ARTICLE 78
Modulation des tarifs des services publics
locaux
Commentaire : le présent article autorise la
fixation de
tarifs différenciés pour les services publics administratifs
à caractère facultatif en fonction du niveau de revenu des
usagers et du nombre de personnes vivant au foyer.
I. - UNE CONSÉCRATION LÉGISLATIVE DE LA JURISPRUDENCE
ADMINISTRATIVE
Le dispositif proposé par cet article vient en effet consacrer au
niveau législatif et de façon générale la
jurisprudence du Conseil d'Etat dans le domaine de la modulation des tarifs des
services publics administratifs à caractère facultatif
30(
*
)
.
En pratique,
cette disposition ne semble pas devoir modifier pas de
façon substantielle l'ordonnancement juridique, tel qu'il résulte
de la jurisprudence administrative, puisqu'elle s'analyse très largement
en une confirmation dans la loi les principes dégagés par cette
jurisprudence
, qui jusqu'à une date récente n'excluait plus
de cette faculté de modulation des tarifs en fonction des ressources des
familles que les conservatoires de musique, les motifs de cette exclusion
valant
a priori
pour l'ensemble des services à vocation
culturelle.
A. UNE DIFFÉRENCIATION TARIFAIRE ADMISE POUR LES SERVICES À
VOCATION SOCIALE ...
Il convient en effet d'indiquer que
la jurisprudence administrative a
progressivement admis le principe de discriminations tarifaires
en fonction
du niveau de revenu des usagers pour la plupart des services publics
administratif à caractère facultatif. La validité de ces
pratiques a ainsi été admise de façon certaine pour les
services à vocation sociale
tels que les cantines scolaires, les
crèches municipales ou encore les centres de loisirs.
Au sujet de ces services à vocation sociale, le Conseil d'Etat a en
effet admis clairement qu'il existait des
considérations
d'intérêt général en rapport avec l'objet du
service
justifiant le fait que soient pratiqués des tarifs
différenciés en fonction du niveau des ressources des usagers.
En revanche, le Conseil d'Etat était longtemps resté
opposé à une extension de ce raisonnement aux services publics
administratifs facultatifs à vocation culturelle. C'est ainsi qu'il
avait considéré que les différences de ressources entre
les familles ne constituaient pas des différences de situations
justifiant l'institution d'une modulation tarifaire pour accéder
à une école de musique (Conseil d'Etat, Section, 26 avril 1985,
Ville de Tarbes).
B. ... RÉCEMMENT ÉTENDUE AUX SERVICES À VOCATION
SOCIALE
A l'occasion de deux décisions du 29 décembre 1997, (Conseil
d'Etat, Section : n° 157425 Commune de Gennevilliers,
n° 157500 commune de Nanterre), le Conseil d'Etat a en effet
opéré un revirement de jurisprudence sur ce point.
Ainsi, le Conseil d'Etat a admis que
" le fonctionnement du
conservatoire de musique [de la commune] constitue un service public municipal
administratif à caractère facultatif ; qu'eu égard
à
l'intérêt général qui s'attache à
ce que le conservatoire de musique puisse être fréquenté
par les élèves qui le souhaitent, sans distinction selon leurs
possibilités financières
,
le conseil municipal [...] a pu,
sans méconnaître le principe d'égalité entre les
usagers du service public, fixer des droits d'inscription différents
selon les ressources des familles
, dès lors notamment que les droits
les plus élevés restent inférieurs au coût par
élève du fonctionnement de l'école ".
Ces décisions ouvraient ainsi la perspective d'une unification des
règles applicables à la modulation des tarifs des services
publics administratifs à caractère facultatif, qui ne seraient
plus distingués selon qu'ils aient une vocation sociale ou culturelle.
Le présent article vient confirmer cette unification des règles.
II. - LES MODIFICATIONS APPORTÉES PAR L'ASSEMBLÉE
NATIONALE : UNE MEILLEURE GARANTIE DE CONSTITUTIONNALITÉ
Sans qu'il soit question ici d'analyser la théorie
générale du principe d'égalité ou même
seulement celle du principe d'égalité devant le service public,
il convient d'évaluer la conformité de la présente
disposition aux principe d'égalité devant les charges publiques
en tant que celles-ci concernent la tarification des services publics.
A cet égard, il convient tout d'abord de rappeler qu'au sujet du
principe d'égalité, le juge constitutionnel possède une
jurisprudence très proche de celle du juge administratif :
" le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le
législateur
règle de façon différente des
situations différentes
ni à ce qu'il
déroge
à l'égalité pour des raisons d'intérêt
général
pourvu que
, dans l'un et l'autre cas,
la
différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct
avec l'objet de la loi qui l'établit
".
S'agissant plus précisément de la tarification des services
publics, le Conseil constitutionnel a déjà eu l'occasion de se
prononcer par une décision DC n° 79-107 du 12 juillet 1979
portant sur la loi n° 79-591 relative à certains ouvrages
reliant les voies nationales ou départementales. A l'occasion de
celle-ci, il a considéré que
" si le principe
d'égalité devant la loi implique qu'à situations
semblables il soit fait application de solutions semblables, il n'en
résulte pas que des situations différentes ne puissent faire
l'objet de solutions différentes ; qu'en précisant [...] que
l'acte administratif instituant une redevance
sur un ouvrage d'art
reliant des voies départementales
peut prévoir des tarifs
différents ou la gratuité, selon les diverses catégories
d'usagers, pour tenir compte soit d'une nécessité
d'intérêt général
en rapport avec les conditions
d'exploitation de l'ouvrage d'art,
soit de la situation particulière
de certains usagers
, et notamment de ceux qui ont leur domicile ou leur
lieu de travail dans le ou les départements concernés, la loi
dont il s'agit
a déterminé des critères qui ne sont
contraires ni au principe de l'égalité devant la loi ni à
son corollaire, celui de l'égalité devant les charges
publiques
".
En adjoignant à la rédaction initiale du présent article
l'indication selon laquelle ces différenciations tarifaires ne peuvent
pas faire " obstacle à l'égal accès de tous les
usagers au service ",
l'Assemblée nationale est fort justement
venue préciser la limite dans laquelle ce pouvoir peut s'exercer
et,
par la même, a contribué à garantir la
constitutionnalité de cette disposition.
Ce
critère de principe
vient donc renforcer le critère
" quantitatif " retenu par le juge administratif dans les deux
décisions du 29 décembre précitées admettant les
modulations tarifaires "
dès lors notamment que les droits les
plus élevés restent inférieurs au coût par
élève du fonctionnement de l'école "
et dont le
principe est repris par le deuxième alinéa du présent
article qui dispose que " les droits les plus élevés ainsi
fixés ne peuvent être supérieurs au coût par usager
de la prestation concernée ".
Il appartiendra aux autorités locales de faire application de ces
critères sous le contrôle du juge administratif qui dispose donc
d'une base législative pour veiller au respect de l'égal
accès au service public.
Votre commission des finances ne peut qu'approuver l'analyse et la
modification apportée par l'Assemblée nationale qui constitue en
quelque sorte un " dispositif anti-abus " contre toute
éventuelle pratique discriminatoire.
Décision de la commission : votre commission émet un avis
favorable à l'adoption de cet article.
LES TRAVAUX DE LA COMMISSION