ANNEXES
ANNEXE I :
COMPTE-RENDU DES AUDITIONS
PUBLIQUES
DU MERCREDI 15 OCTOBRE 1997
ANNEXE I :
COMPTE-RENDU DES AUDITIONS
PUBLIQUES
DU MERCREDI 15 OCTOBRE 1997
Présidence de M. Jacques Larché,
président
.
Au cours d'une première séance
tenue dans la matinée
, la commission a procédé
à des
auditions publiques
sur le
projet de loi n°11
(1997-1998) relatif à la
prévention
et à la
répression
des
infractions sexuelles
ainsi qu'à la
protection des mineurs victimes.
Après avoir souhaité la bienvenue à
M. Jacques
Bimbenet
,
rapporteur pour avis de la commission des affaires
sociales
,
M. Jacques Larché, président
, a
rappelé que la commission avait jugé utile, compte tenu de
l'importance du projet de loi, d'organiser une journée d'auditions
publiques pour permettre à des personnalités éminentes
d'apporter leur point de vue au législateur qui, dans ce domaine, aurait
à se montrer particulièrement prudent. Il a souligné
l'importance d'éviter de susciter certaines psychoses.
M. Charles Jolibois, rapporteur,
a rappelé les auditions
auxquelles il avait déjà procédé et dont le compte
rendu avait été distribué aux membres de la
commission : l'association pour la défense des usagers de
l'administration, le Barreau de Paris, l'association " Enfance et
sécurité ", l'association pour l'Enfance, les
représentants de plusieurs organisations professionnelles des
psychiatres, le conseil français des associations pour les droits de
l'enfant (COFRADE) et les rapporteurs du comité national
d'éthique.
Il a souligné le caractère délicat du sujet et la
complexité des problèmes à régler. Il a
rappelé qu'après la phase de répression de la faute
commise par les délinquants s'ouvrirait une phase post-pénale au
cours de laquelle un conflit pourrait apparaître entre la
nécessité des soins et la protection de la société.
Il a souhaité être en mesure de faire la synthèse
équilibrée et prudente des éclairages particuliers qui
apparaîtraient au cours de cette journée d'auditions.
La commission a procédé à l'
audition de Mme
Marie-Elisabeth Cartier, professeur de droit pénal à
l'Université de Paris II.
Mme Marie-Elisabeth Cartier
a rappelé que l'objet de la commission
qu'elle avait présidée était à la fois plus large,
puisqu'il concernait la prévention de toute récidive, et plus
étroit, puisqu'il ne s'intéressait qu'aux auteurs de crimes. Elle
a indiqué qu'au-delà du traitement des délinquants
sexuels, il importait d'améliorer au cours de la détention la
situation des criminels afin de mieux préparer leur sortie. Elle a
notamment estimé qu'un trafiquant de stupéfiants pouvait
être aussi dangereux pour des jeunes à sa sortie de prison qu'un
délinquant sexuel.
Elle s'est félicitée de l'application du texte aux auteurs de
délits. Après avoir évoqué les difficultés
d'ordre juridique suscitées par la notion de suivi post-pénal,
elle a approuvé la dénomination de " suivi
socio-judiciaire " proposée par le projet de loi qu'elle a
jugé préférable à celle de " suivi
post-pénal " suggérée par la commission qu'elle
présidait ou de " suivi médico-social " retenue dans le
projet de loi présenté par M. Jacques Toubon.
Elle a estimé que l'institution d'une peine complémentaire
était préférable au recours au sursis avec mise à
l'épreuve, d'ailleurs difficile à envisager en matière
criminelle. Face à l'érosion des peines due aux réductions
de peines ou aux grâces collectives, elle a fait observer que le suivi
socio-judiciaire répondait notamment à la volonté de
rentabiliser les réductions de peines. Elle a estimé logique que
cette peine complémentaire devienne facultative dès lors qu'elle
était étendue aux tribunaux correctionnels et que le juge avait
la possibilité de la prononcer comme peine principale.
Elle a rappelé que la mesure avait plusieurs facettes : surveillance ou
contrôle, d'une part, assistance ou aide à la réinsertion,
d'autre part.
Outre plusieurs observations sur les intitulés et la place de certaines
dispositions,
Mme Marie-Elisabeth Cartier
a formulé plusieurs
remarques sur le fond du texte. Elle a tout d'abord regretté que le
projet n'étende pas le suivi socio-judiciaire à un plus grand
nombre de délinquants, notamment aux trafiquants de stupéfiants.
Elle s'est ensuite interrogée sur la capacité du magistrat
d'apprécier lors de la condamnation initiale l'évolution
potentielle du condamné au cours de sa détention,
particulièrement en matière criminelle, compte tenu de la
durée des peines.
Par analogie avec les sanctions prévues en cas de violation d'une
interdiction de séjour ou de non-respect des obligations d'un travail
d'intérêt général, elle s'est prononcée en
faveur de la définition d'une nouvelle atteinte à
l'autorité de la justice qui permettrait à une juridiction de
sanctionner le non-respect du suivi socio-judiciaire. Elle a en effet
estimé que ni la juridiction saisie de l'infraction initiale, compte
tenu de la durée s'écoulant entre sa décision et la sortie
de prison, ni le juge de l'application des peines, dont le rôle serait
alors étendu à l'excès, ne devraient être
chargés de fixer la peine d'emprisonnement applicable au condamné
qui n'exécuterait pas ses obligations.
Elle a estimé que la faculté pour le tribunal correctionnel de
prononcer le suivi comme peine principale devait avoir pour corollaire
l'institution d'une nouvelle infraction, l'inexécution d'un suivi
socio-judiciaire, assortie d'une sanction particulière.
Elle a jugé excessives les mesures prises par certains des Etats
américains tendant, d'une part, à rendre publique par voie
d'affichage la présence d'un délinquant sexuel et, d'autre part,
à instaurer un suivi civil sans limitation dans le temps.
Elle a estimé que la création d'un fichier national des
délinquants sexuels, dès lors que la protection des
données serait assurée, pouvait jouer un rôle
préventif dans la mesure où il pourrait être
consulté par la police ou la justice. Elle s'est en revanche
déclarée hostile au principe d'un suivi civil des
condamnés, tel qu'il avait été autorisé par la Cour
suprême des Etats-Unis.
Elle a considéré utile d'envisager de proposer des soins au
moment de l'arrestation, période au cours de laquelle l'accusé
reconnaissait fréquemment les faits et serait plus réceptif
à la nécessité des soins avant qu'il n'emprunte le
" chemin du déni ".
En matière de bizutage,
Mme Marie-Elisaberth Cartier
a
estimé nécessaire, avant d'instaurer de nouvelles infractions,
d'effectuer l'inventaire des textes existants, et notamment de tenir compte de
la jurisprudence en matière de coups et blessures volontaires, qui
suffirait à la répression de certaines pratiques de bizutage.
Sur le tourisme sexuel, elle a approuvé l'extension des poursuites aux
Français se rendant dans des pays ne condamnant pas ces infractions,
mais s'est interrogée sur les difficultés liées à
l'application du droit pénal français aux étrangers
résidant en France et se rendant à l'étranger.
Elle a désapprouvé l'ouverture par l'article 18 d'une nouvelle
possibilité d'exercice de l'action civile par des associations.
A propos de l'article 32 bis du projet de loi, inséré par
l'Assemblée nationale sur un amendement de M. Pierre Mazeaud, elle a
indiqué qu'il répondait à l'inquiétude des victimes
et, se référant à l'exemple belge, elle a estimé
qu'il pouvait être utile que la justice ait un droit de regard sur la
sortie des personnes internées en service psychiatrique après
avoir été déclarées irresponsables
pénalement.
M. Jacques Larché, président,
a marqué l'importance
que Mme Marie-Elisabeth Cartier
avait attachée à la
terminologie ainsi que les observations qu'elle avait formulées sur
l'existence de dispositions permettant de réprimer le bizutage,
lorsqu'il prend des formes excessives.
M. Charles Jolibois, rapporteur,
soulignant la résistance des
médecins à l'idée que les soins pourraient être une
peine et rappelant qu'il s'agissait plutôt de sanctionner le non-respect
d'une obligation de se soigner, a pris acte de la qualification de peine
complémentaire donnée par Mme Marie-Elisabeth Cartier
.
Il
a marqué la difficulté pour la cour d'assises de prévoir
par avance la situation de la personne à l'issue de l'exécution
d'une longue peine, et le risque de la voir choisir le maximum prévu
pour cette sanction afin de protéger la société.
Mme Marie-Elisabeth Cartier
a estimé inévitable de
procéder à de nouvelles expertises à la sortie de prison
pour envisager la levée de la peine complémentaire ou le choix
des mesures de contrôle et d'assistance au nombre desquelles figure
l'injonction de soins. Rejetant la possibilité de procéder par
voie d'affichage, elle s'est interrogée sur les mesures à mettre
en place pour assurer un éventuel suivi de la domiciliation des
délinquants sexuels et donner aux autorités la possibilité
de prévenir les personnes qui entreraient en contact avec eux. Plus
généralement, elle s'est interrogée sur la mise en place
d'un code de l'exécution des peines et d'une juridiction de
l'exécution des peines.
En réponse à
M. Robert Badinter,
elle a jugé
souhaitable de pointer l'ensemble des textes susceptibles de sanctionner le
bizutage, se référant notamment à ceux relatifs aux
exhibitions sexuelles ou aux violences volontaires.
