D. LA RÉFORME DU SYSTÈME AUTOROUTIER
A partir
du double constat des difficultés de certaines sociétés
concessionnaires d'autoroutes, d'une part, des obligations résultant de
l'évolution du droit communautaire, d'autre part, la
commission
d'enquête du
Sénat sur le grandes infrastructures
de
transport
avait émis, en juin 1998, les propositions suivantes :
-
Réformer en profondeur le système de financement des
autoroutes
en établissant le principe (et non plus l'exception) de
l'autoroute à péage ; en transformant les
sociétés d'autoroutes en deux véritables entreprises
publiques concessionnaires ; en adaptant la durée des financements
à la durée de vie des infrastructures ; en faisant du fonds
d'investissement des transports terrestres et des voies navigables l'instrument
privilégié de l'action de l'Etat sur le réseau non
concédé (construction et entretien), par une réforme de
ses recettes (remplacement de la taxe d'aménagement du territoire par un
autre prélèvement) et de ses dépenses (remplacement des
dépenses autoroutières par des dépenses routières
et d'entretien).
-
Appliquer les directives européennes comme elles doivent
l'être
en matière de péage, de TVA et de mise en
concurrence régulière des concessions (déjà
octroyées ou à venir), en défendant toutefois le principe
indispensable de la péréquation, au sein du réseau
concédé, entre liaisons réalisées et liaisons
à construire.
Votre rapporteur a interrogé le ministère de l'Équipement
sur les suites qu'il entendait donner à ces proposions.
1. La rénovation du financement des autoroutes
a) La généralisation du péage
La
commission d'enquête du Sénat proposait d'établir
le
principe
et non plus l'exception du
péage
, afin de favoriser
le financement du développement et surtout de l'entretien du
réseau autoroutier et de faire participer les voyageurs et transporteurs
étrangers -et non le seul contribuable national- au financement du
réseau.
Le ministère estime que la généralisation du péage
sur autoroutes soulève des inconvénients au regard de
l'aménagement du territoire d'une part, de l'acceptabilité de la
mesure, d'autre part.
S'agissant de l'acceptabilité de la mesure, il semble toutefois possible
à votre rapporteur de se fier au bon sens des usages, qui sont dans la
très grande majorité conscients du coût des infrastructures
autoroutières et de la nécessité de les financer de
manière équitable.
b) La poursuite du regroupement des sociétés d'économie mixte
Pour
pallier les difficultés de financement de certaines
sociétés d'autoroutes et l'insuffisance de leurs fonds propres,
la commission d'enquête du Sénat proposait de poursuivre leur
regroupement
, voire de recourir à une ouverture de leur capital.
Le gouvernement estime à cet égard, d'une part, que le
regroupement des sociétés d'économie mixte
concessionnaires d'autoroutes (SEMCA) en deux entités (au lieu de trois)
ne leur apporterait pas de marges de manoeuvre financière
significatives, d'autre part que l'ouverture du capital des SEMCA poserait des
difficultés en termes d'acceptabilité du péage :
selon le ministère de l'Équipement, "
il existerait un
lien étroit entre le statut, public ou privé, des
concessionnaires et l'acceptabilité du péage
".
S'agissant du second argument, il est toutefois possible d'objecter que la
plupart des voyageurs ignorent en fait le statut -public ou privé- des
sociétés concessionnaires.
c) La recherche d'outils de financement adaptés aux infrastructures autoroutières
La
commission d'enquête du Sénat proposait
l'allongement de la
durée des concessions
et un allongement corrélatif des
amortissements, de nature à permettre la
suppression du
système dit " des charges différées ",
donc
l'alignement des sociétés concessionnaires d'autoroutes sur le
droit commun. La commission d'enquête proposait également
d'allonger la durée des financements, par exemple au travers
d'émissions d'obligations à 30 ans par la CNA.
Le ministre de l'Équipement, des transports et du logement a
précisé à cet égard, lors de son audition par la
commission des finances du Sénat, que le gouvernement négociait
avec les autorités communautaires un allongement de la durée des
concessions et réfléchissait à une
réforme du
financement
des sociétés d'autoroutes prenant en
considération les préoccupations et les travaux du Sénat.
