IV. LES PROPOSITIONS DE VOTRE COMMISSION
La
Commission des Affaires économiques est soucieuse de voir la directive
n° 96-92 transposée dans de très brefs délais.
En effet, le temps presse.
Signe de l'irascibilité de nos partenaires devant le retard
français et preuve des menaces qui pèsent, réciproquement,
sur le développement international d'EDF, la Commission
européenne a récemment entamé une enquête sur la
position dominante qu'occuperait, selon ses détracteurs, cet
opérateur sur le marché français
6(
*
)
. En outre,
cette transposition
,
loin d'être un handicap pour notre pays,
constitue
, tout au
contraire,
une opportunité
pour instituer les règles d'une
"
concurrence libre et loyale
" dans le secteur de
l'électricité, pour reprendre les termes mêmes
employés par l'Assemblée nationale.
Comme le Sénat l'a affirmé à plusieurs reprises,
on
aurait tort d'opposer la notion de marché à celle de service
public
: dans le secteur de l'électricité comme dans
celui des télécommunications ou de la poste, l'instauration de
règles de marché donne seule la possibilité de
préserver et de consolider un service public de qualité. La
Commission d'enquête du Sénat sur la politique
énergétique de la France prônait d'ailleurs une telle
approche en souhaitant que lors de la transposition de la directive, l'on
organise des
" règles du jeu permettant de concilier un service
public ambitieux avec la transparence et la réalité de la
concurrence
"
7(
*
)
.
Votre commission a substantiellement amendé le projet de loi
adopté par l'Assemblée nationale. Elle a élaboré un
texte qui organise une ouverture du marché, certes progressive, mais
réelle, seule garante de la prospérité des
opérateurs, et qui assure la pérennité d'un service public
aux contours et au financement mieux définis.
A. ORGANISER UNE RÉELLE OUVERTURE DU MARCHÉ, SEULE GARANTE DE LA PROSPÉRITÉ DES OPÉRATEURS
La libéralisation du marché de l'électricité permettra d'améliorer la compétitivité de l'économie française face à la concurrence internationale. C'est pourquoi il est nécessaire de la mettre en oeuvre dès que possible, en assurant l'égalité des opérateurs du marché, et en garantissant une réelle stabilité du cadre juridique qui régit ce secteur. L'indépendance de la Commission de régulation et l'impartialité du service autonome gestionnaire du réseau de transport public sont les corollaires de cette ouverture.
1. Permettre la constitution d'un réel marché de l'électricité
L'institution d'un marché de l'électricité
actif, dans lequel se rencontrent l'offre et la demande est la condition
nécessaire de la baisse du prix de l'électricité et de
l'accroissement de la qualité et de la variété de l'offre.
Faute de marché, les prix ne reflètent pas les coûts et
conduisent à des comportements aberrants au plan économique. Des
mécanismes concurrentiels efficaces et des échanges aisés
stimulent l'innovation et permettent au client d'être toujours mieux
satisfait. C'est pourquoi, votre commission juge indispensable de
rétablir le droit d'acheter de l'électricité pour la
revendre.
Compte tenu des besoins des opérateurs, une telle
interdiction du commerce n'aboutirait qu'à une délocalisation de
ce marché hors de France : rappelons qu'EDF a créé
une filiale de négoce à Londres. En outre, la " fuite "
durable de cette activité vers l'étranger priverait notre pays de
la perspective de voir se développer toute la gamme des produits
financiers -à forte valeur ajoutée- associés au
marché physique : la couverture à terme des achats de
courant se fera, par exemple, à Londres ou à Rotterdam, pour le
plus grand profit de ces places.
Dans le même ordre d'idées, il est souhaitable de
supprimer les
obstacles mis à la fluidité du marché
, tels que
l'établissement d'un "
cadre contractuel
" de trois ans
(article 22). Que signifie cette durée arbitrairement choisie à
l'heure ou l'électricité est, dès aujourd'hui,
cotée sur un marché " SPOT " ? Comment justifier
raisonnablement cette entrave à la liberté contractuelle qui doit
prévaloir entre les agents économiques ?
2. Assurer l'égalité des opérateurs sur le marché de l'électricité
a) Lever les incertitudes juridiques
Le texte
adopté par l'Assemblée nationale comporte plusieurs incertitudes
juridiques pour les consommateurs comme pour les producteurs
d'électricité. Les consommateurs, par exemple, sont en effet en
butte à diverses dispositions qui limitent leur faculté de faire
jouer le droit à l'éligibilité dont ils jouissent pourtant
juridiquement depuis février 1999. Comment un
consommateur
éligible
ferait-il actuellement pour s'approvisionner à la
concurrence pour un site donné, alors qu'il sait qu'EDF dispose d'un
droit de dénonciation des contrats de fourniture de ses autres sites, en
vertu de l'article 47 ? Quelle ouverture du marché
espérer face à l'éventualité de telles
" représailles massives " ? Comment un
producteur
d'électricité titulaire d'un contrat d'achat
signé
avec EDF comportant un prix ferme et définitif -dont il a tenu compte
pour dimensionner son investissement- pourrait-il faire face à la
dénonciation de ce contrat sur le fondement de l'article 48, alors
même qu'il ne peut pas revendre sa production à un autre client
qu'EDF ? Il est indispensable de modifier les dispositions des
articles 47 et 48 afin d'interdire tout risque d'abus de position
dominante.