M. Charles Jolibois, rapporteur,
a indiqué qu'une circulaire
rappelant aux établissements scolaires les textes susceptibles de
s'appliquer au bizutage avait toutefois omis la mise en danger
délibérée d'autrui.
**
La commission a ensuite entendu les
docteurs Michel Lacour,
psychiatre à l'Hôpital de Poissy
et
Roland Coutanceau,
fondateur d'une antenne de psychiatrie et psychologie légale
réservée aux adultes à La Garenne-Colombes et
président de l'Association de psychiatrie et de psychologie
légale
.
M. Michel Lacour
, précisant qu'il s'exprimait comme simple
" psychiatre public de base ", a tout d'abord considéré
que le projet de loi avait été très sensiblement
amélioré par rapport à celui déposé en
janvier dernier par M. Jacques Toubon, passant " de l'insupportable au
discutable " et d'un " texte d'émotion et de
circonstances " à un " texte de réflexion ".
Il a ensuite relevé qu'en matière d'infractions sexuelles,
l'efficacité des soins n'était pas scientifiquement
démontrée. Il a estimé que subsistait une confusion entre
l'obligation d'un suivi et l'obligation de soins, cette dernière
n'étant fondée qu'à condition que des traitements
médicaux efficaces, existent, comme cela avait été le cas
pour la tuberculose ou la syphilis.
En tant que citoyen, il s'est cependant déclaré favorable
à l'obligation de mesures préventives, persuadé au
demeurant qu'elles pouvaient faire réfléchir nombre
d'intéressés.
Il a regretté que le texte ait quasiment occulté le coût de
ces mesures et passé sous silence les moyens nécessaires à
la création de centres de formation et de recherche, d'autant que la
généralisation des soins se fondait sur un postulat
d'efficacité, voire sur une obligation médicale de
résultat qui lui est apparue totalement illusoire.
Il a également craint qu'en dehors des délinquants sexuels
familiaux -où la récidive était très rare une fois
les enfants partis- les pervers authentiques trouvent une sorte d'alibi dans
l'injonction thérapeutique, dont ils feraient un " instrument
parapluie " sans, pour autant, que s'établisse entre eux et le
médecin une véritable relation psychothérapeutique. Il a
déclaré qu'en fait, aucun praticien ne pouvait jamais être
réellement certain d'avoir traité un pervers.
Il a jugé en revanche positifs plusieurs aspects du projet de loi, en
particulier le signal d'espoir délivré aux familles des victimes,
l'aspect préventif et la fixation d'un cadre légal contraignant
et cohérent qui pouvait au moins dissuader certains délinquants
sexuels de passer à l'acte.
Dans cette perspective, il a souhaité que le texte proposé pour
l'article 131-36-1 du code pénal soit rédigé de
manière plus pédagogique pour que les intéressés
prennent clairement conscience des mesures auxquelles leurs actes pouvaient les
exposer.
Eu égard à l'absence de certitude scientifique quant à
l'efficacité des soins, il a jugé indispensable que la loi
établisse plus clairement l'absence d'obligation de résultat
à la charge des médecins.
Il a de même espéré que le législateur prenne en
meilleur compte le coût réel du dispositif, à une
époque où les contraintes sur les budgets hospitaliers et le
numerus clausus sur les postes de spécialistes alourdissaient
déjà considérablement la charge des établissements
publics.
S'agissant de la délivrance d'attestations du suivi régulier des
soins et, le cas échéant, de la dénonciation en cas
d'interruption du traitement, il a craint que ces mesures faussent le rapport
entre le médecin et son patient, problème mettant moins en cause
le secret médical lui-même que l'authenticité de la
relation thérapeutique.
A propos des enregistrements vidéoscospiques de l'audition des victimes
mineures, sur le principe desquels il s'est déclaré très
favorable, il a jugé nécessaire de prévoir la destruction
des films au bout d'un certain temps, de manière à ce qu'ils ne
risquent pas de resurgir longtemps après, avec tout ce qu'ils pourraient
avoir de traumatisant pour les victimes devenues adultes depuis lors.
D'un point de vue général, il a souhaité qu'on ne passe
pas d'une logique de médicalisation des sorties à une logique de
judiciarisation partielle ou totale du suivi thérapeutique, ajoutant
qu'il avait lutté toute sa vie contre la psychiatrie carcérale.
M. Roland Coutanceau
a d'abord présenté quelques
statistiques montrant qu'en pratique, la récidive en dehors de tout
traitement médical restait finalement très limitée (moins
de 5 % chez les pères incestueux -en général des
beaux-pères dont le remariage avait été un prétexte
au moins inconscient pour assouvir leurs tendances- moins de 10 % pour les
violeurs de femmes adultes et entre 10 % et 20 % chez les pédophiles),
les statistiques du ministère de la justice allant dans le même
sens (viols, 3 à 5 %, attentats à la pudeur, environ 10 %, etc).
Ayant dressé un profil-type des délinquants sexuels (très
peu de névrosés et de psychotiques mais, pour l'essentiel, des
psychopathes, des immaturo-pervers manifestant un égocentrisme infantile
déniant l'altérité de l'autre), il a jugé
fondamental le rôle de l'expertise dans l'établissement du
diagnostic de la probabilité de récidive, donc de la
dangerosité sociale de l'intéressé.
Hors le cas des pédophiles, il a considéré que
globalement, les délinquants sexuels, sauf les pédophiles dans la
classification internationale, ne répondaient pas à la
définition du malade et qu'ils étaient sensibles à la
sanction judiciaire à condition qu'elle se pose clairement en termes
légaux et non médicaux.
Il s'est déclaré convaincu que ce type de délinquants
pouvaient parfaitement comprendre que la société se reconnaisse
le droit d'apprécier leur dangerosité et leur impose des
contraintes d'ordre préventif sous le contrôle de la justice,
alors qu'ils restaient en général indifférents à un
message les invitant simplement à se soigner.
Aussi s'est-il déclaré partisan d'un suivi criminologique
plutôt que thérapeutique.
Il a souligné à cet égard que beaucoup de
délinquants sexuels niaient les faits et qu'à leur égard,
une prise en charge thérapeutique lui paraissait totalement
dépourvue de fondement, d'autant que d'après les statistiques,
seulement 10 % des intéressés demandaient
spontanément à être soignés, les autres refusant le
suivi médical (environ 20 %) ou ne l'acceptant que sous la contrainte.
Soulignant que si chacun était porteur de ses propres fantasmes, seul un
petit nombre d'individus passaient à l'acte, il a fait observer que la
spécificité de la psychiatrie légale était
précisément d'analyser les mécanismes de ce passage
à l'acte et d'en déduire, chez les délinquants sexuels, le
risque de la récidive. Il a ajouté que pour y parvenir, il
fallait absolument que le psychiatre légal ait accès au dossier
judiciaire des intéressés.
Partant toujours du constat que le taux de récidive demeurait
réduit, il a jugé souhaitable que la loi n'institue pas
d'obligations générales et systématiques mais permette de
se focaliser sur les situations à risque, en particulier pour les
délinquants niant les faits.
En tant que psychiatre médico-légal, il a estimé que
c'était aux experts d'éclairer le juge sur les mesures à
prendre au cas par cas, des mesures sociales pouvant d'ailleurs se
révéler aussi efficaces qu'un suivi médical proprement dit
(par exemple, une interdiction professionnelle pour les pédophiles
n'agissant qu'en milieu éducatif mais incapables d'agresser un enfant
dans un autre cadre).
Dans cette perspective, il a considéré que le dispositif que la
société était parfaitement fondée à mettre
en place pour prévenir la récidive devait comporter deux volets :
une injonction de soins pour les individus réellement passibles d'un
traitement médical et une obligation de suivi sous contrôle
judiciaire pour les autres (les auteurs niant les faits, en particulier).
Pour que le texte soit réellement applicable sur le terrain, il a
préconisé d'autre part que la loi soit axée sur des
" mesures ciblées ".
Il s'est déclaré défavorable à la double expertise
systématique, peu utile et beaucoup trop coûteuse, jugeant
préférable que, sauf exception, l'expertise soit confiée
à un seul spécialiste parfaitement formé à cette
tâche, l'expert, dans certains cas, pouvant d'ailleurs être un
médecin plutôt qu'un psychiatre.
Il a également estimé qu'eu égard à sa
spécificité, l'acte d'expertise psychiatrique pénale
devait jouir d'un statut fiscal adapté, ajoutant que le ministère
de la santé devait disposer de crédits à cette fin, faute
de quoi on continuerait de considérer que ces expertises faisaient
supporter au budget de la santé des dépenses qui, normalement,
devraient être imputées sur le budget de la justice.
Enfin, à propos des enregistrements vidéoscopiques, il a
considéré que l'essentiel était moins d'éviter
plusieurs dépositions des victimes que de procéder à ces
auditions avec le plus grand tact, par des adultes spécialement
formés à cette tâche.
Il a jugé que sur ce point, l'enregistrement vidéoscopique devait
demeurer une simple option proposée aux parents de la victime mineure.
M. Jacques Larché, président,
après avoir
remercié les deux intervenants pour la qualité de leurs
exposés, s'est déclaré favorablement surpris par les taux
cités de récidive, somme toute bien moindres qu'on le supposait
ordinairement.
M. Michel Lacour
a fait observer que le taux de récidive
réel demeurait difficile à évaluer, les données
déduites du casier judiciaire ne rendant peut-être pas exactement
compte des réalités, surtout pour les faits de pédophilie
dans le cadre familial.
