C. LE CHOIX DES ARMES : UNE MULTIPLICITÉ D'INSTRUMENTS AU SERVICE DU FINANCEMENT PUBLIC DU CINÉMA
1. Une production financée à plus de 30 % par des fonds publics
a) Plus de 900 millions d'euros ont été investis dans la production française en 2022
Les investissements totaux dans la production de films d'initiative française ont atteint 914,6 millions d'euros en 2022, enregistrant un recul de 7 % par rapport à la moyenne constatée entre 2017 et 2019, soit 983,1 millions d'euros. Le financement privé comprend :
- les apports des producteurs français, soit 361,4 millions d'euros en 2022, ce niveau étant relativement stable par rapport à celui enregistré entre 2017 et 2019 ;
- les investissements des diffuseurs, qu'il s'agisse des préachats (234,1 millions d'euros en 2022) ou des apports en coproduction (37,45 millions d'euros en 2022) ;
- les mandats (distribution en salles, édition vidéo, exploitation à l'étranger), soit 116,5 millions d'euros. Ce montant est en baisse par rapport à 2022, cette diminution étant imputable à la baisse de la fréquentation et au manque de visibilité sur la reprise des différents marchés internationaux ;
- les apports étrangers, soit 66,4 millions d'euros en 2022 ;
- les investissements des sociétés de financement de l'industrie cinématographique et de l'audiovisuel (SOFICA), soit 28,79 millions d'euros en 2022.
Financement privé de la production d'initiative française
(en millions d'euros)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les données transmises par le CNC
b) Un financement par des fonds publics encadré par le Centre national du cinéma et de l'image animée
L'agrément accordé par le Centre national du cinéma et de l'image animée (cf supra) constitue le critère déterminant pour permettre aux productions d'accéder aux financements publics. Deux types d'agrément existent :
- l'agrément des investissements permet d'accéder aux aides du CNC, au soutien généré - soit le calcul des sommes liées à l'exploitation de l'oeuvre en salles, à la télévision, en vidéo physique, à l'export, inscrites sur un compte automatique géré par le CNC pouvant être réutilisé pour la production d'autres oeuvres et aux financements dits encadrés : crédits d'impôts, SOFICA, investissement des chaînes hertziennes, avances sur recettes... (cf infra) ;
- l'agrément de production peut être demandé au CNC, en l'absence de recours aux financements dits encadrés, afin de bénéficier du soutien généré.
Interrogé par le rapporteur spécial, le CNC estime que les fonds publics contribuent à hauteur de 7,9 % au financement de la production d'une oeuvre cinématographique.
Deux sources de financement sont ainsi mises en avant :
- les soutiens automatiques et sélectifs versés par le CNC ;
- les subventions attribuées par les collectivités territoriales.
Un second rôle au temps de jeu croissant : les collectivités territoriales 95,6 millions d'euros ont été investis par les collectivités territoriales en 2022 dans le secteur cinématographique. Deux directions sont poursuivies : l'aide à la production et la mise en oeuvre d'autres dispositifs en faveur de l'éducation par l'image, l'exploitation, la formation professionnelle ou l'accueil de tournages. Cette intervention a progressé de près de 40 % en 10 ans. Intervention des collectivités territoriales en faveur du secteur du cinéma depuis 2012 (en millions d'euros)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les données transmises par le CNC L'intervention directe en production est complétée par le CNC à hauteur d'un euro minimum versé pour 2 euros de financement assuré par les collectivités territoriales. La contribution du CNC est plafonnée à 2 millions d'euros par collectivité. Des conventions triennales sont signées à cet effet entre l'État et les collectivités. Elles comprennent quatre parties : - écriture, développement, production, accueil de tournages et développement de la filière ; - diffusion culturelle et éducation artistique ; - soutien aux exploitants ; - patrimoine cinématographique. 17 conventions ont été signées, regroupant 33 collectivités territoriales (17 régions et départements et régions d'outre-mer5(*), 10 départements6(*), 4 agglomérations et métropoles7(*) et 2 communes8(*)). Les engagements de production des collectivités territoriales s'élevaient à 36,5 millions d'euros en 2022, en progression de 43 % depuis 2012. Engagements de production des collectivités territoriales (en millions d'euros) Source : commission des finances du Sénat, d'après les données transmises par le CNC |
c) Un financement public qui mobilise d'autres acteurs
Le CNC n'inclut pas dans son estimation un certain nombre d'acteurs publics qui investissent dans la production ou s'exposent au risque qu'elle génère.
