- L'ESSENTIEL
- AVANT-PROPOS
- I. L'UNION EUROPÉENNE FACE À UNE CRISE
ÉNERGÉTIQUE D'UNE AMPLEUR INÉDITE
- A. UNE CRISE DE L'APPROVISIONNEMENT QUI A
SOULIGNÉ LA DEPENDANCE DES ÉCONOMIES EUROPÉENNES AU GAZ
RUSSE
- B. QUI S'EST TRADUITE PAR UNE ENVOLÉE DES
PRIX SUR LES MARCHÉS DE GROS DU GAZ ET DE
L'ÉLECTRICITÉ
- C. ET QUI A CONDUIT LES ETATS MEMBRES À
ADOPTER EN URGENCE DES MESURES DE PROTECTION DES CONSOMMATEURS
- A. UNE CRISE DE L'APPROVISIONNEMENT QUI A
SOULIGNÉ LA DEPENDANCE DES ÉCONOMIES EUROPÉENNES AU GAZ
RUSSE
- II. UN FONCTIONNEMENT DU MARCHÉ
EUROPÉEN DE L'ÉLECTRICITÉ QUI A MONTRÉ SES LIMITES
EN TEMPS DE CRISE
- A. LA FORMATION DES PRIX DE
L'ÉLECTRICITÉ SUR LE MARCHÉ DE GROS : LE PRINCIPE DU
« MERIT ORDER » EN QUESTION
- B. UN MARCHÉ DE L'ÉLECTRICITÉ
ESSENTIELLEMENT ORIENTÉ VERS DES SIGNAUX DE COURT TERME
- C. LE COUPLAGE DES MARCHÉS, GARANT DE LA
SÉCURITÉ D'APPROVISIONNEMENT
- D. « L'EXCEPTION
IBÉRIQUE », MÉCANISME AUTORISÉ TEMPORAIREMENT
PAR LA COMMISSION EUROPÉENNE
- A. LA FORMATION DES PRIX DE
L'ÉLECTRICITÉ SUR LE MARCHÉ DE GROS : LE PRINCIPE DU
« MERIT ORDER » EN QUESTION
- III. LES RÉPONSES APPORTÉES EN
URGENCE PAR LA COMMISSION EUROPÉENNE À LA CRISE
ÉNERGÉTIQUE
- A. DES MESURES DE COURT TERME POUR LIMITER L'IMPACT
DE LA HAUSSE DES PRIX DE L'ÉNERGIE ET ASSURER LA SÉCURITÉ
ÉNERGÉTIQUE DE L'UNION
- B. UN PLAFONNEMENT DES PRIX DU GAZ DANS L'ATTENTE
D'UNE RÉFORME DU MARCHÉ DE L'ÉLECTRICITÉ
- C. UNE RÉFORME STRUCTURELLE DU MARCHÉ
DE L'ÉLECTRICITÉ DÉFENDUE PAR LA FRANCE DEPUIS LE
DÉBUT DE LA CRISE
- A. DES MESURES DE COURT TERME POUR LIMITER L'IMPACT
DE LA HAUSSE DES PRIX DE L'ÉNERGIE ET ASSURER LA SÉCURITÉ
ÉNERGÉTIQUE DE L'UNION
- IV. LA PROPOSITION DE RÉFORME DU
MARCHÉ DE L'ÉLECTRICITÉ N'EN BOULEVERSE PAS L'ARCHITECTURE
ACTUELLE
- A. UNE INTÉGRATION DES SIGNAUX DE LONG TERME
POUR ASSURER LA STABILITÉ ET LA PRÉVISIBILITÉ DES PRIX
- B. UN ENCOURAGEMENT DE LA FLEXIBILITÉ DU
SYSTÈME ÉLECTRIQUE
- C. UNE PROTECTION DES CONSOMMATEURS À
L'ÉGARD DES PRIX ÉLEVÉS ET VOLATILS
- D. DES MESURES POUR GARANTIR LA TRANSPARENCE SUR
LES MARCHÉS DE GROS DE L'ÉNERGIE ET ÉVITER LES
MANIPULATIONS DE MARCHÉ
- E. DES RECOMMANDATIONS EN FAVEUR DU STOCKAGE DE
L'ÉNERGIE
- A. UNE INTÉGRATION DES SIGNAUX DE LONG TERME
POUR ASSURER LA STABILITÉ ET LA PRÉVISIBILITÉ DES PRIX
- V. OBTENIR UNE RÉFORME PLUS SUBSTANTIELLE
ENTRANT EN VIGUEUR RAPIDEMENT
- A. UNE RÉFORME À L'IMPACT
LIMITÉ SUR LES MARCHÉS DE COURT TERME
- B. GARANTIR LE RESPECT DU PRINCIPE DE
NEUTRALITÉ TECHNOLOGIQUE ET ÉLARGIR LE DEVELOPPEMENT DES OUTILS
DE LONG TERME
- C. ASSURER UNE MEILLEURE PROTECTION DES
CONSOMMATEURS
- D. RESPECTER LE PRINCIPE DE SUBSIDIARITÉ
- E. ENCOURAGER LE STOCKAGE DE
L'ÉLECTRICITÉ
- A. UNE RÉFORME À L'IMPACT
LIMITÉ SUR LES MARCHÉS DE COURT TERME
- I. L'UNION EUROPÉENNE FACE À UNE CRISE
ÉNERGÉTIQUE D'UNE AMPLEUR INÉDITE
- CONCLUSION
- EXAMEN EN COMMISSION
- PROPOSITION DE RÉSOLUTION
EUROPÉENNE
- LA RÉSOLUTION EN CONSTRUCTION
- ANNEXE
- LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
N° 670
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023
Enregistré à la Présidence du Sénat le 1er juin 2023
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des affaires européennes (1) relatif aux propositions de règlement du Parlement européen et du Conseil portant réforme du marché de l'électricité de l'Union,
Par MM. Daniel GREMILLET et Claude KERN,
Sénateurs
(1) Cette commission est composée de : M. Jean-François Rapin, président ; MM. Alain Cadec, Cyril Pellevat, André Reichardt, Didier Marie, Mme Gisèle Jourda, MM. Claude Kern, André Gattolin, Pierre Laurent, Mme Colette Mélot, M. Jacques Fernique, Mme Véronique Guillotin, vice-présidents ; M. François Calvet, Mme Marta de Cidrac, M. Jean-Yves Leconte, Mme Amel Gacquerre, secrétaires ; MM. Pascal Allizard, Jean-Michel Arnaud, Mme Florence Blatrix Contat, M. Philippe Bonnecarrère, Mme Valérie Boyer, MM. Jean-Pierre Corbisez, Pierre Cuypers, Christophe-André Frassa, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, M. Daniel Gremillet, Mmes Pascale Gruny, Laurence Harribey, MM. Ludovic Haye, Jean-Michel Houllegatte, Patrice Joly, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Pierre Louault, Victorin Lurel, Franck Menonville, Mme Catherine Morin-Desailly, MM. Louis-Jean de Nicolaÿ, Pierre Ouzoulias, Mmes Elsa Schalck, Patricia Schillinger.
L'ESSENTIEL
À partir de l'automne 2021, à la suite de la reprise consécutive à l'épidémie de Covid-19, les économies européennes ont été confrontées à une hausse particulièrement forte des prix des énergies fossiles. Cette crise a été aggravée par l'invasion de l'Ukraine par la Russie, en février 2022. Les prix de gros du gaz et de l'électricité se sont alors envolés à des niveaux jamais atteints auparavant. Les conséquences sur les économies européennes ont été d'autant plus fortes que l'Union européenne était très dépendante des énergies fossiles, et en particulier du gaz russe.
Cette crise a mis en lumière les vulnérabilités de l'Union européenne dans le secteur énergétique et les limites du fonctionnement actuel du marché de l'électricité dès lors que l'Union européenne se trouve confrontée à un déficit de production énergétique. Elle a occasionné pour les consommateurs, ménages, entreprises et collectivités, une très forte volatilité des prix du gaz et de l'électricité, dont les États membres ont limité l'impact par des mesures d'urgence.
Afin de rapprocher les prix de l'électricité de ses coûts de production et d'assurer une meilleure protection des consommateurs, la Commission européenne a présenté, le 14 mars 2023, ses propositions pour réformer le marché européen de l'électricité. Cette réforme est d'autant plus urgente et indispensable que le marché intérieur de l'énergie jouer un rôle central pour atteindre les objectifs du Pacte vert pour l'Europe.
La commission des affaires européennes a examiné cette réforme du marché de l'électricité, sur le rapport de MM. Daniel Gremillet et Claude Kern, et a conclu au dépôt de la proposition de résolution n° 669 (2022-2023) du 1er juin 2023, devenue résolution du Sénat n° 141 (2022-2023), le 19 juin 2023.
1. UNE CRISE QUI A REMIS EN QUESTION LE FONCTIONNEMENT DU MARCHÉ EUROPÉEN DE L'ÉLECTRICITÉ
· Un mécanisme de formation des prix sur le marché de gros de l'électricité sous le feu des critiques
De nombreux États membres, et en particulier la France, ont estimé que le mécanisme de formation des prix sur le marché de gros de l'électricité, selon le principe du « merit order », consistant à faire appel aux unités de production électrique selon sur leur coût marginal de production croissant, était responsable de l'envolée des prix de l'électricité et ont appelé à revoir sa structuration. Ainsi, alors que le gaz entre pour une part très faible dans les coûts de production de l'électricité en France, son prix influence largement celui de l'électricité. L'électricité n'étant pas stockable, son prix s'ajuste en fonction de l'offre de production et de la demande de consommation, et connaît, par conséquent, des variations saisonnières, journalières et horaires, qui peuvent être très importantes. En outre, la prime assurantielle en matière de détermination des prix sur les marchés de gros a aussi pris une ampleur importante, notamment en France.
Sachant que la production d'électricité relève de technologies très différentes et substituables, la priorité est ainsi donnée aux offres de production les moins chères, et en général les plus propres, pour répondre à la demande. Le prix s'établit donc au niveau de la dernière centrale appelée qui fonctionne avec des énergies fossiles, ce qui apparaît paradoxal pour la France qui dispose d'un parc électrique décarboné particulièrement compétitif. En cas de hausse du prix du gaz, les producteurs d'électricité connaissent ainsi une augmentation de leurs coûts qui se répercute sur les prix de l'électricité.
· Un marché de l'électricité dominé par des signaux de court terme
La libéralisation du secteur de l'électricité en Europe a conduit à la création de marchés de gros qui organisent les échanges entre acteurs de marché et concourent à la formation des prix de marché à cette échelle. Le marché de l'électricité repose pour l'essentiel sur des stratégies de court terme. Les signaux de prix observés sur ces marchés ne sont en aucun cas déterminés, même en partie, par les coûts de production moyens de l'électricité. Ils reflètent des éléments de contexte ou d'anticipation, liés à la situation géopolitique et à la sécurité d'approvisionnement énergétique.
Afin de disposer d'un marché moins soumis aux fluctuations de court terme, et davantage aligné sur les coûts réels de production, le développement d'outils de couverture à long terme doit être encouragé et contribuera à créer des conditions favorables aux investissements dans les installations de production d'électricité décarbonée.
· Un réseau européen interconnecté, garant de la sécurité d'approvisionnement électrique
Le couplage des marchés de l'électricité, qui repose sur les interconnexions entre pays européens, permet d'améliorer l'efficacité du système électrique européen et de mutualiser les moyens de production complémentaires ainsi que les besoins en électricité, en ajustant l'offre et la demande sur l'ensemble des marchés couplés. Il a notamment permis de faire bénéficier les consommateurs européens de tarifs abordables jusqu'à la crise actuelle.
Les interconnexions entre États membres constituent la pierre angulaire du marché européen de l'électricité. L'intégration de la France au marché européen de l'électricité lui permet d'éviter ainsi près de quarante jours de coupure par an et d'économiser l'équivalent de la production d'environ dix centrales nucléaires ou vingt-quatre centrales à gaz.
Le marché européen de l'électricité a contribué à la résilience du système électrique européen au cours de ces derniers mois. Toutefois, ses règles du jeu sont apparues insuffisantes pour protéger les consommateurs finaux en temps de crise face à l'extrême volatilité des prix de l'énergie.
2. PRENANT LE RELAIS DES MESURES D'URGENCE, LA RÉFORME ATTENDUE DU MARCHÉ DE L'ÉLECTRICITÉ N'EN BOULEVERSE PAS L'ARCHITECTURE ACTUELLE
· Des mesures d'urgence proposées dès le début de la crise et adoptées par le Conseil
La Commission européenne a proposé des mesures d'urgence et de nouveaux mécanismes de solidarité pour maîtriser, à très court terme, la flambée des prix de l'énergie dans l'Union européenne. Plusieurs règlements ont ainsi été adoptés par le Conseil concernant les objectifs de remplissage des installations de stockage de gaz dans les États membres, la réduction de la demande de gaz et d'électricité, l'instauration de mécanismes de prélèvement sur les recettes des producteurs d'énergie, la création d'une plateforme pour les achats communs de gaz ainsi que la fixation d'un prix plafond du gaz. Enfin, a été adopté un cadre en vue d'accélérer la procédure d'octroi de permis et le déploiement de projets dans le domaine des énergies renouvelables.
· Une réforme du marché de l'électricité appelée de leurs voeux par un certain nombre d'États membres qui conserve le principe de la tarification au coût marginal
Composée de trois textes, la réforme du marché européen de l'électricité, présentée le 14 mars 2023 par la Commission européenne, se concentre sur trois objectifs principaux qui visent à accélérer les investissements, en particulier dans les énergies renouvelables, en garantissant un revenu stable aux producteurs, à réduire l'impact de la volatilité des prix des combustibles sur les factures d'électricité des consommateurs, et à les protéger contre les éventuelles prochaines hausses de prix. Il est également prévu d'améliorer la protection de l'Union contre les manipulations du marché de gros de l'énergie. Des recommandations sont aussi formulées en faveur du stockage de l'énergie.
Cette réforme ne modifie pas les fondamentaux de l'organisation du marché européen de l'électricité, qui continue à reposer sur le système actuel de tarification marginale (« merit order »). La Commission européenne n'a pas accédé à la demande de certains États membres qui souhaitaient un découplage total entre le prix du gaz et celui de l'électricité, considérant qu'il était le socle de l'intégration du système électrique européen. L'enjeu de cette réforme est d'encourager la signature de contrats de long terme pour la fourniture d'électricité, et ainsi de favoriser les investissements dans de nouvelles capacités de production, ce qui conduirait à rapprocher le prix de l'électricité de ses coûts réels de production.
3. OBTENIR UNE REFORME PLUS SUBSTANTIELLE ENTRANT EN VIGUEUR RAPIDEMENT
Tout en considérant favorablement la réforme proposée par la Commission européenne, la commission des affaires européennes appelle à en accroître l'ambition en envoyant des signaux de long terme clairs pour assurer la décarbonation du système électrique et encourager ainsi les investissements dans la transition énergétique.
· Le constat d'un impact limité sur les marchés de court terme
En conservant le principe de l'ordre de mérite, la réforme proposée préserve la logique actuelle de fonctionnement du marché. Par conséquent, elle ne devrait pas avoir d'effet immédiat sur les marchés de gros de court terme, d'autant plus qu'elle nécessitera d'être transposée dans les législations des États membres et d'être adaptée aux spécificités nationales.
La proposition de résolution, adoptée par la commission des affaires européennes, souligne aussi la nécessité que cette réforme soit adoptée au plus tôt, et avant la fin du mandat de la Commission européenne. Elle estime, en outre, que ses effets économiques et sociaux doivent être évalués régulièrement pour en mesurer la pertinence.
· Garantir le respect du principe de neutralité technologique et le développement des outils de long terme
Les rapporteurs considèrent que la réforme doit, en effet, permettre de faire bénéficier l'ensemble des consommateurs, ménages, entreprises et collectivités, de la compétitivité de l'électricité nucléaire produite en France. À ce titre, les accords d'achat d'électricité (ou Power Purchase Agreements - PPA) doivent pouvoir être conclus pour la production d'électricité à partir de toutes les sources d'énergies décarbonées, ainsi qu'à partir d'hydrogène quelle que soit son origine, et, par conséquent, couvrir aussi l'énergie nucléaire, en vertu du principe de neutralité technologique. De même, les contrats d'écart compensatoire (ou Contracts for Difference - CfD) doivent pouvoir s'appliquer à tous les investissements réalisés dans la production d'électricité à partir d'énergie nucléaire et de toutes sources d'énergies renouvelables. Ils doivent aussi prendre en compte le cycle de vie des différents actifs.
· Assurer une meilleure protection des consommateurs
Afin de faire face à la volatilité des prix, les rapporteurs estiment que les critères requis, en termes d'intensité et de durée, pour déclarer une situation de crise des prix de l'électricité doivent être moins restrictifs pour permettre l'activation des mécanismes de soutien de façon optimale. Une telle décision doit être du ressort des États membres, et non de la Commission européenne comme elle l'envisage dans sa proposition. Par ailleurs, les interventions publiques ciblées sur l'ensemble des consommateurs finaux en matière de prix devraient pouvoir être assouplies et pérennisées.
Afin de renforcer la protection des consommateurs dans le cadre de la souscription de contrats de fourniture d'électricité, la commission des affaires européennes préconise de rendre optionnelle la souscription à des contrats à tarification dynamique. En outre, en cas d'impayés de facturation par les clients et ménages vulnérables, elle préconise que la baisse de puissance du compteur soit privilégiée aux interruptions de fourniture.
· Respecter le principe de subsidiarité
La commission estime que la réforme doit pleinement respecter le principe de subsidiarité. Dans ce cadre, les États membres doivent voir préservés leurs pouvoirs de régulation et leurs moyens d'action en matière de surveillance des marchés de l'énergie et de lutte contre les abus de marché ainsi qu'en matière d'évaluation des besoins en flexibilité et de définition du champ et des modalités des différents contrats de long terme.
· Encourager le stockage de l'électricité
Dans sa proposition de résolution, la commission des affaires européennes appelle à considérer l'ensemble de la chaîne de valeur des projets de stockage de l'énergie sous toutes ses formes, pour apprécier leur impact, et à intégrer au système énergétique toutes les sources d'énergies décarbonées, en vertu du principe de neutralité technologique.
AVANT-PROPOS
Mesdames, Messieurs,
La crise des prix des énergies, provoquée par la reprise consécutive à l'épidémie de Covid-19, et aggravée par l'invasion de l'Ukraine par la Russie, a eu un impact sur les économies européennes. Elle a aussi mis en lumière les vulnérabilités de l'Union européenne dans le secteur énergétique et les limites du fonctionnement actuel du marché de l'électricité dès lors que l'Union européenne se trouve confrontée à une baisse de l'offre disponible. Elle a, en particulier, occasionné pour les consommateurs, ménages, entreprises et collectivités, une très forte volatilité des prix du gaz et de l'électricité. Cette crise a été d'autant plus forte qu'elle s'est conjuguée avec une baisse de la production d'électricité en France, en raison de l'indisponibilité d'une partie du parc nucléaire et de la ressource hydraulique. Les pays européens ont ainsi été contraints d'adopter des mesures d'urgence pour limiter l'effet des hausses de prix sur les consommateurs finaux. Or ces réponses de court terme sont coûteuses et insuffisantes pour renforcer la compétitivité des entreprises européennes et engager l'Union dans la voie de la transition énergétique et climatique. L'Europe doit assurer sa sécurité d'approvisionnement, réduire sa dépendance aux énergies fossiles et disposer de sources d'énergie décarbonée à un coût abordable, conformément aux engagements du Pacte vert pour l'Europe.
La crise énergétique actuelle a ainsi mis au jour le rôle de l'Union européenne dans le domaine de l'énergie et interrogé l'organisation du marché européen de l'électricité. Le Traité de Lisbonne a, en effet, donné une base juridique à la politique énergétique européenne.
La politique européenne de l'énergie est régie par les articles 114 et 194 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE). Celle-ci vise ainsi, « dans un esprit de solidarité entre les États membres », à assurer le fonctionnement du marché de l'énergie et la sécurité de l'approvisionnement énergétique dans l'Union, et à promouvoir l'efficacité énergétique et les économies d'énergie ainsi que le développement des énergies nouvelles et renouvelables et l'interconnexion des réseaux énergétiques. Toutefois, force est de rappeler que de nombreuses prérogatives restent de la compétence des États membres : les conditions d'exploitation de leurs ressources énergétiques, leur choix entre différentes sources d'énergie et la structure générale de leur approvisionnement énergétique. Ainsi chaque État membre dispose de son propre bouquet énergétique, notamment dans le cadre de sa production d'électricité, dont la composition traduit des stratégies énergétiques très différentes.
Le développement d'un marché intégré européen pour l'électricité, à partir des années 1990 - la directive 96/92/CE du 19 décembre 1996 a posé les principes de l'ouverture à la concurrence du secteur électrique européen -, s'est appuyé sur le déploiement des échanges transfrontaliers, sur l'organisation d'un réseau de régulateurs autonomes au sein de chaque État membre, sur la création de bourses des énergies et sur la fin des monopoles d'État. L'ouverture à la concurrence n'a néanmoins pas empêché de conserver des règles nationales en faveur des opérateurs historiques.
La mise en oeuvre d'un marché intérieur de l'énergie avait plusieurs objectifs : la compétitivité de l'offre, la protection des consommateurs et la lutte contre la précarité. En s'appuyant sur le développement des interconnexions entre pays, ce marché a ainsi contribué à une meilleure coordination des capacités de production, à un essor des capacités de stockage et à la fluidité des échanges transfrontaliers. Il a permis d'assurer la sécurité d'approvisionnement énergétique de l'UE. Le conflit ukrainien a néanmoins montré que cette sécurité n'était pas acquise dès lors que l'Europe avait construit en grande partie son modèle énergétique sur la base d'une dépendance au gaz russe. Par ailleurs, cette crise a mis en évidence que le marché n'était pas en capacité de protéger les consommateurs finaux de la forte volatilité des prix des marchés de gros de l'électricité, et, par conséquent, qu'il fallait en revoir les règles du jeu.
Dans sa résolution du 5 avril 2022 sur le paquet « Ajustement à l'objectif 55 »1(*), le Sénat a ainsi souligné la nécessité d'une réforme en profondeur du marché européen de l'électricité dans le cadre des traités et a rappelé que « le marché intérieur de l'Union constitue un atout fondamental dont l'intégrité doit être préservée ».
Dès l'invasion de l'Ukraine par la Russie, la commission des affaires économiques du Sénat a spécifiquement plaidé pour une révision sans délai du principe du coût marginal régissant le marché de l'électricité2(*), principe qui lie dans les faits le prix de l'électricité à celui du gaz, estimant que « la flambée du gaz fossile russe se répercutera inévitablement sur celle de notre électricité nucléaire décarbonée ». Cette réforme avait déjà été demandée, par cette commission, au début de l'année 2022, dans le cadre du rapport sur la sécurité d'approvisionnement électrique3(*).
Lors du débat au Sénat, le 12 octobre 2022, sur la politique énergétique de la France, la Première ministre, Mme Élisabeth Borne, a rappelé la position défendue à Bruxelles par le Gouvernement, depuis le début de la crise énergétique : « cette crise nous invite à réformer rapidement et en profondeur le marché européen de l'électricité. Nous devons trouver des solutions durables pour offrir aux Européens des prix raisonnables et proches des coûts de production, mais ne soyons pas naïfs : les années à venir seront difficiles, notamment en matière d'approvisionnement en gaz ».
Après avoir apporté des réponses fluctuantes à cette demande, qui était appuyée par une majorité d'États membres, la Commission européenne a finalement estimé nécessaire une réforme du marché européen de l'électricité. Ainsi, le 30 août 2022, pour répondre aux inquiétudes des consommateurs européens face à la flambée des prix de l'énergie, la présidente de la Commission européenne, Mme Ursula von der Leyen, a annoncé que l'Union européenne préparait « une intervention d'urgence et une réforme structurelle du marché de l'électricité »4(*). Cet engagement a été confirmé lors de son discours sur l'état de l'Union devant le Parlement européen, le 14 septembre 2022, dans lequel elle a plaidé pour une réforme en profondeur de l'organisation du marché européen de l'électricité : « Mais tout en nous occupant de la crise immédiate, nous devons aussi penser à l'avenir. La conception actuelle du marché de l'électricité, basée sur l'ordre de préséance, ne rend plus justice aux consommateurs. Ils devraient récolter les fruits des énergies renouvelables à bas coût. Il faut donc découpler les prix de l'électricité de l'influence dominante du gaz. C'est pourquoi nous allons entreprendre une réforme complète et en profondeur du marché de l'électricité ».
Après avoir mené une consultation publique, du 23 janvier au 13 février 2023, la Commission européenne a présenté, le 14 mars 2023, ses propositions pour réformer le marché européen de l'électricité.
Cette réforme est d'autant plus urgente et indispensable que le marché intérieur de l'énergie joue un rôle central pour atteindre les objectifs du Pacte vert pour l'Europe.
I. L'UNION EUROPÉENNE FACE À UNE CRISE ÉNERGÉTIQUE D'UNE AMPLEUR INÉDITE
À partir de l'automne 2021, les économies européennes ont été confrontées à une hausse particulièrement forte des prix des énergies fossiles. Les prix de gros du gaz et de l'électricité se sont envolés à des niveaux jamais atteints auparavant. Les conséquences ont été d'autant plus fortes que l'Union européenne était très dépendante des énergies fossiles, et en particulier du gaz russe.
A. UNE CRISE DE L'APPROVISIONNEMENT QUI A SOULIGNÉ LA DEPENDANCE DES ÉCONOMIES EUROPÉENNES AU GAZ RUSSE
L'année 2021, avec la reprise économique très rapide qui a suivi la crise de la Covid-19, a été marquée par de fortes tensions sur l'approvisionnement en ressources énergétiques au niveau mondial. Cette situation a provoqué une hausse inédite et historique des prix des énergies, mettant en avant les enjeux de souveraineté et de sécurité énergétiques. La réduction de la livraison de gaz par la Russie à l'Union européenne, dès les derniers mois de 2021, puis en représailles des sanctions adoptées par l'UE, suite à l'invasion de l'Ukraine en février 2022, a contribué à aggraver la situation et a eu des répercussions directes sur les marchés.
Les économies européennes ont ainsi pris conscience de leur vulnérabilité et de leur dépendance à l'égard des livraisons de gaz russe en particulier. Avant cette crise, neuf États membres de l'UE dépendaient de la Russie pour plus de 75 % de leurs importations de gaz5(*). Dans ce contexte de pénurie et de risque de rupture d'approvisionnement, les pays européens ont aussi accéléré leurs achats de gaz pour constituer des stocks dans la perspective de l'hiver 2022/2023, ce qui a encore accentué les tensions sur l'offre de gaz disponible.
Les importations de gaz russe de l'Union européenne par gazoduc ont ainsi chuté de près de 50 % au cours de l'année 2022 et ne représentent plus aujourd'hui qu'environ 8 % des importations européennes de gaz, contre 40 % en moyenne auparavant. Cette baisse a été compensée par une augmentation des importations de GNL, en particulier en provenance des États-Unis.
Lors de la table ronde, organisée le 2 mars 2023 par la commission des affaires européennes du Sénat, sur l'Europe face à la nouvelle géopolitique de l'énergie, M. Yves Jégourel, professeur titulaire de la chaire Économie des matières premières du Conservatoire national des arts et métiers, a fait observer que « depuis la guerre en Ukraine, il a fallu remplacer au plus vite les 167 milliards de mètres cubes de gaz en provenance de Russie, et l'Europe n'avait pas d'autre choix que de se tourner vers le GNL, et majoritairement le GNL américain »6(*). La France est d'ailleurs devenue le premier importateur de GNL américain. Les pays exportateurs de ce type de gaz ont ainsi renforcé leurs positions à l'égard de l'Europe, tant en termes de volumes que de prix. Force est de remarquer que la Russie continue de livrer du GNL à l'Europe même si ces importations sont en recul après avoir progressé au cours de l'année 2022.
La baisse importante de la disponibilité du parc nucléaire français sur cette même période, avec la mise à l'arrêt de près de la moitié des réacteurs nucléaires pour maintenance ou en raison de problèmes de corrosion, ainsi que la vague de chaleur exceptionnelle qu'a connue l'Europe au cours de l'été 2022 et qui a affecté la production hydroélectrique et nucléaire, ont aussi eu un impact important sur la production électrique française, qui a connu son niveau le plus bas depuis 19927(*) et, par conséquent, sur les prix de gros de l'électricité en France.
Ainsi, depuis novembre 2021, et jusqu'en décembre 2022, à l'exception des mois de février et de mai 2022, la France est devenue importatrice nette d'électricité, principalement en provenance d'Allemagne, de Belgique, du Royaume-Uni et d'Espagne, alors qu'elle était précédemment largement exportatrice, comme le relève RTE dans son rapport mensuel pour les mois de juillet-août 2022 : « habituellement exportatrice sur les mois estivaux, la France est cette année importatrice nette avec des niveaux d'import jamais atteints auparavant en été »8(*). Ses importations ont ainsi été en hausse de 178 % au troisième trimestre 2022. Le manque de moyens de production pilotables et l'absence d'investissements dans le nucléaire qui sont le résultat de dix ans de tergiversations ont contraint la France à importer de l'électricité produite à partir du gaz et du charbon. Le système d'interconnexions entre pays européens a toutefois permis d'assurer la sécurité de l'approvisionnement en électricité de l'ensemble des États membres.
L'agrégation de ces différents facteurs a engendré des fluctuations de marchés et la volatilité des prix de l'énergie. Lors de son audition par les rapporteurs, le syndicat des Entreprises locales d'énergies (ELE) a, d'ailleurs, souligné que « la crise actuelle a des causes bien identifiées, qui ne sont pas en rapport avec le marché concurrentiel européen ».
La situation s'est nettement améliorée au cours de l'année 2023 et plusieurs facteurs sont à nouveau « orientés de manière favorable », comme le fait observer une récente analyse de RTE : « L'année 2023 voit la situation s'améliorer nettement et se rapprocher progressivement de la normale pour l'approvisionnement en électricité ».9(*)
Cette crise de l'offre pourrait toutefois se poursuivre durablement et l'Europe, selon l'Agence internationale de l'énergie (AIE), pourrait être confrontée, à l'été 2024, à un déficit important de gaz fossile, en cas d'arrêt complet des livraisons de gaz russe par gazoduc et de reprise des importations chinoises de gaz naturel liquéfié (GNL)10(*).
