III. LES PROPOSITIONS DE VOTRE COMMISSION DES LOIS
La plupart des personnes entendues par votre commission et
votre rapporteur, si elles ont approuvé le projet de loi dans son
principe, se sont inquiétées des moyens de son application
effective.
Ce souci est également celui de votre commission qui regrette que Mme le
Garde des Sceaux, qui a pris l'engagement louable de ne jamais engager de
réforme sans s'assurer au préalable des moyens nécessaires
à son application, n'ait pas fait réaliser d'étude
d'impact complète sur les conséquences budgétaires du
projet de loi, se contentant de reprendre l'étude réalisée
dans la perspective du premier projet et qui ne portait que sur le coût
pour le ministère de la justice.
A cet égard, on observera que le coût budgétaire pour le
ministère de la santé sera considérable. En effet, une
première estimation a conduit celui-ci à évaluer :
- à 35,6 MF le coût annuel du suivi thérapeutique en milieu
libre à compter de l'an 2000 (coût estimé sur la base de 6
200 personnes suivies) ;
- entre 42,75 et 56,43 MF le coût sur trois ans de la prise en charge par
l'assurance maladie des victimes d'abus sexuels (coût estimé sur
la base de 15 000 bénéficiaires sur les trois
années) ;
- à 21 MF le coût annuel du recours aux médecins
coordonnateurs à compter de l'an 2002 (coût estimé sur la
base de 12 000 condamnés à suivre).
Il convient d'y ajouter le coût de formation de 10 000 médecins
qui (à raison de trois jours de session par an pour des groupes de 20
personnes, au coût moyen de 3 000 F la journée)
représenterait plus de 100 MF sur cinq ans.
Or, la charge pour le ministère de la justice sera déjà
lourde :
- 80 travailleurs sociaux supplémentaires d'ici 2002 (soit 14,4 MF de
rémunération) et 107 d'ici 2008 au titre de l'augmentation de la
population prise en charge par les CPAL ;
- 5 à 10 MF par an pour le financement de l'expertise psychiatrique
avant le jugement des délinquants sexuels ;
- 0,8 MF par an pour l'expertise psychiatrique préalable à la
libération d'une personne ayant exécuté une peine de
prison ;
- 2,6 MF par an pour les expertises réalisées au cours de
l'exécution du suivi socio-judiciaire et lors de la présentation
d'une demande de relèvement.
S'ajouteront à ces frais ceux, non déterminés,
générés par l'assistance du mineur par un psychologue et
par un administrateur
ad hoc
Votre commission a pris note de l'engagement du Gouvernement,
réitéré par Mme le Garde des Sceaux lors de son audition,
de consacrer les moyens nécessaires à cette réforme. Dans
le souci de ne pas accroître le coût global de celle-ci, elle vous
proposera des amendements tendant à le réduire (suppression d'une
double expertise, allégement des charges des JAP...). Ces amendements
permettront de réaliser de substantielles économies.
A. RENFORCER L'EFFICACITÉ DU SUIVI SOCIO-JUDICIAIRE
1. Allonger la durée du suivi socio-judiciaire
Plusieurs personnes auditionnées ont
dénoncé le caractère arbitraire de la durée
prévue pour le suivi socio-judiciaire (cinq ans maximum en cas de
délit, dix ans en cas de crime) :
- d'abord, une telle durée peut se révéler trop courte,
d'autant plus que les médecins s'accordent pour affirmer que les soins
n'ont pas d'effet curatif mais seulement symptomatique : le délinquant
peut redevenir aussi dangereux qu'avant dès qu'il cesse le traitement ;
- en second lieu, il est paradoxal que la durée de la peine la moins
contraignante (le suivi socio-judiciaire) soit inférieure à celle
de la peine la plus lourde (la prison). Ainsi, l'auteur d'un crime pourrait
être condamné à trente ans de réclusion ou à
perpétuité, mais ne serait pas tenu à être suivi
plus de dix années.
