5. L'éducation nationale : la grande absente de la prévention

Si chacun des grands acteurs institutionnels de prévention en matière de drogues connaît des insuffisances, c'est sans doute l'éducation nationale qui en présente le plus, au regard notamment des attentes importantes pesant légitimement sur elle en ce domaine. Une grande unanimité s'est dégagée chez l'ensemble des personnalités auditionnées pour constater les lourdes carences du ministère en matière de prévention de la toxicomanie, face au développement préoccupant du problème des drogues en milieu scolaire.

D'une façon générale, l'OFDT indique dans son rapport d'évaluation sur le plan triennal 1999-2002 de la MILDT que « selon des informations parcellaires mais concordantes, l'éducation pour la santé dans les établissements scolaires n'a pas particulièrement pris son envol au cours du plan triennal et les actions de prévention globalisantes sur les substances psychoactives y sont restées minoritaires, liées à des initiatives quasi individuelles ».

Cette carence apparaît particulièrement inacceptable dans la mesure où l'école est devenue aujourd'hui incontournable dans la thématique des dépendances aux drogues , d'une part en ce qu'elle constitue l'un des lieux les plus concernés par l'usage et le trafic de produits stupéfiants, et d'autre part en ce que les populations qui la fréquentent devraient constituer un public prioritaire pour des actions de prévention.

a) Une présence très importante des drogues dans les établissements scolaires ayant des effets nocifs sur les élèves
(1) La consommation et le trafic de drogues à l'école : un secret de polichinelle

La drogue, ce n'est un secret pour personne, circule et est consommée dans les établissements scolaires, que ce soit dans les collèges ou les lycées, et même parfois dans les écoles primaires. Ainsi, a indiqué devant la commission Mme Lucile Rabiller, membre conseiller de la Fédération des parents d'élèves de l'enseignement public, « la consommation est importante, même à l'intérieur des établissements scolaires. Elle concerne les enfants de plus en plus jeune et l'achat de ces produits est extrêmement facile (...). Quand on interroge les enfants et les copains ou les jeunes que l'on connaît sur la présence de drogues dans les lycées, ils répondent généralement que c'est une réalité et une banalité étonnantes et que, dans les cours des lycées, on roule des pétards à la récréation ».

Mme Marie-Christine d'Welles, fondatrice de l'association Enfance sans drogue et présidente de l'Observatoire de la psychiatrie, a également, dans une forme il est vrai excessive, attiré l'attention de la commission sur l'importance du problème des drogues à l'école, déclarant que « la drogue est partout, dans les collèges et les lycées, et les enfants en sont envahis », ajoutant qu'« il suffit de tendre la main pour s'en procurer ». Elle a expliqué que le commissaire de police de Meudon lui avait indiqué estimer « à 70 % ceux qui touchent à la drogue dans les établissements scolaires ».

On rappellera à cet égard les chiffres déjà évoqués sur la prévalence des drogues auprès des jeunes. Tous produits (licites et illicites) confondus, il apparaît selon l'enquête Espad que la quasi totalité (92 %) des jeunes a consommé une substance durant sa vie. En ce qui concerne les drogues licites, la majorité des élèves âgés de 14 à 19 ans a pris de l'alcool (86 %) ou du tabac (78 %). Par ailleurs, un nombre important d'élèves (35 %) a déjà expérimenté à la fois le tabac, l'alcool et le cannabis.

En ce qui concerne les drogues illicites, c'est évidemment le cannabis qui arrive en tête : un lycéen sur trois avoue en avoir essayé et 15 % en consomme régulièrement, une majorité le considérant comme moins dangereux que le tabac ou l'alcool. Quant aux autres substances illicites, certaines sont essayées par plus de 10 % des élèves (tranquillisants ou somnifères hors prescription médicale et produits à inhaler), d'autres par moins de 5 % (par ordre d'importance : champignons hallucinogènes, ecstasy, amphétamines, cocaïne, crack, LSD, héroïne, stéroïdes anabolisants).

