5. L'éducation nationale : la grande absente de la prévention
Si
chacun des grands acteurs institutionnels de prévention en
matière de drogues connaît des insuffisances, c'est sans doute
l'éducation nationale qui en présente le plus, au regard
notamment des attentes importantes pesant légitimement sur elle en ce
domaine.
Une grande unanimité s'est dégagée chez
l'ensemble des personnalités auditionnées pour constater les
lourdes carences du ministère en matière de prévention de
la toxicomanie, face au développement préoccupant du
problème des drogues en milieu scolaire.
D'une façon générale, l'OFDT indique dans son rapport
d'évaluation sur le plan triennal 1999-2002 de la MILDT que
«
selon des informations parcellaires mais concordantes,
l'éducation pour la santé dans les établissements
scolaires n'a pas particulièrement pris son envol au cours du plan
triennal et les actions de prévention globalisantes sur les substances
psychoactives y sont restées minoritaires, liées à des
initiatives quasi individuelles
».
Cette carence apparaît particulièrement inacceptable dans la
mesure où l'école est devenue aujourd'hui incontournable dans la
thématique des dépendances aux drogues
, d'une part en ce
qu'elle constitue l'un des lieux les plus concernés par l'usage et le
trafic de produits stupéfiants, et d'autre part en ce que les
populations qui la fréquentent devraient constituer un public
prioritaire pour des actions de prévention.
a) Une présence très importante des drogues dans les établissements scolaires ayant des effets nocifs sur les élèves
(1) La consommation et le trafic de drogues à l'école : un secret de polichinelle
La
drogue, ce n'est un secret pour personne, circule et est consommée dans
les établissements scolaires, que ce soit dans les collèges ou
les lycées, et même parfois dans les écoles primaires.
Ainsi, a indiqué devant la commission Mme Lucile Rabiller, membre
conseiller de la Fédération des parents d'élèves de
l'enseignement public, «
la consommation est importante,
même à l'intérieur des établissements scolaires.
Elle concerne les enfants de plus en plus jeune et l'achat de ces produits est
extrêmement facile (...). Quand on interroge les enfants et les copains
ou les jeunes que l'on connaît sur la présence de drogues dans les
lycées, ils répondent généralement que c'est une
réalité et une banalité étonnantes et que, dans les
cours des lycées, on roule des pétards à la
récréation
».
Mme Marie-Christine d'Welles, fondatrice de l'association Enfance sans drogue
et présidente de l'Observatoire de la psychiatrie, a également,
dans une forme il est vrai excessive, attiré l'attention de la
commission sur l'importance du problème des drogues à
l'école, déclarant que «
la drogue est partout, dans
les collèges et les lycées, et les enfants en sont
envahis
», ajoutant qu'«
il suffit de tendre la main
pour s'en procurer
». Elle a expliqué que le commissaire
de police de Meudon lui avait indiqué estimer «
à
70 % ceux qui touchent à la drogue dans les établissements
scolaires
».
On rappellera à cet égard les chiffres déjà
évoqués sur la prévalence des drogues auprès des
jeunes. Tous produits (licites et illicites) confondus, il apparaît selon
l'enquête Espad que la quasi totalité (92 %) des jeunes a
consommé une substance durant sa vie. En ce qui concerne les drogues
licites, la majorité des élèves âgés de 14
à 19 ans a pris de l'alcool (86 %) ou du tabac (78 %). Par
ailleurs, un nombre important d'élèves (35 %) a
déjà expérimenté à la fois le tabac,
l'alcool et le cannabis.
En ce qui concerne les drogues illicites,
c'est évidemment le
cannabis qui arrive en tête : un lycéen sur trois avoue en
avoir essayé et 15 % en consomme régulièrement, une
majorité le considérant comme moins dangereux que le tabac ou
l'alcool.
Quant aux autres substances illicites, certaines sont
essayées par plus de 10 % des élèves (tranquillisants
ou somnifères hors prescription médicale et produits à
inhaler), d'autres par moins de 5 % (par ordre d'importance :
champignons hallucinogènes, ecstasy, amphétamines, cocaïne,
crack, LSD, héroïne, stéroïdes anabolisants).
Quant au trafic, 741 dealers ont été arrêtés
en 2002 dans les établissements scolaires, chiffre ne
représentant en réalité qu'une infime partie de ceux
pratiquant de telles activités en milieu scolaire
.
