TITRE V
FACILITE ET SÉCURISER LE RÈGLEMENT DES LITIGES

CHAPITRE IER
ÉLARGIR LES DISPOSITIFS NON-JURIDICTIONNELS
DE RÈGLEMENT DES LITIGES

Article 9
Facilitation du recours à la médiation pour le règlement de litiges avec l'administration

L'article 9 tend à favoriser le recours à la médiation pour le règlement de litiges avec l'administration, notamment pour les entreprises. Il prévoit à cette fin deux dispositifs : l'obligation pour l'administration de mettre à disposition du public - sans que celui-ci soit composé des seules entreprises - les services d'un médiateur dans certains domaines ; la généralisation de l'interruption des délais de recours contentieux lorsqu'une médiation est engagée. À titre plus subsidiaire, il tend également à harmoniser la dénomination de telles procédures en supprimant la notion de « conciliation », connexe à celle de médiation, dans un objectif de lisibilité du droit.

Approuvant pleinement les objectifs poursuivis par ces dispositions, la commission a néanmoins souhaité les compléter à deux égards, à l'initiative du rapporteur. D'une part, la commission a souhaité mieux encadrer l'obligation désormais faite à l'administration de mettre à la disposition du public les services d'un médiateur, en soumettant les activités de médiation en question aux dispositions générales prévues par le code de justice administrative applicables à la médiation. D'autre part, elle a étendu à certaines médiations sectorielles l'application de l'interruption des délais de recours contentieux prévue par le présent article.

1. Le dispositif proposé : généraliser le recours à la médiation et l'interruption des délais de recours qu'elle emporte

1.1. Généraliser le recours à la médiation

Si le recours au juge constitue le mode essentiel de protection des droits des administrés et de règlement des litiges entre ceux-ci et l'administration, la perte d'efficacité - réelle ou supposée - du système judiciaire80(*) a conduit à une promotion, progressive mais déterminée, des modes alternatifs de règlements des litiges par les pouvoirs publics.

Parmi ceux-ci et s'agissant plus particulièrement des litiges entre l'administration et les administrés, la conciliation et la médiation ont été particulièrement encouragés depuis l'instauration du Médiateur de la République par la loi n° 73-6 du 3 janvier 1973. Suivant l'exemple initié par cette réponse française au « précédent scandinave » de l'ombudsman81(*), les médiateurs institutionnels « sectoriels » se sont multipliés, à partir de la fin des années 1990 et la création du premier d'entre eux, le médiateur de l'éducation nationale82(*) : médiateur des ministères économiques et financiers, médiateur des organismes de sécurité sociale, Médiateur des entreprises, médiateur de l'Agence de services et de paiement, médiateur de la Caisse des dépôts et consignations, médiateur national de l'énergie, médiateur national de France travail, médiateur de l'Autorité des marchés financiers, etc. Naturellement, certaines collectivités territoriales ont pu également se doter de médiateurs. Il résulte de ce mouvement la coexistence d'une multiplicité de médiateurs institutionnels, dont la cartographie est dressée ci-dessous.

Infographie des différentes catégories de médiateurs institutionnels

Source : France Stratégie83(*)

La création en 2016 d'un régime spécifique à la médiation devant la juridiction administrative84(*) a parachevé cette évolution. Tout en relevant leur volume relativement « modeste », le Conseil d'État en dressait un bilan positif dans son étude annuelle pour 2023, relevant qu'elles « commencent à porter leurs fruits : près de la moitié des médiations engagées en première instance ont abouti à un accord (45 %) et 15 % en appel et la plupart des médiations engagées ont abouti dans des délais généralement compris entre 6 et 9 mois. » Il est néanmoins notable que dans « la plupart des cas », la médiation ait été engagée « à l'initiative du juge après l'enregistrement d'un recours », preuve que la médiation à l'initiative des parties doit encore progresser.

Le législateur a également prévu des dispositifs de médiation extra-juridictionnels, y compris à destination des entreprises. En premier lieu, comme le rappelle l'étude d'impact, la codification du code des relations entre le public et l'administration (CRPA) a été l'occasion de prévoir, à son article L. 421-1, une disposition de portée générale ouvrant la possibilité du recours à une procédure de conciliation ou de médiation « en vue du règlement amiable d'un différend avec l'administration » avant qu'une procédure juridictionnelle ne soit « en cas d'échec, engagée ou menée à son terme ».