Le paradoxe est peut-être encore plus patent pour les délits
puisque le suivi socio-judiciaire peut se substituer à la prison :
imagine-t-on à la limite que la juridiction remplace dix ans de prison
par cinq ans de suivi socio-judiciaire ?
Inversement, il paraît difficilement concevable qu'une personne puisse
être suivie toute sa vie par un médecin traitant, en relation avec
un médecin coordonnateur et sous le contrôle du juge de
l'application des peines.
C'est pourquoi, il semble souhaitable d'augmenter sensiblement la durée
maximale du suivi socio-judiciaire sans pour autant que celui-ci puisse
être illimité.
Votre commission vous propose donc un amendement tendant à ce que la
durée de la peine de suivi socio-judiciaire puisse être au plus
égale à dix ans en cas de délit ou à vingt ans en
cas de crime.
2. Assurer l'effectivité du suivi socio-judiciaire
a) Aggraver les peines prévues en cas d'inobservation du suivi socio-judiciaire
Afin de mieux assurer l'effectivité du suivi
socio-judiciaire, votre commission vous propose d'aggraver le maximum de la
peine encourue pour inobservation du suivi socio-judiciaire lorsque la personne
assujettie a été condamnée pour délit.
Il lui semble en effet qu'une durée maximale de deux ans risque, dans
certaines hypothèses, de se révéler insuffisante et ce
d'autant plus que deux juridictions pourraient décider de la
réduire :
- la juridiction de condamnation tout d'abord, pour laquelle cette peine ne
constitue qu'un maximum, conformément aux principes
généraux du nouveau code pénal ;
- le juge de l'application des peines en second lieu, qui peut décider
de ne mettre à exécution qu'une partie de la peine fixée
par la juridiction.
Dans ces conditions, le condamné au suivi socio-judiciaire pourrait
préférer encourir le risque d'une peine de prison plutôt
que respecter ses obligations pour une durée qui lui paraîtrait
trop longue (surtout si était retenue la proposition de votre commission
tendant à allonger la durée du suivi socio-judiciaire). Ainsi un
délinquant condamné à dix ans de suivi
socio-judiciaire pourrait préférer prendre le risque de subir
deux ans (au pire) de prison plutôt que d'être soumis à
des obligations certes moins contraignantes que la privation de liberté
mais d'une durée cinq fois plus longue.
Certes, on peut légitimement escompter qu'un tel choix sera
exceptionnel. Néanmoins, pour éviter autant que possible qu'un
calcul " coût-avantages " ne conduise le délinquant
sexuel à retenir la plus mauvaise solution pour la
société, votre commission vous propose de porter à cinq
ans le maximum de l'emprisonnement prévu en cas d'inobservation du suivi
socio-judiciaire sans plus distinguer selon que le condamné l'a
été pour un crime ou un délit.
b) Remettre à exécution l'emprisonnement prévu en cas de nouveau manquement aux obligations du suivi socio-judiciaire
Même s'il précise que le suivi socio-judiciaire
est suspendu par toute détention intervenue au cours de son
exécution (ce qui paraît sous-entendre que même un
emprisonnement pour inobservation du suivi socio-judiciaire ne dispense pas le
condamné d'accomplir ses obligations à sa sortie de prison), le
projet de loi n'indique pas expressément que, sauf relèvement, le
suivi socio-judiciaire doit être exécuté dans sa
totalité.
Or, votre commission estime nécessaire d'éviter que le
condamné soit dégagé de ses obligations au seul motif
qu'il aurait exécuté au moins en partie l'emprisonnement
prévu par la juridiction de jugement.
Aussi vous propose-t-elle un amendement précisant que le juge de
l'application des peines peut de nouveau mettre à exécution la
peine d'emprisonnement en cas de nouveau manquement aux obligations du suivi,
à condition toutefois que la durée totale des
incarcérations ainsi subies n'excède pas le maximum de celle
fixée par la juridiction de jugement.