«
Les dealers sont dans les cours
elles-mêmes
», a indiqué à cet égard
Mme Edwige Antier, pédiatre, lors de son audition. «
Tous
les jeunes avec lesquels je parle
», a t-elle ajouté,
«
me disent que le cannabis se vend à l'intérieur de
l'établissement scolaire, dans la cour, et qu'on leur en
propose
».
L'usage et le trafic se répandent dans tous les types
d'établissements, «
qu'ils soient classés en zone
sensible, que ce soient des établissements chics de centre-ville ou des
établissements ordinaires
», et se développe
«
dans tous les milieux
», a indiqué Mme
Rabiller, ce qu'a confirmé M. Faride Hamana, secrétaire
général de la Fédération des conseils de parents
d'élèves (FCPE) en soulignant qu'«
aucun
collège et aucun lycée ne sont épargnés »
et que
« tous les milieux sociaux sont
concernés
».
(2) Les élèves : des cibles particulièrement vulnérables
La
fragilité physique et psychique des jeunes adolescents rend souvent
désastreuse la consommation de produits stupéfiants, tant sur
leur santé, problème déjà évoqué, que
sur leurs résultats scolaires. M. Michel Bouchet, chef de la MILAD,
a ainsi rapporté devant la commission que «
ce sont parfois
près de 10 % des élèves ou plus, appartenant aux
dernières classes du secondaire, qui ont une consommation intensive
pouvant aller jusqu'à de nombreuses prises journalières et
entraînant chez eux des pertes mnésiques et
de motivation,
susceptibles de les conduire à un échec scolaire qui (...) sera
l'antichambre de l'exclusion
».
M. Bouchet a indiqué que les policiers spécialisés
dans la prévention en milieu scolaire se voyaient souvent expliquer par
les enseignants qu'ils reconnaissent les élèves
«
qui prennent du cannabis parce qu'ils se fichent de
tout
» et ceux «
qui ont pris de l'ecstasy pendant
le week-end parce qu'ils ne commencent à émerger qu'à
partir du mercredi ou du jeudi
». Il a ajouté que le
coût qu'implique une forte consommation (dépenses mensuelles
souvent supérieures à 400 euros) «
constitue,
à lui seul, une des explications de la violence que connaît la vie
scolaire (racket, recels et trafics divers)
».
Le lien entre consommation de drogues, notamment de cannabis, et
échec scolaire, semble bien établi aujourd'hui
. Le
ministère de l'éducation nationale rapporte en ce sens que les
élèves ayant de mauvais résultats scolaires sont nettement
plus nombreux que les « bons » ou les
« moyens » à consommer régulièrement
du tabac, de l'alcool ou du cannabis. Il indique par ailleurs que les jeunes
qui n'aiment pas l'école sont nettement plus nombreux que les autres
à consommer régulièrement, quel que soit le produit
envisagé. Quant à l'absentéisme scolaire, les
élèves concernés sont nettement plus nombreux que les
autres à consommer régulièrement des produits
stupéfiants, la relation étant surtout marquée avec le
tabagisme régulier et la consommation régulière de
cannabis.
Mme Edwige Antier a insisté devant la commission sur cette relation
entre consommation de cannabis et échec scolaire, qui selon elle
«
saute aux yeux
», en l'expliquant de la
façon suivante : «
À partir du moment où
l'enfant entre au collège et se sent en difficulté, il aura plus
tendance à être en révolte, à transgresser et donc
à fumer des joints ; de plus, quand il fume, (...) il se
lève tard, il n'a plus ses facultés de concentration et ses
résultats baissent. Dans les deux sens, c'est donc absolument
évident
».
b) Des instruments de prévention rares, sous-utilisés et inefficaces
(1) Les comités d'éducation à la santé et à la citoyenneté (CESC) : des structures de papier
Initiés en 1990 en tant que comités
d'environnement
social, les CESC
101(
*
)
devaient constituer la structure centrale initiant et fédérant
l'ensemble des actions de prévention menées dans les
écoles et établissements scolaires publics, primaires comme
secondaires, d'enseignement général comme d'enseignement
professionnel. A cet effet, ils regroupent l'ensemble des intervenants
concernés, qu'ils ressortissent de l'établissement scolaire
(équipe de direction, enseignants, élèves, surveillants,
médecins et infirmières scolaires ...) ou qu'ils lui soient
extérieurs (parents d'élèves, policiers, gendarmes,
magistrats, responsables d'associations ...). Cofinancés par la MILDT et
l'éducation nationale depuis 1995, les CESC s'inscrivent dans le cadre
des projets d'établissement et fonctionnent souvent en réseaux.
