N° 206

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1998-1999

Annexe au procès-verbal de la séance du 9 février 1999

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires économiques et du Plan(1) sur la proposition de résolution présentée en application de l'article 73 bis du Règlement par M. James BORDAS sur la proposition de règlement (CE) du Conseil portant organisation commune du marché viti-vinicole (E 1134),

Par M. Gérard CÉSAR,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Jean François-Poncet, président ; Philippe François, Jean Huchon, Jean-François Le Grand, Jean-Pierre Raffarin, Jean-Marc Pastor, Pierre Lefebvre, vice-présidents ; Georges Berchet, Jean-Paul Emorine, Léon Fatous, Louis Moinard, secrétaires ; Louis Althapé, Pierre André, Philippe Arnaud, Mme Janine Bardou, MM. Bernard Barraux, Michel Bécot, Jacques Bellanger, Jean Besson, Jean Bizet, Marcel Bony, Jean Boyer, Mme Yolande Boyer, MM. Dominique Braye, Gérard César, Marcel-Pierre Cleach, Gérard Cornu, Roland Courteau, Désiré Debavelaere, Gérard Delfau, Marcel Deneux, Rodolphe Désiré, Michel Doublet, Xavier Dugoin, Bernard Dussaut , Jean-Paul Emin, André Ferrand, Hilaire Flandre, Alain Gérard, François Gerbaud, Charles Ginésy, Serge Godard, Francis Grignon, Louis Grillot, Georges Gruillot, Mme Anne Heinis, MM. Pierre Hérisson, Rémi Herment, Bernard Joly, Alain Journet, Gérard Larcher, Patrick Lassourd, Edmond Lauret, Gérard Le Cam, André Lejeune, Guy Lemaire, Kléber Malécot, Louis Mercier, Bernard Murat, Paul Natali, Jean Pépin, Daniel Percheron, Bernard Piras, Jean-Pierre Plancade, Ladislas Poniatowski, Paul Raoult, Jean-Marie Rausch, Charles Revet, Henri Revol, Roger Rinchet, Jean-Jacques Robert, Josselin de Rohan, Raymond Soucaret, Michel Souplet, Mme Odette Terrade, MM. Michel Teston, Pierre-Yvon Trémel, Henri Weber.

Voir le numéro :

Sénat : 196 (1998-1999).

Union européenne.

EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

La proposition de résolution n° 196 dont vous êtes saisis porte sur la proposition de règlement (CE) du Conseil relatif à l'organisation commune du marché viti-vinicole (COM (1998) 370 final) transmise au Sénat le 8 juillet 1998 sous le numéro E-1134.

Cette proposition d'acte communautaire est l'aboutissement d'un très long travail de négociations.

Elaboré en 1962 et 1970, l'OCM viti-vinicole a été profondément réformé en 1987. En juillet 1993, la Commission européenne a présenté au Conseil un document de réflexion sur " l'évolution et l'avenir de la politique viti-vinicole " qui devait servir de base à la proposition de règlement portant nouvelle réforme de l'organisation commune de marché (OCM), soumise au Conseil en juin 1994, transmise au Parlement en avril 1995.

Le projet de Bruxelles prévoyait de réduire initialement de plus de 30 millions d'hectolitres la production communautaire jusqu'en 2000 et d'instaurer un système de quotas nationaux pour endiguer la surproduction de vins de mauvaise qualité.

Cette réforme n'a pas abouti en raison, d'une part, d'une conjoncture favorable, les campagnes 1994-1995 et 1995-1996 ayant été équilibrées et, d'autre part, de l'encombrement de l'ordre du jour du Conseil par des dossiers " horizontaux " particulièrement " lourds " (désordres monétaires, transport des animaux, ...).

La France a été, depuis lors, toujours partisane d'une réforme de l'OCM viti-vinicole . Votre rapporteur avait, d'ailleurs, souligné, dès 1995 1( * ) , que le pire serait de laisser le dossier " s'enterrer " et de prendre le risque de voir un nouveau projet émerger dans des conditions d'urgence, face à une récolte communautaire importante et à l'obligation de recourir à une distillation d'importants volumes de vin. Il aurait été alors bien plus difficile d'éviter une approche simplificatrice qui aurait conduit à imposer à tous les vignobles, quelle que soit leur situation, des efforts de réduction conséquents.

