EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 17 mai 2023, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances a procédé à l'examen du rapport de M. Roger Karoutchi, rapporteur spécial, sur le financement public du cinéma français.
M. Claude Raynal, président. - M. Roger Karoutchi, rapporteur spécial de la mission « Médias, livre et industries culturelles », nous présente ce matin les conclusions de son contrôle budgétaire sur le financement public du cinéma.
M. Roger Karoutchi, rapporteur spécial de la mission « Médias, livre et industries culturelles ». - La présentation de ce rapport intervient alors que le festival de Cannes démarre. Que dire sur le cinéma français ?
Il y a trois ans, le fonctionnement du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) faisait l'objet d'un certain nombre de critiques. J'ai donc souhaité savoir ce qui ne fonctionnait pas dans le financement public du cinéma français et j'ai pour cela reçu des représentants de tous les acteurs de la filière. J'ai rarement vu une corporation faire bloc à ce point : chacun émet des réserves, mais tous prônent d'une même voix qu'il ne faut toucher à rien, de peur de faire s'écrouler l'édifice.
Le cinéma français se porte mieux que celui de nos voisins : plus 280 films ont été agréés en 2022 dans notre pays par le CNC et ont donc eu accès aux financements publics. Les Italiens, les Espagnols et les Allemands ont eu un grand cinéma dans les années 1970 et 1980, mais il s'est effondré depuis : les productions et les ventes à l'international sont désormais rares. Par conséquent, le cinéma français n'allant pas si mal, on nous recommande de ne toucher à rien.
Si l'on additionne les subventions directes, les avantages fiscaux en tous genres et les prêts ou garanties de prêts publics le financement public du cinéma se chiffre à 1,7 milliard d'euros par an. Ce montant n'intègre pas les interventions à venir dans le cadre du plan France 2030 ou celles, passées, dans le cadre du plan de relance. Or, les films français attirent de moins en moins de spectateurs : entre 2014 et 2019, le nombre de spectateurs par film agréé par le CNC a chuté 30 %. De nombreux films sont financés de manière publique mais ne sortent pas dans les salles ou bien font des scores dits « d'estime », n'attirant qu'entre 10 000 et 20 000 spectateurs.
La situation n'est donc pas si simple, mais la corporation fait bloc : si l'on diminue le montant des subventions et des aides en tous genres, le cinéma français risque de subir le même déclin que le cinéma italien, espagnol ou allemand. En outre, les représentants de la filière comparent avec un peu de mauvaise foi le cinéma français, dans toute sa diversité, avec des cinémas plus puissants et massifs. Selon eux, le cinéma français couvre toutes les cases - films d'art et d'essai, films grand public, films d'aventure ou films romantiques - et si l'on réduit les avantages fiscaux ou les aides financières, ne sortiront plus que des films grand public de type américain, à savoir les seuls qui trouveront à se financer. Le cinéma d'art et d'essai serait, dans ces conditions, voué à disparaître.
Je considère que cette position est excessive et que certains éléments méritent d'être revus : ainsi, les avantages fiscaux accordés par les Sociétés de financement de l'industrie cinématographique et de l'audiovisuel (Sofica) ou le crédit d'impôt cinéma sont devenus considérables. En réalité, la question à laquelle nous devons répondre consiste à savoir si nous sommes capables d'avoir un cinéma diversifié sans pour autant que cela donne lieu à un investissement à perte.
Sans avoir la réponse définitive à cette question, j'ai émis un certain nombre de propositions dans le rapport qui vous est soumis. Je ne suis pas convaincu que le CNC y sera favorable, mais il faudra bien un jour faire bouger les lignes. Le Sénat a voté des dispositions, notamment sur la manière de prélever les taxes, que le Gouvernement n'a pas reprises.
Les critiques sur le CNC ont cessé avec la crise sanitaire : en effet, le CNC a alors déversé « un pognon de dingue » pour couvrir, voire surcouvrir, tous les acteurs de la filière.
On ne trouve aucun film français en 2022 dans le classement des dix premiers films qui ont attiré le plus grand nombre de spectateurs. Globalement, la production cinématographique est financée à 31 % par des fonds publics. En 2021, le montant de la dépense publique, budgétaire et fiscale, en faveur de la production cinématographique a atteint 747 millions d'euros, hors mesures d'urgence et plan de relance. Si l'on élargit la focale à l'ensemble du secteur, soit la production mais aussi la distribution et l'exploitation, en intégrant notamment les aides de l'Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles (Ifcic) et celles de Bpifrance, l'intervention publique et son exposition au risque dans le secteur du cinéma a représenté en 2021 environ 1,7 milliard d'euros.