Ils ont pour objectif d'adopter une approche globale des difficultés
rencontrées par les jeunes. Si la prévention de la violence
constitue à ce titre leur premier axe d'orientation, la
prévention des dépendances et des conduites à risques
constitue le second axe prioritaire défini par les académies, les
autres axes présentant chacun des aspects rattachables au
problème des drogues (assurer le suivi des jeunes dans et hors
l'école, aider les élèves souffrant de mal-être,
renforcer les liens avec les familles, soutenir les acteurs de la lutte contre
l'exclusion).
Si leur mise en place par le chef d'établissement n'est pas formellement
obligatoire, la très grande majorité des établissements
s'en est aujourd'hui dotée (selon les chiffres du ministère de
l'éducation nationale, presque les trois-quarts des
établissements du second degré en posséderaient en 2002),
même si subsistent de grandes disparités entre les
académies (le nombre d'établissements dotés d'un CESC se
situant dans une fourchette allant de 43 % à 100 %).
Si les CESC réunissaient donc « sur le papier » tous les
critères pour devenir les « fers de lance » de la
prévention des risques addictifs en milieu scolaire, force est de
constater qu'il en a été fort différemment dans la
pratique
. Mme Lucile Rabiller a ainsi déclaré à la
commission que ces comités «
n'existent trop souvent que
sur le papier
» et que «
même quand ils ont
été mis en place, ils ont très peu
fonctionné
». Le docteur Léon Hovnanian a fait un
constat similaire en déplorant que «
la majorité
d'entre eux n'existe que sur les statistiques
ministérielles
».
De nombreuses raisons, répertoriées et développées
dans un récent rapport parlementaire de mission
102(
*
)
, expliquent cette
stérilité des CESC, quel que soit d'ailleurs le domaine d'action
considéré. La plus importante est sans doute la faible, voire
inexistante implication des acteurs a priori les plus concernés :
enseignants, élèves et parents. Si le rapport se félicite
de la forte implication des non enseignants (chefs d'établissements,
conseillers principaux d'éducation, médecins, infirmières
et assistantes sociales), il déplore en revanche le peu d'implication
des enseignants, tout en reconnaissant qu'elle provient en grande partie de
leur lassitude de s'être souvent fortement engagé de façon
bénévole (la présence dans les CESC n'est ni obligatoire,
ni rémunérée, ni intégrée dans le temps de
travail) lors de la constitution des comités sans avoir perçu de
résultats ni de reconnaissance en retour.
Plus encore que les enseignants, élèves et parents
désertent les CESC : les premiers percevraient cette structure
comme excessivement technocratique et éloignée de leurs
préoccupations concrètes ; quant aux seconds, leur
évitement des CESC ne serait qu'un révélateur
supplémentaire de leur défiance à l'encontre de
l'institution scolaire.
Si cette absence de participation de trois de leurs acteurs clefs
décrédibilise dès l'origine leur action, les CESC
souffrent également d'autres limites. Les premières sont
liées aux rapports entre la MILDT et l'éducation nationale
à travers eux : la seconde s'est déchargée de sa
mission de prévention des dépendances en la
déléguant à une structure externe à son
administration qui risquerait de la « satelliser » ; les
messages des deux structures ne se recoupent pas totalement (préventif
pour l'une, éducatif pour l'autre) et provoquent des tensions dans la
définition des approches à retenir ; existe une autocensure
des projets élaborés dans les CESC pour obtenir la validation et
surtout le financement de la MILDT ; l'articulation entre le niveau
départemental des chefs de projet et le niveau académique des
coordonnateurs de CESC se fait très difficilement ...
Les secondes limites des CESC les concernent plus spécifiquement :
ils sont très rapidement dépassés et ne peuvent faire face
lorsque les problèmes de dépendance ou de violence deviennent
trop intenses ; ils n'ont aucun moyen de contact avec les jeunes en marge
du système scolaire ou ayant quitté l'école ; ils ne
possèdent que très rarement des indicateurs permettant
d'évaluer l'impact des actions qu'ils mènent ; leur
création est souvent interprétée comme
révélatrice de problèmes sociaux et peut donc stigmatiser
les établissements les accueillant...
