- L'ESSENTIEL
- EXAMEN EN COMMISSION
- RÈGLES RELATIVES À L'APPLICATION DE
L'ARTICLE 45 DE LA CONSTITUTION ET DE L'ARTICLE 44 BIS DU RÈGLEMENT DU
SÉNAT
- LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
ET CONTRIBUTION ÉCRITE
- LA LOI EN CONSTRUCTION
SOMMAIRE
I. UN DISPOSITIF DE VOTE PAR CORRESPONDANCE DONT LES CONSÉQUENCES ONT ÉTÉ MAL APPRÉCIÉES 5
A. UN DISPOSITIF PERMETTANT UNE PLUS FORTE PARTICIPATION DES PERSONNES DETENUES AUX ELECTIONS 5
B. UNE ATTEINTE À « LA TRADITION DE NOTRE DROIT ÉLECTORAL » 7
II. FAVORISER LA PARTICIPATION DES DÉTENUS AUX ÉLECTIONS SANS ROMPRE LE LIEN ENTRE ÉLECTEUR ET COMMUNE D'ÉTABLISSEMENT 9
A. LE DISPOSITIF DE LA PROPOSITION DE LOI 9
D. LA POSITION DE LA COMMISSION : DISTINGUER ÉLECTIONS À CIRCONSCRIPTION LOCALE ET À CIRCONSCRIPTION NATIONALE 9
RÈGLES RELATIVES À L'APPLICATION DE L'ARTICLE 45 DE LA CONSTITUTION ET DE L'ARTICLE 44 BIS DU RÈGLEMENT DU SÉNAT 17
LISTE DES PERSONNES ENTENDUES ET CONTRIBUTION ÉCRITE 19
L'ESSENTIEL
57 000 personnes détenues disposent aujourd'hui du droit de vote. Afin de favoriser l'exercice de ce droit et la participation des détenus à la vie civique et leur réinsertion, la loi du n° 2019-1461 du 27 décembre 2019 relative à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique leur a ouvert la possibilité de voter par correspondance.
Les modalités de ce vote sont spécifiques et l'ensemble des votes est comptabilisé, en application de l'article L. 12-1 du code électoral, dans la commune chef-lieu du département ou de la collectivité d'implantation de l'établissement pénitentiaire.
Or ce choix a pour conséquence de peser de manière disproportionnée sur le résultat des élections locales et législatives dans les six communes où le nombre d'électeurs inscrits au titre du vote par correspondance représente plus de 5 % des autres électeurs inscrits.
En outre, cette concentration de votes conduit, selon les termes du Conseil d'État en 2019, « à rompre tout lien personnel entre l'électeur et la commune d'inscription, ce qui méconnaît la tradition de notre droit électoral ». Afin d'y remédier, la proposition de loi présentée par Laure Darcos tend à prévoir que le vote par correspondance des détenus s'effectue dans les communes au sein desquelles le vote par procuration leur est possible.
Partageant pleinement l'objectif de la proposition de loi, la commission des lois a cependant pris en compte les importantes difficultés logistiques susceptibles de rendre inapplicables, dans les délais contraints des élections, les dispositions initiales de la proposition de loi. Elle a donc adopté la proposition de loi le mercredi 12 mars 2025, en la modifiant, en accord avec l'auteur du texte, par un amendement de son rapporteur Louis Vogel, afin de réserver le recours au vote par correspondance aux élections qui s'exercent dans le cadre d'une circonscription unique et aux référendums. Pour les autres élections, les détenus exerceront ainsi leur droit de vote par procuration ou, le cas échéant, dans le cadre d'autorisations de sortie.
I. UN DISPOSITIF DE VOTE PAR CORRESPONDANCE DONT LES CONSÉQUENCES ONT ÉTÉ MAL APPRÉCIÉES
A. UN DISPOSITIF PERMETTANT UNE PLUS FORTE PARTICIPATION DES PERSONNES DETENUES AUX ELECTIONS
L'exercice du droit de vote est reconnu aux personnes détenues depuis l'entrée en vigueur de la réforme du code pénal le 1er mars 1994. Seule la déchéance des droits civiques entraine l'impossibilité de voter, les conditions pour participer au vote étant les mêmes que pour l'ensemble des citoyens.