Durant la crise sanitaire, le CNC a versé près de 270 millions d'euros à l'ensemble de la filière. 63 % de ces crédits ont été fléchés vers les salles afin d'éviter qu'elles ne ferment définitivement. La mission « Plan de relance » a prévu, par ailleurs, 165 millions d'euros à destination du CNC sur la période 2021-2022, ce qui lui a notamment permis de passer la crise sanitaire.
Le CNC, créé en 1946, est une institution - un État dans l'État - qui ne bénéficie d'aucun crédit budgétaire, mais qui récupère les taxes : la taxe sur les services de télévision, la taxe sur les services de télévision due par les distributeurs de services, la taxe sur la diffusion vidéo et la taxe sur les entrées de salle. Ces quatre taxes devraient représenter un montant de 710 millions d'euros en 2023.
Il était prévu en loi de finances pour 2020 que la collecte des taxes serait assurée directement par Bercy et non plus par le CNC. Il est en effet aberrant que celui qui distribue les subventions soit aussi celui qui collecte les taxes. La mesure a finalement été supprimée en loi de finances pour 2023, de sorte que la situation reste la même. Le Sénat s'était opposé lors de l'examen du texte au maintien de ce statu quo. En effet, en transférant la collecte à Bercy, les coûts de fonctionnement du CNC auraient pourtant diminué.
Le CNC intervient par le biais de son fonds de soutien pour distribuer des aides, automatiques et sélectives, qui peuvent représenter jusqu'à 70 % du financement d'un projet de film. Cela a permis de conserver la diversité du cinéma français, mais 280 films par an, compte tenu du nombre de films étrangers qui s'y ajoutent, cela représente plus que ce que les salles peuvent diffuser, dans un contexte marqué, par ailleurs, par l'émergence des plateformes. Celles-ci contribuent au financement public du cinéma à hauteur de 50 millions d'euros par an, mais elles sont probablement aussi en partie responsables de la baisse de fréquentation des salles de cinéma et elles bénéficient d'un accès au fonds de soutien du CNC et aux crédits d'impôt. En réalité, le financement du cinéma n'y gagne pas.
Dans la mesure où l'une des taxes prélevées par le CNC porte sur les entrées de salle, dès lors qu'un film américain enregistre 5 millions d'entrées en France, le CNC y gagne. Les grands films étrangers participent au financement du cinéma français dans un système en circuit clos.
Les films français sont par ailleurs moins rentables qu'autrefois. Il a suffi de sept à huit ans, entre 2012 et 2019, pour que l'on passe de 1,7 million à 1,2 million d'euros de recettes moyennes par film.
L'Ifcic est un autre financeur, qui fonctionne en tant qu'établissement de crédit en accordant des financements sous la forme de garanties bancaires ou de prêts. L'encours des prêts garantis octroyés à la production et à la distribution cinématographiques atteignait 600 millions d'euros à la fin de 2021. Il s'agit donc d'un acteur considérable pour le financement des films.
Plus récemment, Bpifrance a commencé à soutenir les aspects techniques et matériels liés à la production de films sous la forme de prêts, de garanties de prêts ou d'actions en fonds propres pour un montant de 238 millions d'euros en 2022 . Ce montant couvre à la fois les entreprises de la filière cinématographique et celles de l'audiovisuel.
L'action de ces deux acteurs nous incite à proposer qu'on les rapproche pour former un fonds d'investissement unifié qui déchargerait progressivement l'État du financement de la prise de risque artistique par des outils budgétaires. Ce fonds d'investissement pourrait être abondé par la réactivation de certains financements du CNC en faveur de l'Ifcic, selon ce que décidera le Gouvernement.
J'ajoute que le plan France 2030, supervisé par le CNC, constitue un autre apport, avec un appui massif sur les conditions de tournage. En effet, au tournant des années 2000, les films français étaient souvent réalisés, produits et tournés en Europe de l'Est, car les coûts y étaient moindres. Puis, le CNC a participé à l'élaboration de crédits d'impôts pour la relocalisation des tournages en France, avec succès. Il faut ainsi mentionner deux crédits d'impôt au montant dynamique : le crédit d'impôt pour les dépenses de production cinématographique, autrement appelé « crédit d'impôt cinéma », qui représente 160 millions d'euros par an, et le crédit d'impôt pour les dépenses de production de films et oeuvres audiovisuelles étrangers, dit « crédit d'impôt international », qui représente 120 millions d'euros. Ces avantages fiscaux visent à attirer le tournage de grands films étrangers, notamment à Paris, dont ils donnent une image parfois embellie.