Dès le mois de juin 1995, afin de dessiner le cadre dans lequel la réforme devait s'inscrire et dans le fil de la résolution adoptée le 29 juin 1995 par le Sénat, M. Philippe Vasseur, ministre de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation, avait présenté, lors du conseil des ministres à Bruxelles, les grandes orientations qui devaient présider à la réforme de l'OCM :

- la responsabilisation des pays producteurs vis-à-vis de leurs excédents (c'est-à-dire la non neutralisation des excédents) ;

- l'adaptation régionale des mesures structurelles afin d'offrir à chaque vignoble, selon ses spécificités, les outils nécessaires à l'ajustement de sa production au marché ;

- le renforcement des moyens communautaires de contrôle pour parvenir à une application homogène de la réglementation dans tous les Etats-membres.

Peu à peu, les discussions ont progressé. Le projet initial de la Commission de diminution du potentiel de production communautaire pour éliminer des excédents structurels importants a été reconsidéré à la lumière de l'évolution du marché viti-vinicole.

Ainsi, les premières réflexions ont abouti, dans le cadre du " paquet prix 1996/1997 ", à modifier les règles communautaires relatives aux plantations et à l'arrachage des vignes dans le sens d'une plus grande souplesse et d'une meilleure prise en compte des contraintes et des exigences économiques des différents bassins de production.

Dans son document " Agenda 2000 ", la Commission européenne a indiqué en juillet 1997 " qu'eu égard à l'évolution récente, et en particulier au nouveau contexte créé dans ce secteur à la suite du cycle de l'Uruguay Round, la Commission a l'intention de réviser la proposition en suspens et d'en présenter une nouvelle dès que l'analyse de la situation en 1997 aura été totalement achevée ".

Le Gouvernement français a ainsi, dans cette optique, présenté le 12 janvier 1998, un mémorandum à l'attention de la Commission, définissant les trois grandes priorités françaises :

- le maintien du potentiel de production européen, par la mise en oeuvre d'aides à la rénovation du vignoble et par une possibilité de développement pour les régions qui ont encore des parts de marché à conquérir ;

- le renforcement de la compétitivité des entreprises par l'amélioration de la qualité des vins et par des aides à la modernisation des entreprises ;

- le développement de l'organisation des filières viticoles par la reconnaissance du rôle des interprofessions.

Lors du conseil agricole du mois de juin 1998, la Commission a mis en place plusieurs mesures préfigurant la nouvelle réforme de l'OCM. Il s'agit de :

- la reconduction des prix d'orientation, et jusqu'au 31 août 2000, de l'interdiction de nouvelles plantations de vigne, ainsi que la possibilité pour les Etats-membres d'accorder des autorisations nouvelles durant les deux prochaines campagnes dans la limite de 10.000 hectares, dont 2.584 pour la France, 3.615 pour l'Espagne et 2.442 pour l'Autriche. Ces nouveaux droits de plantation ne peuvent cependant pas être accordés aux vignobles situés dans des régions déterminées ayant bénéficié au cours des trois dernières vendanges de nouveaux droits. Ces droits de plantation représentent un à valoir sur les nouvelles autorisations qui pourraient être accordées dans le cadre de la réforme de l'OCM ;

- le maintien pour une année supplémentaire des dérogations existantes concernant la teneur en acidité totale des vins de table et la possibilité pour les Etats-membres d'accorder des primes d'abandon de la viticulture pour des parcelles inférieures au seuil actuel de 25 ares mais non inférieures à 10 ares, lorsque les conditions de viticulture le justifient. De plus, a été décidé le report au 1 er janvier 2001 de la date limite d'introduction d'un casier viticole simplifié en Grèce, au Portugal. En Espagne, cette limite a été repoussée au 1 er janvier 2000. Le maintien de la possibilité pour l'Espagne de mélanger du vin rouge et du vin blanc (mezcla) a été adopté.

Le 1 er juillet dernier, la Commission européenne a adopté une proposition de réforme substantielle du marché viti-vinicole à partir du 1 er août 2000.

C'est cette " remise à plat " de l'OCM viti-vinicole que votre délégation du Sénat pour l'Union européenne a examiné la semaine dernière.

Avant d'analyser cette proposition d'acte communautaire et d'en proposer certaines modifications, votre commission des affaires économiques souhaite rappeler brièvement l'importance du secteur viti-vinicole en France et en Europe.

I. LA RÉFORME DE L'OCM VITI-VINICOLE CONCERNE UN SECTEUR ESSENTIEL POUR L'ÉCONOMIE FRANÇAISE ET EUROPÉENNE

A. LA PLACE DU SECTEUR VITI-VINICOLE DANS L'AGRICULTURE FRANÇAISE ET EUROPÉENNE

1. En France

La France constitue le plus grand vignoble du monde, tant par sa surface que par sa qualité.

Les premières estimations de la production française de vin pour la campagne 1997/1998 s'élèvent à 55 millions d'hectolitres. Cette production connaît depuis quelques années un léger recul.