(1) Le rôle de France Télévisions
Le CNC n'intègre pas dans son calcul les financements attribués par France Télévisions via ses filiales France 2 Cinéma et France 3 Cinéma, au motif qu'ils sont assimilables aux obligations de financement auxquelles sont soumises les chaînes de télévision. Le rapporteur spécial relève cependant qu'il s'agit d'argent public et estime qu'ils doivent être inclus donc dans l'évaluation globale du financement public de la production. 60 millions d'euros sont ainsi investis chaque année dans la production française.
Le rapporteur spécial rappelle par ailleurs, au sujet du rôle des filiales du groupe audiovisuel public, les recommandations formulées dans son rapport de contrôle budgétaire publié en juin 2022, dans lequel il s'interrogeait sur la pertinence de leur séparation9(*).
France Télévisions et le financement du cinéma français Créées respectivement en 1980 et en 1984, France 2 Cinéma et France 3 Cinéma répondent au cahier des charges de France Télévisions qui prévoit que le groupe public contribue à la diversité de la production cinématographique et soutient un cinéma d'initiative française et européenne « fort, pluriel et indépendant ». France 2 Cinéma a contribué à la production de 1 132 films depuis sa création et France 3 Cinéma a participé au financement de 966 films depuis son lancement. L'existence des deux filiales est avant tout garantie par la subvention d'équilibre versée par France Télévisions. Celle-ci atteignait en 2021 10,5 millions d'euros pour France 2 Cinéma et 8,3 millions d'euros pour France 3 Cinéma. Un investissement annuel de 60 millions d'euros L'accord trouvé avec le Bureau de liaison des organisations du cinéma (BLOC) et la société civile des auteurs, réalisateurs et producteurs (ARP) le 27 février 2020 sur l'exposition du cinéma dans les offres de France Télévisions table sur un investissement des filiales cinéma, d'au moins 60 millions d'euros par an dans les oeuvres de cinéma européenne et d'expression originale française, soit plus que les 3,5 % de chiffre d'affaires de chacune des deux chaines retenus jusqu'alors. Montant des investissements des filiales cinéma de France Télévisions depuis 2018 (en millions d'euros) Source : commission des finances, d'après les données transmises par France Télévisions au rapporteur spécial Les investissements des deux filiales publiques prennent la forme de coproduction, de « parts producteurs » et de préachats de droits de diffusions en direct (linéaire) et sur plateforme (non linéaire). L'accord de 2020 prévoit, par ailleurs, la diffusion de 250 films de cinéma par an sur les antennes hertziennes et l'exposition d'au moins 50 oeuvres sur sa plateforme et que France Télévisions puisse acquérir pour les films de cinéma qu'elle a préfinancés des droits de mise à disposition en télévision, pendant une durée maximale de 7 jours. Une valorisation insuffisante ? En 2018 et 2019, les coproductions de France 3 Cinéma ont cumulé respectivement près de 13,5 millions d'entrées et 11,2 millions d'entrées (373 000 entrées en moyenne par film produit). Le taux de retour sur investissement historique de la filiale de France 3 au 31 décembre 2021 était stable à 50 % de l'investissement en part producteur. Celui de France 2 Cinéma atteignait, quant à lui, 60 %, les films coproduits cumulant 12,9 millions d'entrées en 2018 puis 17,21 millions d'entrées en 2019 (521 000 entrées par film produit). Il apparaît difficile de fixer des objectifs de retour sur investissement tant au regard de l'impératif, pour le service public, de soutenir une production indépendante et pour partie exigeante, que de l'incertitude entourant une reprise de la fréquentation en salles dans un contexte de sortie de la crise sanitaire. Il est cependant possible de s'interroger sur la valorisation a posteriori sur les antennes du groupe des films coproduits. Les films issus du catalogue des