SOMMAIRE
LES SEPT RECOMMANDATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL SUR LE FINANCEMENT PUBLIC DU SEPTIÈME ART 15
AVANT PROPOS - REPOUSSER LA DERNIÈRE SÉANCE EN RÉORIENTANT LE FINANCEMENT PUBLIC DU CINÉMA FRANÇAIS 17
I. À BOUT DE SOUFFLE ? LE CINÉMA FRANÇAIS APRÈS LA CRISE SANITAIRE 19
A. LE JOUR SE LÈVE : UNE REPRISE PROGRESSIVE 19
1. La production cinématographique a retrouvé un niveau normal en 2022, après une année de rattrapage 19
2. Le rôle méconnu de la distribution 23
3. La situation en salles : un nombre de salles croissant qui contraste avec un recul de la fréquentation 28
B. LES VISITEURS DU SOIR : L'ÉMERGENCE DES PLATEFORMES 36
2. Une contribution au financement du cinéma français de 21 millions d'euros 38
C. LE CHOIX DES ARMES : UNE MULTIPLICITÉ D'INSTRUMENTS AU SERVICE DU FINANCEMENT PUBLIC DU CINÉMA 39
1. Une production financée à plus de 30 % par des fonds publics 39
2. Un financement qui dépasse la seule production d'oeuvres 46
3. Une exposition croissante au « risque cinéma » 47
D. LE SALAIRE DE LA PEUR ? UN SOUTIEN MASSIF DURANT LA CRISE SANITAIRE 49
1. Les mesures d'urgences adoptées pour faire face à l'arrêt de la production et de l'exploitation 49
II. LA BELLE ÉQUIPE ? ENTRE AIDE À LA CRÉATION ET SOUTIEN À L'INDUSTRIE, L'ACTION DU CENTRE NATIONAL DU CINÉMA, DE L'IFCIC ET DE BPIFRANCE 55
A. L'EXERCICE DE L'ÉTAT : UN FINANCEMENT DIRECT CONCENTRÉ SUR LE CENTRE NATIONAL DU CINÉMA ET DE L'IMAGE ANIMÉE 56
1. Un recul logique des dépenses de soutien 58
2. Une position particulière 72
B. UN AIR DE FAMILLE : LES MODALITÉS D'INTERVENTION DE L'IFCIC ET DE BPIFRANCE 81
1. Une coopération État-banques privées en faveur du cinéma : l'Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles 81
2. Bpifrance, meilleur espoir du financement public du cinéma français ? 87
3. Un continuum de financement à soutenir et renforcer 89
C. LA NUIT AMÉRICAINE : FRANCE 2030, NOUVELLE ÉTAPE EN MATIÈRE DE SOUTIEN À L'INDUSTRIE CINÉMATOGRAPHIQUE ? 90
1. La volonté de multiplier les fabriques de l'image 90
2. Une demande de subvention publique établie à 1 milliard d'euros 91
3. Un assouplissement des conditions d'accès aux prêts de l'Ifcic 92
4. Une nouvelle variation sur le même thème ? 93
III. LES DISPOSITIFS FISCAUX : UNE RÈGLE DU JEU À REVOIR ? 95
A. PLEIN SOLEIL : DES CRÉDITS D'IMPÔT DYNAMIQUES 95
1. Deux dispositifs dédiés à la relocalisation des tournages 95
2. Un montant de la dépense fiscale en constante augmentation 99
3. Des dispositifs à réévaluer 102
B. CLASSE TOUS RISQUES ? LE RÔLE DES SOFICA 104
1. Des sociétés créées en 1985 et bénéficiant d'un régime fiscal favorable 104
2. Un dispositif révisé en 2021 106
3. Un investissement de près de 50 millions d'euros en faveur du cinéma en 2022 107
4. Quel avenir pour ce dispositif ? 107
LISTE DES PERSONNES ENTENDUES 121
L'ESSENTIEL
La commission des finances a examiné le mercredi 17 mai 2023 le rapport de M. Roger Karoutchi, rapporteur spécial des crédits de la mission « Médias, livre et industries culturelles », sur les résultats de son contrôle sur le financement public du cinéma.
