D. CORRIGER LES EFFETS DE SEUIL QUI PÉNALISENT LES COMMUNES NOUVELLES RURALES

Dans le cadre de la consultation, 38,5 % des maires ont déploré des « effets de seuil brutaux » résultant de la création des communes nouvelles. Ces effets de seuil concernent autant l'apparition de charges nouvelles que la perte de dotations.

1. Les effets de seuil qui déclenchent des contraintes nouvelles pour les collectivités territoriales

Le franchissement de certains seuils de population oblige les communes nouvelles à respecter de nouvelles obligations légales. Ce point a été maintes fois souligné lors des auditions.

Si la question de l'accueil des gens du voyage a été mentionnée12(*), l'exemple le plus couramment cité est celui des obligations en matière de logements sociaux. En effet, l'article 55 de la loi SRU prévoit que les communes de plus de 3 500 habitants13(*) situées dans un EPCI à fiscalité propre de plus de 50 000 habitants, sont tenues d'avoir plus de 25 % de logements sociaux14(*). De nombreuses communes nouvelles se retrouvent donc, du fait du dépassement d'un nouveau seuil, assujetties à cette obligation, et bien souvent sans s'y s'être préparées, faute d'informations suffisantes, alors même qu'elles demeurent rurales et ne connaissent pas de tension en matière de logements. Ainsi, la commune nouvelle de Porte-de-Savoie (3 800 habitants), créée le 1er janvier 2019, a découvert ex post cette obligation nouvelle, le sujet n'ayant pas été abordé avec l'État durant la phase de préparation de la commune nouvelle, ce qui renvoie à la question, évoquée précédemment, du défaut d'accompagnement de l'État. Du fait de son changement d'échelle, cette commune nouvelle, qui comptait 12,5 % de logements sociaux, doit porter cette proportion à 20%, ce qui implique la construction de 120 logements sur le territoire de la commune nouvelle.

Cet effet de seuil est éminemment critiquable comme le reconnaît le un rapport de l'IGA15(*) : « se pose la question de la pertinence de l'implantation de logements sociaux dans certaines communes, notamment lorsque ces dernières constituent un regroupement de petites communes sans continuité urbaine, dont les bourgs sont éloignés les uns des autres et disposent parfois de peu de services ». En d'autres termes, vos rapporteurs insistent sur le fait que la commune nouvelle ne saurait être soumise, en raison d'un effet de seuil, à des obligations en matière de logement social, alors que la réalité reste, bien souvent, celle d'un territoire rural.

Interrogé par vos rapporteurs, le Gouvernement objecte, pour l'essentiel, que :

- 75 % des 795 communes nouvelles existantes au 1er janvier 2023 comptent moins de 3 500 habitants et seules 6 d'entre elles sont situées en Ile-de-France. La plupart des communes nouvelles n'est donc pas concernée par les obligations SRU ;

- les communes nouvelles peuvent bénéficier des souplesses introduites par l'article 68 de loi « 3DS », notamment pour tenir compte, d'une manière générale, de la situation des communes nouvellement soumises au dispositif SRU (application progressive du dispositif SRU et exonérations fiscales) ;

- les communes soumises au dispositif SRU peuvent, dans le cadre d'un contrat de mixité sociale16(*), se voir appliquer des taux de production de logements sociaux dérogatoires aux taux de droit commun ;

- enfin, les communes nouvelles peuvent bénéficier des souplesses introduites récemment pour l'ensemble des communes. En effet, en application de la loi « 3DS », les communes remplissant les conditions de seuil de population précitées peuvent se voir exonérées de l'application du dispositif SRU, notamment lorsqu'elles sont faiblement attractives en raison de leur isolement ou de difficultés d'accès. Ces critères d'exonération ont été précisés par le décret n° 2023-107 du 17 février 2023.

Il n'en demeure pas moins que la situation n'est ni satisfaisante ni pertinente. Il convient donc de réfléchir à un dispositif dotant les communes nouvelles d'un statut particulier leur permettant de s'affranchir des obligations précitées, pendant une durée déterminée (un ou deux mandats) et de manière graduelle. Comme l'ont souligné les représentants de l'AMF lors des auditions, « les communes nouvelles, du fait de leurs particularités, méritent une certaine pérennité dans le traitement qui leur est accordé ». Les communes nouvelles sont certes des communes au sens de l'article 72 de la Constitution mais elles méritent un « sas temporel de protection » du fait de leur singularité dans le paysage communal. Il convient donc de lisser dans le temps les effets de seuil en matière de logements sociaux, cette recommandation ne s'appliquant qu'aux communes nouvelles qui conservent, par leurs caractéristiques, une identité rurale.

Concrètement, deux cas de figure sont susceptibles de se présenter :

- si aucune des communes fondatrices n'était soumise à la loi SRU, la commune nouvelle ne doit pas l'être davantage ;

- si une ou plusieurs communes étaient soumises à la loi SRU, elles doivent continuer à l'être après création de la commune nouvelle, mais uniquement sur leur périmètre historique. Les autres communes intégrées ne doivent pas, au moins pendant un ou deux mandats, être soumises à de nouvelles obligations en matière de création de logements sociaux.

Recommandation n° 4 : Lisser dans le temps les effets de seuil en matière de logements sociaux. Cette recommandation ne s'applique qu'aux communes nouvelles qui conservent, par leurs caractéristiques, une identité rurale.

2. Les effets de seuil qui génèrent des baisses de dotation

Autre frein majeur à la création et à la pérennité des communes nouvelles : l'effet de seuil générant une perte de dotations. La consultation du Sénat révèle ainsi que 21,5 % des maires disent avoir perdu des dotations par l'effet de la commune nouvelle.

