EXAMEN EN COMMISSION

La commission des affaires européennes, réunie le jeudi 20 juin 2024, a engagé le débat suivant :

M. Jean-François Rapin, président. - Nous examinons ce matin la proposition de résolution européenne n° 608 déposée par notre collègue Cyril Pellevat, le 21 mai dernier, visant à reconnaître la spécificité de l'engagement des sapeurs-pompiers volontaires et à renforcer le dispositif européen de protection civile.

Conformément au règlement du Sénat, notre commission disposait d'un mois pour examiner ce texte : c'est pourquoi il nous fallait maintenir ce point à l'ordre du jour, malgré les événements politiques qui ont suivi les élections européennes et qui nous ont précipités dans une campagne législative mobilisant nombre de nos collègues sur le terrain.

L'enjeu du volontariat des sapeurs-pompiers est important. Notre commission en a pris la mesure il y a déjà six ans, dès que la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a rendu, en février 2018, son arrêt « Ville de Nivelles contre Rudy Matzak » - dit arrêt Matzak -assimilant un sapeur-pompier volontaire à un « travailleur », au sens de la directive 2003-88-CE du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail.

Notre commission avait alerté sur les conséquences négatives de cet arrêt, comme elle l'a fait par la suite, en 2021, sur l'arrêt « Ministrvo za obrambo » relatif au temps de travail des militaires. Concernant le volontariat des sapeurs-pompiers, dès novembre 2018, elle avait adopté un avis politique sur le rapport de Jacques Bigot et André Reichardt, dont je salue l'investissement sur le sujet.

C'est aujourd'hui Cyril Pellevat qui sonne l'alarme, car rien n'a été fait depuis pour sécuriser le volontariat des sapeurs-pompiers. Avec Gisèle Jourda, ils ont mené des auditions afin de nous éclairer sur l'évolution de la situation depuis six ans et confirmer la nécessité d'obtenir des garanties fermes pour faire reconnaître la spécificité de l'engagement des sapeurs-pompiers volontaires et renforcer le dispositif européen de protection civile.

Malheureusement, Gisèle Jourda est retenue dans sa circonscription ce matin, mais elle a confié à Cyril Pellevat le soin de présenter leur rapport.

M. Cyril Pellevat, rapporteur. - Je vous prie effectivement de bien vouloir excuser Gisèle Jourda, qui n'a pu se libérer en raison d'impératifs locaux. Je tiens aussi à saluer notre collègue André Reichardt pour le travail qu'il a accompli sur ce dossier en 2018.

Je commencerai par préciser le contexte dans lequel s'inscrit la proposition de résolution européenne que j'ai déposée le 21 mai dernier.

La notion de sécurité civile est une déclinaison de la notion de sécurité intérieure. Elle a pour objet de protéger la population contre les catastrophes naturelles et d'origine humaine. À l'échelon européen, on utilise plutôt le terme de « protection civile », mais le sens est le même.

En France, la sécurité civile est une compétence régalienne. Comme le rappelle la loi du 13 août 2004 de modernisation de la sécurité civile, « l'État est garant de la cohérence de la sécurité civile au plan national ».

Pour des raisons historiques et pratiques, cette compétence est largement décentralisée. Certes, ce sont les préfets qui coordonnent la réponse aux crises importantes et c'est l'État qui possède des moyens contre des risques complexes ou de grande ampleur. Toutefois, le maire reste la première autorité à diriger les opérations de secours sur sa commune. Il doit par exemple élaborer un plan communal de sauvegarde (PCS) dans les communes à risques.

Par ailleurs, les principaux acteurs de la réponse aux catastrophes sont les services départementaux d'incendie et de secours (Sdis), composés de sapeurs-pompiers professionnels et volontaires. Ces services sont financés à titre principal par les conseils départementaux, à hauteur de 55 %, et par les communes ou les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI).