3. Inciter davantage le condamné à suivre un traitement en prison
Si un large consensus paraît s'être
dégagé pour considérer qu'un condamné ne saurait
être astreint à suivre un traitement en prison, l'ensemble des
personnes entendues par votre commission et votre rapporteur ont estimé
souhaitable de tout mettre en oeuvre pour inciter un condamné à
se soigner dès son incarcération.
Diverses propositions ont d'ailleurs été émises pour aller
au-delà du simple rappel par le juge de l'application des peines, tous
les six mois, de la faculté pour le condamné de suivre un
traitement. C'est ainsi que le Barreau de Paris a suggéré
d'exclure du bénéfice de la libération conditionnelle les
auteurs d'infractions sexuelles qui refuseraient de se soigner en prison.
Votre commission considère également indispensable d'inciter au
suivi d'un traitement lors de l'exécution de la peine privative de
liberté. Il lui paraît toutefois souhaitable d'éviter une
solution trop rigide, qui priverait en toute hypothèse le juge de
l'application des peines de son pouvoir d'appréciation.
Aussi vous propose-t-elle de poser en principe que les personnes
condamnées à un suivi socio-judiciaire comprenant une injonction
de soins et qui refusent un traitement pendant leur incarcération ne
pourront bénéficier des réductions de peine
supplémentaires de l'article 721-1 du code de procédure
pénale.
Néanmoins, afin de conférer une certaine souplesse à ce
dispositif, notamment pour tenir compte du fait que le suivi d'un traitement
médical en prison peut ne pas être nécessaire, il vous est
proposé de permettre au juge de l'application des peines, sur avis
conforme de la commission de l'application des peines (au sein de laquelle
siège le psychiatre), d'accorder le bénéfice des
réductions de peines supplémentaires nonobstant l'absence de
soins.
Il convient de préciser que le fait pour un condamné d'accepter
d'être soigné en prison ne saurait
ipso jure
le conduire
à bénéficier des réductions de peine. Si le refus
de soins lui interdira de prétendre à ce bénéfice,
leur acceptation ne sera qu'un élément parmi d'autres pour
l'appréciation par le juge de l'application des peines des
"
efforts sérieux de réadaptation sociale
" que
doit manifester le condamné pour obtenir des réductions de peine
supplémentaires.
B. ASSURER UNE MEILLEURE RÉPRESSION DES INFRACTIONS SEXUELLES ET DES ATTEINTES AUX MINEURS
Votre commission vous propose plusieurs amendements, touchant soit au droit pénal de fond soit à la procédure pénale, afin d'assurer, dans le respect des droits fondamentaux de la personne, une meilleure répression des infractions sexuelles et des atteintes aux mineurs.
1. Les réductions de peine en cas de récidive
Plusieurs personnes entendues par votre commission ou votre
rapporteur ont fait part de leur scepticisme sur l'opportunité
d'accorder des réductions de peine aux auteurs d'infractions sexuelles.
Certaines ont même proposé de les supprimer tout au moins pour les
récidivistes.
Comme précédemment, votre commission estime nécessaire de
distinguer entre les réductions de peine pour bonne conduite (article
721 du code de procédure pénale) et les réductions de
peines supplémentaires (article 721-1).
Il lui paraît en effet difficile de supprimer purement et simplement les
premières dont la perspective constitue un gage de bon comportement du
condamné en prison.
Il lui semble en revanche opportun d'agir sur les réductions
prévues par l'article 721-1 dont l'octroi est subordonné à
un comportement actif du condamné (à la différence des
réductions pour bonne conduite, accordées dès lors que
celui-ci ne commet pas d'infraction en prison). Il lui appartient en effet de
manifester "
des efforts sérieux de réadaptation
sociale
".
L'appréciation, forcément subjective, de ces efforts
sérieux doit se faire
in concreto
, en tenant compte notamment de
la dangerosité du condamné. Il n'y aurait donc rien d'anormal
à exiger, en cas de récidive, que l'opportunité d'accorder
des réductions de peine supplémentaire fût
appréciée plus sévèrement que lors de la
première incarcération.