En matière contractuelle, l'article L. 421-2 du même code prévoit des décrets en Conseil d'État « peuvent déterminer dans quelles conditions les litiges contractuels concernant l'État, les collectivités territoriales et leurs établissements publics, ainsi que les actions mettant en jeu leur responsabilité extracontractuelle sont soumis, avant une instance juridictionnelle, à une procédure de conciliation. » Comme le rappelle l'étude d'impact, les articles L. 2197-1 et L. 3137-1 du code de la commande publique prévoient explicitement la possibilité pour les parties à un contrat administratif de « recourir à un tiers conciliateur ou médiateur » en matière de marchés publics et de concessions respectivement.

Enfin, la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un État au service d'une société de confiance, dite « ESSoC », a prévu l'expérimentation pour trois ans d'un dispositif de médiation spécifiquement dédié aux entreprises85(*). Conduite par le Médiateur des entreprises dans quatre régions (Normandie, Provence-Alpes-Côte d'Azur, Grand Est, Centre-Val de Loire), cette expérimentation a produit des résultats contrastés :

- dans le périmètre de l'expérimentation, seules 36 demandes ont été formulées en trois ans ;

- hors du périmètre, le Médiateur des entreprises avait reçu 923 demandes86(*).

Deux explications peuvent être formulées pour expliquer un tel contraste : l'irruption de l'épidémie de covid-19, qui s'est logiquement traduite par une diminution de sollicitations ; le champ défini par le décret n° 2018-919 du 26 octobre 2018 relatif à l'expérimentation d'un dispositif de médiation en cas de différend entre les entreprises et les administrations, qui limitait à trois secteurs - construction, industrie manufacturière, information et communication - le domaine de l'expérimentation.

Le présent article s'inscrit donc dans ce mouvement et vise en premier lieu à généraliser le recours à la médiation en cas de litige avec l'administration, en particulier au bénéfice des entreprises. Le 4° du I de l'article prévoit ainsi que l'administration serait tenue de mettre à disposition du public les services d'un médiateur87(*). Seraient soumises à cette obligation l'ensemble des personnes regroupées sous le terme d' « administration » au sens du 1° de l'article L. 100-3 du CRPA - soit les administrations de l'État, les établissements publics administratifs et les organismes et personnes de droit public et de droit privé chargés d'une mission de service public administratif, y compris les organismes de sécurité sociale - à l'exception des collectivités territoriales, pour lesquelles un régime spécial de médiation est prévu à l'article L. 1112-24 du code général des collectivités territoriales.

Si le périmètre des personnes soumises à cette obligation est clair, celui des usagers concernés n'est pas précisément défini et ne serait pas limité aux seules entreprises, ce service étant mis à disposition du public soit, au sens du 2° de l'article L. 100-3 du CRPA précité, toute personne physique et toute personne morale de droit privé, à l'exception de celles qui sont chargées d'une mission de service public lorsqu'est en cause l'exercice de cette mission. De façon analogue, les domaines et conditions dans lesquelles ce service de médiation ne sont pas précisées et sont renvoyés à un décret en Conseil d'État.

1.2. Systématiser l'interruption des délais de recours et la suspension des prescriptions lorsqu'une médiation est engagée

En deuxième lieu, le présent article tend à généraliser l'interruption des délais de recours contentieux et la suspension des délais de prescription. En effet, pour certains régimes de médiation, l'engagement d'une procédure de médiation n'interrompt pas mais suspend les délais de recours, qui recommencent donc à courir à partir du délai déjà échu une fois l'échec de la médiation constaté. Pour d'autres régimes, les délais de recours contentieux continuent à courir, ce qui peut désinciter à l'engagement d'une médiation et nuire à l'effectivité du droit au recours.

Partant du constat de cette hétérogénéité, le présent article tend :

- en premier lieu, à ajouter un article L. 421-3 au CPRA prévoyant que les médiations engagées sur le fondement des articles L. 421-1 et L. 421-2 du même code interrompent les délais de recours contentieux et suspendent les délais de prescription dans les conditions prévues à l'article L. 213-6 du code de justice administrative ;

- en second lieu, à substituer l'interruption à la suspension actuellement prévue des délais de recours contentieux pour deux médiations « sectorielles » - d'une part, celles relatives aux litiges entre les organismes de sécurité sociale et leurs usagers (III de l'article) et, d'autre part, la mutualité sociale agricole et ses usagers (IV de l'article).