B. QUI S'EST TRADUITE PAR UNE ENVOLÉE DES PRIX SUR LES MARCHÉS DE GROS DU GAZ ET DE L'ÉLECTRICITÉ
Les prix du gaz naturel sur les marchés de gros ont commencé à augmenter très significativement, en Europe, à partir du deuxième semestre 2021, avec des disparités très fortes en fonction des Etats membres. Ils ont ainsi atteint des niveaux historiques au cours de la dernière quinzaine du mois d'août 2022, supérieurs de plus de 1 000 % par rapport aux prix moyens observés lors de la décennie précédente. Le choc inflationniste a été d'autant plus fortement ressenti que les prix du gaz étaient relativement stables depuis plus de dix ans.
Prix du gaz naturel sur le marché « Title Transfer Facility » (TTF)
Source :
ACER
Toutefois, la situation s'est améliorée, à partir de l'automne 2022, et les cours du gaz ont diminué très fortement au premier trimestre 2023 pour revenir à un niveau similaire à celui du troisième trimestre de l'année 2021, en raison de conditions météorologiques clémentes, d'un approvisionnement en gaz naturel liquéfié (GNL) soutenu et d'un bon niveau de stockage. La consommation de gaz en Europe a, par ailleurs, diminué et l'offre est actuellement supérieure à la demande. La volatilité journalière des prix sur les marchés de gros reste néanmoins importante et devrait persister, notamment en raison du développement des énergies renouvelables non pilotables et du recours aux sources d'énergies fossiles jusqu'en 2050.
Comme l'ont confirmé les différentes personnes auditionnées par les rapporteurs, les années à venir devraient être encore caractérisées par une extrême volatilité des prix du gaz sur les marchés de gros.
Cette envolée des prix du gaz s'est aussi répercutée sur les prix de l'électricité à partir du dernier semestre 2021, en raison du rôle joué par le gaz dans la formation des prix de l'électricité. Entre le printemps 2020 et la fin septembre 2022, le prix de marché de l'électricité, échangée sur le marché SPOT, est passé de moins de 20 euros à plus de 300 euros par mégawattheure, soit une multiplication par 15. Au mois d'août 2022, le prix de l'électricité sur le marché de gros français a augmenté de 98 % par rapport au mois de juin, pour atteindre en moyenne 492, euros par mégawattheure. Le pic journalier a été atteint le 30 août avec 743,8 euros par mégawattheure, ce qui constitue son plus haut niveau historique.
Évolution du prix spot moyen hebdomadaire
de l'électricité en France
entre septembre 2021 et janvier
2023
Source : RTE / Données EPEX
Pour les consommateurs résidentiels, les prix de détail de l'électricité dans l'Union européenne ont progressé de 44 % entre mai 2021 et mai 2022, et ont poursuivi leur progression au second semestre 2022, atteignant en moyenne 28,4 euros pour 100 kWh, le prix le plus élevé jamais observé11(*). Cette augmentation a concerné la quasi-totalité des États membres de l'UE. Certains ont connu de très fortes hausses, à l'exemple de la Roumanie, de la Tchéquie, du Danemark ou des pays Baltes.
C. ET QUI A CONDUIT LES ETATS MEMBRES À ADOPTER EN URGENCE DES MESURES DE PROTECTION DES CONSOMMATEURS
En se répercutant sur les prix de détail, l'envolée des prix de gros de l'électricité et du gaz a eu un impact conséquent sur le pouvoir d'achat des ménages, la rentabilité des entreprises, plus particulièrement les industries électro-intensives, et les finances des collectivités territoriales. La hausse des prix de l'énergie a ainsi eu un effet inflationniste général dans l'ensemble des pays européens.
Afin d'atténuer les conséquences sociales et économiques de la flambée des prix de l'énergie dans l'Union européenne, la Commission européenne a proposé aux Vingt-Sept, dès le 13 octobre 2021, une « boîte à outils »12(*) de mesures ciblées sur les ménages et les entreprises, pouvant être instaurées au niveau national, tout en respectant les règles européennes de la concurrence.
Force est de rappeler qu'il n'existe plus de tarif réglementé pour l'électricité dans la plupart des pays de l'Union, la France faisant figure d'exception. Les prix supportés par le consommateur final sont fixés par les fournisseurs qui intègrent les différents coûts dans des conditions concurrentielles. En Espagne, par exemple, les contrats sont indexés sur les prix Spot journaliers.
La plupart des gouvernements européens ont donc progressivement mis en place des mesures visant à protéger les ménages et les entreprises de la flambée des prix de l'énergie. Ces mesures peuvent être classées en plusieurs catégories :
- la réduction de taxes et de redevances du système ;
- des aides ciblées sur les ménages les plus vulnérables et sur les entreprises ;
- des mesures d'économies d'énergie, en particulier dans les secteurs du chauffage et des transports ;
- des réglementations sur les prix de détail.
Selon les données recueillies par le think-tank Bruegel, entre le début de la crise énergétique, en septembre 2021, et octobre 2022, 573 milliards d'euros ont été alloués et affectés dans les États membres pour protéger les consommateurs de la hausse des coûts de l'énergie.
Pour sa part, le Gouvernement français a mis en place, dès le 1er novembre 2021, des boucliers tarifaires afin de limiter l'impact de la hausse des prix de l'énergie sur les factures de gaz et d'électricité des consommateurs, ménages et entreprises. Initialement prévus jusqu'en décembre 2022 pour le gaz et jusqu'au 1er février 2023 pour l'électricité, les boucliers ont été prolongés en 2023 et de nouvelles dispositions ont aussi été introduites, limitant la hausse des tarifs réglementés du gaz et de l'électricité, à compter du 1er janvier et du 1er février 2023, à 15 %, contre respectivement 0 % et 4 % en 2022 ; pour les clients en offre de marché dont le prix était indexé sur les tarifs réglementés, l'augmentation était également limitée à 15 % jusqu'à la fin du premier semestre 2023. L'ensemble des ménages, les copropriétés, les logements sociaux, les petites entreprises et les plus petites communes étaient éligibles à ces boucliers tarifaires. Selon le Gouvernement, sans ces mesures, les tarifs réglementés du gaz et de l'électricité auraient augmenté de 120 % sur la période de référence13(*).
Dans le cadre de la loi de finances pour 2023, le Gouvernement a aussi décidé la mise en place, à partir du 1er janvier, et jusqu'au 31 décembre 2023, d'un nouveau dispositif d'aide, sous conditions, dénommé « Amortisseur électricité », pour les entreprises et les collectivités territoriales qui n'étaient pas éligibles au bouclier tarifaire. L'État prend alors en charge une partie de la facture d'électricité dès lors que le tarif souscrit dépasse un certain niveau de prix.
II. UN FONCTIONNEMENT DU MARCHÉ EUROPÉEN DE L'ÉLECTRICITÉ QUI A MONTRÉ SES LIMITES EN TEMPS DE CRISE
Le 24 septembre 2021, le ministre de l'économie et des finances, M. Bruno Le Maire déclarait : « Le marché unique européen de l'électricité ne marche pas, il est aberrant », critiquant ses règles « obsolètes ». La flambée des prix de l'électricité a, en effet, suscité des interrogations et des inquiétudes sur l'efficacité de la conception actuelle du marché européen de l'électricité, plus particulièrement concernant le système de tarification, même s'il a semblé assurer une allocation optimale des ressources puisqu'il a couvert les besoins en électricité à l'échelle de l'Union.
A. LA FORMATION DES PRIX DE L'ÉLECTRICITÉ SUR LE MARCHÉ DE GROS : LE PRINCIPE DU « MERIT ORDER » EN QUESTION
Depuis le début de la crise énergétique, le mécanisme de fixation des prix sur le marché de gros de l'électricité a fait l'objet de nombreuses critiques parmi les États membres, et en particulier de la France, l'estimant responsable de l'envolée des prix de l'électricité. Nombre de pays européens ont ainsi appelé à revoir la structuration de ce mécanisme.
Alors que le gaz entre pour une part très faible dans les coûts de production de l'électricité en France, son prix influence largement celui de l'électricité. Ceci s'explique par le fait que les prix sur les marchés de gros de l'électricité dans l'Union européenne sont fixés par la dernière centrale électrique appelée pour répondre à la demande, qui est le plus souvent une centrale à gaz ou à charbon. Force est de rappeler que l'électricité n'est pas stockable, ce qui en fait un bien à part en termes d'ajustement de l'offre et de la demande.
Le marché européen de l'électricité est ainsi régi par ce principe du « merit order », reposant sur un coût marginal de production croissant. Le coût marginal est le coût de production d'une unité supplémentaire d'électricité (combustible - qui peut être inexistant, donc à un coût nul dans le cas des énergies renouvelables, à l'exception de la biomasse, frais opérationnels et d'entretien), indépendamment des frais fixes (amortissements, coûts fixes d'entretien et d'exploitation, etc). Sachant que la production d'électricité relève de technologies très différentes et substituables, la priorité est ainsi donnée aux offres de production les moins chères, et en général les plus propres, pour répondre à la demande. Les prix peuvent donc être très faibles, voire négatifs, en cas de faible consommation et de forte production d'énergies renouvelables. Des épisodes de prix négatifs sont ainsi apparus à la fin des années 2000. Comme le relève RTE, dans son bilan pour l'année 2020, « la baisse de consommation durant la période de confinement entraîne une hausse du nombre de prix négatifs en France qui atteint 102 occurrences, un niveau bien supérieur à ce qui avait été observé les années passées. Le prix français descend jusqu'à 75,8 €/MWh le lundi 13 avril. Ce jour-là, la consommation est faible (lundi de Pâques) et les productions éolienne et solaire importantes en Europe ».
L'électricité de base est fournie par les centrales capables de produire de façon continue d'importantes quantités d'électricité et bénéficiant d'économies d'échelle. C'est notamment le cas de celles fonctionnant sur l'hydroélectricité et le nucléaire. Sont ensuite employées, pour satisfaire les variations de fond de la demande, notamment pendant la période hivernale, les centrales de semi-base, lesquelles fonctionnent plusieurs mois par an. Pour répondre aux pics de consommation ponctuels et pour maintenir l'équilibre du réseau, des centrales additionnelles (gaz, charbon) sont mises en fonctionnement. Celles-ci présentent des coûts marginaux de production plus importants, principalement déterminés par le coût du combustible utilisé, contribuant à faire augmenter le prix de l'électricité. Le graphique ci-après présente le classement des différents moyens de production en fonction de leur coût marginal. Le prix s'établit donc au niveau de la dernière centrale appelée qui fonctionne avec des énergies fossiles, ce qui apparaît paradoxal pour la France qui dispose d'un parc électrique décarboné particulièrement compétitif. En cas de hausse du prix du gaz, les producteurs d'électricité connaissent une augmentation de leurs coûts qui se répercute sur les prix de l'électricité.
Source : Engie
En l'absence de possibilité de stockage à grande échelle, le prix de l'électricité connaît donc des variations saisonnières, journalières et horaires, qui peuvent être très importantes, en fonction de l'offre de production et de la demande de consommation. En France, le 14 novembre 2023, par exemple, le prix du MWh sur le marché de gros était de 124 euros à 3 heures et est monté à 256 euros à 17 heures.
Ce modèle de construction des prix a été théorisé dans les années 1950, bien avant la création du marché européen de l'électricité, par l'économiste Marcel Boiteux14(*), qui a dirigé l'entreprise EDF de 1967 à 1987, pour servir de base au calcul du tarif réglementé de l'électricité dans le cadre du monopole public : « vendre au prix de revient, et plus précisément, au prix de revient marginal, de telle manière que les choix effectués par les usagers entre les différentes formes d'énergies et les divers modes d'utilisation soient orientés en fonction du coût de la fourniture pour la collectivité ». Le modèle avait ainsi été conçu comme une incitation à arbitrer les choix de consommation.
En outre, la prime assurantielle en matière de détermination des prix sur les marchés de gros a aussi pris une ampleur importante, notamment en France. « Ces prix à terme incluent des primes de risques qui paraissent très élevées par rapport à une anticipation raisonnable des prix journaliers, que les acteurs souhaitant couvrir leur exposition aux prix de marché sont prêts à payer, comme la CRE l'avait indiqué dans sa communication du 26 juillet 2022. L'écart de prix France-Allemagne des contrats à terme livrés pendant l'hiver 2022-2023 révèle particulièrement ce phénomène et reflète un doute significatif des acteurs de marché vis-à-vis de la disponibilité annoncée du parc nucléaire »15(*).
Lors de la table ronde sur le marché de l'électricité, organisée au Sénat16(*), M. Jacques Percebois, professeur émérite à l'Université de Montpellier 1 et directeur du Centre de recherche en économie et droit de l'énergie (Creden), a également fait observer que « le prix d'équilibre sur le marché de gros est souvent supérieur au coût marginal de la centrale à gaz. Il y a donc, à la fois, une prime de risque et quelques spéculations. Il est très difficile de savoir quelle est la part qui relève de ces deux observations, mais le prix de l'électricité, corrélé au prix du gaz, est souvent très supérieur au coût marginal, ce qui explique que le prix de gros, en France, soit supérieur à ce qu'on trouve dans d'autres pays, notamment en Allemagne ».
Cette considération a, d'ailleurs, été formulée par RTE dans ses perspectives pour la sécurité d'approvisionnement en électricité pour l'été, l'automne et l'hiver 2023. L'étude souligne ainsi que la corrélation entre les prix du gaz et de l'électricité ne suffit pas à expliquer le niveau des prix de l'électricité sur les marchés à terme en France, qui se situent à des niveaux très élevés pour l'hiver prochain et le début de l'année 2024 mais que ce niveau révèle « l'existence, sur les marchés, d'une prime de risque spécifique », qui a notamment été mise en évidence au cours du dernier trimestre 2022. Or, selon RTE, « cette déconnexion [entre les niveaux de prix et les fondamentaux réels du système] constitue aujourd'hui un problème majeur, de nature à diminuer la confiance des acteurs économiques et perturber la stratégie de décarbonation »17(*).
B. UN MARCHÉ DE L'ÉLECTRICITÉ ESSENTIELLEMENT ORIENTÉ VERS DES SIGNAUX DE COURT TERME
C'est la libéralisation du secteur de l'électricité qui a conduit à la création de marchés de gros qui organisent les échanges et concourent à la formation d'un prix de marché. Le fonctionnement du marché est donc commandé par des stratégies de court terme.
Les transactions peuvent se faire :
- de gré à gré direct (en bilatéral) ;
- de gré à gré intermédié (via un courtier) ;
- sur des bourses.
Elles peuvent être uniquement financières ou conduire à une livraison physique sur le réseau.
Le marché européen de gros de l'électricité est structuré en deux catégories :
- les contrats à terme qui peuvent être annuels, trimestriels, mensuels, hebdomadaires ou journaliers. Les acteurs du marché du gaz signent des contrats de vente ou d'achat de gaz pour fourniture dans les mois, trimestres, saisons ou années à venir, à un prix ferme négocié à la date du contrat. Ils se basent sur une anticipation de la moyenne des prix Spot pour la période concernée. Ils permettent de sécuriser la base des prix payés par les clients finaux et d'être au plus proche de la demande de consommation ;
- le marché Spot qui repose sur des enchères journalières, qui permettent de fixer un prix le jour J pour le lendemain et d'ajuster les contrats de long terme au plus près de la livraison d'électricité. Les acteurs de marché ont l'obligation d'équilibrer leur portefeuille. Tant que les limites de l'interconnexion ne sont pas atteintes, l'écart de prix entre les pays est nul. En revanche, une capacité d'échange insuffisante crée une différence de prix entre les marchés de gros nationaux. Ces enchères sont réalisées sur différentes plateformes européennes de bourses. Les deux principales bourses qui opèrent notamment sur le marché de l'électricité en Europe sont EPEX Spot et Nord Pool Spot.
Les prix des produits à terme sont moins volatiles que les prix Spot. Les signaux de prix observés sur ces marchés ne sont en aucun cas déterminés, même en partie, par les coûts de production moyens de l'électricité. Ils reflètent des éléments de contexte ou d'anticipation, liés à la situation géopolitique et à la sécurité d'approvisionnement énergétique. Sans remettre en cause les fondamentaux de ce fonctionnement actuel du marché, il faudrait pouvoir disposer d'un marché moins soumis aux fluctuations de très court terme et plus cohérent avec les coûts réels de production, en y intégrant des signaux de long terme.
Les contrats à long terme, de gré à gré, qui existent déjà et qui font l'objet, à l'heure actuelle, d'un examen par la Commission européenne (Contract for différence (CfD), contrat en complément de rémunération, ou Power Purchase Agreement (PPA), contrat d'achat d'électricité) doivent permettre aux acteurs de disposer de visibilité et de perspectives de long terme. Les différentes personnes auditionnées par les rapporteurs ont souligné la nécessité d'encourager le développement de ces contrats pour financer les investissements dans la production d'électricité décarbonée, que ce soit les Contracts for difference (CfD) ou les Power purchase agreement (PPA). Ces contrats doivent contribuer à la stabilisation des prix de l'électricité à long terme. Comme l'a fait remarquer M. Laurent Ménard, directeur des affaires économiques et financières de la Commission de régulation de l'énergie (CRE), « si vous voulez investir dans une production d'électricité, que ce soit du renouvelable, du nucléaire ou même des moyens thermiques, vous avez besoin d'une visibilité des recettes que le marché à terme ne fournit pas aujourd'hui »18(*).
Or le cadre actuel du marché européen de l'électricité n'a pas permis le développement d'outils de couverture à long terme en raison d'un manque d'incitation à y souscrire, tant pour les consommateurs que pour les fournisseurs. Il ne crée pas des conditions favorables à encourager les investissements dans les installations de production d'électricité décarbonée, qui ne peuvent se développer aujourd'hui sans bénéficier d'un soutien public, et dans l'électrification des usages et des procédés.
C. LE COUPLAGE DES MARCHÉS, GARANT DE LA SÉCURITÉ D'APPROVISIONNEMENT
Comme l'a souligné M. Laurent Ménard, directeur des affaires économiques et financières de la Commission de régulation de l'énergie (CRE), « le marché est un outil essentiellement dédié à l'organisation des échanges avec les autres pays »19(*).
Le couplage des marchés de l'électricité, qui a été progressivement réalisé depuis 2006 et qui repose sur les interconnexions entre pays européens, permet d'améliorer l'efficacité du système électrique européen et de mutualiser les moyens de production complémentaires ainsi que les besoins en électricité, en ajustant l'offre et la demande sur l'ensemble des marchés couplés. Le marché contribue ainsi à assurer la sécurité d'approvisionnement du continent européen. Il a également permis de faire bénéficier les consommateurs de tarifs abordables, jusqu'à la crise des prix de l'énergie qui s'est déclenchée à l'automne 2021. En effet, « son rôle est de s'assurer que les interconnexions sont utilisées du pays où l'électricité est la moins chère vers celui où elle est la plus chère. Le couplage de marché fait correspondre aux offres d'achat des pays concernés les moyens de production les moins chers de l'ensemble de la zone. Les besoins en électricité de chaque pays sont ainsi satisfaits au moindre coût »20(*).
Lors de la table ronde au Sénat sur le marché européen de l'électricité, M. Jean-Michel Glachant, professeur à l'Institut universitaire européen (EUI) de Florence, président de l'Association internationale des économistes de l'énergie, a fait observer que « c'est le couplage des marchés nationaux qui est le coeur des échanges européens et qui a été enrichi d'un grand nombre de codes européens de réseaux conçus par l'Association européenne des transporteurs, en dialogue avec l'Agence européenne de coopération des régulateurs de l'énergie. Ce mode de fonctionnement est pragmatique et empirique. Il a été élaboré sur plus de dix ans et ce travail se poursuit »21(*).
Le réseau européen interconnecté
Le réseau de transport d'électricité européen interconnecté permet d'acheminer les flux d'énergie à travers l'Europe. Ce réseau est nécessaire pour assurer la sécurité d'approvisionnement, la création d'un marché européen de l'électricité et l'intégration des énergies renouvelables. Il relie 35 pays qui s'échangent de l'électricité à travers le continent.
Les interconnexions permettent également de mutualiser les moyens de production et de tirer parti efficacement des complémentarités énergétiques du territoire européen. En effet, l'énergie solaire principalement présente dans le Sud de l'Europe, l'éolien offshore au Nord et l'hydraulique en Scandinavie et dans les Alpes pourront irriguer l'ensemble des pays européens.
Avec la création d'un marché européen de l'électricité, les interconnexions permettent à un fournisseur d'électricité de vendre son énergie à un client situé dans un autre pays de l'Union européenne. Elles constituent ainsi le support physique du fonctionnement des marchés qui permet l'optimisation du parc de production (classique ou renouvelable) à l'échelle européenne.
En France, les interconnexions, ce sont 48 lignes sur 6 frontières.
Source : RTE
Le développement des interconnexions a ainsi permis de renforcer et d'accroître les capacités d'échanges entre les différents pays européens tout en sécurisant l'approvisionnement en électricité à l'échelle du continent. La Commission de régulation de l'énergie a d'ailleurs indiqué dans un rapport, publié en 2020, sur les interconnexions électriques et gazières que « les interconnexions sont ainsi devenues des liaisons entre zones de marché au service de l'optimisation du système énergétique européen, tant du point de vue économique, environnemental que de celui de la sécurité d'approvisionnement ».
L'Agence de coopération des régulateurs de l'énergie (ACER) estime que les interconnexions entre États membres permettent de générer des gains de l'ordre de 34 milliards d'euros par an. Elles constituent la pierre angulaire du marché européen et contribuent à une utilisation optimale des capacités de production des pays européens. Selon les données communiquées aux rapporteurs, l'intégration de la France au marché européen de l'électricité lui permet d'éviter ainsi près de quarante jours de coupure par an et d'économiser l'équivalent de la production d'environ dix centrales nucléaires ou vingt-quatre centrales à gaz. Ce système a été d'autant plus essentiel au cours de l'hiver 2022/2023 lorsqu'une partie du parc nucléaire français a été mise à l'arrêt pour des opérations de maintenance. Il permet également de vendre le surplus français de production d'électricité aux pays européens voisins.
L'allocation optimale des ressources est donc assurée selon le principe de la capacité marginale qui garantit l'appel des centrales les moins coûteuses d'Europe à chaque instant afin de couvrir la demande et, par conséquent, l'équilibre du réseau interconnecté.
En ce sens, selon les personnes auditionnées par les rapporteurs, le marché européen de l'électricité a permis de garantir la résilience du système électrique face à une crise d'une ampleur inédite. Il apparaît que le marché n'a pas dysfonctionné mais que ses règles du jeu sont apparues insuffisantes pour protéger les consommateurs finaux en temps de crise en raison de l'extrême volatilité des prix de l'énergie et ne permettent pas de faire bénéficier les consommateurs français de la compétitivité du coût de production de l'électricité en France.
D. « L'EXCEPTION IBÉRIQUE », MÉCANISME AUTORISÉ TEMPORAIREMENT PAR LA COMMISSION EUROPÉENNE
Confrontés à une augmentation très importante du prix de l'électricité, l'Espagne et le Portugal ont formulé, dès septembre 2021, un certain nombre de propositions auprès de la Commission européenne pour engager une réforme des marchés de l'énergie.
Ces deux pays ont, par ailleurs, négocié avec la Commission européenne la possibilité de mettre en oeuvre un mécanisme dérogatoire leur permettant d'intervenir sur les marchés de l'électricité. En mai 2022, ils sont ainsi parvenus à conclure avec elle un accord, qui a permis de faire baisser le prix de l'électricité dans la péninsule ibérique, en le dissociant du prix du gaz.
Cette « exception ibérique » a été autorisée par la Commission européenne en raison de la situation particulière de ces deux Etats membres au niveau européen en matière énergique, caractérisée par le poids important des énergies renouvelables dans leur mix énergétique, le manque de moyens de production pilotables, autres que les centrales à gaz, et la faiblesse des interconnexions avec le réseau européen, avec un taux de l'ordre de 3 % (l'Espagne n'est interconnectée qu'avec le Portugal et la France).
Ce mécanisme d'intervention sur le marché de l'électricité, entré en vigueur le 15 juin 2022, pour une période de douze mois, puis prolongé jusqu'à la fin de l'année 2023, permet de limiter entre 55 et 65 euros en moyenne le tarif du kilowatt/heure (kWh) dans ces deux pays. L'État doit, en conséquence, verser aux fournisseurs de gaz la différence entre leur coût de production et le prix de marché, en finançant cette compensation par une taxe sur les bénéfices extraordinaires réalisés par les compagnies électriques grâce à la hausse des prix.
Ce régime dérogatoire a eu un impact significatif sur les prix de marché en Espagne et au Portugal, en limitant l'effet de la volatilité du prix du gaz sur celui de l'électricité. En intervenant sur le prix du gaz, sans remettre en cause le « merit order », il permet, par conséquent, de modifier le prix final de l'électricité. Les prix dans ces deux États membres ont donc été significativement inférieurs à ceux des autres pays européens depuis la mise en oeuvre de « l'exception ibérique », en particulier au cours du second semestre 2022.
En outre, le prix de l'électricité étant moins cher en Espagne qu'en France, cela a eu pour effet d'augmenter les exportations d'électricité de l'Espagne vers la France, mais aussi d'accroître la consommation de gaz en Espagne. Ce mécanisme tend, en effet, à effacer tout signal prix à l'égard du consommateur, qui est pourtant un élément fort d'incitation à la sobriété énergétique.
Un tel mécanisme apparaît comme une solution temporaire, difficilement duplicable à l'ensemble des États membres, et susceptible d'intéresser surtout les pays produisant peu d'électricité à partir du gaz. Pour M. Didier Holleaux, président de l'Union européenne de l'industrie du gaz naturel (Eurogas), « le mécanisme ibérique est beaucoup plus cher qu'il n'y paraît. Il a pu fonctionner dans le contexte ibérique parce que les échanges tant de gaz que d'électricité avec le reste du marché sont limités. Il serait très difficile à appliquer à l'échelle européenne, et on n'en connaît pas très bien l'impact sur les prix. Nous le considérons donc avec une extrême prudence, à cause de ses effets de bord et de son coût, qui serait probablement très élevé pour l'État »22(*). De nombreux États membres ont, en effet, exprimé leurs fortes réticences à l'égard de ce mécanisme.
III. LES RÉPONSES APPORTÉES EN URGENCE PAR LA COMMISSION EUROPÉENNE À LA CRISE ÉNERGÉTIQUE
Afin de tenter de maîtriser la flambée des prix des énergies, en particulier du gaz et de l'électricité, la Commission européenne a proposé un certain nombre de mesures d'urgence, dès le début de la crise, qui ont été adoptées par le Conseil. La réforme du marché de l'électricité n'a finalement été mise en chantier qu'à partir du printemps 2023, après avoir été précédée d'une consultation publique de quelques semaines.
Le plan REPowerUE, présenté le 18 mai 2022, en réponse à l'invasion de l'Ukraine par la Russie, vise « à réduire la dépendance de l'UE au gaz russe de deux tiers avant la fin de l'année » et à « rendre l'Europe indépendante des combustibles fossiles russes bien avant 2030 »23(*). Trois axes ont ainsi été définis : économiser l'énergie, produire de l'énergie propre et diversifier les approvisionnements énergétiques. Les investissements supplémentaires sont évalués à 210 milliards d'euros d'ici 2027, mais le plan tend également à permettre d'économiser « 80 milliards d'euros de dépenses d'importation de gaz, 12 milliards d'euros de dépenses d'importation de pétrole et 1,7 milliard d'euros de dépenses d'importation de charbon par an d'ici à 2030 ».
Dans ce nouveau contexte économique et géopolitique, plusieurs règlementations ont été adoptées selon la procédure d'urgence, prévue par l'article 289, paragraphe 2, du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE).
A. DES MESURES DE COURT TERME POUR LIMITER L'IMPACT DE LA HAUSSE DES PRIX DE L'ÉNERGIE ET ASSURER LA SÉCURITÉ ÉNERGÉTIQUE DE L'UNION
La Commission européenne a proposé des mesures d'urgence et de nouveaux mécanismes de solidarité pour maîtriser, à très court terme, la flambée des prix de l'énergie dans l'Union européenne.
Le 24 juin 2022, l'Union européenne a ainsi décidé d'objectifs de remplissage des installations de stockage souterrain de gaz dans les États membres : au moins 80 % des capacités avant le début de l'hiver 2022/2023 et 90 % avant le début des hivers suivants24(*). La campagne de remplissage des installations de stockage de gaz, en prévision de l'hiver 2022/2023, s'est achevée, en novembre, avec un niveau de stockage supérieur à 95 %25(*) à l'échelle de l'Union. Ce taux n'était que de 87,43 % en 2017. Sur les dix-huit pays de l'UE qui disposent de capacités de stockage de gaz, seul un pays n'avait pas atteint l'objectif de 80 % fixé par le règlement européen ; il s'agit de la Lettonie (60,06 % au 14 novembre 2022). Sept États membres ont même atteint des niveaux proches de 100 % dont la France (99,19 %) et l'Allemagne (99,95 %). En France, les fournisseurs ont constitué plus de 132 TWh de réserves de gaz, ce qui représente de l'ordre des deux tiers de la consommation hivernale des petites et moyenne entreprises et des particuliers. Il faut souligner que cette mesure a, d'abord, bénéficié aux pays qui étaient les plus dépendants du gaz russe. Au 2 juillet 2023, le niveau de remplissage des stocks de gaz dans l'UE atteint près de 78 % des capacités de stockage et est d'environ 60 % pour la France. Ce niveau est plus élevé que la moyenne de ces dernières années (59 % au 2 juillet 2022 ; 48 % au 2 juillet 2021 et 73 % au 2 juillet 2019).
Le 4 août 2022, les États membres se sont engagés à réduire de 15 % leur demande de gaz, par rapport à leur consommation moyenne au cours des cinq dernières années, du 1er août 2022 au 31 mars 202326(*). Il s'agissait de réaliser des économies pour l'hiver 2022/2023 afin de faire face à d'éventuelles perturbations de l'approvisionnement en gaz en provenance de Russie. Cet objectif a été reconduit pour la période comprise entre le 1er avril 2023 et le 31 mars 2024. Il est également prévu qu'en cas de risque important de pénurie et après avoir consulté les États membres, la Commission puisse déclencher une « alerte de l'Union », qui rendrait obligatoire la réduction de la demande de gaz. La consommation de gaz a ainsi baissé de près de 18 % au cours de la période août 2022-mars 2023, par rapport à la moyenne des cinq dernières années27(*). La France a enregistré une baisse de 17 % sur cette même période. Seuls quelques pays n'ont pas atteint l'objectif fixé par l'UE, à savoir l'Irlande, l'Espagne, la Slovénie, la Slovaquie, la Pologne, la Belgique ainsi que Malte qui a, pour sa part, connu une progression de sa consommation de gaz.