Ce droit s'exerce historiquement au travers de deux modalités : l'autorisation de sortie, en pratique peu utilisée en raison du risque de fuite des détenus1(*), ou le vote par procuration, limité par l'isolement de certaines de personnes incarcérées. Face à la faiblesse du taux de participation des détenus aux élections2(*), aux alentours de 2 %, la loi n° 2019-1461 du 27 décembre 2019 relative à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique a ouvert la possibilité pour les personnes détenues de s'inscrire non seulement dans leur commune de rattachement initiale, dans les conditions du droit commun, mais également, « afin de faciliter l'exercice de leur droit de vote effectif », dans les communes énumérées à l'article L. 12 du code électoral : celles dans lesquelles les Français établis hors de France peuvent demander à être inscrits en raison de leur expatriation. Est ajoutée à cette liste la commune d'inscription du conjoint de la personne détenue, de son partenaire de PACS ou de son concubin.
Sur la base d'une expérimentation conduite en 2019 lors des élections européennes (expérimentation autorisée par la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice), la loi a également inscrit à l'article L. 12-1 du code électoral la possibilité pour les détenus de recourir au vote par correspondance. Cette possibilité est toutefois limitée au cas où les personnes détenues « sont inscrites dans la commune chef-lieu du département ou de la collectivité d'implantation de l'établissement pénitentiaire, dans un bureau de vote correspondant à la circonscription ou au secteur qui comporte le plus d'électeurs inscrits sur les listes électorales ». Ce choix résulte de contraintes logistiques, car « l'organisation d'un vote par correspondance centralisé à la commune chef-lieu du département est, en termes de logistique, nettement plus simple [...] et permet de s'insérer dans le calendrier très serré d'organisation des élections. »
L'étude d'impact de la loi du 27 décembre 2019 a explicitement écarté la possibilité de « permettre à tout détenu quel que soit son lieu d'inscription, de voter par correspondance sous pli fermé » pour deux raisons :
« - Des problématiques logistiques en raison du nombre très important de communes concernées (potentiellement autant de communes que de détenus inscrits). Les délais contraints d'organisation des élections et le nombre de cas particuliers à gérer rendent matériellement impossible la garantie d'un circuit opérationnel d'acheminement de la propagande et du matériel électoral (vers et depuis les établissements pénitentiaires) dans un calendrier qui actuellement ne ménage pas de marge de manoeuvre pour des étapes nouvelles.
« - L'atteinte au secret du vote est certaine dans les bureaux équipés de machines à voter ne comptant qu'un seul détenu inscrit : le sens de son vote serait rendu de facto public ».
Le calendrier électoral depuis 2019 a permis la mise en oeuvre du dispositif de vote par correspondance pour les élections départementales et régionales de 2021. Des modalités spécifiques de vote par correspondance ont été mises en place pour l'élection présidentielle de 20223(*) avec un bureau de vote unique situé place Vendôme à Paris, au sein du ministère de la justice. Il a été mis en oeuvre à nouveau en 2024 pour les élections européennes puis législatives.
L'augmentation de la participation des personnes détenues aux élections européennes (22 %) et aux élections législatives en 2024 (19 %) est largement attribuable au vote par correspondance qui est la modalité de vote choisie par 90% des détenus.
Le vote par correspondance n'a, en revanche, pas été mis en place pour les municipales de 2020.
B. UNE ATTEINTE À « LA TRADITION DE NOTRE DROIT ÉLECTORAL »
Dès 2019, le choix d'organiser le vote par correspondance des détenus sous la forme d'un bureau situé dans la ville chef-lieu du département a suscité des critiques, tant sur le principe que sur les conséquences pratiques du dispositif.
Dans son avis sur le projet de loi relatif à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique, le Conseil d'État a admis le principe du vote par correspondance mais présenté les remarques suivantes, non suivies par le Gouvernement :
« Dans la conception retenue par le projet, qui présuppose le rattachement des électeurs votant par correspondance au chef-lieu du département, il convient toutefois d'appeler l'attention du Gouvernement sur deux types de réserves s'agissant des élections locales.
« En premier lieu, le projet de loi conduit, pour les électeurs ayant recours à ce mode de vote, à rompre tout lien personnel entre l'électeur et la commune d'inscription, ce qui méconnaît la tradition de notre droit électoral.