(2) La diffusion de publications sur les conduites addictives au contenu discutable
Depuis
1999, la direction de l'enseignement scolaire du ministère de
l'éducation nationale a diffusé, en partenariat avec la MILDT,
une nouvelle collection de guides destinés à la communauté
indicative intitulée « Repères pour la
prévention des conduites à risques dans les établissements
scolaires » et « Repères pour la prévention
des conduites à risques à l'école
élémentaire ».
Par ailleurs, et toujours en partenariat avec la MILDT, l'éducation
nationale a publié en novembre 1999 deux Bulletins officiels
hors-série intitulés «
Repères pour la
prévention des conduites à risques
», l'un
constituant un guide pratique et l'autre un guide théorique.
Or, ces différentes publications, outre le fait qu'elles sont d'un abord
formel parfois peu accessibles, se réfèrent exclusivement
à la « philosophie » développée par la MILDT et
déjà largement évoquée.
«
Bien plus
que les caractéristiques intrinsèques de chaque
produit
»
, indique l'ancienne présidente de la MILDT,
Mme Nicole Maestracci, dans l'un des guides,
«
c'est le mode
d'usage, le comportement de chaque individu, sa vulnérabilité
propre, ses motivations à consommer, les conduites à risque
associées, qui vont déterminer le risque et le
danger
».
Mme Maestracci préconise de ce fait
«
des programmes fondés sur les motivations à
consommer qui distinguent l'usage, l'usage nocif et la
dépendance
».
Allant plus loin dans cette direction, l'un des B.O. invite à
conduire une réflexion avec les adolescents «
sur ce qui
relève d'une prise de risque acceptable
» et insiste sur
la nécessité d'intervenir en cas de conduite addictive
«
tout en permettant les expérimentations nouvelles
à cet âge en en valorisant les qualités, et en y
reconnaissant les signes de la fin de l'enfance
», ce qu'il
qualifie de «
paradoxe à mille lieues des stigmatisations
uniquement négatives ou des surdités et aveuglements
reflétant nos incapacités à les
reconnaître
».
«
En ne proposant pas de prises de risques aux
adolescents
» poursuit le bulletin,
en ne leur octroyant pas
de valeur ajoutée en terme de reconnaissance (...), nous risquerions
d'être des incitateurs à la prise de risques et de conduire les
mineurs à des dangers plus grands
».
Autrement dit, et traduit du jargon inimitable de la rue de Grenelle, si
beaucoup de risque rapproche du danger, un peu en éloigne !...
Après avoir précisé que le cannabis n'est pas neurotoxique
et représente moins de risques que l'héroïne, l'alcool ou le
tabac, et recensé les divers produits psychoactifs en passant sans autre
précision de la cocaïne et de l'héroïne aux infusions
et médicaments à base de plantes, le Bulletin officiel indique
par ailleurs avec quelque provocation que «
ce qui est interdit
correspond à ce qu'à une époque donnée, une
société juge dangereux, quoi que certains en pensent.
La loi
est le reflet de ce que les représentants des citoyens estiment
nécessaire d'interdire. Si on l'estime inadéquate, il est
possible, en démocratie, de saisir son député, de voter,
et pourquoi pas de chercher à la changer en se faisant élire
député
».
De là à inciter à la dépénalisation des
drogues, il n'y a qu'un (petit) pas...
(3) Une formation inexistante des personnels
A
quelques nuances près selon la nature des fonctions (les personnels de
santé scolaire, les professeurs de sciences de la vie et de la terre),
la plupart des personnels intervenant en milieu scolaire souffre d'un
déficit chronique de connaissances sur les problèmes de drogues
et les conduites à risques.
«
Pour être intervenue personnellement dans un
établissement où la drogue existait
», a
rapporté devant la commission Mme Rabiller,
«
je peux
vous dire que les conseillers principaux d'éducation, les proviseurs et
autres ne connaissent pas bien le sujet.
De ce fait, ils
évitent d'en parler ou, quand on leur en parle, ils ne répondent
pas ou ils disent que cela n'existe pas. Il faut donc prendre en compte cette
méconnaissance
».
Afin d'améliorer le niveau de connaissance des intervenants
concernés, la MILDT et l'éducation nationale ont organisé
plusieurs séminaires destinés aux personnels de service social,
médical et infirmier ainsi qu'aux personnels d'inspection, de direction,
d'éducation et d'enseignement. Ont ainsi eu lieu plusieurs stages inter
académiques en 1998 et en 2000 ainsi que des Rencontres
éducatives sur la santé en 2001. Cependant, ces cessions de
formation semblent avoir posé plus de problèmes qu'elles n'en ont
résolus.
