CONCLUSION

La réforme proposée par la Commission européenne qui était très attendue par un certain nombre de pays européens et que la France avait fortement appelée de ses voeux constitue une étape importante dans la perspective du développement d'un marché de long terme de l'électricité qui doit progressivement se substituer au marché de court terme dont la volatilité des prix ne permet pas d'assurer la protection des consommateurs. L'Union européenne a, en effet, besoin de disposer d'outils de financement qui contribuent à stimuler les investissements dans la décarbonation des moyens de production, à assurer la stabilité et la prévisibilité des prix de l'électricité pour les consommateurs, et à garantir la sécurité d'approvisionnement du continent européen.

Ainsi les rapporteurs ont formulé un certain nombre de recommandations au Gouvernement en vue des négociations en cours au Conseil afin de renforcer les axes de cette réforme. Il est notamment essentiel que les consommateurs finaux, ménages, entreprises et collectivités, puissent bénéficier de la compétitivité du parc de production électrique français.

Tel est le sens de la proposition de résolution qu'a adoptée la commission des affaires européennes du Sénat, le 1er juin 2023.

EXAMEN EN COMMISSION

La commission des affaires européennes s'est réunie le mercredi 24 mai 2023, sous la présidence de M. Jean-François Rapin, président, pour l'examen du présent rapport.

M. Jean-François Rapin, président. - L'invasion de l'Ukraine a brutalement questionné la façon dont l'Union européenne s'approvisionne en énergie, notamment en gaz. Son impact considérable sur le prix du gaz, mais aussi sur celui de l'électricité, déjà très volatils depuis l'été 2021, a conduit les États membres à prendre des mesures en urgence pour éviter une hausse brutale des factures des consommateurs et contenir l'inflation. Certaines communes ont vu leurs factures d'électricité s'envoler. Mais ces mesures risquent en fait de subventionner les énergies fossiles, à rebours de l'objectif de décarbonation. Au-delà de l'essentielle maîtrise de la demande d'énergie et de la coordination des achats de gaz à l'échelle européenne, c'est une profonde transformation de l'organisation du marché européen de l'électricité qui s'impose : au jour le jour, ce marché permet bien d'équilibrer offre et demande à court terme, mais sa construction ne permet pas répondre aux trois défis du secteur que sont la décarbonation, la sécurité d'approvisionnement et des prix abordables.

C'est pourquoi le Conseil européen a invité la Commission à préparer une réforme structurelle du marché de l'électricité, avec le double objectif d'assurer la souveraineté énergétique européenne et de parvenir à la neutralité climatique. Cette réforme, que la France réclame, mais qui divise les États membres, a été annoncée l'an dernier par la présidente von der Leyen dans son discours sur l'état de l'Union et finalement présentée en mars dernier par la Commission européenne. Je laisse nos rapporteurs nous informer sur son contenu et nous proposer de prendre position sur ce projet important.

M. Pierre Laurent, rapporteur. - Le 30 août dernier, à l'occasion d'un discours d'orientation prononcé au Forum stratégique de Bled, en Slovénie, la Présidente de la Commission européenne déclarait : « La flambée des prix de l'électricité met aujourd'hui en évidence, pour différentes raisons, les limites de notre organisation actuelle du marché de l'électricité. Cette organisation avait été conçue dans des circonstances complètement différentes et à des fins complètement différentes. Elle n'est plus adaptée. C'est la raison pour laquelle nous, la Commission, travaillons actuellement à une intervention d'urgence et à une réforme structurelle du marché de l'électricité. Nous avons besoin d'un nouveau modèle de marché pour l'électricité qui fonctionne réellement et nous ramène à l'équilibre. »

Après avoir mené une consultation publique, qui a recueilli près de 700 réponses, la Commission européenne a finalement publié, le 14 mars dernier, ses propositions pour réviser l'architecture du marché européen de l'électricité. Cette réforme s'inscrit, en effet, dans un contexte géopolitique et économique bouleversé. De nombreux défis se posent aujourd'hui à l'Union européenne qui a engagé avec le Pacte vert d'importants efforts pour assurer sa transition énergétique et climatique.

La crise des prix de l'énergie qu'a connue l'Union européenne à la suite de la reprise économique consécutive à la pandémie de covid-19, et qui s'est aggravée avec la guerre menée par la Russie contre l'Ukraine, est essentiellement une crise qui a désorganisé les sources d'approvisionnement énergétique du continent européen. Elle a révélé la forte dépendance de l'Union européenne au gaz russe ; les difficultés d'approvisionnement, associées aux risques de pénurie, se sont alors traduites par une flambée des prix du gaz et de l'électricité sur les marchés de gros. Cette crise a donc montré les limites du marché de l'électricité et prouvé la nécessité d'en revoir les règles du jeu. À ce titre, le couplage du prix de l'électricité avec celui du gaz a focalisé de nombreuses critiques.

Je rappelle que dès l'automne 2021, la France a défendu une réforme ambitieuse du marché de l'électricité, qui devait notamment conduire à un découplage des prix de l'électricité et du gaz. À l'occasion de différents débats sur les questions énergétiques, le Sénat a aussi plaidé en faveur d'une telle réforme et a invité le Gouvernement à faire pression sur la Commission européenne en ce sens. La position française est néanmoins apparue relativement isolée au début de la crise énergétique, avant d'être partagée par d'autres pays européens, en particulier l'Espagne et la Grèce.

À la demande de certains États membres, la Commission européenne a, d'ailleurs, chargé l'Agence européenne pour la coopération des régulateurs de l'énergie (Acer) d'évaluer les avantages et les inconvénients du fonctionnement du marché de gros de l'électricité. Dans le rapport qu'elle a remis en avril 2022, l'Acer a conclu que « même si des améliorations sont possibles, la conception actuelle du marché de gros de l'électricité de l'Union européenne mérite d'être conservée et n'est pas à blâmer pour la crise de l'énergie qui frappe l'Europe ». Cette conclusion me semble prêter à discussion.