« En second lieu, le Conseil d'État observe que, dans quelques départements, le nombre théorique d'inscrits concernés sera susceptible, en l'état des données fournies, d'avoir un impact quantitatif significatif sur le corps électoral des communes concernées. Cela est particulièrement vrai pour les scrutins municipaux où le nombre d'électeurs est par définition le plus restreint. Il convient ainsi de noter que, dans au moins six communes chef-lieu (Tulle, Bar-le-Duc, Arras, Melun, Evry-Courcouronnes et Basse-Terre), le nombre d'électeurs susceptibles d'être inscrits au titre du nouveau dispositif dépassera 5 % de l'actuel nombre des électeurs inscrits.
« À cet égard, le Conseil d'État invite le Gouvernement à compléter l'étude d'impact afin d'éclairer aussi précisément que possible la représentation nationale sur ce point.
« Il suggère également que le projet de loi soit complété afin de prévoir que, dans les départements des Bouches-du-Rhône et du Rhône, les personnes détenues votant par correspondance sont inscrites dans la commune chef-lieu de l'arrondissement d'implantation de l'établissement pénitentiaire. En effet, dès lors que, dans ces départements, le projet prévoit de rattacher les électeurs concernés à la mairie centrale de Marseille ou Lyon, une telle précaution sera de nature à limiter l'impact de la mesure sur les circonscriptions électorales concernées. »
Depuis 2019, plusieurs phénomènes ont accentué les difficultés relevées par le Conseil d'État : l'augmentation de la population carcérale, la faiblesse de la participation aux élections locales et européennes et la faiblesse des écarts de voix entre candidats aux élections.
La rupture entre l'électeur et la commune d'établissement, déjà peu admissible sur le plan des principes, apparaît dès lors comme disproportionnée dans les effets qu'elle est susceptible d'avoir. Le vote des personnes détenues est ainsi susceptible de déterminer les résultats des élections locales ou législatives, alors même que le rattachement des détenus au chef-lieu du département est purement artificiel et résulte de considérations logistiques.
A ceci s'ajoute un élément pratique lié à l'accès des candidats aux prisonniers afin de faire campagne. Si la direction de l'administration pénitentiaire a indiqué au rapporteur que tout candidat peut organiser des réunions dans les établissements lors de la campagne, cette possibilité est soumise à une double limite. La première tient à la nécessité qu'une telle réunion soit compatible avec les contraintes de l'établissement. La seconde, de nature à porter atteinte à l'égalité des candidats, est l'accès continu dont disposent les parlementaires en fonction aux établissements, permettant à ceux qui le souhaitent de se faire connaître des détenus hors des périodes électorales.
II. FAVORISER LA PARTICIPATION DES DÉTENUS AUX ÉLECTIONS SANS ROMPRE LE LIEN ENTRE ÉLECTEUR ET COMMUNE D'ÉTABLISSEMENT
A. LE DISPOSITIF DE LA PROPOSITION DE LOI
La proposition de loi de Laure Darcos est composée d'un article unique modifiant l'article L. 12-1 du code électoral. Elle tend, d'une part, à élargir la liste des communes dans lesquelles une personne détenue peut être inscrite sur les listes électorales en ajoutant les communes de résidence des descendants. Elle tend, d'autre part, à modifier les règles du vote par correspondance des détenus en supprimant l'inscription sur les listes électorales de la ville chef-lieu du département au profit d'une inscription sur les listes de certaines des communes dans lesquelles il est possible de s'inscrire dans le cadre du vote par procuration.
La commission partage l'objectif de la proposition de loi. Les auditions du rapporteur ont cependant montré que les difficultés logistiques qui avaient conduit au choix de la centralisation des votes par correspondance au sein des bureaux de la ville-centre demeurent. Si la distribution du matériel de vote par l'intermédiaire des préfectures est susceptible d'être organisée, l'envoi et surtout la réception en temps utile des enveloppes du vote par correspondance demeurent problématiques. Il s'agit là d'une difficulté consubstantielle au vote par correspondance qui, conjointement avec la possibilité de fraude, avait conduit à son abandon en 1975.