Enfin, les traités donnent à l'Union européenne une compétence d'appui aux États membres en matière de prévention des risques, de préparation aux catastrophes et de réponse aux crises de protection civile. Cette compétence repose sur l'article 196 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), précisant que les mesures prises par l'Union européenne excluent « toute harmonisation des dispositions législatives et réglementaires des États membres ».

Soulignons aussi que, en vertu de l'article 222 du TFUE, les États membres sont liés par une « clause de solidarité » applicable en cas de catastrophe naturelle comme en cas d'attaque terroriste.

Comme l'a confirmé le directeur général de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC), Julien Marion, le modèle français de sécurité civile est, à l'heure actuelle, une référence européenne et même mondiale. Cet été encore, 226 sapeurs-pompiers de différents États membres viendront se former aux techniques françaises de lutte contre les feux. Mais ce modèle, fondé sur la loi du 3 mai 1996 relative aux services d'incendie et de secours et la loi de modernisation de la sécurité civile, est désormais sous tension, ce pour deux raisons.

La première source de tensions est liée au fait que les Sdis connaissent une augmentation très importante du nombre de leurs interventions. Ainsi, en 2023, les sapeurs-pompiers ont reçu 16,6 millions d'appels au 18 ou au 112 - le numéro d'appel européen - et ont effectué 4,68 millions d'interventions. Dans 84 % des cas, ces dernières concernaient le secours aux personnes.

Deux explications majeures peuvent être apportées à l'augmentation de l'intervention des Sdis. Tout d'abord, nous commençons à subir les conséquences du dérèglement climatique, qui multiplie les catastrophes naturelles, les rend plus violentes et étend leur zone géographique. On peut rappeler à cet égard les feux de l'été 2022, qui ont brûlé 72 000 hectares en Gironde, dans le Maine-et-Loire et en Bretagne. Citons aussi la très longue période d'inondations vécue par le Pas-de-Calais à l'automne 2023 et au début de l'année 2024, sur laquelle le président Rapin et notre collègue Jean-Yves Roux mènent une mission d'information.

Ensuite, l'augmentation des interventions des sapeurs-pompiers est liée à la fragilité territoriale de notre système de santé. En effet, 30 % des Français vivent dans un désert médical, ce qui compromet leurs chances de guérison en cas de maladie ou de blessure. Les sapeurs-pompiers compensent souvent ces lacunes. Ainsi, 17 % des sorties des sapeurs-pompiers s'effectuent en remplacement d'ambulances qui ne sont pas disponibles : ce sont les « carences ambulancières ».

J'en viens à la seconde source de tensions. En raison du grand nombre d'interventions des Sdis, mais aussi de la croissance de leurs frais de fonctionnement, leurs dépenses ont presque doublé en vingt ans, passant de 3,2 milliards d'euros en 2002 à 5,39 milliards d'euros en 2021. En conséquence, le système est à bout de souffle. Sans ressources nouvelles ni mutualisation des moyens, la sécurité civile serait fragilisée.

Voilà pourquoi le ministre de l'intérieur a convoqué l'ensemble des acteurs concernés, le 23 avril dernier, à un « Beauvau de la sécurité civile », pour partager un bilan et réfléchir à la sécurité civile de demain. Cela pourrait conduire à la présentation d'une nouvelle loi-cadre en 2025.

Parmi les lignes rouges de cette réflexion figure la nécessité de préserver le volontariat de la sécurité civile. Cette préservation est le premier objectif de la proposition de résolution européenne soumise à votre examen.

Les sapeurs-pompiers volontaires sont indispensables pour la sécurité civile et constituent un exemple pour notre société. Ce sont des citoyens comme vous et moi qui, en plus de leur activité professionnelle, décident de donner de leur temps pour prêter main-forte aux sapeurs-pompiers professionnels dans leurs missions de sécurité civile. Disons-le clairement, sans volontaires, notre sécurité civile ne tiendrait pas : au nombre de 197 800, ils représentent près de 79 % des effectifs de sapeurs-pompiers et assurent 67 % des interventions des Sdis.