Aussi votre commission vous propose-t-elle de poser le principe selon lequel
les récidivistes d'infractions sexuelles ne bénéficieront
plus des réductions de l'article 721-1, le JAP ne pouvant y
déroger que sur avis conforme de la commission de l'application des
peines.
2. Le problème des messages pornographiques ou pédophiles diffusés sur l'Internet
Votre commission est fort sensible au problème de la
diffusion des messages pornographiques ou pédophiles sur l'Internet.
Certes, elle constate que les articles 227-23 et 227-24 du code pénal
permettent de sanctionner les diffuseurs de tels messages. La création
d'une circonstance aggravante en cas d'utilisation d'un réseau de
télécommunications devrait d'ailleurs renforcer le
caractère dissuasif de ces dispositions, étant entendu qu'elle ne
saurait s'analyser comme une preuve de méfiance vis-à-vis d'un
procédé moderne. Loin de marquer le début d'un
harcèlement législatif, la répression des abus commis sur
l'Internet doit précisément faciliter son entrée dans les
moeurs en évitant de l'utiliser à des fins illicites, faute de
quoi le risque serait grand de voir jeter l'opprobre sur ce
procédé et de tenir la France à l'écart de la
modernité. C'est d'ailleurs dans le but de concilier ce souci de ne pas
jeter le discrédit sur ce procédé avec celui de
protéger les enfants contre les abus auxquels il pourrait donner lieu
que votre commission vous propose de limiter le champ de cette nouvelle
circonstance aggravante aux infractions commises sur des mineurs.
Mais, en amont de la diffusion, se pose la question de la responsabilité
pénale de l'offreur d'un site Internet à des fins pornographiques
ou pédophiles. En l'état actuel du droit, cette
responsabilité ne peut être mise en jeu que sur le fondement de la
complicité, ce qui suppose que soit apportée la preuve,
impossible en pratique, que l'offreur de site savait que son cocontractant
diffuserait de tels messages.
Votre commission n'a pas souhaité revenir sur ce dispositif dans le
cadre du présent projet de loi, Mme le Garde des Sceaux ayant
indiqué qu'une réflexion serait engagée par le
ministère chargé de la communication.
Elle a en revanche jugé nécessaire de prévoir un
mécanisme d'information de l'offreur de site permettant à
celui-ci d'avoir connaissance des activités de son cocontractant et donc
de mettre fin au contrat, sous peine de tomber sous le coup de la
complicité.
Ainsi, elle vous propose un dispositif s'inspirant directement de celui
prévu par la loi du 30 septembre 1986 relative à la
liberté de communication en cas d'infraction aux règles
d'émission en matière audiovisuelle. Il s'agit de confier
à des agents du Conseil supérieur de l'audiovisuel et
habilités à cet effet la possibilité de constater les
infractions aux articles 227-23 et 227-24 du code pénal. Cette
faculté concernerait notamment les infractions commises sur l'Internet,
service de communication audiovisuelle au sens de la loi de 1986. Une copie des
procès-verbaux constatant les infractions serait alors transmise, via le
procureur de la République (qui doit en être informé),
à l'offreur de site qui aurait alors connaissance du comportement
illicite de son cocontractant.
Ce dispositif serait inséré au sein de l'article 15 de la loi de
1986 qui confie au CSA le soin de veiller "
à la protection de
l'enfance et de l'adolescence dans la programmation des émissions
diffusées par un service de communication audiovisuelle
".
3. La procédure applicable à la répression des infractions sexuelles
a) Le fichier des empreintes génétiques
Votre commission approuve le principe de la création
d'un fichier national des empreintes génétiques des auteurs
d'infractions sexuelles étant bien précisé qu'il s'agira
d'un fichier de police judiciaire, destiné uniquement à
l'identification et à la recherche de ces délinquants.