deux filiales ne représentaient en effet en moyenne que 40 % des films diffusés en première partie de soirée sur les chaînes du groupe entre 2018 et 2021, soit un taux quasi équivalent aux films étrangers. Les modalités de diffusion peuvent également intriguer : sur les 297 films inédits produits par les deux filiales diffusés sur les antennes du groupe public depuis 2018, 165, soit 55 % d'entre eux, n'ont pas été diffusés en première partie de soirée. La modification du régime de diffusion des oeuvres cinématographiques sur les services de télévision, intervenue en pleine crise sanitaire constitue pourtant une réelle opportunité pour une plus grande diffusion de ces oeuvres sur le service public. La mise en avant des films réduirait pourtant le coût de la grille des programmes, en minorant le budget dédié aux acquisitions. Une fusion inévitable ? L'existence des deux entités est censée garantir une variété des projets coproduits, France 3 Cinéma finançant notamment spécifiquement le cinéma d'animation. Il s'avère cependant que la distinction entre les deux filiales peut apparaître artificielle compte-tenu de l'existence, depuis septembre 2018, d'un comité de concertation mensuel sur les investissements entre les deux entités. Les projets présélectionnés par chacune des filiales y sont présentés. La présidente-directrice générale de France Télévisions, le directeur des antennes et des programmes du groupe et le directeur cinéma sont membres de ce comité. Il n'y pas de réelles économies budgétaires à attendre d'une éventuelle fusion : le nombre d'ETP (6 pour chacune des entités) est réduit et les coûts de fonctionnement sont déjà limités mais la transformation en une seule entité aurait le mérite d'une certaine cohérence au regard de l'organisation de la programmation cinématographique sur les antennes du groupe public. Un directeur unique du cinéma a ainsi été nommé en février 2021. Par ailleurs, seuls 45 % des films produits par France 2 Cinéma diffusés sur les antennes du groupe public depuis 2018 l'ont été sur France 2, alors que les deux guichets sont censés obéir à des logiques différentes, prenant en compte la spécificité des deux chaînes. La fusion permettrait, en outre, de lever une ambiguïté quant au rôle de France 5 dans le financement de la création cinématographique. Source : Plus belle France Télévisions ? Une stratégie commerciale en questions. Rapport d'information n° 650 (2021-2022) de M. Roger Karoutchi, au nom de la commission des finances du Sénat |
(2) L'arme fiscale
Au-delà des filiales de France Télévisions, le rapporteur spécial note que l'estimation de la part de financement public dans la production ne comprend pas la dépense fiscale liée au crédit d'impôt cinéma (cf infra), qui vise les dépenses de production des films d'initiative française10(*) ou à la réduction d'impôt afférente aux investissements dans les SOFICA. Le montant de la dépense fiscale liée au crédit d'impôt devrait atteindre 160 millions d'euros en 2022, ce qui vient majorer substantiellement la part du financement public dans la production en 2021. Celle liée aux SOFICA devrait atteindre 20,2 millions d'euros.
Dans ces conditions, la part des fonds publics dans le financement de la production d'initiative française doit nécessairement être réévaluée, en minorant celles des producteurs, des SOFICA et des chaînes de télévision.
Part des financements publics dans les apports des
producteurs, des SOFICA
et des chaines de télévision à
la production de films d'initiative française en 2021
(en millions d'euros)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les données transmises par le CNC
La dépense fiscale représente ainsi 44 % des apports des producteurs. Dans ces conditions, le financement public de la production d'initiative française en 2021 représentait non plus 7,9 % de montants engagés mais 31,2 %, soit près du tiers des financements mobilisés.