1.3. Harmoniser la dénomination des médiations

Enfin, le présent article tend à harmoniser la dénomination de la médiation au sein du droit, en supprimant la notion connexe de « conciliation ».

Dans le cadre de la procédure civile, ces deux notions sont disjointes et désignent des modes alternatifs de règlement des différends distincts. Si dans les deux cas un tiers à la procédure s'efforce de faire converger les intérêts des parties, le conciliateur de justice exerce sa mission à titre gratuit, en tant que bénévole, alors que le médiateur est rémunéré pour sa prestation88(*).

En droit public, une telle distinction ne paraît pas revêtir la même pertinence. Le présent article tend donc à supprimer la notion de conciliation pour lui préférer celle de médiation, jugée plus lisible.

2. La position de la commission : sécuriser le dispositif et prolonger son intention

La commission a soutenu les objectifs poursuivis par le présent article. Le développement de la médiation pour régler les litiges entre l'administration et les usagers peut permettre de désengorger les juridictions administratives et de garantir une meilleure acceptation des solutions ainsi dégagées pour la résolution du différend. Par ailleurs, les objectifs de lisibilité et de clarté du droit également poursuivis ne sauraient qu'être soutenus. La commission a néanmoins adopté l'amendement COM-321 du rapporteur, dans un double objectif.

En premier lieu, la commission a souhaité mieux encadrer l'obligation désormais faite à l'administration de mettre à la disposition du public les services d'un médiateur. Rédigée en des termes très généraux, cette disposition renvoie pour la définition de ses domaines et champs d'application à un décret en Conseil d'État. Afin d'éviter tout risque d'incompétence négative et mieux préciser les conditions dans lesquelles une telle obligation s'exercerait, la commission a explicitement soumis les activités de médiation en question aux dispositions générales prévues par le code de justice administrative et applicables à la médiation.

Ces dispositions prévoient en particulier, outre une définition du processus de médiation, les obligations déontologiques applicables au médiateur - impartialité, compétence et diligence -, la confidentialité du processus de la médiation ainsi que la faculté pour les parties de saisir la juridiction administrative pour homologuer et donner force exécutoire à l'accord issu de la médiation. Il a ainsi paru souhaitable à la commission, alors que les services de médiation vont être rendus plus nombreux, de garantir un socle procédural commun. La commission a en outre précisé que les groupements de collectivités territoriales sont exclus du champ de cette obligation, dans la stricte mesure où le régime de la médiation territoriale prévu à l'article L. 1112-24 du code général des collectivités territoriales leur est déjà applicable.

Si la commission n'a pas souhaité restreindre aux seules entreprises le champ des usagers concernés ni préciser davantage les domaines concernés, le rapporteur relève le caractère particulièrement général de la disposition et appelle l'attention sur la rédaction du décret en Conseil d'État devant définir les personnes publiques soumises à l'obligation ainsi créée : s'il est loisible au pouvoir réglementaire de prévoir que celle-ci soit appliquée à des administrations ayant des relations avec des particuliers, il est particulièrement important que les administrations en lien avec des entreprises se voient appliquer cette obligation aussi largement que possible.

En second lieu, la commission a souhaité, par l'adoption du même amendement COM-321 du rapporteur, renforcer la portée de la généralisation de l'interruption des délais de recours contentieux en cas de médiation - par opposition à leur suspension. Elle en a ainsi étendu l'application à deux médiations sectorielles :

- d'une part, à celle prévue dans le cas où une personne handicapée, ses parents si elle est mineure, ou son représentant légal, estiment qu'une décision de la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées méconnaît ses droits89(*) ;

- d'autre part, à celles prévues dans le cas où un assureur et un assuré90(*) - ou entre une mutuelle et le membre participant91(*) - sont en désaccord sur les mesures à prendre pour régler un différend dans le cadre d'un contrat d'assurance de protection juridique.

Ce faisant, la commission a substitué, lorsque possible, le terme de « médiation » à celui de « conciliation », en cohérence avec l'objectif poursuivi par le présent article.

La commission a adopté l'article 9 ainsi modifié.

