B. LA REMISE EN CAUSE DES ÉVALUATIONS DE L'EFSA QUI DISCRÉDITE L'ENSEMBLE DE LA PROCÉDURE D'ANALYSE DU RISQUE

1. L'EFSA critiquée sur plusieurs points
a) La transparence

Les ONG souhaiteraient pouvoir disposer, dans un format facilement exploitable, des études sur lesquelles l'EFSA a fondé son expertise. Pour la société civile, ce serait un gage de transparence qui permettrait de mieux comprendre les avis rendus par l'EFSA.

Or, ces études font parfois l'objet de mesures de confidentialité liées notamment à la propriété intellectuelle, et il est alors difficile de les obtenir dans leur intégralité en s'adressant à l'EFSA. En outre, quand elles sont fournies, c'est dans un format difficilement exploitable.

La polémique qui a entouré le renouvellement de l'autorisation du glyphosate est révélatrice de ces difficultés.

L'EFSA a toujours considéré que le glyphosate n'est pas une substance cancérigène. Or, en mars 2015, le CIRC - Centre international de recherche sur le cancer, émanation de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) - avait quant à lui classé le glyphosate parmi les substances « probablement cancérigènes ».

Cette controverse a donné lieu à une remise en cause de l'objectivité de l'EFSA par différentes ONG. Celles-ci ont dénoncé le refus de l'EFSA de communiquer certaines études fournies par les industriels, au nom de la protection de la propriété intellectuelle.


La controverse liée au renouvellement de l'autorisation du glyphosate dans le cadre de la procédure prévue par le règlement (CE) n° 1107/2009

Le règlement (CE) n° 1107/2009 du 21 octobre 2009 réglemente la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques. Ce règlement prévoit que la procédure d'autorisation des substances actives - en l'espèce, le glyphosate - est du ressort de l'Union européenne dans le cadre d'une procédure de comitologie, et que la procédure de mise sur le marché des produits est du ressort des États membres.

En règle générale, les substances sont autorisées pour une durée initiale de 10 ans, ultérieurement renouvelée par période d'une durée maximale de 15 ans.

L'autorisation accordée pour le glyphosate expirait initialement le 30 juin 2016, et en décembre 2015, la Commission avait proposé de renouveler l'autorisation pour 15 ans.

En mars 2015, le CIRC - Centre international de recherche sur le cancer, émanation de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) - publie une étude 3 ( * ) qui conclut que le glyphosate est une substance « probablement cancérigène » alors que l'EFSA a toujours affirmé le contraire.

La Commission européenne avait alors expressément demandé à l'EFSA de prendre en compte l'étude du CIRC. Et l'EFSA, dans son avis rendu en novembre 2015 4 ( * ) , a, de nouveau, considéré que « le potentiel cancérigène du glyphosate est improbable » .

L'Agence européenne des produits chimiques, l'ECHA, dont le rôle est d'analyser les dangers des substances chimiques et de les classer, notamment au regard de leur caractère cancérigène, a confirmé l'avis de l'EFSA en mars 2017.

En juin 2016, la Commission a dû accorder une prolongation temporaire de la licence du glyphosate pour 18 mois, jusqu'au 31 décembre 2017. Cela lui a permis de gagner du temps pour élaborer un projet d'acte d'exécution susceptible d'être adopté par le Comité représentant les États membres. Ce n'est que le 27 novembre 2017, au bout de presque deux ans de discussion, qu'un accord a été trouvé pour autoriser le glyphosate pour 5 ans supplémentaires.

En France, les débats ont été vifs. En effet, cette substance est très utilisée contre les mauvaises herbes par les agriculteurs, mais aussi par les compagnies de chemin de fer. En outre, l'INRA 5 ( * ) affirme qu'il n'existe pas de substitut équivalent aujourd'hui. Dès lors, les agriculteurs ont manifesté massivement en faveur du glyphosate. En parallèle, les associations de protection de l'environnement et de la santé ont dénoncé une décision dangereuse. Le Président de la République est alors intervenu dans le débat pour annoncer que le glyphosate serait interdit en France dans trois ans. Mais lors du débat sur le projet de loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, l'Assemblée nationale n'avait pas adopté les amendements visant à interdire le glyphosate dans un délai de trois ans.