Or c'est à mes yeux l'hypothèse dans laquelle la proposition de réforme actuelle s'inscrit : garder le cadre actuel en introduisant, pour prétendre en limiter les risques, des outils de marché de long terme. Je veux saluer le travail mené avec mes deux collègues rapporteurs pour multiplier les recommandations dans cette proposition de résolution européenne (PPRE) afin de mieux encadrer la réforme et les outils nouveaux créés, et renforcer les garanties de mise en oeuvre par les États membres dans le respect de la maîtrise de nos choix énergétiques. Je soutiens un grand nombre de ces recommandations. Toutefois, il me paraît dangereux, sans savoir ce que deviendront ces recommandations - 1500 amendements ont d'ores et déjà été déposés au Parlement européen - ni pouvoir évaluer la portée réelle des nouveaux outils de marché créés, de déclarer « accueillir favorablement » la réforme proposée. C'est pourquoi, au terme du travail d'auditions que j'ai mené avec mes deux collègues Daniel Gremillet et Claude Kern, je leur laisse le soin de présenter leur analyse ainsi que la position qu'ils proposeront à notre commission À l'issue de leur présentation, je proposerai des amendements, à titre personnel, au texte qu'ils nous soumettent et auquel je ne peux souscrire en l'état.

M. Claude Kern, rapporteur. - L'organisation actuelle du marché de l'électricité de l'Union, qui a été mise en place dans tous les États membres, a été élaborée progressivement, depuis plus de vingt ans, avec l'adoption successive de différents directives et règlements européens. Force est de reconnaître que ce marché a permis d'assurer la sécurité d'approvisionnement électrique du continent européen et de faire bénéficier les consommateurs européens de prix abordables, jusqu'à la crise des prix de l'énergie qui s'est déclenchée à l'automne 2021, à la sortie de l'épidémie de covid-19.

L'intégration de la France dans un marché européen de l'électricité, qui est de plus en plus interconnecté, lui permet, en effet, d'éviter près de quarante jours de coupure par an, et même davantage en 2022, puisque l'an dernier, pour la première fois, notre pays a importé de larges volumes d'électricité provenant des pays voisins. Les interconnexions électriques entre pays européens nous protègent donc du black-out et nous permettent également de vendre nos excédents de production, même si l'année 2022 a fait exception pour des raisons liées principalement à des opérations de maintenance sur notre parc nucléaire. Ces capacités d'échanges assurent ainsi notre sécurité d'approvisionnement, nous évitant de réaliser des investissements lourds et coûteux pour quelques jours de déficit de production d'électricité par an. En ce sens, comme l'ont relevé les personnes que nous avons auditionnées, le marché européen de l'électricité a fonctionné « correctement » au cours de ces derniers mois et nous a même rendu un « grand service », puisqu'il nous a permis de garantir la résilience de notre système électrique face à une crise énergétique sans précédent en Europe.

La crise des prix de l'énergie ne résulte donc pas d'un dysfonctionnement du marché, même si elle appelle à en améliorer les règles du jeu.

De fait, la formation des prix de gros de l'électricité est déterminée par le coût de production de la dernière centrale appelée, le plus souvent une centrale à gaz ou à charbon en Europe, pour assurer l'équilibrage ; c'est le principe dit « de l'ordre du mérite » ou de la tarification marginale. Cette modalité de fixation des prix expose les prix de gros de l'électricité à être dépendants du cours des combustibles fossiles, en particulier du gaz dont les prix ont atteint des sommets durant l'année 2022. L'électricité n'étant pas stockable, la volatilité des prix de gros se répercute alors sur les agents finaux. Ce mode de tarification explique le prix élevé de l'électricité en France et la volatilité des tarifs proposés aux consommateurs, alors même que les coûts de production électrique y sont très compétitifs en raison d'un mix énergétique largement décarboné. En temps de crise, du fait de l'extrême volatilité des prix de l'énergie, ce modèle de marché présente donc des difficultés majeures.

Pour faire face à ces circonstances exceptionnelles, la Commission européenne a proposé, au cours de l'année 2022, un certain nombre de mesures d'urgence temporaires, qui ont été adoptées par le Conseil de l'Union européenne, et qui ont permis aux États membres de mettre en place des mécanismes d'aide pour alléger la facture d'électricité des consommateurs.

Cette situation de crise inédite dans son ampleur a ainsi conduit à s'interroger sur le modèle actuel du marché de l'électricité, essentiellement basé sur un marché de court terme, ainsi que sur les moyens de parvenir à une meilleure adéquation du niveau des prix de l'électricité avec les coûts réels de production.

Pour y répondre, la Commission européenne propose donc, dans un premier texte, d'améliorer l'organisation du marché de l'électricité, sans remettre en cause les principes fondamentaux qui régissent son fonctionnement. Elle se focalise sur trois objectifs : mieux protéger les consommateurs ayant été exposés à des prix très élevés ; rendre l'industrie plus compétitive en lui permettant d'avoir accès à un prix de l'énergie plus stable et raisonnable ; et enfin, accélérer le déploiement des énergies renouvelables pour permettre une transition et sortir de la dépendance aux énergies fossiles.

Une deuxième proposition tend à réviser le règlement dit « Remit » concernant les manipulations de marché et le rôle de l'Agence européenne pour la coopération des régulateurs de l'énergie. Je rappelle que le Sénat a adopté, le 22 mai dernier, une résolution européenne portant avis motivé sur la conformité de cette proposition au respect du principe de subsidiarité.

Enfin, ces deux textes s'accompagnent d'une recommandation relative au stockage de l'énergie.

La Commission a pour ambition de faire émerger un signal prix de long terme afin d'atténuer le poids des énergies fossiles, qui devraient encore être utilisées jusqu'en 2050, dans la facture d'électricité des consommateurs et afin d'encourager ces derniers à se tourner vers une production d'énergie qui permet de décarboner les usages et les procédés.

L'ensemble des acteurs de marché ont, en effet, besoin de visibilité et de prévisibilité, dans le cadre de la transition énergétique et climatique, pour investir dans les énergies décarbonées. L'électricité pourrait, en effet, représenter 55 % de notre consommation d'énergie finale en 2050.