M. Jacques Bimbenet, rapporteur pour avis au nom de la commission des
affaires sociales,
déclarant se placer sur le seul terrain de la
santé publique, a souhaité savoir :
- si les traitements chimiques comportaient des contre-indications
médicales ;
- s'il existait des cas de dissimulation où des personnes auraient feint
d'accepter un traitement médical avec l'idée de l'interrompre
dès que possible ;
- s'il était envisageable pour des médecins de dénoncer
une personne qui cesserait de se présenter aux consultations et si les
médecins qui n'auraient pas satisfait à leur obligation d'alerte
engageraient leur responsabilité personnelle.
M. Roland Coutanceau
a répondu que les traitements hormonaux,
outre qu'ils comportaient en effet certaines contre-indications
médicales, ne pouvaient être prescrits que dans un nombre
très limité des cas, la délinquance sexuelle
n'étant pas générée par un excès hormonal
mais par des fantasmes obsédants altérant les relations entre
l'individu et les autres. Il a estimé que l'agression sexuelle
était une pathologie de la relation humaine, dans laquelle
l'androgène jouait un rôle accessoire. Il a néanmoins
signalé que l'administration de certains antidépresseurs
utilisés dans le traitement d'autres maladies mentales était
expérimentée.
M. Michel Lacour
s'est quant à lui déclaré
réservé sur la dénonciation, ne se considérant
délié du secret médical que si l'individu
présentait un danger patent et immédiat.
M. Charles Jolibois, rapporteur,
a demandé si une juridiction
était réellement en mesure d'imposer une durée
précise de suivi socio-judiciaire et si, sur ce point, l'expertise
pouvait l'éclairer utilement.
M. Michel Lacour
a estimé qu'en dehors de la pédophilie en
milieu familial, la délinquance sexuelle se développait à
partir de représentations mentales quasiment ineffaçables, le
suivi ne pouvant dès lors être envisagé que sur une
durée très longue.
M. Roland Coutanceau
a néanmoins fait observer que le passage
à l'acte n'était jamais une fatalité et que le travail du
psychiatre était précisément d'apprendre aux individus
à gérer leurs fantasmes sans passage à l'acte. Aussi
a-t-il estimé que la durée des mesures prescrites par le juge ne
pouvait être appréciée dans l'absolu. Il a
considéré comme citoyen qu'elle devait en tout état de
cause demeurer limitée.
En réponse à une nouvelle question de
M. Charles Jolibois,
rapporteur, M. Roland Coutanceau
a précisé qu'à son
avis, l'option de recourir à l'enregistrement vidéoscopique
devait être laissée au représentant légal de la
victime mineure.
**La commission a ensuite entendu
M. Philippe Jeannin, Procureur de la
République près le tribunal de grande instance de Meaux
et
M. Yvon Tallec, premier substitut, chef de la douzième section
du parquet des mineurs de Paris
.
M. Philippe Jeannin
a indiqué que l'intervention du parquet en la
matière se situait à trois niveaux : assurer la
fiabilité des signalements des infractions, favoriser la prise en charge
des victimes et élaborer une réponse judiciaire adéquate.
Il a indiqué que de nombreux textes avaient favorisé la
coordination des signalements notamment la loi du 10 juillet 1989 sur la
protection des mineurs. Il a indiqué qu'à l'heure actuelle
80 % des infractions lui étaient signalées par les services
de l'éducation nationale ou du département.
Il a souligné la mobilisation des parquets en réponse aux
réseaux d'associations de protection des intérêts des
victimes.
Il a approuvé la généralisation de point de départ
du délai de prescription de l'action publique à partir de la
majorité du mineur victime sans plus distinguer les liens
éventuels entre l'auteur et la victime. Il a en revanche regretté
que, pour certains délits, agressions et atteintes sexuelles, une
prescription de dix ans ait été envisagée pour des
infractions de degrés très divers ne justifiant pas
nécessairement une telle durée.
Il a marqué sa préférence pour la
généralisation du départ du décompte à la
majorité avec un délai de prescription de dix ans pour les crimes
et de trois ans pour les délits.
S'agissant du tourisme sexuel,
M. Philippe Jeannin
s'est
interrogé sur les difficultés d'application aux résidents
et sur la possibilité de couvrir par ce texte le cas d'un enseignant
exerçant à l'étranger.
A propos de l'accueil des victimes, il a approuvé la prise en compte par
le projet de loi de la pratique des parquets pour l'échange
d'informations avec les juges d'instruction et les juges des enfants dont il a
rappelé qu'ils étaient saisis systématiquement lorsque le
mineur ne pouvait demeurer dans sa famille.
Il a souhaité que, sous réserve de moyens supplémentaires,
le tuteur " ad hoc " puisse être nommé dès le
début de l'enquête pour lui permettre d'accompagner le mineur
pendant le déroulement des auditions et expertises. Il a fait
référence à l'expérience déjà riche
des maisons de la justice et du droit ou des antennes de justice en
matière d'accueil des victimes et précisé qu'une formation
adaptée avait été mise en place à cet effet
à Meaux. Il a également souligné le développement
d'une défense spécialisée des mineurs au sein des barreaux.
Il a estimé que l'enregistrement vidéo de la déposition du
mineur pouvait constituer un progrès compte tenu des garanties
données par la loi qu'il a néanmoins jugées complexes
à mettre en oeuvre notamment au regard des droits de la défense.
Il a toutefois souhaité que l'enregistrement demeure facultatif car il
ne permettrait pas toujours d'éviter d'effectuer des confrontations.
Dans ce cas, il a estimé que la présence du tuteur ad hoc
donnerait une garantie au mineur victime tout en précisant que certains
magistrats refusaient parfois la présence de l'adulte responsable dont
la situation peut être ambiguë.
Il a toutefois considéré que dans les nombreux cas où
l'auteur reconnaissait les faits et ne variait pas, l'enregistrement
vidéo pourrait constituer l'unique audition du mineur.
Il s'est préoccupé de la coordination et du financement des
moyens nécessaires pour recevoir et suivre les victimes.
Il a souligné la faiblesse des moyens disponibles pour assurer un suivi
de type criminologique, notamment pour les éventuelles interdictions
faites aux délinquants de paraître dans des lieux
fréquentés par les mineurs. Il a estimé que si le
contrôle était praticable pour les interdictions relatives
à l'exercice d'une profession, voire pour celles destinées
à protéger des victimes dénommées, il serait en
revanche difficilement mis en oeuvre à l'égard d'autres lieux
publics fréquentés par les enfants. A l'égard de
l'injonction de soins, dans l'hypothèse où une nouvelle
juridiction serait compétente en cas d'inobservation de l'obligation, il
a estimé souhaitable de donner au Parquet la possibilité de la
saisir.
M. Jacques Larché, président,
a souligné
l'excellence des relations susceptibles de s'établir entre Parquet et
conseils généraux. Il a relevé l'importance de la prise en
compte des droits de la défense dans le traitement de l'enregistrement
vidéo.
M. Yvon Tallec
a indiqué que sur 986 affaires traitées par
sa section en 1996, la moitié avait concerné des violences
sexuelles à l'égard de mineurs et que plus des trois quarts
d'entre eux avaient moins de 15 ans. Il a constaté un accroissement
annuel de 8,2 % de ces infractions et une baisse de l'âge des victimes.
Il a indiqué que 38,9 % des auteurs avaient un lien familial ou avaient
autorité sur la victime et que 25 % des auteurs étaient
eux-mêmes des mineurs.
Il s'est préoccupé de la difficulté pour le Parquet de
recueillir les informations nécessaires pour requérir la mesure
de suivi socio-judiciaire. Il a marqué l'insuffisance des moyens et
l'accroissement des délais pour la mise en oeuvre des mesures
complémentaires telles que le sursis avec mise à l'épreuve
ou le travail d'intérêt général. Il a
souhaité voir traiter cette question lors de l'examen du budget de la
justice.
Il a souligné la nécessité d'améliorer le
" phasage " de la procédure mise en place par le projet de
loi. Lorsque le suivi socio-judiciaire est requis à titre de peine
principale, il a estimé que l'immédiateté de
l'exécution de la mesure permettait à la juridiction de se
prononcer en connaissance de cause. En revanche, il lui a paru
préférable de renvoyer à la juridiction initiale
plutôt qu'au juge d'application des peines l'appréciation, au vu
de nouvelles expertises, de la mise en place de la peine complémentaire
à l'issue de l'accomplissement d'une peine d'emprisonnement qui peut
durer quinze ans, voire davantage.
Favorable au rééquilibrage de l'échelle de certaines
peines effectué par l'Assemblée nationale, il a
suggéré de compléter l'article 227-27 du code pénal
pour créer une circonstance aggravante susceptible de freiner
l'entrée dans la prostitution des mineurs fugueurs de quinze à
dix-huit ans. Il a regretté l'abandon en première lecture par
l'Assemblée nationale de l'infraction de détention de
cassette-vidéo à caractère pornographique mettant en
scène des mineurs, en faisant état des limites de la poursuite
des détenteurs de telle cassette par le biais du recel.
Il a plaidé pour la fixation d'une rémunération des
administrateurs ad hoc aujourd'hui bénévoles qui ne
bénéficieraient pas du remboursement de leurs frais.