D. LA POSITION DE LA COMMISSION : DISTINGUER ÉLECTIONS À CIRCONSCRIPTION LOCALE ET À CIRCONSCRIPTION NATIONALE
La commission regrette que des contraintes logistiques ne permettent pas de concilier vote par correspondance et rattachement territorial des électeurs détenus. Elle admet cependant la réalité de ces difficultés, qui apparaissent dirimantes. Faute de pouvoir trouver un moyen terme permettant de concilier ces deux objectifs, la commission a donc, à l'initiative du rapporteur et en accord avec l'auteur du texte, choisi de distinguer entre les élections ayant une circonscription locale (élections locales et législatives) et les élections ayant une circonscription nationale (élection au Parlement européen et élection présidentielle, relevant de la loi organique), ainsi que les référendums.
Ainsi, le vote par correspondance des détenus sera ainsi maintenu dans ses modalités fixées par l'article L. 12-1 actuel pour les élections à circonscription nationale unique et les référendums. Pour les élections locales et législatives, les détenus seront tenus de participer lors d'une autorisation de sortie ou en votant par procuration.
Cette solution paraît d'autant plus respectueuse de l'objectif de favoriser l'exercice du droit de vote par les détenus que les modalités du vote par procuration ont été sensiblement élargies en 2019 s'agissant des communes au sein desquelles il est possible pour les détenus de s'inscrire, possibilité que la proposition de loi élargit encore. Par ailleurs il est désormais possible pour les détenus, comme pour tout citoyen, d'accorder une procuration à une personne résidant hors de la commune où ils sont inscrits. Les auditions du rapporteur ayant indiqué que l'administration pénitentiaire était susceptible de se mobiliser pour favoriser le recours au vote par procuration pour les prochaines élections municipales, l'impact sur la participation des détenus pourrait ainsi être réduit.
EXAMEN EN COMMISSION
__________
Mme Muriel Jourda, présidente. - Nous examinons à présent le rapport et le texte de la commission sur la proposition de loi relative au droit de vote par correspondance des personnes détenues.
M. Louis Vogel, rapporteur. - Mes chers collègues, c'est pour mettre fin à une situation paradoxale, pour ne pas dire aberrante, que notre collègue Laure Darcos a déposé la proposition de loi soumise à notre examen ce matin. En effet, la volonté de favoriser le droit de vote des personnes détenues peut conduire, dans certains cas, à changer l'issue d'une élection, pour des raisons, non pas de choix démocratique, mais de pure logistique.
Permettez-moi de présenter brièvement l'état du droit.
Les personnes détenues remplissant les conditions prévues pour l'ensemble des citoyens disposent du droit de vote, sauf à avoir été déchues de leurs droits civiques par décision de justice. On en dénombre aujourd'hui environ 57 000. Jusqu'en 2019, ce droit pouvait s'exercer de deux manières : en obtenant une autorisation de sortie ou en votant par procuration.
Je vous rappelle que les conditions du vote par correspondance étaient, avant l'épidémie de covid, particulièrement restrictives et, à vrai dire, peu adaptées à des détenus parfois très isolés sur le plan social. Quant aux autorisations de sortie, elles étaient, et sont toujours, accordées de façon prudente, afin d'éviter les évasions.
Ces facteurs conduisaient à un faible taux de participation des détenus, avoisinant 2 %.
La loi du 27 décembre 2019 relative à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique a cherché à faciliter l'exercice de leur droit de vote par les détenus.
Elle a ouvert la possibilité pour les personnes détenues de s'inscrire, non seulement dans leur commune de rattachement initiale, dans les conditions du droit commun, mais également dans les communes énumérées à l'article L. 12 du code électoral, qui sont celles dans lesquelles les Français établis hors de France peuvent demander à être inscrits en raison de leur expatriation. A été ajoutée à cette liste la commune d'inscription du conjoint de la personne détenue, de son partenaire de pacte civil de solidarité (Pacs) ou de son concubin.
Surtout, pour donner suite à une promesse faite par le Président de la République en 2018, la loi de décembre 2019 a créé un droit de vote par correspondance des personnes détenues.
Il ne s'agit pas, en vérité, d'un véritable vote par correspondance. En effet, la contrainte de faire parvenir aux détenus le matériel électoral de leur commune de rattachement, puis de renvoyer leur bulletin de vote sous double enveloppe dans les délais requis a paru trop difficile à surmonter. Il a donc été choisi de créer un bureau de vote virtuel au sein des établissements et de prévoir que les détenus votant par correspondance sont inscrits sur les listes électorales de la ville chef-lieu du département. À la fin des opérations de vote dans le lieu de détention, l'urne est transportée au chef-lieu, dans un bureau de vote où sont regroupées les urnes de tous les établissements pénitentiaires du département.