Or leur situation est devenue incertaine depuis l'arrêt Matzak, rendu par la CJUE le 21 février 2018. À l'origine de ce contentieux, un sapeur-pompier volontaire belge souhaitait être rémunéré par un salaire versé par son service d'incendie et de secours en contrepartie des gardes qu'il effectuait. La CJUE a considéré qu'un sapeur-pompier volontaire pouvait être considéré comme un « travailleur » au sens de la directive 2003-88-CE. Elle a aussi affirmé que le temps de garde d'un sapeur-pompier volontaire était du temps de travail et qu'il devait donc être rémunéré comme tel.

Cet arrêt a provoqué, en France, un choc juridique, politique et existentiel.

Juridique d'abord, car la France est à l'origine de la directive de 2003, qu'il faut saluer dans son principe car elle tend à mieux protéger la sécurité et la santé des travailleurs -, et elle n'a pourtant jamais envisagé de l'appliquer aux sapeurs-pompiers volontaires.

Au contraire, l'article L. 723-5 du code de la sécurité intérieure prévoit que « l'activité de sapeur-pompier volontaire, qui repose sur le volontariat et le bénévolat, n'est pas exercée à titre professionnel mais dans des conditions qui lui sont propres ».

La protection de la sécurité et de la santé des sapeurs-pompiers volontaires est prioritaire mais elle ne devrait pas être régie par la directive de 2003, ces volontaires n'étant ni des salariés ni des agents de la fonction publique. Ce sont des citoyens qui, librement, se mettent à disposition de services de secours pour des interventions et des gardes.

Le choc fut ensuite politique, car, comme le relevait la mission pour la relance du volontariat, confiée en 2018 à notre ancienne collègue Catherine Troendlé par Gérard Collomb, alors ministre de l'intérieur, une telle assimilation constituerait « un biais important dans l'engagement altruiste » des sapeurs-pompiers volontaires. En outre, elle « entraînerait une augmentation considérable des dépenses, en raison des rémunérations et de la compensation des temps de repos par des rotations plus sévères entre les sapeurs-pompiers » et aurait pour conséquence « une diminution des effectifs et du maillage territorial, c'est-à-dire une profonde dégradation de la réponse des secours ».

C'est pourquoi, dans son avis politique du 15 novembre 2018, sur le rapport de nos collègues Jacques Bigot et André Reichardt, notre commission constatait que l'arrêt Matzak menaçait la pérennité du dispositif français de sécurité civile. Elle demandait donc à la Commission européenne de prendre une initiative pour modifier la directive de 2003, afin que celle-ci prévoie une dérogation pour les volontaires.

Depuis, la CJUE a également reconnu que les militaires pouvaient, eux aussi, être assimilés à des « travailleurs ». Toutefois, au sujet des sapeurs-pompiers volontaires, elle a paru vouloir limiter l'effet utile de l'arrêt Matzak dans deux nouveaux arrêts rendus en 2021.

Enfin, l'arrêt de la CJUE a constitué un choc existentiel pour les sapeurs-pompiers, en les interrogeant sur l'objet et sur le sens de leur mission.

Ce dossier demeure sensible car, en France, les juridictions rendent des décisions contradictoires, reconnaissant parfois les sapeurs-pompiers volontaires comme des « travailleurs », ou rejetant au contraire cette assimilation.

M. Julien Marion a réaffirmé la position du Gouvernement, qui réfute toute assimilation entre volontaires et « travailleurs ». Il a exprimé un optimisme prudent en rappelant que les autorités françaises avaient obtenu un soutien au volontariat des sapeurs-pompiers dans les conclusions du Conseil de l'Union européenne de mars 2022, sous présidence française.

Il a cependant confirmé que le ministère travaillait, en pratique, à abriter les sapeurs-pompiers volontaires de l'application de la directive 2003-88-CE, en particulier en limitant leurs temps de garde.