Article 10
Modification de dispositions pénales
applicables aux chefs d'entreprise

L'article 10 vise à modifier certaines dispositions pénales applicables aux chefs d'entreprise en cas de manquement dans la réalisation de certaines procédures administratives.

D'une part, il tend à supprimer la peine d'emprisonnement de six mois actuellement prévue en cas de manquement aux obligations de déclaration au registre des bénéficiaires effectifs et à porter l'amende encourue pour les mêmes faits de 7 500 à 250 000 euros. D'autre part, il tend à supprimer le délit d'entrave à l'audit de durabilité récemment créé dans le cadre de la transposition de la directive européenne Corporate Sustainability Reporting Directive, dite « CSRD ».

Favorable au principe d'un allègement du risque pénal en droit des affaires lorsque sont en cause des obligations relatives à de simples formalités administratives, la commission a estimé bienvenues ces dispositions. Elle a néanmoins, sur proposition du rapporteur, porté le montant de l'amende encourue en cas de manquement aux obligations de 250 000 à 200 000 euros ; ce quantum lui a paru cohérent au regard des engagements internationaux de la France en matière de blanchiment des capitaux et de lutte contre le terrorisme et de la nécessité de maintenir en la matière un cadre répressif dissuasif.

1. Le dispositif proposé : alléger le risque pénal pour les chefs d'entreprise lorsque sont en cause des formalités administratives

Le présent article vise en premier lieu à modifier le quantum de peine encouru en cas de manquement aux obligations déclaratives relatives aux bénéficiaires effectifs. Ces obligations résultent de la transposition en droit national de la directive (UE) 2018/843 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2018 (dite « cinquième directive antiblanchiment »), qui prévoit que la sanction par les États membres de manquements à leur législation nationale en la matière doit être « effective, proportionnée et dissuasive »92(*). Le droit en vigueur dispose que les manquements à ces obligations sont passibles d'un emprisonnement de six mois et d'une amende pouvant s'élever à 7 500 euros.

Le rapport « Rendre des heures aux Français », qui a informé le travail préparatoire à la conception du présent projet de loi, pointait ces dispositions comme problématiques et proposait de « dépénaliser les niveaux de sanctions en cas de manquement, de bonne foi, à des obligations déclaratives des dirigeants »93(*).

Extraits du rapport « Rendre des heures aux Français »

« Le droit des affaires a été fortement pénalisé là où des sanctions contraventionnelles seraient plus adaptées dans les cas de bonne foi.

« Par exemple, un chef d'entreprise qui ne dépose pas le registre des bénéficiaires effectifs est susceptible d'une sanction pénale, et ce, alors même qu'il n'a pourtant aucun moyen de s'assurer de la bonne réception de son dépôt auprès de l'administration. D'autres exemples de sanctions de niveau pénal peuvent peser sur la responsabilité des entrepreneurs sans que le niveau pénal ne puisse être justifié.

« Cette situation pèse sur le moral des chefs d'entreprise et leur crainte de mal faire, là où souvent il ne peut leur être reproché qu'un manque d'information suffisante.

« Il faut dépénaliser les niveaux de sanction en cas de premier manquement de bonne foi à des obligations déclaratives des dirigeants (par exemple, l'obligation de dépôt du registre des bénéficiaires effectifs). »

Source : rapport « Rendre des heures aux Français »

Le présent article vise à donner suite à cette recommandation, en supprimant au premier alinéa de l'article L. 574-5 du code monétaire et financier la peine d'emprisonnement encourue en cas de manquement aux obligations déclaratives relatives aux bénéficiaires effectifs. Considérant cette « peine inadaptée, dès lors qu'aucune peine d'emprisonnement n'a été prononcée en cas de non déclaration ou de fausses déclarations depuis la mise en place du régime de sanctions »94(*), le présent article rehausse néanmoins le montant maximal de l'amende encourue en cas de manquement, dans le souci de maintenir un cadre répressif effectif, proportionné et dissuasif, à hauteur de 250 000 euros.