Cette procédure, qui se traduit, pour les détenus, par la possibilité de voter sur place, a fait accroître de manière importante leur participation : en 2024, leur taux de participation a atteint 22 % pour les élections européennes et 19 % pour les élections législatives. Ces résultats sont incontestablement importants, même s'ils ne sont pas à la hauteur de ce qu'un tel dispositif dérogatoire aurait pu laisser espérer.
Dans le même temps, ce dispositif dit de « vote par correspondance » des détenus suscite d'importantes difficultés, tant théoriques que pratiques.
D'abord, selon les termes utilisés par le Conseil d'État dans son avis sur le projet de loi de décembre 2019, il conduit « à rompre tout lien personnel entre l'électeur et la commune d'inscription » et « méconnaît la tradition de notre droit électoral ». Pour que la dérogation soit acceptable, il faudrait que l'objectif de favoriser le droit de vote des détenus n'ait pas d'effet disproportionné du fait de la suppression du lien entre l'électeur et la commune où son vote est décompté. Or tel peut être le cas.
En 2019, le Conseil d'État relevait que, dans au moins six chefs-lieux - Tulle, Bar-le-Duc, Arras, Melun, Évry-Courcouronnes et Basse-Terre -, le nombre d'électeurs susceptibles d'être inscrits au titre du nouveau dispositif représentait 5 % du nombre des électeurs inscrits. Dans plusieurs autres communes, dont Alençon, Bordeaux, Pontoise et Bobigny, ce taux dépasse 2 %. À Évry, les détenus représentent plus de 9 % du corps électoral, soit 1 300 inscrits - le plus gros bureau de vote de la ville -, du fait de la présence dans le département de la prison de Fleury-Mérogis.
Le ministère de l'intérieur nous a même indiqué un cas où près de 11 % du corps électoral de la ville chef-lieu est constitué par les détenus du département, tous comptabilisés dans ce chef-lieu.
Chacun comprend que ces votes sont de nature à faire basculer les résultats des élections. Cette situation serait inadmissible tant pour les prochaines élections municipales que pour les élections locales dans leur ensemble, pour lesquelles les niveaux de participation peuvent être faibles et les écarts étroits.
Je veux insister sur un point : ce n'est pas le contenu du vote des détenus qui est déterminant. C'est la modalité qui est contraire au principe démocratique, dans le sens où ce vote peut déterminer l'issue des élections locales, alors même qu'il est sans portée démocratique, sans lien avec le territoire. Il s'agit, au sens propre, d'un vote hors sol !
Inversement, lorsque le vote des détenus s'exerce lors d'un scrutin pour lequel il existe une circonscription unique au niveau national, le vote par correspondance, quand bien même il est décompté dans la ville chef-lieu du département, ne pose aucune difficulté. Il en va ainsi des élections européennes et de l'élection présidentielle, dont je rappelle qu'elle relève d'une loi organique spécifique, et pas du code électoral. Il en va de même pour les référendums.
Reste une question qui nous a posé difficulté, celle des élections législatives. Dès lors qu'il s'agit d'élections nationales se déroulant dans le cadre d'une circonscription locale, les inconvénients du système demeurent. Je considère donc, eu égard notamment à la faiblesse de l'écart de voix qui caractérise certaines élections législatives, que, là encore, le lien avec la circonscription doit être réel, et non purement formel.
En résumé, face au risque de contestation des résultats de certaines élections municipales, il est nécessaire de faire évoluer dès à présent le système de vote par correspondance des détenus. Certains maires m'ont indiqué, au cours des auditions, qu'ils n'hésiteraient pas à saisir le juge en mettant en avant l'importance des résultats du bureau de vote centralisant les voix des détenus si l'issue du scrutin leur est défavorable.
La proposition de loi de Laure Darcos vise donc à mettre en place un véritable vote par correspondance, en supprimant l'inscription sur les listes électorales de la ville chef-lieu du département et en permettant le vote par correspondance dans toutes les communes dans lesquelles il est possible pour les détenus de s'inscrire dans le cadre du vote par procuration. D'ailleurs, elle élargit encore cette liste. Ce sont là a priori des mesures de bon sens.