Quant au trafic, 741 dealers ont été arrêtés en 2002 dans les établissements scolaires, chiffre ne représentant en réalité qu'une infime partie de ceux pratiquant de telles activités en milieu scolaire . « Les dealers sont dans les cours elles-mêmes », a indiqué à cet égard Mme Edwige Antier, pédiatre, lors de son audition. « Tous les jeunes avec lesquels je parle », a t-elle ajouté, « me disent que le cannabis se vend à l'intérieur de l'établissement scolaire, dans la cour, et qu'on leur en propose ».

L'usage et le trafic se répandent dans tous les types d'établissements, « qu'ils soient classés en zone sensible, que ce soient des établissements chics de centre-ville ou des établissements ordinaires », et se développe « dans tous les milieux », a indiqué Mme Rabiller, ce qu'a confirmé M. Faride Hamana, secrétaire général de la Fédération des conseils de parents d'élèves (FCPE) en soulignant qu'« aucun collège et aucun lycée ne sont épargnés » et que « tous les milieux sociaux sont concernés ».

(2) Les élèves : des cibles particulièrement vulnérables

La fragilité physique et psychique des jeunes adolescents rend souvent désastreuse la consommation de produits stupéfiants, tant sur leur santé, problème déjà évoqué, que sur leurs résultats scolaires. M. Michel Bouchet, chef de la MILAD, a ainsi rapporté devant la commission que « ce sont parfois près de 10 % des élèves ou plus, appartenant aux dernières classes du secondaire, qui ont une consommation intensive pouvant aller jusqu'à de nombreuses prises journalières et entraînant chez eux des pertes mnésiques et de motivation, susceptibles de les conduire à un échec scolaire qui (...) sera l'antichambre de l'exclusion ».

M. Bouchet a indiqué que les policiers spécialisés dans la prévention en milieu scolaire se voyaient souvent expliquer par les enseignants qu'ils reconnaissent les élèves « qui prennent du cannabis parce qu'ils se fichent de tout » et ceux « qui ont pris de l'ecstasy pendant le week-end parce qu'ils ne commencent à émerger qu'à partir du mercredi ou du jeudi ». Il a ajouté que le coût qu'implique une forte consommation (dépenses mensuelles souvent supérieures à 400 euros) « constitue, à lui seul, une des explications de la violence que connaît la vie scolaire (racket, recels et trafics divers) ».

Le lien entre consommation de drogues, notamment de cannabis, et échec scolaire, semble bien établi aujourd'hui . Le ministère de l'éducation nationale rapporte en ce sens que les élèves ayant de mauvais résultats scolaires sont nettement plus nombreux que les « bons » ou les « moyens » à consommer régulièrement du tabac, de l'alcool ou du cannabis. Il indique par ailleurs que les jeunes qui n'aiment pas l'école sont nettement plus nombreux que les autres à consommer régulièrement, quel que soit le produit envisagé. Quant à l'absentéisme scolaire, les élèves concernés sont nettement plus nombreux que les autres à consommer régulièrement des produits stupéfiants, la relation étant surtout marquée avec le tabagisme régulier et la consommation régulière de cannabis.

Mme Edwige Antier a insisté devant la commission sur cette relation entre consommation de cannabis et échec scolaire, qui selon elle « saute aux yeux », en l'expliquant de la façon suivante : « À partir du moment où l'enfant entre au collège et se sent en difficulté, il aura plus tendance à être en révolte, à transgresser et donc à fumer des joints ; de plus, quand il fume, (...) il se lève tard, il n'a plus ses facultés de concentration et ses résultats baissent. Dans les deux sens, c'est donc absolument évident ».

b) Des instruments de prévention rares, sous-utilisés et inefficaces
(1) Les comités d'éducation à la santé et à la citoyenneté (CESC) : des structures de papier

Initiés en 1990 en tant que comités d'environnement social, les CESC 101( * ) devaient constituer la structure centrale initiant et fédérant l'ensemble des actions de prévention menées dans les écoles et établissements scolaires publics, primaires comme secondaires, d'enseignement général comme d'enseignement professionnel. A cet effet, ils regroupent l'ensemble des intervenants concernés, qu'ils ressortissent de l'établissement scolaire (équipe de direction, enseignants, élèves, surveillants, médecins et infirmières scolaires ...) ou qu'ils lui soient extérieurs (parents d'élèves, policiers, gendarmes, magistrats, responsables d'associations ...). Cofinancés par la MILDT et l'éducation nationale depuis 1995, les CESC s'inscrivent dans le cadre des projets d'établissement et fonctionnent souvent en réseaux.