La situation est donc fragile et l'avenir des sapeurs-pompiers volontaires ne peut dépendre simplement de décisions judiciaires contradictoires. Voilà pourquoi, au travers de la présente proposition de résolution européenne, nous demandons à la Commission européenne de présenter une directive spécifique portant reconnaissance de l'engagement volontaire et bénévole, afin de le préserver de la directive de 2003.

Un tel texte permettrait aussi de protéger les 100 000 Français membres des associations de sécurité civile, telles que la Croix-Rouge française ou la Société nationale de sauvetage en mer (SNSM).

Le second objet de la proposition de résolution européenne est le renforcement de la coopération européenne dans le domaine de la protection civile.

Les vingt-sept États membres et dix autres pays partenaires participent au mécanisme européen de protection civile (MPCU) de l'Union européenne. Au travers de la présente proposition de résolution, nous saluons le bilan positif de ce mécanisme et souhaitons son approfondissement. Le MPCU, placé sous l'autorité de la Commission européenne, est en effet un succès qui complète utilement l'action des États membres.

Il repose sur plusieurs instruments, dont le Centre de coordination de la réaction d'urgence (Emergency Response Coordination Centre (ERCC)) - -, que j'ai pu visiter à Bruxelles. Le Mécanisme comprend aussi des outils de prévention des risques, comme les cartes satellitaires du système Copernicus, qui aident à anticiper les tempêtes ou à évaluer les risques d'inondations. Il peut aussi être sollicité en cas de catastrophe par un État membre, un pays tiers ou une organisation internationale, en vue de soutenir une opération de protection civile ou apporter de l'aide humanitaire.

Le MPCU comprend également une réserve européenne de protection civile, qui recense et met en oeuvre les équipes de secours, les experts ou les équipements de protection civile que les États membres mettent à disposition de l'Union européenne, par exemple pour éteindre un feu de forêt ou désincarcérer des personnes enfouies à la suite d'un tremblement de terre.

Et lorsque les moyens de l'État touchés par une catastrophe, complétés par ceux de la réserve, sont insuffisants, l'Union européenne peut alors déployer aussi ceux du dispositif RescEU, tels que les hôpitaux de campagne, les pompes à eau ou les avions bombardiers d'eau.

Enfin, le MPCU inclut un Réseau européen de connaissance en protection civile, qui prévoit un programme de formations et d'exercices.

La France est très satisfaite de ce mécanisme, dont elle est le premier contributeur. En effet, il a su être l'expression de la solidarité européenne, par exemple, en Turquie, lors du séisme de 2023, en Ukraine et au sein même de l'Union européenne.

À l'heure actuelle, ces moyens aident Chypre à lutter contre d'éventuels feux de forêt. Ils ont aussi récemment profité à la France. Lors de l'été 2022, les moyens français étaient à la limite de la rupture face aux multiples feux de forêt, lesquels ont pu être maîtrisés grâce aux renforts européens, dont deux bombardiers d'eau. Cette année, plusieurs pompes à eau de grande dimension ont été déployées dans le Pas-de-Calais pour lutter contre les inondations.

Enfin, signalons que le dispositif RescEU permet aussi aux États membres d'acquérir de nouveaux moyens de protection civile par des achats communs. La France, qui souhaite faire passer sa flotte aérienne de bombardiers d'eau de douze à seize Canadair, acquerra deux d'entre eux au travers du dispositif RescEU. En pratique, c'est l'Union européenne qui les paiera. En contrepartie, la France mettra ces appareils à disposition en cas d'opérations de secours décidées dans le cadre du MPCU.

Sur ce point, nous appelons la France et l'Union européenne à respecter leurs engagements, car la production de Canadair, arrêtée depuis 2015, n'a toujours pas redémarré. Nous prenons acte des logiques capacitaires qui ont présidé au choix de se fournir de nouveau en Canadair. Toutefois, nous demandons que, à moyen terme, nos autorités favorisent la production d'un avion bombardier d'eau français et européen. Les projets existent, chez Airbus notamment, mais encore faut-il les encourager.