Afin d'éviter toute autre utilisation, elle vous propose de
préciser que :
- ce fichier sera placé sous le contrôle d'un magistrat (qui
pourra par exemple être le procureur général près la
cour d'appel de Paris, comme il en est pour le fichier des empreintes
digitales, ou le procureur général près la Cour de
cassation) ;
- seules pourront accéder à ce fichier des personnes dûment
habilitées, sans préjudice du droit d'accès reconnu par la
loi " informatique et libertés " aux personnes
nominativement
désignées ;
- ce décret devra fixer une durée maximale de conservation des
informations enregistrées.
b) La prescription de l'action publique des infractions sur les mineurs
Ainsi qu'il a été indiqué
précédemment, le point de départ spécifique du
délai de prescription de l'action publique des infractions contre les
mineurs (à savoir l'âge de la majorité de la victime) ne
concernerait désormais que des infractions strictement
énumérées mais s'appliquerait quel que soit l'auteur,
quand bien même celui-ci n'aurait pas autorité sur le mineur.
Votre commission approuve le principe d'une telle modification qui vise
à cantonner le régime spécifique de la prescription
à des infractions relevant effectivement des mauvais traitements
à enfant (et exclut notamment les infractions commises involontairement).
Il lui paraît toutefois peu justifié de distinguer parmi les
crimes, qui sont par hypothèse les atteintes les plus graves.
Elle observe au surplus que le dispositif proposé par le projet de loi
conduirait en pratique à des situations pour le moins paradoxales.
Ainsi, en cas d'assassinat (ou de tentative) sur un enfant de sept ans, la
prescription serait acquise dix ans plus tard (l'assassinat, ou le meurtre,
n'étant pas visés par les règles spécifiques de
prescription). En revanche, une violence légère (article 222-13
du code pénal) commise sur le même enfant serait prescrite trois
ans après sa majorité, soit quatorze ans après les faits ;
pour l'atteinte sexuelle sans contrainte (dont le délai de prescription
est porté à dix ans) la prescription serait acquise vingt-et-un
ans après les faits.
Votre commission juge donc cohérent de prévoir que pour tous les
crimes (qui, comme les atteintes sexuelles, peuvent avoir un grave effet
traumatisant sur l'enfant) le délai de prescription de l'action publique
ne commencera à courir qu'à la majorité de la victime.
C. AMÉLIORER LA PROTECTION DU MINEUR VICTIME
1. La désignation de l'administrateur ad hoc
L'élargissement du recours à l'administrateur ad hoc a reçu une large adhésion de la part des personnes entendues par votre commission et votre rapporteur. Il a même été proposé d'aller plus loin en permettant de le désigner dès le stade de l'enquête et en élargissant ses missions.
a) La possibilité de désigner un administrateur ad hoc dès le stade de l'enquête
La désignation d'un administrateur
ad hoc
dès le stade de l'enquête préliminaire a notamment
été demandée par l'Association française des
magistrats de la jeunesse et de la famille.
De même, Mme Anne-Marie Vignaud, juge des enfants à Bordeaux, a
proposé d'insérer dans le code de procédure pénale
un article ainsi rédigé :
"
Dès le début de l'enquête ou de l'instruction et
jusqu'à la décision définitive, les actes concernant le
mineur victime de l'une des infractions mentionnées à l'article
706-48 seront réalisés en présence d'un titulaire de
l'autorité parentale sur la demande d'un des parents de l'enfant.
Si la protection des titulaires de l'autorité parentale apparaît
insuffisante, ou si les faits dénoncés visent une personne
titulaire, en tout ou partie, de l'exercice de l'autorité parentale, ces
actes seront réalisés en présence d'une personne
spécialement désignée (...).
Cette personne, tenue au secret professionnel, ne pourra être entendue
sur les faits de la procédure pénale
".