Cette situation n'est pas acceptable. C'est pourquoi, à l'initiative notamment de votre co-rapporteure Françoise GATEL, la loi de finances pour 2023 comporte :

- en son article 196, un dispositif prolongeant d'un an une exception dans le calcul de la dotation de solidarité rurale (DSR) afin que les communes nouvelles de plus de 10 000 habitants - qui ne peuvent normalement pas en bénéficier - y soient à nouveau éligibles selon des critères de population et de faible densité ; en effet, certaines communes nouvelles voient leur DSR diminuer parce qu'elles dépassent le seuil de 10 000 habitants sans pour autant être éligibles à la dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale (DSU). C'est notamment le cas de la commune nouvelle Lamballe-Armor, dont le maire a été entendu par vos rapporteurs, ou de la commune nouvelle de Chateaugiron ;

- en son article 200, une disposition prévoyant que jusqu'au prochain renouvellement général des conseils municipaux, les communes nouvelles créées après le 1er janvier 2022 bénéficient d'une dotation « petites communes rurales »17(*), dont le montant est au moins égal à la somme des attributions perçues par les anciennes communes l'année précédant la création de la commune nouvelle.

Ces évolutions sont pleinement justifiées : en effet, les élus qui souhaitent créer une commune nouvelle ont besoin d'un cadre simple, stable et pérenne, leur garantissant qu'ils ne perdront aucune dotation : Si une commune perçoit une dotation de l'État, elle doit la conserver, même si elle s'unit à des communes qui n'en bénéficiaient pas. C'est pourquoi vos rapporteurs se réjouissent qu'un groupe de travail, placé sous l'égide de la ministre Dominique FAURE et associant des parlementaires, ait été créé, en vue du projet de loi finances pour 2024, sur cette question centrale des dotations.

Il appartient à l'État non seulement de soutenir le mouvement en accompagnant les projets sur le terrain (cf supra) mais également de lever les freins financiers à contre-courant des volontés locales.

Votre rapporteur insiste donc à nouveau sur le fait que la création d'une commune nouvelle ne peut être trop vite assimilée à une commune « classique » de même taille. Ainsi une commune nouvelle ne devrait-elle jamais percevoir moins de DGF que la somme de ce qui était perçu par toutes ses communes fondatrices.

Lors de la table-ronde du 25 mai, notre collègue Charles GUENÉ a opportunément insisté sur la nécessité de distinguer petites et grandes communes nouvelles : « Les secondes peuvent réaliser des économies d'échelle et lancer des projets grâce à leur masse critique, alors que les premières sont souvent très sensibles à l'évolution des dotations ».

Il est en effet utile de rappeler que les petites communes peuvent moins mutualiser leurs services que les grandes et qu'elles souffrent du contexte financier difficile, marqué notamment par la hausse du coût de l'énergie18(*) et des matières premières. Un récent rapport du Sénat19(*) souligne en outre que de nombreuses décisions de l'État, qu'elles soient de nature budgétaire ou réglementaire, placent les communes, et en particulier les plus petites d'entre elles, dans une situation financière difficilement soutenable. Cette situation accentue le sentiment général de découragement, voire de « désenchantement » chez les élus locaux.

Au regard de ce contexte, il est impératif de lisser dans le temps les effets de seuil en matière de dotations de l'État versées aux communes nouvelles. Cette recommandation ne s'applique qu'aux communes nouvelles qui demeurent, par leurs caractéristiques, un territoire rural. De ce point de vue, l'agrégation est bien souvent artificielle, la commune nouvelle ne changeant pas immédiatement d'identité.

Recommandation n° 5 : Lisser dans le temps les effets de seuil en matière de dotations financières. Cette recommandation ne s'applique qu'aux communes nouvelles qui conservent, par leurs caractéristiques, une identité rurale.


* 12 Dans chaque département, un schéma prévoit les communes où doivent être réalisées les aires d'accueils des gens du voyage. Les communes de plus de 5 000 habitants figurent obligatoirement au schéma départemental. Il serait souhaitable de déroger au seuil de 5 000 habitants lorsque les communes nouvelles regroupent des communes qui n'y étaient pas soumises.

* 13 et de 1 500 habitants dans l'agglomération parisienne

* 14 Ce taux peut être ramené à 20 % si la situation locale ne justifie pas un effort de production supplémentaire.

* 15 Rapport de l'Inspection générale de l'administration en date du 21 septembre 2022 : https://www.interieur.gouv.fr/Publications/Rapports-de-l-IGA/Rapports-recents/Les-communes-nouvelles-un-bilan-decevant-des-perspectives-incertaines

* 16 Contrat signé entre le préfet, la commune et l'EPCI à fiscalité propre.

* 17 L'article L. 2335-1 du CGCT prévoit une dotation particulière relative aux conditions d'exercice des mandats locaux. Cette dotation est réservée aux « petites commune rurales »

* 18 Il a été évalué à 11 milliards d'euros le surcoût lié à la hausse des prix de l'énergie pour les collectivités en 2022.

* 19 Rapport de la mission d'information sur l'impact des décisions réglementaires et budgétaires de l'État sur l'équilibre financier des collectivités locales (13 juin 2023) : https://www.senat.fr/travaux-parlementaires/structures-temporaires/missions-dinformation-communes/mission-dinformation-sur-limpact-des-decisions-reglementaires-et-budgetaires-de-letat-sur-lequilibre-financier-des-collectivites-locales.html

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