Ils ont pour objectif d'adopter une approche globale des difficultés rencontrées par les jeunes. Si la prévention de la violence constitue à ce titre leur premier axe d'orientation, la prévention des dépendances et des conduites à risques constitue le second axe prioritaire défini par les académies, les autres axes présentant chacun des aspects rattachables au problème des drogues (assurer le suivi des jeunes dans et hors l'école, aider les élèves souffrant de mal-être, renforcer les liens avec les familles, soutenir les acteurs de la lutte contre l'exclusion).

Si leur mise en place par le chef d'établissement n'est pas formellement obligatoire, la très grande majorité des établissements s'en est aujourd'hui dotée (selon les chiffres du ministère de l'éducation nationale, presque les trois-quarts des établissements du second degré en posséderaient en 2002), même si subsistent de grandes disparités entre les académies (le nombre d'établissements dotés d'un CESC se situant dans une fourchette allant de 43 % à 100 %).

Si les CESC réunissaient donc « sur le papier » tous les critères pour devenir les « fers de lance » de la prévention des risques addictifs en milieu scolaire, force est de constater qu'il en a été fort différemment dans la pratique . Mme Lucile Rabiller a ainsi déclaré à la commission que ces comités « n'existent trop souvent que sur le papier » et que « même quand ils ont été mis en place, ils ont très peu fonctionné ». Le docteur Léon Hovnanian a fait un constat similaire en déplorant que « la majorité d'entre eux n'existe que sur les statistiques ministérielles ».

De nombreuses raisons, répertoriées et développées dans un récent rapport parlementaire de mission 102( * ) , expliquent cette stérilité des CESC, quel que soit d'ailleurs le domaine d'action considéré. La plus importante est sans doute la faible, voire inexistante implication des acteurs a priori les plus concernés : enseignants, élèves et parents. Si le rapport se félicite de la forte implication des non enseignants (chefs d'établissements, conseillers principaux d'éducation, médecins, infirmières et assistantes sociales), il déplore en revanche le peu d'implication des enseignants, tout en reconnaissant qu'elle provient en grande partie de leur lassitude de s'être souvent fortement engagé de façon bénévole (la présence dans les CESC n'est ni obligatoire, ni rémunérée, ni intégrée dans le temps de travail) lors de la constitution des comités sans avoir perçu de résultats ni de reconnaissance en retour.

Plus encore que les enseignants, élèves et parents désertent les CESC : les premiers percevraient cette structure comme excessivement technocratique et éloignée de leurs préoccupations concrètes ; quant aux seconds, leur évitement des CESC ne serait qu'un révélateur supplémentaire de leur défiance à l'encontre de l'institution scolaire.

Si cette absence de participation de trois de leurs acteurs clefs décrédibilise dès l'origine leur action, les CESC souffrent également d'autres limites. Les premières sont liées aux rapports entre la MILDT et l'éducation nationale à travers eux : la seconde s'est déchargée de sa mission de prévention des dépendances en la déléguant à une structure externe à son administration qui risquerait de la « satelliser » ; les messages des deux structures ne se recoupent pas totalement (préventif pour l'une, éducatif pour l'autre) et provoquent des tensions dans la définition des approches à retenir ; existe une autocensure des projets élaborés dans les CESC pour obtenir la validation et surtout le financement de la MILDT ; l'articulation entre le niveau départemental des chefs de projet et le niveau académique des coordonnateurs de CESC se fait très difficilement ...

Les secondes limites des CESC les concernent plus spécifiquement : ils sont très rapidement dépassés et ne peuvent faire face lorsque les problèmes de dépendance ou de violence deviennent trop intenses ; ils n'ont aucun moyen de contact avec les jeunes en marge du système scolaire ou ayant quitté l'école ; ils ne possèdent que très rarement des indicateurs permettant d'évaluer l'impact des actions qu'ils mènent ; leur création est souvent interprétée comme révélatrice de problèmes sociaux et peut donc stigmatiser les établissements les accueillant...