Répartition des financements dans la production d'initiative française en 2021
(en pourcentage)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les données transmises par le CNC
2. Un financement qui dépasse la seule production d'oeuvres
L'estimation du financement public de la production ne reflète par ailleurs qu'imparfaitement la réalité du financement public du cinéma français en général puisqu'elle n'intègre pas les soutiens dédiés aux distributeurs et aux exploitants par le CNC, l'appui à la diffusion consenti par les collectivités territoriales, ou, au plan fiscal, le crédit d'impôt international (C2I) qui permet de soutenir les productions internationales tournées en France11(*).
Ainsi en 2021, le montant de la dépense publique (budgétaire et fiscale) en faveur du cinéma a atteint 747 millions d'euros, hors mesures d'urgence et Plan de relance (cf supra), soit un montant largement supérieur à celui des crédits du programme 334 « Livre et industrie culturelles » de la mission « Médias, livre et industries culturelles » exécutés en 2021 (469,42 millions d'euros).
Dépense publique en faveur du cinéma français en 2021
(en millions d'euros)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les données transmises par le CNC
3. Une exposition croissante au « risque cinéma »
Les prêts octroyés ou garantis par l'Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles et bpifrance, les prises de participations de cette dernière, comme les crédits dégagés via les plans investissements d'avenir (PIA) 3 et 4 « France 2030 » viennent compléter ces dispositifs budgétaires et fiscaux.
L'encours des prêts ou garanties fléchés de l'Ifcic vers la filière atteignait ainsi 727 millions d'euros au 31 décembre 2021, via ses trois fonds dédiés : Fonds de prêt aux entreprises de l'image animée et du numérique (FPIA), Fonds de prêts à l'innovation (FPINNOV) et Fonds de garantie cinéma-audiovisuel (FGIA).
Les interventions de bpifrance dans le secteur du cinéma et de l'audiovisuel ont, quant à elles, atteint 238 millions d'euros en 2021, principalement sous la forme de garanties.
Interventions de la puissance publique dans le secteur du cinéma en 2021
(en millions d'euros)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les données transmises par le CNC, l'Ifcic et Bpifrance
L'intervention de la puissance publique et son exposition au risque dans le secteur du cinéma représentait donc en 2021 environ 1,69 milliard d'euros, hors plan de relance et mesures d'urgence et avant lancement du programme France 2030. Le caractère commun à l'audiovisuel d'un certain nombre de dispositifs du CNC, de bpifrance et de l'Ifcic modèrent cependant ce montant. Il devrait néanmoins atteindre cet étiage voir le dépasser dans les années à venir avec la mise en oeuvre du volet « Fabrique de l'image » du plan France 2030, mobilisant concours de l'État et des collectivités territoriales (1 milliard d'investissements publics attendus).
* 5 Auvergne-Rhône-Alpes, Bourgogne-Franche-Comté, Bretagne, Centre-Val de Loire, Corse, Grand Est, Guadeloupe, Guyane, Hauts-de-France, Île-de-France, Martinique, Normandie, Nouvelle-Aquitaine, Occitanie, Pays de la Loire, Provence-Alpes-Côte d'Azur, La Réunion.
* 6 Alpes-Maritimes, Charente, Charente-Maritime, Dordogne, Drôme, Gironde, Haute-Savoie, Landes, Lot-et-Garonne, Seine-Saint-Denis.
* 7 Bordeaux Métropole, Eurométropole de Strasbourg, Toulouse Métropole, Agglomération de Valence Romans.
* 8 Ville de Bordeaux, Ville de Paris.
* 9 Plus belle France Télévisions ? Une stratégie commerciale en questions. Rapport d'information n° 650 (2021-2022) de M. Roger Karoutchi, au nom de la commission des finances du Sénat.
* 10 Le crédit d'impôt international (C2I) vise exclusivement els dépenses de productions internationale réalisées en France.
* 11 25 % de la dépense fiscale est orientée vers le financement du cinéma.