L'enjeu est donc de favoriser l'émergence d'un marché de long terme et d'adosser la fourniture d'électricité aux consommateurs sur des contrats dont les prix sont établis à long terme. Il s'agit d'éviter que les prix de détail de l'électricité, comme c'est le cas aujourd'hui, soient déterminés par les marchés de gros de court terme, même si la Commission européenne ne propose pas un découplage des prix du gaz et de l'électricité. La réforme doit ainsi permettre d'exposer les factures des consommateurs aux coûts réels de production de l'électricité, en favorisant les investissements dans de nouvelles capacités de production à long terme, tout en conservant le principe de « merit order ».

La Commission n'a donc pas accédé à la demande de certains États membres de revenir sur le mécanisme actuel de tarification au coût marginal. Elle a ainsi considéré, comme l'ensemble des personnes que nous avons auditionnées, qu'il doit être préservé en tant que socle de l'intégration du système électrique européen, car il permet une allocation optimale des ressources en garantissant que les technologies les moins chères, qui sont aussi les plus propres, soient appelées en premier pour couvrir la demande et assurer ainsi le fonctionnement des interconnexions au moindre coût. Dès lors que cette logique est conservée, il ne faut pas attendre de la réforme un impact sur le marché de court terme et ne pas laisser croire qu'elle préviendra tout risque de répercussion d'une nouvelle hausse des prix du gaz sur le prix de l'électricité. D'ailleurs, la proposition de règlement prévoit, à ce titre, des mesures pour protéger les consommateurs en cas de crise.

Les objectifs défendus par la France sont, toutefois, largement repris par le texte proposé par la Commission européenne, en particulier concernant le renforcement des signaux de long terme. La France souhaite, en effet, encourager le développement d'outils de couverture des fournisseurs sur les marchés de long terme, ce qui n'a pas été possible dans le cadre réglementaire actuel, en particulier en raison du manque de mesures incitatives destinées à encourager les consommateurs et les fournisseurs à y souscrire. Il s'agit aussi de favoriser les investissements dans des installations de production d'électricité décarbonée qui ont aujourd'hui besoin d'un soutien public pour se développer.

M. Daniel Gremillet, rapporteur. - Pour lutter contre la volatilité des prix de l'énergie mise en lumière par la crise, la réforme présentée par la Commission introduit donc des mesures visant à faciliter le déploiement de contrats de long terme stables, à stimuler la liquidité des marchés à terme et à encadrer l'aide publique pour les nouveaux investissements dans la production d'électricité à partir de sources d'énergies décarbonées. Sur le plan technologique, la proposition de la Commission européenne telle qu'elle est rédigée est neutre et garantit la souveraineté de chaque État membre dans la définition de son bouquet énergétique, ce dont nous nous félicitons. Nous devons, cependant, rester attentifs à ce que les contrats de long terme puissent effectivement s'appliquer à tous les investissements réalisés dans la production d'électricité à partir de toutes les sources d'énergies décarbonées, renouvelables et nucléaire. L'ensemble des consommateurs, ménages, entreprises et collectivités, doivent pouvoir bénéficier de la compétitivité de l'électricité décarbonée produite en France.

Trois mécanismes doivent permettre de faire émerger un marché de long terme.

Des mesures sont ainsi introduites pour faciliter les accords d'achat d'électricité (PPA en anglais), qui sont des accords bilatéraux entre deux parties - un producteur et un consommateur -, sur des horizons très longs allant de cinq à vingt ans. Aujourd'hui, ces contrats se développent peu et concernent essentiellement les industries électro-intensives. La Commission souhaite étendre l'éligibilité de ces contrats aux petites et moyennes entreprises en levant un certain nombre de restrictions, afin de faciliter leur développement et de permettre à un plus grand nombre de consommateurs d'avoir accès aux contrats de long terme. Elle propose notamment de rendre obligatoire pour les États membres la mise en place de garanties publiques.

Dans ce cadre, nous préconisons que les PPA puissent être conclus pour la production d'électricité à partir de toutes les sources d'énergies décarbonées ainsi que de l'hydrogène décarboné, et qu'ils ne soient pas réservés aux seules énergies renouvelables.

Il nous semble aussi important que ces contrats puissent bénéficier à l'ensemble des entreprises, et que les avantages économiques qu'ils procurent ne soient pas destinés aux seules industries électro-intensives.

Tout en soutenant leur déploiement et leur utilité, il convient de souligner que ces outils ne suffiront pas, à eux seuls, à assurer une meilleure adéquation des prix de l'électricité avec les coûts réels de production, d'autant plus que la couverture par ce type de contrats ne pourra se réaliser que progressivement.

La Commission propose aussi d'étendre le champ d'application des contrats pour la différence (CfD) bidirectionnels : ces contrats sont aujourd'hui réservés à la production d'énergies renouvelables ; la réforme propose d'en faire bénéficier les nouveaux investissements dans la production d'électricité à partir d'énergies renouvelables et nucléaire. Cette mesure répond à une demande exprimée par la France. Les CfD assurent ainsi au producteur, sur une longue période, une rémunération garantie et, au consommateur, une stabilité des prix. Dans ce mécanisme, le producteur d'électricité doit reverser à l'État le surplus de recettes perçues si le prix de marché est supérieur à un revenu de référence fixé par le contrat, qui doit être ensuite redistribué aux consommateurs, et a contrario, ses revenus sont garantis en cas de baisse des prix sur le marché.

Les CfD pourront permettre d'apporter un soutien public au programme français de construction de nouvelles installations nucléaires ainsi qu'aux opérations de rénovation et de modernisation du parc nucléaire existant, ce dont nous nous félicitons. En ce sens, le texte n'est pas contraire aux options de notre pays en matière énergétique. Il est indispensable que les CfD puissent s'appliquer aux investissements réalisés dans les installations nucléaires existantes. Ce point mérite d'être bien précisé dans le texte pour écarter toute ambiguïté lors de la mise en oeuvre du règlement.

