N° 798

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 28 juin 2023

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation (1) relatif aux communes nouvelles,

Par Mme Françoise GATEL et M. Éric KERROUCHE,

Sénateurs

(1) Cette délégation est composée de : Mme Françoise Gatel, présidente ; MM. Rémy Pointereau, Guy Benarroche, Mme Agnès Canayer, MM. Jean-Pierre Corbisez, Bernard Delcros, Mmes Corinne Féret, Michelle Gréaume, MM. Charles Guené, Éric Kerrouche, Antoine Lefèvre, Mme Patricia Schillinger, M. Pierre-Jean Verzelen, vice-présidents ; MM. François Bonhomme, Franck Montaugé, Cédric Vial, Jean Pierre Vogel, secrétaires ; Mmes Nadine Bellurot, Céline Brulin, MM. Bernard Buis, Laurent Burgoa, Thierry Cozic, Mmes Chantal Deseyne, Catherine Di Folco, MM. Thomas Dossus, Jérôme Durain, Mme Dominique Estrosi Sassone, MM. Fabien Genet, Hervé Gillé, Jean-Michel Houllegatte, Mmes Muriel Jourda, Sonia de La Provôté, Christine Lavarde, Anne-Catherine Loisier, MM. Pascal Martin, Hervé Maurey, Franck Menonville, Jean-Marie Mizzon, Philippe Mouiller, Olivier Paccaud, Philippe Pemezec, Didier Rambaud, Mme Sylvie Robert, MM. Jean-Yves Roux, Laurent Somon, Lucien Stanzione.

LISTE DES RECOMMANDATIONS QUI FERONT L'OBJET D'UN SUIVI DE LA DÉLÉGATION

N° de la recommandation

Recommandations

Destinataire(s) de la recommandation

Calendrier prévisionnel

Support/action

4

Lisser dans le temps les effets de seuil en matière de logements sociaux. Cette recommandation ne s'applique qu'aux communes nouvelles qui conservent, par leurs caractéristiques, une identité rurale.

Parlement / Gouvernement (ministre en charge du logement)

1er semestre 2024

Loi

5

Lisser dans le temps les effets de seuil en matière de dotations financières. Cette recommandation ne s'applique qu'aux communes nouvelles qui conservent, par leurs caractéristiques, une identité rurale

Parlement / Gouvernement
(ministre en charge des finances)

Fin 2023

Loi de finances initiale
pour 2024

LISTE DES AUTRES RECOMMANDATIONS

N° de la recommandation

Recommandations

Destinataire(s) de la recommandation

1

Renforcer l'accompagnement des services de l'État (préfecture, DGFIP) dans le cadre de la constitution des communes nouvelles (étude d'impact financier, gestion des biens immobiliers, conseil de légalité...)

Gouvernement
(ministre des finances et instruction du ministre de l'intérieur aux préfets)

2

Bâtir un solide projet de territoire partagé, afin de répondre aux enjeux de gouvernance, d'accompagnement au changement et de démocratie participative

Élus locaux qui s'engagent dans un projet de commune nouvelle

3

À compter du premier renouvellement du conseil municipal de la commune nouvelle, confier à chaque maire délégué la fonction d'adjoint. Cette responsabilité devrait être systématique à compter du deuxième renouvellement. Devenu adjoint, le Maire délégué devrait toutefois continuer à exercer ses fonctions de référent territorial

Élus locaux qui s'engagent dans un projet de commune nouvelle

AVANT-PROPOS

Actuellement régies par les articles L. 2113-1 à L. 2113-23 du CGCT, les communes nouvelles sont nées de la volonté du législateur de conforter le fait communal, maillon essentiel de la cohésion sociale et de notre démocratie.

La loi n° 71-588, dite « Marcellin » du 16 juillet 1971, instituant un régime de fusion de communes, n'ayant pas produit les effets escomptés, la loi n° 2010-1563 du 16 décembre 2010 lui substitue une nouvelle procédure de regroupement communal fondée sur le volontariat1(*). Son exposé des motifs présente l'ambition du texte : « Les articles 8 et 9 substituent un nouveau dispositif de fusion de communes, plus simple, plus souple et plus incitatif, à l'ancien (...) qui s'est révélé peu efficace. C'est le dispositif des communes nouvelles qui pourra concerner, sur une base volontaire, aussi bien des communes contiguës (...) que la transformation d'un EPCI en commune nouvelle. ». Le rapport de la commission des lois du Sénat avait alors confirmé les résultats très modestes du dispositif « Marcellin », contrastant avec ceux obtenus par nos voisins européens dans le cadre de démarches similaires engagées à la même période. Le projet de loi entendait donc rénover ce dispositif. Dans son rapport, la commission des lois du Sénat souscrivait à cet objectif, rappelant que la France comptait, au 1er janvier 2009, 36.686 communes et que cet « éclatement communal (...) constitue tout à la fois une richesse par la proximité et le maillage du territoire mais également une déperdition d'efficacité par l'émiettement des moyens : de nombreuses petites communes ne disposent pas en effet des capacités nécessaires à la gestion de la collectivité ».

Notre délégation a exercé un suivi attentif de ce sujet, lui consacrant un rapport en 2016 avec un titre résolument optimiste : « Les communes nouvelles, histoire d'une révolution silencieuse : raisons et conditions d'une réussite »2(*). M. Christian MANABLE et Mme Françoise GATEL, cosignataires du rapport, constataient ainsi : « Nous sommes passés en-deçà du seuil psychologique de « la France aux 36 000 communes ». Cette « révolution silencieuse », opérée en toute discrétion, est le fruit des communes nouvelles ». Sur cette lancée, sept ans plus tard, la France compte désormais moins de 35.000 communes et franchit donc une nouvelle étape symbolique. Quelques 2,5 millions de personnes vivent désormais dans une commune nouvelle en France.

Force est toutefois de constater que cette évolution représente une baisse de seulement 5 % du nombre de communes depuis 2010, de sorte que la France demeure un pays caractérisé par l'émiettement communal3(*). Notre pays regroupe en effet 40 % des communes (ou échelon comparable) de l'Union européenne pour 15 % de la population4(*).

Force est également de relever que le dispositif des communes nouvelles marque un net ralentissement depuis 2020, probablement lié, en partie, à la crise sanitaire.

Alors, demi-succès ou demi-échec ? La réponse à cette question n'apparaît pas évidente. En tout état de cause, la diminution du nombre de communes ne constitue pas une fin en soi. La pertinence de la commune nouvelle se mesure à l'aune du seul objectif qui compte : l'efficacité de l'action publique locale jusqu'au dernier kilomètre et au dernier habitant.

Cet impératif d'efficacité commande, à l'évidence, d'écarter une piste consistant à rendre le dispositif contraignant. En effet, la commune nouvelle repose sur la libre volonté des élus et de la population et ce principe d'affectio societatis doit demeurer. L'intelligence territoriale est basée sur cette notion de responsabilité, donc de liberté. Il serait inopportun d'imposer par la loi une fusion de communes car elle ne réussit que là où elle repose sur un projet partagé et porté par les élus locaux. Le modèle des communes nouvelles n'est d'ailleurs pas généralisable : dans certains départements français, le nombre de communes est déjà faible et leur population moyenne élevée. La commune nouvelle s'inscrit dans le principe de différenciation territoriale : en effet, à côté du maquis des lois territoriales successives, trop souvent uniformisantes, repose la commune nouvelle, qu'on peut qualifier de « pépite de liberté locale», d'autant que le cadre juridique a été assoupli à plusieurs reprises par le législateur, notamment au travers de la loi n° 2019-209 du 1er août 2019 visant à adapter l'organisation des communes nouvelles à la diversité des territoires, issue d'une initiative de la sénatrice Françoise GATEL.

Afin de dresser un état des lieux et de relancer la dynamique de création des communes nouvelles, notre délégation et l'Association des maires de France (AMF) ont organisé au Sénat, le 28 septembre 2022, sous le haut-patronage de M. Gérard LARCHER, la rencontre nationale des communes nouvelles intitulée « Communes nouvelles : pour un nouveau souffle ». Ces rencontres ont permis de dresser un bilan en demi-teinte des communes nouvelles5(*).

Cette manifestation a été prolongée par une consultation en ligne lancée en avril 2023 par les rapporteurs, dans le cadre de la présente mission « flash », auprès de l'ensemble des communes nouvelles. 280 d'entre elles ont répondu, soit plus du tiers des communes nouvelles, ce qui constitue un excellent taux de réponse. Cette consultation a été complétée par l'organisation de trois tables-rondes (mai-juin 2023) afin de nourrir la réflexion des rapporteurs.

Il en ressort que la commune nouvelle est une organisation qui renforce le pouvoir d'agir des communes (I). La mission formule cinq fortes recommandations pour lui donner un nouvel élan (II).

I. LA COMMUNE NOUVELLE : UNE ORGANISATION QUI RENFORCE LE POUVOIR D'AGIR

A. UN BILAN JUGÉ GLOBALEMENT POSITIF

Les réponses obtenues lors de la consultation menée par vos rapporteurs témoignent du regard positif porté par les maires sur le dispositif de la commune nouvelle. En effet, 83 % des répondants se relanceraient dans la création d'une commune nouvelle, si c'était à refaire : 65 % répondent « oui tout à fait » et 18 % « oui plutôt ».

Source : résultats de la consultation en ligne
auprès des communes nouvelles

Par ailleurs, près de 90 % des répondants jugent positivement le fonctionnement de la commune nouvelle : 40 % émettent un avis « très » positif et 47 % « plutôt » positif.

Toutefois même si les taux restent globalement hauts, on observe des variations. Ainsi, si le jugement est très positif dans les communes nouvelles qui ont rassemblées moins de communes (92,8 % dans celles composées de 2 communes), le pourcentage tombe à 75 % dans celles composée de 6 communes et plus. De la même façon, si le fonctionnement est jugé positif à 97,1 % dans les communes nouvelles de moins de 1 000 habitants, le taux tombe à 71,9 % dans celles de plus de 4 000 habitants.

B. DE GRANDES DIVERSITÉS DE SITUATIONS

Comme indiqué plus haut, la commune nouvelle est une pépite de liberté qui dépend entièrement de l'initiative locale. Cette dernière repose sur la volonté des élus et s'adapte donc aux réalités des territoires. C'est pourquoi les communes nouvelles sont à géométrie variable, s'agissant de leur superficie mais aussi du nombre d'habitants concernés.

Les résultats de la consultation témoignent parfaitement de cette hétérogénéité, tant en ce qui concerne le nombre de communes regroupées que le nombre d'habitants.

1. Diversité dans le nombre de communes regroupées

Les histogrammes ci-dessous illustrent que les situations sont variables s'agissant du nombre de communes regroupées au sein des communes nouvelles : ce sont avant tout les communes nouvelles composées de deux communes qui dominent largement (elles représentent la moitié de l'effectif), celles formées de 6 communes ou plus étant nettement plus rares (un peu plus de 1 sur 10).

Source : Sénat, à partir des données fournies par l'AMF
et des résultats de la consultation en ligne auprès des communes nouvelles

Relevons que la distribution des données de la consultation du Sénat est proche de celle de l'ensemble des communes nouvelles, ce qui illustre la représentativité de l'échantillon des communes nouvelles qui ont répondu à notre enquête.