Plus généralement, la proposition de résolution européenne soumise à votre examen recommande de renforcer le MPCU, afin que les États membres puissent relever les défis posés par le dérèglement climatique. À cet égard, elle s'appuie sur les conclusions du Conseil de l'Union européenne de mars 2022.

Rien qu'en France, plus de 18 millions d'habitants et 11,5 millions de logements sont exposés au risque d'inondations. Ainsi, la fonction de coordination et de réserve de logistique et de transport attribuée au MPCU depuis 2021, qui fait ses preuves en Ukraine, mériterait d'être confortée.

De même, nous rappelons dans la proposition de résolution que les financements européens attribués à la protection civile devront être nécessairement adaptés dans le prochain cadre financier pluriannuel (CFP).

En outre, nous demandons à la Commission européenne d'établir un rapport évaluant les possibilités actuelles d'utilisation du MPCU dans les régions ultrapériphériques (RUP) et examinant l'intégration sans condition de ces régions dans son champ de compétences. Cinq départements français seraient ainsi concernés, à savoir la Guadeloupe, la Guyane française, La Réunion, la Martinique et Mayotte, ainsi qu'une collectivité d'outre-mer, Saint-Martin. Ces territoires sont en effet régulièrement touchés par des cyclones, des tempêtes tropicales, des séismes et des éruptions volcaniques.

En revanche, nous vous proposons de marquer notre nette opposition à une dénaturation du MPCU en outil de « défense totale », concept mis en oeuvre dans les pays nordiques qui repose sur un continuum permanent entre le militaire et le civil pour protéger la population d'une attaque militaire extérieure.

Ce sujet fait déjà l'objet d'une réflexion avancée dans les pays scandinaves et baltes, mais aussi au sein de la Commission européenne. Ursula von der Leyen a ainsi confié un rapport prospectif sur ce sujet à l'ancien Président de la République de Finlande, Sauli Niinistö, qui est un ardent partisan de cette « défense totale ». Mme Von der Leyen envisage aussi de désigner un vice-président de la Commission européenne chargé de la gestion des crises.

Nous nous refusons cette évolution pour trois raisons. D'abord, elle est incompatible avec les traités européens actuels, qui confient la gestion des crises aux États membres, avec un appui de l'Union européenne. Ensuite, une centralisation excessive paralyserait l'efficacité opérationnelle des secours. Enfin, une telle décision politique conduirait à ce que les outils et financements du MPCU soient consacrés à d'autres priorités que la lutte contre les catastrophes naturelles.

La présente proposition de résolution européenne préconise en dernier lieu la mise en place d'un « Erasmus de la protection civile », afin d'harmoniser les formations et les doctrines opérationnelles des acteurs de la protection civile. Des échanges ont déjà lieu, mais il faut leur assurer régularité et visibilité et y allouer des moyens budgétaires.

Il ne s'agit pas de partir de rien : le Réseau européen de connaissance en protection civile et l'École nationale supérieure des officiers de sapeurs-pompiers (Ensosp) pourront être mis à contribution.

M. Jean-François Rapin, président. - Gisèle Jourda étant absente aujourd'hui, je souhaiterais m'assurer qu'elle partage ces propositions.

M. Cyril Pellevat, rapporteur. - C'est bien le cas, monsieur le président. La proposition de résolution européenne modifiée est issue de nos réflexions communes.

M. André Reichardt. - Ayant été corédacteur d'un rapport sur la même thématique il y a quelques années, j'approuve le contenu des évolutions qui nous sont proposées.

Je tiens aussi à rendre hommage à nos anciens collègues Jacques Bigot et Catherine Troendlé, laquelle s'est montrée particulièrement active pour défendre les sapeurs-pompiers volontaires. Elle continue d'ailleurs de s'investir dans cette cause, bien qu'elle n'ait plus de « casquette sénatoriale ».

Il est temps que la Commission européenne prenne une directive pour mettre enfin un terme aux contradictions judiciaires insupportables entraînées par l'arrêt Matzak, sans quoi le volontariat dans notre pays est voué à être déstructuré, au-delà des sapeurs-pompiers.