Marquant son intérêt particulier pour l'enregistrement
vidéo de l'audition des victimes, il a souhaité qu'il soit
étendu à l'ensemble des cas de maltraitance des mineurs dont il a
rappelé qu'ils ne se limitaient pas aux violences sexuelles. Il a
toutefois marqué une réserve à l'égard de l'impact
des images et souhaité voir préciser la rédaction des
dispositions relatives au nombre d'enregistrements ou de copies, au moment de
l'enregistrement, à sa protection et à son utilisation. Il a
estimé que copies et originaux devraient être placés sous
scellés et ne pouvoir être visionnés que dans le cabinet du
juge d'instruction.
Sur le bizutage, il a contesté l'intérêt de la nouvelle
disposition proposée en indiquant qu'il y avait en pratique toujours
" violence ". Il a suggéré de prévoir
plutôt à l'article 222-13 du code pénal une circonstance
aggravante pour les infractions commises en milieu scolaire.
En réponse à
M. Charles Jolibois, rapporteur, MM. Philippe
Jeannin et Yvon Tallec
ont estimé que le procureur pourrait
être compétent pour nommer le tuteur ad hoc en début
d'enquête sans procédure d'appel.
M. Philippe Jeannin
a rappelé que ces procédures
étaient traitées en temps réel.
M. Yvon Tallec
a indiqué que le texte était à l'heure actuelle
incohérent puisqu'il faisait apparaître le tuteur lors de
l'enregistrement vidéo alors qu'il n'était nommé qu'au
stade de l'instruction. Il a en outre estimé que l'avis du mineur
devrait être recueilli préalablement à l'enregistrement et
que le parquet devrait pouvoir passer outre à un éventuel refus
du représentant légal.
En réponse à
M. Philippe de Bourgoing, MM. Yvon Tallec et
Philippe Jeannin
ont marqué une préférence pour
l'appellation d'administrateur ad hoc.
En réponse à
M. Michel Dreyfus-Schmidt
qui se
préoccupait des droits de la défense,
M. Yvon Tallec
a
précisé que le juge d'instruction pourrait décider de
procéder à l'ouverture des scellés ;
M. Philippe
Jeannin
a estimé quant à lui que la vidéo serait
vraisemblablement considérée comme une pièce du dossier
plutôt que comme une pièce à conviction et qu'il faudrait
en conséquence organiser un accès pour la défense qui
permette d'éviter une diffusion inconsidérée de la
vidéo.
**Puis, la commission des Lois a entendu le
Dr Claude Balier,
président d'une commission qui a inspiré le projet de loi et
fondateur du service médico-psychologique régional de la prison
de Varces (Isère)
.
Le
Dr Claude Balier
a indiqué que son exposé reposait sur
quinze années d'expériences de chef de service à la maison
d'arrêt de Varces.
Il a rappelé avoir conduit en 1996, à la demande de la direction
générale de la santé, une réflexion sur le suivi
médical des auteurs d'infractions sexuelles, portant sur un
échantillon de 176 délinquants sexuels
incarcérés dans 17 sites. Sur ces
176 délinquants, 65 % avaient été coupables
d'agressions sur mineurs consistant pour la moitié des cas dans des
viols. Dans 35 % des cas, l'agression avait été commise sur
un adulte.
Le
Dr Claude Balier
a estimé qu'on ne naissait pas pervers, ce
terme devant être évité en raison de sa connotation morale,
que le délinquant sexuel avait la plupart du temps subi un grave
traumatisme et que, en conséquence, savoir ce qui se passait
profondément chez le sujet c'était déjà pouvoir le
soigner.
Le
Dr Claude Balier
a estimé que 30 % au moins des
délinquants sexuels avaient fait l'objet d'abus sexuels dans leur
enfance. Il a insisté sur le fait que les relations parentales
déficitaires étaient à l'origine d'un traumatisme
précoce, d'où il résultait un problème
d'identité puisque la victime apparaissait ensuite comme agresseur.
Il a fait observer que le délinquant sexuel avait un comportement
extérieur satisfaisant et qu'il fallait donc aller au-delà de
simples rencontres périodiques en mettant la personne devant ses
responsabilités.
Il a souligné que les infractions sexuelles traduisaient non une
maladie, mais un trouble du comportement lié à un vide
relationnel.
Evoquant ensuite le problème de la récidive, le
Dr Claude
Balier
a indiqué que le tiers des 176 personnes avaient
déjà été incarcérées, dont la
moitié pour des actes délictuels, le plus souvent commis juste
après l'adolescence. Il a ajouté que la rédicive
s'accompagnait d'une aggravation des actes commis comme si cette escalade
marquait l'impossibilité d'une solution satisfaisante.
Le
Dr Claude Balier
a ensuite évoqué la question du suivi
socio-judiciaire. Il a souligné que 15 % des agresseurs niaient les
faits, rendant ainsi les médecins impuissants devant leur cas. Dans ce
cas de figure, une peine systématique de suivi médical
s'avérerait inutile alors même qu'il s'agissait des cas les plus
graves. En revanche, 10 % seulement des personnes ayant fait l'objet de
l'enquête avaient demandé un suivi.
Le
Dr Claude Balier
a estimé dangereux de penser qu'un traitement
hormonal puisse suffire dans la mesure où ce traitement n'avait pas
d'effet curatif et ne règlait donc pas définitivement le
problème de la récidive. Il a par ailleurs insisté sur la
nécessité de ne pas confondre le traitement et le suivi
socio-judiciaire.
Il a estimé souhaitable de susciter une relation thérapeutique,
soulignant que le traitement de fond devrait être engagé en maison
d'arrêt avant même le jugement et déboucher sur un suivi de
longue haleine.
Enfin le
Dr Claude Balier
a évoqué le problème de
la formation des experts intervenant dans les établissements, jugeant
ceux-ci désemparés devant l'ampleur des questions à
régler.
**La commission a ensuite entendu
M. Pascal Faucher, président
de l'association nationale des juges de l'application des peines
et
M. Godefroy du Mesnil du Buisson, vice-président de cette
association.
M. Pascal Faucher
a d'abord indiqué que son discours serait
cohérent avec celui des psychiatres que la commission avait entendus
précédemment et sans doute avec celui des victimes qu'elle
entendrait par la suite.
M. Pascal Faucher
a fait observer que son expérience
d'assesseur au sein des juridictions de jugement lui permettait d'avoir une vue
d'ensemble de la question.
Soulignant qu'une juste peine devait s'entendre comme une peine à
réajuster en fonction des nécessités, il s'est
interrogé ensuite sur les solutions à adopter pour les personnes
concernées à leur sortie de prison.
Il a approuvé globalement le projet de loi.
Au sujet des pères incestueux,
M. Pascal Faucher
a
indiqué que la sanction pénale introduisait une barrière
réelle à la récidive puisque les drames familiaux
sanctionnés par les tribunaux débouchaient rarement sur un
renouvellement des faits. Aussi a-t-il estimé qu'il pourrait suffire de
rappeler périodiquement à ces personnes, dans le cadre d'un suivi
socio-judiciaire, les risques qu'elles encourraient en cas de récidive.
Il s'est déclaré favorable à la possibilité pour le
juge de l'application des peines de prendre des décisions
exécutoires d'incarcération dans l'hypothèse où les
mesures prévues dans le cadre d'un suivi socio-judiciaire n'auraient pas
été respectées.
Il a fait le parallèle avec la procédure du sursis avec mise
à l'épreuve dans laquelle la sanction pour inexécution ne
peut intervenir qu'au terme d'une procédure trop lourde pour être
efficace.
M. Pascal Faucher
a souligné que le projet de loi
améliorait de manière fort opportune la coordination entre la
juridiction, le médecin et le juge de l'application des peines
évitant ainsi que ne s'écoulent plusieurs mois avant que le juge
de l'application des peines ne connaisse du dossier déjà
traité par la juridiction.
M. Pascal Faucher
a exposé les critiques encourues selon lui par
le projet de loi.
Après avoir estimé que, face à la diversité des
personnalités et des auteurs, la juridiction ne devait pas être
obligée de prononcer le suivi socio-judiciaire, il a souligné que
le bénéfice des réductions de peine devait
nécessairement être lié à une démarche
positive du délinquant et que cette perspective pouvait notamment
l'inciter à suivre un traitement.
Il a ensuite insisté sur la réalité carcérale en
prenant exemple sur les difficultés d'application de la loi du
1er février 1994 concernant la " perpétuité
réelle ". Rappelant que selon cette loi, les condamnés
concernés devaient être placés dans des
établissements spécialisés, il a fait observer que le
décret d'application avait classé, face à la carence des
moyens, la quasi-totalité des établissements en
établissements spécialisés.
Il a en conséquence relevé que la plupart des
établissements pénitentiaires n'étaient pas suffisamment
fournis en personnel spécialisé pour entreprendre un travail de
fond efficace et a jugé indispensable de prévoir les moyens
correspondants à la mise en oeuvre de la loi. Il a notamment
estimé contradictoire de demander à un détenu de suivre
des soins et de ne pas lui permettre effectivement de les suivre faute de
moyens.
M. Pascal Faucher
a estimé qu'une simple réforme du
sursis avec mise à l'épreuve aurait pu suffire à un
traitement satisfaisant du problème posé par le projet de loi.
Il a indiqué que, pour 180 juridictions, il n'y avait que
177 juges de l'application des peines répartis sur une centaine de
tribunaux, ce qui avait pour conséquence, dans 80 juridictions, de
contraindre les autres magistrats à faire fonction de juge de
l'application des peines. Il a fait valoir que chaque année
160.000 mesures devaient être suivies par les juges de l'application
des peines, ce qui conduisait dans les faits un nombre d'entre eux à
renoncer purement et simplement à suivre certains dossiers.