2. Diversité dans le nombre d'habitants

La diversité des communes nouvelles se retrouve également dans la taille de leur population. Parmi les répondants, les communes nouvelles sont majoritairement (54 %) des communes rassemblant moins de 2 000 habitants, alors que 23,2 % réunissent plus de 4 000 habitants.

Les écarts de population apparaissent très importants parmi les communes qui ont pris part à la consultation : ainsi, les communes nouvelles d'Esplantas-Vazeilles (Haute-Loire) et de Surjoux-Lhopital (Ain) comptent respectivement 128 et 150 habitants, tandis que la commune nouvelle d'Annecy, la plus grande de France, regroupe plus de 135 000 habitants.

Cette diversité dans les réponses est, là encore, représentative de la situation générale, comme le montre le graphique ci-dessous :

Source : Sénat, à partir des données fournies par l'AMF
et des résultats de la consultation en ligne auprès des communes nouvelles

C. MUTUALISATIONS ET ÉCONOMIES D'ÉCHELLE : DES OBJECTIFS TRÈS RECHERCHÉS ET BIEN SOUVENT ATTEINTS

Dans le cadre de la consultation, les maires ont été interrogés sur les raisons qui les ont conduits à cette démarche de regroupement communal. Il ressort de l'enquête que leur objectif principal était de mutualiser les services et de réaliser des économies d'échelle. Les maires étaient donc mus par la volonté de rationaliser l'organisation communale et de rendre ainsi aux habitants un meilleur service au meilleur coût.

Notons aussi le motif « renforcement des habitudes de travail en commun » qui fait écho à ce qui a déjà pu être observé, à savoir que la commune nouvelle vient souvent consacrer un processus antérieur de mutualisation6(*)

Source : résultats de la consultation en ligne
auprès des communes nouvelles

Selon les maires répondants, les objectifs précités ont été largement atteints : en effet, 72 % des répondants estiment que la commune nouvelle a permis des économies d'échelle, et 88 % des mutualisations effectives, tant en matière de services que de personnel.

Lors des rencontres nationales des communes nouvelles, organisées au Sénat en septembre 2022, M. Philippe CHALOPIN, maire de Baugé-en-Anjou, commune nouvelle créée en 2012, avait souligné qu'un incendie, touchant 1 600 hectares, avait permis une prise de conscience des habitants quant au renforcement des capacités d'action des communes nouvelles : « Les habitants savent maintenant ce que c'est : ils savent que la commune nouvelle permet de mutualiser les moyens et d'aider les petites - celle qui a été frappée par l'incendie ne compte que 250 habitants. C'est dans ces moments difficiles que la commune nouvelle prend tout son sens. Sans elle, il aurait été difficile de s'en sortir ». Et le maire de conclure ainsi : « J'ai été déçu par le rapport de l'IGA, qui parle d'un bilan décevant. (...). Face aux crises financière, énergétique, écologique, que pourra faire une petite commune seule ? ».

Une large majorité des élus affirme que la commune nouvelle a effectivement permis de donner de nouvelles marges de manoeuvres financières, à la fois sur les volets « fonctionnement » et « investissement ». En effet, parmi les répondants, 77 % estiment que la commune nouvelle a permis de nouveaux investissements, et près de 70 % relèvent un impact positif sur les dépenses de fonctionnement. Les attentes financières initiales, exprimées lors de la création des communes nouvelles, semblent donc largement satisfaites.

Verbatim d'un maire lors des auditions :

« Collectivement nous sommes plus forts ! La commune nouvelle permet de préserver nos services publics et de les développer, d'accompagner nos associations, de dynamiser les centres bourgs, de faire face à la crise de l'énergie, du logement, de développer des politiques publiques qui nécessitent toujours plus d'expertises, de moyens humains et financiers ».

Certes, force est de reconnaître que la commune nouvelle est, dans un premier temps, génératrice de coûts, directs ou indirects (réorganisation administrative, préparation d'études, organisation de réunions, réflexion sur la nouvelle gouvernance...). Toutefois, la commune nouvelle permet, après un temps d'installation, de renforcer le pouvoir d'agir des communes, en mutualisant les moyens humains et financiers, tout en s'adaptant à la réalité démographique et géographique du territoire.

Cette nouvelle capacité d'agir permet bien souvent de répondre aux nouvelles demandes des habitants. Ces derniers aspirent notamment à plus d'équipements communaux ou à une plus grande accessibilité des services publics : ainsi est-il fréquent que les horaires de la piscine municipale ou des musées soient étendus sur ceux de la commune qui avait l'amplitude la plus large. Cet « alignement par le haut » a été maintes fois souligné lors des auditions. Bien souvent, les nouvelles attentes des usagers sont ainsi financées par les marges de manoeuvres dégagées par la création de la commune nouvelle. Ainsi, le maire de Baugé-en-Anjou, Philippe CHALOPIN, s'est réjoui, lors de son audition, que sa commune nouvelle puisse désormais disposer « d'une police municipale et d'éducateurs, ce qui n'était pas le cas auparavant ».

Toutefois, comme l'AMF l'a indiqué à vos rapporteurs, aucune étude n'a été menée pour chiffrer précisément les marges de manoeuvres dégagées par la création d'une commune nouvelle. Tout au plus peut-on relever que le coût des contrats d'assurance semble, en moyenne, divisé par trois dans de nombreuses communes nouvelles rurales.

II. COMMENT RELANCER LA DYNAMIQUE DE CRÉATION DES COMMUNES NOUVELLES ?

A. RENFORCER L'ACCOMPAGNEMENT DE L'ÉTAT

Lors des rencontres nationales des communes nouvelles, organisées le 28 septembre 2022, notre collègue Agnès CANAYER, rapporteur de la loi du 1er août 2019 sur les communes nouvelles, avait porté une exigence : « pour que les communes nouvelles retrouvent un second souffle, l'État doit s'impliquer fortement ».

Ce constat a été largement partagé lors de la table-ronde du 25 mai 2023. Ainsi, M. Philippe CHALOPIN a déclaré que « la création des communes nouvelles ne fonctionne pas sans accompagnement de l'État ».

Verbatim de maires lors des auditions

« Dans les projets qui ont réussi à aboutir, il y a toujours un accompagnement fort de l'État. Cela rassure les élus car c'est une garantie de réussite financière et administrative ». 

« Les préfets n'ont mené aucune action pour pousser les maires à créer des communes nouvelles : le Gouvernement n'ayant donné aucune instruction à ce sujet, il est prudent de ne pas s'occuper de ce dossier, estiment-ils. Or le rôle incitatif des services de l'État est primordial »

Ce message semble avoir été entendu par le Gouvernement. Ainsi, lors du débat sur l'avenir de la commune qui s'est tenu le 13 juin 2023 au Sénat, Dominique FAURE, ministre en charge des collectivités territoriales a déclaré : « Face à l'émiettement communal, le Gouvernement souhaite relancer, sur la base du volontariat, la constitution de communes nouvelles. (...). Il n'y a aucune volonté de réduire le nombre de communes, seulement d'accompagner les communes volontaires »7(*).

La consultation souligne que seule la moitié des répondants juge « suffisant » l'appui de l'État.



Source : consultation menée par le Sénat
auprès des communes nouvelles (avril 2023)

Néanmoins, lors des rencontres nationales des communes nouvelles, le maire M. Thomas JANVIER a déclaré : « Nous sommes peut-être un contre-exemple, mais les services de l'État nous ont largement accompagnés dans notre démarche. La préfecture de la région Bretagne et la sous-préfecture de l'arrondissement de Fougères-Vitré ont été exemplaires ».

Vos rapporteurs s'en réjouissent mais relèvent que la consultation révèle également que plus du quart des répondants regrettent l'insuffisance de l'accompagnement de l'État dans la création de la communes nouvelle. Cette aide mérite en particulier d'être renforcée dans plusieurs domaines :

- l'étude d'impact financier : il appartient à la DGFiP de procéder à des simulations préalables pour aider les communes volontaires à anticiper les conséquences de création d'une commune nouvelle  quant à l'évolution des dotations versées par l'Etat (cf infra) ;

- la déclaration foncière : la DGFiP doit également aider plus efficacement les communes nouvelles dans leurs démarches dites « GMBI » (« gérer mes biens immobiliers ») ;  

- le cadre juridique constitutif : il serait enfin souhaitable que les services de la préfecture sécurisent davantage les communes nouvelles dans l'adoption des mesures réglementaires permettant la mise en place de la nouvelle entité (conseil de légalité).

D'une manière générale, l'accompagnement des services de l'État auprès des collectivités est très variable d'un département à l'autre, comme l'a montré le rapport de la délégation intitulé « à la recherche de l'État dans les territoires »8(*).

Recommandation n° 1 (bonne pratique) : Renforcer l'accompagnement des services de l'État (préfecture, DGFIP) dans le cadre de la constitution des communes nouvelles (étude d'impact financier, gestion des biens immobiliers, conseil de légalité ...)

B. BÂTIR UN SOLIDE PROJET DE TERRITOIRE PARTAGÉ

Comme l'ont souligné les auditions, une commune nouvelle ne doit pas être créée avant tout pour des raisons financières, pour des motifs tenant à la rationalisation de l'organisation administrative ou encore en considération des « bonnes relations » avec les communes voisines. La commune nouvelle doit, surtout, naître à partir d'un projet et d'une vision que les élus ont pour leur territoire, faute de quoi la commune nouvelle sera en difficulté. Certains élus ont même pointé le risque d'un retour aux communes historiques. Comme l'a souligné M. Jean-Marc VASSE, maire de la commune nouvelle de Terres-de-Caux : « Il existe des risques de retour en arrière quand le projet n'a pas été compris par des équipes qui n'ont pas participé à sa mise en place, ou encore si les communes déléguées sont simplement juxtaposées, sans une véritable participation à l'élaboration du projet ».

Ce projet de territoire repose sur trois piliers fondamentaux :

- une réflexion préalable et évolutive sur le rôle et la place des communes « historiques » au sein de la commune nouvelle ;

- un accompagnement au changement mené au sein de l'administration communale ;

- une étroite concertation avec les habitants.

Ces trois conditions sont essentielles à la réussite durable d'une commune nouvelle. Il lui faut donc un temps d'adaptation pour bâtir la maison commune et des projets collectifs. La commune nouvelle ne peut se résumer à un périmètre totalement artificiel : elle doit porter une identité, bâtie en étroite coopération avec l'ensemble des parties prenantes de ce projet.

1. Des enjeux de gouvernance

Puisque les communes nouvelles sont le fruit d'un mariage entre plusieurs communes, se pose la question du fonctionnement de cette nouvelle entité et de sa gouvernance. Le législateur a répondu à cette préoccupation par la création de communes déléguées. Ainsi, en application de l'article L. 2113-10 du CGCT, « des communes déléguées reprenant le nom et les limites territoriales de l'ensemble des anciennes communes dont la commune nouvelle est issue sont instituées au sein de celle-ci, sauf lorsque les délibérations concordantes des conseils municipaux (...) ont exclu leur création ». La règle est donc le maintien des entités historiques dans leurs anciennes limites, leur disparition l'exception. En conséquence, la création d'une commune nouvelle s'accompagne de plein droit de la mise en place d'un maire délégué et d'une annexe de la mairie pour l'établissement des actes d'état civil notamment.

