B. UNE ATTEINTE À « LA TRADITION DE NOTRE DROIT ÉLECTORAL »
Dès 2019, le choix d'organiser le vote par correspondance des détenus sous la forme d'un bureau situé dans la ville chef-lieu du département a suscité des critiques, tant sur le principe que sur les conséquences pratiques du dispositif.
Dans son avis sur le projet de loi relatif à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique, le Conseil d'État a admis le principe du vote par correspondance mais présenté les remarques suivantes, non suivies par le Gouvernement :
« Dans la conception retenue par le projet, qui présuppose le rattachement des électeurs votant par correspondance au chef-lieu du département, il convient toutefois d'appeler l'attention du Gouvernement sur deux types de réserves s'agissant des élections locales.
« En premier lieu, le projet de loi conduit, pour les électeurs ayant recours à ce mode de vote, à rompre tout lien personnel entre l'électeur et la commune d'inscription, ce qui méconnaît la tradition de notre droit électoral.
« En second lieu, le Conseil d'État observe que, dans quelques départements, le nombre théorique d'inscrits concernés sera susceptible, en l'état des données fournies, d'avoir un impact quantitatif significatif sur le corps électoral des communes concernées. Cela est particulièrement vrai pour les scrutins municipaux où le nombre d'électeurs est par définition le plus restreint. Il convient ainsi de noter que, dans au moins six communes chef-lieu (Tulle, Bar-le-Duc, Arras, Melun, Evry-Courcouronnes et Basse-Terre), le nombre d'électeurs susceptibles d'être inscrits au titre du nouveau dispositif dépassera 5 % de l'actuel nombre des électeurs inscrits.
« À cet égard, le Conseil d'État invite le Gouvernement à compléter l'étude d'impact afin d'éclairer aussi précisément que possible la représentation nationale sur ce point.
« Il suggère également que le projet de loi soit complété afin de prévoir que, dans les départements des Bouches-du-Rhône et du Rhône, les personnes détenues votant par correspondance sont inscrites dans la commune chef-lieu de l'arrondissement d'implantation de l'établissement pénitentiaire. En effet, dès lors que, dans ces départements, le projet prévoit de rattacher les électeurs concernés à la mairie centrale de Marseille ou Lyon, une telle précaution sera de nature à limiter l'impact de la mesure sur les circonscriptions électorales concernées. »
Depuis 2019, plusieurs phénomènes ont accentué les difficultés relevées par le Conseil d'État : l'augmentation de la population carcérale, la faiblesse de la participation aux élections locales et européennes et la faiblesse des écarts de voix entre candidats aux élections.
La rupture entre l'électeur et la commune d'établissement, déjà peu admissible sur le plan des principes, apparaît dès lors comme disproportionnée dans les effets qu'elle est susceptible d'avoir. Le vote des personnes détenues est ainsi susceptible de déterminer les résultats des élections locales ou législatives, alors même que le rattachement des détenus au chef-lieu du département est purement artificiel et résulte de considérations logistiques.
A ceci s'ajoute un élément pratique lié à l'accès des candidats aux prisonniers afin de faire campagne. Si la direction de l'administration pénitentiaire a indiqué au rapporteur que tout candidat peut organiser des réunions dans les établissements lors de la campagne, cette possibilité est soumise à une double limite. La première tient à la nécessité qu'une telle réunion soit compatible avec les contraintes de l'établissement. La seconde, de nature à porter atteinte à l'égalité des candidats, est l'accès continu dont disposent les parlementaires en fonction aux établissements, permettant à ceux qui le souhaitent de se faire connaître des détenus hors des périodes électorales.