À noter que l'avis du CIRC tranche avec ceux des agences des États-Unis, du Japon et de l'Australie qui, à l'image de l'Anses 6 ( * ) en France, estiment que « le niveau de preuve de cancérogénicité chez l'animal et chez l'homme peut être considéré comme relativement limité » .

En revanche, l'association du glyphosate avec des co-formulants tels que la POE-tallowamine dans des produits présente, par exemple, « un risque inacceptable pour la santé humaine » selon l'Anses. Les produits associant POE-tallowamine et glyphosate ont été retirés du marché en France.

b) La rigueur d'analyse

Pour se prononcer, les experts de l'EFSA ont à leur disposition deux types d'études : les études réglementaires et les études académiques.

D'une part, les études réglementaires sont faites par des laboratoires certifiés qui suivent les lignes directrices élaborées par la Commission européenne et les documents d'orientation de l'EFSA. Celles-ci sont conduites selon les bonnes pratiques de laboratoire telles que prévues dans le protocole de l'OCDE.

D'autre part, les études académiques sont publiées dans la littérature scientifique. Elles sont généralement réalisées dans un « environnement » ne possédant aucune certification. Les lignes directrices imposent la plus grande transparence quant aux protocoles, données brutes et méthodes d'analyse, pour que ces études académiques puissent être utilisées par les experts. Ces études sont revues par les pairs en amont de leur publication.

Pour l'Anses, le niveau d'exigence méthodologique est aussi important pour les deux catégories d'études.

Des lignes directrices établies par la Commission européenne définissent les critères d'acceptabilité des études. Il s'agit d'éviter que les experts ne s'appuient sur des études dont la rigueur scientifique peut être remise en cause.

Toutefois, les ONG reprochent fréquemment à l'EFSA de ne pas prendre en compte certaines études académiques qu'elles jugent pertinentes. Ce fut le cas notamment pour le glyphosate. Elles estiment que les experts devraient avoir une marge de manoeuvre plus importante pour prendre en compte une étude académique qu'ils estiment suffisamment rigoureuse et probante. Pour les ONG, l'expert ne peut pas être qu'un simple évaluateur chargé de s'assurer de la conformité des études réglementaires à des lignes directrices.

c) Les conflits d'intérêts

La politique mise en oeuvre par l'EFSA pour lutter contre les conflits d'intérêts fait l'objet de nombreuses critiques.

En avril 2015, le Parlement européen avait déjà adopté une résolution 7 ( * ) pour demander à l'EFSA d'appliquer une période de carence de deux ans pour tous les intérêts substantiels liés au secteur du commerce agro-alimentaire avant qu'un scientifique puisse devenir expert auprès de l'EFSA. De plus, le Parlement européen avait demandé à ce que l'évaluation des conflits d'intérêts potentiels des scientifiques soit effectuée par rapport au mandat de l'EFSA, et pas uniquement en rapport au domaine de compétence pour lequel son expertise est requise. Ces demandes ont été renouvelées dans une résolution adoptée en avril 2017 8 ( * ) .

En juin 2017, l'EFSA a procédé à une nouvelle révision des règles relatives aux conflits d'intérêts. Le CEO (Corporate Europe Observatory), groupe de recherche dont l'objectif est de dénoncer l'influence des multinationales sur les politiques publiques de l'Union européenne, a indiqué que cette réforme ne répondait pas aux demandes du Parlement européen. Si les nouvelles règles mettent en place une période de carence de deux ans après la fin d'une activité en lien avec l'industrie agro-alimentaire pour le scientifique employé ou consultant, ce n'est pas le cas pour les activités de recherche. De plus, l'EFSA autorise les experts à bénéficier de fonds privés pour leurs recherches dans la limite de 25 % du budget total de ces recherches. Enfin, les conflits d'intérêts restent analysés uniquement en rapport avec la mission pour laquelle le scientifique sera recruté, et non en rapport avec le mandat global de l'EFSA.