Mes auditions ont toutefois montré que les difficultés logistiques ayant conduit au choix de la centralisation des votes par correspondance au sein des bureaux des chefs-lieux de département demeurent.
Si la distribution du matériel de vote par l'intermédiaire des préfectures est susceptible d'être organisée, l'envoi et, surtout, la réception en temps utile des enveloppes du vote par correspondance restent problématiques. Il s'agit là d'une difficulté consubstantielle au vote par correspondance, qui, conjointement avec la possibilité de fraude, avait conduit à son abandon en 1975.
Je regrette vivement que des contraintes logistiques ne permettent pas de concilier vote par correspondance et rattachement territorial des électeurs détenus. J'admets cependant la réalité de ces difficultés, qui, si j'en crois les auditions des représentants de l'administration pénitentiaire et du ministère de l'intérieur que j'ai menées, sont permanentes.
Faute de pouvoir trouver un moyen de concilier ces deux objectifs, je vous propose donc, en accord avec l'auteure de la proposition de loi, de distinguer les élections se déroulant dans le cadre d'une circonscription locale - élections locales et législatives - des élections se déroulant dans le cadre d'une circonscription nationale - élections au Parlement européen et élection présidentielle, auxquelles s'ajoutent les référendums.
Le vote par correspondance des détenus serait ainsi maintenu dans ses modalités fixées par l'actuel article L. 12-1 du code électoral pour les élections à circonscription nationale unique et les référendums. En revanche, pour les élections locales et législatives, les détenus voteraient sur la base d'une autorisation de sortie ou d'une procuration.
Cette solution me paraît d'autant plus respectueuse de l'objectif de favoriser l'exercice du droit de vote par les détenus que les modalités du vote par procuration ont été sensiblement accrues en 2019, s'agissant des communes au sein desquelles il est possible pour les détenus de s'inscrire - cette possibilité étant élargie par la présente proposition de loi, à la commune de leurs descendants. Par ailleurs, il est désormais possible, pour les détenus comme pour tout citoyen, d'accorder une procuration à une personne résidant hors de la commune où ils sont inscrits. Enfin, les représentants de l'administration pénitentiaire m'ont indiqué que celle-ci était susceptible de se mobiliser pour favoriser le recours au vote par procuration pour les prochaines élections municipales.
Telles sont les raisons pour lesquelles je vous soumettrai un amendement qui me paraît trouver le meilleur équilibre possible entre, d'une part, la volonté partagée par tous de favoriser l'exercice par les détenus de leur droit de vote et, d'autre part, le lien indispensable entre l'électeur et le territoire que son vote concerne.
Il ne faut pas encourager la participation pour elle-même : elle n'a de valeur que si le droit de vote conserve son sens démocratique.
Je vous propose d'adopter la présente proposition de loi, ainsi modifiée.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Cette proposition de loi peut laisser perplexe quant à ses effets. À l'exception de certains, qui en ont été privés, tous les détenus devraient pouvoir exercer leur droit de vote. Le taux de participation constaté montre que c'est loin d'être le cas ! Pourtant, cet aspect importe si l'on considère que les détenus devraient pouvoir s'insérer dans une vie normale.
Le code électoral prévoyant déjà les modalités d'exercice de leur droit de vote, est-il bien nécessaire d'apporter des modifications ? Sur ce sujet, je me réfère au rapport de Françoise Gatel et de Mathieu Darnaud sur le projet de loi relatif à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique, examiné en 2019 : nos collègues avaient constaté que très peu de communes étaient concernées et que le fait de se concentrer sur la commune chef-lieu de l'établissement pénitentiaire était sans doute la manière la plus efficace de prendre en compte les votes. Cette commune chef-lieu est d'ailleurs le lieu de domicile légal du détenu, même si cela peut paraître curieux.
Nous nous demandons donc, à ce stade, si ce texte est bien justifié. Il me semble que seules deux communes pourraient être concernées, dont Évry-Courcouronnes, à laquelle est rattaché l'établissement de Fleury-Mérogis. En résumé, je ne peux qu'exprimer ma perplexité.