I. À BOUT DE SOUFFLE ? LE CINÉMA FRANÇAIS APRÈS LA CRISE
A. LE JOUR SE LÈVE : UNE REPRISE PROGRESSIVE DU SECTEUR
À la progression du nombre de films produits en 2021, par effet de rattrapage, succède depuis la fin 2022 un retour en salles, même si l'étiage d'avant crise ne sera pas atteint avant 2025 selon le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC). Le niveau de fréquentation moyenne par film agréé n'a pas retrouvé celui de 2014, voire de 2012, y compris en 2019, année record en termes de fréquentation. Aucun film français ne figure parmi les 10 premiers ayant attiré le plus de spectateurs en salles en 2022 et seuls 8 films français ont dépassé le million de spectateurs.
Évolution de la fréquentation en salles (en millions de personnes) et du nombre de films agréés par le CNC depuis 2012
Source : commission des finances du Sénat, d'après les données transmises par le CNC
B. LE CHOIX DES ARMES : UNE MULTIPLICITÉ D'INSTRUMENTS AU SERVICE DU FINANCEMENT DU CINÉMA
En agrégeant les soutiens automatiques et sélectifs versés par le CNC, les subventions attribuées par les collectivités territoriales, les investissements de France Télévisions, la dépense fiscale liée au crédit d'impôt cinéma ou à la réduction d'impôt afférente aux investissements dans les SOFICA, il apparaît que la production cinématographique d'initiative française a été financée à hauteur de 31 % par des fonds publics en 2021.
Cette estimation ne reflète par ailleurs qu'imparfaitement la réalité du financement public du cinéma français en général puisqu'elle n'intègre pas les soutiens dédiés aux distributeurs et aux exploitants par le CNC, l'appui à la diffusion consenti par les collectivités territoriales, ou, au plan fiscal, le crédit d'impôt international (C2I) qui permet de soutenir les productions internationales tournées en France.
Ainsi en 2021, le montant de la dépense publique (budgétaire et fiscale) en faveur du cinéma a atteint 747 millions d'euros, hors mesures d'urgence et Plan de relance. Les prêts octroyés ou garantis par l'Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles (Ifcic) et Bpifrance, les prises de participations de cette dernière, comme les crédits dégagés via les programmes d'investissements d'avenir (PIA) 3 et 4 « France 2030 » viennent compléter ces dispositifs budgétaires et fiscaux. L'intervention de la puissance publique et son exposition au risque dans le secteur du cinéma représentait donc en 2021 environ 1,69 milliard d'euros, hors plan de relance et mesures d'urgence et avant lancement du programme France 2030.
Interventions de la puissance publique dans le secteur du cinéma en 2021
(en millions d'euros)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les données transmises par le CNC, l'Ifcic et Bpifrance
Le caractère commun à l'audiovisuel d'un certain nombre de dispositifs du CNC et de Bpifrance modèrent cependant ce montant. Il devrait néanmoins atteindre cet étiage voire le dépasser dans les années à venir avec la mise en oeuvre du volet « Fabrique de l'image » du plan France 2030, mobilisant concours de l'État et des collectivités territoriales (1 milliard d'investissements publics attendus).
C. LE SALAIRE DE LA PEUR : UN SOUTIEN MASSIF DURANT LA CRISE SANITAIRE
266,5 millions d'euros ont été versés par le CNC au secteur sur la période 2020-2023 afin de répondre aux incidences des mesures sanitaires sur l'exploitation (fermeture des salles, couvre-feu, jauges, mise en place du pass sanitaire et restriction des consommations), la distribution et la production. 63 % de ces crédits ont été fléchés vers le soutien aux salles. Les entreprises du secteur ont également eu accès aux dispositifs transversaux et aux aménagements du régime de l'intermittence.
La mission « Plan de relance » prévoyait par ailleurs 165 millions d'euros à destination du CNC sur la période 2021-2022 :
- 48,5 millions d'euros pour le réarmement financier de l'établissement, dont l'équilibre du budget avait été affecté par la crise sanitaire ;
- 116,5 millions d'euros pour des mesures de soutien à destination des secteurs du cinéma, de l`audiovisuel et du numérique.