M. Pascal Faucher
a souligné les difficultés
résultant de l'introduction d'une peine avec un suivi à
poursuivre sur de longues périodes (de cinq à dix ans), laquelle
risquait de ne pouvoir être traitée de manière
satisfaisante faute de moyens.
Il a ensuite suggéré plusieurs modifications au projet de loi.
Il a considéré que l'exigence d'une double expertise avant le
prononcé de l'injonction de soins, introduite par l'Assemblée
nationale, ne pourrait pas être utilement suivie faute de la
possibilité de trouver sur place des experts en nombre suffisant.
S'agissant de la disposition du projet de loi conférant au juge pour
enfants les compétences du juge de l'application des peines
jusqu'à l'âge de 21 ans à partir duquel le juge de
l'application des peines interviendrait,
M. Pascal Faucher
a
regretté son manque de souplesse. Il a en effet regretté que le
juge pour enfants cesse subitement de traiter le dossier d'une personne qui
atteindrait son 21ème anniversaire alors même que le suivi
devrait s'arrêter quelques mois après. En conséquence, il a
proposé de se limiter à permettre au juge pour enfants de se
désister en faveur du juge de l'application des peines.
Par ailleurs,
M. Pascal Faucher
a regretté que le projet
transmis au Sénat ne précise pas clairement le point de
départ de la mesure de suivi lorsqu'elle constitue une peine principale.
Il a proposé de préciser qu'elle débuterait dès que
la condamnation serait exécutoire.
M. Godefroy du Mesnil du Buisson
s'est réjoui de ce que le projet
de loi aménage une meilleure information du thérapeute et, par
voie de conséquence, du juge de l'application des peines. Cette
meilleure information lui a paru de nature à apporter une réponse
plus cohérente et plus efficace à chaque problème.
Il a rappelé que le projet de loi permettrait de proposer un traitement
au condamné mais que cette disposition risquait de ne pas recevoir une
application suffisamment effective, faute de moyens.
M. Michel Dreyfus-Schmidt
a demandé au Dr Claude Balier si la
possibilité pour le médecin coordonnateur de s'opposer au choix
du médecin traitant ne posait pas un problème
déontologique ?
Le
Dr Claude Balier
a répondu que le médecin
coordonnateur, défini par la loi comme un expert, devait se placer du
côté des thérapeutes. Il a indiqué qu'on pourrait
éventuellement prévoir la nomination d'un médecin dans
chaque département par la direction générale de la
santé.
Il a fait valoir que, d'après son expérience, les
délinquants envoyés chez le médecin de leur choix se
rendaient parfois chez n'importe quel spécialiste, ce qui
s'avérait évidemment inefficace.
M. Michel Dreyfus-Schmidt
s'est interrogé sur l'efficacité
d'une réforme qui se limiterait au sursis avec mise à
l'épreuve s'agissant des personnes incarcérées.
En réponse,
M. Pascal Faucher
a indiqué que le suivi
socio-judiciaire intervenait après la libération.
M. Charles Jolibois, rapporteur
, a rappelé qu'il convenait de
distinguer deux logiques distinctes : d'une part, pendant
l'incarcération, l'incitation aux soins ; d'autre part,
après l'incarcération, le suivi socio-judiciaire.
M. Michel Dreyfus-Schmidt
a demandé s'il ne serait pas
souhaitable de prévoir le regroupement de toutes les personnes devant
être suivies dans un même établissement
spécialisé.
M. Pascal Faucher
a répondu que l'insuffisance des moyens
conduirait probablement à classer la majeure partie des
établissements en établissement spécialisés, comme
cela avait été décidé pour les
établissements spécialisés prévus par la loi de
1994.
M. Michel Dreyfus-Schmidt
a ensuite interrogé M. Pascal Faucher
sur la nécessité de la participation du juge de l'application des
peines au débat avec les différentes parties prenantes compte
tenu des charges lourdes qu'il assumait par ailleurs.
M. Pascal Faucher
a répondu que le débat ne
concernerait qu'un petit nombre de situations et qu'il ne serait pas source
d'un travail supplémentaire considérable le dossier étant
de toute façon déjà constitué par le tribunal
correctionnel.
M. Michel Dreyfus-Schmidt
a également interrogé M.
Pascal Faucher sur l'opportunité de l'intervention du juge des
enfants à la place du juge de l'application des peines pour les
personnes de moins de 21 ans.
M. Pascal Faucher
a répondu que sa proposition contenait la
possibilité pour le juge des enfants de se dessaisir en fonction de son
appréciation de la situation.
M. Jacques Larché, président
, a rappelé que le juge
des enfants était compétent pour les mineurs et les " jeunes
majeurs ", à savoir ceux âgés de moins de 21 ans.
M. Pierre Fauchon
, faisant référence aux travaux de la
mission d'information sur les moyens de la justice dont il avait
été le rapporteur, s'est interrogé sur le nombre de juges
de l'application des peines qui serait nécessaire pour leur permettre de
remplir efficacement leurs différentes missions.
M. Pascal Faucher
lui a indiqué que, au début des
années 1970, le ministère de la justice avait calculé
qu'il conviendrait d'avoir un juge d'application des peines pour
800 personnes en milieu ouvert et un juge pour 500 personnes en
milieu fermé.
Il a regretté que la pénurie de magistrats conduise nombre de
juges de l'application des peines à accomplir des tâches de
remplacement au lieu de leurs fonctions spécifiques.
M. Jacques Larché, président
, a rappelé en
conclusion qu'il n'était pas possible de mettre une réforme en
application sans en avoir prévu les moyens correspondants. Il a
regretté que le projet soit silencieux sur les moyens dont le
ministère de la santé aurait besoin pour mettre en oeuvre la
législation nouvelle.
Il a rappelé que le problème d'une législation nouvelle
non accompagnée des moyens, phénomène
dénoncé par la commission sur tous les bancs, était
récurrent comme l'avait confirmé l'exemple de la réforme
de la cour d'assises. Il a indiqué qu'il interrogerait le Gouvernement
à ce sujet.
**Puis la commission a entendu
Mme Maggy Leroy-Hyest, médecin
conseiller auprès de l'Inspecteur d'Académie, responsable du
service de promotion de la santé en faveur des élèves de
Seine-Saint-Denis.
Mme Maggy Leroy-Hyest
a tout d'abord indiqué que les médecins
du service de promotion de la santé en faveur des élèves
de Seine-Saint-Denis avaient reçu cette année 1.553 appels
relatifs à des enfants en danger, nombre en progression de 43 %
depuis cinq ans, et que parmi ces appels, 82 concernaient des suspicions d'abus
sexuels, soit plus de deux par semaine.
Elle a précisé que selon le degré de gravité et
d'urgence, un choix était fait entre un signalement immédiat au
procureur de la République et au service d'aide sociale à
l'enfance, ou une concertation préalable entre les différents
intervenants auprès de l'enfant.
Elle a, par ailleurs, noté une augmentation préoccupante du
nombre de jeunes agressés par d'autres jeunes.
Mme Maggy Leroy-Hyest
a ensuite expliqué qu'en Seine-Saint-Denis,
des comités de lutte contre les abus sexuels avaient été
mis en place afin d'organiser des séances de prévention dans les
écoles et établissements, et qu'à l'occasion de ces
séances, certains enfants révélaient des maltraitances ou
des abus sexuels. D'une manière générale, elle a
constaté que les révélations étaient le plus
souvent faites aux enseignants ou aux chefs d'établissement qui
faisaient le cas échéant appel aux médecins scolaires pour
la rédaction des signalements, le soin de l'interrogatoire proprement
dit étant bien entendu laissé à la police et à la
justice.
Elle a en outre précisé que la famille était alors
prévenue, sauf en cas de violences intra-familiales, et qu'un soutien
psychologique était proposé pour apaiser les traumatismes
éventuels.
Mme Maggy Leroy-Hyest
a cependant regretté que les
médecins scolaires, appelés à faire face également
au développement de la violence scolaire, aient de plus en plus de
difficultés à assurer les tâches habituelles de
santé scolaire.
Elle a en outre déploré que les suites données à un
signalement ne soient pas connues de l'école ou de
l'établissement, d'où une impossibilité pour le
médecin scolaire d'assurer un suivi efficace des jeunes victimes.
En conclusion, elle a considéré qu'une réponse efficace au
" fléau " de la maltraitance et des abus sexuels reposait
sur
une amélioration portant tout à la fois sur les conditions de
prévention, de révélation, de signalement,
d'accompagnement dans le suivi scolaire et enfin, de l'action judiciaire.
Elle a enfin insisté sur la nécessité de développer
la formation des enseignants et des personnels médico-sociaux sur ces
questions.
A l'issue de cette intervention, le
président Jacques
Larché
a fait observer que l'accroissement du nombre de cas d'abus
sexuels tenait en partie au fait que les tabous existant sur ces sujets
avaient été levés.
Tout en s'associant à cette remarque,
M. Jacques Mahéas
a
fait remarquer qu'on observait en Seine-Saint-Denis des agissements qui
n'existaient pas auparavant. Il s'est en outre interrogé sur les moyens
de lutter contre le développement en milieu scolaire d'infractions comme
les violences ou le trafic de stupéfiants.
Considérant qu'on était en présence d'un véritable
fléau, il a demandé quelles actions pourraient être
engagées, notamment par l'éducation nationale.
En réponse,
Mme Maggy Leroy-Hyest
a insisté sur
l'importance des actions menées en partenariat entre les
différents intervenants concernés.