Par ailleurs, les revenus pouvant être générés par les CfD devront être intégralement reversés à tous les consommateurs afin de limiter l'impact du marché de court terme sur leurs factures. Cette disposition rejoint très largement les positions adoptées par le Sénat en faveur de la protection des consommateurs, non seulement les particuliers, mais aussi les entreprises et les collectivités.

Enfin, afin de stimuler les marchés à terme, contrats de plus courte durée - trois à cinq ans - indispensables aux fournisseurs d'énergie pour gérer leur portefeuille de manière optimale et sécurisée, la réforme introduit des « prix de référence ». Issus de « virtual hubs », ou plateformes virtuelles, ces prix de référence établis sur des zones plus larges que celles des États membres permettraient, selon la Commission, de régler le problème de manque de liquidité des marchés. Avant de décider de la création de ces plateformes, il nous apparaît souhaitable de procéder à une évaluation pour en mesurer les bénéfices et les risques. Il serait sans doute plus opportun d'étendre sur une période plus longue les droits aux interconnexions afin de faciliter les couvertures des acteurs de marché sur le long terme.

Le deuxième pilier de mesures proposées vise aussi à stimuler les investissements dans les énergies renouvelables et leur intégration dans le système énergétique. Pour répondre aux besoins en flexibilité du système électrique, un équilibre est à trouver entre des moyens de production d'énergie de « base », fournissant un niveau d'électricité linéaire, et des moyens dits « de pointe », pouvant réagir en quelques minutes pour permettre d'ajuster la production d'électricité d'un pays à sa consommation. Aujourd'hui, ces moyens de pointe sont dominés par le gaz, technologie la plus flexible connue. L'objectif de la Commission est d'encourager d'autres flexibilités, telles que le stockage et l'effacement de consommation ou la demande flexible, pour répondre aux besoins de pointe sans avoir recours aux énergies fossiles. Ces mécanismes de capacité méritent d'être pris en considération dans un contexte de rareté de l'énergie, mais doivent, à notre avis, rester optionnels. L'évaluation des besoins en flexibilité doit être réalisée au niveau des États membres, et selon des modalités qu'il leur revient de définir.

La réforme proposée introduit également la possibilité pour les États membres d'encourager le développement des filières non fossiles à travers des mécanismes de soutien. Par ailleurs, en complément des investissements de réseau, une incitation financière est également proposée pour inciter les gestionnaires de transport et de distribution à se tourner vers des solutions de flexibilité, plutôt que de construire de nouvelles lignes.

S'agissant du troisième pilier, qui concerne la protection des consommateurs, la Commission européenne propose plusieurs séries de mesures pour leur permettre de faire face à la volatilité des prix de l'énergie sur les marchés de gros de court terme.

Tout d'abord, en cas de crise des prix de l'électricité au niveau régional ou à l'échelle de l'Union, le texte prévoit, sous certaines conditions, d'étendre les prix de détail réglementés aux ménages et aux PME, ce qui n'est aujourd'hui possible que pour les consommateurs vulnérables et les microentreprises. C'est à la Commission européenne qu'il reviendrait de décider de qualifier la situation de crise, en se fondant sur des critères de niveau de hausse des prix et de temporalité très restrictifs. Pour nous, cette décision doit être du ressort des États membres et reposer sur des critères plus souples pour permettre l'activation des mécanismes de soutien de façon optimale.

Par ailleurs, la réglementation européenne devrait selon nous permettre, au-delà des crises, de pérenniser et d'assouplir les interventions publiques ciblées dans la fixation des prix, pour l'ensemble des consommateurs, ce qui n'est pas prévu par la proposition de règlement.

Parmi les autres mesures proposées par la Commission, le droit au cumul de contrats auprès de fournisseurs d'énergie différents autorisera les consommateurs à souscrire à un contrat à prix fixe en complément de contrats dynamiques. Ce droit devrait donner aux consommateurs les moyens de se couvrir face aux risques que présentent ces derniers contrats, et leur éviter ainsi une exposition au prix de marché. Pour renforcer cet objectif, nous préconisons de rendre optionnelle la souscription à des contrats à tarification dynamique proposés par les fournisseurs d'électricité. Il nous apparaît nécessaire que le cadre réglementaire assure la meilleure protection possible aux consommateurs lorsqu'ils souscrivent des contrats de fourniture d'électricité.

La Commission propose aussi de protéger les clients vulnérables contre des coupures d'électricité en cas de défaut de paiement. Tout en estimant que le champ d'application de cette mesure doit demeurer une prérogative des États membres, nous préconisons, dans ces cas-là, de privilégier les diminutions de puissance aux interruptions de fourniture.

La Commission européenne a également repris dans son texte une demande forte portée par la France, concernant l'obligation des fournisseurs à se couvrir pour réduire le risque de défaillance, afin d'éviter la faillite de fournisseurs d'énergie qui s'était produite durant la crise. En effet, faute de couverture préalable par des contrats de long terme, les fournisseurs n'avaient pas acheté d'électricité suffisamment en avance et n'ont par conséquent pas pu honorer leurs contrats. Ils seront désormais obligés de souscrire à des contrats de long terme et de prévoir un fournisseur de dernier ressort pour prévenir ce risque.

M. Claude Kern, rapporteur. - Par ailleurs, la Commission européenne prévoit une révision du règlement Remit sur la transparence et l'intégrité du marché de gros de l'énergie afin de l'adapter aux évolutions des instruments financiers que sont les produits énergétiques de gros, d'en améliorer la transparence et de renforcer le rôle de l'Acer pour enquêter sur les abus de marché de nature transfrontalière. L'Agence disposerait ainsi de pouvoirs de coordination et d'enquête élargis, qui lui conféreraient un rôle central dans la régulation de ces marchés, au détriment des régulateurs nationaux. Or, à notre sens, l'Acer doit demeurer une agence de coordination et les autorités de régulation nationales doivent préserver leurs moyens d'action et conserver leur indépendance en matière de surveillance des marchés de gros de l'énergie.