Cette intervention s'est avérée indispensable en vue de permettre au secteur de rebondir. Il apparaît néanmoins aujourd'hui indispensable que le CNC mène à bien une évaluation documentée de l'utilisation des crédits octroyés via le plan de relance, tant il semble que le dispositif semble avant tout avoir servi à faire face à des impasses de trésorerie liées en large partie à la crise sanitaire.
D. LES VISITEURS DU SOIR : L'ÉMERGENCE DES PLATEFORMES
Au-delà de la crise sanitaire et des changements de comportements en matière de sortie culturelle, l'émergence des plateformes, leur multiplication et les habitudes de consommation de contenus culturels prises durant les périodes de confinement ou de fermeture partielle des salles font de celles-ci un acteur en devenir dans le paysage cinématographique français. Astreintes depuis 2021 à participer au financement de la production française, cet apport financier (50 millions d'euros) reste compensé par l'accès des productions déléguées aux soutiens du CNC et au crédit d'impôt international, ainsi que par l'effet d'éviction au détriment des salles (4 abonnés sur 10 fréquentent moins les salles de cinéma).
II. LA BELLE ÉQUIPE ? ENTRE AIDE À LA CRÉATION ET SOUTIEN À L'INDUSTRIE, L'ACTION DU CENTRE NATIONAL DU CINÉMA, DE L'IFCIC ET DE BPIFRANCE
A. L'EXERCICE DE L'ÉTAT : UN FINANCEMENT DIRECT CONCENTRÉ SUR LE CENTRE NATIONAL DU CINÉMA ET DE L'IMAGE ANIMÉE
Créé en 1946, le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) est un établissement public administratif placé sous la tutelle du ministère chargé de la culture. Il lui a été confié une triple mission, culturelle, économique et réglementaire.
Le CNC ne bénéficie, en principe, d'aucun crédit budgétaire. Son budget annuel est abondé par quatre taxes affectées :
- la taxe sur les services de télévision due par les éditeurs (TST-E) ;
- la taxe sur les services de télévision due par les distributeurs de services de télévisions (TST-D) ;
- la taxe sur la diffusion en vidéo physique et en ligne de contenus audiovisuels (TSV) ;
- la taxe sur les entrées en salle de cinéma (TSA).
710,8 millions d'euros sont attendus en 2023 au titre de ces quatre taxes. Le transfert de la collecte des trois taxes, assurée par le CNC, vers la direction générale des finances publiques, prévue en loi de finances pour 2020 a finalement été annulé en loi de finances pour 2023, contre l'avis du Sénat. Ce transfert aurait pu permettre au CNC de diminuer ses coûts de fonctionnement. Le maintien du recouvrement révèle un peu plus le rôle singulier de cette structure au sein de l'appareil d'État. Chargé de la définition, de l'établissement de la taxe, de son recouvrement et de la réaffectation de son produit, le Centre fait figure d'État dans l'État, la tutelle du ministère de la culture apparait toute relative, quand la coopération avec le ministère des finances s'agissant de la législation fiscale peut sembler à sens unique.
L'intervention financière du CNC, au travers de son Fonds de soutien, revêt principalement deux aspects :
- les aides automatiques, indexées sur la performance d'un producteur, d'un distributeur ou d'un exploitant ;
- les aides sélectives, appelées à soutenir la création et attribuées après avis de commissions composées de professionnels divers.
L'ensemble de ces aides peut représenter jusqu'à 70 % du financement d'un projet.
Évolution des dépenses du fonds de soutien dédiées principalement ou en partie au cinéma entre 2019 et 2023
(en millions d'euros)
Source : commission des finances du Sénat, d'après le document stratégique de performance du CNC - Perspectives 2023
Le rapporteur spécial note que le soutien financier du CNC a permis au cinéma français de conserver sa diversité et à son industrie de résister pour ne pas dire survivre, face à la concurrence internationale et plus récemment la crise sanitaire. Il relève néanmoins une extrême dépendance d'une partie de l'écosystème du cinéma français aux sorties américaines. Celles-ci génèrent une large partie de la fréquentation de salles et abondent, en conséquence, la taxe sur les entrées, élément important du financement du cinéma français.