(2) La diffusion de publications sur les conduites addictives au contenu discutable

Depuis 1999, la direction de l'enseignement scolaire du ministère de l'éducation nationale a diffusé, en partenariat avec la MILDT, une nouvelle collection de guides destinés à la communauté indicative intitulée « Repères pour la prévention des conduites à risques dans les établissements scolaires » et « Repères pour la prévention des conduites à risques à l'école élémentaire ».

Par ailleurs, et toujours en partenariat avec la MILDT, l'éducation nationale a publié en novembre 1999 deux Bulletins officiels hors-série intitulés « Repères pour la prévention des conduites à risques », l'un constituant un guide pratique et l'autre un guide théorique.

Or, ces différentes publications, outre le fait qu'elles sont d'un abord formel parfois peu accessibles, se réfèrent exclusivement à la « philosophie » développée par la MILDT et déjà largement évoquée. « Bien plus que les caractéristiques intrinsèques de chaque produit » , indique l'ancienne présidente de la MILDT, Mme Nicole Maestracci, dans l'un des guides, « c'est le mode d'usage, le comportement de chaque individu, sa vulnérabilité propre, ses motivations à consommer, les conduites à risque associées, qui vont déterminer le risque et le danger ». Mme Maestracci préconise de ce fait « des programmes fondés sur les motivations à consommer qui distinguent l'usage, l'usage nocif et la dépendance ».

Allant plus loin dans cette direction, l'un des B.O. invite à conduire une réflexion avec les adolescents « sur ce qui relève d'une prise de risque acceptable » et insiste sur la nécessité d'intervenir en cas de conduite addictive « tout en permettant les expérimentations nouvelles à cet âge en en valorisant les qualités, et en y reconnaissant les signes de la fin de l'enfance », ce qu'il qualifie de « paradoxe à mille lieues des stigmatisations uniquement négatives ou des surdités et aveuglements reflétant nos incapacités à les reconnaître ».

« En ne proposant pas de prises de risques aux adolescents » poursuit le bulletin, en ne leur octroyant pas de valeur ajoutée en terme de reconnaissance (...), nous risquerions d'être des incitateurs à la prise de risques et de conduire les mineurs à des dangers plus grands ».

Autrement dit, et traduit du jargon inimitable de la rue de Grenelle, si beaucoup de risque rapproche du danger, un peu en éloigne !...


Après avoir précisé que le cannabis n'est pas neurotoxique et représente moins de risques que l'héroïne, l'alcool ou le tabac, et recensé les divers produits psychoactifs en passant sans autre précision de la cocaïne et de l'héroïne aux infusions et médicaments à base de plantes, le Bulletin officiel indique par ailleurs avec quelque provocation que « ce qui est interdit correspond à ce qu'à une époque donnée, une société juge dangereux, quoi que certains en pensent. La loi est le reflet de ce que les représentants des citoyens estiment nécessaire d'interdire. Si on l'estime inadéquate, il est possible, en démocratie, de saisir son député, de voter, et pourquoi pas de chercher à la changer en se faisant élire député ».

De là à inciter à la dépénalisation des drogues, il n'y a qu'un (petit) pas...

(3) Une formation inexistante des personnels

A quelques nuances près selon la nature des fonctions (les personnels de santé scolaire, les professeurs de sciences de la vie et de la terre), la plupart des personnels intervenant en milieu scolaire souffre d'un déficit chronique de connaissances sur les problèmes de drogues et les conduites à risques.

« Pour être intervenue personnellement dans un établissement où la drogue existait », a rapporté devant la commission Mme Rabiller, « je peux vous dire que les conseillers principaux d'éducation, les proviseurs et autres ne connaissent pas bien le sujet. De ce fait, ils évitent d'en parler ou, quand on leur en parle, ils ne répondent pas ou ils disent que cela n'existe pas. Il faut donc prendre en compte cette méconnaissance ».

Afin d'améliorer le niveau de connaissance des intervenants concernés, la MILDT et l'éducation nationale ont organisé plusieurs séminaires destinés aux personnels de service social, médical et infirmier ainsi qu'aux personnels d'inspection, de direction, d'éducation et d'enseignement. Ont ainsi eu lieu plusieurs stages inter académiques en 1998 et en 2000 ainsi que des Rencontres éducatives sur la santé en 2001. Cependant, ces cessions de formation semblent avoir posé plus de problèmes qu'elles n'en ont résolus.

