extension des prérogatives de l'ACER mais a introduit un pouvoir d'objection des États membres leur permettant de s'opposer à la mise en oeuvre de ses pouvoirs d'enquête.


* 126 Aux termes du quatrième alinéa de l'article 5 du traité sur l'Union européenne, « les parlements nationaux veillent au respect du principe de subsidiarité » conformément à la procédure prévue dans le protocole II annexé aux traités.

* 127 Par une lettre du 11 octobre 2019 adressée à M. le Président du Sénat, M. Frans Timmermans, alors premier vice-président de la Commission Juncker, a notifié l'intention de la Commission d'exclure la période comprise entre le 20 décembre d'une année donnée et le 10 janvier de l'année suivante du délai de 8 semaines accordé pour l'examen de la conformité de projets d'actes législatifs avec le principe de subsidiarité.

* 128 Belgique, Danemark, Finlande, France (Sénat), Lettonie, Luxembourg, Malte, Pays-Bas, Pologne, Royaume-Uni, Suède et République tchèque.

* 129 Chypre, France (Sénat), Hongrie, Irlande, Malte, Pays-Bas, Royaume-Uni, Slovénie, Suède et République tchèque.

* 130 Bulgarie, Croatie, Danemark, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Pologne, Roumanie, Slovaquie et République tchèque.

* 131 COM(2023) 640 final.

* 132 En 2019, la Commission européenne n'avait reçu aucun avis motivé. Elle a ensuite été destinataire de 9 avis motivés en 2020 et de 16 avis motivés en 2021.

* 133 En effet, sur les 16 avis motivés adoptés en 2021, 9 portaient sur l'un des 13 textes du paquet « ajustement à l'objectif 55 », 3 sur le paquet « Union européenne de la santé », 2 sur le Nouveau pacte sur la migration et l'asile, 1 sur la proposition relative à des salaires minimaux adéquats dans l'Union européenne et 1 sur la proposition modifiant la directive TVA.

* 134 Ce plan, d'un montant de 750 milliards d'euros, est venu compléter le Cadre financier pluriannuel 2021-2027 (1 074,3 milliards d'euros dans sa version initiale)

* 135 Règlement (UE, Euratom) 2020/2092 du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2020 relatif à un régime général de conditionnalité pour la protection du budget de l'Union [européenne].

* 136 COM(2022) 177 final.

* 137 COM(2023) 209 final.

* 138 COM(2023) 234 final.

* 139 COM(2023) 716 final.

* 140 Extraits de l'exposé des motifs de la proposition.

* 141 Loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration.

* 142 « Un acte législatif peut déléguer à la Commission le pouvoir d'adopter des actes non législatifs de portée générale qui complètent ou modifient certains éléments non essentiels de l'acte législatif. »

* 143 « Les États membres prennent toutes les mesures de droit interne nécessaires pour la mise en oeuvre des actes juridiquement contraignants de l'Union. Lorsque des conditions uniformes d'exécution des actes juridiquement contraignants de l'Union sont nécessaires, ces actes confèrent des compétences d'exécution à la Commission... ».

* 144 Rapport d'information n°592 (2020-2021) de Mme Cécile Cukierman (présidente) et de M. Philippe Bonnecarrère (rapporteur), au nom de la mission d'information du Sénat sur le thème « La judiciarisation de la vie publique : une chance pour l'État de droit ? Une mise en question de la démocratie représentative ? Quelles conséquences sur la manière de produire des normes et leur hiérarchie ? »

* 145 En 2019, comme ce fut le cas en 2015, le Sénat n'a adopté aucun avis motivé, en raison à la fois du contexte général de diminution du nombre d'avis motivés émis par les Parlements nationaux et de la moindre activité législative de la Commission liée au renouvellement des institutions, entre les mois de mai et décembre.

* 146 CJUE, 3 septembre 2020, Vivendi, C-719/18.

* 147 Règlement (UE) n°650/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l'exécution des décisions, et l'acceptation et l'exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d'un certificat successoral européen.

* 148 Cet accord prévoit par ailleurs des objectifs de réemploi des emballages contraignants pour 2030 avec néanmoins d'importantes dérogations (en particulier, pour les microentreprises), un objectif spécifique de réemploi fixé pour les entreprises de ventes d'aliments à emporter (10 % de leurs produits devant être proposés dans des formats d'emballage adaptés au réemploi), des objectifs de réduction des déchets d'emballage par rapport aux quantités de 2018 (-5 % d'ici à 2030, -10 % en 2035 et -15 % en 2040), ainsi que des restrictions d'usage (emballages en plastique à usage unique).

* 149 Le règlement « REMIT » initial est le règlement (UE) n° 1227/2011 du 25 octobre 2011.

Partager cette page