Le 6 octobre 2022, le Conseil a adopté un ensemble de mesures pour faire face aux prix élevés de l'énergie28(*). Les États membres se sont engagés à réduire la consommation générale d'électricité de 10 % et de 5 % aux heures de pointe. Deux mécanismes de prélèvement ont aussi été instaurés par le règlement du 6 octobre 2022 : le plafonnement des recettes issues du marché pour les producteurs inframarginaux29(*) et une contribution de solidarité sur les excédents de bénéfices générés par les activités des secteurs du pétrole, du gaz, du charbon et du raffinage. Selon les estimations de la Commission européenne, la première mesure devait permettre aux États membres de collecter jusqu'à 117 milliards d'euros sur une base annuelle tandis que la seconde permettait de lever 25 milliards d'euros par an dans l'ensemble de l'Union européenne.
Le 24 novembre 2022, le Conseil a trouvé un accord sur le règlement établissant un cadre temporaire en vue d'accélérer la procédure d'octroi de permis et le déploiement de projets dans le domaine des énergies renouvelables30(*). Ce règlement introduit des mesures urgentes et ciblées portant sur des technologies spécifiques et sur des types de projets présentant le plus grand potentiel de déploiement rapide et ayant le moins d'incidences sur l'environnement.
A la même date, le Conseil est également parvenu à un accord31(*) sur de nouvelles mesures permettant d'améliorer la coordination des achats communs de gaz et de renforcer la solidarité en cas de véritable urgence et de réelle pénurie d'approvisionnement en gaz. Il a aussi confié à l'Agence pour la coopération des régulateurs de l'énergie (ACER) l'élaboration d'un nouvel indice de référence complémentaire afin d'assurer des prix stables et prévisibles pour les transactions de GNL.
B. UN PLAFONNEMENT DES PRIX DU GAZ DANS L'ATTENTE D'UNE RÉFORME DU MARCHÉ DE L'ÉLECTRICITÉ
Le 20 octobre 2022, lors du Conseil européen, les chefs d'État ou de Gouvernement ont demandé à la Commission de présenter des mesures supplémentaires d'amélioration du fonctionnement des marchés de l'énergie, notamment « un corridor de prix dynamique temporaire », pour limiter immédiatement les épisodes de prix du gaz excessifs, et « un cadre temporaire de l'UE visant à plafonner le prix du gaz utilisé dans la production d'électricité »32(*).
Le 22 novembre 2022, la Commission européenne a donc proposé un mécanisme de correction du marché visant à protéger les consommateurs finaux, ménages et entreprises, des épisodes d'augmentation excessive des prix du gaz33(*). Entré en vigueur le 15 février 2023, ce mécanisme, intitulé « mécanisme de correction du marché », permet d'appliquer un plafond aux prix de règlement des dérivés liés à l'énergie négociés sur la principale bourse européenne de gaz, aux Pays-Bas (Dutch TTF), qui sert de référence sur le marché de gros européen du gaz. Son déclenchement automatique est prévu dès lors que les prix atteignent des niveaux exceptionnels par rapport aux cours mondiaux, sous certaines conditions (le prix TTF « Title Transfer Facility » à un mois dépasse 180 euros/MWh pendant trois jours ouvrables et le prix TTF à un mois est supérieur de 35 euros au prix de référence du GNL sur les marchés mondiaux pendant les trois mêmes jours ouvrables). Les transactions au-delà d'un certain plafond (« limite d'offre dynamique ») ne sont alors plus autorisées. Seuls les produits à terme mensuel (« month ahead ») sont concernés ; les contrats de gré à gré ne seraient pas soumis à ce mécanisme. Ce mécanisme n'a, pour l'instant, jamais été mis en oeuvre. Il offre une solution de crise mais laisse inchangé le mode de fonctionnement du marché européen de l'énergie.
C. UNE RÉFORME STRUCTURELLE DU MARCHÉ DE L'ÉLECTRICITÉ DÉFENDUE PAR LA FRANCE DEPUIS LE DÉBUT DE LA CRISE
Dès l'automne 2021, la France a défendu une réforme plus ambitieuse du marché européen de l'électricité, conduisant notamment à un découplage des prix de l'électricité et du gaz. La position française est, cependant, apparue relativement isolée au début de la crise énergétique. En effet, neuf États membres (le Luxembourg, l'Autriche, l'Allemagne, le Danemark, l'Estonie, la Finlande, l'Irlande, la Lettonie et les Pays-Bas) ont ainsi appelé à « être très prudents avant d'interférer dans la conception des marchés intérieurs de l'énergie »34(*). À la demande de certains États membres, la Commission européenne a alors chargé l'Agence de coopération des régulateurs de l'énergie (ACER) d'évaluer les avantages et les inconvénients du fonctionnement du marché de gros de l'électricité, laquelle a rendu son rapport, en avril 2022, considérant que « même si des améliorations sont possibles, la conception actuelle du marché de gros de l'électricité de l'Union européenne mérite d'être conservée et n'est pas à blâmer pour la crise de l'énergie qui frappe l'Europe »35(*).
Or le 8 juin 2022, lors d'une séance plénière devant les eurodéputés, à Strasbourg, la présidente de la Commission européenne, Mme Ursula von der Leyen, ne reprend pas les conclusions très modérées de l'Agence européenne, ni les propos prudents de la commissaire à l'énergie, Mme Kadri Simson, et affirme alors nécessaire une modernisation du marché de l'électricité. Cette nécessité d'une réforme du marché de l'électricité est réaffirmée lors d'une conférence du Forum stratégique de Bled des 29 et 30 août 2022, en Slovénie, donnant ainsi des gages aux pays européens qui réclament de longue date une évolution du système actuel. À cette occasion, elle déclare que « la flambée des prix de l'électricité met aujourd'hui en évidence, pour différentes raisons, les limites de notre organisation actuelle du marché de l'électricité. Cette organisation avait été conçue dans des circonstances complètement différentes et à des fins complètement différentes. Elle n'est plus adaptée. C'est la raison pour laquelle nous, la Commission, travaillons actuellement à une intervention d'urgence et à une réforme structurelle du marché de l'électricité. Nous avons besoin d'un nouveau modèle de marché pour l'électricité qui fonctionne réellement et nous ramène à l'équilibre ».
Cette ambition d'une « réforme complète et en profondeur » du marché européen de l'électricité est expressément proclamée lors du discours sur l'état de l'Union devant le Parlement européen, prononcé le 14 septembre 2022, par la présidente de la Commission européenne.
IV. LA PROPOSITION DE RÉFORME DU MARCHÉ DE L'ÉLECTRICITÉ N'EN BOULEVERSE PAS L'ARCHITECTURE ACTUELLE
Le 14 mars 2023, la Commission européenne a donc proposé une réforme du marché européen de l'électricité, un an après l'agression de l'Ukraine.
Le paquet se compose de trois textes :
- la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil du 14 mars 2023 modifiant les règlements (UE) n° 1227/2011 et (UE) 2019/942 afin d'améliorer la protection de l'Union contre la manipulation du marché de gros de l'énergie ;
- la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil du 14 mars 2023 modifiant les règlements (UE) 2019/943 et (UE) 2019/942 ainsi que les directives (UE) 2018/2001 et (UE) 2019/944 afin d'améliorer l'organisation du marché de l'électricité de l'Union ;
- la recommandation de la Commission européenne du 14 mars 2023 relative au stockage de l'énergie - « Soutenir un système énergétique de l'UE décarboné et sûr ».
La Commission européenne a, au préalable, mené une consultation publique dans un court délai de trois semaines, du 23 janvier au 13 février 2023, réunissant les contributions des différents acteurs publics et privés concernés. Cette consultation a établi trois impératifs : la nécessité de soutenir les marchés de court et de long termes face aux fluctuations des prix de l'énergie, le besoin de développer davantage des signaux de long terme pour encourager les investissements dans des moyens de production décarbonée, et la non-reconduction des mesures de crise prises par le Conseil dans le cadre des règlements d'urgence.
La réforme du marché européen de l'électricité, proposée par la Commission européenne, se concentre sur trois objectifs principaux :
- accélérer les investissements, en particulier dans les énergies renouvelables (ENR), en garantissant un revenu stable aux producteurs ;
- réduire l'impact de la volatilité des prix des combustibles fossiles sur les factures d'électricité ;
- protéger les consommateurs contre les éventuelles futures hausses de prix.
En parallèle de cette réforme, il est prévu de réviser le règlement REMIT concernant les manipulations de marché.
Les mesures présentées par la Commission européenne ne modifient pas les fondamentaux de l'organisation du marché européen de l'électricité, qui continue à reposer sur le système actuel de tarification marginale (« merit order »). La Commission n'a donc pas accédé à la demande de certains États membres d'un découplage total entre le prix du gaz et celui de l'électricité, considérant qu'il était le socle de l'intégration du système électrique européen. « Le modèle des marchés à court terme reste le plus efficace lorsqu'il s'agit de s'assurer que les technologies les moins chères et les plus propres sont utilisées en premier », a déclaré la commissaire européenne à l'énergie, Mme Kadri Simson, lors de la présentation de la réforme. La Commission européenne n'envisage pas de mesures visant à modifier le marché de court terme. Les propositions sont essentielles ciblées sur le déploiement des contrats de long terme. L'objectif est de faire émerger un signal prix de long terme afin de réduire le poids des énergies fossiles dans la formation des prix, alors qu'elles devraient encore être utilisées jusqu'en 2050, et de favoriser le développement des installations de production d'électricité à partir d'énergies renouvelables. L'enjeu est d'encourager la signature de contrats à long terme pour la fourniture d'électricité et ainsi de favoriser les investissements dans de nouvelles capacités de production, en rapprochant le prix de l'électricité de ses coûts réels de production.
A. UNE INTÉGRATION DES SIGNAUX DE LONG TERME POUR ASSURER LA STABILITÉ ET LA PRÉVISIBILITÉ DES PRIX
La Commission européenne entend renforcer la stabilité et la prévisibilité du coût de l'énergie pour lutter contre la volatilité des prix de l'énergie mise en lumière par la crise.
Pour satisfaire cet objectif, la réforme introduit des mesures visant à faciliter le déploiement de contrats de long terme stables, à stimuler la liquidité des marchés à terme, et à encadrer l'aide publique pour les nouveaux investissements dans la production d'électricité à partir de sources d'énergies renouvelables et non fossiles.
Ainsi une série de mesures est introduite pour faciliter le déploiement des accords d'achat d'électricité (ou Power Purchase Agreements - PPA), accords bilatéraux entre deux acteurs privés - un producteur et un consommateur -, de long terme, entre cinq et vingt ans, à un prix décidé à l'avance. Les États devront établir des régimes de garanties publiques pour couvrir les risques de crédit des acheteurs et permettre à davantage d'entreprises de souscrire à ces contrats. Les fournisseurs d'électricité au détail pourront eux aussi avoir recours, de façon appropriée, à des PPA, afin d'« atténuer leur risque de surexposition à la volatilité des prix ».
Aujourd'hui, ces contrats sont peu développés et concernent essentiellement les grandes entreprises. La Commission souhaite rendre ces contrats accessibles aux petits consommateurs en demandant aux États membres de prendre en charge les risques de crédit pour soutenir l'achat d'électricité renouvelable. La réforme introduit en ce sens une obligation pour les États membres de réduire les barrières pesant sur les acheteurs pour permettre à tout type de consommateur d'avoir accès aux contrats de long terme.
La Commission européenne soutient également l'utilisation de contrats d'écart compensatoire bidirectionnels (ou Contracts for Différence -CfD), à prix garanti par l'État, afin d'encourager les nouveaux investissements dans la production d'électricité à partir de sources d'énergies renouvelables (éolien, solaire, géothermie, hydroélectricité) et nucléaire. Ces contrats devraient ainsi permettre de financer des investissements dans les nouvelles installations de production d'électricité ainsi que le rééquipement, l'agrandissement ou la prolongation d'installations existantes. Les CfD déterminent un prix minimum et un prix maximum d'achat de l'électricité produite ; lorsque le prix d'exercice est supérieur au prix de marché, les recettes excédentaires sont redistribuées aux consommateurs et lorsque le prix du marché est bas, les producteurs bénéficient de revenus garantis. La Commission introduit néanmoins deux conditions à l'utilisation de CfD : tous les dispositifs d'aide publique aux nouveaux investissements dans les renouvelables ou le nucléaire devront prendre la forme de CfD bidirectionnels et « acheminer les recettes excédentaires vers les consommateurs ».
Enfin, afin de stimuler les marchés à terme - contrats de plus courte durée (trois à cinq ans) - indispensables aux fournisseurs d'énergie pour gérer leur portefeuille de manière optimale et sécurisée, la réforme introduit des « prix de référence ». Déterminés sur des plateformes virtuelles appelées « virtual hubs », ces prix de référence établis sur des zones plus larges que celles des États membres permettraient, selon la Commission européenne, de répondre au manque de liquidité des marchés. Toutefois, lors de leur audition par les rapporteurs, les représentants d'Engie ont émis des réserves concernant la capacité réelle de ce mécanisme à garantir une stabilité des prix. Pour stimuler davantage la liquidité des marchés, la Commission demande également une extension de l'obligation faite aux gestionnaires de réseau d'accorder des droits de capacité sur les frontières au-delà d'un an.
Pour la France, l'un des enjeux clés de la réforme était d'intégrer son parc nucléaire dans ces mécanismes de contrat à long terme. En précisant que les CfD s'appliquent pour les « nouveaux investissements financés par des fonds publics dans la production d'électricité à faible teneur en carbone », la Commission n'exclut pas le nucléaire de sa réforme et tend à le considérer au même titre que les énergies renouvelables. Cette décision a été saluée positivement par les autorités françaises. À l'inverse, l'Allemagne et six autres pays réclamaient des CfD facultatifs et strictement réservés aux nouvelles infrastructures renouvelables.
B. UN ENCOURAGEMENT DE LA FLEXIBILITÉ DU SYSTÈME ÉLECTRIQUE
Le deuxième volet de la réforme vise à stimuler les investissements dans les énergies renouvelables et leur intégration dans le système énergétique. Pour répondre aux besoins en flexibilité du système électrique, un équilibre est à trouver entre des moyens de production d'énergie de « base » fournissant un niveau d'électricité linéaire (par exemple le nucléaire) et des moyens dits « de pointe » pouvant réagir en quelques minutes pour ajuster la production d'électricité d'un pays à sa consommation. Aujourd'hui, ces moyens de pointe sont dominés par le gaz, technologie la plus flexible connue. L'objectif de la Commission est d'inciter à l'utilisation d'autres flexibilités, telles que le stockage et l'effacement de consommation ou la demande flexible, pour répondre aux besoins en flexibilité sans avoir recours aux énergies fossiles.
Les mesures proposées reposent sur une obligation pour les États membres d'évaluer, tous les deux ans, leurs besoins en flexibilité du système électrique et de fixer des objectifs indicatifs en matière d'effacements de consommation et de stockage. En outre, la Commission européenne préconise d'étendre la fenêtre du marché infra-journalier - possibilité de faire des échanges d'énergie jusqu'au moment de livraison de l'électricité - d'une heure aujourd'hui à trente minutes - pour permettre aux acteurs de marché de vendre et d'acheter de l'électricité en un temps très court et garantir un meilleur équilibrage du réseau, tout en diminuant les coûts d'équilibrage.
La réforme proposée introduit également la possibilité pour les États membres de soutenir les filières non fossiles à travers des mécanismes spécifiques pour permettre à ces filières de se développer. Par ailleurs, en complément des investissements de réseau, une incitation financière est également proposée pour encourager les gestionnaires de transport et de distribution à se tourner vers des solutions de flexibilité plutôt que de construire de nouvelles lignes.
Enfin, la Commission européenne accorde un certain nombre de prérogatives en matière de flexibilité aux gestionnaires de réseau qui pourront inciter les consommateurs à réduire la demande aux heures de pointe, utiliser les données de sous-comptage et communiquer sur les congestions du réseau dans une logique de plus grande transparence.
C. UNE PROTECTION DES CONSOMMATEURS À L'ÉGARD DES PRIX ÉLEVÉS ET VOLATILS
La Commission Européenne propose deux séries de mesures pour protéger les consommateurs face à la volatilité des prix de l'énergie et leur donner les moyens de devenir « acteurs » sur le marché de l'énergie.
Parmi ces mesures, le droit au cumul de contrat auprès de fournisseurs d'énergie différents devrait permettre aux consommateurs finaux de souscrire un contrat à prix fixe, en complément de contrats à tarification dynamique. Ce droit devrait donner aux consommateurs les moyens de se couvrir face aux risques et d'éviter une exposition trop importante au prix de marché. Par ailleurs, la réforme introduit un droit de partage direct d'énergies renouvelables, afin que les consommateurs puissent partager avec leurs voisins l'énergie provenant d'énergies renouvelables, et ne soient plus contraints de la vendre à un fournisseur d'énergie, souvent à des prix assez bas. Concernant les consommateurs les plus vulnérables, une mesure vise à les protéger contre des coupures d'électricité en cas de défaut de paiement.
La Commission européenne a également repris dans son texte une demande forte portée par la France, concernant l'obligation de couverture des fournisseurs pour réduire le risque de défaillance, et éviter ainsi les faillites de fournisseurs d'énergie, comme celles intervenues durant la crise. En effet, faute de couverture préalable par des contrats de long terme, certains fournisseurs n'avaient pas acheté d'électricité suffisamment en avance et n'ont, par conséquent, pas été en mesure d'honorer leurs contrats. Désormais ils pourraient être obligés de souscrire à des contrats de long terme et prévoir un fournisseur de dernier ressort pour prévenir ce risque.
Enfin, la Commission européenne prévoit d'étendre les prix de détail réglementés aux ménages et petites et moyennes entreprises en cas de crise, ce qui n'est aujourd'hui accessible qu'aux consommateurs vulnérables et aux microentreprises. Elle pourrait ainsi déclarer, pour une durée d'un an maximum, une situation de crise des prix de l'électricité au niveau régional ou de l'Union, dès lors que la hausse des prix sur les marchés de gros est supérieure à deux fois et demie le prix moyen au cours des cinq dernières années et que celle des prix de détail est d'au moins 70 %, sur une période attendue d'au moins six mois. Une telle situation autoriserait les États membres à effectuer des interventions publiques ciblées dans la fixation des prix de l'électricité, dans la limite de 70 % de la consommation pour les PME, et de 80 % pour les ménages.
D. DES MESURES POUR GARANTIR LA TRANSPARENCE SUR LES MARCHÉS DE GROS DE L'ÉNERGIE ET ÉVITER LES MANIPULATIONS DE MARCHÉ
La Commission européenne propose aussi de modifier deux règlements : d'une part, celui qui institue une Agence de l'Union européenne pour la coopération des régulateurs de l'énergie (ACER)36(*), et d'autre part, le règlement européen relatif à l'intégrité et à la transparence des marchés de gros de l'énergie dit REMIT37(*). Elle vise ainsi à aligner plus étroitement la législation portant sur les marchés de gros de l'énergie sur celle relative aux marchés financiers, en cohérence avec le règlement MAR du 16 avril 201438(*), ainsi qu'à accroître les pouvoirs de coordination et d'enquête de l'ACER.
La Commission européenne envisage de faire évoluer les règles de surveillance des marchés de gros de l'énergie, en renforçant les obligations de marché et en redéfinissant les compétences de l'ACER.
Le texte apporte plusieurs précisions sur le cadre du marché ainsi que sur les règles de circulation des informations et de collecte des données. Il ajoute ainsi de nouvelles définitions relatives aux nouveaux organismes de collecte d'informations, qui devront s'enregistrer auprès de l'ACER. Il étend aussi le champ d'application de la déclaration de données aux nouveaux marchés d'équilibrage de l'électricité, aux marchés couplés et au trading algorithmique.
Il est proposé de confier à l'ACER l'agrégation de l'ensemble des données des marchés de gros pour l'établissement des enquêtes. Dans ce cadre, l'ACER disposerait d'un droit de regard privilégié sur les autorités nationales de régulation de l'énergie. Les autorités fiscales et EUROFISC sont inclus dans les mécanismes d'échanges d'informations, aux côtés des autorités de régulation nationales, et donc habilités à intervenir dans le cadre des enquêtes de l'Agence européenne et des régulateurs nationaux. Le texte propose également d'harmoniser les amendes fixées par les autorités réglementaires au niveau national.
La Commission européenne propose également de renforcer les compétences en matière d'enquête et de poursuite de l'ACER concernant les infractions revêtant une dimension transfrontalière. Cette disposition vise à instituer un cadre unifié et harmonisé pour prévenir les manipulations de marché et autres infractions au REMIT. La Commission envisage d'habiliter l'ACER à mener des enquêtes, en lui permettant de procéder à des inspections sur place et d'adresser des demandes d'informations aux personnes faisant l'objet d'une enquête, en particulier lorsque les infractions présumées au REMIT ont une dimension transfrontalière, mais aussi en cas d'absence de réponse immédiate des autorités nationales à une demande qu'elle leur aurait adressée sur des manquements à l'application de ce règlement.
La proposition de règlement tend à renforcer les modalités de régulation. Les régulateurs nationaux seraient obligés d'informer l'ACER de tout projet de décision de sanctions relative à une infraction au règlement REMIT, au plus tard trente jours avant son adoption, et de lui transmettre la décision publiée dans les sept jours suivant son adoption.
Enfin, l'ACER pourrait émettre des orientations et des recommandations destinées à toutes les autorités de régulation nationales ou à tous les acteurs de marché, lesquelles auraient un caractère contraignant. Le texte procède, en outre, à une rectification du régime de redevances attribuées à l'ACER.
E. DES RECOMMANDATIONS EN FAVEUR DU STOCKAGE DE L'ÉNERGIE
La réforme prévoit aussi des recommandations sur le stockage de l'énergie en vue de favoriser la flexibilité du système énergétique de l'Union et d'encourager sa décarbonation.
Il revient aux États membres de recenser les besoins et les sources de flexibilité de leurs systèmes énergétiques en matière de stockage d'énergie, en lien avec les autorités de régulation nationales et les gestionnaires de réseaux de transport et de distribution. Ils devront également évaluer les besoins en capacités de fabrication pour les technologies pertinentes de stockage d'énergie.
Les États membres doivent aussi évaluer les déficits de financement potentiels pour le stockage d'énergie, envisager des procédures de mise en concurrence ainsi que les mesures nécessaires à la suppression des obstacles, réglementaires ou non, à l'autoconsommation individuelle ou collective, et à la recharge bidirectionnelle des véhicules électriques. La Commission européenne propose aussi d'accélérer le déploiement d'installations de stockage d'énergie dans les îles, les régions isolées et les régions ultrapériphériques de l'UE.
V. OBTENIR UNE RÉFORME PLUS SUBSTANTIELLE ENTRANT EN VIGUEUR RAPIDEMENT
Au terme de cette analyse, les rapporteurs ont élaboré une proposition de résolution, adoptée par la commission des affaires européennes, qui considère favorablement la réforme du marché de l'électricité telle qu'elle a été présentée par la Commission européenne. Les rapporteurs font ainsi observer que sans remettre en cause les fondamentaux de son organisation et de son fonctionnement, la réforme vise à encourager les investissements dans la transition énergétique et le développement des contrats de long terme pour assurer une stabilité des prix pour les consommateurs finaux et contribuer à renforcer la compétitivité de l'économie européenne face à la concurrence internationale. Tout en soutenant un certain nombre de dispositions et d'orientations proposées par la Commission européenne, la commission des affaires européennes du Sénat appelle à plus d'ambition pour réformer plus substantiellement et dans des délais rapides le marché européen de l'électricité.
A. UNE RÉFORME À L'IMPACT LIMITÉ SUR LES MARCHÉS DE COURT TERME
La Commission européenne souhaite faire émerger un marché de long terme qui pourrait permettre de ne plus faire dépendre les factures des consommateurs finaux des marchés de gros de court terme. Or en ne proposant pas de découplage des prix du gaz et de l'électricité et, par conséquent, en conservant le principe du « merit order », la réforme préserve la logique actuelle de fonctionnement du marché. Par conséquent, elle n'aura pas d'effet immédiat sur les marchés de gros de court terme, d'autant plus qu'elle nécessitera d'être transposée dans les législations des États membres et d'être adaptée aux spécificités nationales. Ainsi, comme le déplore la proposition de résolution, la réforme proposée par la Commission européenne ne permet pas de se prémunir du risque de répercussion d'une nouvelle hausse prochaine des prix du gaz sur ceux de l'électricité. C'est pourquoi elle prévoit, d'ailleurs, des dispositions en cas de nouvelle crise des prix de l'électricité au niveau régional ou de l'Union afin de protéger les consommateurs finaux, ménages et petites et moyennes entreprises.
La proposition de résolution souligne aussi la nécessité que cette réforme soit adoptée au plus tôt, et avant la fin du mandat de la Commission européenne. Elle estime, en outre, que ses effets économiques et sociaux doivent être évalués régulièrement pour en mesurer la pertinence.
B. GARANTIR LE RESPECT DU PRINCIPE DE NEUTRALITÉ TECHNOLOGIQUE ET ÉLARGIR LE DEVELOPPEMENT DES OUTILS DE LONG TERME
La Commission européenne a largement repris dans sa proposition de réforme les objectifs défendus par la France, en particulier concernant le renforcement des signaux de long terme. À cette fin, elle encourage le développement d'outils de couverture des fournisseurs sur les marchés de long terme. La proposition de résolution apporte son soutien à cette ambition que le cadre actuel n'a pas permis de mettre en oeuvre, en raison notamment du manque de mesures incitatives destinées à encourager les consommateurs et les fournisseurs à y souscrire. Il s'agit de permettre aux consommateurs finaux de bénéficier de prix qui ne soient plus seulement le reflet des prix des énergies fossiles mais qui soient plus en phase avec les coûts réels de production de l'électricité. Les rapporteurs considèrent que la réforme doit, en effet, permettre de faire bénéficier l'ensemble des consommateurs, ménages, entreprises et collectivités, de la compétitivité de l'électricité nucléaire produite en France.
À ce titre, selon la commission des affaires européennes du Sénat, les PPA doivent pouvoir être conclus pour la production d'électricité à partir de toutes les sources d'énergies décarbonées, ainsi qu'à partir d'hydrogène quelle que soit son origine, et, par conséquent, couvrir aussi l'énergie nucléaire, en vertu du principe de neutralité technologique, prévu à l'article 194 du Traité de fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), qui stipule que chaque État membre a le droit de déterminer les conditions d'exploitation de ses propres ressources énergétiques, de choisir entre les différentes sources d'énergie et de décider de la structure générale de son approvisionnement énergétique. Ces contrats doivent aussi pouvoir bénéficier à l'ensemble des acteurs de marché, et non aux seules industries électro-intensives. Or on constate, à l'heure actuelle, un faible développement de ces contrats, qui concernent pour l'essentiel les grandes industries fortement consommatrices d'électricité.
De même, la commission des affaires européennes du Sénat estime que les CfD doivent pouvoir s'appliquer à tous les investissements réalisés dans la production d'électricité à partir d'énergie nucléaire et de toutes sources d'énergies renouvelables. Ils doivent aussi prendre en compte le cycle de vie des différents actifs. Les CfD devraient pouvoir permettre d'apporter un soutien public au programme français de construction de nouvelles installations nucléaires ainsi qu'aux opérations de rénovation et de modernisation du parc nucléaire existant, comme le demande la France.
Tout en se félicitant du cadre proposé par la Commission européenne et de la garantie apportée quant au respect de la détermination par chaque État membre de son bouquet énergétique, les rapporteurs insistent pour que cette mesure ne soit pas remise en question lors des négociations au Conseil et que les CfD s'appliquent effectivement à l'ensemble des investissements réalisés dans les installations nucléaires déjà existantes, y compris à ceux relatifs à la prolongation de la durée de vie de ces installations. Cette disposition doit être clarifiée dans le texte final et y figurer de façon explicite.
C. ASSURER UNE MEILLEURE PROTECTION DES CONSOMMATEURS
S'agissant des mesures qui doivent permettre aux États membres de faire face à la volatilité des prix sur les marchés de gros et à leurs répercussions sur les tarifs appliqués aux consommateurs finaux, les rapporteurs ont formulé un certain nombre de réserves sur les dispositions envisagées par la Commission européenne. Ils estiment en particulier que les critères requis, en termes d'intensité et de durée, pour déclarer une situation de crise des prix de l'électricité doivent être moins restrictifs pour permettre l'activation des mécanismes de soutien de façon optimale. Une telle décision doit être du ressort des États membres, et non de la Commission européenne comme elle l'envisage. Par ailleurs, les interventions publiques ciblées sur l'ensemble des consommateurs finaux en matière de prix devraient pouvoir être assouplies et pérennisées.
Afin de renforcer la protection des consommateurs dans le cadre de la souscription de contrats de fourniture d'électricité, la commission des affaires européennes préconise de rendre optionnelle la souscription à des contrats à tarification dynamique. Les ménages, notamment ceux en situation de précarité énergétique, doivent pouvoir bénéficier de contrats à prix fixes plutôt que dynamiques, pour lesquels ils ne disposent pas en général d'une information suffisante sur les risques encourus. En outre, ecas d'impayés de facturation par les clients et ménages vulnérables, elle préconise que la baisse de puissance du compteur soit privilégiée aux interruptions de fourniture.
Enfin, la proposition de résolution appelle à ce que les dispositions prévues pour les TPE par les textes européens soient étendues aux petites et moyennes entreprises ainsi qu'aux collectivités territoriales.
D. RESPECTER LE PRINCIPE DE SUBSIDIARITÉ
En ce qui concerne le fonctionnement du marché de l'électricité, la proposition de résolution formule plusieurs recommandations qui doivent permettre de garantir le respect du principe de subsidiarité afin de maintenir pleinement les compétences des États membres en matière énergétique.
L'évaluation des besoins en flexibilité (stockage, effacement de consommation, demande flexible) que la Commission souhaite étendre, doit ainsi être réalisée au niveau des États membres, et selon des modalités qu'il leur revient de définir. Par ailleurs, la régulation des autorisations de fourniture d'électricité dont les obligations de couvertures et les opérations de courtage doit être mieux assurée au niveau des États membres. Enfin, le champ et les modalités des contrats de long terme que sont les PPA et les CfD doivent être définis par les États membres.
Selon la commission des affaires européennes du Sénat, les États membres doivent aussi conserver leurs compétences en matière de surveillance des marchés de l'énergie et de lutte contre les abus de marché, telles qu'elles sont définies par le règlement REMIT, actuellement en vigueur. L'ACER doit demeurer une agence de régulation des marchés de l'énergie, sans élargir ses pouvoirs d'investigation et de coordination, au détriment des États membres. Les autorités de régulation nationales doivent donc conserver les moyens d'enquête et de sanction qui sont mis à leur disposition par les textes européens ainsi que la responsabilité de leur propre réglementation énergétique. Une résolution spécifique, portant avis motivé au titre du principe de subsidiarité, a, d'ailleurs, été adoptée par le Sénat à ce sujet39(*).