L'intention du législateur de 2010 était claire : offrir aux élus un outil de regroupement qui n'efface pas l'identité des communes historiques et qui préserve une proximité rassurante, surtout lorsque les différentes communes sont éloignées géographiquement.

Cette configuration est largement privilégiée par les élus des communes nouvelles : la consultation menée par le Sénat auprès des quelque 800 communes nouvelles révèle ainsi que 70,3 % des répondants disent avoir maintenu les communes déléguées.

A contrario, près de 30 % des maires répondent ne plus avoir de communes déléguées, ce qui constitue un enseignement intéressant de la consultation, d'autant qu'une telle donnée n'existe pas à l'échelle nationale.

Source : résultats de la consultation en ligne
auprès des communes nouvelles

Ces pourcentages dissimulent néanmoins de très fortes variations. En effet, si un peu plus de la moitié (56 %) des communes nouvelles composées de 2 communes ont maintenu les communes déléguées, ce taux progresse en fonction du nombre de communes rassemblées. Ainsi 70,2 % des communes nouvelles composées de 3 communes ont maintenu les communes déléguées, 76,4 % de celles composées de 4 ou 5 communes et 94,8 % de celles qui comptent 6 communes originelles ou plus. Le rapport à la commune déléguée est donc directement lié au nombre de communes rassemblées (cf infra : recommandations n°3, 4 et 5).

2. Des enjeux d'accompagnement au changement au sein de l'administration

La commune nouvelle doit répondre à un autre enjeu essentiel, quoique parfois négligé : l'accompagnement du personnel des administrations communales concernées par le regroupement. Ainsi, Thomas JANVIER, maire de la commune nouvelle de Maen Roch (Ille-et-Vilaine), a présenté la démarche qu'il a engagée dans ce domaine : « Un cabinet a diagnostiqué les risques psychosociaux au sein de l'administration. Nous voulions que les agents se sentent bien dans la commune nouvelle, car ce sont ses premiers promoteurs auprès de la population ». Lors des rencontres nationales des communes nouvelles, votre co-rapporteur Françoise GATEL a également insisté sur cet accompagnement, primordial pour la réussite de la commune nouvelle : « Il faut associer la population, mais aussi les services, au sein desquels il y a parfois des peurs et des craintes. Je pense à l'échec d'un projet de commune nouvelle, simplement parce qu'une directrice générale des services appréhendait les évolutions de l'organisation ». Cette démarche d'accompagnement est d'autant plus nécessaire que la commune nouvelle offre en réalité des perspectives intéressantes d'évolution pour le personnel communal.

3. Des enjeux de démocratie participative ou implicative

Lors des rencontres nationales des communes nouvelles (septembre 2022), votre co-rapporteur Françoise GATEL a comparé la commune nouvelle à « un mariage de raison et d'affection (...), qui ne soit pas juste une addition mais la création d'un lien, d'où toute l'importance de concerter et d'associer la population ». Ces propos ont été confirmés par de nombreux élus lors des auditions.

Verbatim de maires lors des auditions

« Il est impératif d'embarquer tout le monde très en amont, sinon c'est un échec »

« Il faut beaucoup concerter pour faire vivre la commune nouvelle sur la durée ».

« Il ne faut surtout pas déconnecter ce projet de la réalité des citoyens. Ils sont très importants dans la construction, l'identité et la vie de la commune nouvelle. »

La création de cet affectio societatis, nécessaire à la pérennité de la commune nouvelle, doit entrer en résonnance avec les attentes des habitants et se construire impérativement avec eux.

Dans un rapport publié en 2022, notre délégation a souligné l'importance de la démocratie participative, voire implicative. À mi-chemin entre le modèle représentatif et l'orientation participative, la démocratie implicative réunit le citoyen et ses élus dans une relation de proximité immédiate et les associe dans la recherche de solutions au niveau d'une rue, d'un ensemble d'habitations, d'un quartier, d'une commune... En impliquant l'habitant, l'élu l'amène à devenir un citoyen engagé dans la vie de la Cité9(*).

Plusieurs actions locales exemplaires méritent ici d'être citées.

En premier lieu, la commune nouvelle de Loireauxence a mis en place un conseil de participation citoyenne. « Nous avons associé les habitants sur l'identité de la commune nouvelle ou le projet de territoire pour lequel ils ont priorisé six thèmes de politiques publiques que nous allons intégrer », explique la maire Christine BLANCHET. Autre exemple : à Maen Roch, le maire Thomas JANVIER a mis en place, « pour faire vivre la commune nouvelle » un « comité consultatif citoyen, associé notamment à la création d'une marque de territoire ».

En deuxième lieu, l'identité de la commune nouvelle passe également par des choix symboliques, mais non moins importants, tels que celui du choix du nom de la commune. Éric MOISSAN, maire de Jugon-les-Lacs-Commune Nouvelle, a souligné les enjeux de cette question : « le choix du nom de la nouvelle commune a failli faire échouer les discussions ». L'association des habitants au choix de la nouvelle identité communale est primordiale. À titre d'exemple, Cédric HAXAIRE, maire de Thaon-les-Vosges, a organisé en 2016 une consultation des habitants pour modifier le nom de la commune nouvelle qui avait été choisi par le maire précédent, sans impliquer les citoyens dans le processus.

Enfin, la commune nouvelle de Loireauxence a engagé une démarche vertueuse de démocratie participative pour élaborer un projet de territoire dans le but de pérenniser et de faire vivre la commune nouvelle. Son maire Christine BLANCHET a détaillé le processus mis en place lors des rencontres nationales : « Au début de l'année 2022, nous avons souhaité être accompagnés dans cette réflexion sur l'identité et sa traduction dans le projet de territoire avec la participation des habitants. Plusieurs prestataires ont répondu et nous avons retenu Le Facteur urbain pour l'aménagement, la transformation des territoires et la concertation, et Incipit pour le marketing territorial. Nous avons lancé des temps forts de rencontre avec les habitants, des questionnaires en ligne pour ceux qui ne se seraient pas déplacés et organisé une restitution début juillet ». La commune nouvelle permet donc de créer ou de renforcer les actions de démocratie participative ou implicative : réunion de rue, réunion de villages, conseils consultatifs, budgets participatifs, conseil de la vie associative...

4. Bâtir un solide projet de territoire pour répondre à ces enjeux

Afin de répondre aux trois enjeux précédemment mentionnés, il est essentiel de bâtir un projet collectif. David LISNARD, président de l'AMF souligne ainsi que « la réussite de cette entreprise repose sur le volontariat et la définition d'un projet de territoire, et ne peut avoir pour seule justification la bonification financière initiale ».

Ainsi, ce projet de territoire, construit par tous, doit présider à la formation de la commune nouvelle. Les élus de la commune nouvelle de Lamballe-Armor ont, par exemple, mis en place une charte fondatrice de la commune nouvelle dans laquelle l'article 6 évoque le projet de territoire de la nouvelle entité. Cette charte permet de responsabiliser les élus en prévoyant une réflexion évolutive s'appuyant sur leurs idées, sur les atouts du territoire et sur les projets déjà engagés par les communes fondatrices.

Autre exemple intéressant : afin de préparer la constitution de la commune nouvelle de Maen Roch, les élus des communes réunies ont constitué des groupes de travail afin d'aboutir à une charte de gouvernance, comprenant un règlement intérieur applicable à la future commune nouvelle, adoptée à l'unanimité par les différents conseils municipaux historiques.

Sur son site, l'AMF propose de nombreux autres exemples de chartes de communes nouvelles10(*). L'association présente les éléments constitutifs de la charte : le contexte, les objectifs poursuivis, la nouvelle organisation administrative et politique retenue... La charte constitue ainsi le socle des principes fondateurs de la commune nouvelle.

Parmi les objectifs de la commune nouvelle, vos rapporteurs insistent sur deux points parfois négligés :

- une feuille de route pluriannuelle assortie, le cas échéant, d'une démarche d'évaluation. Vos rapporteurs notent avec intérêt les préconisations de M. Bernard ACCOYER qui, lors de son audition, a mis en avant l'importance de « clairement définir à l'avance les objectifs et les critères d'évaluation de la fusion ». Tel un « contrat de mariage », un projet de territoire doit comporter les obligations qui incombent durablement aux parties prenantes ;

- un examen attentif de la future relation de la commune nouvelle avec l'État, les autres collectivités et l'intercommunalité. Comme l'a souligné votre co-rapporteur Eric KERROUCHE lors de la table-ronde du 25 mai 2023, « il ne faut pas sous-estimer les interactions entre la commune nouvelle et les communes limitrophes (...). Jean-Marc VASSE a rappelé l'importance de la coopération entre les membres de la commune nouvelle, mais les échanges avec les communes limitrophes et les autres strates de collectivités sont également importants : ne restons pas cloisonnés à l'intérieur de nos périmètres respectifs. Le rapport à l'espace est un problème majeur pour toutes nos collectivités. »

Vos rapporteurs insistent sur le fait que le projet de territoire est un document politique dont l'État ne saurait se prévaloir.

Recommandation n° 2 (bonne pratique) : Bâtir un solide projet de territoire pour répondre aux enjeux de gouvernance, d'accompagnement au changement et de démocratie participative

C. CONFIER AU MAIRE DÉLÉGUÉ LA FONCTION D'ADJOINT AU SEIN DU CONSEIL MUNICIPAL DE LA COMMUNE NOUVELLE

De nombreux maires ont insisté auprès de vos rapporteurs sur l'importance du maire délégué.

Verbatim de maires de communes nouvelles lors des auditions :

« Les maires délégués contribuent fortement à l'adhésion des différents villages à la commune nouvelle ».

« Il ne faut pas négliger le rôle des maires délégués car ils perpétuent le passé et l'identité des communes historiques ».

« Les maires délégués sont très associés aux décisions et nous avons régulièrement des réunions avec eux ».

« Des comités de proximité réunissent, quatre fois par an, des habitants dans chaque commune historique avec le maire délégué ».

« L'identité doit être partagée et non capitalisée par les grosses communes. Il est essentiel de faire vivre la commune nouvelle ».

Vos rapporteurs insistent sur la nécessité de bien réfléchir à la place des maires délégués dans le cadre de la création d'une commune nouvelle, étant précisé que 45,9 % des répondants à la consultation du Sénat estiment que la commune nouvelle a conduit à des difficultés de gouvernance.

Notons que le maintien de maires délégués dépend, dans une large mesure, de la superficie et du nombre de communes réunies, ainsi que le souligne M. Philippe CHALOPIN : « Tout est affaire de superficie. Dans le cas de deux communes peu distantes, l'existence de maires délégués complique la situation. En revanche, si le regroupement est plus important - chez moi, il y a quinze communes déléguées sur 26 000 hectares -, le maire délégué est le relais local »11(*). Cette remarque traduit la nécessité, pour une commune nouvelle, de concilier plusieurs objectifs : à la fois améliorer la qualité des services publics du territoire en mutualisant les moyens de plusieurs communes tout en conservant les liens de proximité entre les élus communaux et leurs administrés.