Votre rapporteur suggère par ailleurs que la CNA se finance pour partie
par émission
d'obligations indexées sur l'inflation
, comme
elle en a désormais la possibilité. En effet, la progression des
tarifs des péages, donc les ressources des sociétés
concessionnaires, étant en ligne avec l'inflation, ce mode de
financement se traduirait a priori par un gagnant-gagnant pour les
souscripteurs et pour les sociétés d'autoroutes : d'un
coté, les souscripteurs se verraient prémunis contre les
variations de l'inflation ; de l'autre, les sociétés
d'autoroutes se verraient prémunies contre un facteur important
d'évolution de leurs ressources et pourraient par surcroît
bénéficier de primes de risque plus faibles, donc d'un niveau de
taux d'intérêt plus favorable.
La réforme du système des charges différées
1. Le
système des charges différées
L'activité des sociétés concessionnaires d'autoroutes se
caractérise notamment par un décalage dans le temps très
important entre la construction d'infrastructures lourdes d'une part et la
perception des recettes liées au trafic d'autre part. Ce n'est donc que
plusieurs années après l'investissement que les recettes de
péage permettent d'assurer la couverture de l'ensemble des charges.
L'application à ces sociétés des règles comptables
habituelles en matière d'amortissement et d'imputation des
résultats se traduirait, dans les premières années suivant
la réalisation d'investissements importants, par un déficit tel
qu'elles tomberaient sous le coup des dispositions de l'article 241 de la
loi du 24 juillet 1996, leur existence s'en trouvant dès lors
compromise
6(
*
)
.
Afin de ne pas compromettre l'existence des sociétés
concessionnaires d'autoroutes, et conformément à l'avis du
Conseil National de la Comptabilité (CNC) du 11 octobre 1988, ces
dernières ont donc recours à un mécanisme particulier,
consistant à différer la prise en compte des charges
correspondant d'une part aux amortissements des infrastructures dits de
caducité, d'autre part, aux charges financières liées
à la construction. Ainsi, la part de ces charges non couverte par les
produits d'une année donnée est comptabilisée à
l'actif du bilan dans un compte de charges différées.
2. Les inconvénients du système des charges
différées
La pratique comptable des charges différés en vigueur dans les
sociétés d'économie mixte concessionnaires d'autoroutes
(SEMCA), bien que visant à prendre en compte le cycle économique
particulier de telles infrastructures, a été largement
aménagée pour soustraire le plus longtemps possible les
sociétés concessionnaires à la contrainte des fonds
propres. Elle conduit les sociétés à ramener
systématiquement leurs résultats au strict équilibre et
donc à ne pas verser de dividendes à leurs actionnaires et
à ne pas payer l'impôt sur les sociétés à
l'Etat.
La Cour des comptes et le Conseil national de la comptabilité (CNC) ont
à plusieurs reprises, émis des critiques sur cette pratique et
considèrent que l'application faite par les sociétés
concessionnaires d'autoroutes du mécanisme des charges
différées retirait aux comptes leur signification normale,
masquait leur situation réelle et était contraire au principe de
l'image fidèle. Le comité d'urgence du CNC, dans son avis de juin
1998, indique que, pour les sociétés concessionnaires
d'autoroutes, la suppression des charges différées serait une
méthode améliorant l'information financière de ces
sociétés. Dans le cadre de la réflexion en cours sur le
système autoroutier, le gouvernement étudie donc les
possibilités de ne plus autoriser les SEMCA à recourir à
la pratique des charges différées pour les concessions actuelles,
en contrepartie notamment de l'allongement de la durée des
concessions.
2. L'application des directives communautaires
a) La directive relative aux péages
L'article 74 de la
directive
de 1993 sur les
péages d'infrastructure
précise que : " les taux
des péages sont liés aux coûts de construction,
d'exploitation et de développement du réseau d'infrastructures
concerné ".
A la demande du Parlement européen, cette directive a été
annulée par la Cour de Justice des communautés européennes
en juillet 1995, pour non respect de la procédure de consultation du
Parlement européen. Il a donc été demandé au
conseil des ministres d'adopter un nouveau texte dans un " délai
raisonnable ". Le texte est en cours de négociation, les effets de
l'ancienne directive étant pour l'heure maintenus.
Selon la commission d'enquête du Sénat, cette règle remet
en cause les prélèvements de nature diverse qui pèsent
aujourd'hui sur les péages et ne répondent pas à ces
critères. En revanche, le ministère estime cette directive
compatible avec la pratique française.
b) La sixième directive TVA
Les
sociétés concessionnaires d'autoroutes ne sont pas soumises au
régime de TVA
de droit commun, mais à un régime
spécifique validé par l'article 109 de la loi de finances
pour 1994.