Votre commission partage cette préoccupation et vous propose donc de
préciser que le procureur de la République pourra désigner
un administrateur
ad hoc
dès le début de l'enquête
(cette précision paraît d'ailleurs conforme à l'esprit du
projet de loi puisque celui-ci évoque la possibilité d'entendre,
dès l'enquête, l'enfant en présence de l'administrateur
ad hoc
).
b) Elargir le rôle de l'administrateur ad hoc
Reprenant sur ce point le dispositif prévu actuellement
par l'article 87-1 du code de procédure pénale, le projet de loi
cantonne le rôle de l'administrateur
ad hoc
à l'exercice,
au nom de l'enfant, des droits reconnus à la partie civile.
Comme l'a notamment souligné Mme Vignaud, ce rôle devrait
être étendu à la protection des intérêts du
mineur dans leur ensemble, et en particulier sur le plan psychologique.
Tel est également le sentiment de votre commission qui vous propose donc
d'élargir à cette fin le rôle de l'administrateur ad hoc.
Celui-ci serait ainsi en mesure de faire véritablement fonction
d'accompagnateur de l'enfant tout au long de la procédure puisque, comme
le prévoit le futur article 706-54, il est appelé à
assister aux auditions et confrontations du mineur.
2. L'assistance du mineur victime par un avocat
Plusieurs personnes entendues par votre commission ou votre
rapporteur se sont déclarées partisans de ce que Mme Christiane
Berkani a appelé le parallélisme des formes entre le mineur
délinquant et le mineur victime, qui consisterait à
prévoir que, comme le premier, le second doit toujours être
assisté d'un avocat dans le cadre d'une procédure pénale
et ce, dès le début de l'enquête.
Désireuse de donner suite à ce sujet légitime, votre
commission vous propose donc de prévoir que l'enfant victime d'une
infraction sexuelle (puisque les dispositions de procédure du projet de
loi concernent cette hypothèse) sera toujours assisté d'un
avocat, dès le début de l'enquête. A défaut de choix
d'un avocat par le mineur ou son représentant légal, le procureur
de la République ou le juge d'instruction en fera désigner un
d'office par le bâtonnier, comme le prévoit l'ordonnance du
2 février 1945 pour le mineur poursuivi.
3. La levée des difficultés soulevées par l'enregistrement audiovisuel de la première déposition du mineur
Votre commission partage pleinement le souci de Mme le Garde
des Sceaux de limiter autant que faire se peut les confrontations ou auditions
des mineurs victimes d'infractions sexuelles. Comme l'a fait observer
M. Philippe Jeannin, procureur de la République à Meaux, cet
enregistrement pourra constituer l'unique audition du mineur, évitant
ainsi la multiplication d'entretiens pouvant être traumatisants, dans les
nombreux cas où l'auteur reconnaît les faits.
Toutefois, les personnes entendues lors de la journée d'auditions
publiques ont soulevé deux séries de difficultés
susceptibles de résulter de cet enregistrement.
a) Les droits des parties
Si l'enregistrement ne devrait pas soulever de
difficulté dans les affaires simples, il pourrait en aller tout
autrement dans les cas où la personne poursuivie nierait les faits,
comme l'a souligné M. le Président M. Jacques Larché. Dans
une telle hypothèse, il serait dangereux de considérer que
l'enregistrement permet de se passer de nouvelles auditions du mineur : pour
les droits de la défense tout d'abord car, en cas d'affabulation, la
déposition de l'enfant serait difficile à contester sans
confrontation (d'autant plus que, selon Mme Christiane Berkani, la France,
à la différence du Canada, ne dispose pas de psychiatres
formés à l'expertise de crédibilité des
enregistrements) ; pour l'enfant lui-même qui, impressionné lors
de sa première audition, peut se révéler incapable de
décrire les faits ou d'exprimer ses sentiments.
C'est pourquoi votre commission vous propose :
- d'une part, de préciser que la nécessité de l'audition
du mineur s'appréciera indépendamment de la réalisation
d'un enregistrement ; ainsi, le juge d'instruction saisi d'une demande
d'audition ou de confrontation ne saurait se fonder exclusivement sur
l'existence de l'enregistrement pour refuser d'y faire droit ;
- d'autre part, de limiter à la phase d'instruction la
possibilité de substituer la consultation de l'enregistrement à
une nouvelle audition. Conformément au principe de l'oralité des
débats, le mineur devrait donc déposer devant les magistrats et
les jurés de la cour d'assises.