En outre, les rapporteurs ont raison de s'opposer à une transformation des dispositifs prévus pour la lutte contre le dérèglement climatique en une défense civile européenne.

M. Jacques Fernique. - Je comprends la nécessité de protéger le statut de sapeurs-pompiers volontaires. Dans cette perspective, comment éviter un jeu de vases communicants entre pompiers volontaires et professionnels ? Il ne faudrait pas que la préservation du volontariat contribue à dégrader les ressources et les moyens des agents professionnels.

Mme Florence Blatrix Contat. - Nous apportons tout notre soutien à cette proposition de résolution. En effet, il n'a pas été donné suite à l'arrêt Matzak, et il est temps que la Commission européenne s'empare de ce sujet.

Notre modèle de sécurité civile fonctionne parfaitement bien. Pour répondre à notre collègue Fernique, je veux confirmer que de nombreux départements augmentent les moyens des sapeurs-pompiers professionnels, mais que cela n'est pas suffisant. Nous avons aussi besoin des sapeurs-pompiers volontaires, qui constituent la grande majorité des sapeurs-pompiers et sont présents surtout dans les territoires ruraux. L'engagement reste important dans les temps que nous vivons.

Mme Pascale Gruny. - L'arrêt de la CJUE est très grave, car il nous conduirait à perdre 60 % des pompiers volontaires, qui ont tous un travail à côté de leurs missions de protection civile. Or, leur contrat de trente-cinq heures par semaine ne permet pas d'accomplir dix heures supplémentaires dans le cadre d'un emploi complémentaire de sapeur-pompier. En outre, la directive européenne elle-même fixe des plafonds de durée de travail hebdomadaire.

Nous perdrions, à terme, toutes nos forces : les agents professionnels ayant vocation à assurer principalement des missions d'encadrement, il n'y aurait plus aucun pompier sur le terrain. Notre collègue Blatrix Contat a raison : il est essentiel de préserver les territoires ruraux, où il n'y a que des pompiers volontaires.

Je vous remercie sincèrement de vous emparer de ce sujet.

M. Jean-François Rapin, président. - Je rejoins les propos de Pascale Gruny. La directive 2003-88-CE prévoit une durée de travail maximale hebdomadaire de 48 heures. Veillons donc à ne pas accepter une réforme qui nous mettrait dans l'illégalité.

M. Cyril Pellevat, rapporteur. - Si la professionnalisation des volontaires devait s'imposer dans les termes de l'arrêt Matzak, elle menacerait une forme d'engagement civique que l'on retrouve aussi chez les membres de la Croix-Rouge française ou la Société nationale de sauvetage en mer (SNSM). De ce fait, certains volontaires arrêteraient leur engagement et se recentreraient sur leur métier, ce qui réduirait les effectifs de volontaires.

Une telle professionnalisation conduirait, en conséquence, à une perte du maillage territorial de la sécurité civile car, comme cela a été indiqué, ce sont les sapeurs-pompiers volontaires qui garantissent la permanence et la réactivité des centres de première intervention (CPI) et assurent la majorité des opérations de secours aux personnes.

Par ailleurs, il faut que la France et l'Union européenne renforcent leurs moyens de sécurité civile. Bien sûr, certains Sdis ont les moyens de procéder à l'acquisition de matériel et de véhicules, tels que des hélicoptères. Mais il est cohérent de nationaliser les moyens lourds, notamment aériens, tout ceci, afin de faire face efficacement aux nouvelles menaces du dérèglement climatique.

Lors de notre déplacement à Bruxelles, nous avons entendu que la France serait la seule à s'inquiéter de l'arrêt Matzak. Or, cela ne semble pas tout à fait exact. En effet, d'autres États membres, comme l'Allemagne, l'Autriche ou la Pologne, comptent une majorité de sapeurs-pompiers volontaires. D'ailleurs, à cet égard, le président de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France (FNSPF) nous a précisé que les sapeurs-pompiers de 18 États membres s'étaient réunis à Paris, les 8 et 9 avril derniers, et avaient alors demandé la présentation d'une directive européenne spécifique pour préserver le volontariat.