M. Jean-Michel Arnaud. - J'aimerais avoir des précisions sur les modalités de l'autorisation de sortie, notamment pour la commune susceptible d'accueillir le détenu désireux d'exercer son droit de vote.
M. Louis Vogel, rapporteur. - Les magistrats, après avis des directeurs des établissements pénitentiaires, accordent les autorisations de sortie afin que le détenu puisse aller voter, mais sont réticents compte tenu des risques d'évasion qu'elles créent.
Madame de La Gontrie, tous les chefs-lieux de département sont en principe concernés, même si c'est dans des proportions variables. Lorsque j'étais maire de Melun, les voix des détenus étaient au nombre de 500, ce qui n'était pas sans incidence sur le résultat du scrutin, alors que les intéressés n'avaient pas de lien avec la commune et n'étaient pas en mesure de se prononcer sur les programmes, qu'ils ne connaissaient pas. C'est un détournement complet du résultat électoral !
Ce constat d'un dysfonctionnement a été établi de manière tout à fait transpartisane au cours des auditions. À Évry, le bureau où votent les détenus est le plus fourni, alors même que la prison ne se situe même pas sur le territoire de la commune, ce qui est aberrant.
M. André Reichardt. - Je n'ai pas très bien compris en quoi cette proposition de loi améliorera le taux de participation pour le vote par procuration, l'extension à la commune des descendants me semblant être la seule modification concrète. Renvoyez-vous à un texte réglementaire le soin d'améliorer la situation ?
M. Louis Vogel, rapporteur. - Le vote par procuration était peu efficace jusqu'à la loi de 2019, qui en a considérablement élargi les modalités.
M. André Reichardt. - Les délais vont rester les mêmes...
M. Louis Vogel, rapporteur. - J'ai indiqué que les délais d'envoi du matériel électoral étaient trop longs pour le vote par correspondance, sans oublier un risque de fraude. Le vote par correspondance est donc volontairement restreint.
Au contraire, le vote par procuration ne pose aucun problème de délai. Ses conditions d'exercice, déjà assouplies par la loi de 2019, le sont encore davantage avec cette proposition de loi. Il sera donc possible pour un détenu de trouver un mandataire dans de bonnes conditions.
Mme Muriel Jourda, présidente. - En application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, il nous revient d'arrêter le périmètre indicatif de la proposition de loi.
Je vous propose de considérer que ce périmètre comprend les dispositions relatives à l'exercice de leur droit de vote par les personnes détenues.
Il en est ainsi décidé.
EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE
M. Louis Vogel, rapporteur. - L'amendement COM-1 tend à réserver le vote par correspondance aux seules élections dans lesquelles il existe une circonscription unique au niveau national, soit aujourd'hui l'élection présidentielle et les élections européennes.
Pour les élections dans lesquelles la circonscription est locale, il est proposé que les personnes détenues puissent voter dans le cadre d'une autorisation de sortie ou du vote par procuration, dont le recours a déjà été élargi en 2019 pour les détenus et que la proposition de loi prévoit d'élargir encore.
L'amendement COM-1 est adopté.
L'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Le sort de l'amendement examiné par la commission est retracé dans le tableau suivant :
Auteur |
N° |
Objet |
Sort de l'amendement |
Article unique |
|||
M. Louis VOGEL, rapporteur |
1 |
Vote par correspondance pour les seuls scrutins à circonscription unique et les référendums |
Adopté |
RÈGLES RELATIVES À L'APPLICATION DE L'ARTICLE 45 DE LA CONSTITUTION ET DE L'ARTICLE 44 BIS DU RÈGLEMENT DU SÉNAT
Si le premier alinéa de l'article 45 de la Constitution, depuis la révision du 23 juillet 2008, dispose que « tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu'il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis », le Conseil constitutionnel estime que cette mention a eu pour effet de consolider, dans la Constitution, sa jurisprudence antérieure, reposant en particulier sur « la nécessité pour un amendement de ne pas être dépourvu de tout lien avec l'objet du texte déposé sur le bureau de la première assemblée saisie » 4(*).
De jurisprudence constante et en dépit de la
mention du texte « transmis » dans la Constitution, le
Conseil constitutionnel apprécie ainsi l'existence du lien par rapport
au contenu précis des dispositions du texte initial,
déposé sur le bureau de la première assemblée
saisie5(*).