Vos rapporteurs ont acquis la conviction que le maire délégué doit progressivement intégrer l'équipe municipale de la commune nouvelle afin d'exercer une compétence sur l'ensemble du territoire. S'il doit conserver son rôle de « référent territorial », cette fonction doit être plus secondaire. Jean-Marc VASSE présente ainsi les enjeux : « Nous avons confié à chaque maire délégué une fonction d'adjoint obligatoire, afin de renforcer la solidarité et la cohésion du groupe, tout en consolidant progressivement le projet. À ce titre, la question du statut du maire délégué, qui incarne la proximité et l'histoire, doit être posée : il est indispensable à nos yeux pour ce qu'il incarne, mais la loi ne doit pas le soumettre à une tentation de sécession. Or, si le maire est contraint à démissionner, ses adjoints perdent leurs délégations, mais les maires délégués restent en poste.».

Selon la consultation menée par le Sénat, plus de 60 % des maires sont d'ailleurs favorables à l'alignement du statut de maire délégué sur celui d'adjoint au maire, à compter du premier renouvellement du conseil municipal.

Vos rapporteurs estiment que cet alignement devrait être systématique à compter du deuxième renouvellement.

Il convient également d'éviter l'écueil de la superposition pure et simple des organes de décision historiques. Ainsi, près de 75 % des maires consultés par le Sénat estiment ainsi que le nombre de conseillers municipaux doit être réduit, à partir du second renouvellement. Vos rapporteurs approuvent cette entrée dans le droit commun, conforme au principe de la commune nouvelle.

Recommandation n° 3 (bonne pratique) : À compter du premier renouvellement du conseil municipal de la commune nouvelle, confier à chaque maire délégué la fonction d'adjoint. Cette responsabilité devrait être systématique à compter du deuxième renouvellement. Devenu adjoint, le Maire délégué devrait toutefois continuer à exercer ses fonctions de référent territorial.

D. CORRIGER LES EFFETS DE SEUIL QUI PÉNALISENT LES COMMUNES NOUVELLES RURALES

Dans le cadre de la consultation, 38,5 % des maires ont déploré des « effets de seuil brutaux » résultant de la création des communes nouvelles. Ces effets de seuil concernent autant l'apparition de charges nouvelles que la perte de dotations.

1. Les effets de seuil qui déclenchent des contraintes nouvelles pour les collectivités territoriales

Le franchissement de certains seuils de population oblige les communes nouvelles à respecter de nouvelles obligations légales. Ce point a été maintes fois souligné lors des auditions.

Si la question de l'accueil des gens du voyage a été mentionnée12(*), l'exemple le plus couramment cité est celui des obligations en matière de logements sociaux. En effet, l'article 55 de la loi SRU prévoit que les communes de plus de 3 500 habitants13(*) situées dans un EPCI à fiscalité propre de plus de 50 000 habitants, sont tenues d'avoir plus de 25 % de logements sociaux14(*). De nombreuses communes nouvelles se retrouvent donc, du fait du dépassement d'un nouveau seuil, assujetties à cette obligation, et bien souvent sans s'y s'être préparées, faute d'informations suffisantes, alors même qu'elles demeurent rurales et ne connaissent pas de tension en matière de logements. Ainsi, la commune nouvelle de Porte-de-Savoie (3 800 habitants), créée le 1er janvier 2019, a découvert ex post cette obligation nouvelle, le sujet n'ayant pas été abordé avec l'État durant la phase de préparation de la commune nouvelle, ce qui renvoie à la question, évoquée précédemment, du défaut d'accompagnement de l'État. Du fait de son changement d'échelle, cette commune nouvelle, qui comptait 12,5 % de logements sociaux, doit porter cette proportion à 20%, ce qui implique la construction de 120 logements sur le territoire de la commune nouvelle.

Cet effet de seuil est éminemment critiquable comme le reconnaît le un rapport de l'IGA15(*) : « se pose la question de la pertinence de l'implantation de logements sociaux dans certaines communes, notamment lorsque ces dernières constituent un regroupement de petites communes sans continuité urbaine, dont les bourgs sont éloignés les uns des autres et disposent parfois de peu de services ». En d'autres termes, vos rapporteurs insistent sur le fait que la commune nouvelle ne saurait être soumise, en raison d'un effet de seuil, à des obligations en matière de logement social, alors que la réalité reste, bien souvent, celle d'un territoire rural.

Interrogé par vos rapporteurs, le Gouvernement objecte, pour l'essentiel, que :

- 75 % des 795 communes nouvelles existantes au 1er janvier 2023 comptent moins de 3 500 habitants et seules 6 d'entre elles sont situées en Ile-de-France. La plupart des communes nouvelles n'est donc pas concernée par les obligations SRU ;

- les communes nouvelles peuvent bénéficier des souplesses introduites par l'article 68 de loi « 3DS », notamment pour tenir compte, d'une manière générale, de la situation des communes nouvellement soumises au dispositif SRU (application progressive du dispositif SRU et exonérations fiscales) ;

- les communes soumises au dispositif SRU peuvent, dans le cadre d'un contrat de mixité sociale16(*), se voir appliquer des taux de production de logements sociaux dérogatoires aux taux de droit commun ;

- enfin, les communes nouvelles peuvent bénéficier des souplesses introduites récemment pour l'ensemble des communes. En effet, en application de la loi « 3DS », les communes remplissant les conditions de seuil de population précitées peuvent se voir exonérées de l'application du dispositif SRU, notamment lorsqu'elles sont faiblement attractives en raison de leur isolement ou de difficultés d'accès. Ces critères d'exonération ont été précisés par le décret n° 2023-107 du 17 février 2023.

Il n'en demeure pas moins que la situation n'est ni satisfaisante ni pertinente. Il convient donc de réfléchir à un dispositif dotant les communes nouvelles d'un statut particulier leur permettant de s'affranchir des obligations précitées, pendant une durée déterminée (un ou deux mandats) et de manière graduelle. Comme l'ont souligné les représentants de l'AMF lors des auditions, « les communes nouvelles, du fait de leurs particularités, méritent une certaine pérennité dans le traitement qui leur est accordé ». Les communes nouvelles sont certes des communes au sens de l'article 72 de la Constitution mais elles méritent un « sas temporel de protection » du fait de leur singularité dans le paysage communal. Il convient donc de lisser dans le temps les effets de seuil en matière de logements sociaux, cette recommandation ne s'appliquant qu'aux communes nouvelles qui conservent, par leurs caractéristiques, une identité rurale.

Concrètement, deux cas de figure sont susceptibles de se présenter :

- si aucune des communes fondatrices n'était soumise à la loi SRU, la commune nouvelle ne doit pas l'être davantage ;

- si une ou plusieurs communes étaient soumises à la loi SRU, elles doivent continuer à l'être après création de la commune nouvelle, mais uniquement sur leur périmètre historique. Les autres communes intégrées ne doivent pas, au moins pendant un ou deux mandats, être soumises à de nouvelles obligations en matière de création de logements sociaux.

Recommandation n° 4 : Lisser dans le temps les effets de seuil en matière de logements sociaux. Cette recommandation ne s'applique qu'aux communes nouvelles qui conservent, par leurs caractéristiques, une identité rurale.

2. Les effets de seuil qui génèrent des baisses de dotation

Autre frein majeur à la création et à la pérennité des communes nouvelles : l'effet de seuil générant une perte de dotations. La consultation du Sénat révèle ainsi que 21,5 % des maires disent avoir perdu des dotations par l'effet de la commune nouvelle.

Cette situation n'est pas acceptable. C'est pourquoi, à l'initiative notamment de votre co-rapporteure Françoise GATEL, la loi de finances pour 2023 comporte :

- en son article 196, un dispositif prolongeant d'un an une exception dans le calcul de la dotation de solidarité rurale (DSR) afin que les communes nouvelles de plus de 10 000 habitants - qui ne peuvent normalement pas en bénéficier - y soient à nouveau éligibles selon des critères de population et de faible densité ; en effet, certaines communes nouvelles voient leur DSR diminuer parce qu'elles dépassent le seuil de 10 000 habitants sans pour autant être éligibles à la dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale (DSU). C'est notamment le cas de la commune nouvelle Lamballe-Armor, dont le maire a été entendu par vos rapporteurs, ou de la commune nouvelle de Chateaugiron ;

- en son article 200, une disposition prévoyant que jusqu'au prochain renouvellement général des conseils municipaux, les communes nouvelles créées après le 1er janvier 2022 bénéficient d'une dotation « petites communes rurales »17(*), dont le montant est au moins égal à la somme des attributions perçues par les anciennes communes l'année précédant la création de la commune nouvelle.

Ces évolutions sont pleinement justifiées : en effet, les élus qui souhaitent créer une commune nouvelle ont besoin d'un cadre simple, stable et pérenne, leur garantissant qu'ils ne perdront aucune dotation : Si une commune perçoit une dotation de l'État, elle doit la conserver, même si elle s'unit à des communes qui n'en bénéficiaient pas. C'est pourquoi vos rapporteurs se réjouissent qu'un groupe de travail, placé sous l'égide de la ministre Dominique FAURE et associant des parlementaires, ait été créé, en vue du projet de loi finances pour 2024, sur cette question centrale des dotations.

Il appartient à l'État non seulement de soutenir le mouvement en accompagnant les projets sur le terrain (cf supra) mais également de lever les freins financiers à contre-courant des volontés locales.

Votre rapporteur insiste donc à nouveau sur le fait que la création d'une commune nouvelle ne peut être trop vite assimilée à une commune « classique » de même taille. Ainsi une commune nouvelle ne devrait-elle jamais percevoir moins de DGF que la somme de ce qui était perçu par toutes ses communes fondatrices.

Lors de la table-ronde du 25 mai, notre collègue Charles GUENÉ a opportunément insisté sur la nécessité de distinguer petites et grandes communes nouvelles : « Les secondes peuvent réaliser des économies d'échelle et lancer des projets grâce à leur masse critique, alors que les premières sont souvent très sensibles à l'évolution des dotations ».

Il est en effet utile de rappeler que les petites communes peuvent moins mutualiser leurs services que les grandes et qu'elles souffrent du contexte financier difficile, marqué notamment par la hausse du coût de l'énergie18(*) et des matières premières. Un récent rapport du Sénat19(*) souligne en outre que de nombreuses décisions de l'État, qu'elles soient de nature budgétaire ou réglementaire, placent les communes, et en particulier les plus petites d'entre elles, dans une situation financière difficilement soutenable. Cette situation accentue le sentiment général de découragement, voire de « désenchantement » chez les élus locaux.

Au regard de ce contexte, il est impératif de lisser dans le temps les effets de seuil en matière de dotations de l'État versées aux communes nouvelles. Cette recommandation ne s'applique qu'aux communes nouvelles qui demeurent, par leurs caractéristiques, un territoire rural. De ce point de vue, l'agrégation est bien souvent artificielle, la commune nouvelle ne changeant pas immédiatement d'identité.

Recommandation n° 5 : Lisser dans le temps les effets de seuil en matière de dotations financières. Cette recommandation ne s'applique qu'aux communes nouvelles qui conservent, par leurs caractéristiques, une identité rurale.

