B. BÂTIR UN SOLIDE PROJET DE TERRITOIRE PARTAGÉ

Comme l'ont souligné les auditions, une commune nouvelle ne doit pas être créée avant tout pour des raisons financières, pour des motifs tenant à la rationalisation de l'organisation administrative ou encore en considération des « bonnes relations » avec les communes voisines. La commune nouvelle doit, surtout, naître à partir d'un projet et d'une vision que les élus ont pour leur territoire, faute de quoi la commune nouvelle sera en difficulté. Certains élus ont même pointé le risque d'un retour aux communes historiques. Comme l'a souligné M. Jean-Marc VASSE, maire de la commune nouvelle de Terres-de-Caux : « Il existe des risques de retour en arrière quand le projet n'a pas été compris par des équipes qui n'ont pas participé à sa mise en place, ou encore si les communes déléguées sont simplement juxtaposées, sans une véritable participation à l'élaboration du projet ».

Ce projet de territoire repose sur trois piliers fondamentaux :

- une réflexion préalable et évolutive sur le rôle et la place des communes « historiques » au sein de la commune nouvelle ;

- un accompagnement au changement mené au sein de l'administration communale ;

- une étroite concertation avec les habitants.

Ces trois conditions sont essentielles à la réussite durable d'une commune nouvelle. Il lui faut donc un temps d'adaptation pour bâtir la maison commune et des projets collectifs. La commune nouvelle ne peut se résumer à un périmètre totalement artificiel : elle doit porter une identité, bâtie en étroite coopération avec l'ensemble des parties prenantes de ce projet.

1. Des enjeux de gouvernance

Puisque les communes nouvelles sont le fruit d'un mariage entre plusieurs communes, se pose la question du fonctionnement de cette nouvelle entité et de sa gouvernance. Le législateur a répondu à cette préoccupation par la création de communes déléguées. Ainsi, en application de l'article L. 2113-10 du CGCT, « des communes déléguées reprenant le nom et les limites territoriales de l'ensemble des anciennes communes dont la commune nouvelle est issue sont instituées au sein de celle-ci, sauf lorsque les délibérations concordantes des conseils municipaux (...) ont exclu leur création ». La règle est donc le maintien des entités historiques dans leurs anciennes limites, leur disparition l'exception. En conséquence, la création d'une commune nouvelle s'accompagne de plein droit de la mise en place d'un maire délégué et d'une annexe de la mairie pour l'établissement des actes d'état civil notamment.

L'intention du législateur de 2010 était claire : offrir aux élus un outil de regroupement qui n'efface pas l'identité des communes historiques et qui préserve une proximité rassurante, surtout lorsque les différentes communes sont éloignées géographiquement.

Cette configuration est largement privilégiée par les élus des communes nouvelles : la consultation menée par le Sénat auprès des quelque 800 communes nouvelles révèle ainsi que 70,3 % des répondants disent avoir maintenu les communes déléguées.

A contrario, près de 30 % des maires répondent ne plus avoir de communes déléguées, ce qui constitue un enseignement intéressant de la consultation, d'autant qu'une telle donnée n'existe pas à l'échelle nationale.

Source : résultats de la consultation en ligne
auprès des communes nouvelles

Ces pourcentages dissimulent néanmoins de très fortes variations. En effet, si un peu plus de la moitié (56 %) des communes nouvelles composées de 2 communes ont maintenu les communes déléguées, ce taux progresse en fonction du nombre de communes rassemblées. Ainsi 70,2 % des communes nouvelles composées de 3 communes ont maintenu les communes déléguées, 76,4 % de celles composées de 4 ou 5 communes et 94,8 % de celles qui comptent 6 communes originelles ou plus. Le rapport à la commune déléguée est donc directement lié au nombre de communes rassemblées (cf infra : recommandations n°3, 4 et 5).