Depuis vingt à vingt-cinq ans, les collectivités territoriales ont également mis en place des aides, qu'il s'agisse des régions ou même des départements et des métropoles, afin que l'on vienne tourner des films sur leur territoire. Les interventions publiques se sont donc multipliées pour obtenir la relocalisation des tournages.
Les acteurs publics interviennent désormais pour financer la construction de très grands studios. En effet, les studios classiques, comme ceux de Boulogne autrefois, ne suffisent plus et il s'agit de développer les lieux de tournage en France.
Le plan France 2030 devrait ainsi consacrer 350 millions d'euros de subventions à la filière du cinéma et de l'audiovisuel. Quelque 175 dossiers de candidature ont été déposés pour des investissements privés qui devraient atteindre 3 milliards d'euros et qui seront complétés par des investissements publics à hauteur de 1 million d'euros.
Au final, d'importants efforts ont été réalisés pour réduire la délocalisation des tournages, dont les résultats sont probants, puisque seuls 10 % des tournages de productions françaises sont réalisés à l'étranger.
Les productions éligibles à ces dispositifs fiscaux laissent cependant sceptique. En effet, certains films de qualité ne pourraient pas se faire sans les aides publiques. Mais d'autres, comme Astérix et Obélix, L'Empire du Milieu ou Les Trois Mousquetaires, bénéficient du crédit d'impôt cinéma, alors qu'ils sont largement soutenus par des sociétés de production et qu'ils sont sûrs de trouver leur public. Faut-il soutenir de la même manière des films de qualité qui sont difficiles à réaliser et d'autres dont on sait d'emblée qu'ils seront rentables et équilibrés financièrement ?
On me rétorque qu'il reste difficile de décider si tel ou tel film est de qualité et doit être subventionné. En effet, certains films qui avaient peu de chances de trouver leur public ont finalement attiré 200 000 à 300 000 spectateurs, ce qui a permis de couvrir leurs coûts. S'agissant des aides directes, en général, il revient aux commissions qui siègent au sein du CNC d'opérer des choix pour une partie d'entre elles. Mais, en ce qui concerne les dispositifs d'avantages fiscaux, ils s'appliquent de manière quasi automatique.
Les Sofica jouent également un rôle particulier. Il s'agit de sociétés de financement qui reposent sur la collecte de fonds privés consacrés à la production de films. Elles fonctionnent de manière classique, mais progressivement la réduction d'impôt pour les souscripteurs est devenue considérable : longtemps autour de 30 %, elle a été portée à 36 % dès lors que les Sofica s'engagent à consacrer 10 % de leurs investissements à la souscription au capital sociétaire de réalisation et, depuis 2017, elle peut atteindre 48 %, dès lors que 10 % des investissements sont dédiés à la souscription au capital de sociétés de réalisation participant au développement d'oeuvres audiovisuelles, de fiction, de documentaires ou d'animation.
Les douze Sofica agréées en 2022 ont, bien évidemment, pris les engagements nécessaires pour bénéficier de cette déduction fiscale à un taux de 48 %. Ces sociétés n'ont pas un rôle clé dans le financement du cinéma. Elles ont investi 32 millions d'euros dans la production en 2021, ce qui reste modeste par rapport aux autres acteurs. Toutefois, cette niche fiscale semble de plus en plus curieuse, même si les acteurs nous répètent qu'il ne faut rien changer. Rappelons que jusqu'en 2017 les Sofica fonctionnaient très bien sans bénéficier d'une déduction fiscale de cette ampleur. Les avantages fiscaux dont bénéficient les Sofica pourraient donc être revus.
Après la création du CNC en 1946, la filière du cinéma a obtenu progressivement la création de systèmes d'aide supplémentaires. Le cinéma français se porte mieux que celui des pays voisins et le CNC s'empresse de s'ériger en modèle envié par tous. Toutefois, la Corée du Sud est le seul pays à avoir mis en place l'équivalent d'un CNC ; il est vrai que le cinéma sud-coréen se porte beaucoup mieux, depuis lors.
En conclusion, le cinéma français va bien, mais à quel prix ?