E. ENCOURAGER LE STOCKAGE DE L'ÉLECTRICITÉ
Au regard des enjeux que représente le stockage de l'électricité, la proposition de résolution appelle à considérer l'ensemble de la chaîne de valeur des projets de stockage de l'énergie sous toutes ses formes, pour apprécier leur impact et à intégrer au système énergétique toutes les sources d'énergies décarbonées, en vertu du principe de neutralité technologique. Les différents outils de soutien de financement doivent pouvoir bénéficier à ces projets et leur sélection doit, en priorité, reposer sur un critère lié au niveau d'émissions de CO2. Enfin, leur mise en oeuvre doit associer les propriétaires publics de réseaux et des logements.
CONCLUSION
La réforme proposée par la Commission européenne qui était très attendue par un certain nombre de pays européens et que la France avait fortement appelée de ses voeux constitue une étape importante dans la perspective du développement d'un marché de long terme de l'électricité qui doit progressivement se substituer au marché de court terme dont la volatilité des prix ne permet pas d'assurer la protection des consommateurs. L'Union européenne a, en effet, besoin de disposer d'outils de financement qui contribuent à stimuler les investissements dans la décarbonation des moyens de production, à assurer la stabilité et la prévisibilité des prix de l'électricité pour les consommateurs, et à garantir la sécurité d'approvisionnement du continent européen.
Ainsi les rapporteurs ont formulé un certain nombre de recommandations au Gouvernement en vue des négociations en cours au Conseil afin de renforcer les axes de cette réforme. Il est notamment essentiel que les consommateurs finaux, ménages, entreprises et collectivités, puissent bénéficier de la compétitivité du parc de production électrique français.
Tel est le sens de la proposition de résolution qu'a adoptée la commission des affaires européennes du Sénat, le 1er juin 2023.
EXAMEN EN COMMISSION
La commission des affaires européennes s'est réunie le mercredi 24 mai 2023, sous la présidence de M. Jean-François Rapin, président, pour l'examen du présent rapport.
M. Jean-François Rapin, président. - L'invasion de l'Ukraine a brutalement questionné la façon dont l'Union européenne s'approvisionne en énergie, notamment en gaz. Son impact considérable sur le prix du gaz, mais aussi sur celui de l'électricité, déjà très volatils depuis l'été 2021, a conduit les États membres à prendre des mesures en urgence pour éviter une hausse brutale des factures des consommateurs et contenir l'inflation. Certaines communes ont vu leurs factures d'électricité s'envoler. Mais ces mesures risquent en fait de subventionner les énergies fossiles, à rebours de l'objectif de décarbonation. Au-delà de l'essentielle maîtrise de la demande d'énergie et de la coordination des achats de gaz à l'échelle européenne, c'est une profonde transformation de l'organisation du marché européen de l'électricité qui s'impose : au jour le jour, ce marché permet bien d'équilibrer offre et demande à court terme, mais sa construction ne permet pas répondre aux trois défis du secteur que sont la décarbonation, la sécurité d'approvisionnement et des prix abordables.
C'est pourquoi le Conseil européen a invité la Commission à préparer une réforme structurelle du marché de l'électricité, avec le double objectif d'assurer la souveraineté énergétique européenne et de parvenir à la neutralité climatique. Cette réforme, que la France réclame, mais qui divise les États membres, a été annoncée l'an dernier par la présidente von der Leyen dans son discours sur l'état de l'Union et finalement présentée en mars dernier par la Commission européenne. Je laisse nos rapporteurs nous informer sur son contenu et nous proposer de prendre position sur ce projet important.
M. Pierre Laurent, rapporteur. - Le 30 août dernier, à l'occasion d'un discours d'orientation prononcé au Forum stratégique de Bled, en Slovénie, la Présidente de la Commission européenne déclarait : « La flambée des prix de l'électricité met aujourd'hui en évidence, pour différentes raisons, les limites de notre organisation actuelle du marché de l'électricité. Cette organisation avait été conçue dans des circonstances complètement différentes et à des fins complètement différentes. Elle n'est plus adaptée. C'est la raison pour laquelle nous, la Commission, travaillons actuellement à une intervention d'urgence et à une réforme structurelle du marché de l'électricité. Nous avons besoin d'un nouveau modèle de marché pour l'électricité qui fonctionne réellement et nous ramène à l'équilibre. »
Après avoir mené une consultation publique, qui a recueilli près de 700 réponses, la Commission européenne a finalement publié, le 14 mars dernier, ses propositions pour réviser l'architecture du marché européen de l'électricité. Cette réforme s'inscrit, en effet, dans un contexte géopolitique et économique bouleversé. De nombreux défis se posent aujourd'hui à l'Union européenne qui a engagé avec le Pacte vert d'importants efforts pour assurer sa transition énergétique et climatique.
La crise des prix de l'énergie qu'a connue l'Union européenne à la suite de la reprise économique consécutive à la pandémie de covid-19, et qui s'est aggravée avec la guerre menée par la Russie contre l'Ukraine, est essentiellement une crise qui a désorganisé les sources d'approvisionnement énergétique du continent européen. Elle a révélé la forte dépendance de l'Union européenne au gaz russe ; les difficultés d'approvisionnement, associées aux risques de pénurie, se sont alors traduites par une flambée des prix du gaz et de l'électricité sur les marchés de gros. Cette crise a donc montré les limites du marché de l'électricité et prouvé la nécessité d'en revoir les règles du jeu. À ce titre, le couplage du prix de l'électricité avec celui du gaz a focalisé de nombreuses critiques.
Je rappelle que dès l'automne 2021, la France a défendu une réforme ambitieuse du marché de l'électricité, qui devait notamment conduire à un découplage des prix de l'électricité et du gaz. À l'occasion de différents débats sur les questions énergétiques, le Sénat a aussi plaidé en faveur d'une telle réforme et a invité le Gouvernement à faire pression sur la Commission européenne en ce sens. La position française est néanmoins apparue relativement isolée au début de la crise énergétique, avant d'être partagée par d'autres pays européens, en particulier l'Espagne et la Grèce.
À la demande de certains États membres, la Commission européenne a, d'ailleurs, chargé l'Agence européenne pour la coopération des régulateurs de l'énergie (Acer) d'évaluer les avantages et les inconvénients du fonctionnement du marché de gros de l'électricité. Dans le rapport qu'elle a remis en avril 2022, l'Acer a conclu que « même si des améliorations sont possibles, la conception actuelle du marché de gros de l'électricité de l'Union européenne mérite d'être conservée et n'est pas à blâmer pour la crise de l'énergie qui frappe l'Europe ». Cette conclusion me semble prêter à discussion.
Or c'est à mes yeux l'hypothèse dans laquelle la proposition de réforme actuelle s'inscrit : garder le cadre actuel en introduisant, pour prétendre en limiter les risques, des outils de marché de long terme. Je veux saluer le travail mené avec mes deux collègues rapporteurs pour multiplier les recommandations dans cette proposition de résolution européenne (PPRE) afin de mieux encadrer la réforme et les outils nouveaux créés, et renforcer les garanties de mise en oeuvre par les États membres dans le respect de la maîtrise de nos choix énergétiques. Je soutiens un grand nombre de ces recommandations. Toutefois, il me paraît dangereux, sans savoir ce que deviendront ces recommandations - 1500 amendements ont d'ores et déjà été déposés au Parlement européen - ni pouvoir évaluer la portée réelle des nouveaux outils de marché créés, de déclarer « accueillir favorablement » la réforme proposée. C'est pourquoi, au terme du travail d'auditions que j'ai mené avec mes deux collègues Daniel Gremillet et Claude Kern, je leur laisse le soin de présenter leur analyse ainsi que la position qu'ils proposeront à notre commission À l'issue de leur présentation, je proposerai des amendements, à titre personnel, au texte qu'ils nous soumettent et auquel je ne peux souscrire en l'état.
M. Claude Kern, rapporteur. - L'organisation actuelle du marché de l'électricité de l'Union, qui a été mise en place dans tous les États membres, a été élaborée progressivement, depuis plus de vingt ans, avec l'adoption successive de différents directives et règlements européens. Force est de reconnaître que ce marché a permis d'assurer la sécurité d'approvisionnement électrique du continent européen et de faire bénéficier les consommateurs européens de prix abordables, jusqu'à la crise des prix de l'énergie qui s'est déclenchée à l'automne 2021, à la sortie de l'épidémie de covid-19.
L'intégration de la France dans un marché européen de l'électricité, qui est de plus en plus interconnecté, lui permet, en effet, d'éviter près de quarante jours de coupure par an, et même davantage en 2022, puisque l'an dernier, pour la première fois, notre pays a importé de larges volumes d'électricité provenant des pays voisins. Les interconnexions électriques entre pays européens nous protègent donc du black-out et nous permettent également de vendre nos excédents de production, même si l'année 2022 a fait exception pour des raisons liées principalement à des opérations de maintenance sur notre parc nucléaire. Ces capacités d'échanges assurent ainsi notre sécurité d'approvisionnement, nous évitant de réaliser des investissements lourds et coûteux pour quelques jours de déficit de production d'électricité par an. En ce sens, comme l'ont relevé les personnes que nous avons auditionnées, le marché européen de l'électricité a fonctionné « correctement » au cours de ces derniers mois et nous a même rendu un « grand service », puisqu'il nous a permis de garantir la résilience de notre système électrique face à une crise énergétique sans précédent en Europe.
La crise des prix de l'énergie ne résulte donc pas d'un dysfonctionnement du marché, même si elle appelle à en améliorer les règles du jeu.
De fait, la formation des prix de gros de l'électricité est déterminée par le coût de production de la dernière centrale appelée, le plus souvent une centrale à gaz ou à charbon en Europe, pour assurer l'équilibrage ; c'est le principe dit « de l'ordre du mérite » ou de la tarification marginale. Cette modalité de fixation des prix expose les prix de gros de l'électricité à être dépendants du cours des combustibles fossiles, en particulier du gaz dont les prix ont atteint des sommets durant l'année 2022. L'électricité n'étant pas stockable, la volatilité des prix de gros se répercute alors sur les agents finaux. Ce mode de tarification explique le prix élevé de l'électricité en France et la volatilité des tarifs proposés aux consommateurs, alors même que les coûts de production électrique y sont très compétitifs en raison d'un mix énergétique largement décarboné. En temps de crise, du fait de l'extrême volatilité des prix de l'énergie, ce modèle de marché présente donc des difficultés majeures.
Pour faire face à ces circonstances exceptionnelles, la Commission européenne a proposé, au cours de l'année 2022, un certain nombre de mesures d'urgence temporaires, qui ont été adoptées par le Conseil de l'Union européenne, et qui ont permis aux États membres de mettre en place des mécanismes d'aide pour alléger la facture d'électricité des consommateurs.
Cette situation de crise inédite dans son ampleur a ainsi conduit à s'interroger sur le modèle actuel du marché de l'électricité, essentiellement basé sur un marché de court terme, ainsi que sur les moyens de parvenir à une meilleure adéquation du niveau des prix de l'électricité avec les coûts réels de production.
Pour y répondre, la Commission européenne propose donc, dans un premier texte, d'améliorer l'organisation du marché de l'électricité, sans remettre en cause les principes fondamentaux qui régissent son fonctionnement. Elle se focalise sur trois objectifs : mieux protéger les consommateurs ayant été exposés à des prix très élevés ; rendre l'industrie plus compétitive en lui permettant d'avoir accès à un prix de l'énergie plus stable et raisonnable ; et enfin, accélérer le déploiement des énergies renouvelables pour permettre une transition et sortir de la dépendance aux énergies fossiles.
Une deuxième proposition tend à réviser le règlement dit « Remit » concernant les manipulations de marché et le rôle de l'Agence européenne pour la coopération des régulateurs de l'énergie. Je rappelle que le Sénat a adopté, le 22 mai dernier, une résolution européenne portant avis motivé sur la conformité de cette proposition au respect du principe de subsidiarité.
Enfin, ces deux textes s'accompagnent d'une recommandation relative au stockage de l'énergie.
La Commission a pour ambition de faire émerger un signal prix de long terme afin d'atténuer le poids des énergies fossiles, qui devraient encore être utilisées jusqu'en 2050, dans la facture d'électricité des consommateurs et afin d'encourager ces derniers à se tourner vers une production d'énergie qui permet de décarboner les usages et les procédés.
L'ensemble des acteurs de marché ont, en effet, besoin de visibilité et de prévisibilité, dans le cadre de la transition énergétique et climatique, pour investir dans les énergies décarbonées. L'électricité pourrait, en effet, représenter 55 % de notre consommation d'énergie finale en 2050.
L'enjeu est donc de favoriser l'émergence d'un marché de long terme et d'adosser la fourniture d'électricité aux consommateurs sur des contrats dont les prix sont établis à long terme. Il s'agit d'éviter que les prix de détail de l'électricité, comme c'est le cas aujourd'hui, soient déterminés par les marchés de gros de court terme, même si la Commission européenne ne propose pas un découplage des prix du gaz et de l'électricité. La réforme doit ainsi permettre d'exposer les factures des consommateurs aux coûts réels de production de l'électricité, en favorisant les investissements dans de nouvelles capacités de production à long terme, tout en conservant le principe de « merit order ».
La Commission n'a donc pas accédé à la demande de certains États membres de revenir sur le mécanisme actuel de tarification au coût marginal. Elle a ainsi considéré, comme l'ensemble des personnes que nous avons auditionnées, qu'il doit être préservé en tant que socle de l'intégration du système électrique européen, car il permet une allocation optimale des ressources en garantissant que les technologies les moins chères, qui sont aussi les plus propres, soient appelées en premier pour couvrir la demande et assurer ainsi le fonctionnement des interconnexions au moindre coût. Dès lors que cette logique est conservée, il ne faut pas attendre de la réforme un impact sur le marché de court terme et ne pas laisser croire qu'elle préviendra tout risque de répercussion d'une nouvelle hausse des prix du gaz sur le prix de l'électricité. D'ailleurs, la proposition de règlement prévoit, à ce titre, des mesures pour protéger les consommateurs en cas de crise.
Les objectifs défendus par la France sont, toutefois, largement repris par le texte proposé par la Commission européenne, en particulier concernant le renforcement des signaux de long terme. La France souhaite, en effet, encourager le développement d'outils de couverture des fournisseurs sur les marchés de long terme, ce qui n'a pas été possible dans le cadre réglementaire actuel, en particulier en raison du manque de mesures incitatives destinées à encourager les consommateurs et les fournisseurs à y souscrire. Il s'agit aussi de favoriser les investissements dans des installations de production d'électricité décarbonée qui ont aujourd'hui besoin d'un soutien public pour se développer.
M. Daniel Gremillet, rapporteur. - Pour lutter contre la volatilité des prix de l'énergie mise en lumière par la crise, la réforme présentée par la Commission introduit donc des mesures visant à faciliter le déploiement de contrats de long terme stables, à stimuler la liquidité des marchés à terme et à encadrer l'aide publique pour les nouveaux investissements dans la production d'électricité à partir de sources d'énergies décarbonées. Sur le plan technologique, la proposition de la Commission européenne telle qu'elle est rédigée est neutre et garantit la souveraineté de chaque État membre dans la définition de son bouquet énergétique, ce dont nous nous félicitons. Nous devons, cependant, rester attentifs à ce que les contrats de long terme puissent effectivement s'appliquer à tous les investissements réalisés dans la production d'électricité à partir de toutes les sources d'énergies décarbonées, renouvelables et nucléaire. L'ensemble des consommateurs, ménages, entreprises et collectivités, doivent pouvoir bénéficier de la compétitivité de l'électricité décarbonée produite en France.
Trois mécanismes doivent permettre de faire émerger un marché de long terme.
Des mesures sont ainsi introduites pour faciliter les accords d'achat d'électricité (PPA en anglais), qui sont des accords bilatéraux entre deux parties - un producteur et un consommateur -, sur des horizons très longs allant de cinq à vingt ans. Aujourd'hui, ces contrats se développent peu et concernent essentiellement les industries électro-intensives. La Commission souhaite étendre l'éligibilité de ces contrats aux petites et moyennes entreprises en levant un certain nombre de restrictions, afin de faciliter leur développement et de permettre à un plus grand nombre de consommateurs d'avoir accès aux contrats de long terme. Elle propose notamment de rendre obligatoire pour les États membres la mise en place de garanties publiques.
Dans ce cadre, nous préconisons que les PPA puissent être conclus pour la production d'électricité à partir de toutes les sources d'énergies décarbonées ainsi que de l'hydrogène décarboné, et qu'ils ne soient pas réservés aux seules énergies renouvelables.
Il nous semble aussi important que ces contrats puissent bénéficier à l'ensemble des entreprises, et que les avantages économiques qu'ils procurent ne soient pas destinés aux seules industries électro-intensives.
Tout en soutenant leur déploiement et leur utilité, il convient de souligner que ces outils ne suffiront pas, à eux seuls, à assurer une meilleure adéquation des prix de l'électricité avec les coûts réels de production, d'autant plus que la couverture par ce type de contrats ne pourra se réaliser que progressivement.
La Commission propose aussi d'étendre le champ d'application des contrats pour la différence (CfD) bidirectionnels : ces contrats sont aujourd'hui réservés à la production d'énergies renouvelables ; la réforme propose d'en faire bénéficier les nouveaux investissements dans la production d'électricité à partir d'énergies renouvelables et nucléaire. Cette mesure répond à une demande exprimée par la France. Les CfD assurent ainsi au producteur, sur une longue période, une rémunération garantie et, au consommateur, une stabilité des prix. Dans ce mécanisme, le producteur d'électricité doit reverser à l'État le surplus de recettes perçues si le prix de marché est supérieur à un revenu de référence fixé par le contrat, qui doit être ensuite redistribué aux consommateurs, et a contrario, ses revenus sont garantis en cas de baisse des prix sur le marché.
Les CfD pourront permettre d'apporter un soutien public au programme français de construction de nouvelles installations nucléaires ainsi qu'aux opérations de rénovation et de modernisation du parc nucléaire existant, ce dont nous nous félicitons. En ce sens, le texte n'est pas contraire aux options de notre pays en matière énergétique. Il est indispensable que les CfD puissent s'appliquer aux investissements réalisés dans les installations nucléaires existantes. Ce point mérite d'être bien précisé dans le texte pour écarter toute ambiguïté lors de la mise en oeuvre du règlement.
Par ailleurs, les revenus pouvant être générés par les CfD devront être intégralement reversés à tous les consommateurs afin de limiter l'impact du marché de court terme sur leurs factures. Cette disposition rejoint très largement les positions adoptées par le Sénat en faveur de la protection des consommateurs, non seulement les particuliers, mais aussi les entreprises et les collectivités.
Enfin, afin de stimuler les marchés à terme, contrats de plus courte durée - trois à cinq ans - indispensables aux fournisseurs d'énergie pour gérer leur portefeuille de manière optimale et sécurisée, la réforme introduit des « prix de référence ». Issus de « virtual hubs », ou plateformes virtuelles, ces prix de référence établis sur des zones plus larges que celles des États membres permettraient, selon la Commission, de régler le problème de manque de liquidité des marchés. Avant de décider de la création de ces plateformes, il nous apparaît souhaitable de procéder à une évaluation pour en mesurer les bénéfices et les risques. Il serait sans doute plus opportun d'étendre sur une période plus longue les droits aux interconnexions afin de faciliter les couvertures des acteurs de marché sur le long terme.
Le deuxième pilier de mesures proposées vise aussi à stimuler les investissements dans les énergies renouvelables et leur intégration dans le système énergétique. Pour répondre aux besoins en flexibilité du système électrique, un équilibre est à trouver entre des moyens de production d'énergie de « base », fournissant un niveau d'électricité linéaire, et des moyens dits « de pointe », pouvant réagir en quelques minutes pour permettre d'ajuster la production d'électricité d'un pays à sa consommation. Aujourd'hui, ces moyens de pointe sont dominés par le gaz, technologie la plus flexible connue. L'objectif de la Commission est d'encourager d'autres flexibilités, telles que le stockage et l'effacement de consommation ou la demande flexible, pour répondre aux besoins de pointe sans avoir recours aux énergies fossiles. Ces mécanismes de capacité méritent d'être pris en considération dans un contexte de rareté de l'énergie, mais doivent, à notre avis, rester optionnels. L'évaluation des besoins en flexibilité doit être réalisée au niveau des États membres, et selon des modalités qu'il leur revient de définir.
La réforme proposée introduit également la possibilité pour les États membres d'encourager le développement des filières non fossiles à travers des mécanismes de soutien. Par ailleurs, en complément des investissements de réseau, une incitation financière est également proposée pour inciter les gestionnaires de transport et de distribution à se tourner vers des solutions de flexibilité, plutôt que de construire de nouvelles lignes.
S'agissant du troisième pilier, qui concerne la protection des consommateurs, la Commission européenne propose plusieurs séries de mesures pour leur permettre de faire face à la volatilité des prix de l'énergie sur les marchés de gros de court terme.
Tout d'abord, en cas de crise des prix de l'électricité au niveau régional ou à l'échelle de l'Union, le texte prévoit, sous certaines conditions, d'étendre les prix de détail réglementés aux ménages et aux PME, ce qui n'est aujourd'hui possible que pour les consommateurs vulnérables et les microentreprises. C'est à la Commission européenne qu'il reviendrait de décider de qualifier la situation de crise, en se fondant sur des critères de niveau de hausse des prix et de temporalité très restrictifs. Pour nous, cette décision doit être du ressort des États membres et reposer sur des critères plus souples pour permettre l'activation des mécanismes de soutien de façon optimale.
Par ailleurs, la réglementation européenne devrait selon nous permettre, au-delà des crises, de pérenniser et d'assouplir les interventions publiques ciblées dans la fixation des prix, pour l'ensemble des consommateurs, ce qui n'est pas prévu par la proposition de règlement.
Parmi les autres mesures proposées par la Commission, le droit au cumul de contrats auprès de fournisseurs d'énergie différents autorisera les consommateurs à souscrire à un contrat à prix fixe en complément de contrats dynamiques. Ce droit devrait donner aux consommateurs les moyens de se couvrir face aux risques que présentent ces derniers contrats, et leur éviter ainsi une exposition au prix de marché. Pour renforcer cet objectif, nous préconisons de rendre optionnelle la souscription à des contrats à tarification dynamique proposés par les fournisseurs d'électricité. Il nous apparaît nécessaire que le cadre réglementaire assure la meilleure protection possible aux consommateurs lorsqu'ils souscrivent des contrats de fourniture d'électricité.
La Commission propose aussi de protéger les clients vulnérables contre des coupures d'électricité en cas de défaut de paiement. Tout en estimant que le champ d'application de cette mesure doit demeurer une prérogative des États membres, nous préconisons, dans ces cas-là, de privilégier les diminutions de puissance aux interruptions de fourniture.
La Commission européenne a également repris dans son texte une demande forte portée par la France, concernant l'obligation des fournisseurs à se couvrir pour réduire le risque de défaillance, afin d'éviter la faillite de fournisseurs d'énergie qui s'était produite durant la crise. En effet, faute de couverture préalable par des contrats de long terme, les fournisseurs n'avaient pas acheté d'électricité suffisamment en avance et n'ont par conséquent pas pu honorer leurs contrats. Ils seront désormais obligés de souscrire à des contrats de long terme et de prévoir un fournisseur de dernier ressort pour prévenir ce risque.
M. Claude Kern, rapporteur. - Par ailleurs, la Commission européenne prévoit une révision du règlement Remit sur la transparence et l'intégrité du marché de gros de l'énergie afin de l'adapter aux évolutions des instruments financiers que sont les produits énergétiques de gros, d'en améliorer la transparence et de renforcer le rôle de l'Acer pour enquêter sur les abus de marché de nature transfrontalière. L'Agence disposerait ainsi de pouvoirs de coordination et d'enquête élargis, qui lui conféreraient un rôle central dans la régulation de ces marchés, au détriment des régulateurs nationaux. Or, à notre sens, l'Acer doit demeurer une agence de coordination et les autorités de régulation nationales doivent préserver leurs moyens d'action et conserver leur indépendance en matière de surveillance des marchés de gros de l'énergie.
Enfin, la Commission invite les États membres à déployer les outils de stockage de l'énergie existants et à adapter leur réglementation afin de renforcer la flexibilité du système énergétique pour l'adapter aux enjeux de la transition énergétique et climatique. Sur cette question, nous appelons à considérer l'ensemble de la chaîne de valeur des projets de stockage de l'énergie sous toutes ses formes et à intégrer au système énergétique toutes les sources d'énergies décarbonées.
M. Daniel Gremillet, rapporteur. - En conclusion, nous estimons que les mesures proposées par la Commission européenne assurent un équilibre entre les différentes positions des États membres pour permettre une adoption rapide de la réforme, d'ici à la fin de cette année. Après une orientation générale sur ce texte qui est prévue au Conseil du 19 juin et un vote au Parlement européen en juillet, les trilogues pourraient, en effet, débuter à la fin de cet été. Ce calendrier est d'autant plus important que les effets de la réforme ne seront pas nécessairement perceptibles à très court terme.
Cette réforme constitue, à notre avis qui est très largement partagé par les acteurs du marché, une étape importante dans le développement d'un marché de long terme, nécessaire pour stimuler les investissements dans des actifs de production décarbonée, mais elle doit aussi contribuer à garantir une stabilité et une prévisibilité des prix pour les consommateurs, tout en les faisant bénéficier de la compétitivité de notre parc de production. Ses effets économiques et sociaux devront, à notre sens, être nécessairement évalués.
Telles sont les observations que nous souhaitions faire sur ces propositions de règlement et recommandations visant à réformer le marché européen de l'électricité. Elles sont rassemblées dans la proposition de résolution européenne et l'avis politique que nous vous soumettons.
M. Jean-François Rapin, président. - Avant d'engager le débat, je propose à Pierre Laurent de présenter les propositions de modification qu'il a annoncées à titre personnel.
M. Pierre Laurent, rapporteur. - À l'alinéa 27 qui évoque les origines de la crise des prix de l'énergie, je souhaite faire référence à « l'indisponibilité partielle du parc nucléaire en France ».
M. Daniel Gremillet, rapporteur. - Cette précision a une dimension strictement nationale ; il ne me semble donc pas pertinent de l'ajouter dans cette proposition de résolution européenne.
M. Pierre Laurent, rapporteur. - Je retire cette proposition de rédaction.
À l'alinéa 34, qui concerne la nécessité de préserver et de renforcer la compétitivité industrielle de l'Union, je propose d'ajouter que nous devons aussi garantir « l'accessibilité » des prix.
À l'alinéa 37, le texte prévoit d'« accueillir favorablement » la proposition de la Commission européenne. C'est un point très important pour moi : cette rédaction me semble prématurée et je propose de lui substituer que le Sénat « note à ce stade » la proposition de la Commission.
À l'alinéa 40, qui fixe trois objectifs à la réforme de l'organisation du marché européen de l'électricité, je propose d'en ajouter un quatrième : « garantir à tous le droit à l'électricité, produit de première nécessité, et l'égalité de traitement dans les meilleures conditions de sécurité, de qualité, de coûts, de prix et d'efficacité économique, sociale et énergétique ».
À l'alinéa 42, après « Estime essentiel de faire bénéficier l'ensemble des consommateurs, ménages, entreprises et collectivités, de la compétitivité de l'électricité nucléaire décarbonée produite en France », je propose d'ajouter une référence à l'énergie hydraulique qui est aussi une énergie décarbonée. J'ai une proposition de même nature à l'alinéa 83 concernant les CfD.
À l'alinéa 43, qui demande que les factures d'électricité des consommateurs soient « moins » dépendantes des prix de marché de court terme, je propose d'enlever ce « moins » : les factures ne devraient pas être dépendantes des prix de marché de court terme.
À l'alinéa 52, qui souhaite que soit procédé, avant de décider de leur création, à une évaluation de la faisabilité technique des plateformes virtuelles, je crois que, au-delà de la faisabilité, nous devons aussi évaluer la pertinence et les coûts induits de ces plateformes.
À l'alinéa 57, je souhaite écrire que le développement de contrats de long terme basés sur les coûts de production doit permettre de garantir la protection des consommateurs contre la volatilité des prix et concourir à la compétitivité de l'industrie européenne.
À l'alinéa 59, dans le même esprit que ma proposition à l'alinéa 37, je préfère « noter » l'ambition de la Commission européenne de faire émerger un marché de long terme plutôt que la « soutenir ».
À l'alinéa 69, si je soutiens l'idée que l'organisation des PPA relève de la responsabilité des États membres, je ne souhaite pas « élargir » la liste de leurs bénéficiaires, mais la « contrôler ». Les PPA ne doivent pas servir à capter une partie du marché.
À l'alinéa 72, je souhaite indiquer que l'ensemble des recettes tirées des PPA par les producteurs doit être redistribué au profit des consommateurs, et pas seulement une partie de ces recettes.
Les propositions suivantes concernent la protection des consommateurs.
À l'alinéa 91, je crois que nous devons écrire qu'il est nécessaire « d'autoriser le maintien de tarifs réglementés pour tous les consommateurs si l'État le juge nécessaire ».
À l'alinéa 94, je souhaite que nous préconisions de pérenniser les tarifs réglementés.
Enfin, à l'alinéa 97, qui invite à envisager une extension des mesures de protection des consommateurs aux contrats de fourniture de gaz, je propose d'ajouter que cela passe par la mise en place d'un tarif de référence.
M. Jean-François Rapin, président. - Je propose aux deux autres rapporteurs de donner leur avis sur ces rédactions avant d'engager un débat plus général. Il me semble que ces propositions sont, pour certaines, redondantes quand d'autres modifient substantiellement la proposition de résolution qui nous est soumise.
M. Daniel Gremillet, rapporteur. - Je voudrais, tout d'abord, saluer l'implication de Pierre Laurent dans ce travail que nous avons mené ensemble.
Nous avons cependant des divergences de fond sur le principe même d'un marché de l'électricité et sur son fonctionnement. Ces divergences expliquent que, contrairement aux précédents travaux que nous avons conduits ensemble, il semble difficile aujourd'hui de parvenir à une position commune sur les propositions qui sont faites par la Commission européenne pour réformer le marché européen de l'électricité.
Dès lors, c'est une réponse d'ensemble que je ferai sur ces propositions de rédaction. Plusieurs de ces propositions reposent sur une appréciation différente de la réforme présentée par la Commission européenne par rapport au texte que Claude Kern et moi-même vous soumettons, notamment sur le soutien que nous apportons au développement d'un marché de long terme : nous estimons, même si nous émettons quelques réserves, qu'un tel marché peut permettre de faciliter les investissements dans les énergies décarbonées, renouvelables comme nucléaire, et de garantir aux consommateurs une meilleure stabilité des prix. D'ailleurs, nous proposons d'aller au-delà du champ des acteurs électro-intensifs pour encourager la signature de contrats de long terme par les particuliers et les PME dès lors qu'ils sont organisés.