Cet enregistrement donnera toutefois lieu à une transcription
écrite qui sera versée au dossier. Cette transcription rend,
semble-t-il, inutile l'exigence d'une copie de l'enregistrement que votre
commission vous propose donc de supprimer.
b) La confidentialité de l'enregistrement
Cette question a été soulevée par
plusieurs personnes entendues par votre commission, qui se sont pourtant
déclarées favorables au principe de l'enregistrement. Ainsi, pour
Mme Christiane Berkani, il convient de prendre garde à l'utilisation
susceptible d'être faite de cet enregistrement et en limiter
l'accès aux professionnels concernés pour empêcher tout
risque de diffusion à l'extérieur du tribunal. De même, M.
Yvon Tallec, qui a jugé utile d'étendre ce procédé
à l'ensemble des cas de maltraitance des mineurs, a toutefois
marqué une réserve à l'égard de l'impact des images
et souhaité voir préciser plusieurs points concernant notamment
l'utilisation et la consultation des copies et originaux.
Dans le souci d'assurer la plus grande confidentialité à ces
enregistrements, sur laquelle M. Alain Boulay, président de
l'Association d'aide aux parents d'enfants victimes, a également mis
l'accent, votre commission vous propose :
- de prévoir que seules certaines personnes, en l'occurrence les
parties, leurs avocats et les experts, pourront visionner les cassettes, et ce
en présence du juge d'instruction ou de son greffier. Votre rapporteur a
trouvé fort opportune la suggestion formulée par M. Yvon Tallec
consistant à exiger que ces cassettes ne soient visionnées que
dans le cabinet du juge d'instruction mais craint que, compte tenu de
l'insuffisance de moyens de la justice, une telle exigence ne puisse en
pratique être respectée faute d'équipement adéquat
au sein de chaque cabinet d'instruction ;
- de sanctionner d'un an d'emprisonnement et de 100 000 F d'amende le fait de
diffuser l'enregistrement, ou la copie, de la déposition du mineur
étant précisé que cette sanction a pour objectif premier
la protection de la dignité de l'enfant lui-même. Elle pourra donc
être prononcée quel que soit le moment de la diffusion, que
celle-ci intervienne en cours de procédure (enquête, instruction,
procès) ou après le jugement ;
- de prévoir la destruction des enregistrements et copies à
l'issue d'un délai de cinq ans à compter de la date d'extinction
de l'action publique. La destruction au bout de quelques années avait
été notamment suggérée par le Dr Michel Lacour
qui, bien que favorable à l'enregistrement vidéoscopique, a mis
en garde contre le risque de le voir resurgir longtemps après, avec tout
ce que ceci pourrait avoir de traumatisant pour les victimes devenues adultes
depuis lors. Bien entendu, cette destruction ne saurait conduire à celle
de la transcription de l'enregistrement.
4. Le remboursement des soins dispensés aux mineurs victimes de sévices sexuels
Reprenant une proposition émise par les associations
d'aide aux victimes et à leur famille, et traduite dans un avis de la
commission des droits de l'homme, votre commission vous propose
d'étendre à tous les mineurs victimes d'abus sexuels (et non
seulement à ceux âgés de moins de quinze ans) la
possibilité de bénéficier d'un remboursement
intégral par l'assurance maladie de soins qui leur sont dispensés
à la suite de ces sévices.
En revanche, elle n'a pas souhaité, dans le cadre du présent
projet de loi, étendre ce remboursement à la famille de la
victime, les conséquences d'une telle extension lui paraissant
difficiles à évaluer, indépendamment même de toute
considération financière. Ainsi, dans le cas d'inceste, l'auteur
des faits bénéficierait de la prise en charge des soins. A cet
égard, votre commission croit utile de rappeler que, selon les
informations fournies par Mme Anne-Marie Vignaud, 80 à 90 % des
infractions sexuelles sur des mineurs sont le fait d'un proche de celui-ci.