2. Des enjeux d'accompagnement au changement au sein de l'administration

La commune nouvelle doit répondre à un autre enjeu essentiel, quoique parfois négligé : l'accompagnement du personnel des administrations communales concernées par le regroupement. Ainsi, Thomas JANVIER, maire de la commune nouvelle de Maen Roch (Ille-et-Vilaine), a présenté la démarche qu'il a engagée dans ce domaine : « Un cabinet a diagnostiqué les risques psychosociaux au sein de l'administration. Nous voulions que les agents se sentent bien dans la commune nouvelle, car ce sont ses premiers promoteurs auprès de la population ». Lors des rencontres nationales des communes nouvelles, votre co-rapporteur Françoise GATEL a également insisté sur cet accompagnement, primordial pour la réussite de la commune nouvelle : « Il faut associer la population, mais aussi les services, au sein desquels il y a parfois des peurs et des craintes. Je pense à l'échec d'un projet de commune nouvelle, simplement parce qu'une directrice générale des services appréhendait les évolutions de l'organisation ». Cette démarche d'accompagnement est d'autant plus nécessaire que la commune nouvelle offre en réalité des perspectives intéressantes d'évolution pour le personnel communal.

3. Des enjeux de démocratie participative ou implicative

Lors des rencontres nationales des communes nouvelles (septembre 2022), votre co-rapporteur Françoise GATEL a comparé la commune nouvelle à « un mariage de raison et d'affection (...), qui ne soit pas juste une addition mais la création d'un lien, d'où toute l'importance de concerter et d'associer la population ». Ces propos ont été confirmés par de nombreux élus lors des auditions.

Verbatim de maires lors des auditions

« Il est impératif d'embarquer tout le monde très en amont, sinon c'est un échec »

« Il faut beaucoup concerter pour faire vivre la commune nouvelle sur la durée ».

« Il ne faut surtout pas déconnecter ce projet de la réalité des citoyens. Ils sont très importants dans la construction, l'identité et la vie de la commune nouvelle. »

La création de cet affectio societatis, nécessaire à la pérennité de la commune nouvelle, doit entrer en résonnance avec les attentes des habitants et se construire impérativement avec eux.

Dans un rapport publié en 2022, notre délégation a souligné l'importance de la démocratie participative, voire implicative. À mi-chemin entre le modèle représentatif et l'orientation participative, la démocratie implicative réunit le citoyen et ses élus dans une relation de proximité immédiate et les associe dans la recherche de solutions au niveau d'une rue, d'un ensemble d'habitations, d'un quartier, d'une commune... En impliquant l'habitant, l'élu l'amène à devenir un citoyen engagé dans la vie de la Cité9(*).

Plusieurs actions locales exemplaires méritent ici d'être citées.

En premier lieu, la commune nouvelle de Loireauxence a mis en place un conseil de participation citoyenne. « Nous avons associé les habitants sur l'identité de la commune nouvelle ou le projet de territoire pour lequel ils ont priorisé six thèmes de politiques publiques que nous allons intégrer », explique la maire Christine BLANCHET. Autre exemple : à Maen Roch, le maire Thomas JANVIER a mis en place, « pour faire vivre la commune nouvelle » un « comité consultatif citoyen, associé notamment à la création d'une marque de territoire ».

En deuxième lieu, l'identité de la commune nouvelle passe également par des choix symboliques, mais non moins importants, tels que celui du choix du nom de la commune. Éric MOISSAN, maire de Jugon-les-Lacs-Commune Nouvelle, a souligné les enjeux de cette question : « le choix du nom de la nouvelle commune a failli faire échouer les discussions ». L'association des habitants au choix de la nouvelle identité communale est primordiale. À titre d'exemple, Cédric HAXAIRE, maire de Thaon-les-Vosges, a organisé en 2016 une consultation des habitants pour modifier le nom de la commune nouvelle qui avait été choisi par le maire précédent, sans impliquer les citoyens dans le processus.

Enfin, la commune nouvelle de Loireauxence a engagé une démarche vertueuse de démocratie participative pour élaborer un projet de territoire dans le but de pérenniser et de faire vivre la commune nouvelle. Son maire Christine BLANCHET a détaillé le processus mis en place lors des rencontres nationales : « Au début de l'année 2022, nous avons souhaité être accompagnés dans cette réflexion sur l'identité et sa traduction dans le projet de territoire avec la participation des habitants. Plusieurs prestataires ont répondu et nous avons retenu Le Facteur urbain pour l'aménagement, la transformation des territoires et la concertation, et Incipit pour le marketing territorial. Nous avons lancé des temps forts de rencontre avec les habitants, des questionnaires en ligne pour ceux qui ne se seraient pas déplacés et organisé une restitution début juillet ». La commune nouvelle permet donc de créer ou de renforcer les actions de démocratie participative ou implicative : réunion de rue, réunion de villages, conseils consultatifs, budgets participatifs, conseil de la vie associative...