Un souci de
transparence accrue
a conduit votre commission à
modifier les
modalités d'octroi des autorisations
de
créer des installations de production et de mise en oeuvre de la
procédure d'appel d'offres, afin de s'assurer que l'autorité
compétente ne favorisera pas un ou des opérateurs, au
détriment d'autres. Il importe, en effet, que tous les producteurs
d'électricité, -nouveaux entrants sur le marché et
opérateur historique-, soient soumis à des procédures les
plus brèves possibles, dont l'issue n'est soumise à
aucun
arbitraire
.
Le
respect de l'égalité des producteurs
suppose
également que ceux-ci soient traités de façon identique
dès lors que leur position est similaire. A l'inverse, une
différence de situation justifie une différence de traitement.
C'est pourquoi, il apparaît comme particulièrement injuste de
taxer les autoproducteurs
au titre du fonds de péréquation
de la production, alors que, de par leur existence même, ils contribuent
à éviter la création d'installations de production et de
transport (article 5).
b) Améliorer les garanties des citoyens et des entreprises face à l'administration
Le nouveau cadre réglementaire du secteur de l'électricité doit être respectueux des droits fondamentaux des citoyens et des entreprises. Aussi, votre commission s'est-elle efforcée de renforcer les garanties en la matière en réduisant, par exemple, les délais de jugement prévus par le texte en cas d'arbitrage par la Commission de régulation de l'électricité, afin de mieux respecter le droit à être jugé dans un délai raisonnable, reconnu par la convention européenne des droits de l'homme. De même, vous proposera-t-elle de renforcer le caractère contradictoire des procédures juridictionnelles et la publicité des décisions . Enfin, les critères de détermination des éventuelles sanctions ont été précisés afin de mieux encadrer le pouvoir de sanction administrative et d'appliquer le principe de proportionnalité entre les fautes et les peines .
3. Garantir la parfaite indépendance de la Commission de régulation de l'électricité (CRE)
La mise
en place d'un système de régulation incontestable et reconnu par
l'ensemble des acteurs est un enjeu central de la future organisation
électrique française. Bien que la directive laisse une presque
totale liberté aux Etats membres en la matière, votre
commission estime indispensable qu'une
autorité totalement
indépendante du Gouvernement
soit chargée de cette
régulation. En effet, la tradition politique et juridique
française, en vue d'assurer l'égalité de tous dans
l'accès au service public, en a confié l'exécution et, le
plus souvent, le contrôle à des structures appartenant à
l'Etat. Ainsi, le neuvième alinéa du préambule de la
Constitution du 27 octobre 1946, lequel est reconnu comme un principe
à valeur constitutionnelle, indique que "
tout bien, toute
entreprise dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service
public national ou d'un monopole de fait doit devenir
la
propriété de la collectivité
". Rappelons
à cet égard que les textes communautaires ne contreviennent en
rien à ce principe, puisque l'article 295 du Traité de Rome
indique que "
le présent traité ne préjuge en rien
le régime de la propriété dans les Etats
membres
".
Dès lors que sont affirmés
l'axiome d'une
propriété nationale de l'Etablissement public Electricité
de France
et son corollaire : la tutelle de l'Etat sur
l'opérateur historique, l'indépendance de la régulation
est absolument nécessaire. Le plus grand opérateur du
marché, celui qui assurera le service public, restera sous
contrôle du Gouvernement. Dès lors, comment ce dernier pourrait-il
prétendre faire respecter la loi du marché en toute
impartialité ?
Placer la puissance publique en position de juge
et partie reviendrait à fausser la concurrence
, à
décourager la libre entreprise, bref à
contredire les
principes mêmes de l'ouverture du marché
.
La création d'une autorité administrative indépendante
permet de garantir l'impartialité de la régulation, qui est ainsi
distincte à la fois de l'administration, bien qu'elle exerce des
prérogatives de puissance publiques qui sont du ressort de l'Etat et des
opérateurs.
Encore faut-il que cette indépendance ne soit pas que de façade.
A cet égard, votre commission juge ambigu le rôle -sorte de
septième membre maîtrisant l'ordre du jour- qu'entend faire jouer
le projet de loi au commissaire du Gouvernement placé auprès de
la CRE. Elle juge préférable de
clarifier les fonctions
respectives de chacun
en
dégageant la CRE de tout risque de mise
sous tutelle
et en faisant du ministre chargé de l'énergie
l'interlocuteur privilégié en matière de politique
énergétique.