CONCLUSION GÉNÉRALE

« Je lis dans l'avenir la raison du présent » 
Alphonse de Lamartine

Le taux de réponse à la consultation en ligne, menée auprès des communes nouvelles, est, à l'évidence, un signal envoyé au Sénat : sans doute doit-on y voir le signe de fortes attentes de ces communes pour relancer la dynamique de création des communes nouvelles.

Ces dernières incarnent l'initiative territoriale ainsi que la subsidiarité, approche ascendante de l'action publique fondée sur la liberté et la responsabilité. Pour créer une communauté de destins, les communes nouvelles s'appuient sur la volonté du terrain en mutualisant sans éloigner la décision des citoyens.

Cette forme de différenciation permet de garantir l'efficacité publique jusqu'au dernier kilomètre et de retrouver la confiance de la population. Il appartient aux élus de se saisir de cette liberté locale. En effet, comme le souligne souvent la délégation aux collectivités territoriales, les élus sont des « inventeurs des possibles » et des « entrepreneurs de territoire ». La commune nouvelle peut représenter une voie d'avenir pour garantir la proximité conjuguée à l'efficacité.

Gageons que le présent rapport y contribuera.

EXAMEN EN DÉLÉGATION

Lors de sa réunion du 28 juin 2023, la délégation aux collectivités territoriales a autorisé la publication du présent rapport.

Mme Françoise Gatel, présidente et rapporteure. - Bonjour à tous. Je vous remercie pour votre présence. Le titre de notre rapport « Commune nouvelle, soutenir le projet d'un destin commun » et l'illustration qui l'accompagne, à savoir deux pièces de puzzle qui s'imbriquent, témoignent parfaitement de sa philosophie.

Après une certaine appétence des maires pour la création de communes nouvelles, l'intérêt porté pour ce dispositif a diminué à partir de 2019. Cette baisse d'intérêt s'explique par de multiples raisons liées à la conjoncture générale et, notamment, au contexte sanitaire.

Le dispositif des communes nouvelles permet à des communes de se construire un destin commun. Ce dispositif renvoie à une politique de liberté, laissée à la main des élus. Nous nous accordons sur le fait que ce dispositif, qui s'inscrit dans des logiques de bassin de vie, mérite toute notre attention. En effet, il existe une certaine baisse d'enthousiasme à l'égard du dispositif. En outre, les franchissements de seuils de populations liés à la création de communes nouvelles peuvent avoir des impacts budgétaires.

Je salue les groupes parlementaires qui, conjointement et de manière volontaire, ont obtenu un amendement à l'occasion du dernier projet de loi de finances (PLF 2023), pour prendre en compte ces effets de seuil. Certaines communes nouvelles risquaient de ne plus être éligibles aux dotations de solidarité rurale (DSR), sans pour autant devenir éligibles à la dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale (DSU). Elles risquaient de perdre des sommes considérables. Les baisses de dotations générées par ces effets de seuil auraient pénalisé et découragé des communes qui portent de l'espoir sur le dispositif des communes nouvelles.

Avec Éric Kerrouche, nous avons dressé un bilan des communes nouvelles, dans le cadre des travaux de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation. Cette démarche était soutenue par l'association des maires de France (AMF) et par le gouvernement, qui souhaitent faciliter la création de communes nouvelles. De plus, la construction d'un destin commun, laissée à la main des élus locaux, correspond bien à l'esprit du Sénat, qui défend les libertés locales. Ainsi, dans le cadre de notre rapport, nous avons rassemblé des constats et recueilli des propositions, en vue de formuler des recommandations sur le dispositif des communes nouvelles.

Je souhaite saluer les représentants de la mission d'information sur l'avenir de la commune et du maire en France, avec qui nous avons travaillé de concert, pour harmoniser nos travaux. Sa présidente Maryse Carrère nous rejoindra peut-être. Son rapporteur Mathieu Darnaud est présent.

Pour rappel, une loi du 16 juillet 1971, portée par le ministre de l'Intérieur Raymond Marcellin, avait institué un régime de fusion de communes, dont le succès a été très modeste. Le dispositif introduit par cette loi était sans doute trop contraignant.

En 2010, devant l'émiettement communal et l'incapacité de certaines communes à répondre à leurs besoins, il importait de trouver une autre solution que le transfert de toutes les compétences des communes aux intercommunalités, qui n'ont pas vocation à se substituer aux communes.

Ainsi, la loi du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales, portée notamment par Jacques Pélissard, alors député et président de l'AMF, a donné naissance au dispositif de la commune nouvelle, un regroupement de communes basé sur le volontariat. Il s'agissait de répondre aux enjeux de l'émiettement communal qui pouvait générer une incapacité d'action, sans pour autant transférer toutes les compétences des communes aux intercommunalités.

Depuis sa création, la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation a suivi assez attentivement la mise en oeuvre des communes nouvelles. En 2016, j'ai rédigé avec Christian Manable un rapport d'information intitulé « Les communes nouvelles, histoire d'une révolution silencieuse : raisons et conditions d'une réussite ». Ce rapport montrait que le dispositif se déployait en douceur, mais aussi que certains projets de communes nouvelles réussissaient, tandis que d'autres échouaient. Nous avions établi un diagnostic des motifs de réussite et des sources de difficultés de ces communes nouvelles.

En 2019, une nouvelle loi est venue assouplir le cadre juridique des communes nouvelles, en adaptant l'organisation de ces communes à la diversité des territoires et en créant la commune-communauté.

Aujourd'hui, il existe 797 communes nouvelles, qui comptent 2,5 millions d'habitants. Nous sommes ainsi descendus sous le seuil de 35 000 communes françaises. Toutefois notre nombre de communes ne baisse que de 5 %. La réussite du dispositif ne se mesure pas avec des chiffres ou des seuils. Nous cherchons avant tout à renforcer le fait communal. Pour autant, nous pouvons constater que le nombre de communes nouvelles s'avère significatif.

Le processus de création de communes nouvelles s'est plus ou moins enrayé depuis 2020. Auparavant, un pic de création de communes nouvelles avait été enregistré en 2016 et en 2017. Ce pic correspondait à une recherche d'optimisation budgétaire qui suivait une baisse des dotations communales. Les regroupements de communes offraient une pérennité temporaire des dotations. Par ailleurs, les communes nouvelles ne pouvaient pas être créées après le 1er janvier 2019, en raison des élections municipales. Depuis lors, le mouvement de création de communes nouvelles n'a pas repris.

Il est difficile de déterminer si les communes nouvelles ont connu un demi-succès ou un demi-échec. En tout état de cause, des communes nouvelles existent. Notre délégation, en partenariat avec l'AMF, a organisé en septembre 2022 une rencontre des communes nouvelles, sous le haut patronage de Gérard Larcher. Une nouvelle rencontre se tiendra demain à Baugé-en-Anjou (Maine-et-Loire).

En avril 2023, Eric Kerrouche et moi avons ont lancé une consultation pour évaluer le ressenti des maires des communes nouvelles. En parallèle, nous avons organisé trois tables rondes, entre mai et juin 2023. Nous vous soumettons donc les enseignements que nous tirons de cette consultation et de ces tables rondes.

M. Éric Kerrouche, rapporteur. - Dans notre consultation, plus d'un tiers des maires des communes nouvelles ont répondu. Il est rare d'obtenir une telle participation dans une enquête de ce type. Les résultats que nous vous présentons sont donc significatifs.

Tout d'abord, nous constatons une large satisfaction des maires de communes nouvelles. Seuls 12 % de ces maires ne souhaiteraient pas créer une commune nouvelle s'ils pouvaient revenir en arrière. De plus, environ 85 % des maires déclarent qu'ils créeraient une commune nouvelle s'ils étaient amenés à devoir refaire leur choix. Près de 90 % des maires ont aussi un avis positif sur le fonctionnement actuel de leurs communes nouvelles.

Il faut noter que la morphologie des 797 communes nouvelles est très proche de celle des 280 communes répondantes, malgré quelques variations. La comparaison de la morphologie de ces communes, qui constitue un test statistique, témoigne de la représentativité de l'échantillon interrogé.

Environ 50 % des communes nouvelles regroupent seulement deux communes. Ces regroupements de proximité sont les plus fréquents. En revanche, les communes nouvelles qui regroupent plus de six communes sont relativement peu nombreuses.

Parmi les communes nouvelles, 28,3 % ont moins de 1 000 habitants, 28,3 % ont entre 1 000 et 1 999 habitants, 22 % ont entre 2 000 et 3 999 habitants et 21,4 % ont plus de 4 000 habitants. Ces communes se répartissent de manière assez homogène dans ces différentes strates de population.

Toutefois, leurs écarts de population peuvent être très importants. Ces communes peuvent être très petites ou très grandes. Par exemple, la future commune nouvelle qui réunira Saint-Denis et Pierrefitte deviendra la plus grande commune nouvelle de France, regroupant environ 150 000 habitants. Annecy constitue l'actuelle plus grande commune nouvelle. L'essentiel des communes nouvelles est représenté par de petites communes. Seules quelques communes sortent du lot. Ainsi, ces communes ne connaissent pas toutes les mêmes réalités.

Mme Françoise Gatel, présidente et rapporteure. - L'enquête montre que la mutualisation des moyens et les économies d'échelle constituent le principal objectif des élus qui choisissent de créer une commune nouvelle.

Toutefois, aucun maire n'a témoigné d'une obtention rapide et spontanée d'économies pour sa commune nouvelle. En effet, la fusion occasionne, dans un premier temps, des coûts supplémentaires, avec l'harmonisation des politiques salariales des collectivités, la nécessité de conserver l'ensemble des personnels, ou encore l'adaptation des systèmes d'information.

Il n'en est pas de même pour les économies d'échelles, qui peuvent être réalisées rapidement. En particulier, les communes nouvelles peuvent négocier des marchés d'assurance plus avantageux.

La consultation montre que 72 % des répondants estiment que leurs communes nouvelles ont pu réaliser des économies d'échelle. De plus, 88 % des maires constatent l'existence de mutualisations effectives de services et de personnels. Ces mutualisations peuvent améliorer les services offerts aux habitants, notamment sur le plan des amplitudes horaires des services publics.

De plus, une large majorité des maires répondants estime que la commune nouvelle leur a permis d'optimiser leurs dépenses et de dégager des marges de manoeuvre financières supplémentaires, propres à renforcer la capacité d'action de leurs communes. En effet, 77 % de ces maires estiment avoir pu réaliser de nouveaux investissements. 70 % d'entre eux pensent que la commune nouvelle a eu un effet positif sur les dépenses de fonctionnement. Il faut souligner qu'une part importante des communes nouvelles a été créée avant les élections municipales de 2020 et que, par conséquent, tous les maires répondants n'ont pas été à l'origine des fusions de communes.

Après un temps d'installation, la commune nouvelle permet de renforcer le pouvoir d'agir des communes historiques et de faire face aux nouvelles demandes de services de leurs habitants. En particulier, ces communes sont plus à même de réhabiliter ou de mettre en place des équipements, par exemple dans le champ de la petite enfance. Ce constat positif ressort assez nettement. Il nous semble donc intéressant de relancer la dynamique des communes nouvelles et de la conforter.