Sur l'appréciation générale de la réforme proposée par la Commission européenne, nous ne partageons pas l'esprit de ces amendements et nous souhaitons maintenir « Accueille favorablement la proposition » et « Soutient l'ambition de la Commission européenne de faire émerger un marché de long terme ».
Certes, la Commission européenne ne propose pas une réforme structurelle du marché, mais nous considérons que les réponses qu'elle apporte doivent être soutenues. J'ajoute qu'aucune des personnes que nous avons auditionnées ne s'est prononcée contre la proposition de la Commission européenne de créer un marché à long terme.
Je crois que nous avons trouvé un équilibre et que nous devons nous y tenir. Certes, à l'alinéa 37, nous « accueillons favorablement la proposition de la Commission », mais à l'alinéa 38, nous « déplorons que les dispositions prévues ne permettent pas de prévenir tout risque de répercussion à court terme d'une nouvelle hausse des prix du gaz sur le prix de l'électricité ». Des contrats à long terme - il en existe déjà qui peuvent aller jusqu'à vingt ans - permettent d'assurer une visibilité pour les acteurs et de financer les investissements qui sont nécessaires.
Nous estimons également que l'enjeu industriel est essentiel pour assurer la compétitivité et la souveraineté économiques européennes. Nous avons aussi prévu de protéger les collectivités territoriales.
C'est pourquoi, même si plusieurs amendements ne remettent pas en cause les observations et recommandations formulées par la proposition de résolution européenne que nous vous soumettons, je vous propose, mes chers collègues, de ne pas la modifier et de conserver l'équilibre du texte.
M. Claude Kern, rapporteur. - Je vais dans le sens de Daniel Gremillet : le projet que nous vous avons présenté me semble équilibré et je vous propose de l'adopter tel quel.
M. Cyril Pellevat. - Plusieurs pays européens, dont la France, appelaient à une réforme en profondeur du marché, en particulier à un découplage des prix du gaz et de l'électricité. Nous n'avons malheureusement pas obtenu gain de cause sur ce point, la Commission européenne n'ayant pas retenu cette solution, notamment en raison de l'opposition de plusieurs États membres. C'est assez décevant, mais les propositions de la Commission ont malgré tout le mérite d'apporter des solutions, qui, sans être révolutionnaires, sont tout de même des avancées. Je pense en particulier aux contrats PPA et CfD, dont pourra bénéficier le nucléaire, ce qui est une bonne nouvelle pour notre filière.
Une adoption rapide de cette réforme avant l'hiver 2023 est une nécessité absolue, si nous souhaitons éviter de connaître une crise similaire à celle de l'année passée. De même, en vue de l'arrêt de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh) au 31 décembre 2025, autrement dit demain, il est nécessaire de modifier les règles relatives au marché de l'électricité le plus rapidement possible pour donner de la visibilité aux acteurs économiques. De nombreux investissements dépendent en effet de ces règles, RTE estimant par exemple qu'il faudra entre 59 et 80 milliards d'euros d'investissements en France chaque année jusqu'en 2060 pour faire face à la demande croissante d'électricité.
Or on constate actuellement un blocage du texte par certains pays européens, dont l'Allemagne, qui ne semblent pas être en faveur d'une adoption rapide. Un tel calendrier ne permettra pas une entrée en vigueur avant l'arrêt de l'Arenh, puisque, comme cela est souligné dans la PPRE, des mesures de transposition et d'adaptation par les États membres seront requises.
Je souhaiterais donc savoir si vous avez connaissance des raisons conduisant l'Allemagne à retarder l'adoption du texte et de la manière dont la France compte négocier en vue de son adoption la plus rapide possible.
M. Jacques Fernique. - Je voudrais d'abord dire que nous aurions aimé avoir plus de temps pour préparer l'examen de ce texte particulièrement dense et complexe.
L'avis du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires (GEST) est partagé.
Nous sommes plutôt d'accord sur le volet consacré au financement des investissements nécessaires à la transition énergétique, ce qui est appelé PPA et CfD dans le texte : nous devons soutenir les actifs bas carbone et des contrats de long terme devraient permettre d'augmenter la visibilité en termes de revenus pour les producteurs et - espérons-le - de stabiliser les prix pour les consommateurs. Il faut inciter les banques, et le monde financier en général, à investir dans des actifs bas carbone et des dispositifs adaptés permettraient de stimuler le secteur.
Nous sommes, en revanche, opposés à la volonté, majoritaire ici, de traiter sur le même plan le nucléaire et les énergies renouvelables.
Nous avons aussi eu un débat sur la subsidiarité en ce qui concerne l'Agence de coopération des régulateurs de l'énergie (Acer), et nous sommes en désaccord. Il faut une entité centrale européenne publique pour veiller à la bonne articulation du marché de l'énergie à l'échelle du continent. Si chaque autorité nationale agit de son côté, cela ne fonctionne pas bien. Or l'Acer ne dispose pas des moyens ni des pouvoirs adéquats, et les poursuites pour manipulation des prix sur le marché de gros sont donc rares...
M. Didier Marie. -Je regrette également le court délai que nous avons eu pour examiner ce texte, qui compte pas moins de 121 considérants... Je m'en tiendrai donc à un avis global. La crise du prix de l'énergie ne tient pas seulement à la guerre en Ukraine : elle révèle un dysfonctionnement structurel du marché et les limites de nos infrastructures. C'est donc tout le système qui doit être repensé.
Or la proposition de la Commission n'est qu'une adaptation du système actuel de tarification marginale et ne prévoit pas de découplage du prix du gaz et de celui de l'électricité. Cela signifie que nous aurons des améliorations, bien sûr, mais rien ne nous garantit qu'elles permettront de résister à une nouvelle crise. De plus, nous ne savons pas si ces améliorations prendront suffisamment en compte nos besoins pour relever le défi climatique.
Certains points positifs ont été soulignés, tels que le recours aux contrats de long terme pour tenter de stabiliser le marché, ainsi qu'un rôle plus important de la puissance publique. Cependant, j'aurais personnellement souhaité un rôle encore plus fort de la puissance publique afin de mieux coordonner l'ensemble du système, et pas seulement certains aspects en laissant le marché régler le reste.
Il y a également des points positifs en ce qui concerne la transparence, mais il y a des lacunes sur la protection des consommateurs. Bien qu'il y ait une volonté affichée de mieux prendre en compte leur situation et de mieux les protéger, la mise en place de contrats de tarification dynamique peut poser de réelles difficultés pour eux. Il leur sera difficile de s'y retrouver dans la multitude d'offres proposées par les fournisseurs. J'aurais souhaité que des contrats de fourniture à prix fixe soient disponibles, avec interdiction pour les fournisseurs de modifier les conditions ou de les résilier, ainsi que des systèmes visant à lutter contre la précarité énergétique, notamment en utilisant une partie des profits générés grâce aux contrats pour différence.
Il est clair qu'il y a d'importantes améliorations à apporter au texte de la Commission. Les négociations sont en cours et nous ne savons pas à quel niveau ni à quel moment nous aboutirons. À l'heure actuelle, nous nous abstiendrons de prendre position sur la proposition de résolution. Il y a des éléments qui nous conviennent et d'autres qui ne nous conviennent pas. Personnellement, je dois dire qu'il y a plus d'éléments qui ne me conviennent pas que l'inverse. Cependant, puisque le texte va poursuivre son parcours en commission des affaires économiques, nous devons laisser la possibilité à nos collègues de cette commission de prendre le temps d'examiner en détail le texte, d'évaluer les différents alinéas et de proposer un certain nombre d'amendements.
M. Jean-François Rapin, président. - Nous avons évoqué en bureau la question des délais. Nous avions trois rapporteurs, sur un sujet important, et ceux-ci ont procédé à beaucoup d'auditions.
M. André Reichardt. - Je suis très partagé sur cette proposition de résolution. Il s'agit d'un domaine très sensible. J'avais compris que notre Gouvernement souhaitait s'engager résolument et effectivement dans un découplage des prix du gaz et de l'électricité. Or, la proposition de la Commission acte autre chose. Cela me chagrine beaucoup. Si nous adoptions cette proposition de résolution européenne, qui « accueille favorablement » la position de la Commission, nous reviendrions sur ce qui me paraissait fondamental, c'est-à-dire la position de la France, qui devait être portée au plus haut niveau et de manière très forte.
J'ai pris connaissance des propositions d'amendement de Pierre Laurent et je m'étonne que celui-ci n'aille pas encore plus loin. Je rends hommage à sa volonté d'essayer de trouver un accord, car, pour ma part, je préférerais « note, à ce stade » à « accueille favorablement »... Si nous avions pu prendre connaissance de ces amendements plus tôt, notre travail en commission s'en trouverait amélioré, Monsieur le Président.
En tous cas, à ce stade, je répète que je suis réservé, essentiellement parce que nous cautionnons un recul sur l'engagement gouvernemental de forcer la Commission à aller vers un découplage. Puisque ce document sera examiné, je l'espère avec plus de temps, par la commission des affaires économiques, je préfère m'abstenir pour le moment.
M. Jean-François Rapin, président. - La commission des affaires économiques examinera ce texte la semaine prochaine. Nous avons aussi évoqué en réunion de bureau la charge de travail de notre commission, très lourde actuellement.
M. Daniel Gremillet, rapporteur. - Merci pour vos commentaires et vos prises de position. Je dois vous dire que pour nous aussi, il n'était pas simple de mener ce travail dans le contexte actuel. Je pense que vous en êtes conscients.
Sur le découplage, je comprends votre position, qui était également celle des trois rapporteurs. La France est seule à demander ce découplage au sein de l'Union européenne. Il y a une situation à court terme et une situation à long terme. Nous savons tous qu'aujourd'hui, la France est piégée par la situation à court terme, car elle n'a pas suffisamment investi dans les capacités de production d'énergie électrique. Nous sommes en train de décarboner progressivement au profit de l'énergie électrique, tout en progressant également dans la rénovation énergétique.
Nous avons besoin de puissance, comme l'a souligné hier le ministre Bruno Le Maire lors de son audition. Il est évident que nous faisons face à un défi important en termes de capacité de fourniture d'énergie électrique à court terme en France, et la seule solution pour y faire face est l'interconnexion européenne, qui est absolument nécessaire pour notre pays. Même si notre proposition met en avant une situation plus favorable, avec les capacités offertes par les énergies renouvelables, celles-ci ne garantissent pas une fourniture constante à tout moment. Nous pouvons proposer diverses mesures, notamment d'effacement, mais il existe un risque de black-out et, pour le réduire, notre pays a besoin de l'aide des autres pays, via l'interconnexion. Toutes les organisations que nous avons auditionnées ont confirmé cela. Même la France a dû recourir à l'interconnexion en remettant en route la centrale de Saint-Avold. Il n'existe pas une seule capacité de fourniture immédiate qui puisse éviter le black-out, à part le gaz.
L'Allemagne est en position de force et continue de construire de nouvelles centrales au gaz. Même elle, pourtant, se trouve parfois dans une situation de fragilité en termes de production énergétique, car les énergies renouvelables ne sont pas suffisantes, le nucléaire n'est pas au rendez-vous et l'hydroélectricité ne peut pas fournir des volumes suffisants. Dans ce contexte, ce sont les centrales au gaz qui assurent le fonctionnement efficient des interconnexions et qui, par conséquent, nous permettent d'éviter le black-out. Le principe de tarification marginale permet ainsi de garantir la sécurité d'approvisionnement en Europe. Je comprends vos préoccupations, mais nous ne pouvons pas aller plus loin, étant donné que nous sommes complètement isolés et que nous ne pouvons pas, à ce stade, revendiquer que la France conserve la souveraineté énergétique électrique qu'elle a perdue.
M. Claude Kern, rapporteur. - Nous avons bien compris lors de ces auditions que l'année 2022 aurait été catastrophique si nous n'avions pas eu accès à l'interconnexion. Nous aurions passé un hiver vraiment difficile en France. Vous avez notamment parlé du dysfonctionnement structurel, et il est vrai qu'il ne s'agit pas seulement de la crise, mais aussi du fait que, à un moment donné, nous avons dû reporter les maintenances durant la période de la covid. Aujourd'hui, nous regrettons cette décision, car nous aurions sans doute pu les effectuer malgré tout, mais nous ne pouvons pas revenir en arrière. Le résultat est que beaucoup d'unités ne fonctionnent pas correctement - d'où la nécessité de l'interconnexion, dont nous aurons encore besoin dans les années à venir. Nous n'avons pas la capacité de fournir suffisamment d'électricité, surtout pendant la période hivernale.
M. Jean-François Rapin, président. - Nous avions organisé une table ronde en octobre 2022 avec des membres de la Commission européenne, qui nous expliquaient qu'il y avait un vrai risque de black-out si l'hiver était très froid. Nous en étions tous ressortis très démoralisés...
M. Daniel Gremillet, rapporteur. - Vous avez tous en mémoire les alertes de l'analyse perspective de RTE, qui nous dit que les hivers 2023 et 2024, voire 2025, sont sujets à de grandes incertitudes. Et ce n'est pas en claquant des doigts que nous allons produire davantage d'énergies renouvelables. Le secteur des renouvelables a été critiqué, mais il a généré d'importantes recettes en 2022 en raison de la flambée des prix sur le marché. Nous soutenons donc la redistribution de ces revenus.
J'insiste sur ce point parce que nous savons que les énergies renouvelables, tant que nous n'aurons pas réalisé des progrès plus importants, même à moyen terme, présentent des limites. Hier, lors d'une table ronde sur les énergies et la mobilité, nous avons compris que les batteries offriront demain de réelles capacités de stockage, mais qu'aujourd'hui elles ne sont pas encore suffisamment performantes. Nous faisons donc une distinction entre notre responsabilité à court terme, qui nous expose effectivement à des risques, et le plus long terme, lorsque nous aurons nos premiers nouveaux réacteurs en production, lorsque nous disposerons d'un parc éolien offshore ou terrestre plus important, d'une production solaire accrue, et d'une énergie hydraulique plus conséquente.
M. Pierre Laurent, rapporteur. - Nous avons un débat de fond sur l'organisation du marché, avec des points de vue différents entre les trois rapporteurs. Je pense que ces divergences de points de vue continueront à s'exprimer au sein de la commission des affaires économiques.
Je tiens à réaffirmer que le sujet pour nous n'est pas de sortir complètement des interconnexions, qui semblent nécessaires, mais plutôt de nous demander si nous devons continuer d'accepter les règles du marché actuel. Nous avons effectivement une différence sur ce point.
Dans cette optique, j'ai essayé de faire des propositions prudentes, qui respectent le sens même de la proposition de résolution, tout en reconnaissant ses limites sur le fond. Celle-ci comprend toute une série de recommandations visant à améliorer les outils proposés et, éventuellement, à élargir leur champ d'application, notamment en ce qui concerne les contrats de long terme. De plus, elle met l'accent sur l'importance de conserver une certaine marge de manoeuvre pour les États membres dans la mise en oeuvre du règlement. Ce point est très important, et explique d'ailleurs notre désaccord sur le rôle de l'Acer.
Les modalités de mise en oeuvre de ce nouveau règlement dans les États membres feront l'objet de nombreux débats. La question du devenir de ce texte à l'issue de son adoption est importante pour de nombreux sujets, à commencer par la protection des consommateurs. Qui décide, en effet, que les consommateurs font face à une situation de crise ? En l'état, le projet de règlement dispose que la Commission européenne définit les situations de crise, selon des critères très restrictifs. Nous recommandons que les États membres aient la main sur ce point.
J'ai proposé d'écrire dans la proposition de résolution que le Sénat « note », plutôt que « accueille favorablement » la proposition de la Commission européenne de réformer l'organisation du marché de l'électricité de l'Union, car la prudence est de mise. Le compromis européen ayant abouti à ce projet de règlement est en effet instable. Il reste de longs mois de négociation, avant l'accord final prévu à la fin de l'année. Nous devons nous donner la possibilité de faire valoir fermement certaines de nos positions, pour ne pas risquer de nous retrouver face à un projet de règlement qui n'irait pas dans le sens de la France. C'est l'objet de mes propositions de modifications.
De nombreuses questions restent par ailleurs en suspens, notamment concernant le système qui remplacera l'Arenh, ou encore le périmètre d'intervention d'EDF. Il faudra maintenir un haut niveau de vigilance sur ces points.
Les modifications de rédaction proposées par M. Pierre Laurent ne sont pas adoptées.
M. Didier Marie. - L'approche globale qui sous-tend la proposition de résolution nous conduit à nous abstenir sur l'ensemble.
La commission autorise la publication du rapport d'information et adopte la proposition de résolution européenne, disponible en ligne sur le site du Sénat, ainsi que l'avis politique qui en reprend les termes et qui sera adressé à la Commission européenne.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE
Le Sénat,
Vu l'article 88-4 de la Constitution,
Vu l'article 194, paragraphe 2, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE),
Vu la loi n° 2010-1488 du 7 décembre 2010 portant nouvelle organisation du marché de l'électricité, dite loi NOME,
Vu la loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat, dite loi Énergie-Climat,
Vu la loi n° 2022-1158 du 16 août 2022 portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat, dite loi Pouvoir d'achat,
Vu le règlement (UE) n° 1227/2011 du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011 concernant l'intégrité et la transparence du marché de gros de l'énergie,
Vu la directive (UE) 2018/2001 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 relative à la promotion de l'utilisation de l'énergie produite à partir de sources renouvelables,
Vu le règlement (UE) 2019/942 du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2019 instituant une agence de l'Union européenne pour la coopération des régulateurs de l'énergie,
Vu le règlement (UE) 2019/943 du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2019 sur le marché intérieur de l'électricité,
Vu la directive (UE) 2019/944 du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2019 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité et modifiant la directive 2012/27/UE,
Vu le règlement (UE) 2021/1119 du Parlement Européen et du Conseil du 30 juin 2021 établissant le cadre requis pour parvenir à la neutralité climatique et modifiant les règlements (CE) 401/2009 et (UE) 2018/1999 (« loi européenne sur le climat »),
Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive (UE) 2018/2001 du Parlement européen et du Conseil, le règlement (UE) 2018/1999 du Parlement européen et du Conseil et la directive 98/70/CE du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne la promotion de l'énergie produite à partir de sources renouvelables, et abrogeant la directive (UE) 2015/652 du Conseil, COM(2021) 557 final,
Vu la communication de la Commission européenne au Parlement européen, au Conseil européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions du 13 octobre 2021 intitulée « La lutte contre la hausse des prix de l'énergie : une panoplie d'instruments d'action et de soutien », COM(2021) 660 final,
Vu la résolution du Sénat n° 47 (2021-2022) du 7 décembre 2021 sur l'inclusion du nucléaire dans le volet climatique de la taxonomie européenne des investissements durables,
Vu la communication de la Commission européenne au Parlement européen, au Conseil européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions du 18 mai 2022 intitulée « Plan REPowerEU », COM(2022) 230 final,
Vu les déclarations de la Présidente de la Commission européenne lors d'une conférence donnée au forum stratégique de Bled, en Slovénie, les 29 et 30 août 2022, et son discours sur l'état de l'Union devant le Parlement européen, à Strasbourg, le 14 septembre 2022,
Vu le règlement (UE) 2022/1854 du Conseil du 6 octobre 2022 sur une intervention d'urgence pour faire face aux prix élevés de l'énergie,
Vu le règlement (UE) 2022/2577 du Conseil du 22 décembre 2022 établissant un cadre en vue d'accélérer le déploiement des énergies renouvelables,
Vu le règlement (UE) 2022/2578 du Conseil du 22 décembre 2022 établissant un mécanisme de correction du marché afin de protéger les citoyens de l'Union et l'économie contre des prix excessivement élevés,
Vu la loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables,
Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil du 14 mars 2023 modifiant les règlements (UE) nº 1227/2011 et (UE) 2019/942 afin d'améliorer la protection de l'Union contre la manipulation du marché de gros de l'énergie, COM(2023) 147 final,
Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil du 14 mars 2023 modifiant les règlements (UE) 2019/943 et (UE) 2019/942 ainsi que les directives (UE) 2018/2001 et (UE) 2019/944 afin d'améliorer l'organisation du marché de l'électricité de l'Union, COM(2023) 148 final,
Vu la recommandation de la Commission européenne du 14 mars 2023 relative au stockage de l'énergie -- « Soutenir un système énergétique de l'UE décarboné et sûr » (2023/C 103/01),
Vu le projet de loi n°117, adopté le 16 mai 2023, dans les conditions prévues à l'article 45, alinéa 3, de la Constitution, par l'Assemblée nationale, relatif à l'accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes,
Vu la résolution du Sénat portant avis motivé n° 111 (2022-2023) du 22 mai 2023 sur la conformité au principe de subsidiarité de la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant les règlements (UE) n° 1227/2011 et (UE) 2019/942 afin d'améliorer la protection de l'Union contre la manipulation du marché de gros de l'énergie - COM(2023) 147 final,
Considérant que la crise des prix de l'énergie qu'a connue l'Union européenne à la suite de la reprise économique consécutive à la pandémie de Covid-19, et qui s'est aggravée avec la guerre menée par la Russie contre l'Ukraine, est essentiellement une crise liée à l'approvisionnement énergétique du continent européen ;
Considérant que la crise des prix de l'électricité a révélé les faiblesses du fonctionnement actuel du marché européen de l'électricité qui ne permet pas de faire émerger un signal de prix de long terme, pourtant nécessaire pour orienter les investissements vers la production d'électricité à partir de sources d'énergies décarbonées ;
Considérant que les prix sur le marché de gros de l'électricité sont déterminés par le coût de production de la dernière centrale appelée, qui est le plus souvent une centrale à gaz ou à charbon, soit, par conséquent, par le prix des combustibles fossiles ;
Considérant que le système actuel a exposé les consommateurs à la hausse très importante des prix de gros de l'électricité et que les gouvernements nationaux ont, de ce fait, dû adopter des mesures spécifiques pour atténuer l'augmentation soudaine et durable des factures d'électricité ;
Considérant que les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre d'au moins 55 % en 2030, par rapport à 1990, et d'atteinte de la neutralité carbone à l'horizon 2050, nécessitent le développement de moyens de production électrique décarbonée pour assurer l'électrification des usages et des procédés ;
Considérant, en conséquence, que la forte hausse des prix des énergies, le modèle de formation des prix de gros de l'électricité et son impact sur les prix de détail, ainsi que les objectifs de la transition énergétique et climatique qui orientent la stratégie industrielle européenne appellent à réformer en profondeur le marché européen de l'électricité ;
Considérant les enjeux de sécurité d'approvisionnement électrique sur le long terme qui nécessitent de favoriser et d'optimiser les échanges transfrontaliers d'électricité et de préserver le système électrique européen de tout risque de défaillance ;
Considérant la nécessité de préserver et de renforcer la compétitivité industrielle de l'Union, en garantissant plus particulièrement la stabilité et la prévisibilité des prix des énergies ainsi la souveraineté de chaque État membre dans la détermination de son mix énergétique ;
Considérant que l'article 194 du TFUE reconnaît que les mesures prises dans le domaine de l'énergie ne doivent pas porter atteinte au droit d'un État membre de déterminer les conditions d'exploitation de ses ressources énergétiques, son choix entre différentes sources d'énergie et la structure générale de son approvisionnement énergétique ;
Sur l'organisation du marché de l'électricité de l'Union
Accueille favorablement la proposition de la Commission européenne de réformer l'organisation du marché de l'électricité de l'Union qui, sans remettre en cause le fonctionnement de ce marché et ses fondamentaux, encourage le développement d'un marché de long terme et doit faciliter les investissements dans les technologies décarbonées ;
Déplore que les dispositions prévues ne permettent pas de prévenir tout risque de répercussion à court terme d'une nouvelle hausse des prix du gaz sur le prix de l'électricité ; souligne, à ce titre, que la réforme envisagée n'aura pas d'impact sur le marché de court terme et que le principe de tarification au prix marginal sur le marché de gros, couplant dans les faits le prix de l'électricité avec celui du gaz, est conservé ;
S'interroge sur la nécessité de procéder conjointement à une révision de la législation relative à la protection contre les manipulations de marché de l'énergie ;
Estime que la réforme de l'organisation du marché européen de l'électricité doit poursuivre trois objectifs : garantir aux consommateurs une protection contre la volatilité des prix des énergies et un bénéfice dans les investissements réalisés dans les sources d'énergies décarbonées, contribuer à renforcer la compétitivité de l'économie européenne face à la concurrence internationale et concourir à la transition énergétique en préservant la neutralité technologique entre les différentes sources d'énergies décarbonées ;
Rappelle que cette réforme doit garantir la compétence des États membres dans la définition de leur bouquet énergétique et assurer à l'énergie nucléaire et à l'hydrogène en étant issu, piliers de notre sécurité d'approvisionnement électrique, une complète neutralité technologique ;
Estime essentiel de faire bénéficier l'ensemble des consommateurs, ménages, entreprises et collectivités, de la compétitivité de l'électricité nucléaire décarbonée produite en France ;
Demande que les factures d'électricité des consommateurs soient moins dépendantes des prix de marché de court terme et reflètent mieux les coûts de production de l'électricité ; estime nécessaire d'apporter une solution globale et pérenne à tous les consommateurs, ménages, entreprises et collectivités, pour les protéger des hausses de prix de l'électricité ;
Soutient que l'adoption de la proposition de règlement sur l'organisation du marché européen de l'électricité par le Conseil et le Parlement européen doit intervenir au plus tôt et avant la fin du mandat de la Commission européenne, d'autant que l'entrée en vigueur de la réforme nécessitera des mesures de transpositions et d'adaptations par les États membres et que, par conséquent, ses effets ne seront pas perceptibles rapidement ;
Estime nécessaire d'évaluer régulièrement les effets économiques et sociaux qu'aura la réforme sur le fonctionnement du marché européen de l'électricité ;
Sur le fonctionnement du marché de l'électricité de l'Union
Considérant que le marché intérieur de l'électricité permet d'assurer en continu la sécurité d'approvisionnement électrique en Europe à un coût compétitif et que les interconnexions protègent les consommateurs contre les coupures d'électricité et peuvent aussi être génératrices d'excédents commerciaux pour les États membres ;
Considérant que les États membres pourront introduire des mécanismes de capacité pour promouvoir les solutions de flexibilité pour les sources d'énergies décarbonées ;
Considérant que les dispositions relatives au régime d'aide à la flexibilité doivent permettre de renforcer la sécurité d'approvisionnement électrique ;
Estime que les mécanismes de capacité doivent rester optionnels et que l'évaluation des besoins en flexibilité doit être réalisée au niveau des États membres et selon les modalités définies par ces derniers ;
Suggère que les échéances sur les droits aux interconnexions soient prolongées ;
Souhaite que soit procédé, avant de décider de leur création, à une évaluation de la faisabilité technique des plateformes virtuelles et de la gestion de l'équilibrage à trente minutes pour le marché à terme, compte tenu des incertitudes techniques liées à leur faisabilité et à leur efficacité ;
Appelle à consolider la compétence des États membres pour mieux réguler les autorisations de fourniture d'électricité, dont les obligations de couverture, et les opérations de courtage ;
Sur le financement des investissements nécessaires à la transition énergétique
Considérant que les propositions de la Commission européenne sont essentiellement ciblées sur le développement d'un marché de long terme, en encourageant le déploiement de contrats à plus long terme pour la production d'électricité à partir de sources d'énergies décarbonées ;
Considérant que les producteurs d'électricité doivent pouvoir disposer d'une visibilité à long terme sur les prix de valorisation de leur production afin de favoriser les investissements dans des installations de production d'électricité à partir de sources d'énergies décarbonées ;
Considérant que le développement d'un marché de long terme doit permettre de garantir la protection des consommateurs contre une trop grande volatilité des prix et concourir à la compétitivité de l'industrie européenne ;
Considérant que le cadre règlementaire actuel n'encourage pas le développement de contrats à long terme en limitant les incitations à y souscrire pour les consommateurs et les fournisseurs ;
Soutient l'ambition de la Commission européenne de faire émerger un marché de long terme, dans le cadre de contrats de gré à gré visant à renforcer le marché à terme, tels que les Power Purchase Agreements (PPA), les Contracts for Difference (CfD) ou les forwards, afin de financer les investissements productifs dans les énergies renouvelables et nucléaire ;
Préconise d'allonger la durée des forwards, de conserver un soutien par tarifs d'achat et d'autoriser un système de garanties publiques ;
Propose d'appliquer aux réseaux de distribution d'électricité un encadrement des délais de raccordement similaire à celui des réseaux de transport ;
Appelle à garantir un niveau de ressources suffisant aux gestionnaires des réseaux de distribution et de transport d'électricité et aux collectivités territoriales ;
Sur les accords d'achat d'électricité
Considérant les facilités accordées aux États membres par la Commission européenne pour permettre le déploiement dans l'Union des Power Purchase Agreements (PPA) garantissant aux entreprises des prix plus stables, susceptibles d'encourager la production d'énergies renouvelables ;
Considérant que le prix des PPA pourrait être fixé par anticipation des prix de marché à moyen terme et pourrait, en conséquence, refléter le prix de moyen terme des combustibles fossiles qui devraient encore être utilisés ;
Considérant que les PPA ont déjà été mis en oeuvre en France pour la production d'énergies renouvelables ;
Fait valoir le rôle des PPA pour assurer la compétitivité de l'industrie européenne à l'égard de la concurrence internationale et le respect des engagements européens en matière de décarbonation ;
Préconise que les PPA puissent être conclus pour la production d'électricité à partir de toutes les sources d'énergies décarbonées, nucléaire comme renouvelables, ainsi qu'à l'hydrogène, d'origine nucléaire comme renouvelable ;
Appelle à garantir la compétence des États membres dans la définition du champ et des modalités des PPA, à veiller à leur caractère rentable, à allonger leur durée, à élargir la liste de leurs possibles bénéficiaires et à envisager leur utilisation dans le cadre du soutien aux industries exposées à la concurrence internationale ;
Estime nécessaire que l'ensemble des acteurs de marché, indépendamment de leur taille, puissent être en mesure de bénéficier de ces instruments de long terme, et notamment que le recours aux PPA ne soit pas réservé aux seules industries électro-intensives ;
Considère que les outils que sont les PPA ne constituent pas à eux seuls des moyens suffisants pour assurer une meilleure adéquation des prix de l'électricité avec les coûts réels de production, en particulier de production d'une électricité issue de l'énergie nucléaire, d'autant que la couverture par les PPA d'une importante partie de la production ne pourra se réaliser que progressivement ;
Suggère qu'une part des recettes tirées des PPA par les producteurs puisse être redistribuée au profit des consommateurs ;
Invite à envisager une extension de ces mécanismes au gaz et à la chaleur renouvelables ;
Sur les contrats pour différence
Considérant que la Commission européenne propose de recourir aux Contracts for Difference (CfD) « bidirectionnels », à prix garanti par l'État, pour encourager les nouveaux investissements dans la production d'électricité de sources d'énergies décarbonées ;
Considérant que les CfD assurent aux producteurs une rémunération garantie et aux consommateurs une stabilité des prix sur le long terme ;
Considérant que les CfD ont déjà été mis en oeuvre en France pour la production d'énergies renouvelables ;
Considérant que la Commission européenne prévoit que les recettes excédentaires perçues auprès des producteurs soumis à des CfD seront reversées à tous les consommateurs finaux, tout en veillant à la mise en place d'incitations à la maîtrise de la consommation, notamment aux heures de pointe ;
Estime que les CfD sont des instruments efficaces pour contribuer à la stabilité des prix de l'électricité payés par l'ensemble des consommateurs, rapprocher les factures des consommateurs des coûts de production de long terme et favoriser les investissements dans la transition énergétique et climatique ;
Se félicite que les nouveaux investissements financés par des fonds publics dans la production d'électricité de sources d'énergies décarbonées, y compris nucléaire, puissent bénéficier des CfD ;
Appelle à ce que les CfD puissent s'appliquer à tous les investissements réalisés dans la production d'électricité à partir d'énergie nucléaire, y compris le fonctionnement des installations de production et l'innovation leur sein, et de toutes sources d'énergies renouvelables (énergie hydraulique, énergie marine, énergie biomasse...) ainsi que dans l'hydrogène, d'origine nucléaire comme renouvelable ;
Appelle à ce que les CfD prennent en compte le cycle de vie des différents actifs ;
Demande qu'il soit effectivement prévu que les CfD s'appliquent aux investissements réalisés pour l'extension de la durée de vie des installations de production d'électricité à partir d'énergie nucléaire ;
Estime nécessaire de garantir la compétence des États membres dans la définition du champ et des modalités des CfD, de veiller à leur caractère volontaire et de considérer leur utilisation dans le cadre de la nouvelle régulation de l'énergie nucléaire ;
Approuve qu'une part des recettes excédentaires perçues auprès des producteurs soumis à des CfD puisse être redistribuée au profit des consommateurs ;
Invite à envisager une extension de ces mécanismes au gaz et à la chaleur renouvelables ;
Sur les mesures visant à protéger les consommateurs particuliers et professionnels
Sur les mesures de protection des consommateurs finaux
Considérant que la Commission européenne propose que les consommateurs puissent avoir accès à un large éventail d'offres de fourniture d'électricité et que les ménages en situation de précarité énergétique ou les clients vulnérables soient mieux protégés ;
Demande que la définition des ménages en situation de précarité énergétique ou des clients vulnérables relève de la compétence des États membres ;
Estime nécessaire de promouvoir les contrats les plus protecteurs des consommateurs, que ce soit à prix fixe ou pluriannuel, dont les tarifs réglementés de vente d'électricité ;
Suggère de rendre optionnels pour les consommateurs les contrats à tarification dynamique ;
Souhaite que les diminutions de puissance soient privilégiées aux interruptions de fourniture, en cas d'impayés de facturation des ménages en situation de précarité énergétique ou des clients vulnérables ;
Préconise de pérenniser et d'assouplir les interventions publiques ciblées dans la fixation des prix, au-delà des crises, pour les ménages, les PME-TPE, les collectivités territoriales et les associations ;
Appelle à ce que les dispositions prévues pour les TPE par les règlement et directive sur l'organisation du marché de l'électricité soient systématiquement étendues aux PME ;
Appelle à garantir aux fournisseurs de secours et aux collectivités territoriales un niveau de ressources suffisant ;
Invite à envisager une extension des mesures de protection des consommateurs aux contrats de fourniture de gaz ;
Sur la reconduction des prix de détail réglementés pour les ménages et les PME en cas de crise des prix de l'électricité
Considérant que la Commission européenne propose de permettre aux États membres de reconduire les prix de détail réglementés pour les ménages et les PME en cas de crise des prix de l'électricité au niveau régional ou à l'échelle de l'Union ;
Considérant que la déclaration de situation de crise relèverait de la Commission et serait fondée sur des critères très restrictifs ;
Estime que la décision de qualifier une situation de crise des prix de l'électricité ne doit pas relever de la Commission européenne mais doit ressortir des États membres ;
Demande que les critères requis pour déclarer une situation de crise des prix de l'électricité soient assouplis en termes d'intensité et de durée prévisible de hausse des prix de l'électricité ;
Sur l'évolution des règles de surveillance des marchés de gros de l'électricité
Considérant que la Commission européenne prévoit de renforcer le rôle de l'Agence de l'Union européenne pour la coopération des régulateurs de l'énergie (ACER) en matière de surveillance des marchés de gros et d'étendre ses compétences, notamment en matière d'enquêtes en lui accordant des pouvoirs d'investigation et de poursuite, dans un contexte transfrontalier ou en cas d'absence d'intervention de l'autorité de régulation nationale, sur les manquements à l'application du règlement REMIT ;
Considérant que l'ACER a pour mission de faciliter la coopération entre les régulateurs nationaux de l'énergie et d'assurer un fonctionnement efficace et cohérent du marché de l'énergie ;
Considérant que l'ACER dispose déjà de prérogatives pour impulser et coordonner des enquêtes en cas de soupçon d'abus de marché, qu'elle doit exercer en coopération avec les régulateurs nationaux ;
Estime qu'en raison de leur expérience et de leur fine connaissance du marché de gros de l'énergie au plan national, les autorités de régulation nationales doivent conserver les moyens d'enquête et de sanction actuellement à leur disposition pour lutter efficacement contre toute atteinte à l'intégrité et à la transparence des marchés de gros de l'énergie, dans le respect du principe de subsidiarité ;
Considère que l'édiction d'observations et de recommandations par l'ACER ne doit pas avoir un caractère contraignant et que les États membres et leurs autorités de régulation nationales doivent conserver la responsabilité de leur propre réglementation énergétique ;
Demande que les mesures liées à la surveillance des marchés de gros de l'énergie préservent les moyens d'action et l'indépendance des autorités de régulation et des juridictions nationales ;
Conteste, à ce titre, le transfert de compétences des régulateurs nationaux vers l'ACER ;
Sur le stockage de l'énergie
Considérant que la Commission européenne invite les États membres à utiliser les outils existants et à adapter leur réglementation afin de favoriser la flexibilité du système énergétique et notamment le stockage ;
Considérant qu'en 2030, 69 % de la production électrique de l'Union européenne devraient provenir de sources renouvelables et que l'électrification des usages et des procédés devrait très fortement croître ;
Considérant les opportunités de développement des technologies de stockage de l'électricité dans le futur ;
Préconise d'intégrer toutes les sources d'énergies décarbonées, qu'elles soient renouvelables ou nucléaire, et toutes les formes de stockage de l'énergie (batterie, hydrogène, hydroélectricité, méthanisation...) ;
Suggère de faire bénéficier les projets de stockage de l'énergie des outils de soutien de financement nouveaux (PPA, CfD...) ou existants (taxation de l'énergie, tarifs d'accès aux réseaux, projets importants d'intérêt européen commun - PIIEC...) ;
Demande que soit privilégié un critère lié aux émissions de CO2, plutôt qu'un critère sur les technologies vertes, pour la sélection des projets de stockage de l'énergie ;
Propose d'associer les propriétaires publics des réseaux et des logements à la mise en oeuvre des projets de stockage de l'énergie ;
Souligne la nécessité de considérer l'ensemble de la chaîne de valeur des projets de stockage de l'énergie pour apprécier leur impact en termes d'approvisionnement en minerais et métaux, de relocalisation de la production, et de recyclage des déchets ;
Invite à envisager une extension des solutions recommandées par la Commission européenne au gaz et à la chaleur renouvelables ;
Invite le Gouvernement à soutenir ces orientations et à les faire valoir dans les négociations en cours et à venir au Conseil.