Enfin, la Commission invite les États membres à déployer les outils de stockage de l'énergie existants et à adapter leur réglementation afin de renforcer la flexibilité du système énergétique pour l'adapter aux enjeux de la transition énergétique et climatique. Sur cette question, nous appelons à considérer l'ensemble de la chaîne de valeur des projets de stockage de l'énergie sous toutes ses formes et à intégrer au système énergétique toutes les sources d'énergies décarbonées.

M. Daniel Gremillet, rapporteur. - En conclusion, nous estimons que les mesures proposées par la Commission européenne assurent un équilibre entre les différentes positions des États membres pour permettre une adoption rapide de la réforme, d'ici à la fin de cette année. Après une orientation générale sur ce texte qui est prévue au Conseil du 19 juin et un vote au Parlement européen en juillet, les trilogues pourraient, en effet, débuter à la fin de cet été. Ce calendrier est d'autant plus important que les effets de la réforme ne seront pas nécessairement perceptibles à très court terme.

Cette réforme constitue, à notre avis qui est très largement partagé par les acteurs du marché, une étape importante dans le développement d'un marché de long terme, nécessaire pour stimuler les investissements dans des actifs de production décarbonée, mais elle doit aussi contribuer à garantir une stabilité et une prévisibilité des prix pour les consommateurs, tout en les faisant bénéficier de la compétitivité de notre parc de production. Ses effets économiques et sociaux devront, à notre sens, être nécessairement évalués.

Telles sont les observations que nous souhaitions faire sur ces propositions de règlement et recommandations visant à réformer le marché européen de l'électricité. Elles sont rassemblées dans la proposition de résolution européenne et l'avis politique que nous vous soumettons.

M. Jean-François Rapin, président. - Avant d'engager le débat, je propose à Pierre Laurent de présenter les propositions de modification qu'il a annoncées à titre personnel.

M. Pierre Laurent, rapporteur. - À l'alinéa 27 qui évoque les origines de la crise des prix de l'énergie, je souhaite faire référence à « l'indisponibilité partielle du parc nucléaire en France ».

M. Daniel Gremillet, rapporteur. - Cette précision a une dimension strictement nationale ; il ne me semble donc pas pertinent de l'ajouter dans cette proposition de résolution européenne.

M. Pierre Laurent, rapporteur. - Je retire cette proposition de rédaction.

À l'alinéa 34, qui concerne la nécessité de préserver et de renforcer la compétitivité industrielle de l'Union, je propose d'ajouter que nous devons aussi garantir « l'accessibilité » des prix.

À l'alinéa 37, le texte prévoit d'« accueillir favorablement » la proposition de la Commission européenne. C'est un point très important pour moi : cette rédaction me semble prématurée et je propose de lui substituer que le Sénat « note à ce stade » la proposition de la Commission.

À l'alinéa 40, qui fixe trois objectifs à la réforme de l'organisation du marché européen de l'électricité, je propose d'en ajouter un quatrième : « garantir à tous le droit à l'électricité, produit de première nécessité, et l'égalité de traitement dans les meilleures conditions de sécurité, de qualité, de coûts, de prix et d'efficacité économique, sociale et énergétique ».

À l'alinéa 42, après « Estime essentiel de faire bénéficier l'ensemble des consommateurs, ménages, entreprises et collectivités, de la compétitivité de l'électricité nucléaire décarbonée produite en France », je propose d'ajouter une référence à l'énergie hydraulique qui est aussi une énergie décarbonée. J'ai une proposition de même nature à l'alinéa 83 concernant les CfD.

À l'alinéa 43, qui demande que les factures d'électricité des consommateurs soient « moins » dépendantes des prix de marché de court terme, je propose d'enlever ce « moins » : les factures ne devraient pas être dépendantes des prix de marché de court terme.

À l'alinéa 52, qui souhaite que soit procédé, avant de décider de leur création, à une évaluation de la faisabilité technique des plateformes virtuelles, je crois que, au-delà de la faisabilité, nous devons aussi évaluer la pertinence et les coûts induits de ces plateformes.

À l'alinéa 57, je souhaite écrire que le développement de contrats de long terme basés sur les coûts de production doit permettre de garantir la protection des consommateurs contre la volatilité des prix et concourir à la compétitivité de l'industrie européenne.

À l'alinéa 59, dans le même esprit que ma proposition à l'alinéa 37, je préfère « noter » l'ambition de la Commission européenne de faire émerger un marché de long terme plutôt que la « soutenir ».

À l'alinéa 69, si je soutiens l'idée que l'organisation des PPA relève de la responsabilité des États membres, je ne souhaite pas « élargir » la liste de leurs bénéficiaires, mais la « contrôler ». Les PPA ne doivent pas servir à capter une partie du marché.

À l'alinéa 72, je souhaite indiquer que l'ensemble des recettes tirées des PPA par les producteurs doit être redistribué au profit des consommateurs, et pas seulement une partie de ces recettes.

Les propositions suivantes concernent la protection des consommateurs.

À l'alinéa 91, je crois que nous devons écrire qu'il est nécessaire « d'autoriser le maintien de tarifs réglementés pour tous les consommateurs si l'État le juge nécessaire ».

À l'alinéa 94, je souhaite que nous préconisions de pérenniser les tarifs réglementés.

Enfin, à l'alinéa 97, qui invite à envisager une extension des mesures de protection des consommateurs aux contrats de fourniture de gaz, je propose d'ajouter que cela passe par la mise en place d'un tarif de référence.

M. Jean-François Rapin, président. - Je propose aux deux autres rapporteurs de donner leur avis sur ces rédactions avant d'engager un débat plus général. Il me semble que ces propositions sont, pour certaines, redondantes quand d'autres modifient substantiellement la proposition de résolution qui nous est soumise.

M. Daniel Gremillet, rapporteur. - Je voudrais, tout d'abord, saluer l'implication de Pierre Laurent dans ce travail que nous avons mené ensemble.