**
Au cours d'une seconde séance tenue dans l'après-midi
,
la commission a ensuite entendu
M. Gérard Devis, proviseur du
Lycée Pothier d'Orléans
.
Après avoir rappelé que le Lycée Pothier d'Orléans
avait récemment connu une affaire de bizutage remarquée par les
médias,
M. Gérard Devis
a souhaité qu'un cadre
juridique clair soit défini pour permettre de mener une information
à l'égard des jeunes et pour opérer une distinction
précise entre la loi et le règlement intérieur des
établissements.
En dépit de l'organisation de réunions d'accueil et de
l'incitation des élèves à briser la " loi du
silence ", il a constaté que des comportements transgressifs
subsistaient.
Soulignant le caractère vague de la notion d'atteinte à la
dignité individuelle prévue dans le projet de loi, il a
insisté sur la nécessité de définir clairement la
distinction entre le permis et l'interdit ainsi qu'entre les faits relevant de
sanctions pénales et ceux passibles de simples sanctions disciplinaires.
Il a admis que la " loi du silence ", ainsi que la peur de
la
médiatisation, ont amené à masquer la
réalité pour étouffer certaines affaires, mais il a
considéré que les mentalités avaient cependant
évolué sur ce point.
En conclusion,
M. Gérard Devis
a estimé que l'adoption
d'une loi nouvelle -ou à tout le moins la réactivation des textes
actuels- pourrait avoir un effet positif en faisant comprendre que la loi
s'appliquait aussi à l'intérieur des établissements
scolaires.
Après avoir rappelé, en réponse à une question du
président Jacques Larché
, qu'il avait été
récemment amené à sanctionner un élève dans
une affaire de bizutage, il a précisé à l'intention de
M. Charles Jolibois, rapporteur
, qu'il avait la possibilité
d'intervenir sur le plan disciplinaire par des sanctions allant du simple
avertissement à l'exclusion temporaire ou définitive après
passage devant le conseil de discipline, ou encore d'avertir le procureur de la
République. Il a cependant souligné la nécessité
d'une formation des chefs d'établissement pour leur permettre
d'apprécier la distinction entre une faute disciplinaire et un acte
pénalement répréhensible.
Notant qu'une circulaire récente avait énuméré les
sanctions pénales existantes notamment en cas de violence ou d'agression
sexuelle, il a toutefois relevé qu'en matière de bizutage, il
existait des formes d'atteinte à l'individu qui ne relevaient pas
à proprement parler de la violence ou de l'agression sexuelle.
Soulignant l'ancienneté des pratiques de bizutage,
M. Robert
Pagès
s'est interrogé sur l'opportunité de
légiférer à nouveau alors qu'une circulaire venait de
rappeler les sanctions existantes.
Tout en avouant son incompétence en tant que juriste,
M.
Gérard Devis
a déclaré qu'un éclaircissement
lui apparaissait nécessaire s'agissant des atteintes à la
dignité.
M. Robert Badinter
a alors fait observer que l'interprétation
jurisprudentielle de la notion de violence recouvrait également toutes
les formes de contraintes morales.
M. Jean-Marie Girault
s'est également interrogé sur la
nécessité de légiférer sur le bizutage et a
constaté la tolérance d'un certain nombre de chefs
d'établissement.
M. Gérard Devis
a affirmé que beaucoup de responsables
d'établissements ignoraient ce qui se passait réellement au cours
des séances de bizutage et que l'adoption d'une loi spécifique
aurait un impact psychologique positif auprès de la population scolaire,
ainsi que sur le plan éducatif.
Il a marqué que le problème dépassait le cadre de
l'éducation nationale comme le montrait le cas d'un élève
qui avait été amené à démissionner de
l'Ecole de l'Air à la suite d'un bizutage. Il a déploré
que par la défense du caractère initiatique de ces pratiques, les
défenseurs du bizutage puissent accepter que la loi ne soit pas
appliquée au sein d'une " caste ".
M. Michel Dreyfus-Schmidt
a approuvé ces propos en soulignant
l'effet psychologique que produirait l'adoption d'une disposition
législative spécifique.
Puis la commission a entendu
M. Alain Boulay, président de
l'association Aide aux parents d'enfants victimes.
M. Alain Boulay
, après avoir souligné qu'aucune agression
sexuelle ne pouvait être considérée comme anodine, a fait
valoir que la récidive était quasi-systématique chez les
pédophiles. Il a estimé que, pour évaluer le taux de
récidive réel, il fallait privilégier la prise en compte
de l'acte et non pas de la condamnation.
Tout en relevant que le projet de loi était incomplet,
M. Alain
Boulay
a indiqué que son association y était tout à
fait favorable, notamment parce qu'il paraissait indispensable de ne pas
laisser en liberté des individus dangereux, lesquels devaient faire
l'objet d'une prise en charge dès leur sortie de prison.
Puis, présentant ses principales observations sur le projet de loi,
M. Alain Boulay
a fait valoir que le suivi socio-judiciaire devrait
être expressément qualifié de peine complémentaire.
Il a en outre relevé l'ambiguïté qui caractérisait
l'injonction de soins, laquelle n'apparaissait pas comme obligatoire.
M. Alain Boulay
a également considéré que le choix
du médecin traitant devrait être effectué sur une liste de
médecins spécialisés et formés en
conséquence.
Relevant par ailleurs que les mesures de surveillance répondaient au
souci majeur d'éviter la récidive et le contact des
pédophiles avec des enfants,
M. Alain Boulay
a
suggéré de faire de ces mesures une peine automatique que le juge
de l'application des peines pourrait le cas échéant
aménager par la suite.
Après avoir fait valoir que les personnes en cause étaient
déjà actuellement écartées définitivement de
certaines professions,
M. Alain Boulay
a estimé que
l'interdiction d'exercer toute activité en liaison avec les mineurs ne
devrait pas être limitée à une durée de dix ans.
S'interrogeant par ailleurs sur les conditions de l'application de la loi, il a
suggéré de prévoir une interdiction d'embauche qui aurait
pour effet de sanctionner l'employeur n'ayant pas respecté la
prohibition légale.
M. Alain Boulay
a également proposé de compléter
les mesures d'accompagnement en prévoyant l'interdiction de
résidence dans la région où résidait la victime et
l'interdiction de séjour en France pour les étrangers
condamnés.
Faisant observer que les victimes étaient souvent démunies dans
le déroulement de la procédure, il a suggéré que
les magistrats soient tenus de recevoir les victimes et leur famille dans un
délai très bref après les faits afin de les informer des
conditions de la procédure et de leurs droits.
S'interrogeant sur les conditions de mise en oeuvre du droit pour les
associations d'être parties civiles,
M. Alain Boulay
a
estimé qu'il devrait être subordonné à l'accord des
victimes afin d'éviter que certaines associations n'utilisent certains
procès médiatisés pour faire à bon compte leur
propre publicité, contrairement au souhait des victimes
elles-mêmes. Il s'est donc demandé s'il ne serait pas envisageable
d'établir une hiérarchie entre les parties civiles primaires et
secondaires.
S'agissant de l'enregistrement par vidéo de la déposition de la
victime,
M. Alain Boulay
, tout en relevant qu'il s'agissait d'un
instrument important au service de la procédure, a fait observer qu'il
aboutirait inévitablement à une interprétation de l'image
faisant évoluer la notion même de témoignage.
M. Alain Boulay
a fait observer que si la cassette vidéo devait
constituer une pièce du dossier, il serait souhaitable de prohiber
l'établissement de copies au profit de toutes les parties, afin
d'éviter sa diffusion dans les médias.
Puis, abordant la question de la prise en charge par l'assurance maladie des
soins dispensés aux victimes,
M. Alain Boulay
a estimé
qu'elle devrait être étendue à tous les mineurs quel que
soit leur âge ainsi qu'aux parents et aux frères et soeurs des
victimes. Il a relevé que, faute d'une telle extension, une distorsion
paradoxale existerait entre les victimes et leurs agresseurs.
M. Alain Boulay
a en outre souhaité que le fonds de garantie
prenne en charge les frais de copie du dossier ainsi que les frais d'avocat.
M. Alain Boulay
a fait part de sa surprise devant le fait que la
détention de cassettes pornographiques ne fasse pas l'objet d'une
sanction particulière contrairement à ce qu'avait prévu le
projet de loi déposé par le précédent Gouvernement.
Il s'est par ailleurs déclaré favorable à
différentes mesures du projet de loi, notamment l'allongement des
délais de prescription, la création d'un fichier des empreintes
génétiques, le renforcement de la présence des magistrats
ainsi que les mesures à l'encontre du tourisme sexuel.
M. Alain Boulay
a considéré que les mesures de protection
envisagées devraient être étendues à tous les
mineurs et à tous les cas de maltraitance à l'encontre des
enfants.
Il a souhaité que les services de police et de gendarmerie soient
désormais obligés de signaler les enfants disparus à
Interpol.
En conclusion,
M. Alain Boulay
, après avoir souhaité
l'adoption du projet de loi par le Parlement, a jugé nécessaire
que des moyens financiers et des mesures d'accompagnement soient prévus
pour sa mise en oeuvre.
M. Charles Jolibois, rapporteur,
tout en soulignant que la
détention de cassettes pornographiques semblait pouvoir faire l'objet de
sanctions par l'intermédiaire de l'incrimination du recel, a
néanmoins indiqué que la commission porterait la plus grande
attention à cette question.