LA RÉSOLUTION EN CONSTRUCTION
Pour naviguer dans les rédactions successives du texte, le tableau synoptique de la résolution en construction est disponible sur le site du Sénat à l'adresse suivante :
https://www.senat.fr/tableau-historique/ppr22-669.html
ANNEXE
Table ronde : « Le marché
de l'électricité
dans l'Union européenne : quelle
réforme ? »,
organisée par la commission des
affaires européennes
et la commission des affaires
économiques du Sénat
Jeudi 1er décembre
2022
M. Jean-François Rapin, président. - Monsieur le président, mesdames et messieurs, mes chers collègues, découplage du prix du gaz et de l'électricité, plafonnement du prix du gaz, extension du mécanisme ibérique, réforme du marché européen de l'électricité : l'Union européenne est divisée sur les moyens à mettre en oeuvre pour parvenir à limiter la hausse des prix de l'électricité en Europe, une hausse qui a débuté en 2021, avec la reprise économique qui a suivi la pandémie, et qui s'est accentuée en 2022, avec la guerre en Ukraine, car le prix de l'électricité grimpe avec ceux du gaz et du pétrole : ainsi, le prix de l'électricité sur le marché européen de gros avait déjà plus que doublé au dernier trimestre 2021, et il s'est maintenu en 2022 à un niveau très élevé, atteignant un pic inédit, fin août, à plus de 1 100 euros par MWh.
La France a été largement épargnée grâce au bouclier tarifaire, même si la Première ministre a annoncé, pour début 2023, une hausse des prix de l'électricité de 15 %. Plusieurs États membres, dont la France, appellent, depuis le début de la crise énergétique, à une réforme substantielle du marché pour décorréler les prix de l'électricité et des énergies fossiles, tandis que d'autres se montrent très réservés envers une évolution des mécanismes.
Les réunions du Conseil européen et du Conseil de l'Union européenne se succèdent pour tenter d'apporter des réponses au moins temporaires à cette situation, mais les positions restent figées. Certains États considèrent que les propositions de la Commission européenne manquent d'ambition et réclament des évolutions structurelles ; d'autres mettent en avant les effets de bord des mesures envisagées, craignant en particulier pour l'approvisionnement énergétique de l'Europe.
L'envolée des prix de l'électricité à des niveaux parfois stratosphériques, comme en août, a suscité des interrogations et des inquiétudes sur l'efficacité du marché européen de l'électricité et le bien-fondé de sa conception actuelle. À ce titre, le mécanisme de fixation des prix sur le marché de gros, largement considéré comme responsable de la flambée des prix de l'électricité, est au centre des critiques.
Alors qu'en avril dernier, un rapport de l'Agence européenne de coopération des régulateurs de l'énergie plaidait pour conserver le mécanisme actuel, la Commission européenne a depuis infléchi sa position. La présidente Ursula von der Leyen a ainsi promis « une intervention d'urgence et une réforme structurelle du marché de l'électricité ». Une proposition législative est attendue pour début 2023.
En attendant, la Commission européenne a proposé des mesures d'urgence et de nouveaux mécanismes de solidarité pour maîtriser, à très court terme, la flambée des prix de l'énergie dans l'Union. Trois règlements ont déjà été adoptés dans le cadre de la procédure accélérée prévue par l'article 122 du traité de fonctionnement de l'Union européenne (TFUE).
La dernière proposition de la Commission européenne - un plafonnement des prix du gaz sur la bourse néerlandaise TTF - mise sur la table lors de la réunion des ministres de l'énergie, le 24 novembre dernier, a déçu les États partisans d'un mécanisme de plafonnement et d'un découplage des prix du gaz et de l'électricité, mais a aussi fortement inquiété ceux qui s'opposent à toute mesure de cette nature, reflétant l'antagonisme des positions française et allemande.
C'est dans ce contexte que nous avons tenu à solliciter votre expertise sur le fonctionnement du marché de l'électricité pour envisager les diverses options qui permettraient de sortir de la crise actuelle.
M. Franck Montaugé, président. - Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques, n'a pu être parmi nous ce matin pour des raisons personnelles. Elle m'a demandé de la suppléer pour ouvrir cette table ronde sur le thème de la réforme du marché européen de l'électricité, ce que je fais avec plaisir.
C'est la quatrième fois que nous échangeons ensemble sur l'énergie, après une première table ronde sur les enjeux stratégiques de l'énergie pour l'Union européenne, mais aussi nos travaux au long cours sur la taxonomie verte européenne et le paquet « Ajustement à l'objectif 55 ». Je remercie le Président Rapin de ces échanges fructueux.
Notre commission est très engagée en faveur de la réforme du marché européen de l'électricité. Nous avons en effet demandé une révision du principe du coût marginal, qui lie le prix de l'électricité à celui du gaz sur le marché de gros de l'électricité, comme l'une des cinq mesures que nous avons proposées pour sortir de la dépendance au gaz russe, le 28 février dernier, quelques jours après le début de l'invasion russe en Ukraine, mais aussi par le biais de nos rapports d'information sur le volet « Énergie » du paquet « Ajustement à l'objectif 55 », en mars dernier, et sur le nucléaire et l'hydrogène, en juillet dernier.
Quel est votre avis sur la crise énergétique actuelle ? Selon vous, est-elle due à des facteurs conjoncturels ou structurels ? Un consensus émerge-t-il en Europe pour découpler le prix du gaz de celui de l'électricité, comme l'a demandé la France, ou a minima pour plafonner le prix du gaz, comme cela a été obtenu par le Portugal et l'Espagne ?
Notre commission est aussi très impliquée dans la mise en oeuvre du plan « RePowerEU », qui doit permettre à l'Union européenne de sortir de sa dépendance aux hydrocarbures russes d'ici 2030. Bien consciente de la nécessité et de la difficulté de cet exercice, j'ai proposé au nom de notre commission une déclaration forte sur ce sujet aux parlementaires des 27 États membres, qui participaient à la réunion interparlementaire que nous avons organisée au Sénat sur l'autonomie stratégique économique européenne le 14 mars dernier, dans le cadre de la présidence française du Conseil de l'Union européenne (PFUE). Depuis lors, le règlement du 6 octobre 2022, qui autorise une intervention d'urgence pour atténuer les effets des prix élevés de l'énergie, a été adopté.
Est-il à la hauteur des enjeux, car il nous semble que le volet lié à l'électricité est plus étoffé que celui lié au gaz ? Que pensez-vous des mesures visant à réduire la consommation, plafonner les recettes ou appliquer des tarifs réglementés aux PME ? De nombreux pays européens s'en sont-ils servi ? Est-ce une réponse adaptée et pérenne ?
Notre commission est aussi très investie dans la mise en oeuvre du paquet « Ajustement à l'objectif 55 », qui doit permettre à l'Union européenne de réduire de 55 % ses émissions de gaz à effet de serre d'ici 2030. Parce que la décarbonation de notre économie nécessite de doubler la production d'électricité, notre commission a contribué à l'adoption d'une résolution européenne sur ce paquet, élaborée en commun avec la commission des affaires européennes et celle du développement durable. Ce texte souligne notamment la nécessité de garantir une neutralité technologique entre les différentes énergies décarbonées, l'énergie nucléaire comme les énergies renouvelables.
Il nous semble en effet que les projets de directives sur la taxation de l'énergie et les énergies renouvelables, mais aussi les projets de règlements sur le paquet gazier, les carburants aériens et les carburants maritimes durables défavorisent l'énergie nucléaire par rapport aux énergies renouvelables. Quel est votre point de vue ? Ne doit-on pas faire davantage pour cette source d'énergie décarbonée ?
Je vous remercie des éléments que vous pourrez apporter sur ces sujets majeurs et forme le voeu que la réforme du marché européen de l'électricité soit l'occasion, pour l'Union européenne, de sortir de sa dépendance aux énergies fossiles et de valoriser toutes les formes d'énergies décarbonées, nucléaire comme renouvelables.
M. Jean-François Rapin, président. - Monsieur Glachant, selon vous, quelles sont les limites du fonctionnement actuel du marché européen de l'électricité ? Quel bilan tirez-vous de l'ouverture à la concurrence du secteur de l'électricité ? Nous serions très intéressés que vous puissiez introduire votre propos par une présentation de l'organisation du marché et de l'évolution des prix de l'électricité en Europe.
M. Jean-Michel Glachant, délégué à l'Institut universitaire européen (EUI) de Florence, président de l'Association internationale des économistes de l'énergie. - Je suis très honoré par la demande que vous m'avez faite de réaliser, en salle Médicis, un tour d'horizon des marchés européens vu de la ville des Médicis, Florence.
Je suis professeur des universités, délégué à l'Institut universitaire européen (EUI) de Florence, et j'ai été élu par mes pairs président de l'Association internationale des économistes de l'énergie, fonction que je dois prendre le 16 décembre à Philadelphie, aux États-Unis.
Le modèle européen du marché de l'électricité est un modèle léger. Il s'oppose au modèle lourd et organisé anglo-saxon, le pool britannique ou le pool de Pennsylvanie-New-Jersey-Maryland.
Ce modèle lourd organisé réalise un dispatch de toutes les unités de production, unité par unité, pour chaque demi-heure. Personne ne peut produire sans l'ordre du dispatch central. Le modèle Pennsylvanie-New-Jersey-Maryland ajoute un calcul nodal des prix. Chaque noeud du réseau a son prix. Il y a jusqu'à plusieurs centaines de noeuds et de prix.
Notre modèle léger européen n'a aucun dispatch central. Chaque offreur gère lui-même son portefeuille d'unités, nos prix sont zonaux, une zone pouvant même être un pays de la taille de la France.
Ce modèle européen n'a jamais été dicté par la Commission, c'est un résultat empirique national. Les résultats nationaux ont été réutilisés par les transporteurs français, belges et néerlandais pour coupler tous nos marchés nationaux en un seul marché européen. Comment ? Par un calcul de capacités garanties de transport transfrontalier. C'est le couplage des marchés nationaux qui est le coeur des échanges européens et qui a été enrichi d'un grand nombre de codes européens de réseaux conçus par l'Association européenne des transporteurs, en dialogue avec l'Agence européenne de coopération des régulateurs de l'énergie. Ce mode de fonctionnement est pragmatique et empirique. Il a été élaboré sur plus de dix ans et ce travail se poursuit.
Le modèle européen est unique au monde. Ni les États-Unis, ni le Canada, ni l'Australie n'y sont parvenus. Certes, c'est un modèle léger, mais, soutenu par le couplage de tous nos marchés nationaux et par des codes communs de réseau, il ouvre chaque système électrique national à tous les autres et permet d'optimiser le fonctionnement de tout le parc électrique européen, soit des milliers d'unités, et même des centaines de milliers avec le renouvelable. C'est incroyablement efficace et cela fonctionne 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 à l'échelle européenne. Même la Chine s'y intéresse dans sa réflexion nationale sur le couplage des marchés régionaux chinois.
Ce modèle européen ouvert a permis un succès industriel mondial dans les éoliennes. Les deux premières entreprises mondiales de fabrication d'éoliennes sont européennes. La danoise Vestas est numéro un mondial et numéro un aux États-Unis. La germano-espagnole Siemens Gamesa est numéro un mondial en éolien maritime. Le Danemark prépare des plates-formes maritimes géantes, des hubs de 10 GW à 20 GW. L'objectif européen général en maritime est de 60 GW en 2030 - c'est la taille de tout le parc nucléaire français. 340 GW en 2050, c'est deux fois et demie la puissance installée en France, sans parler de l'apparition de géants de l'électricité renouvelable Enel, EDP, Iberdrola, mais aussi venant du gaz et du pétrole, comme TotalEnergies ou BP.
Notre modèle européen ouvert est-il antinucléaire ? Il est tout à fait vrai que les centrales au gaz ne présentent pas de risque de prix de marché puisqu'elles forment celui-ci. Ce n'est pas le cas du nucléaire. Regardons le cas britannique : Hinkley Point est en cours de construction et Sizewell est un projet de centrale à deux réacteurs EPR. Comment ? Pragmatique, le gouvernement britannique garantit par des contrats de long terme le prix de vente du nucléaire jusqu'à 100 euros/MWh, soit plus de deux fois l'Accès régulé à l'électricité nucléaire historique (ARENH). Ce sont des contrats pour différence (CFD), auparavant approuvés par la Commission européenne.
Quand les renouvelables sont venus baisser les revenus des centrales au gaz, on a étendu ce pragmatisme. Les centrales au gaz peuvent toucher des revenus de capacités sur le marché des capacités, en plus du prix de vente de l'énergie. Ceci a également été approuvé par la Commission européenne, mais soyons francs : ce modèle européen 2000-2010 est dépassé et il nous en faut un autre.
Premièrement, les investissements productifs ne sont plus basés sur les prix de marché de gros. Il faut en prendre acte et financer les investissements par des contrats de long terme, ces fameux contrats pour différence, ou bien par des contrats d'approvisionnement bilatéraux - en anglais « power purchase agreement » ou PPA -, tout en visant une planification souple des évolutions technologiques. Par exemple, il faut encourager l'éolien maritime flottant, pour lequel la France comme le Portugal disposent d'un véritable avantage.
Cette réorganisation des schémas d'investissement fournirait aussi une base solide à la stabilité à long terme des prix de gros. D'après les estimations de la Commission de régulation de l'énergie, le secteur des renouvelables français devrait reverser aux autorités publiques, en 2022-2023, une trentaine de milliards d'euros.
Deuxièmement, il faut favoriser plus d'investissements dans la résilience du système électrique en donnant à ces fameux marchés de capacité la mission d'accroître la flexibilité de la demande. Le Sénat pourrait, par exemple, s'intéresser au champion national en France, Schneider Electric.
Troisièmement, il faut aussi renforcer la stabilité des prix de gros en favorisant des marchés de couverture. En les alimentant par des obligations réglementaires de couverture des fournisseurs, on pourrait même, à l'échelle européenne, créer un marché de couverture des fournitures de base qui serait l'équivalent de notre définition française de service public garanti, - un nouveau modèle européen qu'on pourrait qualifier d'hybride -, avec plusieurs types de marchés et des politiques publiques fortes.
Après une sortie de l'épidémie de Covid désordonnée et inflationniste, il était parfaitement légitime de prolonger le « quoi qu'il en coûte » pour ne pas bloquer la reprise économique, en ciblant les ménages. Il existe beaucoup de manières de le faire. En Espagne, on est intervenu sur les prix de gros, ce qui peut sembler curieux pour changer les prix de détail, mais est typique de l'Espagne. En France, on est intervenu sur les prix de détail, ainsi qu'en Grande-Bretagne, mais avec des faillites de fournisseurs d'électricité. On peut également citer les aides directes aux ménages sans toucher au prix - formule allemande -, ou l'étalement pluriannuel des factures - formule danoise.
Notre bouclier tarifaire était au coeur de la réponse française. Les réponses nationales étaient alors parfaitement légitimes et appropriées. Une réponse européenne n'était pas nécessaire.
Le nouveau choc, à mes yeux, est le choc politique russe, apparu à partir de mars 2022. Avec la menace d'une coupure ou d'une pénurie de gaz, le sujet n'est plus le prix, mais le volume : il faut baisser les volumes consommés et trouver du gaz naturel liquéfié (GNL) ou du gaz de gazoduc un peu partout. Toutefois, il n'y aura pas de desserrement net de l'offre avant 2025 ou 2026. Il faut donc « serrer la vis » à la demande, donc aux consommations. Il n'y a pas d'échappatoire.
Le bouclier tarifaire national n'est plus au coeur des remèdes. C'est devenu un coupe-symptôme, une aspirine pendant la fièvre, mais ce n'est pas un remède qui agit sur les causes. Quand la demande européenne semble incontrôlée, les marchés peuvent bondir vers le prix de la défaillance jusqu'à 10 000 euros/MWh, ce qui devient un problème européen collectif et non plus national.
Il y a donc utilité à mettre en place une surveillance européenne des consommations et des achats européens groupés, mais vous constaterez, comme moi, que ceci n'apporte pas de réponse claire à la perte de compétitivité des gros exportateurs ou de zones industrielles électro-intensives.
Enfin, en matière de sobriété, deux modèles s'opposent. L'Allemagne a réduit de 100 TWh sa consommation de gaz. L'Espagne a réduit un peu la consommation des ménages et des professionnels, mais a augmenté de près de 25 TWh la consommation de gaz pour produire de l'électricité. Choisissez votre modèle ! Je ne dirai rien de la France car, dans la salle Médicis, la France, ce n'est pas moi, c'est le Sénat !
M. Jean-François Rapin, président. - Monsieur Ménard, du point de vue du régulateur français, quelle est votre analyse par rapport aux propos très intéressants qui viennent d'être tenus ?
M. Laurent Ménard, directeur des affaires économiques et financières de la Commission de régulation de l'énergie. - Directeur des affaires économiques et financières de la CRE depuis un peu plus de trois ans, j'ai eu le « bonheur » d'arriver au début de la crise énergétique ! Je voudrais souligner à quel point le modèle de marché tel qu'il a été mis en place en Europe est un modèle pragmatique, assez éloigné de modèles peut-être plus « purs », mis en place aux États-Unis ou au Royaume-Uni.
Si l'on considère le marché français de l'électricité, comme l'a dit M. Glachant, tout le pays est une seule zone de prix. Le prix de gros sur les marchés de gros est donc le même pour tout le territoire français.
Par ailleurs, le fonctionnement n'est pas celui d'un marché où chaque centrale est « dispatchée » par un organisme central. En fait, chaque producteur vient proposer chaque jour une offre de prix qui intègre l'ensemble de son parc de production et a donc la possibilité d'arbitrer entre les moyens de production et le prix qu'il propose sur le marché. C'est très différent du fonctionnement de certains marchés américains, où le coût marginal de chaque centrale est pris en compte par un dispatcheur central.
Un débat tout à fait légitime a eu lieu sur le principe du coût marginal. En réalité, dans leur fonctionnement concret, les prix proposés par les opérateurs reflètent leur stratégie de vente sur le marché, compte tenu de l'ensemble de leur parc de production. C'est un point extrêmement important.
S'agissant de l'emprise de ce marché sur l'ensemble des productions et des ventes d'électricité, il faut savoir que les transactions en France ne représentent qu'une petite partie des soutirages qu'on peut avoir sur une année, de l'ordre de 15 %. Cela ne signifie pas que le marché n'a pas d'influence sur les autres transactions.
On a, en effet, un système assez sophistiqué qui fait que les prix définis sur ce marché, qui couvre une petite partie des transactions, influencent les transactions réalisées sur les autres segments. Par exemple, l'ARENH, avec un prix fixé à 42 euros, représente plus en soutirage que la partie négociée sur le marché. Parmi les transactions intragroupes d'EDF, tous les consommateurs au tarif réglementé de vente (TRV) et clients d'EDF bénéficient de l'ARENH dans des conditions analogues à celles des fournisseurs alternatifs.
Le marché est un outil essentiellement dédié à l'organisation des échanges avec les autres pays. C'est le point majeur de l'exposé de M. Glachant : le marché européen a, d'abord, été bâti pour organiser au mieux les échanges entre pays européens, une grande latitude étant laissée à chaque pays pour s'organiser en interne. Ce n'est donc pas très contraignant.
Nous disposons d'un outil extrêmement sophistiqué qui permet de distinguer les marchés à terme où les opérateurs s'échangent de l'électricité. En France, la liquidité est limitée à trois ans. Cet horizon est un peu plus important en Allemagne, où il existe une vraie liquidité pour des échéances un peu plus lointaines, mais on n'observe pas de maturité conforme à ce que pourrait souhaiter un futur investisseur dans un moyen de production énergétique.
Si vous voulez investir dans une production d'électricité, que ce soit du renouvelable, du nucléaire ou même des moyens thermiques, vous avez besoin d'une visibilité des recettes que le marché à terme ne fournit pas aujourd'hui.
Il n'est pas possible de conclure sur le marché à terme de contrats qui permettraient de sécuriser ses recettes vis-à-vis de son banquier. Cette faiblesse est compensée par le développement, qui existe dans tous les pays européens, de contrats de long terme.
M. Glachant a cité les contrats pour différence, qui sont les plus répandus. Auparavant, en particulier en France, existait le régime des obligations d'achat, où l'on garantissait aux opérateurs d'énergies renouvelables l'achat de leur production par une branche d'EDF, à un prix fixé dans leur contrat. Cette insuffisance dans le temps du marché de gros actuel est donc compensée par les contrats de long terme. Le sujet, aujourd'hui, est sans doute d'élargir ces contrats de long terme à d'autres formes d'énergie que les seules énergies renouvelables.
Pourquoi ce sujet est-il à l'ordre du jour ? Tout d'abord, on a constaté que le marché à terme ne permettait pas de sécuriser les revenus des ceux qui avaient des projets d'investissements dans les moyens de production et que les dispositifs existants, en particulier en France, ont une date de péremption. L'ARENH, qui a organisé la vente de l'électricité nucléaire par EDF, à la fois à ses clients et à des fournisseurs alternatifs, doit de toute façon prendre fin en 2025. Ce terme est fixé par la loi. Il faut donc remplacer l'ARENH. Il s'agit, en France, d'organiser un futur pour la production nucléaire.
Au-delà de ce marché à terme, qui a des échéances lointaines, il existe des outils de très court terme qui permettent d'organiser au mieux l'équilibrage de la demande et de l'offre sur le marché électrique français. C'est ce qu'on appelle le marché spot ou marché infrajournalier. Je n'entrerai pas dans le détail de ces mécanismes extrêmement sophistiqués. Ils ont fait jusqu'à présent la preuve de leur efficacité, puisqu'on n'a pas eu de vraies crises d'équilibrage, même dans le cas de situations tendues.
La crise que nous traversons n'est pas financière au sens où il existerait un emballement des marchés sans aucune raison physique : la crise que l'on connaît, c'est d'abord une crise d'approvisionnement. En France, la crise d'approvisionnement est un peu différente de celle que connaît l'ensemble des pays européens.
On peut estimer, en 2022, à 800 TWh l'énergie qui ne vient plus des pipelines russes. Du fait de la guerre et de l'invasion de l'Ukraine, l'Europe est donc privée de 800 TWh de gaz.
La France a un problème très spécifique de disponibilité du parc nucléaire, qui a été révélé-, en décembre 2021, par le groupe EDF. Celui-ci a alors mentionné des difficultés de maintenance et la découverte du phénomène de corrosion sous contrainte. Si on considère l'ensemble de la production nucléaire de cette année, on peut estimer qu'il va manquer par rapport à une année normale entre 80 et 100 TWh de production nucléaire.