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je remercie le rapporteur spécial, qui nous a fait le panégyrique d'un certain nombre de films dans les titres de son rapport. Il ouvre un questionnement sur les moyens dont dispose l'industrie du cinéma et plus largement les industries créatives. On mesure le rôle important et la place éminente, voire politique, du CNC dans les modalités de financement et d'accompagnement de ces industries.
Le rapport s'achève par sept recommandations. Nous constatons que des moyens supplémentaires ont été dégagés pour le cinéma et il est donc utile de nous interroger sur le niveau de financement public qu'il convient de maintenir, compte tenu du taux de fiscalité élevé dans notre pays et du montant important des dépenses publiques. Des dispositifs d'aide nouveaux ont été mis en place par Bpifrance et dans le cadre du plan France 2030. Évitons de nous arc-bouter sur l'acquis et sachons prendre en compte ces évolutions. Le rôle des collectivités territoriales s'est accru. Je souscris entièrement aux propositions du rapporteur spécial, qui nous incite à ouvrir une réflexion sur certains points. Nous pourrons nous en inspirer lors des prochaines discussions budgétaires.
M. Claude Raynal, président. - Merci pour votre présentation qui témoigne de vos qualités reconnues de précision et de synthèse.
Lorsque vous chiffrez le montant du financement public à 1,7 milliard d'euros, cela comprend-il les aides des collectivités territoriales ?
Vous avez abordé le sujet de la contribution des blockbusters américains au cinéma français grâce au nombre d'entrées en salle. Je trouve que c'est plutôt un bon système que je comparerais volontiers à la TVA sur les produits importés : le produit de la taxe sert ensuite à la production française. Il n'y a là rien de choquant.
Je suis sinon réservé sur votre deuxième recommandation, qui porte sur le transfert de la gestion des taxes à Bercy. Je comprends parfaitement les réticences des professionnels du cinéma, car une fois le produit des taxes entré à Bercy, il sera compliqué de l'en faire sortir à l'identique, si je puis le dire ainsi.
Enfin, sur la relocalisation des tournages en France et le financement de grands studios, l'expérience s'est autrefois soldée par un échec. Pouvons-nous créer de grands studios sans que cela soit un échec ?
M. Antoine Lefèvre. - Les collectivités territoriales, départements et régions, fournissent une part importante du financement public. Quel volume représentent ces aides pour le cinéma ? Elles ne sont pas négligeables, à en croire les logos des régions qui figurent à la fin des génériques.
Mme Vanina Paoli-Gagin. - À hauteur de 1,7 milliard d'euros, le montant des dépenses publiques pour le cinéma est important et je suis surprise de ne pas trouver en regard le montant des recettes générées. C'est dans leur aspect dynamique qu'il faut analyser les dépenses publiques.
Quant au cinéma sud-coréen, il fait largement appel à l'investissement privé. L'industrie du capital-risque culturel privé vient abonder ce qui fait figure d'équivalent de notre CNC. Le modèle est donc différent du nôtre.
M. Michel Canévet. - Je félicite le rapporteur pour son travail, qui ouvre des pistes pour réduire la dépense publique en général.
Quels sont les frais de gestion du CNC ? Les dépenses du fonds de soutien ont représenté 425 millions d'euros cette année. Le produit des taxes s'élève à 710 millions d'euros. Les dépenses de soutien représentent donc un peu moins de 60 % du produit des taxes. À quoi sont employés les 40 % qui restent ? J'espère qu'il ne s'agit pas des frais de gestion du dispositif...
Les films peuvent être subventionnés de 40 % à 70 % et le crédit d'impôt sur les dépenses peut aller jusqu'à 30 millions d'euros. Celui-ci s'applique-t-il aussi aux dépenses financées par une subvention du CNC ?
Enfin, je souscris à la recommandation n° 6 : alors qu'un certain nombre de films réalisent des profits extraordinaires, nous devrions nous poser la question de savoir s'ils ont vraiment besoin qu'on les accompagne en les faisant bénéficier de dispositifs fiscaux avantageux. J'espère que des propositions pourront être formulées lors de la prochaine session budgétaire.
M. Jean-Michel Arnaud. - Je souligne aussi la qualité de ce rapport et de la présentation de notre collègue Roger Karoutchi.
L'accompagnement en matière d'allègement des charges sociales liées au statut des intermittents du spectacle constitue une part importante dans le financement de la production cinématographique française. Il faudrait intégrer cette charge allégée dans le calcul, si l'on veut se faire une idée exacte du montant de l'aide publique apportée à notre cinéma.