Le bilan des stages inter académiques traduit le regret des stagiaires de ne pas avoir approfondi certains points pourtant cruciaux, tels que l'acquisition d'une culture commune par des personnels appartenant à toutes les catégories de l'éducation nationale (ce qui constituait tout de même l'axe prioritaire du programme triennal en matière de communication), la lisibilité de la politique de prévention, l'appropriation d'outils adaptés ou l'enrichissement des connaissances à travers des contributions d'experts.

Quant aux Rencontres éducatives pour la santé , elles ont fait apparaître la fréquente méconnaissance de la circulaire de 1998 les instituant 103( * ) et le fait que la notion même de rencontres éducatives semble peu, voire pas du tout intégrée par les personnels de l'éducation nationale dans leur ensemble.

Ont par ailleurs été mis en place des séminaires nationaux de formation interministérielle en 2000, 2001 et 2003, qui apparaissent également d'une ampleur limitée : rares (une à deux fois par an), courts (deux ou trois jours chacun), ouverts à un public restreint (100 à 200 personnes pour tout le territoire national) et surtout destinés uniquement aux responsables interministériels aux niveaux national et local.

Enfin, et c'est sûrement le point le plus préoccupant, le ministère reconnaît lui-même que « peu de formations ont été assurées dans les académies dans le cadre du plan d'aide à la formation en direction des enseignants », aucun exemple n'étant par ailleurs cité. Si des efforts ont été fournis au niveau interministériel, avec toutefois les limites importantes précédemment évoquées, il semble donc qu'il n'y ait rien de fait, ou presque, en termes de formation à l'attention du corps enseignant . Carence d'autant plus préoccupante que c'est à certains de ses membres que revient, ou plutôt que devrait revenir la responsabilité d'assurer sur le terrain l'éducation des élèves aux risques d'addiction.

Cette quasi inexistence de programmes de formation continue consacrés aux problèmes des drogues et de la prévention des conduites à risques dans leur ensemble n'est nullement compensée par l'introduction de modules y faisant référence dans les écoles de formation des enseignants. « En ce qui concerne les IUFM », a reconnu devant la commission le ministre délégué à l'enseignement scolaire M. Xavier Darcos, « il est vrai qu'il n'y a pas de formation systématique à toutes ces questions pour la bonne raison que les IUFM sont généralistes et qu'il n'est pas certain que nos futurs professeurs se retrouveront dans des situations d'avoir à en connaître finalement ». Bien que le pire ne soit jamais certain, il n'est pas excessif de voir dans ces propos un certain excès d'optimisme.

(4) Un dispositif de prévention sanitaire et social inadapté en raison de la faiblesse de ses moyens

Si le personnel soignant des établissements scolaires aurait, par la nature même de ses activités et de sa formation, naturellement compétence pour intervenir dans le domaine des conduites à risque, tant en ce qui concerne la prise en charge sanitaire que la prévention de ce type de conduites, son investissement en ce domaine semble loin d'être celui que l'on pourrait légitimement escompter.

Cette carence est plus généralement liée au manque de moyens dont souffre la médecine scolaire dans son ensemble. La réduction des postes de médecins scolaires et le nombre notoirement insuffisant d'infirmières scolaires par établissement rendent en effet nécessaire un appel croissant à des vacations extérieures, les personnels soignants n'ayant plus assez de temps ni de moyens à consacrer à la prévention et à la prise en charge des conduites à risque.

C'est ainsi qu'un élève n'aura au mieux que trois contacts avec la médecine scolaire, au cours de la période de scolarité obligatoire, dans le cadre des examens de santé en principe obligatoires (sauf s'il est amené à consulter à d'autres reprises pour des motifs de santé personnels). Ces rencontres aussi brèves qu'épisodiques ne peuvent naturellement pas constituer le support d'actions d'information sur les dangers encourus en cas d'usage de drogues.

c) Des enseignants peu concernés

Sans aller jusqu'à considérer comme révélateurs les cas, certes rares mais néanmoins existants, d'enseignants convaincus d'usage de substances illicites au vu, voire en compagnie de leurs élèves, il est légitime de se demander si, pour des raisons liées à l'histoire contemporaine (mai 68 notamment), une certaine partie de la communauté éducative ne ferait pas preuve d'une complaisance implicite, ou d'une indifférence rapidement interprétée dans le même sens par les élèves, à l'égard de la consommation des drogues dites « douces », et notamment du cannabis.