M. Jacques Larché, président,
a remercié M. Alain
Boulay de s'être élevé au-dessus des considérations
personnelles pour engager une réflexion d'ensemble sur la question de la
délinquance sexuelle.
La commission a ensuite entendu
Mme Anne-Marie Vignaud, juge des enfants
à Bordeaux
et
Mme Christiane Berkani, juge d'instruction à
Paris pour les mineurs.
Mme Anne-Marie Vignaud
,
juge des enfants à Bordeaux
, a
indiqué qu'une réflexion, doublée d'une
expérimentation menée dans un cadre conventionnel, était
menée dans cette ville depuis 1993 pour tenter de faire
bénéficier d'un statut les enfants victimes d'infractions
sexuelles.
Elle a observé que les règles de procédure pénale
en vigueur n'offraient aucun statut aux mineurs victimes de telles infractions,
traités juridiquement comme des incapables qui, en tant que tels ne
pouvaient choisir un avocat ni demander directement un acte d'instruction.
Elle a estimé que, chaque fois que possible, le titulaire de
l'autorité parentale devait pouvoir accompagner l'enfant concerné
tout au long de la procédure, et ce dès le dépôt de
la plainte.
Reconnaissant que dans 80 % des cas l'auteur de l'infraction était un
membre de la famille, elle a considéré qu'un tiers accompagnateur
devait alors être désigné pour assister la victime. Elle a
insisté sur la nécessité d'inscrire ce principe dans la
loi afin que la présence d'une personne extérieure dans le cours
de la procédure ne soit plus invoquée à l'avenir comme une
cause de nullité. Elle a précisé qu'à Bordeaux
était généralement désigné un membre d'un
service éducatif spécialisé capable d'apporter une
assistance psychologique au mineur victime et de veiller à la
préservation de ses intérêts patrimoniaux.
A l'appui de sa proposition,
Mme Anne-Marie Vignaud
a remis, à
M. Jacques Larché, président
, des projets
d'amendements traduisant ces préoccupations, et dont elle a donné
lecture à la commission.
M. Charles Jolibois, rapporteur,
a fait observer qu'il suffirait de
compléter le texte proposé pour l'article 706-51 du code de
procédure pénale pour conférer au procureur de la
République le pouvoir de désigner un administrateur ad hoc.
M. Robert Badinter
a précisé que, selon Mme Anne-Marie
Vignaud, il s'agissait de désigner un tiers susceptible non seulement
d'assurer la représentation légale de la victime mais
également de lui prêter une assistance au sens large, et notamment
psychologique.
M. Jacques Larché, président,
a souligné en
conclusion l'importance du point de vue exposé par
Mme Anne-Marie
Vignaud.
Constatant que la procédure pénale reconnaissait
expressément les délinquants mineurs en leur accordant par
exemple le bénéfice du ministère d'un avocat,
Mme
Christiane Berkani, juge d'instruction à Paris pour les mineurs
, a
observé que ce n'était pas le cas pour les mineurs victimes et a
estimé nécessaire de combler cette lacune au nom du
parallélisme des formes entre le mineur victime et le mineur
délinquant. Elle a précisé qu'il était
particulièrement difficile pour un enfant de s'exprimer sur des faits
relatifs à son intimité et que le mineur victime devait
être assisté par une tierce personne lors de son entretien avec le
juge d'instruction, chargé de rechercher la manifestation de la
vérité.
En désaccord sur ce point avec
Mme Anne-Marie Vignaud
, elle a
estimé que ce tiers accompagnant ne devait pas être un membre de
sa famille, la présence d'un parent pouvant constituer un frein à
la liberté de parole de l'enfant.
Mme Christiane Berkani
a considéré que l'enregistrement
audiovisuel du témoignage de l'enfant victime était de nature
à lui éviter de réitérer un récit
traumatisant mais qu'il fallait prendre garde à l'utilisation
susceptible d'en être faite et en limiter l'accès aux
professionnels concernés pour empêcher tout risque de diffusion
à l'extérieur du tribunal. Elle a précisé que cet
outil ne devait pas être réservé aux seules infractions
sexuelles, mais utilisé pour tous les actes de maltraitance sur des
mineurs.
Mme Christiane Berkani
a observé que la définition du viol
résultant de l'article 222-23 du code pénal mériterait
d'être précisée dans la mesure où la notion de
pénétration " sur la personne d'autrui " donnait lieu,
en l'absence de décision de la chambre criminelle de la Cour de
cassation, à des interprétations jurisprudentielles divergentes
sur le point de savoir si la fellation imposée à une personne
constituait un viol.
M. Robert Badinter
a indiqué qu'il fallait prendre garde à
l'impact émotionnel des images qui seraient projetées lors de
l'audience grâce à l'enregistrement audiovisuel ; il a
estimé que l'effet sur les jurés pourrait être plus fort
que celui résultant d'un simple témoignage. Approuvant ce point
de vue,
Mme Christiane Berkani
a cependant souligné que
cette technique offrait l'avantage d'éviter la présence de
l'enfant à l'audience.
M. Robert Badinter
a objecté que le
principe de l'oralité des débats criminels rendait impossible son
absence.
Mme Anne-Marie Vignaud
a observé que certains
pédopsychiatres estimaient dangereux pour l'enfant de fixer son
récit en l'enregistrant. Elle a toutefois indiqué que des
expérimentations, inspirées de ce qui était
pratiqué dans les pays anglo-saxons, avaient été
menées à La Réunion.
Mme Christiane Berkani
a précisé que la brigade de
protection des mineurs de Paris avait également procédé
à de telles expérimentations et que d'autres devaient suivre
à compter de la mi-novembre concernant des infractions sexuelles.
En réponse à
M. Jacques Larché, président
,
qui estimait que l'enregistrement vidéo pourrait constituer un
instrument particulièrement dangereux dans les cas, même s'ils
étaient rares, où le récit de l'enfant serait mensonger,
Mme Christiane Berkani
a indiqué qu'au Canada cet
enregistrement faisait l'objet d'une expertise de crédibilité
reposant sur dix-neuf critères scientifiques. Elle a regretté
qu'il n'y ait pas en France de psychiatres formés à ce type
d'expertise.
Mme Anne-Marie Vignaud
a contesté ce rôle dévolu
à des thérapeutes qui n'avaient pas vocation à devenir des
auxiliaires de justice. Elle a de nouveau souligné la
nécessité d'élaborer un véritable statut du mineur
victime d'agressions sexuelles.
La commission a ensuite entendu
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux,
ministre de la justice
.
Soulignant la gravité du sujet en discussion,
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux,
a indiqué que le projet de loi, qui reprenait
l'architecture générale de celui présenté par son
prédécesseur, devait être examiné sans tarder. Elle
a précisé qu'elle s'était attachée à prendre
en considération les observations formulées lors des derniers
débats parlementaires et que, par ailleurs, les modifications
introduites concernaient essentiellement le suivi des délinquants
sexuels dans le but de limiter les risques de récidive.
Faisant référence aux débats de l'Assemblée
nationale, elle a souligné que, si chacun s'accordait à
reconnaître que les infractions sexuelles commises sur des mineurs,
victimes très vulnérables, étaient particulièrement
révoltantes, il fallait se garder de céder à la tentation
d'aggraver à l'excès les peines applicables, une telle
dérive pouvant à la limite déboucher sur la
résurgence du débat sur la peine de mort. Elle a estimé
plus opportun de définir des solutions appropriées pour
améliorer l'efficacité du dispositif pénal existant.
Estimant que, en prévoyant l'institution d'une peine de suivi
médico-social, le projet présenté par son
prédécesseur confondait la peine et la thérapie,
Mme Élisabeth Guigou, garde des sceaux
, a indiqué que
le suivi appliqué au délinquant devait être social et
judiciaire et pas seulement médical, d'autant que le traitement
médical n'était pas toujours possible. Elle a
précisé qu'il devait pouvoir s'exercer pendant le séjour
carcéral, cette faculté étant rappelée tous les six
mois au condamné par le juge de l'application des peines.
Concernant la protection des victimes, elle a rappelé qu'après
une large concertation avec les associations, plusieurs dispositions avaient
été insérées dans le projet de loi, telles que le
différé du délai de prescription des infractions à
la date de la majorité de la victime, l'augmentation du délai de
prescription à dix ans pour les délits les plus graves,
l'obligation d'une expertise médico-psychologique pour faciliter
l'évaluation du préjudice, la représentation du mineur par
un administrateur ad hoc, une limitation du nombre d'auditions de la victime et
l'accompagnement de celle-ci par une personne qualifiée, enfin la
possibilité d'effectuer un enregistrement soit à l'aide d'un
magnétophone soit audiovisuel.
Concernant l'instauration d'une nouvelle infraction pour réprimer le
bizutage,
Mme Élisabeth Guigou, garde des sceaux,
a estimé
qu'elle apparaissait nécessaire dans la mesure où certains
agissements, en particulier des pressions collectives dans le but de
contraindre une étudiante à commettre certains actes sur un
animal, ne répondaient pas aux définitions figurant dans le code
pénal et dès lors échappaient à toute sanction.
M. Charles Jolibois, rapporteur
, s'est interrogé sur les moyens
financiers et humains qui devraient permettre la mise en oeuvre effective des
dispositifs proposés par le projet de loi ainsi que sur le point de
savoir si la Commission nationale de l'informatique et des libertés
(CNIL) avait rendu un avis sur la création d'un fichier national des
empreintes génétiques, introduite dans le texte par
l'Assemblée nationale. Il a également interrogé le garde
des sceaux sur le problème de la répression des infractions
commises par le biais de l'Internet, notamment en cas de diffusion d'images
à caractère pédophile.