PRODUCTION FRANCAISE DE VIN

(millions d'hectolitres)



Source : Graph Agri-France - Ministère de l'Agriculture et de la Pêche - 1998


La production française se répartit de la manière suivante :

PRODUCTION FRANCAISE

(millions d'hectolitres)

 

1980-1981

1990-1991

1996-1997

1997-1998 P

Tous vins

69,2

65,5

59,6

56

VQPRD (1)

14,8

23,6

24,7

23,9

dont AOC

12,9

23,0

24,2

23,3

Autres vins

54,4

41,9

34,9

32,1

- vins de pays

6,5

12,3

15,2

13,4

- autres vins de table

40,5

17,0

8,8

8,2

- vins pour cognac

7,4

12,6

10,9

10,5

(1) vin de Qualité Produits dans une région déterminée

Source : Graph Agri-France - Ministère de l'Agriculture et de la Pêche - 1998


Rappelons qu'en 1997, la viticulture française a connu une évolution très favorable du revenu moyen grâce à d'importantes sorties de chais. Ainsi, toutes catégories de producteurs confondues, le revenu des exploitations viticoles a progressé de près de 23 % en termes réels. La hausse du revenu est plus forte pour les exploitations produisant des vins d'appellation d'origine (+24 %) que pour celles consacrées aux autres vins (+17 %) .

Cette amélioration du revenu intervient après une légère baisse en 1996, mais l'augmentation entre les deux périodes triennales " 1993 " et " 1996 " reste très forte, soit +19 % par an. Le revenu de cette " orientation technique d'exploitation " (OTEX) se situe 75 % au-dessus de celui de l'ensemble des exploitations à temps complet.

En 1998, le secteur des vins a crû de 3,7 % en volume. Les prix se sont envolés avec + 11,5 %, ce qui conduit à une hausse de la valeur ajoutée par rapport à 1997 de +15,6 % -soit une valeur ajoutée de 62 milliards de francs-.

Soulignons que le revenu moyen de la viticulture d'appellation a augmenté de 38 % de 1997 à 1998, le " point noir " se situant dans la région du cognac.

LES CHIFFRES DU SECTEUR VITI-VINICOLE EN FRANCE EN 1997

Production des bois et plants

- 900 producteurs de plants de vignes fournisse 90 à 100 millions de plants de vigne par an pour 0,7 milliard de francs de chiffre d'affaires et 30 millions de francs de matériel exporté.

- 2 % du vignoble sont renouvelés tous les ans (âge moyen du vignoble : 22 à 25 ans) et l'on compte 60.000 à70.000 opérations de plantations par an.

Négoce de vins

Ils sont 800 à 1.000 négociants en France et les 20 premiers assurent 11 milliards de francs de chiffre d'affaires sur 50 à 60 milliards. 60 à 65 % des ventes sont réalisées en grandes surfaces.

Fournisseurs

- Le machinisme (récolte, pressoirs, tracteurs, pulvérisateurs) réalise 1,9 milliard de francs de chiffre d'affaires

- Les produits phytosanitaires : 2,5 milliards de francs

- Les bouteilles : 1,3 milliard de francs

- Les engrais : 0,6 milliard de francs

- La cuverie, filtration, centrifugation, matériel d'embouteillage : 0,7 milliard (estimation)

- Les produits oenologiques : 0,3 milliard.

Exploitations viti-vinicoles

- La France en recense 166.000, occupant 887.000 Hectares, soit 3,3 % de la surface agricole utile. On compte 100.000 exploitations spécialisées pour 740.000 hectares (82 % sont viticoles à 100 %), 66.000 vendent du vin et 35.000 font de la vente en direct.

- Plus de la moitié de la superficie française est occupée par 415 appellations d'origine (AOC + VDQS), la France compte 142 vins de pays.

- 1.029 coopératives regroupent 168.000 coopérateurs (65 % des vins de table et 45 % d'appellations d'origine).

Récolte en France et dans le monde

- La part de la France dans la récolte mondiale est de 59 millions d'hectolitres sur 246 millions d'hectolitres.

- Les livraisons viticoles françaises réalisent un chiffre d'affaires de 50 milliards de francs.

- Le coût de production moyen du vin de table et de pays est de 23.000 francs par hectare, celui du vin d'appellation est de 43.000 francs par hectare (avec des écarts de 21.000 à 240.000 francs).

- Le poids économique de la filière viti-vinicole est de 80 à 90 milliards de francs.

Sources : Agra presse hebdo - n° 2690 - lundi 14 décembre 1998.