Vous avez mentionné la possibilité de différencier l'attribution de l'aide publique en fonction de la nature des films et vous posiez la question de savoir ce qu'était un cinéma d'auteur par rapport à un cinéma grand public. Une classification existe au sein du CNC sous la forme de l'agrément « salle d'art et d'essai ». Pourquoi ne pas s'en servir pour affiner l'attribution des aides en la rééquilibrant en faveur de ces salles ?
Le financement des collectivités locales a été mentionné à plusieurs reprises. Il serait intéressant de mesurer précisément l'apport des finances publiques locales au financement global du cinéma français.
J'aimerais avoir plus d'informations quant au développement du réseau de distribution des salles. Dans nos territoires respectifs, certains propriétaires de salles de cinéma ont des projets de développement importants, notamment dans des villes de taille intermédiaire, à l'image de ce qu'ont pu faire les libraires dans un autre domaine. J'aimerais comprendre la logique économique de ce développement : si le public n'augmente pas à due proportion, le réseau des salles de cinéma risque d'être surdimensionné, ce qui aura des conséquences sur l'avenir du financement public du cinéma, y compris dans sa dernière chaîne de production, à savoir la distribution et les salles de cinéma.
M. Didier Rambaud. - Je salue l'originalité de ce rapport.
Quel regard portez-vous sur l'état du parc des salles de cinéma dans notre pays ? Quand on est maire d'une petite commune, on considère la présence d'un cinéma comme un facteur d'attractivité contribuant aussi au développement d'une certaine économie locale. Dans le cadre du dispositif Petites Villes de demain, de nombreux maires souhaitent réhabiliter leurs salles de cinéma. Est-ce un bon choix compte tenu de l'explosion des plateformes ? Le CNC contribue-t-il au financement de l'équipement des salles de cinéma ?
M. Philippe Dominati. - L'apport des collectivités territoriales dans le cinéma français est important et cela pose question. En effet, le cinéma est un milieu d'entre-soi et les films peuvent se faire pour des raisons alimentaires. Le financement public de l'État est complété par une multitude de subventions en provenance des collectivités territoriales. Cela me rappelle la problématique qui existait dans le milieu du sport, il y a quelques années, lorsque les collectivités territoriales subventionnaient les clubs de football régionaux. Les grands clubs de football professionnels recevaient du département et de la municipalité des subventions importantes tout comme les petits clubs pour lesquels ces aides étaient nécessaires ; et l'on n'arrivait pas à distinguer entre les deux. L'État a fini par interdire ce type de subvention.
Ne faudrait-il pas réguler de la même manière l'afflux des finances publiques de la part des collectivités territoriales en faveur du cinéma ? Faut-il centraliser ou décentraliser ? Quoi qu'il en soit, il faudrait un arbitre, car le montant du financement public représente une somme importante pour le contribuable.
M. Jérôme Bascher. - M. Karoutchi nous dit que le CNC est un modèle que de nombreux pays nous envient, mais d'autres modèles existent comme Hollywood ou Bollywood, qui sont les deux premiers cinémas du monde. La percée du cinéma indien sur le continent asiatique est colossale.
Les salles de cinéma ont moins de succès que la télévision lorsque l'on veut voir des films. Je me félicite donc que les régions se battent pour avoir des tournages sur leur territoire ou bien pour que des téléfilms auxquels elles servent de décor aient la meilleure audience possible - par exemple, la série télévisée « Meurtre à... ».
Jusqu'en 2005, tous les tournages se faisaient à l'étranger. Je me félicite de la relocalisation des tournages, qui offre des retombées aux régions, notamment à travers la publicité touristique. Le premier grand tournage relocalisé a été celui du Da Vinci Code en 2005, au Louvre.
La recommandation n° 4 sur l'Ifcic, Bpifrance et le CNC est intéressante et novatrice. Il faudrait creuser l'idée.
M. Sébastien Meurant. - Je m'interroge sur les retombées économiques et le nombre d'emplois liés à l'industrie cinématographique.
En ce qui concerne le financement des collectivités territoriales et de l'État, on a du mal à consolider les chiffres.
La recommandation n° 4 est très intéressante : elle vise à remplacer un investissement public par un investissement privé. Je suis partagé sur le sujet, car certains établissements publics sont profitables et d'autres moins. En outre, certaines petites collectivités se retrouvent à devoir financer leur cinéma, ce qui peut être compliqué dans la mesure où notre taux de prélèvement est supérieur à celui des autres pays.