La CRE doit également être indépendante des groupes de
pression, entreprises et organismes intéressés par
l'électricité. Aussi, votre commission a-t-elle jugé
nécessaire d'inscrire dans le texte le principe de la parfaite autonomie
de la CRE vis-à-vis de tous les intérêts extérieurs
quels qu'ils soient.
4. Renforcer le rôle de la CRE
L'efficacité de la régulation mise en place par
le
projet de loi dépendra autant de
l'indépendance
de la
Commission de régulation de l'électricité que de
l'étendue de ses pouvoirs
. En effet, le partage des
compétences entre l'autorité de régulation et le ministre
doit, pour être crédible, concilier deux impératifs :
- la CRE doit disposer de réels pouvoirs ;
- le Gouvernement, responsable, sous le contrôle du Parlement, de la
politique énergétique, doit conserver des moyens d'action et
d'expression lui permettant d'assumer son rôle.
Sans tomber dans l'excès d'une omnipotente autorité
indépendante -que le Sénat n'a d'ailleurs jamais
prônée, comme l'a montré le débat sur l'ouverture du
marché des télécommunications- votre commission estime
nécessaire de
renforcer substantiellement les pouvoirs de la
Commission de régulation de l'électricité
.
Les moyens -notamment juridiques- dont dispose cette commission doivent
être accrus
(contrôle renforcé de la comptabilité
des opérateurs, pouvoirs de perquisition donné aux agents
enquêteurs, droit à communication de tous types d'informations,
pouvoir de demander la modification des contrats de transport), son avis
-publié ou notifié aux intéressés- doit être
systématiquement recueilli, le contrôle qu'elle exerce sur
l'impartialité du gestionnaire du réseau public de transport
(investissements, droit de regard sur les nominations) et le devenir du
personnel significativement accru.
5. Assurer la totale autonomie et la parfaite impartialité du GRT
La
directive n° 96-92 laisse les Etats-membres libres de choisir la
formule qu'il jugent la plus adaptée pour assurer une parfaite
impartialité du gestionnaire du réseau de transport
vis-à-vis des acteurs de marché.
Dès lors, il serait tentant de choisir la formule consistant à
séparer, dès à présent, organiquement le GRT de
l'opérateur historique. Selon votre commission, cette solution, pour
séduisante qu'elle apparaisse en théorie, présenterait en
réalité, si elle était mise en oeuvre sans transition, un
coût économique et social exorbitant par rapport à
l'intérêt d'un tel système.
Vouloir imposer, d'emblée, un mode d'organisation qui ne correspond pas
à la maturité du marché, en dépit des
spécificités nationales liées à l'histoire,
pourrait s'avérer tout à fait contre-productif. Le Gouvernement
de M. Alain Juppé l'avait si bien compris qu'il n'a pas
imposé la scission de France Télécom, lors de l'ouverture
à la concurrence du secteur des télécommunications,
laissant la partie " infrastructures " intégrée au sein
de l'opérateur, non plus qu'il n'a soutenu, au plan européen,
l'obligation " d'éclater " les opérateurs
électriques lors de la négociation de la directive.
En outre, l'objectif primordial que doit atteindre la nouvelle organisation du
secteur électrique est d'assurer la parfaite
impartialité
et la
réelle absence de discrimination
dans l'accès au
réseau, quelle que soit l'entité en charge du transport.
Votre commission estime, en conséquence, nécessaire
d'envisager à la fois le présent et l'avenir.
Pour l'heure, il faut renforcer nettement les garanties d'impartialité
du GRT
par rapport à tous les agents du marché. C'est
pourquoi vous seront proposés des amendements tendant à :
-
interdire tout arbitraire dans l'accès au
réseau
;
- soumettre à l'avis conforme de la CRE le
programme
d'investissements
du GRT, car celui-ci a un effet dimensionnant sur le
réseau : il doit tendre à lever les " goulets
d'étranglement " ;
-
aligner les procédures applicables aux relations entre GRT et
EDF sur celles qui régissent les échanges entre GRT et tous les
producteurs
;
-
protéger la confidentialité absolue des informations
commercialement sensibles
;
-
instituer un régime d'incompatibilité
entre les
fonctions d'agent du GRT et certaines activités exercées chez les
opérateurs du secteur de l'électricité ;
-
donner à la CRE le pouvoir de demander la modification des
contrats de transport signés entre le GRT et un producteur
quel
qu'il soit.
Pour l'avenir, votre commission a voulu
permettre une
évolution vers une nouvelle étape
: c'est dans cet
esprit qu'elle vous propose un
amendement prévoyant que le service
autonome gestionnaire du réseau public de transport pourra être
constitué en filiale d'Electricité de France
.