Pour les
lois ordinaires, le seul critère d'analyse est le lien matériel
entre le texte initial et l'amendement, la modification de l'intitulé au
cours de la navette restant sans effet sur la présence de
« cavaliers » dans le texte6(*). Pour les lois organiques, le
Conseil constitutionnel ajoute un second critère : il
considère comme un « cavalier » toute disposition
organique prise sur un fondement constitutionnel différent de celui sur
lequel a été pris le texte initial7(*).
En application des articles 17 bis et 44 bis du Règlement du Sénat, il revient à la commission saisie au fond de se prononcer sur les irrecevabilités résultant de l'article 45 de la Constitution, étant précisé que le Conseil constitutionnel les soulève d'office lorsqu'il est saisi d'un texte de loi avant sa promulgation.
En application du vademecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des Présidents, la commission des lois a arrêté, lors de sa réunion du mercredi 12 mars 2025, le périmètre indicatif de la proposition de loi n° 192 (2024-2025) relative au droit de vote par correspondance des personnes détenues.
Elle a considéré que ce périmètre incluait des dispositions relatives aux conditions d'exercice de leur droit de vote par les personnes détenues.
LISTE DES
PERSONNES ENTENDUES
ET CONTRIBUTION ÉCRITE
Bureau des élections (Ministère de l'Intérieur)
M. Alex Gadré, chef du bureau des élections politiques
M. Alexandre Schulz, adjoint au chef du bureau des élections politiques
Mme Laurie Blanc, chargée d'études juridiques au sein du bureau des élections
Direction de l'administration pénitentiaire
M. Emmanuel Razous, directeur adjoint de l'administration pénitentiaire
M. François-Marie Tarasconi, adjoint au chef de département
Mme Camille Josse, référente nationale citoyenneté
Table ronde des élus
M. Stéphane Beaudet, maire d'Évry-Courcouronnes, président de l'Assemblée des maires d'Ile-de-France
M. Kadir Mebarek, maire de Melun
M. Joaquim Pueyo, maire d'Alençon, président de la communauté urbaine d'Alençon
CONTRIBUTION ÉCRITE
Association des Maires de France
LA LOI EN CONSTRUCTION
Pour naviguer dans les rédactions successives du texte, visualiser les apports de chaque assemblée, comprendre les impacts sur le droit en vigueur, le tableau synoptique de la loi en construction est disponible sur le site du Sénat à l'adresse suivante :
https://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl24-192.html
* 1 196 autorisations accordées lors du second tour de l'élection présidentielle de 2022, 92 accordées lors du second tour des élections législatives anticipées de 2024
* 2 Dans son discours du 6 mars 2018 à l'École nationale d'administration pénitentiaire (ENAP), le Président de la République avait annoncé souhaiter mettre fin à cette situation dans les termes suivants : « Le droit de vote doit pouvoir être exercé plus simplement. Je vous le dis très sincèrement, on a essayé de m'expliquer pourquoi des détenus ne pouvaient pas voter, je n'ai pas compris. Il semblerait que ce soit le seul endroit de la République où on ne sache pas organiser ni le vote par correspondance, ni l'organisation d'un bureau. La réalité, c'est que nous allons le faire et que, pour les prochaines élections européennes, je veux que tous les détenus en France puissent exercer le droit de vote. »
* 3 Loi organique n° 2021-335 du 29 mars 2021 portant diverses mesures relatives à l'élection du Président de la République
* 4 Cf. commentaire de la décision n° 2010-617 DC du 9 novembre 2010 - Loi portant réforme des retraites.
* 5 Cf. par exemple les décisions n° 2015-719 DC du 13 août 2015 - Loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l'Union européenne et n° 2016-738 DC du 10 novembre 2016 - Loi visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias.
* 6 Décision n° 2007-546 DC du 25 janvier 2007 - Loi ratifiant l'ordonnance n° 2005-1040 du 26 août 2005 relative à l'organisation de certaines professions de santé et à la répression de l'usurpation de titres et de l'exercice illégal de ces professions et modifiant le code de la santé publique.
* 7 Décision n° 2020-802 DC du 30 juillet 2020 - Loi organique portant report de l'élection de six sénateurs représentant les Français établis hors de France et des élections partielles pour les députés et les sénateurs représentant les Français établis hors de France.