B. UN DEGRÉ D'INTÉGRATION INSUFFISANT QUI OBÈRE LA RESTRUCTURATION DE L'OFFRE HOSPITALIÈRE PUBLIQUE
• La faible mobilisation des acteurs concernés se traduit presque automatiquement dans le degré d'intégration prévu par la convention constitutive du GHT qui, lorsqu'il est insuffisant, ne permet que de très partiellement satisfaire l'objectif que la loi lui a défini.
La Cour distingue deux grands modèles de GHT : les GHT « fédératifs » et les GHT « intégratifs » .
Pour les premiers , très largement majoritaires (65,3 %), la distribution de l'activité au sein du groupement obéit avant tout à un principe de subsidiarité , qui commande de maintenir les activités de soins en proximité dans chaque établissement. Pour les seconds , l'objectif du groupement doit permettre de parfaire la mutualisation des activités de ses membres, ce qui peut aboutir, selon l'appréciation de la gradation des soins, à une spécialisation concertée des établissements (en supprimant l'activité concurrente dans les autres établissements membres) ou à un échelonnement des soins en direction de l'établissement support.
Alors que la loi laisse aux établissements support la possibilité de gérer pour le compte des établissements parties des équipes médicales communes ou la mise en place de pôles inter-établissements (PIE), la Cour constate la faible utilisation de ces outils d'intégration .
Ainsi, sous l'hypothèse énoncée par la Cour d'une action des GHT à périmètre financier constant , la prévalence des GHT fédératifs, soucieux de préserver les activités de soins assurés par chacun des membres, ne peut que paralyser la mise en oeuvre de l'objectif de recomposition de l'offre . Lorsque les PMP entreprennent la création d'une offre de soins nouvelle (dans près de 38 % des cas), la Cour, rappelant l' effet centrifuge des GHT que les données lui ont permis d'observer, l'interprète comme une « dispersion inquiétante des forces médicales lorsqu'elle concerne des spécialités nécessitant un plateau technique lourd ».
Pour les PMP faisant le pari de créations d'offre nouvelle sans envisager de rééquilibrage interne correspondant, elle entrevoit des « restructurations [qui] seront majoritairement subies car non anticipées dans le cadre du PMP » 8 ( * ) . À cet égard, votre commission des affaires sociales y voit la preuve du faible investissement des ARS dans la construction des PMP, validés sans appréciation convenable de leur réalisme.
Par ailleurs, la Cour note que cette préférence affichée des GHT pour le modèle fédératif se fait à rebours du virage opéré par le secteur privé , qui privilégie un « mode de gouvernance unifié et intégratif ». La segmentation accrue de la couverture de santé des territoires risque ainsi de se trouver aggravée par cette dualité de pilotage selon le secteur.
• Outre le niveau relativement décevant de l'intégration interne, c'est en matière d' intégration externe que le GHT montre, aux yeux de votre commission, les défauts les plus graves .
En effet, l'obligation d'adhésion à un GHT ne concerne que les établissements publics de santé : l'association des autres professionnels de santé (établissements privés ou professionnels libéraux), pourtant déterminante pour la réalisation de l'objectif fixé par la loi de « prise en charge commune et graduée du patient », reste à la discrétion des membres du GHT .
Or, la Cour relève que, pour deux acteurs déterminants des parcours de santé des patients qui ont par ailleurs fait l'objet de réformes parallèles, le degré de coopération avec les GHT demeure préoccupant :
- le secteur médico-social , chargé de l'accompagnement des personnes âgées en perte d'autonomie et des personnes handicapées, est en marge de la réforme des GHT. La Cour identifie comme principale raison à cet écart le modèle économique du GHT, qui n'encadre le versement des contributions des établissements parties qu'à raison des activités de soins et de support à ces dernières ;
- le lien avec les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) , qui ont vocation à occuper dans le secteur des soins de ville une place similaire à celle envisagée par les GHT dans les soins hospitaliers, n'est jamais mentionné par la loi ou les textes réglementaires régissant ces derniers. Aux dires de la Cour, « le lien avec les acteurs de ville est totalement absent du schéma constitutif des GHT ». Lorsqu'ils figurent au sein des PMP, à la discrétion totale des GHT, ces liens sont qualifiés par la Cour de « fragiles, faute d'une gouvernance prévue par la loi ».
La question de l'association des partenaires externes au GHT est, aux yeux de votre commission, absolument centrale pour la réussite des missions qui lui ont été confiées. Les avantages de la stratégie de groupement ne manqueront pas d'être neutralisés par le maintien du cloisonnement entre hôpital, soins de ville et médico-social, aggravé d'un creusement de l'opposition privé/public. S'il n'est pas nécessaire, contrairement à ce que semble indiquer la Cour, de prévoir un mode de gouvernance spécifique pour faciliter l'association de ces différents acteurs, votre commission se montre favorable à ce que des outils déjà existants soient réactivés à cet effet (cf. infra ).
* 8 Elle donne à cet égard l'exemple du GHT Sud-Drôme-Ardèche qui prévoyait en 2017 le maintien des trois maternités du territoire, bien que la maternité du CH de Privas ne soit en mesure d'atteindre les 300 accouchements par an.