2. En Europe

L'Europe se situe au premier rang avec plus de 163 millions d'hectolitres en 1997 pour une production mondiale de vin de 260 millions d'hectolitres. Le vignoble communautaire correspond ainsi à 45 % de la superficie et à quelque 60 % du volume de la production mondiale 2( * ) .

Les grands producteurs européens, outre la France, sont en 1997 : l'Italie avec 54 millions d'hectolitres, l'Espagne avec 36 millions d'hectolitres, l'Allemagne 8 millions d'hectolitres et le Portugal 7 millions d'hectolitres.

PART DES ETATS-MEMBRES DANS LA PRODUCTION DE VIN (VOLUMES), MOYENNES ECRETEES 1993 A 1997

Source : Commission européenne

Soulignons que la vigne en Europe est non seulement une composante essentielle du paysage dans les régions viticoles, mais contribue aussi à sa préservation. En effet elle empêche l'érosion des sols et associe la présence de l'homme dans des zones parmi les plus fragiles du point de vue environnemental et qui sont souvent sans alternatives économiques réelles.

Sur le plan financier, votre rapporteur constate que les dépenses au titre de régime d'aide au secteur viti-vinicole ont connu des variations importantes au fil des années.

DEPENSES DANS LE SECTEUR VITI-VINICOLE DE 1989 à 1998

En millions d'euros

 

1989

1990

1991

1992

1993

1994

1995

1996

1997

1998

prev.*

Dépense moyenne

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

98-99

93-89

98-94

B1-160 Restitutions à l'exportations

45,3

54,7

55,5

77,3

100,2

80,4

36,7

40,8

59,7

51,0

60,2

66,6

53,7

B1-161-Interventions vin

568,4

381,5

480,7

450,2

598,5

393,7

214,5

139,8

340,4

383,0

395,1

495,9

294,3

B1-162-Alcool de bouche

284,8

166,7

210,8

180,6

233,1

190,4

168,6

115,8

225,4

159,0

193,5

215,2

171,8

B1-163-Aides aux moûts

96,1

137,4

127,6

128,3

167,7

134,0

100,6

148,8

166,4

148,0

135,5

131,4

139,6

B1-169-Autres

 
 
 
 
 
 
 

-1,4

-3,6

pm

-0,5

0,0

-1,0

Mesures du marché

994,6

740,3

874,6

836,4

1099,5

798,5

520,4

443,8

788,3

741,0

783,7

909,1

658,4

B1-164-Abandon définitif

157,9

230,1

166,7

245,5

403,8

372,0

329,7

331,1

242,1

65,0

254,4

240,8

268,0

Total du secteur

1152,5

970,4

1041,3

1081,9

1503,3

1170,5

850,1

774,9

1030,4

806,0

1038,1

1149,9

926,4

Sources : Parlement européen

B. UNE FORTE VOCATION EXPORTATRICE

Le solde du commerce extérieur français pour le vin, exprimé en francs constants de 1997, s'est accru de 325 % en vingt ans.

Avec un chiffre d'affaires pour la France de 30 milliards de francs en 1997, les exportations de vins et champagne ont augmenté de 22 %, confirmant les bons résultats de 1996.

COMMERCE EXTERIEUR DU VIN (1)

 

1970

1990

1996

1997 P

Quantité

millions d'hectolitres

Importations

10,10

4,50

5,30

5,74

Exportations

4,09

12,33

12,99

15,40

dont Allemagne (2)

1,64

2,84

3,45

3,40

Royaume-Uni

0,44

2,38

2,54

3,02

UEBL

0,51

1,40

1,36

1,69

Valeur

millions de francs

Importations

322

2 121

2 701

3045

Exportations

1 515

23 063

24 852

30 227

(1) France y compris les DOM à partir de 1997

(2) Ex-RFA jusqu'en 1990

Source : Douanes

Votre rapporteur souligne que les exportations européennes de vins vers les pays tiers ont été pour 1995 et 1996, légèrement supérieures à 10 Mhl -soit 6% de la production mondiale- et ont représenté une recette de 2,4 milliards d'euros. Les chiffres pour 1997 indiquent une nette augmentation, les exportations dépassant 12 Mhl. Les principaux clients de l'Union Européenne sont les Etats Unis, la Suisse, le Canada, le Japon et la CEI.

Si l'Union européenne est le premier exportateur mondial de vins, c'est aussi le premier importateur mondial avec 5,2 millions d'hectolitres de vins importés en 1996 représentant une valeur de 650 millions d'euros. Les principaux fournisseurs sont l'Argentine, l'Australie, la Bulgarie, l'Afrique du Sud et l'Ex-Yougoslavie.

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