Mme Françoise Gatel, présidente et rapporteure. - La relance de la dynamique de création de communes nouvelles intéresse beaucoup la délégation, et notamment Éric Kerrouche et Agnès Canayer, qui ont rédigé en septembre 2022 un rapport d'information qui appelait à un retour en force intelligent et pertinent de l'accompagnement des communes.

La création d'une commune nouvelle constitue un véritable projet qui nécessite un accompagnement, surtout lorsqu'il est question de fusionner de petites communes. En effet, cette démarche a des incidences fiscales et juridiques. Elle a aussi des effets en matière de personnel.

Lors de la rencontre des communes nouvelles de septembre 2022, Agnès Canayer a porté l'exigence d'une implication forte de l'État qui puisse offrir un second souffle aux communes nouvelles. Ce constat a été largement partagé par les maires.

Lors de nos tables rondes, nous avons observé que certains maires se sont globalement débrouillés seuls et qu'ils n'ont pas perçu l'aide de l'État. Inversement, le maire d'une commune nouvelle de mon département a témoigné avoir été accompagné à la fois par les services de la préfecture et par la Direction générale des finances publiques (DGFiP).

Nous pensons que le message porté lors de la rencontre de septembre dernier a été entendu. En effet, à l'occasion d'un débat organisé au Sénat par la mission d'information sur l'avenir de la commune et du maire en France, la ministre Dominique Faure a fait part du souhait du gouvernement de relancer la constitution de communes nouvelles, toujours sur la base du volontariat. Ce volontariat est pour nous essentiel.

Ce souhait gouvernemental peut nous rassurer. Le Sénat souhaite consolider le fait communal. Il me semble que cette conviction est transpartisane. Le fait communal renvoie à la proximité et à la confiance, et il ne pourra survivre que s'il offre une certaine efficacité. Je pense que la commune nouvelle aide à garantir cette efficacité.

Un peu moins de 50 % des maires interrogés sont satisfaits de l'accompagnement qu'ils ont reçu de l'État lors de la création de leurs communes nouvelles. Les autres maires estiment que cette aide était « insuffisante », ou « ni suffisante, ni insuffisante ». Il existe donc des marges de progrès très importantes en cette matière.

Notre rapport insiste sur la nécessité de renforcer l'accompagnement des services de l'État dans le cadre de la constitution des communes nouvelles. Les communes peuvent être aidées dans leurs études d'impact financier et dans la gestion de leurs biens immobiliers. Elles peuvent recevoir des conseils juridiques. Elles peuvent encore être accompagnées pour rassurer leurs habitants sur les évolutions possibles de la fiscalité, bien que la fiscalité locale tende généralement à s'évanouir.

M. Éric Kerrouche, rapporteur. - Dans les discussions de nos tables rondes, nous avons constaté que les échanges initiaux entre élus menés avant la création des communes nouvelles s'avèrent particulièrement importants. Ces échanges permettent aux élus de se mettre d'accord autour d'un vrai projet de territoire, qui dépasse la seule logique financière.

Ainsi, notre seconde recommandation souligne la nécessité de bâtir un projet de territoire partagé autour de la création d'une commune nouvelle. Il s'agit de réfléchir en amont à la gouvernance et au fonctionnement de la nouvelle entité. En particulier, la loi permet de maintenir des communes déléguées au sein des communes nouvelles. Pour autant, 30 % des communes n'ont pas opté pour cette possibilité.

Un effort d'accompagnement au changement est aussi nécessaire pour les personnels municipaux. Cet accompagnement importe notamment pour les personnels administratifs, impliqués dans le fonctionnement quotidien des communes.

Il faut aussi associer la population aux projets de communes nouvelles. Le respect des attentes des habitants permet de garantir la pérennité des communes nouvelles. Je rappelle que le rapport d'information « Pour une nouvelle dynamique démocratique à partir des territoires, la démocratie implicative », rédigé en 2022 par notre délégation, soulignait l'importance de la démocratie participative locale dans les projets communaux.

Enfin, le projet de territoire qui se rapporte à la création d'une commune nouvelle doit avoir uniquement une vocation interne. Il s'agit d'un projet porté par des élus, à l'usage de ces élus, qui ne peut pas être utilisé par l'État dans une logique de vérification administrative. L'État ne peut pas refuser la création d'une commune nouvelle sur la base des mesures prévues dans un projet de territoire.

Mme Françoise Gatel, présidente et rapporteure. - Ce dernier point est très important. Le projet de territoire permet aux communes de se fédérer librement autour d'une feuille de route déclinée en actions. Ce projet ne peut pas être soumis à l'approbation de l'État.

Notre troisième recommandation concerne les communes nouvelles qui ont désigné des maires délégués. Les maires délégués ont une place particulière dans la construction de l'affectio societatis, souvent cité par le sénateur Philippe Bas. La création d'une commune nouvelle ne consiste pas en l'absorption d'une commune par une autre. Au contraire, tous les maires des communes historiques participent à la création d'un ensemble. Naturellement, au fil du temps, les maires créateurs sont remplacés et les besoins de la commune nouvelle évoluent.

Le fait que les maires délégués conservent leur utilité constitue une condition de réussite dans la création d'une commune nouvelle. En effet, à l'instar d'une famille recomposée, une commune nouvelle est composée de personnes qui se rapprochent autour d'un destin commun.

Cependant, les maires délégués ne peuvent pas être les avocats du territoire de leurs communes déléguées. Ces maires doivent avoir un regard sur la totalité du territoire de leur commune nouvelle.

Lors des tables rondes, les élus nous ont expliqué que les maires délégués contribuent fortement à l'adhésion des différents villages d'une commune nouvelle et qu'ils aident à construire un affectio societatis. Il ne faut pas négliger leurs rôles. Ils perpétuent notamment l'identité des communes historiques des communes nouvelles.

Pour autant, une commune nouvelle ne peut pas compter plusieurs maires qui travaillent séparément dans les territoires de ses anciennes communes. La notion de maire délégué peut prêter à confusion.

La consultation des maires montre que 60 % des maires des communes nouvelles sont favorables à un alignement du statut de maire délégué avec celui d'adjoint au maire. Un maire délégué pourrait être adjoint aux affaires sociales, ou encore adjoint à l'urbanisme, en couvrant l'ensemble du territoire de la commune nouvelle. De cette façon, nous respecterions les identités et les particularités des communes historiques, tout en raisonnant à l'échelle de la nouvelle famille que constitue la commune nouvelle.

Il importe particulièrement que le maire délégué conserve un rôle de référent territorial auprès des habitants. Nous ne renvoyons pas pour autant à la fonction d'adjoint chargé de quartier. Toutefois, il nous semble important que le maire délégué puisse servir l'exigence de proximité souhaitée par le Sénat et demandée par la population.

Aussi, il convient d'éviter l'écueil d'une superposition pure et simple de conseils municipaux des communes historiques. Lors de la création d'une commune nouvelle, tous les conseillers municipaux sont conservés. Néanmoins, beaucoup de communes, généralement de taille modeste, estiment que la taille de leurs nouveaux conseils municipaux alourdit la gestion de leurs politiques. Environ 75 % des maires répondants de notre consultation estiment que le nombre de conseillers municipaux doit être réduit à partir du second renouvellement de leurs conseils municipaux. Cette question s'inscrit dans un débat plus large. En effet, certaines associations de maires considèrent qu'une réduction du nombre de conseillers municipaux pourrait avoir du bon. Toutefois, dans ce débat, les avis sont très partagés et disparates. Quoi qu'il en soit, cette question ressort nettement au sein des communes nouvelles.

Nous recommandons de confier aux maires délégués des communes nouvelles la fonction d'adjoint au maire à compter du premier renouvellement du conseil municipal. Ce premier renouvellement peut intervenir assez rapidement si la commune est créée peu avant des élections. Cette charge devrait leur être systématiquement confiée à compter du second renouvellement du conseil municipal. Un maire délégué nommé adjoint sur l'ensemble du territoire d'une commune nouvelle devrait aussi continuer à exercer sa mission de référent territorial.

Nous avons découvert cette question lors de nos travaux. L'objet de cette recommandation apparait pour les maires, qui s'appuient sur leurs expériences, comme une des conditions importantes de réussite des communes nouvelles.

M. Éric Kerrouche, rapporteur. - Les deux dernières recommandations concernent les effets de seuil liés à la création des communes nouvelles.

D'une part, notre quatrième recommandation renvoie à un premier effet de seuil d'ordre normatif, régulièrement cité par les maires. La loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU) impose aux communes de plus de 3 500 habitants situées dans un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) de plus de 50 000 habitants de disposer de plus de 25 % de logements sociaux. Cette disposition pose des difficultés d'application immédiates aux communes qui s'inscrivent dans des logiques territoriales rurales. Ces difficultés remettent en cause la capacité de développement de ces communes.

Sans offrir un statut particulier définitif aux communes nouvelles, il importe de tenir compte de leurs spécificités au moment de leurs créations. Même s'il existe déjà des mesures en cette matière, il convient de lisser au mieux les effets de seuil liés à l'application de la loi SRU pour les communes nouvelles, qui conservent par leurs caractéristiques une identité rurale.

D'autre part, notre cinquième recommandation concerne les effets de seuil qui occasionnent un préjudice financier. Dans notre consultation, un peu plus d'un maire répondant sur cinq estimait avoir perdu des dotations après la création d'une commune nouvelle.

Françoise Gatel a rappelé que le Sénat a sauvé la situation de ces communes grâce à un amendement transpartisan ajouté à la loi de finances. Cependant, les communes nouvelles ne peuvent pas se contenter d'être sauvées par le Sénat à l'occasion de chaque loi de finances.

De la sorte, si une commune nouvelle doit devenir une commune comme les autres, elle ne doit pas souffrir d'effets désincitatifs après sa mise en place. Nous recommandons donc de lisser dans le temps les effets de seuil liés aux dotations financières des communes nouvelles, qui conservent par leurs caractéristiques une identité rurale.

Mme Françoise Gatel, présidente et rapporteure. - À travers nos recommandations, nous souhaitons conforter le fait communal. Nous connaissons l'exigence sociétale relative à cet enjeu. Les normes et les décisions qui s'imposent se révèlent plus ou moins heureuses et plus ou moins efficaces. Elles offrent aux élus des capacités variables d'oeuvrer ensemble.

Lorsque des élus choisissent ensemble un destin commun de manière responsable, la commune nouvelle a davantage de chance de réussite. Il s'agit pour eux de garantir à la commune nouvelle un avenir et une efficacité de l'action publique. La commune nouvelle représente à la fois une politique de liberté et une politique de responsabilité.

Je pense que nos recommandations sont simples à comprendre. Pour revenir à notre cinquième recommandation, il est difficilement acceptable que des communes qui ont entrepris une sorte de révolution, notamment au niveau de leurs personnels, et qui ont entrepris de construire leur avenir en commun se voient pénaliser financièrement. Les communes nouvelles existantes ont perdu environ 8 millions d'euros en raison d'éléments connus seulement après leur création. Cette somme n'est pas négligeable au regard de la taille des communes concernées.

Au nom de l'avenir de la démocratie et de l'avenir de notre pays, nous pensons qu'il faut encourager et soutenir les élus audacieux et courageux de territoires qui se lancent dans des projets de communes nouvelles.