2. Des critiques qui remettent en cause la légitimité de la Commission européenne

Dans le cadre de la procédure de comitologie, le rôle de la Commission européenne est prépondérant. La recherche de légitimité est donc une préoccupation constante.

D'une part, la Commission européenne peut tirer sa légitimité de l'Autorité politique élue qui lui confère le pouvoir de décider sur le fondement d'un traité, d'une directive ou d'un règlement. Dans ce cas, la Commission devrait considérer le rôle de l'EFSA comme prépondérant. Les risques sont perçus comme quantifiables et l'incertitude scientifique comme gérable. La légitimité de la Commission viendrait du fait qu'elle s'appuie sur l'évaluation scientifique de l'EFSA.

D'autre part, la Commission européenne peut être considérée comme une institution relativement autonome qui sert l'intérêt général. Ce modèle met alors en valeur l'intérêt d'une délibération entre les administrations concernées et les parties intéressées. Le rôle de la Commission serait alors de garantir la prise en compte de l'ensemble des points de vue. Dans ce cas, l'avis de l'EFSA est pris en compte parmi d'autres considérations. On intègre donc le fait que la science peut ne pas répondre à toutes les questions et que des incertitudes puissent demeurer sans pour autant empêcher la Commission de prendre une décision. C'est la qualité de la délibération qui permet de prendre en compte toutes les données disponibles et tous les points de vue qui donne alors sa légitimité à la décision de la Commission.

Aujourd'hui, les critiques relatives au manque d'objectivité ou d'impartialité des avis de l'EFSA remettent en cause la légitimité de la Commission européenne quand elle s'appuie sur ces avis pour se prononcer.

Suite à la controverse sur le glyphosate, l'initiative citoyenne européenne, baptisée « Stop glyphosate » 9 ( * ) , a recueilli plus d'un million de signatures dans 22 États membres. Elle a été déclarée recevable par la Commission européenne le 6 octobre 2017.

Si le glyphosate a bien été autorisé pour 5 ans de plus, la Commission a souhaité répondre à cette initiative en proposant le texte COM(2018) 179.


L'initiative citoyenne européenne

L'initiative citoyenne européenne a été instituée par le traité de Lisbonne et conçue pour offrir aux citoyens la possibilité d'influer sur les programmes de travail de la Commission européenne.

Une fois enregistrée officiellement, une initiative citoyenne européenne permet à un million de citoyens issus d'au moins un quart des États membres de l'Union d'inviter la Commission européenne à présenter des propositions d'actes juridiques dans des domaines relevant de sa compétence. Si une initiative recueille le nombre de signatures nécessaires, la Commission doit expliquer, dans une communication, l'action qu'elle propose en réponse à l'initiative, ainsi que les raisons motivant l'adoption ou non d'une action.


* 3 https://monographs.iarc.fr/wp-content/uploads/2018/06/mono112-10.pdf

* 4 https://efsa.onlinelibrary.wiley.com/doi/epdf/10.2903/j.efsa.2015.4302

* 5 https://inra-dam-front-resources-cdn.brainsonic.com/ressources/afile/418767-54570-resource-rapport-glyphosate-inra.pdf

* 6 https://www.anses.fr/fr/system/files/SUBCHIM2015sa0093.pdf

* 7 http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//NONSGML+TA+P8-TA-2015-0147+0+DOC+PDF+V0//FR

* 8 http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=%2f%2fEP%2f%2fNONSGML%2bTA%2bP8-TA-2017-0168%2b0%2bDOC%2bPDF%2bV0%2f%2fFR

* 9 http://ec.europa.eu/citizens-initiative/public/initiatives/successful/details/2017/000002

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