M. Michel Dreyfus-Schmidt
s'est étonné de la confusion
faite entre les crimes et les délits en matière de délais
de prescription, il a fait observer que l'édiction d'une prescription
criminelle pour un délit était sans précédent.
M. Jacques Larché, président
, a estimé qu'il
s'agissait en effet d'un sujet délicat.
M. Christian Bonnet
a souligné les risques attachés
à l'irruption des supports audiovisuels dans les instances judiciaires.
Regrettant la tendance à la multiplication des incriminations,
M. Jean-Jacques Hyest
, approuvé par
M. Pierre
Fauchon
, s'est interrogé sur l'utilité d'un nouveau
délit de bizutage dont la définition, faisant
référence à la notion d'atteinte à la
dignité humaine, lui a parue insuffisamment précise.
Distinguant la question de la portée émotionnelle de la
projection audiovisuelle évoquée par
M. Christian Bonnet, M.
Robert Badinter
a indiqué que l'utilisation d'un tel instrument
risquait de soulever des problèmes juridiques complexes au regard des
principes de l'oralité des débats et des droits de la
défense.
M. Jacques Larché, président
, s'est interrogé sur
le point de savoir si les moyens nécessaires à la mise en oeuvre
des dispositifs prévus avaient été intégrés
dans les prévisions budgétaires de tous les ministères
concernés, en particulier le ministère de la santé.
En réponse aux différents intervenants,
Mme Élisabeth
Guigou, garde des sceaux,
a mis l'accent sur l'importance fondamentale du
problème des moyens devant permettre une mise en oeuvre effective des
dispositions adoptées. Elle a rappelé que le budget de son
ministère pour 1998 prévoyait la création de 78 postes de
magistrats, soit la plus forte augmentation depuis dix ans, ces
créations devant être affectées par priorité aux
juges des enfants, aux juges des affaires familiales et au juges de
l'application des peines. Elle a par ailleurs indiqué que
l'élaboration du projet de loi avait été
réalisée en concertation avec les trois autres ministères
concernés, l'Intérieur, la Santé et l'Enseignement
scolaire.
Concernant l'organisation de l'audition des enfants victimes d'infractions
sexuelles, elle a estimé que celle-ci pourrait avoir lieu dans des
services hospitaliers, les agents de police judiciaire et les juges
d'instruction pouvant se déplacer, comme c'est d'ailleurs parfois le cas
en d'autres circonstances.
Mme Élisabeth Guigou, garde des sceaux
, a observé que le
Gouvernement, sans contester l'utilité de créer un fichier
national des empreintes génétiques, avait estimé qu'une
telle initiative ressortissait à la compétence
réglementaire. Elle a indiqué que la CNIL avait été
saisie et qu'une réflexion interministérielle avait
été engagée entre le ministère de la défense
et la chancellerie pour déterminer les personnes devant être
fichées ainsi que les modalités de contrôle et
d'utilisation du fichier. Elle a estimé que l'accès à ce
fichier devrait être réservé aux magistrats.
Concernant les infractions commises sur l'Internet, elle a observé que
les gestionnaires de serveurs, n'ayant généralement pas
connaissance des contenus diffusés, pouvaient difficilement être
tenus pour complices mais que cela ne devait pas justifier une absence de
contrôle. Elle a considéré que ce problème devrait
être traité dans un projet de loi spécifique
préparé sous la responsabilité du ministre de la
Communication.
Mme Élisabeth Guigou, garde des sceaux
, a souligné que
l'allongement du délai de prescription des délits en
matière sexuelle s'il ne correspondait pas à un idéal de
cohérence juridique, paraissait néanmoins nécessaire dans
la mesure où la victime, éprouvant souvent un sentiment de
culpabilité, surtout lorsque l'auteur de l'infraction était un
parent, avait besoin de temps avant d'oser révéler les faits.
Rappelant que l'enregistrement avait vocation à limiter le traumatisme
de la victime en limitant le nombre des auditions, elle a estimé que son
utilisation devait rester une simple faculté, sur laquelle il convenait
de s'en remettre à la sagesse des magistrats.
Concernant le nouveau délit de bizutage, elle a confirmé qu'il
lui était apparu nécessaire de pouvoir réprimer certaines
formes de pressions collectives.
M. Jacques Larché,
président
, a considéré qu'un tel comportement pouvait
déjà être regardé comme constitutif d'une violence
au sens du code pénal.
**Enfin la commisson a entendu
Mme Ségolène Royal, ministre
délégué auprès du ministre de l'éducation
nationale, de la recherche et de la technologie, chargé de
l'enseignement scolaire
.
En préambule, le
président Jacques Larché
a
demandé au ministre si les dispositions actuelles du code pénal
ne permettaient pas d'ores et déjà de réprimer ce qui
pouvait être abusif dans les " bizutages " traditionnels.
Mme Ségolène Royal, ministre délégué
auprès du ministre de l'éducation nationale, de la recherche et
de la technologie, chargé de l'enseignement scolaire,
a
marqué que si la plupart du temps, les agissements
répréhensifs trouvaient une qualification dans le code
pénal, les victimes n'osaient pas porter plainte le plus souvent.
Elle a précisé que le numéro vert " SOS
bizutage " mis en place par le ministère recevait une quarantaine
d'appels par jour et que ces signalements avaient entraîné
l'application de sanctions disciplinaires, notamment au lycée Thiers
à Marseille, ainsi que la fermeture de deux établissements de
l'Ecole Nationale Supérieure des Arts et Métiers (ENSAM).
Déplorant les difficultés à rompre la " loi du
silence ", le ministre a estimé qu'aucune tradition ne pouvait
justifier certaines brimades et qu'une nouvelle loi permettrait
d'éradiquer de tels excès.
Elle a rappelé que les nombreuses circulaires interdisant le bizutage
étaient restées sans effet faute de plaintes
déposées par les victimes.
Elle a en outre expliqué que la logique du bizutage, selon laquelle les
victimes seraient apparemment consentantes, conduisait parfois les
élèves à exercer des violences sur eux-mêmes - comme
par exemple le rasage des organes sexuels- suite à des pressions
psychologiques.
Après avoir évoqué le classement sans suite d'une plainte
déposée par un élève de l'ENSAM, amaigri de huit
kilogrammes à la suite d'un bizutage, le ministre a regretté que
les élèves ou les étudiants les plus faibles
pâtissent le plus de la transgression des interdits au nom de pseudo
traditions.
M. Charles Jolibois, rapporteur
, a considéré que les
différentes incriminations prévues par le code pénal
permettaient d'atteindre toutes les hypothèses visées, soulignant
en particulier la répression de la mise en danger d'autrui et des
violences, le cas échéant même lorsqu'elles n'ont pas
entraîné d'incapacité de travail. Sur ce dernier point, il
a fait observer que la Cour de cassation prenait en compte le " choc
émotif " causé par des violences n'ayant pas
occasionné de dommages matériels directs pour la victime.
Le rapporteur a en outre marqué que, même en l'absence de plainte,
les autorités investies du pouvoir disciplinaire avaient la
possibilité de saisir le procureur de la République aux fins de
poursuites.
Enfin, il a estimé qu'un texte pénal destiné à
sanctionner des comportements serait très difficile à
rédiger.
M. Michel Dreyfus-Schmidt
a défendu " l'effet
d'affiche " que pourrait avoir le vote d'un nouveau texte, en montrant
clairement que certaines limites ne pouvaient être
dépassées. Il s'est cependant interrogé sur la limitation
de l'infraction adoptée par l'Assemblée nationale aux milieux
scolaire, éducatif, sportif ou associatif, considérant que
d'éventuels comportements répréhensibles non visés
par le code pénal actuel devraient être réprimés
d'une manière générale.
M. Jacques Larché, président,
a admis la
réalité du problème posé par les abus du bizutage.
M. Charles Jolibois, rapporteur
, a, pour sa part, noté que les
bizutages occasionnaient parfois des accidents.
Le ministre a de nouveau souligné que les rares plaintes
déposées pour bizutage avaient été classées
sans suite au motif que les victimes étaient consentantes.
M. Robert Badinter
s'est déclaré partisan d'une
répression du bizutage mais a fait part de sa préoccupation de
préserver la hiérarchie des valeurs consacrée par le
nouveau code pénal. Considérant que l'atteinte à la
dignité humaine constituait une incrimination majeure, il s'est
interrogé sur l'insuffisance relative de la sanction de six mois
d'emprisonnement prévue. Il a ajouté que l'incrimination nouvelle
risquait d'aboutir à une répression moindre, dans la mesure
où certains faits commis dans le cas de bizutage étaient d'ores
et déjà punis de peines supérieures.
Mme Ségolène Royal, ministre délégué
auprès du ministre de l'éducation nationale, de la recherche et
de la technologie, chargé de l'enseignement scolaire,
a
déclaré qu'il était nécessaire de trouver une
nouvelle incrimination pour poursuivre des actes dégradants ou des
humiliations qui ne trouvaient pas de qualification dans le code pénal.
Elle a insisté sur la sujétion des jeunes bizutés qui
n'osaient pas se plaindre parce qu'ils tenaient à poursuivre leurs
études.
M. Robert Badinter
lui a cependant fait observer que le texte
prévu par le projet de loi ne réglait pas le problème
posé par la " complicité " de la victime.