Par ailleurs, l'offre croissante de films, français comme étrangers, dépasse la capacité d'absorption des salles Elle conduit logiquement à une baisse tendancielle des recettes par films. Celle-ci s'établissait en moyenne à 1,2 million d'euros en 2019 contre 1,7 million d'euros en 2012. Ces chiffres contrastent avec des aides du CNC sans cesse croissantes.
Évolution des recettes et des aides versées aux films agréés depuis 2012
(en millions d'euros)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les données transmises par le CNC
Ces chiffres contrastent avec l'augmentation des films produits constatée ces dernières années. Il semble donc aujourd'hui nécessaire d'insister sur une révision des politiques menées en vue de contribuer à une réduction de la production au profit d'une meilleure qualité de celle-ci, même s'il n'existe pas de « bon chiffre » en la matière ou de martingale s'agissant de la réussite d'un film. Il conviendrait sans doute de renforcer l'aide à la formation, qu'il s'agisse de l'écriture ou des techniques, mais aussi l'appui à la distribution, en réduisant a minima à due concurrence les aides sélectives à la production.
B. UN AIR DE FAMILLE : LES MODALITÉS D'INTERVENTION DE L'INSTITUT POUR LE FINANCEMENT DU CINÉMA ET DES INDUSTRIES CULTURELLES ET BPIFRANCE
Créé en 1983, l'Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles (Ifcic) est un établissement de crédit spécialisé dans le financement du secteur culturel. Son capital est détenu à 49,5 % par l'État, le capital restant étant partagé entre la quasi-totalité des banques établies en France et actives dans le secteur. Les solutions de financement dont dispose l'Ifcic prennent la forme de garanties bancaires, qui permettent d'une part de couvrir le risque pris par les banques, à hauteur de 50 % voire 70 % ou de prêts destinés à pallier les failles de l'accès au financement bancaire lorsque la garantie n'est pas suffisante. L'encours des prêts garantis ou octroyés fléchés vers la production et la distribution cinématographique atteignait 598,6 millions d'euros au 31 décembre 2021. L'encours total des prêts garantis ou octroyés aux exploitants atteignait, de son côté, 128,3 millions d'euros à la même date.
Au-delà de sa participation au capital de l'Ifcic, l'intervention de bpifrance dans le secteur cinématographique est assez récente. Elle est bâtie autour de deux axes : aide technique au développement et soutien financier. Le Plan Touch, lancé en 2020 et ouvert à toutes les industries culturelles et créatives (ICC), matérialise ainsi une certaine ambition financière, avec l'utilisation d'une palette d'instruments : prêts, garanties de prêts, action en fonds propres. 214 millions d'euros ont ainsi été mobilisés en 2021 puis 238 millions d'euros en 2022 en faveur des entreprises du cinéma et de l'audiovisuel.
L'action conjointe de l'Ifcic et de Bpifrance tend à esquisser la création, à terme, d'un fonds d'investissement public soutenu par les pouvoirs publics, intervenant comme « un investisseur avisé », appelée de ses voeux par le CNC. Ce fonds aurait pour principale activité le capital-investissement et viserait à amorcer une véritable stratégie financière dans un secteur encore peu mature. Ce modèle apparaît sans doute plus vertueux tant il implique une responsabilisation des producteurs lors de la préparation de leurs projets et induit une meilleure analyse du marché. Le rapporteur spécial appuie une telle orientation, qui devrait permettre de décharger progressivement l'État du financement de la prise de risque artistique par des outils budgétaires. Ce fonds pourrait être abondé par une réactivation des financements du CNC.