4. Bâtir un solide projet de territoire pour répondre à ces enjeux

Afin de répondre aux trois enjeux précédemment mentionnés, il est essentiel de bâtir un projet collectif. David LISNARD, président de l'AMF souligne ainsi que « la réussite de cette entreprise repose sur le volontariat et la définition d'un projet de territoire, et ne peut avoir pour seule justification la bonification financière initiale ».

Ainsi, ce projet de territoire, construit par tous, doit présider à la formation de la commune nouvelle. Les élus de la commune nouvelle de Lamballe-Armor ont, par exemple, mis en place une charte fondatrice de la commune nouvelle dans laquelle l'article 6 évoque le projet de territoire de la nouvelle entité. Cette charte permet de responsabiliser les élus en prévoyant une réflexion évolutive s'appuyant sur leurs idées, sur les atouts du territoire et sur les projets déjà engagés par les communes fondatrices.

Autre exemple intéressant : afin de préparer la constitution de la commune nouvelle de Maen Roch, les élus des communes réunies ont constitué des groupes de travail afin d'aboutir à une charte de gouvernance, comprenant un règlement intérieur applicable à la future commune nouvelle, adoptée à l'unanimité par les différents conseils municipaux historiques.

Sur son site, l'AMF propose de nombreux autres exemples de chartes de communes nouvelles10(*). L'association présente les éléments constitutifs de la charte : le contexte, les objectifs poursuivis, la nouvelle organisation administrative et politique retenue... La charte constitue ainsi le socle des principes fondateurs de la commune nouvelle.

Parmi les objectifs de la commune nouvelle, vos rapporteurs insistent sur deux points parfois négligés :

- une feuille de route pluriannuelle assortie, le cas échéant, d'une démarche d'évaluation. Vos rapporteurs notent avec intérêt les préconisations de M. Bernard ACCOYER qui, lors de son audition, a mis en avant l'importance de « clairement définir à l'avance les objectifs et les critères d'évaluation de la fusion ». Tel un « contrat de mariage », un projet de territoire doit comporter les obligations qui incombent durablement aux parties prenantes ;

- un examen attentif de la future relation de la commune nouvelle avec l'État, les autres collectivités et l'intercommunalité. Comme l'a souligné votre co-rapporteur Eric KERROUCHE lors de la table-ronde du 25 mai 2023, « il ne faut pas sous-estimer les interactions entre la commune nouvelle et les communes limitrophes (...). Jean-Marc VASSE a rappelé l'importance de la coopération entre les membres de la commune nouvelle, mais les échanges avec les communes limitrophes et les autres strates de collectivités sont également importants : ne restons pas cloisonnés à l'intérieur de nos périmètres respectifs. Le rapport à l'espace est un problème majeur pour toutes nos collectivités. »

Vos rapporteurs insistent sur le fait que le projet de territoire est un document politique dont l'État ne saurait se prévaloir.

Recommandation n° 2 (bonne pratique) : Bâtir un solide projet de territoire pour répondre aux enjeux de gouvernance, d'accompagnement au changement et de démocratie participative


* 9 « Pour une nouvelle dynamique démocratique à partir des territoires : la démocratie implicative » : Rapport d'information n° 520 (2021-2022) de Mme Françoise GATEL et M. Jean-Michel HOULLEGATTE, fait au nom de la délégation aux collectivités territoriales, déposé le 17 février 2022. https://www.senat.fr/notice-rapport/2021/r21-520-notice.html

* 10 Voir cette page : https://www.amf.asso.fr/documents-exemples-chartes-communes-nouvelles/13153. D'une manière générale, vos rapporteurs saluent la richesse du contenu des pages du site de l'AMF concernant les communes nouvelles : documents de présentation, questions/réponses mises à jour régulièrement, fiches méthodologiques, vidéos d'élus qui ont mené un projet de commune nouvelle ou encore les vidéos des Rencontres nationales des communes nouvelles organisées par l'AMF.

Les thèmes associés à ce dossier