Nous avons cependant des divergences de fond sur le principe même d'un marché de l'électricité et sur son fonctionnement. Ces divergences expliquent que, contrairement aux précédents travaux que nous avons conduits ensemble, il semble difficile aujourd'hui de parvenir à une position commune sur les propositions qui sont faites par la Commission européenne pour réformer le marché européen de l'électricité.

Dès lors, c'est une réponse d'ensemble que je ferai sur ces propositions de rédaction. Plusieurs de ces propositions reposent sur une appréciation différente de la réforme présentée par la Commission européenne par rapport au texte que Claude Kern et moi-même vous soumettons, notamment sur le soutien que nous apportons au développement d'un marché de long terme : nous estimons, même si nous émettons quelques réserves, qu'un tel marché peut permettre de faciliter les investissements dans les énergies décarbonées, renouvelables comme nucléaire, et de garantir aux consommateurs une meilleure stabilité des prix. D'ailleurs, nous proposons d'aller au-delà du champ des acteurs électro-intensifs pour encourager la signature de contrats de long terme par les particuliers et les PME dès lors qu'ils sont organisés.

Sur l'appréciation générale de la réforme proposée par la Commission européenne, nous ne partageons pas l'esprit de ces amendements et nous souhaitons maintenir « Accueille favorablement la proposition » et « Soutient l'ambition de la Commission européenne de faire émerger un marché de long terme ».

Certes, la Commission européenne ne propose pas une réforme structurelle du marché, mais nous considérons que les réponses qu'elle apporte doivent être soutenues. J'ajoute qu'aucune des personnes que nous avons auditionnées ne s'est prononcée contre la proposition de la Commission européenne de créer un marché à long terme.

Je crois que nous avons trouvé un équilibre et que nous devons nous y tenir. Certes, à l'alinéa 37, nous « accueillons favorablement la proposition de la Commission », mais à l'alinéa 38, nous « déplorons que les dispositions prévues ne permettent pas de prévenir tout risque de répercussion à court terme d'une nouvelle hausse des prix du gaz sur le prix de l'électricité ». Des contrats à long terme - il en existe déjà qui peuvent aller jusqu'à vingt ans - permettent d'assurer une visibilité pour les acteurs et de financer les investissements qui sont nécessaires.

Nous estimons également que l'enjeu industriel est essentiel pour assurer la compétitivité et la souveraineté économiques européennes. Nous avons aussi prévu de protéger les collectivités territoriales.

C'est pourquoi, même si plusieurs amendements ne remettent pas en cause les observations et recommandations formulées par la proposition de résolution européenne que nous vous soumettons, je vous propose, mes chers collègues, de ne pas la modifier et de conserver l'équilibre du texte.

M. Claude Kern, rapporteur. - Je vais dans le sens de Daniel Gremillet : le projet que nous vous avons présenté me semble équilibré et je vous propose de l'adopter tel quel.

M. Cyril Pellevat. - Plusieurs pays européens, dont la France, appelaient à une réforme en profondeur du marché, en particulier à un découplage des prix du gaz et de l'électricité. Nous n'avons malheureusement pas obtenu gain de cause sur ce point, la Commission européenne n'ayant pas retenu cette solution, notamment en raison de l'opposition de plusieurs États membres. C'est assez décevant, mais les propositions de la Commission ont malgré tout le mérite d'apporter des solutions, qui, sans être révolutionnaires, sont tout de même des avancées. Je pense en particulier aux contrats PPA et CfD, dont pourra bénéficier le nucléaire, ce qui est une bonne nouvelle pour notre filière.

Une adoption rapide de cette réforme avant l'hiver 2023 est une nécessité absolue, si nous souhaitons éviter de connaître une crise similaire à celle de l'année passée. De même, en vue de l'arrêt de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh) au 31 décembre 2025, autrement dit demain, il est nécessaire de modifier les règles relatives au marché de l'électricité le plus rapidement possible pour donner de la visibilité aux acteurs économiques. De nombreux investissements dépendent en effet de ces règles, RTE estimant par exemple qu'il faudra entre 59 et 80 milliards d'euros d'investissements en France chaque année jusqu'en 2060 pour faire face à la demande croissante d'électricité.

Or on constate actuellement un blocage du texte par certains pays européens, dont l'Allemagne, qui ne semblent pas être en faveur d'une adoption rapide. Un tel calendrier ne permettra pas une entrée en vigueur avant l'arrêt de l'Arenh, puisque, comme cela est souligné dans la PPRE, des mesures de transposition et d'adaptation par les États membres seront requises.

Je souhaiterais donc savoir si vous avez connaissance des raisons conduisant l'Allemagne à retarder l'adoption du texte et de la manière dont la France compte négocier en vue de son adoption la plus rapide possible.

M. Jacques Fernique. - Je voudrais d'abord dire que nous aurions aimé avoir plus de temps pour préparer l'examen de ce texte particulièrement dense et complexe.

L'avis du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires (GEST) est partagé.

Nous sommes plutôt d'accord sur le volet consacré au financement des investissements nécessaires à la transition énergétique, ce qui est appelé PPA et CfD dans le texte : nous devons soutenir les actifs bas carbone et des contrats de long terme devraient permettre d'augmenter la visibilité en termes de revenus pour les producteurs et - espérons-le - de stabiliser les prix pour les consommateurs. Il faut inciter les banques, et le monde financier en général, à investir dans des actifs bas carbone et des dispositifs adaptés permettraient de stimuler le secteur.

Nous sommes, en revanche, opposés à la volonté, majoritaire ici, de traiter sur le même plan le nucléaire et les énergies renouvelables.

Nous avons aussi eu un débat sur la subsidiarité en ce qui concerne l'Agence de coopération des régulateurs de l'énergie (Acer), et nous sommes en désaccord. Il faut une entité centrale européenne publique pour veiller à la bonne articulation du marché de l'énergie à l'échelle du continent. Si chaque autorité nationale agit de son côté, cela ne fonctionne pas bien. Or l'Acer ne dispose pas des moyens ni des pouvoirs adéquats, et les poursuites pour manipulation des prix sur le marché de gros sont donc rares...