Je souhaiterais enfin partager avec vous quelques mots du poète Alphonse de Lamartine, que j'ai repris lorsque j'ai créé une commune nouvelle à Châteaugiron. Des habitants m'interrogeaient sur les motifs qui nous poussaient à nous lancer dans une telle aventure, qui pouvait être compliquée et dont le besoin n'était pas nécessairement évident. Je leur répondais, comme ce poète, que « je lis dans l'avenir la raison du présent ». Je pense que cette citation renvoie bien à la démarche de création des communes nouvelles.

Mes chers collègues, nous sommes prêts à répondre à vos questions et à écouter vos remarques. Nous soumettrons ensuite notre rapport à votre grande sagacité. J'en profite aussi pour saluer les membres de la commission des lois, que nous avons invités.

Mme Nathalie Goulet. - Madame la présidente rapporteure, monsieur le rapporteur, je souhaite savoir si vous avez eu des échos, lors de vos auditions, de dysfonctionnements qui justifieraient la dissolution ou la remise en cause d'une commune nouvelle. Envisagez-vous dans votre rapport une procédure de sortie pour les communes qui ont fusionné ? Sont-elles unies pour toujours ? Je note qu'une union permanente serait tout à fait acceptable.

Mme Agnès Canayer. - Je ne reviendrai pas sur votre excellent travail et sur la nécessité de relancer le processus de création de communes nouvelles. À l'initiative de la commission des lois et de la présidente de votre délégation, nous avions déjà levé un certain nombre d'irritants qui touchaient ces communes. Néanmoins, nous constatons qu'il existe encore des points de blocage, en particulier d'ordre financier. Nous avions buté précédemment sur l'absence d'une visibilité exhaustive sur l'ensemble des seuils qui pouvaient toucher le fonctionnement des communes nouvelles. Un recensement de ces seuils a-t-il été réalisé ?

M. Éric Kerrouche, rapporteur. - Notre consultation montre que seuls 5 % des maires répondants portent un avis très négatif sur le dispositif. Il s'agit généralement de maires élus après la fondation de communes nouvelles, qui n'ont pas pris part à leurs créations. Je rappelle que notre enquête est très représentative.

Les maires répondants, pour la plupart, s'engagent fortement dans la construction de leurs communes nouvelles. Nous imaginons mal trouver des procédures de sortie du dispositif pour les communes fusionnées. Pour autant, notre première recommandation souligne l'importance de l'élaboration de projets de territoires qui dépassent les seuls enjeux financiers. La formalisation d'un projet de territoire doit constituer le fondement des décisions de création de communes nouvelles.

Pour répondre à Agnès Canayer, nous avons évoqué les effets de seuil de la loi SRU, ou encore ceux des dotations, telles que la DSR. Certains maires évoquent également les effets de seuil concernant les gens du voyage mais ce point semble plus secondaire.

Mme Agnès Canayer. - Disposez-vous d'une liste de ces effets de seuils ?

M. Éric Kerrouche, rapporteur. - Nous pouvons dresser une liste de ces effets de seuils à partir des réponses de notre consultation et de nos auditions.

M. Philippe Bas. - Madame la présidente rapporteure, monsieur le rapporteur, je suis sensible au fait que les maires qui ont répondu à votre consultation soient globalement satisfaits du dispositif des communes nouvelles. Néanmoins, seulement 65 % de ces maires se disent « tout à fait » prêts à recommencer la construction d'une commune nouvelle, tandis que 18 % d'entre eux sont « plutôt » prêts à le faire. Tous les maires répondants n'adhèrent pas sans réserve au dispositif.

Cette absence d'unanimité sur le dispositif provient sans doute du piège du pacte de stabilité de trois ans, qui permettait aux communes nouvelles de conserver leurs dotations pendant cette période. Les communes rurales qui ne dépassent pas les 10 000 habitants ne ressentent pas tellement les effets de ce piège. En revanche, d'autres communes qui dépassent cette strate connaissent des difficultés après la fin de ce pacte de stabilité. Elles sont lésées par la perte d'éligibilité à la DSR et par les modalités de calcul de la DSU, qui tiennent compte du nombre de logements sociaux. Le nombre de logements sociaux exigé peut être largement atteint dans la ville-centre d'une commune nouvelle. Cependant, cette exigence peut s'avérer particulièrement difficile à remplir dans ses communes historiques de 100 ou 150 habitants. Je connais des communes concernées par cette difficulté et vous avez examiné leurs cas.

L'amendement ajouté à la loi de finances pour 2023 n'a pas réglé tous les problèmes financiers des communes nouvelles, contrairement aux propos avancés par le rapporteur. Certaines de ces communes se trouvent dans une situation potentiellement critique, qui peut conduire à leur éclatement. Par exemple, sans cet amendement, une commune aurait obtenu une DSU d'un montant 44 % plus faible que celui de son ancienne DSR. Un tel écart aurait conduit cette commune à une catastrophe financière qui ne serait absorbable qu'à la condition de durer au maximum un an. Cette perte de moyens peut nettement dégrader la situation d'une commune nouvelle.

Par conséquent, des maires peuvent penser qu'ils auraient gagné davantage de moyens en mutualisant leurs moyens avec d'autres communes, sans créer de communes nouvelles. Cette situation génère de l'angoisse pour les communes.

Votre travail nous est précieux. Nous avons absolument besoin de mettre en place un dispositif qui permette de lisser les effets de seuil financiers, par exemple, sur une durée de six ou douze ans, pour assurer une stabilité des ressources des communes nouvelles. Sans cette mesure, le dispositif des communes nouvelles n'aurait été qu'un marché de dupes.

Nous devons rapidement oeuvrer dans ce sens. Il est heureux que vous ayez pu nous livrer les conclusions de votre rapport. La mission d'information sur l'avenir de la commune et du maire en France, dont Maryse Carrère et Mathieu Darnaud sont les rapporteurs, arrive aussi à point nommé. Ces travaux nous aideront à convaincre le gouvernement de la nécessité d'une réforme structurelle à apporter au financement des communes nouvelles. Ce point est crucial.

Mme Françoise Gatel, présidente et rapporteure. - Philippe Bas décrit avec force, conviction et réalisme le constat de départ de nos travaux. Par exemple, sans l'amendement apporté à la loi de finances, ma modeste commune aurait perdu cette année environ 540 000 euros. Cette perte de moyen, évitée pour cette année, était imprévisible.

Nous avons considéré qu'il n'était pas possible que des communes nouvelles perdent des dotations aussi brutalement. Nous devions réfléchir aux moyens de lisser les effets de seuils que ces communes pouvaient subir. La perte d'éligibilité à la DSR, couplée avec le calcul d'une DSU trop faible en raison des caractéristiques des communes fusionnées, constituait une sorte de faille dans le dispositif des communes nouvelles.

Ainsi, nous avons recherché une alternative aux amendements des lois de finances. Je suis heureuse que vos commentaires aillent dans ce sens. Nous avons analysé les constats et les attentes des communes nouvelles, pour trouver un moyen de consolider leur situation financière de manière pérenne, et offrir ainsi de la visibilité à leurs parties prenantes.

En tout état de cause, je ne doute pas que lors du prochain PLF, une large majorité sénatoriale défendra des dispositions qui rendront aux communes nouvelles les financements qu'elles ont injustement perdus. Notre rapport permet donc notamment d'anticiper ce prochain PLF.

M. Philippe Bas. - J'espère que le gouvernement sera à notre écoute.

Mme Sonia de La Provôté. - Je vous remercie pour votre rapport. Il me semble qu'il y a quatre ans, les communes nouvelles étaient considérées de la même façon que les autres communes de leurs strates. Ce principe de départ n'offrait pas de moyens de réussites aux communes nouvelles. L'expérience et votre rapport montrent qu'il faut, au contraire, tenir compte des particularités de ces communes.

Pour rebondir sur la remarque de Philippe Bas, 12 % des maires qui ont répondu à votre consultation portent un avis négatif au dispositif des communes nouvelles. Je souhaite savoir si vous avez analysé plus finement les griefs formulés par ces maires, ainsi que la typologie des communes en question. Savez-vous s'il s'agit plutôt de petites communes nouvelles qui ont considéré a posteriori ne pas avoir d'intérêt à se regrouper ? Il serait intéressant d'apporter des précisions sur cette part non négligeable, quoique minoritaire, de communes mécontentes. Aussi, il faudrait sans doute connaitre le pourcentage de communes historiques qui portent un avis négatif sur leurs fusions.

Par ailleurs, la loi SRU peut poser des difficultés dans la construction de logements sociaux. Dans les communes nouvelles à dominante rurale, il peut exister des distances importantes entre les communes historiques et une absence de continuité urbaine. Seuls les anciens chefs-lieux de canton qui font partie de ces communes nouvelles rurales peuvent regrouper une part des logements sociaux attendus. La construction des logements sociaux peut représenter une question complexe sur le plan pratique, notamment en matière de règles d'urbanisme. Généralement, ces communes nouvelles ne sont pas contre la construction de logements sociaux, mais elles ne savent pas où les construire ni comment les construire.

Enfin, la majorité des maires de communes nouvelles interrogés dans votre consultation considère avoir obtenu des gains en matière de fonctionnement et de capacités d'investissement. Néanmoins, les petites communes rurales que nous encouragions à se rassembler pour être plus opérationnelles et plus efficaces dépassent rarement les 10 000 habitants après leur fusion. Elles sont particulièrement sensibles aux pertes financières et peuvent être pénalisées pour leurs efforts. En particulier, la gestion du patrimoine bâti peut être associée à de réelles difficultés pour ces communes. Je prends l'exemple d'une commune nouvelle de moins de 10 000 habitants qui est constituée de douze communes historiques et qui doit entretenir huit églises non classées. Une perte financière peut rapidement représenter un problème insoluble pour une telle commune.

M. Hervé Gillé. - Je vous remercie pour votre travail qui remet en perspective différents sujets. Ce travail permet d'avancer progressivement vers la résolution des problématiques évoquées aujourd'hui et de consolider la construction des communes nouvelles.

Il me semble que l'élaboration d'un projet de territoire, qui constitue une évidence, doit aussi s'inscrire dans un projet plus large. Il peut par exemple être associé à un schéma de cohérence territoriale (SCoT), porté par un syndicat mixte ou une autre entité. De plus, la commune nouvelle aura nécessairement une personnalité et une identité différente vis-à-vis de son communauté de communes ou de sa communauté d'agglomération.

Par ailleurs, face aux effets de seuil qui peuvent être préjudiciables aux communes nouvelles, nous pourrions envisager la mise en place d'une forme de contrat d'engagement et d'adaptation à conclure avec l'État. Ce contrat fondé sur une approche pluriannuelle sécuriserait les communes nouvelles. Dans cette démarche de négociation, les communes nouvelles pourraient réunir les meilleures conditions pour s'établir et murir.

M. Charles Guené. - Parmi les irritants rencontrés par les communes nouvelles, je note que les projets de territoire peuvent être remis en question lors des renouvellements de conseils municipaux. Ce point peut d'ailleurs alimenter un thème de campagne électorale. Je pense que personne ne serait ennuyé à l'idée de consolider la pérennité de ces projets de territoires. Sans rendre ces projets strictement immuables, nous pourrions empêcher leurs modifications en l'absence de délibération municipale unanime. Cette mesure permettrait de stabiliser la gouvernance des communes nouvelles.