C. LA NUIT AMÉRICAINE : FRANCE 2030, NOUVELLE ÉTAPE EN MATIÈRE DE SOUTIEN À L'INDUSTRIE DU CINÉMA ?
Le volet cinématographique et audiovisuel du plan France 2030, supervisé par le CNC, constitue un réel changement de focale, avec un appui massif au développement des conditions de tournage, via la création de « fabriques de l'image ». Le cinéma est envisagé au travers du plan comme une industrie, induisant un financement spécifique. 350 millions d'euros de subventions vers la filière cinéma et audiovisuel sont dévolus à cet objectif. Ces crédits sont appelés à être complétés par une intervention des collectivités territoriales et du secteur privé. Cette ambition passe par une modernisation conséquente de l'appareil de production, confronté tout à la fois à un manque d'infrastructures de tournage et à une insuffisance de main d'oeuvre. 175 dossiers de candidature ont déjà été déposés, les investissements privés annoncés devraient atteindre 3 milliards d'euros et seraient complétés par des subventions publiques à hauteur de 1 milliard d'euros.
Le rapporteur spécial ne remet pas en question l'opportunité de développer une stratégie ambitieuse pour les ICC et en particulier pour l'industrie cinématographique. L'importance de l'investissement public via France 2030 invite à réviser les dispositifs existants par ailleurs qu'il s'agisse de soutiens spécifiques du CNC ou des crédits d'impôt. Le rapporteur spécial note ainsi qu'un certain nombre de dispositifs mis en avant dans le cadre de France 2030 peuvent apparaître redondants avec des mécanismes de soutien gérés directement par le CNC (aide à la formation, soutien aux industries techniques). Il convient de privilégier les dispositifs mis en place au sein de France 2030, censés contribuer à un effet de levier, ce qui induit une moindre dépendance aux fonds publics.
III. LES DISPOSITIFS FISCAUX, UNE RÈGLE DU JEU À REVOIR ?
A. PLEIN SOLEIL : DES CRÉDITS D'IMPÔTS DYNAMIQUES
L'action du CNC est appuyée, au niveau fiscal, par deux crédits d'impôts au montant dynamique.
Mis en place le 1er janvier 2004, le crédit d'impôt pour dépenses de production cinématographique dit crédit d'impôt « cinéma » (CIC) prévoit une déduction fiscale représentant de 20 à 30 % du montant total des dépenses éligibles, dans la limite de 30 millions d'euros par film. Le taux de 30 % vise la majorité des oeuvres. La dépense fiscale a atteint 160 millions d'euros en 2021.
Le crédit d'impôt pour dépenses de production de films et oeuvres audiovisuelles étrangers, dit crédit d'impôt « international » (C2I) est dédié aux oeuvres étrangères tournées en France depuis 2009, qu'elles soient cinématographiques ou audiovisuelles. Il prévoit une déduction fiscale de l'ordre de 30 % des dépenses éligibles. Ce taux a été porté à 40 % en loi de finances pour 2020 pour les oeuvres cinématographiques ou audiovisuelles de fiction dans lesquelles au moins 15 % des plans font l'objet d'un traitement numérique. La dépense fiscale a atteint 120 millions en 2021, dont 25 % fléchés vers le cinéma.
Ces dispositifs ont permis de réduire le phénomène de délocalisation des tournages - 15 % en 2019 et 10 % en 2021 contre 27 % en 2015 - et auraient permis la création, en 2021 de 50 000 emplois. Ces crédits d'impôt s'inscrivent dans un contexte de concurrence internationale. 40 pays ont mis en place des dispositifs dédiés à l'accueil de tournages étrangers bénéficiant d'un taux au moins équivalent à celui mis en place en France.
Les dépenses éligibles à ces dispositifs ont ainsi atteint 1,39 milliard d'euros en 2021, soit une augmentation de 47 % par rapport à 2019 (+ 445 millions d'euros). La dynamique des crédits d'impôt tend néanmoins à interroger, dès lors qu'ils financent des grosses productions qui ne semblent pas, de prime abord, peiner à réunir des financements (Les Trois Mousquetaires - D'Artagnan, Astérix et Obélix et l'empire du milieu...). Les oeuvres destinées aux plateformes bénéficient, en outre, du crédit d'impôt international. 90 oeuvres destinées à une primo-diffusion plateforme produites en 2022 sont ainsi éligibles au dispositif, générant 135,3 millions d'euros de dépense fiscale.