Ce régime est fondé sur le principe que les
sociétés concessionnaires agissent en qualité de simples
mandataires de l'Etat pour construire l'autoroute et collecter les
péages. Elles construisent l'autoroute pour l'Etat et ne
récupèrent donc pas la TVA sur la construction. Par ailleurs, les
péages sont perçus pour le compte de l'Etat et ne sont donc pas
assujettis à la TVA. Seule la part des recettes servant à couvrir
d'autres charges que les charges de construction est assujettie à la TVA.
La TVA n'est donc pas assise sur le chiffre d'affaires des
sociétés (la totalité des recettes de péages), mais
sur la rémunération de " mandataire " des
concessionnaires, c'est-à-dire sur la part des recettes couvrant les
seules charges d'exploitation.
Les conséquences de l'application de ce régime particulier de TVA
sont, d'une part, que les sociétés concessionnaires n'ont pas la
possibilité d'opérer la déduction de la TVA qui a
grevé la construction de l'autoroute, d'autre part, qu'elles n'ont pas
davantage la faculté de facturer aux usagers des ouvrages la taxe
acquittée par elles. Ainsi, les usagers professionnels (principalement
les poids-lourds) ne peuvent pas récupérer la TVA sur les
péages.
Ce régime de TVA est incompatible avec la
6
ème
directive relative à la TVA du 17 mai
1977.
Aux deux mises en demeure de la commission, la France avait répondu par
un argumentaire faisant valoir que les péages ont un caractère de
taxe et ne peuvent être passibles de TVA.
La commission, réfutant l'analyse présentée par la France,
a adressé en 1989 un avis motivé à la France. Elle
considérait que les péages perçus par les
sociétés concessionnaires d'autoroutes sont la contrepartie d'une
prestation de services à titre onéreux rendue aux usagers de
l'infrastructure, et par conséquent passibles de la TVA.
Après une longue période de statu quo, la commission a saisi, le
30 juillet 1997, la Cour de Justice européenne qui sera
amenée à se prononcer sur cette divergence
d'interprétation.
La condamnation de la France paraît inéluctable
. Le passage
au droit commun de TVA poserait toutefois a priori un problème fiscal et
comptable pour les sociétés concessionnaires, ainsi qu'un
problème budgétaire (la récupération par les
usagers à titre professionnel de la TVA portant sur les péages se
traduisant pour l'Etat par une perte de recettes de l'ordre d'un milliard de
francs).
C'est pourquoi la commission d'enquête du Sénat avait
proposé de substituer à l'ensemble des prélèvements
actuels sur les sociétés d'autoroute un impôt sur le
résultat d'exploitation associé au versement de dividendes, ce
système étant d'un rendement supérieur dès lors
qu'il serait couplé avec un allongement des concessions. Ces
propositions sont à l'étude par le gouvernement.
c) L'application de la directive " travaux " du 18 juillet 1989
L'arrêt récent du Conseil d'Etat relatif à
la
concession de l'autoroute A86 a montré qu'il aurait fallu recourir
à des appels d'offres européens pour l'attribution des
concessions dès juillet 1990, alors que la France n'a pas
appliqué cette règle jusqu'en décembre 1997.
La directive 93/97/CEE, dite directive " travaux ", qui
intègre les dispositions de la directive 89/440/CEE du 18 juillet
1989 et en effet applicable depuis le 20 juillet 1990. Refondue en 1993,
elle s'inscrit dans le contexte de l'ouverture européenne des
marchés publics.
La commission d'enquête du Sénat avait montré que cette
directive ne fait en droit aucun obstacle au libre choix du concessionnaire par
l'autorité publique, ni à la technique dite de
" l'adossement " (c'est-à-dire du financement des
constructions nouvelles par la prorogation de la concession des tronçons
déjà amortis), cette technique étant d'ailleurs
explicitement admise par la directive postérieure sur les péages.
Le gouvernement estime toutefois que
l'égalité de
traitement
des candidats en vertu du Traité de Rome rend
problématique la poursuite du financement des liaisons à
péage en recourant à l'adossement, dans la mesure où il
est difficile, compte tenu des nombreux paramètres à prendre en
compte (intensité du trafic, évolution des tarifs...), dont une
variation même faible peut entraîner des écarts importants
dans les résultats, de comparer une offre prévoyant une
subvention à une autre proposant l'allongement d'une concession
existante.
C'est pourquoi le gouvernement envisage, afin d'assurer la transparence des
choix, d'attribuer les nouvelles concessions autoroutières dans le cadre
d'un contrat particulier et de verser, si nécessaire, une subvention
assurant l'équilibre de la concession isolée.