Par ailleurs, il est toujours délicat pour des maires auditionnés de mettre en avant la motivation financière de la création d'une commune nouvelle. Je pense toutefois qu'il ne faut pas sous-estimer l'importance de la question des dotations. L'idée d'allonger la durée du pacte financier de stabilité parait tout à fait judicieuse. Toutefois, pour les petites communes, j'estime qu'il faudrait faire plus que seulement lisser les effets de seuil. Ces petites communes, qui pourraient par exemple être définies par un seuil de moins de 9 000 habitants, pourraient bénéficier d'un traitement particulier à titre définitif. Une telle mesure pourrait coûter environ 200 millions d'euros à l'État. Cette somme importante doit être relativisée au regard du montant de la dotation globale de fonctionnement (DGF). Surtout, cette dépense serait tout à fait justifiée si elle permettait d'inciter de nombreuses petites communes à former des communes nouvelles.

M. Thierry Cozic. - Je vous félicite pour votre rapport qui remet en avant les enjeux des communes nouvelles. Comme vient de le souligner Charles Guéné, la question des dotations constituera un élément clé dans la relance de la dynamique des communes nouvelles. Cette relance passera principalement par des engagements forts, qui iront vers un accompagnement financier des communes lancées dans un regroupement.

Par ailleurs, j'apprécie l'idée de conférer un rang d'adjoint aux maires délégués. Ce point me semble important. D'ailleurs, un élu auditionné le 25 mai expliquait que les maires délégués, en tant qu'adjoints au maire, pouvaient remplacer un maire qui démissionnerait.

Cependant, le nombre d'adjoints au maire ne peut excéder 30 % de l'effectif légal d'un conseil municipal. Je souhaite savoir si votre rapport propose de ne pas tenir compte de ce quota lorsque les maires délégués sont désignés adjoints au maire.

Mme Françoise Gatel, présidente et rapporteure. - Pour répondre à Sonia de La Provôté, une commune nouvelle de 10 000 habitants ne ressemblera jamais à une commune historique de la même strate. Elle comptera peut-être six écoles, six clochers et six mairies. Ses bourgs seront géographiquement distants.

Pour répondre à Hervé Gillé, un projet de territoire est construit à la fois par les élus et par les habitants, et parfois par des associations. Ce projet doit effectivement s'articuler étroitement avec son environnement, en étant lié avec un SCoT, ou avec son intercommunalité. Loin de former un ilot isolé, la commune nouvelle est liée à son pays.

M. Éric Kerrouche, rapporteur. - Je suis d'accord avec les remarques de Charles Guéné sur la matière financière. Pour répondre à Sonia de La Provôté, je note que dans notre consultation, seuls 5 % des maires répondants étaient très mécontents du dispositif des communes nouvelles.

Mme Sonia de La Provôté. - Je joignais à ces répondants les 7 % de maires qui exprimaient un mécontentement relatif.

M. Éric Kerrouche, rapporteur. - Globalement, près de 90 % des maires interrogés sont satisfaits du fonctionnement de leur commune nouvelle. Les maires mécontents proviennent essentiellement de communes nouvelles qui regroupent six communes et plus. En outre, il s'agit de maires élus depuis peu, qui n'ont pas pris part à la mise en place des communes nouvelles.

Pour répondre à Thierry Cozic, nous proposons que les maires délégués deviennent de plein droit adjoints au maire. Dans le cadre de cette fonction, ils s'intéresseraient à l'ensemble du territoire de leur commune nouvelle. Ils conserveraient en parallèle une mission de référent de proximité. Cette mesure ne modifierait pas le quota de 30 % qui définit le nombre d'adjoints au maire.

Mme Françoise Gatel, présidente et rapporteure. - Je remercie encore une fois Éric Kerrouche avec qui j'ai été très heureuse de travailler. Pour finir, je note que même si la loi qui définit les communes nouvelles s'avère excellente, il ne faut jamais oublier qu'elle est mise en oeuvre par des hommes et des femmes. Des querelles personnelles peuvent tout à fait perturber la construction de communes nouvelles et nous n'y pouvons rien.

De plus, chaque commune nouvelle a son histoire. Ces communes peuvent avoir des caractéristiques différentes. Aussi, les enjeux qu'elles rencontrent peuvent différer selon le nombre de communes regroupées.

Nous remettrons ce rapport à la ministre Dominique Faure. Je souhaiterais aussi le remettre à Bercy, dans la mesure où les mesures financières de sécurisation des communes nouvelles constituent des dépenses d'investissement. Nous présentons demain notre rapport dans le cadre de la réunion nationale des communes nouvelles de Baugé-en-Anjou. Le rapport bénéficiera ainsi d'un certain écho.

Enfin, nous verrons comment franchir un cran de plus dans le cadre du projet de loi de finances pour 2024. Nous pourrions aussi envisager des adaptations législatives, sur la base d'une proposition de loi.

Je vous remercie tous pour l'intérêt que vous avez porté à ce rapport. Je vous propose maintenant de l'adopter.

PERSONNES ENTENDUES AU SÉNAT

RÉUNIONS PLÉNIERES

Jeudi 25 mai 2023

Réunion plénière20(*) « Nouvel élan pour les communes nouvelles » :

- M. Bernard ACCOYER, ancien maire d'Annecy-le-Vieux (74), ancien adjoint au maire de la commune nouvelle d'Annecy, ancien président de l'Assemblée nationale ;

- M. Jean-Marc VASSE, maire de Terres-de-Caux (76) ;

- M. Philippe CHALOPIN, maire de Baugé-en-Anjou (49).

AUDITIONS RAPPORTEURS

Mercredi 31 mai 2023

- M. Stéphane BEAUDET, Maire d'Évry-Courcouronnes (91) ;

- M. Michel FOURCADE, Maire de Pierrefitte (93) ;

- M. Philippe HERCOUËT, Maire de Lamballe-Armor (22) ;

- M. Fabien VITEL, adjoint aux finances et ressources humaines de Lamballe-Armor ;

- M. Christophe LÉVÈQUE, directeur de cabinet de Lamballe-Armor ;

- M. Arnaud LECOURT, directeur général des services de Lamballe-Armor.

Mercredi 21 juin 2023

- M. François ASTORG, Maire d'Annecy (74) ;

- M. Pierre MICHON, directeur général des services d'Annecy ;

- M. Pierre-Yves REBOUX, Maire de Val d'Anast (35) ;

- M. Laurent CIVEL, Maire de Rion-des-Landes (40) ;

- M. Mathieu HANOTIN, Maire de Saint-Denis (93).

ANNEXE 1 :
PRINCIPAUX ENSEIGNEMENTS DE LA CONSULTATION MENÉE PAR LA DÉLÉGATION EN AVRIL 2023

ANNEXE 2 :
CARTES D'IMPLANTATION DES COMMUNES NOUVELLES


* 1 Loi de réforme des collectivités territoriales, dite « RCT ».

* 2 Rapport d'information n° 563 (2015-2016), fait au nom de la délégation aux collectivités territoriales, déposé le 28 avril 2016 : https://www.senat.fr/rap/r15-563/r15-563.html

* 3 Vincent Aubelle, Eric Kerrouche, La décentralisation. Pour, contre ou avec l'État. Paris, La Documentation française, 2022.

* 4 Ibid.

* 5 Le compte-rendu se trouve sur https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20220926/dct_bulletin_2022-09-26.html#toc2

* 6 « Peu nombreuses sont encore les communes nouvelles en capacité d'inscrire leur action dans un véritable projet de territoire (...). La création d'une commune nouvelle ne génère pas, en elle-même, une amélioration de l'efficience de l'action publique locale. La commune nouvelle vient davantage consacrer un processus antérieur de mutualisation qu'initier une démarche de rationalisation » : Rapport de l'Inspection générale de l'administration intitulé : « Les communes nouvelles : un bilan décevant, des perspectives incertaines » (21 septembre 2022) :

* 7 Voir le compte-rendu des débats sur https://www.senat.fr/cra/s20230613/s20230613_2.html#par_134

* 8 Rapport d'information de Mme Agnès CANAYER et M. Éric KERROUCHE, fait au nom de la délégation aux collectivités territoriales, déposé le 29 septembre 2022 : http://www.senat.fr/notice-rapport/2021/r21-909-notice.html

* 9 « Pour une nouvelle dynamique démocratique à partir des territoires : la démocratie implicative » : Rapport d'information n° 520 (2021-2022) de Mme Françoise GATEL et M. Jean-Michel HOULLEGATTE, fait au nom de la délégation aux collectivités territoriales, déposé le 17 février 2022. https://www.senat.fr/notice-rapport/2021/r21-520-notice.html

* 10 Voir cette page : https://www.amf.asso.fr/documents-exemples-chartes-communes-nouvelles/13153. D'une manière générale, vos rapporteurs saluent la richesse du contenu des pages du site de l'AMF concernant les communes nouvelles : documents de présentation, questions/réponses mises à jour régulièrement, fiches méthodologiques, vidéos d'élus qui ont mené un projet de commune nouvelle ou encore les vidéos des Rencontres nationales des communes nouvelles organisées par l'AMF.

* 11 Les situations sont très variables : ainsi, la commune nouvelle de Baugé-en-Anjou (49) réunit quinze communes déléguées sur plus de 26 000 hectares. Au contraire, Maen Roch (35), née du rapprochement de deux communes, occupe une superficie de 3 600 hectares.

* 12 Dans chaque département, un schéma prévoit les communes où doivent être réalisées les aires d'accueils des gens du voyage. Les communes de plus de 5 000 habitants figurent obligatoirement au schéma départemental. Il serait souhaitable de déroger au seuil de 5 000 habitants lorsque les communes nouvelles regroupent des communes qui n'y étaient pas soumises.

* 13 et de 1 500 habitants dans l'agglomération parisienne

* 14 Ce taux peut être ramené à 20 % si la situation locale ne justifie pas un effort de production supplémentaire.

* 15 Rapport de l'Inspection générale de l'administration en date du 21 septembre 2022 : https://www.interieur.gouv.fr/Publications/Rapports-de-l-IGA/Rapports-recents/Les-communes-nouvelles-un-bilan-decevant-des-perspectives-incertaines

* 16 Contrat signé entre le préfet, la commune et l'EPCI à fiscalité propre.

* 17 L'article L. 2335-1 du CGCT prévoit une dotation particulière relative aux conditions d'exercice des mandats locaux. Cette dotation est réservée aux « petites commune rurales »

* 18 Il a été évalué à 11 milliards d'euros le surcoût lié à la hausse des prix de l'énergie pour les collectivités en 2022.

* 19 Rapport de la mission d'information sur l'impact des décisions réglementaires et budgétaires de l'État sur l'équilibre financier des collectivités locales (13 juin 2023) : https://www.senat.fr/travaux-parlementaires/structures-temporaires/missions-dinformation-communes/mission-dinformation-sur-limpact-des-decisions-reglementaires-et-budgetaires-de-letat-sur-lequilibre-financier-des-collectivites-locales.html

* 20 Le compte rendu se trouve à cette adresse : https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20230522/dct_bulletin_2023-05-25.html

Les thèmes associés à ce dossier