Le rapporteur spécial invite donc le CNC à vérifier les risques d'effets d'aubaine qu'induisent nécessairement des mécanismes de plus en plus avantageux ces dernières années, qui bénéficient de surcroît à un nombre croissant d'acteurs depuis leur lancement. Il relève en outre que l'argument d'une forte concurrence fiscale internationale peut être relativisé par d'autres atouts pour attirer des tournages : variété des paysages, richesse des sites, et bientôt mise en place des fabriques de l'image.
Il note enfin que si le CNC lui a indiqué prendre en compte les effets positifs sur les finances publiques induits par la relocalisation des tournages, aucun élément chiffré sur ce sujet n'est précisé. Dans ces conditions, il pourrait être opportun de réviser ces dispositifs, afin d'atténuer leur coût pour les finances publiques.
B. CLASSE TOUS RISQUES ? LE RÔLE DES SOFICA
Créées en 1985, les sociétés de financement de l'industrie cinématographique et de l'audiovisuel (SOFICA) sont des sociétés d'investissement destinées à la collecte de fonds privés consacrés exclusivement au financement de la production cinématographique et audiovisuelle. Elles sont créées à l'initiative de professionnels du cinéma et de l'audiovisuel, ou à celle d'opérateurs du secteur bancaire et financier. L'investissement est par ailleurs fléché vers des films d'expression originale française et de la nationalité d'un État partie à la Convention européenne sur la coproduction cinématographique, agréés par le CNC. Les SOFICA sont elles-mêmes agréées par la direction générale des finances publiques. Elles sont autorisées à faire appel public à l'épargne auprès des particuliers. Le montant maximal de la collecte annuelle est fixé chaque année par le ministère des finances lors de l'octroi de l'agrément.
Conformément à l'article 238 bis HE du code général des impôts, les souscriptions en numéraire au capital de ces sociétés sont admises en déduction du revenu imposable des souscripteurs ou du bénéfice imposable, s'ils y sont assujettis. Cette réduction est de 30 % du montant souscrit :
- elle peut être portée à 36 % si les SOFICA s'engagent à consacrer 10 % de leurs investissements à la souscription au capital de sociétés de réalisation ;
- elle peut atteindre, depuis la loi de finances pour 2017, 48 % dès lors que 10 % de leurs investissements sont dédiés à la souscription au capital de sociétés de réalisation afin de participer au développement d'oeuvres audiovisuelles de fiction, de documentaire ou d'animation sous forme de séries. Elle atteint également cet étiage, si 10% des investissements sont fléchés vers l'acquisition de droits portant exclusivement sur les recettes d'exploitation d'oeuvres cinématographiques ou audiovisuelles à l'étranger. Les 12 SOFICA agréées en 2022 ont pris ce double engagement, permettant donc à leurs souscripteurs de bénéficier de ce taux majoré de 48 %.
Le rapporteur spécial note à cet effet que le montant de la collecte en faveur du cinéma n'a pas connu d'évolution majeure avant et après 2017. Seule l'augmentation de l'enveloppe décidée en 2021 pourrait avoir un effet dans les années à venir.
Les SOFICA ont investi 32,5 millions d'euros dans la production de 140 films ou séries en 2021, 71 % des films d'initiative française au devis compris entre 2 et 10 millions d'euros ont été financés par ce biais. Ces chiffres sont à un niveau légèrement inférieur à ceux d'avant crise. Le projet de loi de finances pour 2024 devrait, en principe, intégrer une nouvelle prorogation du dispositif pour trois ans. Si le rapporteur spécial estime que cette prolongation ne pose pas de difficulté en soi, il s'interroge sur le caractère exorbitant que peut revêtir le taux de réduction d'impôt de 48 % voire le montant du plafond de la réduction, 18 000 euros.
Le débat sur le projet de loi de finances pour 2024 devrait être l'occasion de remettre en perspective ce qui peut être qualifié de niche fiscale, et dont le coût pour les finances publiques est estimé à 35 millions d'euros en 2023 (en agrégeant investissements dans le cinéma et l'audiovisuel).