M. Didier Marie. -Je regrette également le court délai que nous avons eu pour examiner ce texte, qui compte pas moins de 121 considérants... Je m'en tiendrai donc à un avis global. La crise du prix de l'énergie ne tient pas seulement à la guerre en Ukraine : elle révèle un dysfonctionnement structurel du marché et les limites de nos infrastructures. C'est donc tout le système qui doit être repensé.

Or la proposition de la Commission n'est qu'une adaptation du système actuel de tarification marginale et ne prévoit pas de découplage du prix du gaz et de celui de l'électricité. Cela signifie que nous aurons des améliorations, bien sûr, mais rien ne nous garantit qu'elles permettront de résister à une nouvelle crise. De plus, nous ne savons pas si ces améliorations prendront suffisamment en compte nos besoins pour relever le défi climatique.

Certains points positifs ont été soulignés, tels que le recours aux contrats de long terme pour tenter de stabiliser le marché, ainsi qu'un rôle plus important de la puissance publique. Cependant, j'aurais personnellement souhaité un rôle encore plus fort de la puissance publique afin de mieux coordonner l'ensemble du système, et pas seulement certains aspects en laissant le marché régler le reste.

Il y a également des points positifs en ce qui concerne la transparence, mais il y a des lacunes sur la protection des consommateurs. Bien qu'il y ait une volonté affichée de mieux prendre en compte leur situation et de mieux les protéger, la mise en place de contrats de tarification dynamique peut poser de réelles difficultés pour eux. Il leur sera difficile de s'y retrouver dans la multitude d'offres proposées par les fournisseurs. J'aurais souhaité que des contrats de fourniture à prix fixe soient disponibles, avec interdiction pour les fournisseurs de modifier les conditions ou de les résilier, ainsi que des systèmes visant à lutter contre la précarité énergétique, notamment en utilisant une partie des profits générés grâce aux contrats pour différence.

Il est clair qu'il y a d'importantes améliorations à apporter au texte de la Commission. Les négociations sont en cours et nous ne savons pas à quel niveau ni à quel moment nous aboutirons. À l'heure actuelle, nous nous abstiendrons de prendre position sur la proposition de résolution. Il y a des éléments qui nous conviennent et d'autres qui ne nous conviennent pas. Personnellement, je dois dire qu'il y a plus d'éléments qui ne me conviennent pas que l'inverse. Cependant, puisque le texte va poursuivre son parcours en commission des affaires économiques, nous devons laisser la possibilité à nos collègues de cette commission de prendre le temps d'examiner en détail le texte, d'évaluer les différents alinéas et de proposer un certain nombre d'amendements.

M. Jean-François Rapin, président. - Nous avons évoqué en bureau la question des délais. Nous avions trois rapporteurs, sur un sujet important, et ceux-ci ont procédé à beaucoup d'auditions.

M. André Reichardt. - Je suis très partagé sur cette proposition de résolution. Il s'agit d'un domaine très sensible. J'avais compris que notre Gouvernement souhaitait s'engager résolument et effectivement dans un découplage des prix du gaz et de l'électricité. Or, la proposition de la Commission acte autre chose. Cela me chagrine beaucoup. Si nous adoptions cette proposition de résolution européenne, qui « accueille favorablement » la position de la Commission, nous reviendrions sur ce qui me paraissait fondamental, c'est-à-dire la position de la France, qui devait être portée au plus haut niveau et de manière très forte.

J'ai pris connaissance des propositions d'amendement de Pierre Laurent et je m'étonne que celui-ci n'aille pas encore plus loin. Je rends hommage à sa volonté d'essayer de trouver un accord, car, pour ma part, je préférerais « note, à ce stade » à « accueille favorablement »... Si nous avions pu prendre connaissance de ces amendements plus tôt, notre travail en commission s'en trouverait amélioré, Monsieur le Président.

En tous cas, à ce stade, je répète que je suis réservé, essentiellement parce que nous cautionnons un recul sur l'engagement gouvernemental de forcer la Commission à aller vers un découplage. Puisque ce document sera examiné, je l'espère avec plus de temps, par la commission des affaires économiques, je préfère m'abstenir pour le moment.

M. Jean-François Rapin, président. - La commission des affaires économiques examinera ce texte la semaine prochaine. Nous avons aussi évoqué en réunion de bureau la charge de travail de notre commission, très lourde actuellement.

M. Daniel Gremillet, rapporteur. - Merci pour vos commentaires et vos prises de position. Je dois vous dire que pour nous aussi, il n'était pas simple de mener ce travail dans le contexte actuel. Je pense que vous en êtes conscients.

Sur le découplage, je comprends votre position, qui était également celle des trois rapporteurs. La France est seule à demander ce découplage au sein de l'Union européenne. Il y a une situation à court terme et une situation à long terme. Nous savons tous qu'aujourd'hui, la France est piégée par la situation à court terme, car elle n'a pas suffisamment investi dans les capacités de production d'énergie électrique. Nous sommes en train de décarboner progressivement au profit de l'énergie électrique, tout en progressant également dans la rénovation énergétique.

Nous avons besoin de puissance, comme l'a souligné hier le ministre Bruno Le Maire lors de son audition. Il est évident que nous faisons face à un défi important en termes de capacité de fourniture d'énergie électrique à court terme en France, et la seule solution pour y faire face est l'interconnexion européenne, qui est absolument nécessaire pour notre pays. Même si notre proposition met en avant une situation plus favorable, avec les capacités offertes par les énergies renouvelables, celles-ci ne garantissent pas une fourniture constante à tout moment. Nous pouvons proposer diverses mesures, notamment d'effacement, mais il existe un risque de black-out et, pour le réduire, notre pays a besoin de l'aide des autres pays, via l'interconnexion. Toutes les organisations que nous avons auditionnées ont confirmé cela. Même la France a dû recourir à l'interconnexion en remettant en route la centrale de Saint-Avold. Il n'existe pas une seule capacité de fourniture immédiate qui puisse éviter le black-out, à part le gaz.