Le bilan des stages inter académiques traduit le regret des stagiaires
de ne pas avoir approfondi certains points pourtant cruciaux, tels que
l'acquisition d'une culture commune par des personnels appartenant à
toutes les catégories de l'éducation nationale (ce qui
constituait tout de même l'axe prioritaire du programme triennal en
matière de communication), la lisibilité de la politique de
prévention, l'appropriation d'outils adaptés ou l'enrichissement
des connaissances à travers des contributions d'experts.
Quant aux
Rencontres éducatives pour la santé
, elles ont
fait apparaître la fréquente méconnaissance de la
circulaire de 1998 les instituant
103(
*
)
et le fait que la notion même
de rencontres éducatives semble peu, voire pas du tout
intégrée par les personnels de l'éducation nationale dans
leur ensemble.
Ont par ailleurs été mis en place des séminaires nationaux
de formation interministérielle en 2000, 2001 et 2003, qui apparaissent
également d'une ampleur limitée : rares (une à deux
fois par an), courts (deux ou trois jours chacun), ouverts à un public
restreint (100 à 200 personnes pour tout le territoire national) et
surtout destinés uniquement aux responsables interministériels
aux niveaux national et local.
Enfin, et c'est sûrement le point le plus préoccupant, le
ministère reconnaît lui-même que
«
peu de
formations ont été assurées dans les académies dans
le cadre du plan d'aide à la formation en direction des
enseignants
»,
aucun exemple n'étant par ailleurs
cité. Si des efforts ont été fournis au niveau
interministériel, avec toutefois les limites importantes
précédemment évoquées,
il semble donc qu'il n'y
ait rien de fait, ou presque, en termes de formation à l'attention du
corps enseignant
. Carence d'autant plus préoccupante que c'est
à certains de ses membres que revient, ou plutôt que devrait
revenir la responsabilité d'assurer sur le terrain l'éducation
des élèves aux risques d'addiction.
Cette quasi inexistence de programmes de formation continue consacrés
aux problèmes des drogues et de la prévention des conduites
à risques dans leur ensemble n'est nullement compensée par
l'introduction de modules y faisant référence dans les
écoles de formation des enseignants. «
En ce qui concerne
les IUFM
», a reconnu devant la commission le ministre
délégué à l'enseignement scolaire M. Xavier Darcos,
«
il est vrai qu'il n'y a pas de formation systématique
à toutes ces questions pour la bonne raison que les IUFM sont
généralistes et qu'il n'est pas certain que nos futurs
professeurs se retrouveront dans des situations d'avoir à en
connaître finalement
». Bien que le pire ne soit jamais
certain, il n'est pas excessif de voir dans ces propos un certain excès
d'optimisme.
(4) Un dispositif de prévention sanitaire et social inadapté en raison de la faiblesse de ses moyens
Si le
personnel soignant des établissements scolaires aurait, par la nature
même de ses activités et de sa formation, naturellement
compétence pour intervenir dans le domaine des conduites à
risque, tant en ce qui concerne la prise en charge sanitaire que la
prévention de ce type de conduites, son investissement en ce domaine
semble loin d'être celui que l'on pourrait légitimement escompter.
Cette carence est plus généralement liée au manque de
moyens dont souffre la médecine scolaire dans son ensemble. La
réduction des postes de médecins scolaires et le nombre
notoirement insuffisant d'infirmières scolaires par établissement
rendent en effet nécessaire un appel croissant à des vacations
extérieures, les personnels soignants n'ayant plus assez de temps ni de
moyens à consacrer à la prévention et à la prise en
charge des conduites à risque.
C'est ainsi qu'un élève n'aura au mieux que trois contacts avec
la médecine scolaire, au cours de la période de scolarité
obligatoire, dans le cadre des examens de santé en principe obligatoires
(sauf s'il est amené à consulter à d'autres reprises pour
des motifs de santé personnels). Ces rencontres aussi brèves
qu'épisodiques ne peuvent naturellement pas constituer le support
d'actions d'information sur les dangers encourus en cas d'usage de drogues.
c) Des enseignants peu concernés
Sans
aller jusqu'à considérer comme révélateurs les cas,
certes rares mais néanmoins existants, d'enseignants convaincus d'usage
de substances illicites au vu, voire en compagnie de leurs
élèves, il est légitime de se demander si, pour des
raisons liées à l'histoire contemporaine (mai 68 notamment),
une certaine partie de la communauté éducative ne ferait pas
preuve d'une complaisance implicite, ou d'une indifférence rapidement
interprétée dans le même sens par les élèves,
à l'égard de la consommation des drogues dites « douces
», et notamment du cannabis.
