3. La responsabilité de certains médias

Les médias constituent également parfois un important relais, quand ils ne l'initient pas, du « bruit de fond » participant à la banalisation des drogues. Ce message « déviant » envoyé notamment à la jeunesse perturbe profondément le travail des différents acteurs du dispositif de lutte contre la drogue . Le directeur général de la gendarmerie nationale, M. Pierre Mutz, s'en est inquiété auprès de la commission en déclarant : « Notre jeunesse connaît un réel problème qui vient du fait que presque tous les gens qu'admirent nos jeunes se droguent et le disent publiquement dans la presse, ce qui est absolument dramatique ».

En-dehors de la télévision (on pense aux « Guignols de l'info » sur Canal Plus et à la présentation familière ou sympathique qui y est faite du « pétard » ou du « joint », accessoire incontournable de quelques stars du rap « marionnétisées ») et de la radio (avec, par exemple, les propos ambigus tenus sur une station comme Skyrock sur l'air sec, gaz contenu dans des bombes sous pression à usage domestique dont l'ingestion permet de modifier le son de la voix), une certaine presse a contribué à banaliser les drogues dites « douces » en se livrant notamment à des interprétations erronées des conclusions du rapport Roques.

Peu de temps après la publication du rapport, Libération 96( * ) titrait à la une d'une édition spéciale : « Le verdict des experts sur les drogues : Ecstasy : accusé, Cannabis : acquitté ». Reconnaissant que l'ecstasy pouvait entraîner de graves séquelles physiques ou psychiatriques, il y était dit en substance que les dangers du cannabis avaient été surestimés et devaient être totalement reconsidérés, celui-ci étant « moins dangereux que le tabac ».

Le professeur Roger Nordmann a déploré cette présentation fallacieuse des faits lors de son audition par la commission, déclarant qu'« une des causes majeures (de la banalisation du cannabis auprès des jeunes) est le fait qu'ont été diffusés par les médias, et même parfois par les instances officielles, des messages qui étaient soit partiaux, soit incomplets ».

Le premier de ces messages, consistant à affirmer que « le cannabis n'a jamais tué personne », ne tient pas compte selon le professeur Nordmann « des accidents causés par une conduite automobile sous l'emprise de cannabis ou lors d'épisodes psychotiques aigus ». « Dire que le cannabis n'a jamais tué personne », a de son côté déclaré lors de son audition le professeur Claude Got, président du collège scientifique de l'OFDT, « étant donné qu'il y a entre quatre et dix fois dans un joint la quantité de goudron qu'il y a dans la combustion d'une cigarette, est la négation du tabagisme passif et de tout ce qui a été accumulé depuis quarante ans sur la connaissance du risque lié au tabac ».

Le deuxième message, affirmant que « le cannabis n'est pas neurotoxique », s'est uniquement fondé sur les conclusions du rapport Roques sans tenir compte des développements d'un de ses chapitres expliquant que la consommation de cannabis entraîne des troubles du comportement et que de tels troubles constituent les premiers signes de neurotoxicité d'un produit.

Le professeur Nordmann a critiqué les extrapolations effectuées par les médias à partir du classement sur la dangerosité des drogues contenu dans le rapport. Il a ainsi expliqué que le cannabis « n'est (pas) une drogue qu'il faut comparer au point de vue de la dangerosité puisqu'elle ne prend pas la place des autres », ajoutant que « non seulement le cannabis ne se substitue pas à l'alcool ou au tabac, mais (qu'en plus) il favorise l'appétence envers l'alcool et perturbe le sevrage envers le tabac ».

Le nouveau président de la MILDT, M. Didier Jayle, a lui-même reconnu devant la commission que l'exploitation qui avait été faite du rapport Roques était en grande partie déplacée : « Nous avons ressorti du rapport Roques une espèce de classement des dommages entraînés par les différentes drogues. Celui-ci ne niait pas que le cannabis puisse poser des problèmes. C'est peut-être plus dans les commentaires qui en ont été faits que les conséquences de l'alcool, du tabac étaient beaucoup plus graves pour la santé publique que celles liées au cannabis ».

Bien qu'il ait tenu à préciser devant la commission que la MILDT, « pas plus aujourd'hui qu'hier, n'est responsable des commentaires qui peuvent être faits à partir des études », M. Jayle a reconnu que l'institution qu'il préside « a la responsabilité d'engager des campagnes d'information, de formation des professionnels et d'information du grand public pour que les choses changent ».

Si les personnalités « people », responsables politiques et médias portent donc une part de responsabilité dans une banalisation du cannabis, en s'appuyant sur une interprétation biaisée d'un rapport existant sur la question, la MILDT elle-même n'est pas exempte de tout reproche . Son absence de réaction suite à la parution du rapport et aux conclusions hâtives qui en ont été tirées, ainsi que la façon, déjà évoquée, dont elle a abordé le problème des drogues, et plus particulièrement du cannabis, dans ses diverses publications, ont implicitement contribué à amplifier ce phénomène de banalisation en lui donnant implicitement la caution de la principale institution publique dans le domaine de la lutte contre la drogue.

En ce sens, devant la commission, le docteur Léon Hovnanian a constaté que, d'un programme triennal fait « d'intentions louables portant sur l'information du public (et) sur la prévention », la mission interministérielle a abouti « à une information tronquée et partiale du public et des jeunes, visant à occulter délibérément la dangerosité si grande du cannabis » et « à une prévention qui était fondée sur un message lénifiant au prétexte d'être soi-disant pragmatique et crédible ».

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