L'Allemagne est en position de force et continue de construire de nouvelles centrales au gaz. Même elle, pourtant, se trouve parfois dans une situation de fragilité en termes de production énergétique, car les énergies renouvelables ne sont pas suffisantes, le nucléaire n'est pas au rendez-vous et l'hydroélectricité ne peut pas fournir des volumes suffisants. Dans ce contexte, ce sont les centrales au gaz qui assurent le fonctionnement efficient des interconnexions et qui, par conséquent, nous permettent d'éviter le black-out. Le principe de tarification marginale permet ainsi de garantir la sécurité d'approvisionnement en Europe. Je comprends vos préoccupations, mais nous ne pouvons pas aller plus loin, étant donné que nous sommes complètement isolés et que nous ne pouvons pas, à ce stade, revendiquer que la France conserve la souveraineté énergétique électrique qu'elle a perdue.

M. Claude Kern, rapporteur. - Nous avons bien compris lors de ces auditions que l'année 2022 aurait été catastrophique si nous n'avions pas eu accès à l'interconnexion. Nous aurions passé un hiver vraiment difficile en France. Vous avez notamment parlé du dysfonctionnement structurel, et il est vrai qu'il ne s'agit pas seulement de la crise, mais aussi du fait que, à un moment donné, nous avons dû reporter les maintenances durant la période de la covid. Aujourd'hui, nous regrettons cette décision, car nous aurions sans doute pu les effectuer malgré tout, mais nous ne pouvons pas revenir en arrière. Le résultat est que beaucoup d'unités ne fonctionnent pas correctement - d'où la nécessité de l'interconnexion, dont nous aurons encore besoin dans les années à venir. Nous n'avons pas la capacité de fournir suffisamment d'électricité, surtout pendant la période hivernale.

M. Jean-François Rapin, président. - Nous avions organisé une table ronde en octobre 2022 avec des membres de la Commission européenne, qui nous expliquaient qu'il y avait un vrai risque de black-out si l'hiver était très froid. Nous en étions tous ressortis très démoralisés...

M. Daniel Gremillet, rapporteur. - Vous avez tous en mémoire les alertes de l'analyse perspective de RTE, qui nous dit que les hivers 2023 et 2024, voire 2025, sont sujets à de grandes incertitudes. Et ce n'est pas en claquant des doigts que nous allons produire davantage d'énergies renouvelables. Le secteur des renouvelables a été critiqué, mais il a généré d'importantes recettes en 2022 en raison de la flambée des prix sur le marché. Nous soutenons donc la redistribution de ces revenus.

J'insiste sur ce point parce que nous savons que les énergies renouvelables, tant que nous n'aurons pas réalisé des progrès plus importants, même à moyen terme, présentent des limites. Hier, lors d'une table ronde sur les énergies et la mobilité, nous avons compris que les batteries offriront demain de réelles capacités de stockage, mais qu'aujourd'hui elles ne sont pas encore suffisamment performantes. Nous faisons donc une distinction entre notre responsabilité à court terme, qui nous expose effectivement à des risques, et le plus long terme, lorsque nous aurons nos premiers nouveaux réacteurs en production, lorsque nous disposerons d'un parc éolien offshore ou terrestre plus important, d'une production solaire accrue, et d'une énergie hydraulique plus conséquente.

M. Pierre Laurent, rapporteur. - Nous avons un débat de fond sur l'organisation du marché, avec des points de vue différents entre les trois rapporteurs. Je pense que ces divergences de points de vue continueront à s'exprimer au sein de la commission des affaires économiques.

Je tiens à réaffirmer que le sujet pour nous n'est pas de sortir complètement des interconnexions, qui semblent nécessaires, mais plutôt de nous demander si nous devons continuer d'accepter les règles du marché actuel. Nous avons effectivement une différence sur ce point.

Dans cette optique, j'ai essayé de faire des propositions prudentes, qui respectent le sens même de la proposition de résolution, tout en reconnaissant ses limites sur le fond. Celle-ci comprend toute une série de recommandations visant à améliorer les outils proposés et, éventuellement, à élargir leur champ d'application, notamment en ce qui concerne les contrats de long terme. De plus, elle met l'accent sur l'importance de conserver une certaine marge de manoeuvre pour les États membres dans la mise en oeuvre du règlement. Ce point est très important, et explique d'ailleurs notre désaccord sur le rôle de l'Acer.

Les modalités de mise en oeuvre de ce nouveau règlement dans les États membres feront l'objet de nombreux débats. La question du devenir de ce texte à l'issue de son adoption est importante pour de nombreux sujets, à commencer par la protection des consommateurs. Qui décide, en effet, que les consommateurs font face à une situation de crise ? En l'état, le projet de règlement dispose que la Commission européenne définit les situations de crise, selon des critères très restrictifs. Nous recommandons que les États membres aient la main sur ce point.

J'ai proposé d'écrire dans la proposition de résolution que le Sénat « note », plutôt que « accueille favorablement » la proposition de la Commission européenne de réformer l'organisation du marché de l'électricité de l'Union, car la prudence est de mise. Le compromis européen ayant abouti à ce projet de règlement est en effet instable. Il reste de longs mois de négociation, avant l'accord final prévu à la fin de l'année. Nous devons nous donner la possibilité de faire valoir fermement certaines de nos positions, pour ne pas risquer de nous retrouver face à un projet de règlement qui n'irait pas dans le sens de la France. C'est l'objet de mes propositions de modifications.

De nombreuses questions restent par ailleurs en suspens, notamment concernant le système qui remplacera l'Arenh, ou encore le périmètre d'intervention d'EDF. Il faudra maintenir un haut niveau de vigilance sur ces points.

Les modifications de rédaction proposées par M. Pierre Laurent ne sont pas adoptées.

M. Didier Marie. - L'approche globale qui sous-tend la proposition de résolution nous conduit à nous abstenir sur l'ensemble.

La commission autorise la publication du rapport d'information et adopte la proposition de résolution européenne, disponible en ligne sur le site du Sénat, ainsi que l'avis politique qui en reprend les termes et qui sera adressé à la Commission européenne.

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