C'est ce que semble sous-entendre le
Bulletin officiel de l'éducation
nationale
consacré à la prévention des conduites
à risques. Exposant le cas d'un lycée «
de bonne
réputation
» où la consommation et le trafic de drogues
se sont multipliés, il explique que la réaction des personnels
enseignants les divise en trois groupes : le premier réclame avec
véhémence une réponse policière immédiate et
musclée, le deuxième ne s'estime pas concerné par un
problème qu'il considère comme relevant des parents et de la
société et le troisième
refuse toute attitude
répressive au motif que «
la faute n'est pas si grave que
cela
» et que «
le haschisch est un élément
de la culture des jeunes d'aujourd'hui, le tabac ou l'alcool (étant)
bien plus nuisibles
».
Interrogé sur ce point par la commission, le ministre de
l'éducation nationale, M. Luc Ferry, ne s'est pas prononcé
de façon catégorique. Il a néanmoins reconnu que
«
pour dire les choses très franchement
», il
n'avait «
jamais entendu parler de cannabis ou d'herbe (dans les
établissements scolaires) avant 1968
», analysant cette
époque comme ayant paradoxalement «
livré les
individus à l'univers de la consommation et à l'univers
marchand
» dont la forme paroxystique résiderait dans
l'usage de drogues, «
quintessence de la logique de la
consommation (...) puisque c'est la consommation à l'état
pur
».
De la même façon, tout en précisant qu'il ne fallait pas
généraliser «
pour ce qui est des mentalités
profondes de nos enseignants face à la consommation de cannabis en
particulier
», le ministre délégué à
l'enseignement scolaire, M. Xavier Darcos, a reconnu devant la commission
que «
toute une génération d'enseignants est
arrivée (...) dans les années 1970
» et que
«
de ce point de vue (...), il y a eu une imprégnation
mentale un peu de cette époque
». Indiquant que cette
génération d'enseignants partirait à la retraite dans les
prochaines années, M. Darcos a précisé que ce
«
renouvellement qui se dessine (...) permettra de faire
évoluer les mentalités
» en recrutant
«
des jeunes gens, de futurs professeurs qui auront une
mentalité (...) beaucoup plus consciente de l'évolution
récente des évènements
».
Au total, la commission d'enquête estime que l'attitude de
l'éducation nationale à l'égard des drogues résulte
plus du système que des personnels enseignants eux-mêmes.
d) Des actions de prévention « sous-traitées » aux acteurs extra scolaires
En
l'absence de modèle de dispositif de prévention s'imposant
à l'ensemble des établissements,
les actions
préventives sont laissées aux initiatives locales des
équipes administratives et pédagogiques
. Or, celles-ci se
sentant globalement peu concernées par le problème de la
prévention des conduites à risques, elles ont très
fortement tendance à en sous-traiter la gestion à des
intervenants extérieurs au milieu scolaire, qu'ils soient
institutionnels ou associatifs.
Dans le guide « Repères » consacré à
la lutte contre la drogue et à la prévention des
dépendances en milieu scolaire, l'ancienne présidente de la
MILDT, Mme Nicole Maestracci, indique très clairement, après
avoir souligné que la prévention dans les établissements
scolaires ne devait pas se faire «
au petit bonheur la
chance
», qu'aujourd'hui «
la majorité des
intervenants est issue de la police ou de la gendarmerie
», ces
deux administrations ayant «
occupé un terrain
laissé vacant par les autres intervenants, qui n'étaient pas
forcément disponibles pour cela
».
Ce constat voilé de démission des personnels enseignants dans
la conduite d'actions de prévention
pose naturellement
«
la question de la création de professionnels
spécifiquement dédiés à la
prévention
» reconnaît Mme Maestracci, qui ajoute
que «
la politique reste très largement fondée sur
le volontariat des acteurs, qu'ils soient internes ou externes à
l'éducation nationale
». Aussi compétents et
méritoires soient les personnels de police et de gendarmerie ou les
responsables associatifs amenés à intervenir en milieu scolaire,
ils ne constituent pas en effet des professionnels de la prévention dans
le domaine des drogues et des conduites à risques, capables d'envisager
l'ensemble des problématiques et des enjeux qui y sont liés et de
transmettre un message de prévention adapté aux publics
adolescents en milieu scolaire.