C. EN CONSÉQUENCE, DES MISSIONS TRÈS PARTIELLEMENT REMPLIES
En corollaire de l'absence de personnalité morale, les « missions des GHT » relèvent en réalité d'un abus de langage, et ne doivent en réalité être comprises que comme les missions que la loi oblige les établissements support à exercer pour le compte des établissements parties. Elle pose par ailleurs la distinction entre missions explicites et missions discrétionnaires .
• Les premières, limitativement énumérées par la loi de 2016, concernent essentiellement la mutualisation des fonctions venant en soutien à l'activité de soins. Il s'agit surtout de :
- la gestion commune d'un système d'information hospitalier (SIH) convergent , avec en particulier la mise en place d'un dossier patient permettant une prise en charge coordonnée des patients au sein des établissements parties ;
- la gestion d'un département de l'information médicale (DIM) de territoire ;
- la mutualisation des achats ;
- l'organisation d'une filière commune d'imagerie diagnostique et interventionnelle .
La loi OTSS y a adjoint, à partir du 1 er janvier 2021, la gestion des ressources humaines médicales, odontologiques, pharmaceutiques et maïeutiques du groupement.
Ces missions, avant tout destinées à consolider le GHT dans sa fonction gestionnaire en prévision de la mutualisation de l'activité de soins, font globalement l'objet d'un constat sévère de la Cour des comptes.
À l'objectif de mise en oeuvre d'un SIH convergent, dont la Cour relève qu'il conditionne a priori le succès de tous les autres objectifs, notamment celui de gestion d'un DIM de territoire, il semble qu'aucun GHT n'ait à ce jour consacré de moyens suffisants, en raison de l'anticipation d' importants surcoûts 9 ( * ) . De même, la Cour note que cette « hétérogénéité des systèmes d'information rend difficile la mise en place d'une imagerie de territoire ».
À ce jour, seule la mutualisation des achats semble figurer au rang des réalisations des GHT . L'enquête de la Cour indique en effet que « les GHT ont très largement organisé et structuré leur fonction achat », à l'aide d'une « instance pérenne de coordination opérationnelle et stratégique ». Pour autant, elle affirme que le rapprochement des acheteurs au sein des GHT n'a pas encore mené aux gains attendus en matière de dépenses à caractère médical ou de dépenses à caractère général et hôtelier, contredisant ainsi les propos tenus par la ministre des solidarités et de la santé lors de l'examen du projet de loi OTSS, selon laquelle « les gains [de la mutualisation des achats] sont en réalité énormes, puisqu'ils ont atteint 500 millions d'euros en 2018, contre 310 millions d'euros attendus » 10 ( * ) . Les exercices à venir fourniront l'occasion d'apprécier l'opportunité de ces mutualisations.
De façon générale, votre commission conclut des travaux de la Cour qu' une bonne préparation du GHT dans sa fonction gestionnaire, étape indispensable à sa réussite comme coordinateur territorial du soin hospitalier public, passe nécessairement par l'adaptation de son parc informatique . Au-delà de la motivation des acteurs à s'associer, cette condition détermine à elle seule le succès des GHT entrevu par le législateur, qui ne s'y était pas trompé en la faisant figurer au sommet de la liste de ses missions gestionnaires.
• Les missions discrétionnaires des GHT sont celles qui figurent au sein du projet médical partagé (PMP) , auquel la loi se contente de fixer l'objectif de garantir une « offre de proximité ainsi que l'accès à une offre de référence et de recours ». Elles ont fait l'objet, depuis l'adoption de la loi OTSS du 24 juillet 2019, d'une attention plus soutenue des pouvoirs publics qui, constatant que « beaucoup d'énergie [avait] été consacrée à améliorer les fonctions de support et l'organisation administrative », ont désormais souhaité « déplacer le centre de gravité des GHT pour donner la priorité aux organisations médicale et soignante » 11 ( * ) .
En considération des constats précédemment portés, il n'est pas surprenant que la Cour conclue que « les GHT, dans leur format actuel, ne conduiront pas à une restructuration de l'offre de soins ». La mobilisation perfectible des acteurs concernés , l' absence d'une véritable dimension intégrative aux différents projets ainsi que les lacunes des modèles gestionnaires sont autant d'entraves à ce que les PMP des GHT se traduisent par de véritables mutations de l'offre hospitalière publique.
Toutefois, lorsque les PMP s'attèlent à des problèmes relatifs à l' organisation de certaines filières des établissements membres du GHT, ces entreprises peuvent conduire à des succès. C'est particulièrement le cas pour deux filières de soins spécifiques : la médecine d'urgence et les soins psychiatriques . Dans l'un et l'autre cas, les PMP ne suggèrent pas de restructurer les filières existantes au profit d'un ou de plusieurs membres du groupement, mais d' adopter un protocole commun d'intervention visant à optimiser le parcours du patient . Ces protocoles peuvent parfois témoigner d'un degré d'intégration très poussé, notamment lorsqu'un chef de pôle unique intra-GHT est désigné.
Pour le cas plus particulier des soins psychiatriques, si le GHT présente d'indéniables atouts pour assurer la plus large couverture des territoires, il se heurte néanmoins à la spécificité du secteur, majoritairement occupé par des établissements privés . Aussi, l'articulation des projets territoriaux de santé mentale (PTSM) et des territoires d'assise des GHT doit être améliorée afin que l'association des acteurs puisse donner ses pleins effets.
Proposition : prévoir dans la loi la possibilité pour les projets médicaux partagés de mieux tenir compte des projets territoriaux de santé mentale.
* 9 Le programme « Hôpital numérique ouvert sur son environnement » (Hop'en), doté de 420 millions d'euros sur la période 2018-2022 et par ailleurs mobilisé sur sept domaines d'intervention prioritaires, est à ce jour le seul vecteur de financement dédié à la mise en place d'un SIH convergent au sein des GHT.
* 10 Compte-rendu intégral des débats de la séance du 6 juin 2019.
* 11 Compte-rendu intégral des débats de la séance du 6 juin 2019.