La France connaît ainsi deux crises d'approvisionnement, celle qu'elle partage avec tous les autres pays européens - qui la touche un peu moins parce qu'elle était moins dépendante qu'eux du gaz russe par pipeline -, et une crise d'approvisionnement liée aux difficultés rencontrées sur le parc nucléaire. La combinaison de ces deux éléments fait que c'est en France que les prix de l'électricité ont le plus augmenté : quand on regarde la carte du marché du prix à terme de l'électricité, on constate que c'est en France qu'on a dépassé les 1 000 euros/MWh pour 2023...
M. Laurent Duplomb. - On a fermé Fessenheim en mars !
M. Laurent Ménard. - La réponse en termes d'organisation globale incite malgré tout, pour la crise d'approvisionnement en gaz, à un certain optimisme. Pour l'électricité, c'est un petit peu plus discutable. Les gens sont raisonnablement exposés, en Europe, à la hausse des prix de marché du gaz. On constate aussi des afflux de GNL : nous estimons que, sur les 800 TWh de gaz manquants, 500 ont été compensés par le GNL. Les prix très élevés du gaz sur le marché ont permis d'attirer des cargaisons de GNL dans des proportions extrêmement importantes.
Par ailleurs, on observe une baisse de la consommation de gaz dans des proportions relativement importantes qui révèle sans doute des problèmes de compétitivité de l'industrie européenne, mais qui, sur le moment, a permis d'absorber la crise d'approvisionnement.
On observe la même chose s'agissant de l'électricité. RTE publie chaque semaine un tableau très précis de l'évolution de la consommation. On constate, surtout chez les industriels exposés au prix de marché de l'électricité, une forte baisse de la consommation électrique. Le marché a donc permis d'absorber dans d'assez bonnes conditions les chocs considérables que nous avons eu à affronter.
Le sujet qui est sur la table pour l'électricité est de lever les préventions qui existaient vis-à-vis des contrats de long terme, qui ont été prégnantes de la part de la Commission européenne. Je pense que c'est en bonne voie.
M. Jean-François Rapin, président. - On reviendra peut-être sur le sujet de la responsabilisation. Les entreprises ont exercé une forme d'autorégulation responsable. En va-t-il de même chez les particuliers ?
M. Laurent Ménard. - Oui, en partie.
M. Franck Montaugé, président. - Vous n'avez pas abordé le market design. Vous dites que les choses vont rentrer dans l'ordre : nous nous posons une question fondamentale quant à la structuration, notamment tarifaire, de l'organisation du marché. Dans quelle direction faut-il aller si, d'aventure, les choses se reproduisaient, pour être plus résiliant dans l'intérêt général, à la fois sur le plan national et sur le plan européen ?
M. Laurent Ménard. - Le point aujourd'hui à l'ordre du jour en matière de market design est le développement de contrats de long terme, qui permettent aux investisseurs de financer des projets dans la production d'énergie.
M. Franck Montaugé, président. - Nous aimerions, par ailleurs, connaître votre position sur la question du découplage des prix de l'électricité et du gaz, au-delà de la mise en place de contrats de long terme.
M. Jean-François Rapin, président. - Monsieur Percebois, pouvez-vous nous dire, au-delà des dysfonctionnements du marché, quel est l'impact des mesures d'urgence proposées par la Commission européenne, et présenter les pistes de réformes que vous suggérez, notamment pour protéger les consommateurs ?
Vous avez récemment publié un article remarqué dans lequel vous proposez une réforme du système.
M. Jacques Percebois, professeur émérite à l'université de Montpellier et directeur du Centre de recherche en économie et droit de l'énergie (Creden). - La situation actuelle résulte de deux phénomènes principaux, d'une part, la hausse du prix du gaz, qui fait que les centrales appelées en fonction du merit order coûtent plus cher en fonctionnement, le coût du combustible jouant un rôle important et, d'autre part, un manque de capacités qui s'explique par le fait qu'on a fermé en Europe beaucoup de capacités disponibles depuis une quinzaine d'années, notamment pilotables. C'est vrai pour les centrales à gaz, pour le nucléaire en Allemagne, et même pour le nucléaire en France. On manque donc de capacités dans un contexte où l'on pensait que la demande d'électricité n'allait pas augmenter. Ce manque de capacités est aujourd'hui une contrainte forte sur les marchés européens.
On constate cependant que le prix d'équilibre sur le marché de gros est souvent supérieur au coût marginal de la centrale à gaz. Il y a donc, à la fois, une prime de risque et quelques spéculations. Il est très difficile de savoir quelle est la part qui relève de ces deux observations, mais le prix de l'électricité, corrélé au prix du gaz, est souvent très supérieur au coût marginal, ce qui explique que le prix de gros, en France, soit supérieur à ce qu'on trouve dans d'autres pays, notamment en Allemagne.
Je rappelle que le prix de gros n'est qu'une partie du prix de détail. Au départ, il représente un tiers de l'ensemble du prix de détail si l'on considère le TRV, sans parler des taxes ou du coût des réseaux. Aujourd'hui, c'est même davantage : le coût des fournitures ayant augmenté, on est plus proche de 40 à 45 %, y compris en France.
Il faut dissocier les solutions de court terme et les solutions de long terme. La première solution à laquelle on peut penser, qui a d'ailleurs fait ses preuves tout en maintenant le système, c'est la réduction de la demande d'électricité. Le prix augmentant, cela favorise l'efficacité au niveau des usages. La baisse de la demande, qui est relativement importante - RTE parlant de 6 à 7 %, ce qui n'est pas négligeable -, peut paraître une bonne chose, mais elle peut aussi cacher des faillites d'entreprises, des arrêts de production ou, pire, des délocalisations. Certaines entreprises européennes annoncent déjà qu'elles iront s'implanter aux États-Unis. Il faut donc être très prudent sur la façon dont on analyse la baisse de la demande.
Une deuxième solution qui a pu être évoquée, mais qui, à mon sens, n'est pas efficace, est de considérer que, dans le système actuel, le prix d'équilibre s'applique à tout le monde, même si le marché de gros ne représente qu'une faible part des transactions. C'est la logique du marché. Il existe donc des rentes inframarginales qui sont aujourd'hui très importantes, le prix de gros étant très élevé.
Certains pensent qu'il faudrait faire des enchères non à prix limite, comme c'est le cas aujourd'hui, mais à prix demandé, c'est-à-dire à la hollandaise et non à la française, ce que l'État utilise, par exemple, pour les obligations assimilables du Trésor. Ce système peut fonctionner dans un contexte où l'offre est excédentaire, mais non dans un contexte de pénurie ou d'offre insuffisante, chacun anticipant le prix d'équilibre. Aucun opérateur ne fera de propositions en deçà d'un prix relativement élevé.
La troisième solution est une solution que j'ai étudiée avec un collègue du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) : elle est un peu académique et consiste à proposer la moyenne des coûts marginaux, avec compensation marginale pour la centrale. L'avantage est que cela fait fortement baisser le prix d'équilibre. Évidemment, les centrales qui sont au-dessus de la moyenne ne couvrent pas leurs coûts variables, mais ce n'est pas gênant : on leur donne une compensation et, comme cela fait beaucoup baisser le prix d'équilibre, la rente inframarginale baisse fortement.
Ce système n'est valide que dans un contexte où le coût marginal est extrêmement élevé par rapport aux autres. Les centrales renouvelables ou les centrales nucléaires sont, par exemple, très en deçà. Cela fait donc baisser la moyenne. C'est très efficace en France, mais cela ne le serait pas nécessairement dans un autre contexte ou dans un pays où ce ne serait pas le cas.
Une autre solution, que je trouve très séduisante, a été évoquée : c'est la solution qu'on appelle « ibérique », consistant à subventionner le gaz utilisé dans la production d'électricité. Cela a fait baisser le prix de l'électricité en Espagne. Il est vrai que le poids du gaz en Espagne est relativement élevé dans la production d'électricité, mais les prix de gros sur le marché espagnol sont au minimum deux fois moindres que dans le reste de l'Europe.
Ce système comporte des effets pervers : si cela a relancé un peu la demande de gaz, c'est parce que les interconnexions entre l'Espagne et le Portugal, d'un côté, et le reste de l'Europe, de l'autre, ne sont pas très importantes. Il n'y a donc pas trop de fuites, mais il y en a eu quand même, certains opérateurs espagnols ayant préféré vendre sur le marché français, beaucoup plus rémunérateur. Cette solution à court terme me paraît néanmoins extrêmement séduisante, même si cela peut relancer la demande de gaz et ne résout pas le problème des industriels qui utilisent du gaz pour d'autres raisons. Je pense pour ma part qu'à court terme, si l'on veut éteindre l'incendie, c'est une solution tout à fait justifiée.
Les Allemands n'en veulent pas, car ils pensent que cela leur coûterait trop cher et subventionnerait le consommateur français. Ils nous vendent, en effet, beaucoup d'électricité thermique, notamment durant les heures pleines. Ils ont donc le sentiment qu'il reviendrait au consommateur allemand de financer le consommateur français.
Une autre solution consisterait à taxer la rente inframarginale sur le marché électrique en totalité au-delà de 180 euros/MWh. C'est ce qui a été évoqué. Pourquoi pas ? Que faire de cette rente ? On peut soit l'utiliser pour aider les centrales à gaz, c'est-à-dire revenir à la solution précédente, soit pour aider les consommateurs domestiques ou industriels. C'est une solution séduisante. C'est visiblement celle que préfèrent les Allemands.
En France, il ne faut pas perdre de vue que cette rente inframarginale serait probablement moins élevée. Notre pays vend, en effet, beaucoup d'électricité à un prix régulé. On a cité le nucléaire, qui est très largement vendu à un prix régulé grâce à l'ARENH, dont profitent évidemment les alternatifs, mais on retrouve également l'ARENH dans le TRV. Il s'agit de l'effet miroir évoqué tout à l'heure. En fait, une grande partie de l'électricité nucléaire française est vendue à un prix régulé, proche des 42 euros/MWh.
Les énergies renouvelables sont également vendues à un prix régulé, puisqu'il s'agit soit de prix d'achat garanti sur une certaine période, soit d'un système de complément de rémunération. Le complément de rémunération était séduisant pour les producteurs d'énergies renouvelables tant que le prix de gros était peu élevé et inférieur en tout cas au coût de production. Ils bénéficiaient, en effet, d'un complément de rémunération, mais celui-ci est aujourd'hui devenu négatif. Comme cela a été dit, on estime que, pour l'année 2022-2023, ceci devrait rapporter plus de 30 milliards - on parle même de 38 milliards d'euros à l'État. On peut donc avoir un complément négatif.
Un prix plafond pour le gaz, oui, à condition que les vendeurs de gaz acceptent la négociation à ce prix plafond. Pourquoi pas ?
Une autre solution me paraît aussi très séduisante. Elle est plutôt orientée vers le moyen ou le long terme. Il s'agit de ce que certains appellent le « système grec », qui consiste à faire deux compartiments sur le marché de gros, un compartiment avec les centrales à forte proportion de coûts fixes, d'un côté, c'est-à-dire essentiellement les renouvelables et le nucléaire et, de l'autre, un second compartiment où le prix serait fixé par merit order fondé sur les coûts marginaux, c'est-à-dire le coût variable. C'est le cas des centrales à charbon, mais surtout des centrales à gaz. L'avantage de ce système réside dans un prix fixé par appel d'offres, sur la base du coût moyen, pour les centrales renouvelables et nucléaires et, sur la base du coût marginal, c'est-à-dire les coûts variables, pour les centrales fossiles. Le consommateur paierait un prix qui serait une moyenne pondérée des deux. À court terme, cela peut régler une partie du problème, même si le système est un peu compliqué à mettre en oeuvre. L'avantage, c'est qu'il est pérenne sur le long terme. En effet, le système peut continuer à fonctionner au fur et à mesure que les centrales fossiles disparaissent. C'est la frontière entre les deux compartiments qui est modifiée. À terme, le prix serait calé sur le coût moyen des centrales à fort coût fixe ; j'estime que c'est un bon système.
Ceci m'amène à une solution que je privilégie personnellement pour le long terme : la solution proche de l'acheteur unique, c'est-à-dire un système que la France avait proposé au début de la libéralisation du marché de l'électricité. Aujourd'hui, ce serait probablement incompatible avec les textes européens, mais il s'agit d'un système très séduisant, parce que cela signifie qu'en faisant appel aux différentes centrales, il est possible de proposer des contrats à long terme avec les producteurs retenus. Le prix serait donc aligné sur le coût moyen sur le long terme.
Je ne parlerai pas de la dernière solution que certains évoquent, qui consiste à supprimer le marché et à revenir au monopole public intégré. Je considère que le marché a un atout : même avec le système d'un acheteur unique, peuvent co-exister un marché sur le très court terme et un marché au niveau des frontières. Le marché est incitatif, il envoie de bons signaux de court terme et non des signaux de long terme. De toute façon, il faudra faire une réforme sur le long terme, pour une raison simple : si nous avons demain un mix uniquement constitué de nucléaire et de renouvelables, ce qui caractérisera ces centrales sera le fait que la part des coûts fixes est très importante et la part des coûts variables très faible. Le prix devra donc être fixé sur le coût moyen.
On peut donc, dès aujourd'hui, avec le système dit « grec », se diriger vers un système où, avec des contrats à long terme et un prix fixé sur le coût moyen, le signal envoyé fait que le prix est relativement stable et couvre les coûts complets des centrales.
M. Kristian Ruby, secrétaire général de l'Association européenne des énergéticiens (Eurelectric). - Le secteur de l'industrie électrique est fermement engagé dans la transition énergétique. Son objectif est d'atteindre une fourniture d'électricité neutre en carbone d'ici 2045.
L'industrie électrique vise à être un acteur central de la décarbonation de nos sociétés, grâce à une électrification directe et indirecte des usages dans les secteurs clés de l'économie, tels que les transports, le bâtiment, les déchets. Nos membres sont les associations nationales qui représentent l'industrie électrique. Nous regroupons 3 500 entreprises dont, en France, Interfluence Energies (IFE).
Le marché intérieur de l'électricité a pour finalité d'offrir une réelle liberté de choix à tous les consommateurs de l'Union et d'intensifier les échanges transfrontaliers de manière à réaliser des progrès en termes d'efficacité et à atteindre des prix compétitifs. Il est important, lorsqu'on parle des réformes, de comprendre que le marché intérieur de l'électricité a tenu ses promesses : il a renforcé la concurrence et permis aux consommateurs d'économiser environ 34 milliards d'euros en 2021.
Même pendant la crise énergétique, le marché intérieur a prouvé sa robustesse face à la flambée des prix de l'énergie. Nous ne pouvons toutefois pas ignorer l'impact de la flambée des prix pour les consommateurs finaux, ménages et industriels. C'est la raison pour laquelle on doit maintenant se préoccuper des consommateurs vulnérables et prendre des mesures en faveur de réformes structurelles en s'orientant vers des objectifs à long terme en Europe.
Eurelectric a besoin d'une évolution du marché, non d'une révolution. On doit investir environ 100 milliards d'euros chaque année jusqu'en 2050. La confiance des investisseurs est donc très importante.
La réforme du marché intérieur de l'électricité, annoncée par la Commission, doit donc protéger les principes fondamentaux actuels et poursuivre les efforts d'intégration des marchés à court terme. Que faire pour les investissements ? Nous sommes dans une situation où on a besoin de signaux de long terme. Pour Eurelectric, il est donc important de s'assurer que les consommateurs bénéficient davantage des investissements dans les technologies renouvelables et bas carbone à bas coût.
Pour cela, Eurelectric recommande que la réforme du marché de l'électricité s'appuie sur le modèle existant du marché intérieur de l'énergie et y ajoute trois éléments essentiels : un cadre contractuel amélioré en faveur des consommateurs permettant de couvrir suffisamment de contrats à long terme, des investissements afin d'atteindre les objectifs de décarbonation, notamment pour les technologies à forte intensité de capital, et un cadre facilitant l'amplification et la coordination des besoins du système électrique pour garantir l'adéquation et la sécurité de l'approvisionnement, tout en répondant à l'évolution des besoins des systèmes. Pour l'instant, Eurelectric finalise une étude en ce sens.
M. Jean-François Rapin, président. - Monsieur Holleaux, quelle est la vision des acteurs du gaz dans le contexte actuel ?
M. Didier Holleaux, président de l'Union européenne de l'industrie du gaz naturel (Eurogas). - Il existe en fait, selon nous, deux crises de l'énergie, une de l'électricité et une autre du gaz, très largement corrélées par moments et, à d'autres moments, assez fortement décorrélées suivant les endroits.
Contrairement à ce que certaines expressions peuvent laisser entendre de temps à autre, ce n'est pas le gaz qui est responsable du prix de l'électricité, mais très largement aussi le prix de l'électricité qui est responsable du prix du gaz.
La demande de gaz a fait monter les prix à partir de 2021. Elle est liée en partie à des facteurs propres au gaz : l'hiver a été froid, et il fallait donc remplir les stockages qui étaient vides à l'issue. Elle est toutefois également liée à d'autres phénomènes, et en particulier à la sécheresse en Amérique du Sud, qui fait que le Brésil importe du GNL comme il ne l'a jamais fait, de même que le Chili, pour compenser, avec les centrales à gaz, l'absence de production hydraulique.
Cette demande supplémentaire est un des facteurs importants de la hausse des prix du gaz en 2021, avant que la Russie ne l'accentue en ne proposant pas de gaz sur le marché à court terme, un certain nombre d'autres phénomènes venant l'amplifier. Je rappellerais ainsi que, ce même été 2021, la faiblesse du vent en Europe fait que les centrales éoliennes produisent moins. On fait donc tourner des centrales à gaz en période d'été, ce qui est relativement rare. Normalement, l'été, les centrales à gaz sont très largement inutilisées. Cette demande supplémentaire de gaz contribue à la montée des prix durant toute l'année 2021.
Deuxième élément : aujourd'hui, les marchés forward de la France, mais aussi, dans une certaine mesure, de la Belgique ou de l'Allemagne, etc. - ce qu'on appelle le Clean Sparks Spread, c'est-à-dire la différence de coût marginal entre le prix de l'électricité et le coût du gaz que l'on met dans une centrale à gaz est très largement positif sur ces marchés. Au vu des marchés à terme pour l'année 2023 de l'électricité et du gaz - été ou hiver -, on a intérêt à vendre son électricité à terme et à acheter son gaz à terme, ce qui fait monter le prix du gaz.
Autre preuve de l'indépendance des crises, soulignée par M. Ménard : les prix du gaz et de l'électricité sont inversés entre la France et l'Allemagne. Depuis le début de la crise, le prix du gaz est plus faible en France qu'en Allemagne - de l'ordre de 20 à 40 euros par MWh -, et les prix de l'électricité sont plus élevés en France qu'en Allemagne - de l'ordre de 70 jusqu'à 200 euros. Au moment où les prix étaient au-dessus de 1 000 euros en France, ils étaient à environ 800 euros en Allemagne. Le fait qu'il y ait une certaine corrélation entre les prix ne veut pas dire qu'il n'existe pas deux crises séparées.
Je reviens sur ce qu'ont dit MM. Ménard et Percebois : les prix sur les marchés du gaz et de l'électricité sont aujourd'hui assez largement supérieurs à ce que serait le prix qui assure l'équilibre entre l'offre et la demande. Pourquoi ? Il existe un manque de confiance et une très faible liquidité du marché : les gens ne croient plus aux fondamentaux. Il faut le dire : certains finissent par garder l'électricité qu'ils ont en plus plutôt que de la vendre, ne sachant pas ce qu'il va se passer. Il en va de même concernant le gaz. Ce manque de confiance dans la liquidité du marché génère une prime de risque. Les gens ont peur, ils ont d'autant plus raison que s'ils se retrouvent trop courts sur le marché, ils peuvent faire faillite, comme Uniper, qui a perdu 40 milliards d'euros. Il faut en être conscient.
Enfin, tout le monde affirme que la demande s'est ajustée. En tant que gazier, nous faisons une distinction entre ce que l'on appelle la réduction de la demande et la destruction de la demande. La réduction de la demande est saine : on fait un effort pour moins chauffer chez soi et moins consommer partout où l'on peut. La destruction de la demande, c'est lorsque nos clients s'arrêtent de fonctionner parce qu'ils ne le peuvent plus, les prix étant trop élevés.
On me rétorquera que le marché fonctionne et s'est équilibré : si les clients ne peuvent plus payer le prix, peut-on considérer que le marché fonctionne ? La question doit rester ouverte.
Sur le long terme, le gaz est un facteur important pour éviter les défauts de production d'électricité et fournir de l'énergie lorsqu'on en a besoin. Les centrales à gaz fournissent la pointe ultime d'électricité ; je rappelle qu'avec des dispositifs comme les réseaux de chaleur, qui ont un certain choix en matière d'énergie, ou les pompes à chaleur hybrides, il existe des outils qui permettent, lorsqu'on est très proche de la pointe de demande électrique, de basculer sur le gaz, qui peut se stocker, ce qui permet un effet modérateur sur les prix marginaux de l'électricité.
Quant à la réforme des prix, pour Eurogas, le mécanisme ibérique est beaucoup plus cher qu'il n'y paraît. Il a pu fonctionner dans le contexte ibérique parce que les échanges tant de gaz que d'électricité avec le reste du marché sont limités. Il serait très difficile à appliquer à l'échelle européenne, et on n'en connaît pas très bien l'impact sur les prix. Nous le considérons donc avec une extrême prudence, à cause de ses effets de bord et de son coût, qui serait probablement très élevé pour l'État.
Pour ce qui est de la réduction de prix pour les clients vulnérables, il s'agit d'une évidence. La réduction de prix pour les entreprises, on le sait, induit des distorsions d'un pays à l'autre. Elle soulève aussi des questions de coûts, et nous insistons surtout sur le fait que ce ne sont pas les entreprises gazières qui peuvent la financer. Vendre à perte, d'une part, est illégal et, d'autre part, conduit les entreprises à la faillite. Encore une fois, l'exemple Uniper le montre.
Il faut donc vraiment réfléchir à des systèmes qui ne distordent pas trop la concurrence entre pays et dont le coût budgétaire est relativement maîtrisé. Dans ces conditions, les entreprises gazières peuvent bien entendu y contribuer. C'est ce que nous faisons aujourd'hui avec le bouclier tarifaire puisque, de fait, ce sont les fournisseurs gaziers qui avancent la différence de prix. On achète sur le marché de gros et on vend au prix fixé par le bouclier tarifaire, avec la promesse que l'État compensera à un moment donné.
Je souligne néanmoins que ceci représente un effort de trésorerie tout à fait conséquent pour ces entreprises. À peu près tous les régimes de soutien aux prix payés par les consommateurs ont un impact de trésorerie très important pour les entreprises, à un moment où leurs interventions sur le marché les appellent à avoir des appels de marge qui se chiffrent en milliards d'euros, voire en dizaines de milliards.
Cette situation de marché conduit les entreprises énergétiques, notamment gazières, à avoir d'énormes besoins de liquidités, qu'il s'agisse des appels de marge, du fonds de roulement ou du financement de dispositifs comme le bouclier tarifaire. Quand on parle de profit, il ne faut pas négliger les risques économiques qui y sont associés.
S'agissant de la rente inframarginale, Eurogas n'est pas très enthousiaste à l'idée de sa captation, mais, dans une situation de crise comme celle que nous connaissons aujourd'hui, il est assez logique de demander un effort sur les moyens de production qui offrent des coûts très inférieurs à ceux actuellement sur le marché.
Pour ce qui est des moyens de production recourant au gaz, comme l'a dit M. Glachant, il est bien souvent nécessaire de compléter le mécanisme de marché par des mécanismes de financement de capacités. L'appel des centrales à gaz, selon les scénarios, est en effet trop aléatoire pour permettre une rémunération raisonnable de l'investissement. Dans certains de nos scénarios, les centrales à gaz perdent de l'argent les sept premières années et n'en gagnent que la huitième année. Elles en gagnent beaucoup lorsque c'est le cas. Cela devrait donc normalement s'équilibrer, mais je ne connais pas d'investisseurs qui investissent sur un tel business model.
En conclusion, il s'agit de deux crises indépendantes, même si elles sont corrélées. Pour changer de système de rémunération, il faut laisser aux entreprises le temps de s'adapter et considérer qu'elles ont investi dans un certain cadre réglementaire. Si on en change complètement, il faut tenir compte des conséquences économiques sur celles-ci.
Mme Catharina Sikow-Magny, directrice Transition verte et intégration du système énergétique à la direction générale de l'énergie de la Commission européenne. - Les termes de crise, d'urgence, de réforme sont très utilisés aujourd'hui.
En effet, le secteur de l'énergie est aujourd'hui fortement bouleversé par plusieurs facteurs, comme nous l'avons entendu : retour de la croissance post-Covid, perturbations de la chaîne d'approvisionnement, été très sec affectant la production hydroénergétique, indisponibilité du nucléaire, aussi bien en France qu'en Finlande et, bien sûr, guerre en Ukraine, qui impacte fortement le marché du gaz et, par ricochet, celui de l'électricité. Les prix ont augmenté et l'approvisionnement en énergie semble menacé cet hiver.
Ces défis se font sentir dans l'ensemble de l'Union européenne, et une réponse rapide et coordonnée à cette échelle est nécessaire. Les mesures nationales différentes qui impactent le fonctionnement des marchés peuvent donc avoir une incidence négative sur la sécurité.
En octobre, à la suite de la proposition de la Commission européenne, le Conseil a adopté un règlement relatif à une intervention d'urgence pour faire face aux prix élevés de l'énergie. Ce règlement temporaire, qui s'applique à partir d'aujourd'hui, vise à réduire la demande d'électricité et à atténuer les prix élevés de l'énergie, ceci via l'introduction d'un plafond applicable aux revenus inframarginaux de 180 euros, d'une contribution de solidarité sur les bénéfices excédentaires des secteurs du pétrole, du gaz, du charbon et des raffineries, et d'une redistribution de ces revenus pour soutenir les consommateurs finaux, aussi bien les ménages que les entreprises.
Ces mesures contribueront à rendre l'électricité plus abordable, et constituent un premier pas vers les travaux complémentaires en cours qui tendent à améliorer l'organisation à long terme du marché de l'électricité.
En effet, la crise que nous traversons rend d'autant plus urgente la nécessité de décarboner et d'accélérer l'utilisation de sources d'énergie renouvelables et à faible émission de carbone. C'est la clé du découplage. Lorsqu'une grande partie de l'électricité ne proviendra plus des énergies fossiles ou du gaz, nous l'aurons atteint.
À côté de ces mesures d'urgence, la Commission poursuit ses travaux sur l'optimisation du fonctionnement du marché européen.
Le marché de l'électricité a prouvé durant ces dernières décennies son efficacité en matière de fourniture fiable et de prix bas. Les discussions se sont d'ailleurs focalisées sur le problème des revenus trop bas des producteurs - en anglais, on utilise le terme de « missing money ». Aujourd'hui, on constate que la France, l'un des grands exportateurs d'électricité au niveau européen, est devenue un pays importateur, grâce au marché de l'Union européenne et au découplage des marchés nationaux.
Entre-temps, la crise énergétique, dont nous connaissons tous l'ampleur, a révélé d'autres questions qui méritent d'être abordées, en complément et en relais des mesures d'urgence.
Cette réforme, envisagée pour le début de l'année 2023, et sur laquelle nous réfléchissons aujourd'hui, devra être ciblée afin de pouvoir être mise en oeuvre rapidement. Cette réforme pourrait se concentrer sur quatre aspects.
Premièrement, les producteurs d'énergie renouvelable, mais aussi nucléaire, doivent bénéficier d'un revenu prévisible, stable, afin d'encourager les investissements nécessaires, y compris en matière de flexibilité. Cela permettrait aussi de stabiliser les prix et d'éviter une trop forte volatilité pour le consommateur. L'amélioration de la liquidité des marchés à terme est un élément clé, ainsi que la contractualisation des nouveaux projets d'énergie via des contrats stables. Les intervenants précédents ont déjà mentionné les contrats pour différence et les PPA, deux outils très utiles.
Deuxièmement, la réforme devrait contribuer à dissocier autant que possible les factures d'électricité des ménages et des entreprises des prix du gaz. Les contrats pour différence et les PPA contribuent certainement à cet objectif, mais il existe d'autres pistes, que nous étudions actuellement.
Troisièmement, il est important de préserver une utilisation efficace des ressources à travers l'Europe, afin de garantir que l'électricité nécessaire est toujours produite par la technologie la moins chère disponible et que l'offre et la demande sont maintenues en équilibre à tout moment. Il est cependant important de développer davantage la flexibilité, et notamment les effacements de consommation et le stockage. Ceci pourrait avoir un impact direct sur la consommation de gaz, ainsi que sur le prix de l'électricité.
Enfin, les consommateurs doivent être mieux protégés. Ils devraient disposer d'un éventail d'offres, y compris des contrats à prix fixe, de davantage de possibilités d'investir directement dans la production d'énergies renouvelables pour leur propre usage et de plus de possibilités de participation active sur le marché. La protection des consommateurs vulnérables est particulièrement importante, et nous sommes en train d'analyser comment définir une consommation minimum qui devrait être garantie à tout consommateur à un prix abordable.
Dans ce cadre, et plus généralement, nous devons être sûrs que le marché fonctionne d'une manière transparente et qu'il existe une surveillance quotidienne. Nous sommes également en train d'étudier comment améliorer le règlement pour la transparence et la surveillance (REMIT).
En conclusion, la première étape consistera pour la Commission européenne à publier un document de consultation avant Noël. Nous attendons avec grand intérêt les contributions françaises et autres. Nous avons aussi travaillé sur un document de travail qui explique les choix de la Commission, avant de présenter une proposition législative, début 2023. La date n'a pas été fixée, mais ce sera certainement avant le Conseil européen qui aura lieu dans la deuxième moitié du mois de mars.
En fonction des colégislateurs, de telles modifications ciblées de l'organisation des marchés peuvent être proposées et mises en oeuvre rapidement. Elles apporteraient une solution permanente à la dépendance excessive des factures d'électricité européennes au marché du gaz naturel, hautement volatile aujourd'hui, et fourniraient aux consommateurs des avantages grâce à des coûts plus bas des énergies renouvelables et de l'énergie nucléaire, en fonction de leur part dans le bouquet électrique.
M. Jean-François Rapin, président. - J'ai bien noté qu'une consultation allait être lancée juste avant Noël. Il va nous falloir y être attentifs pour y répondre éventuellement.
M. Franck Montaugé, président. - Nous avons eu hier une discussion en commission qui nous a amenés à envisager la rédaction d'une proposition de résolution européenne, qui trouverait tout son intérêt dans le cadre du calendrier qui a été évoqué.