Concernant l'évolution éventuelle du Mécanisme européen de protection civile, on constate la volonté claire de la présidente de la Commission européenne de modifier le dispositif européen de protection civile et, le cas échéant, de le militariser, afin de répondre aux demandes des pays baltes, de la Suède et de la Finlande. La feuille de route semble déjà tracée et exclure toute marge d'appréciation : le rapporteur choisi par elle est déjà acquis à cette évolution avec un adossement à l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (Otan). Les voix contradictoires, notamment celles des pays latins, ne sont pas entendues. Malgré tout, la France, l'Italie et l'Allemagne contestent le bien-fondé d'une telle initiative. Il faudra suivre attentivement ce dossier au cours des prochains mois.

M. Jean-François Rapin, président. - Le renforcement de la formation du public pour la gestion et la prévention des crises est un point intéressant. Pensons aux inondations qui ont frappé régulièrement notre pays : la culture du risque fait défaut depuis une vingtaine d'années dans notre pays. Une sécurité civile efficace passe par le rétablissement de cette culture chez nos concitoyens.

Par ailleurs, le dispositif mis en place pour l'obtention d'une aide financière européenne d'urgence en cas de catastrophes naturelles doit être pleinement revu. Le délai dans lequel cette aide doit être sollicitée est trop court : il est impossible à appliquer dans certains territoires, comme le Pas-de-Calais, où trois ou quatre événements climatiques peuvent parfois se succéder.

M. Cyril Pellevat, rapporteur. - Je veux ajouter une précision concernant le renouvellement de la flotte aérienne de la sécurité civile. La chaîne de production des Canadair va être relancée ; c'est une bonne chose, car les appareils en fonction sont aujourd'hui vétustes. Toutefois, cela pose la question de notre souveraineté, car les Canadiens disposent du monopole de leur production. Et ils attendent une commande ferme de 20 appareils pour relancer cette production. Plusieurs États membres, dont la France, ont indiqué vouloir acquérir des avions. La France a choisi cette option car cette réactivation de la ligne de production permettra de renouveler la flotte mais aussi de recréer des pièces arrivées à l'état d'usure, ce qui doit permettre d'augmenter la durée de vie des appareils existants.

Quant aux intentions d'Airbus, nous avons eu des informations contradictoires : à Bruxelles, nous avons entendu que la société n'était pas intéressée par un marché de « niche » si faible en nombre de commandes, mais la FNSPF a affirmé le contraire. Par ailleurs, d'autres initiatives françaises existent mais à l'état de projets. Il nous faudra donc rester vigilants sur ce dossier.

En pratique, dans ce dispositif, l'Union européenne achète des avions et les met à la disposition de la France, qui se charge ensuite de les entretenir et de les équiper. À cet égard, l'achat de matériel est un enjeu important. Certains États européens ne sont pas propriétaires de la majorité de leur flotte aérienne et ont contracté des leasings dont les prix augmentent de 30 % chaque année. En conséquence, ils ne peuvent plus payer les échéances et ne disposent plus d'appareils en nombre suffisant.

M. Jean-François Rapin, président. - Sur l'organisation matérielle des moyens mis au service de la lutte contre les feux de forêt, je précise que deux rapports intéressants ont été publiés au cours des dernières années par notre commission des finances, dans le cadre du contrôle budgétaire qu'elle exerce. On peut s'y référer utilement, en particulier au sujet du remplacement des pièces, du monopole canadien en la matière et de la difficulté que les Français ont à se rééquiper.

Je soumets maintenant aux voix les textes proposés à notre commission par les rapporteurs.

La commission a autorisé la publication du rapport et a adopté la proposition de résolution européenne ainsi modifiée, disponible en ligne sur le site du Sénat, ainsi que l'avis politique qui en reprend les termes et qui sera adressé à la Commission européenne.

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