D. VEILLER AU CARACTÈRE NÉCESSAIRE DES DISPOSITIONS PROPOSÉES
Comme l'écrivait Montesquieu, il ne faut pas faire de lois inutiles, elles affaiblissent les lois nécessaires. Votre commission des lois approuve cette maxime, qui ne doit pas rester un simple thème de colloque, et s'efforce de lutter en pratique contre l'inflation législative en veillant à la nécessité des dispositions soumises à son examen (et à leur précision, essentielle en matière pénale) et au respect du domaine du pouvoir réglementaire.
1. Le bizutage
Tout en approuvant la volonté des auteurs du projet de
loi de parvenir à une répression plus efficace de certains abus
préoccupants constatés au cours de séances de
" bizutage ", votre commission s'est interrogée sur la
nécessité de créer un nouveau délit
spécifique pour réprimer les formes répréhensibles
du bizutage.
Elle constate en effet que le code pénal comporte d'ores et
déjà de nombreuses infractions susceptibles d'être retenues
pour qualifier certaines pratiques déplorables de bizutage, parmi
lesquelles figurent notamment les violences, les agressions sexuelles, la mise
en danger d'autrui, l'administration de substances nuisibles...
En particulier, l'interprétation jurisprudentielle de la notion de
violences permet de sanctionner même celles qui, sans atteindre
matériellement la personne qui en est victime, sont de nature à
provoquer un choc émotif.
Il appartient en outre aux autorités compétente d'engager les
poursuites disciplinaires qui s'imposent à l'égard des auteurs de
faits répréhensibles de bizutage.
D'autre part, la notion de "
comportements portant atteinte à la
dignité de la personne humaine
" figurant dans la
définition proposée pour le délit de bizutage appellerait
une appréciation subjective de la part du juge faute d'être
clairement caractérisée, alors que le droit pénal est
d'interprétation stricte.
Un texte pénal aussi vague, d'ordre " comportemental ",
pourrait au surplus être dangereusement détourné de son
objet initial.
Son adoption ne saurait donc se justifier pour de seules raisons d'affichage ou
de pédagogie.
Aussi votre commission vous propose-t-elle de supprimer l'article 10 du
projet de loi, l'objectif recherché par cet article pouvant être
atteint par une application plus rigoureuse des sanctions pénales et
disciplinaires existantes.
2. Le harcèlement sexuel
Dans un souci d'harmonisation avec la rédaction retenue
par le code du travail pour sanctionner les agissements de harcèlement
sexuel, l'article 7 du projet de loi tend à compléter la
définition du délit de harcèlement sexuel figurant
à l'article 222-33 du code pénal en ajoutant à l'usage
d'ordres, de menaces ou de contraintes l'exercice de "
pressions de
toute nature
" par une personne abusant de sa position
d'autorité dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle.
Or, la notion de "
pressions de toute nature
" est
peu
précise et risque d'être difficile à caractériser.
C'est pourquoi votre commission vous propose d'en rester à la
définition actuelle du délit de harcèlement sexuel qui lui
paraît satisfaisante, étant entendu que les dispositions des
articles 225-1 et suivants du code pénal permettent par ailleurs de
sanctionner toute discrimination qui serait opérée à
l'encontre d'une personne en raison de son sexe.
3. Le respect du domaine réglementaire
Dans le même esprit, votre commission vous propose de supprimer des précisions, pour la plupart ajoutées par l'Assemblée nationale, qui lui paraissent relever du domaine réglementaire. A titre d'illustration de ces amendements, dont le détail sera présenté dans l'examen des articles, votre rapporteur citera les dispositions relatives aux modalités de désignation de l'administrateur ad hoc ou l'exigence d'une mise à jour régulière de la liste des médecins coordonnateurs.
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Sous le bénéfice de ces observations et des amendements qu'elle vous soumet, votre commission vous propose d'adopter le présent projet de loi.