M. Daniel Gremillet, rapporteur. - Je remercie l'ensemble des intervenants pour la clarté de leur intervention.
La moitié des États membres disposent d'un parc nucléaire de deuxième génération et un quart est engagé dans la construction de réacteurs de troisième génération. Or la taxonomie européenne est défavorable à l'énergie nucléaire, assimilée à une activité de transition, comme le gaz, et non à une activité durable, comme les autres énergies décarbonées.
Par ailleurs, les délais imposés pour accompagner la relance du nucléaire en France sont impossibles à tenir. Ne devrait-on pas lever ces verrous ?
Le financement des nouveaux réacteurs en Europe est aussi très hétérogène, avec le regroupement d'entreprises énergo-intensives dans un consortium en Finlande, des prêts étatiques ou interétatiques en République tchèque, des fonds propres en contrepartie d'un prix de long terme fixe ou régulé au Royaume-Uni. Avez-vous identifié un mode de financement préférentiel ?
Je pense que les Français auront du mal à comprendre que la France soit condamnée à payer plusieurs centaines de millions d'euros d'amende pour son retard en matière d'énergies renouvelables, alors que notre pays est largement en tête de tous les pays de l'Union européenne pour ce qui est de l'énergie décarbonée. Nous étions, en effet, il y a quelques dizaines d'années, à 88 % dans ce domaine.
S'agissant de la « grande hydroélectricité », la France est sous le coup d'un contentieux avec la Commission européenne qui dure depuis plusieurs dizaines d'années. Elle n'est pas la seule dans cette situation, puisque sept autres pays européens sont concernés, dont l'Allemagne et l'Italie. 400 concessions échues ont été placées, en France, sous le régime transitoire des « délais glissants » : elles ont été prolongées aux conditions antérieures, sous réserve de l'application d'une redevance.
La crise énergétique actuelle ne devrait-elle pas conduire sur ce sujet à une appréhension moins stricte du principe de concurrence ? Ne faudrait-il pas réviser à terme la directive concession du 26 février 2014 pour en exclure les concessions hydroélectriques ?
Quant à la « petite hydroélectricité », elle pourrait ne plus être considérée comme une énergie renouvelable subventionnable dans la directive sur les énergies renouvelables en cours de négociation. N'est-ce pas perdre ici un levier de décarbonation très ancré dans nos territoires ?
S'agissant du stockage de l'électricité, les énergies renouvelables pèchent toujours par leur intermittence. Vous l'avez dit, la crise énergétique n'a pas démarré avec la guerre en Ukraine, mais en 2021, pour des raisons de compensation de la production des énergies renouvelables, que l'on a vécue en France.
Il faut garantir une neutralité technologique entre tous les modes de stockage. Or l'hydrogène bas-carbone issu de l'énergie nucléaire est encore trop peu pris en compte par le paquet « Ajustement à l'objectif 55 » par rapport à l'hydrogène renouvelable, alors qu'il est au fondement de la stratégie française pour un hydrogène décarboné. Ne doit-on pas corriger le tir ?
Par ailleurs, il faut consolider les projets importants d'intérêt européen commun (PIIEC). Il manque 1,6 milliard en France pour le financement du PIIEC hydrogène. Ne peut-on faire davantage ?
Enfin, vous venez tous de nous confirmer que le dossier énergétique va être déterminant en matière de positionnement des activités industrielles et économiques sur nos territoires. Nous sommes, en Europe, dans une situation de grande fragilité concernant l'énergie, que la France n'a jamais connue et à laquelle personne n'a été préparé.
M. Pierre Ouzoulias. - En tant que sénateur de la commission de la culture, j'ai particulièrement goûté vos propos, qui me donnent l'illusion d'avoir compris quelque chose, ce qui est très précieux.
J'ai surtout apprécié votre mise en perspective sur le long terme. Je crois qu'elle est fondamentale. Jusqu'à présent, le marché européen a fonctionné de façon à répartir l'énergie produite en trop. On change aujourd'hui complètement de perspectives et l'Europe - et singulièrement la France - doivent faire face à deux enjeux extrêmement importants et historiques. Le premier enjeu est de développer une production énergétique permettant d'assurer notre souveraineté et de retenir des entreprises susceptibles de partir à l'étranger, où le prix de l'énergie est moins élevé. C'est le jeu des États-Unis. Le deuxième enjeu est de décarboner ces industries, ce qui nous redonnerait des marges de compétitivité pour assurer ensuite la transition énergétique.
Vous l'avez dit très justement, et la commission des affaires culturelles le constate dans tous les dossiers : il faut réintroduire de grands principes géostratégiques. Ce qui a mis à mal notre stabilité relative, c'est la déflagration due à la guerre menée par la Russie contre l'Ukraine, qui nous oblige à abandonner l'illusion d'une Europe éternellement en paix et à protéger nos industries pour des raisons géostratégiques. C'est pourquoi les idées liées à la planification reviennent de façon très forte. C'est là un paradoxe incroyable : la guerre que mène la Russie nous oblige à revenir au Gosplan !
À travers vos propos, on comprend qu'il est impérieux de planifier les choses sur le temps long. Les États membres, comme la France, peuvent-ils le faire seuls ou, au contraire, la seule échelle pour mener à bien ces politiques est-elle l'échelle européenne ?
M. Patrick Chauvet. - Le Sénat examine actuellement le projet de loi d'accélération des énergies renouvelables, dont je suis rapporteur. Dans ce cadre, notre commission a veillé à consolider les modes de financement privés des énergies décarbonées. Nous avons ainsi institué des contrats de long terme pour l'énergie nucléaire et des contrats d'achat direct pour l'électricité renouvelable.
Ces nouveaux modes de financement privé ne doivent-ils pas être davantage encouragés dans le cadre de la réforme du marché européen de l'électricité ? Ils ne sont même pas mentionnés dans le règlement du Conseil du 6 octobre 2022, pas plus que dans le plan RePowerEU ou le paquet « Ajustement à l'objectif 55 ».
M. Serge Mérillou. - Le mot le plus utilisé ce matin au sujet de l'énergie est celui de « marché ». L'électricité est aujourd'hui un bien soumis aux lois du marché, alors que je considère que c'est un bien commun, qui doit échapper au marché. Celui-ci est, en effet, en faillite totale et rien ne justifie, pour un certain nombre d'industriels électro-intensifs, des coûts de renouvellement de contrat multipliés par deux, trois ou quatre. Si c'est cela le marché, cela signifie qu'il est défaillant. C'est, selon moi, davantage une question politique qu'une question technique.
Je m'inquiète réellement des impacts de la désindustrialisation. Certaines entreprises ne font plus appel à des intérimaires, d'autres ne tournent plus que trois jours par semaine, non seulement parce que l'énergie est chère, mais aussi parce que leur marché est en train de s'effondrer, compte tenu des prix auxquels elles doivent vendre.
Un point de détail concernant le stockage de l'électricité : EDF avait un certain nombre de projets en matière d'hydroélectricité dont celui, lors des périodes de faible demande d'électricité, de remonter l'eau vers les lacs situés au-dessus des barrages pour l'utiliser plusieurs fois. Ce projet fonctionne techniquement dans la vallée de la Dordogne, mais n'avance pas. Il y a là des idées à creuser au niveau du stockage de l'électricité, notamment en matière hydraulique.
M. Jean-François Rapin, président. - On pourrait presque enchaîner sur une nouvelle table ronde pour s'interroger, de façon simpliste, sur le fait de savoir si le marché a protégé ou aggravé la situation. En écoutant nos interlocuteurs, je me dis qu'on a peut-être évité le pire.
Pour le reste, nous sommes d'accord avec nos intervenants sur la façon de stocker et la façon de produire de l'énergie.
Je ne cherche à prendre la défense de personne, mais ce qu'on a connu n'était probablement pas prévu ni intégré dans les modèles de marché tels qu'ils ont été établis ni dans nos modes de consommation. Si l'industrie doit réduire aujourd'hui sa consommation, c'est peut-être parce qu'elle est allée un peu loin. Il faut donc réfléchir avant de se prononcer, mais il serait intéressant de se poser la question.
M. Jean-Michel Glachant. - Je suis universitaire. Je n'ai donc de compte à rendre qu'à moi-même. Pour l'instant, je pense que nous n'avons pas connu le pire, mais celui-ci est toujours possible. Le pire, ce serait la rupture de l'approvisionnement en électricité, avec des coupures tournantes et des ruptures d'approvisionnement en gaz, dont le risque reste à craindre, puisque nous dépendons de la température et n'avons pas de certitudes à ce sujet.
En tant qu'universitaire, je suis extrêmement déçu que les Américains nous abandonnent au pire moment. Peut-être est-ce normal ? Plusieurs d'entre vous l'ont dit : on assiste à une rupture géopolitique, alors qu'on était sincèrement persuadé d'avoir trouvé un deal avec les Russes. Ils sont insupportables, font la guerre à quelqu'un tous les quatre ans, mais on pensait que cela allait passer. Or cela n'est malheureusement pas le cas. Ils sont engagés dans une rupture mondiale, et on ne sait pas trop comment en sortir.
Je suis d'accord avec le fait qu'on peut connaître une nouvelle vague de désindustrialisation massive dans les grandes industries exportatrices et chez les grands consommateurs d'énergie. J'ai été choqué que la moitié de la sidérurgie s'arrête à Fos-sur-Mer - mais c'est normal -, que la moitié de la production d'aluminium s'arrête, que l'industrie papetière française ne produise plus qu'aux trois quarts de sa capacité, et ce grâce à l'ARENH, sans laquelle ils ne produiraient plus du tout.
Je comprends que nous protégions les consommateurs pour des raisons sociales, étant moi-même issu d'une famille très pauvre. Il est, en effet, important de ne pas abandonner toute une fraction de la population de notre pays, mais quid de notre industrie ? La question industrielle monte en importance, et je n'ai pas de solution.
Je suis également déçu, comme tout le monde ici, par le fait que notre énergie nucléaire a connu les défaillances qu'elle a dû affronter. Le secteur s'en sortira évidemment, mais on ne sait pas quand. Quoi qu'il en soit, nous n'aurons pas de nouvelles centrales avant 2035, et seules les centrales existantes vont continuer à fonctionner.
M. Laurent Ménard. - Je ne suis pas exactement dans la même situation que M. Glachant pour ce qui est de ma liberté de parole.
On a structuré les institutions que nous connaissons aujourd'hui en période d'abondance. Certains pensaient même que les moyens de production d'énergie électrique disponibles étaient trop importants. On découvre d'un seul coup qu'il n'y a plus abondance et qu'on manque de moyens de production électrique. Pour moi, c'est la leçon à tirer de cette crise.
On a bâti des institutions pour gérer ce qui était considéré comme une suraccumulation de capital. Le parc nucléaire français était trop important, les centrales à gaz ont été mises sous capuchon au début des années 2010, etc. On n'est plus du tout dans cette situation.
Ceci explique probablement les faiblesses les plus criantes du système de marché actuel. On n'a pas fait attention à envoyer de bons signaux de long terme aux investisseurs puisque, de toute façon, on estimait être en surcapacité. On n'est plus du tout dans ce cas et, d'une certaine façon, le travail qu'on doit réaliser maintenant n'a pas été fait.
On a besoin de capacités de production électrique supplémentaires pour plusieurs raisons : la raison essentielle est que tous les pays d'Europe se sont engagés dans une réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre qui passe inévitablement par une électrification d'un certain nombre d'usages. On a donc besoin de davantage d'électricité. Il faut passer de la gestion de surcapacités à la gestion d'investissements nouveaux.
Cela implique un certain nombre de changements. Je vous ai parlé de la défiance de la Commission européenne envers les contrats de long terme. Je considère que le changement profond que nous venons de subir est une excellente raison de revenir sur cette défiance.
Par ailleurs, s'agissant des modalités de financement des nouvelles installations nucléaires, il existe aujourd'hui un panel de solutions utilisées par différents États membres. Pour revenir sur la présentation de M. Glachant, le modèle développé au Royaume-Uni attire aujourd'hui l'attention. Avec Sizewell C, on est en particulier face à un système de rémunération qui prévoit que, pendant la phase de construction, une rémunération est apportée au porteur du projet afin de lui permettre de financer ledit projet. Je n'entrerai pas ici dans la technique, mais ce modèle, qui est encore en discussion, paraît extrêmement intéressant.
M. Jacques Percebois. - Je partage l'avis qui a été exprimé à l'instant sur le nucléaire. Je pense en effet que l'acte délégué sur la taxonomie est un compromis politique qui n'est absolument pas favorable à la France. Pour y inclure le nucléaire, il a fallu faire des concessions aux Allemands, et les dates limites de 2040-2045 sont préjudiciables à la relance du nucléaire en Europe.
Quant au financement, je pense qu'il faut aujourd'hui s'orienter vers les trois solutions qui, à l'échelle mondiale, semblent retenir l'attention : le système Hinkley Point du contrat pour différence, qui a beaucoup de vertus, le système de la base d'actifs régulés de Sizewell, qui permet notamment une rémunération de l'opérateur au fil de la construction, et le système des PPA. Les Japonais semblent intéressés par un projet de centrale nucléaire qui serait financé par ce biais, avec des appels au financement, les financeurs profitant de droits de tirage sur la production nucléaire. Je rappelle que c'est le système qui a été mis en place à Fessenheim, où une compagnie allemande et une compagnie suisse détenaient des droits de tirage et ont participé au financement.
Tout cela est un problème de partage du risque. Le partage des risques n'est pas le même entre l'opérateur, l'État, donc le contribuable, et le consommateur. Chaque système a ses vertus et ses inconvénients.
Concernant l'hydraulique, je rappelle qu'au moment de la commission Champsaur, il était prévu de parler non de l'ARENH, mais de l'accès régulé à la base (ARB). Il était envisagé non seulement que le nucléaire de base soit soumis à ce système de rétrocession aux concurrents, mais également l'hydraulique de base. Le Gouvernement a mis à ce moment-là les concessions hydrauliques aux enchères. C'est pourquoi l'ARB est devenu l'ARENH.
Fort heureusement, les concessions n'ont pas été vendues. La Commission européenne a d'ailleurs utilisé ce prétexte pour empêcher un décret d'application de la loi de 2010 concernant la révision périodique prévue. Il ne faut surtout pas mettre ces concessions en vente, car elles constituent un atout important. L'hydraulique est un cas un peu particulier, parce qu'il est multiusage. C'est un atout pour la France. Je rappelle qu'en 1960, la moitié de la production d'électricité française était d'origine hydraulique. Aujourd'hui, elle n'est que de 12 % parce que la consommation a fortement grimpé entre-temps, mais c'est une pépite nationale qu'il faut absolument conserver.
Pour ce qui est du stockage de l'électricité, on veut absolument mettre des couleurs sur l'hydrogène - jaune pour le nucléaire, pour montrer qu'il n'est pas tout à fait vert. Pourquoi pas ? J'observe que les écologistes allemands sont prêts à recourir à de l'hydrogène produit à partir du nucléaire, ce qui est plutôt un bon signal envoyé à la communauté internationale et européenne.
Je pense, en effet, qu'il y a beaucoup à faire du côté de l'hydrogène en matière de stockage. On peut utiliser l'hydrogène comme combustible, par le biais de l'électrolyse de l'eau, et repasser ensuite à la production d'électricité. Il est vrai qu'aujourd'hui, avec les technologies disponibles et les coûts actuels, le rendement global est de l'ordre de 30 %. On fonde des espoirs sur des systèmes beaucoup plus performants pour demain. Il faut étudier ce qui peut être fait.
Concernant la planification et le marché, la question n'est pas tant de savoir si c'est le plan ou l'État ou bien le plan ou le marché. Ce sont les deux, le problème étant la frontière. On peut avoir un service public avec des contraintes de marché. Le rapport de Simon Nora de 1967 estimait qu'il convenait de pratiquer une tarification sur la base de la vérité des prix pour les services publics, en particulier l'électricité, et la généraliser à l'ensemble des services publics. Cela se défend tout à fait. La consommation d'électricité est identifiable. On sait qui consomme. Ce n'est pas comme les biens collectifs purs qui correspondent aux fonctions régaliennes de l'État. Il est tout à fait légitime que le consommateur paye. Certes, il faut aider ceux qui sont en situation de précarité énergétique, mais le marché a un rôle à jouer. Le marché est incitatif. Le rôle du marché est de supprimer les rentes indues et d'inciter à l'innovation. Ce sont ses deux grands mérites. Il faut en profiter.
Un État performant peut, sur le long terme, faire les bons choix. S'il n'est pas performant, il peut aussi faire de mauvais choix. L'avantage du marché, c'est que la sanction tombe à un moment ou un autre. De ce point de vue, c'est une bonne chose.
M. Didier Holleaux. - Je rappelle que, parmi les énergies nouvelles et renouvelables, il en existe une parfaitement stockable, le biométhane ou le biogaz. Son potentiel est loin d'être négligeable. On estime qu'en France, cela représentera 40 TWh en 2030, et de l'ordre de 150 TWh en 2050. En Europe, les chiffres sont équivalents. L'European biogas association (EBA) annonce 41 milliards de m3, soit environ 450 TWh en 2030 et 151 milliards de m3, soit 1 700 TWh en 2050.
Une des priorités de la crise actuelle doit être d'accélérer le développement de la production de biométhane en créant des conditions favorables, qui figurent en partie dans le projet de loi d'accélération des énergies renouvelables. On peut aussi le faire en ajustant les tarifs, l'inflation touchant aussi la construction des installations de biométhane, afin de permettre que la dynamique se prolonge.
S'agissant des difficultés à long terme dans l'approvisionnement en gaz, qui ont un impact sur le marché de l'électricité, je rappelle que l'une d'entre elles résulte du fait que, avec la création du marché européen, plus personne n'était en charge de la sécurité de cet approvisionnement. Il se trouve qu'en France, par tradition, les principes de sécurité d'approvisionnement, donc de diversification des sources, ont été préservés - en partie d'ailleurs parce que les acteurs étaient plus concentrés.
Même si EDF s'y est joint, on comptait également historiquement Engie et Total. En Allemagne, du fait de la diversité des opérateurs et de la dilution des responsabilités, ce souci de diversification s'est perdu et est à l'origine de la crise.
Aujourd'hui, on pourrait à nouveau proposer des contrats à long terme ayant d'autres origines que la Russie - on pense en particulier aux États-Unis, au Qatar, plus marginalement au gazoduc avec le Turkménistan ou quelques autres pays, éventuellement l'Algérie, l'Est méditerranéen, le Mozambique, etc. Ce qui manque aujourd'hui, c'est la capacité pour les opérateurs d'établir des contrats à long terme indexés sur autre chose que sur le prix à court terme du marché du gaz européen.
Si les contrats à long terme sont indexés sur le Title Transfert Facility (TTF), qui régit le prix du gaz sur le marché spot aux Pays-Bas, cela ne couvre pas le problème d'exposition au risque. En revanche, si on diversifie ses approvisionnements en prenant du gaz américain indexé sur le prix directeur américain, du gaz qatari indexé sur le prix du pétrole et une partie de TTF ou sur d'autres indices, on introduit un nouveau principe de diversification : on n'achète jamais au moins cher des prix marginaux, mais jamais au plus cher non plus.
Aujourd'hui, le cadre n'est pas propice. Pourquoi, malgré la guerre en Ukraine, très peu de nouveaux contrats à long terme sont-ils signés par des entreprises européennes ? Cela s'explique par le fait que les Américains voudraient signer sur leur propre base et les Qataris sur la base du brent et que les acteurs du gaz européen ont intérêt à refléter dans nos contrats d'approvisionnement le prix du marché de gros européen et de tout faire porter sur le même indice TTF, qui présente un risque élevé de volatilité. Cela a évidemment un impact à long terme sur le prix de l'électricité, mais créer les conditions pour qu'un mix de prix diversifiés du gaz serve au moins à fournir l'électricité marginale produite à partir du gaz en Europe permettrait de trouver des solutions qui nous préserveraient d'un certain nombre de pics de prix et d'effets négatifs dus à la volatilité.
M. Kristian Ruby. - La transition énergétique est un processus de long terme et, comme l'a dit M. Ménard, les investisseurs ont besoin de signaux de long terme, tout comme les consommateurs. Si on avait une meilleure mixité des signaux de court et long termes en matière de prix, on connaîtrait une situation très différente aujourd'hui. C'est le sujet que la réforme doit apprécier.
Par ailleurs, un nouveau système est nécessaire pour identifier et coordonner les besoins. La transition énergétique est aussi un processus de changement et de décentralisation qui va modifier les besoins. On doit bien comprendre ce changement et réaliser des investissements adéquats. Ce sont là les éléments clés de cette réforme.
Mme Catharina Sikow-Magny. - Premièrement, il nous faut analyser en profondeur la façon de protéger les consommateurs, surtout les plus vulnérables, et les entreprises. Quel est ici le rôle du secteur public et quelles sont les responsabilités propres à chacun ? Il faut trouver le bon équilibre.
Deuxièmement, je pense qu'il faut souligner l'efficacité des échanges au niveau européen si l'on veut s'assurer que les modes de production les moins coûteux soient utilisés avant les plus coûteux. Nous le voyons en France aujourd'hui : sans les importations en provenance des pays voisins, la situation serait beaucoup plus difficile. Il faut donc préserver l'efficacité des échanges et le marché européen.
Enfin, concernant les investissements pour l'avenir, il nous faut prendre le temps et bien réfléchir au rôle de la planification. Personnellement, je pense qu'il en faut davantage, car les États sont très différents les uns des autres. Certains, comme la France, fondent leur mix de production électrique sur le nucléaire, d'autres recourent encore largement au charbon et doivent accélérer leur transition.
Comment faire en sorte que les différents mix européens soient planifiés de telle façon que nous ayons toujours de l'électricité à moindre coût ? Ceci a déjà été évoqué aujourd'hui et est lié aux mécanismes de marché, aux incitations à investir, à la flexibilité de stockage. Ce modèle nécessite selon moi une réflexion à long terme, le délai qui s'impose à nous pour faire une proposition étant fixé au 10 mars.
M. Didier Holleaux. - Eurogas soutient fortement le développement de l'hydrogène et de toutes les formes bas-carbone, considérant qu'il s'agit d'une partie de la solution au problème énergétique.
Je suis en léger désaccord avec M. Percebois : en utilisant des technologies d'électrolyse, du type de celle développée par le CEA avec Genvia, et des piles à combustible couplées à un réseau de chaleur, on peut arriver à des rendements de cycle de l'ordre de 80 %. L'hydrogène pour répondre à la pointe électrique est loin d'être absurde, à partir du moment où on intègre les nouvelles technologies et le fait qu'il existe des réseaux suffisants pour connecter des cavités salines, qui permettent le stockage de l'hydrogène à des coûts peu élevés, aux lieux de production d'électricité par pile à combustible.
M. Franck Montaugé, président. - Merci pour vos contributions. Votre apport nous sera très utile dans les travaux que nous allons poursuivre.
M. Jean-François Rapin, président. - Merci. On pourrait, comme je l'ai dit, avoir une réflexion bien plus approfondie sur le fait de savoir si le marché protège ou non.
LISTE DES PERSONNES ENTENDUES40(*)
· Institutions européennes
Commission européenne
Mme Mathilde LALLEMAND DUPUY, chargée de mission pour le marché intérieur de l'énergie à la direction générale de l'énergie
· Services de l'État
Représentation permanente de la France auprès de l'Union européenne
Mme Léa BOUDINET, conseillère énergie
Secrétariat général des affaires européennes (SGAE)
M. Ludovic BUTEL, secrétaire général adjoint
M. François GIBELLI, chef du bureau énergie et climat
Mme Constance DELER, cheffe du secteur Parlements
Ministère de la transition énergétique
Mme Sophie MOURLON, directrice de l'énergie
M. Timothée FUROIS, sous-directeur des marchés de l'énergie et des affaires sociales
· Commission de régulation de l'énergie
Mme Emmanuelle WARGON, présidente
M. Aodren MUNOZ, chargé de mission à la direction de la communication et des relations institutionnelles
· Fournisseurs
EDF
M. Patrice BRUEL, directeur de la Régulation
M. Bertrand LE THIEC, directeur des affaires publiques
M. Florent JOURDE, conseiller marchés de l'énergie à la direction des affaires européennes
Engie
M. Guillaume GILLET, vice-président affaires publiques
M. Pierre-Laurent LUCILLE, chef Économiste « évolution des marchés de gros »
M. Julien MIRO, directeur des relations parlementaires
Syndicat des entreprises locales d'énergie (ELE)
Mme Elodie RIBARDIÈRE-LE MAY, déléguée générale
· Experts
M. Frédéric GONAND, professeur d'économie à l'Université Paris Dauphine-PSL
Mme Clara HUBERT, économiste, spécialiste des marchés de l'électricité, research associate chez Aurora Energy Research.
* 1 Résolution européenne du Sénat n° 124 (2021-2022) sur le paquet « Ajustement à l'objectif 55 »
* 2 Communiqué de presse de la commission des affaires économiques du Sénat du 28 février 2022
* 3 Rapport d'information du Sénat n° 551 (2021-2022) fait au nom de la commission des affaires économiques sur l'impact de la transition énergétique sur la sécurité d'approvisionnement électrique : « La France est-elle en risque de « black-out » ?, par MM. Daniel Gremillet, Jean-Pierre Moga et Jean-Jacques Michau- 25 février 2022
* 4 Discours d'orientation prononcé au Forum stratégique de Bled, en Slovénie - 30 août 2022
* 5 L'Autriche, la Bulgarie, l'Estonie, la Finlande, la Hongrie, la Lettonie, la Pologne, la Slovaquie, et la Slovénie, selon les données Eurostat.
* 6 Table ronde organisée par la commission des affaires européennes du Sénat, le 2 mars 2023.
* 7 RTE, Bilan électrique 2022 - Un système électrique français résilient face à la crise énergétique - février 2023
* 8 RTE, Rapport mensuel de l'électricité - juillet/août 2022
* 9 RTE, Perspectives pour la sécurité d'approvisionnement en électricité pour l'été, l'automne et l'hiver 2023 - 28 juin 2023
* 10 Agence internationale de l'énergie - Rapport sur l'approvisionnement en gaz en Europe pour 2023-2024
* 11 Données Eurostat.
* 12 Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions - « Lutte contre la hausse des prix de l'énergie: une panoplie d'instruments d'action et de soutien », COM(2021) 660 final.
* 13 Conférence de presse de Mme Élisabeth Borne, Première ministre, sur les risques de pénurie de gaz pendant l'hiver, la hausse des tarifs de l'énergie et le bouclier tarifaire - 14 septembre 2022.
* 14 Marcel Boiteux : « La vente au coût marginal » - Revue française de l'énergie - 1956 - pages 113-117
* 15 Commission de régulation de l'énergie - Rapport sur les prix à terme de l'électricité pour l'hiver 2022-2023 et pour l'année 2023 - décembre 2022
* 16 Table ronde sur le marché de l'électricité, organisée par la commission des affaires européennes et la commission des affaires économiques du Sénat- Jeudi 1er décembre 2022
* 17 Perspectives pour la sécurité d'approvisionnement en électricité pour l'été, l'automne et l'hiver 2023 - RTE - 28 juin 2023.
* 18 Table ronde sur le marché européen de l'électricité, organisée par la commission des affaires européennes et la commission des affaires économiques du Sénat - Jeudi 1er décembre 2022.
* 19 Table ronde sur le marché européen de l'électricité, organisée par la commission des affaires européennes et la commission des affaires économiques du Sénat- Jeudi 1er décembre 2022.
* 20 Communiqué de presse de la Commission de régulation de l'énergie- « La CRE a approuvé le couplage des marchés de l'électricité entre la France et l'Italie » - 10 février 2015.
* 21 Table ronde sur le marché européen de l'électricité, organisée par la commission des affaires européennes et la commission des affaires économiques du Sénat - Jeudi 1er décembre 2022.
* 22 Table ronde sur le marché européen de l'électricité, organisée par la commission des affaires européennes et la commission des affaires économiques du Sénat - Jeudi 1er décembre 2022.
* 23 Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions sur le Plan REPowerEU du 18 mai 2022, COM(2022) 230 final.
* 24 Règlement (UE) 2022/1032 du Parlement européen et du Conseil du 29 juin 2022 modifiant les règlements (UE) 2017/1938 et (CE) nº 715/2009 en ce qui concerne le stockage de gaz
* 25 Données agrégées de Gas Infrastructure Europe (GIE).
* 26 Règlement (UE) 2022/1369 du Conseil du 5 août 2022 relatif à des mesures coordonnées de réduction de la demande de gaz.
* 27 Données Eurostat.
* 28 Règlement (UE) 2022/1854 du Conseil du 6 octobre 2022 sur une intervention d'urgence pour faire face aux prix élevés de l'énergie.
* 29 Producteurs d'électricité dont les coûts d'exploitation sont inférieurs aux prix d'équilibre du marché.
* 30 Règlement (UE) 2022/2577 du Conseil du 22 décembre 2022 établissant un cadre en vue d'accélérer le déploiement des énergies renouvelables.
* 31 Règlement (UE) 2022/2576 du Conseil du 19 décembre 2022 renforçant la solidarité grâce à une meilleure coordination des achats de gaz, à des prix de référence fiables et à des échanges transfrontières de gaz.
* 32 Conclusions du Conseil européen des 20 et 21 octobre 2022.
* 33 Règlement (UE) 2022/2578 du Conseil du 22 décembre 2022 établissant un mécanisme de correction du marché afin de protéger les citoyens de l'Union et l'économie contre des prix excessivement élevés.
* 34 Déclaration faite le 25 octobre 2021, à la veille de la réunion des ministres de l'énergie à Luxembourg.
* 35 Évaluation finale de l'ACER sur la conception du marché de gros de l'électricité dans l'UE - avril 2022.
* 36 Règlement (UE) 2019/942 du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2019 instituant une agence de l'Union européenne pour la coopération des régulateurs de l'énergie (ACER).
* 37 Règlement (UE) n°1227/2011 du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011 concernant l'intégrité et la transparence des marchés de gros de l'énergie.
* 38 Règlement (UE) n° 596/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 sur les abus de marché (règlement relatif aux abus de marché) et abrogeant la directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil et les directives 2003/124/CE, 2003/125/CE et 2004/72/CE de la Commission.
* 39 Résolution du Sénat portant avis motivé n° 111 (2022-2023) du 22 mai 2023 sur la conformité au principe de subsidiarité de la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant les règlements (UE) n° 1227/2011 et (UE) 2019/942 afin d'améliorer la protection de l'Union contre la manipulation du marché de gros de l'énergie - COM(2023) 147 final.
* 40 Outre les personnes auditionnées dans le cadre de la table ronde sur le marché européen de l'électricité, organisée par la commission des affaires européennes et la commission des affaires économiques, le 1er décembre 2023, dont le compte rendu figure en annexe au présent rapport.