M. Rémi Féraud. - Vous dites que le monde du cinéma ne souhaite pas que l'on touche au CNC. La comparaison avec la politique du logement est éclairante sur ce point : en effet, en 2017, on a établi le constat que l'on y consacrait des moyens onéreux pour des résultats très imparfaits, de sorte qu'on les a largement remis en cause, avec pour résultat que la situation a empiré.
Que propose le monde du cinéma ? S'agit-il simplement de ne rien changer ou bien y a-t-il des demandes particulières et comment les acteurs de la filière perçoivent-ils les propositions que vous faites ?
M. Roger Karoutchi, rapporteur spécial. - Quelques chiffres : on estime le montant de l'apport financier des collectivités territoriales à 96 millions d'euros par an, qui sont intégrés dans les 1,7 milliard d'euros de financement public du cinéma français.
Il est difficile de mesurer le montant des recettes qui proviennent du cinéma. En 2021, le nombre d'entrées au cinéma pour des films français a représenté 670 millions d'euros, ce qui n'est pas considérable. Quelles sont les retombées en matière d'emploi ? Il est difficile de dire qu'elles sont liées au financement public du cinéma, car on peut imaginer que les acteurs seraient quand même acteurs si le CNC n'existait pas. On estime que la part des emplois liés à l'ensemble des activités cinématographiques représente 1 % du nombre d'emplois actifs en France.
Faut-il prendre en compte les allègements de charges liés au statut des intermittents ? Je ne le crois pas, car les intermittents travaillent dans le milieu du spectacle et pas seulement du cinéma. Le soutien aux intermittents est donc assuré non pas par le CNC, mais par d'autres structures.
On compte 2 028 cinémas en France et 1 671 communes disposent d'au moins un établissement. Parmi ceux-ci, 233 sont des multiplexes. Je précise qu'un multiplexe est toujours moins coûteux et plus rentable qu'un autre type de salle.
Le président Raynal considère que transférer la gestion des taxes à Bercy n'est pas une bonne solution, mais le cinéma est une activité économique comme une autre en France. Or c'est le seul système économique français dans lequel celui qui attribue les subventions est aussi celui qui collecte les taxes. Le Sénat a par ailleurs approuvé, il y a quelques années, le principe d'un transfert de la collecte des taxes à Bercy proposé par le Gouvernement. Cette proposition n'a bien évidemment pas reçu l'agrément du CNC.
Monsieur Bascher, la capacité de financement privé aux États-Unis et en Inde est nettement supérieure à ce qu'elle est en France. Je ne dis pas que le CNC est le seul modèle valable. Je rappelle que le cinéma français des années 1930 était classé parmi les meilleurs au monde, et cela sans CNC. Bien évidemment, les temps ont changé.
Quant aux frais de gestion du CNC, ils représentent 55 à 56 millions d'euros par an, le reste servant à soutenir la production, l'exploitation ou la distribution, mais aussi l'audiovisuel et les jeux vidéo. Ces frais de gestion ne sont pas démesurés par rapport au système du financement public.
Plusieurs tentatives de créer de grands studios de cinéma, notamment dans le sud de la France, ont été des échecs. Les projets sont désormais plus raisonnables. Dans la mesure où l'on délocalise de moins en moins, la volonté de développer ces studios existe. Certes, le cinéma fonctionne en vase clos, mais les intervenants que nous avons rencontrés nous ont expliqué qu'un grand acteur, un grand producteur ou un grand réalisateur avait forcément un accès privilégié au pouvoir exécutif. Si un acteur très médiatisé rencontre le Président de la République ou le Premier ministre, il peut pratiquement obtenir tout ce qu'il veut.
En revanche, on peut essayer de rationaliser un système qui s'est démultiplié à l'excès et de prévoir davantage de contrôle et de suivi. Dans les sondages, il apparaît que tous les citoyens rêvent qu'il y ait un cinéma dans leur ville, quand bien même ils n'iraient pas. Les collectivités territoriales ont-elles raison ou non de soutenir la création cinématographique ? Aucun maire ne considère qu'il serait négatif de mentionner dans son bilan le fait qu'il y a un cinéma dans sa ville.
La commission a adopté les recommandations du rapporteur spécial et a autorisé la publication de sa communication sous la forme d'un rapport d'information.