C'est ce que semble sous-entendre le Bulletin officiel de l'éducation nationale consacré à la prévention des conduites à risques. Exposant le cas d'un lycée « de bonne réputation » où la consommation et le trafic de drogues se sont multipliés, il explique que la réaction des personnels enseignants les divise en trois groupes : le premier réclame avec véhémence une réponse policière immédiate et musclée, le deuxième ne s'estime pas concerné par un problème qu'il considère comme relevant des parents et de la société et le troisième refuse toute attitude répressive au motif que « la faute n'est pas si grave que cela » et que « le haschisch est un élément de la culture des jeunes d'aujourd'hui, le tabac ou l'alcool (étant) bien plus nuisibles ».

Interrogé sur ce point par la commission, le ministre de l'éducation nationale, M. Luc Ferry, ne s'est pas prononcé de façon catégorique. Il a néanmoins reconnu que « pour dire les choses très franchement », il n'avait « jamais entendu parler de cannabis ou d'herbe (dans les établissements scolaires) avant 1968 », analysant cette époque comme ayant paradoxalement « livré les individus à l'univers de la consommation et à l'univers marchand » dont la forme paroxystique résiderait dans l'usage de drogues, « quintessence de la logique de la consommation (...) puisque c'est la consommation à l'état pur ».

De la même façon, tout en précisant qu'il ne fallait pas généraliser « pour ce qui est des mentalités profondes de nos enseignants face à la consommation de cannabis en particulier », le ministre délégué à l'enseignement scolaire, M. Xavier Darcos, a reconnu devant la commission que « toute une génération d'enseignants est arrivée (...) dans les années 1970 » et que « de ce point de vue (...), il y a eu une imprégnation mentale un peu de cette époque ». Indiquant que cette génération d'enseignants partirait à la retraite dans les prochaines années, M. Darcos a précisé que ce « renouvellement qui se dessine (...) permettra de faire évoluer les mentalités » en recrutant « des jeunes gens, de futurs professeurs qui auront une mentalité (...) beaucoup plus consciente de l'évolution récente des évènements ».

Au total, la commission d'enquête estime que l'attitude de l'éducation nationale à l'égard des drogues résulte plus du système que des personnels enseignants eux-mêmes.

d) Des actions de prévention « sous-traitées » aux acteurs extra scolaires

En l'absence de modèle de dispositif de prévention s'imposant à l'ensemble des établissements, les actions préventives sont laissées aux initiatives locales des équipes administratives et pédagogiques . Or, celles-ci se sentant globalement peu concernées par le problème de la prévention des conduites à risques, elles ont très fortement tendance à en sous-traiter la gestion à des intervenants extérieurs au milieu scolaire, qu'ils soient institutionnels ou associatifs.

Dans le guide « Repères » consacré à la lutte contre la drogue et à la prévention des dépendances en milieu scolaire, l'ancienne présidente de la MILDT, Mme Nicole Maestracci, indique très clairement, après avoir souligné que la prévention dans les établissements scolaires ne devait pas se faire « au petit bonheur la chance », qu'aujourd'hui « la majorité des intervenants est issue de la police ou de la gendarmerie », ces deux administrations ayant « occupé un terrain laissé vacant par les autres intervenants, qui n'étaient pas forcément disponibles pour cela ».

Ce constat voilé de démission des personnels enseignants dans la conduite d'actions de prévention pose naturellement « la question de la création de professionnels spécifiquement dédiés à la prévention » reconnaît Mme Maestracci, qui ajoute que « la politique reste très largement fondée sur le volontariat des acteurs, qu'ils soient internes ou externes à l'éducation nationale ». Aussi compétents et méritoires soient les personnels de police et de gendarmerie ou les responsables associatifs amenés à intervenir en milieu scolaire, ils ne constituent pas en effet des professionnels de la prévention dans le domaine des drogues et des conduites à risques, capables d'envisager l'ensemble des problématiques et des enjeux qui y sont liés et de transmettre un message de prévention adapté aux publics adolescents en milieu scolaire.

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