Les représentants de la direction générale du Trésor auditionnés par le rapporteur ont indiqué avoir fixé le montant de 250 000 euros par référence au cadre réglementaire luxembourgeois, qui ne prévoit aucune peine d'emprisonnement mais une amende maximale de 1,25 million d'euros pour les personnes morales et dont le Groupe d'action financière estime le cadre répressif satisfaisant en la matière. Dès lors, l'article 131-38 du code pénal prévoyant le quintuplement des peines encourues par les personnes physiques pour les infractions commises par des personnes morales, fixer ce quantum à 250 000 euros pour une personne physique permettrait d'atteindre un montant maximal à celui ayant cours au Luxembourg.

En second lieu, le présent article vise à supprimer le délit d'entrave à l'audit de durabilité, récemment créé par la transposition de la directive européenne Corporate Sustainability Reporting Directive, dite « CSRD » en droit national par l'ordonnance n° 2023-1142 du 6 décembre 2023 relative à la publication et à la certification d'informations en matière de durabilité et aux obligations environnementales, sociales et de gouvernement d'entreprise des sociétés commerciales. La transposition de cette directive a en effet été l'occasion de prévoir un cadre répressif applicable à la certification des informations extra-financières calqué sur celui applicable à la certification financière déjà en vigueur. Elle a notamment prévu l'introduction en droit national d'un délit d'entrave à l'audit d'un commissaire aux comptes (article L. 821-6 du code de commerce) ou d'un organisme tiers indépendant (article L. 822-40 du même code) proche des dispositions en vigueur relatives à l'entrave à l'audit financier.

Le présent article supprime en conséquence les dispositions réprimant le délit d'entrave à l'audit de durabilité, que celui-ci soit effectué par un organisme tiers indépendant ou un commissaire aux comptes.

2. La position de la commission : un allégement bienvenu du risque pénal, dont la portée peut être prolongée

La commission a accueilli favorablement ces dispositions, qui vont dans le sens d'une dépénalisation bienvenue du droit des affaires dès lors que sont en cause de simples formalités administratives.

S'agissant de la suppression du délit d'entrave à l'audit de durabilité, la commission a néanmoins joint son appréciation à celle formulée par le Conseil d'État dans son avis relatif au projet de loi : il est dommageable que les effets négatifs d'une disposition introduite au mois de décembre 2023 n'aient pu être anticipés dès la conception de celle-ci. À cet égard, la commission a relevé que l'examen par le Parlement d'un projet de loi dédié, qui permet une discussion plus ouverte aux acteurs de la société civile que celle permise par la rédaction d'une ordonnance, aurait peut-être pu permettre l'identification plus directe d'une telle difficulté. Néanmoins, la commission a jugé bienvenue l'évolution proposée : alors que la France est l'un des pays les plus en avance sur la transposition de cette directive, la suppression d'un tel délit a vocation à permettre l'appropriation sereine par les acteurs concernés de ce nouveau cadre réglementaire.

S'agissant de la modification des dispositions pénales réprimant les manquements aux obligations déclaratives relatives aux bénéficiaires effectifs, le choix du Gouvernement de supprimer la peine aujourd'hui encourue pour de tels manquements de six mois d'emprisonnement n'a pu qu'être soutenu par la commission : des peines aussi courtes n'étant jamais prononcées, leur maintien dans notre arsenal juridique constitue à la fois une source d'inquiétude indue pour les chefs d'entreprises désireux de se conformer à leurs obligations et un potentiel de dissuasion particulièrement faible pour les fraudeurs éventuels. De fait, aucune peine d'emprisonnement n'a jamais été prononcée sur ce fondement.

Néanmoins, si le renforcement corrélatif du montant maximal de l'amende encourue en cas de manquement est compréhensible, le rapporteur s'est interrogé sur la pertinence du montant retenu, qui paraît quelque peu excessif et ne permet pas nécessairement la bonne insertion de la disposition dans l'échelle des peines actuellement prévue : l'on peut ainsi relever que les infractions prévues à l'article L. 574-4 du code monétaire et financier - qui visent l'entrave par certaines entités assujetties à des obligations en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme aux contrôles administratifs dont elles peuvent faire l'objet - ont vocation, en l'état du droit à être plus durement réprimées que les manquements aux obligations déclaratives en matière de bénéficiaires effectifs ; or, une amende pouvant être portée à 250 000 euros dans le second cas contre 15 000 euros seulement dans le premier - nonobstant la peine d'emprisonnement d'un an encourue - remet en cause la cohérence actuelle de ce régime répressif.

En conséquence, la commission a adopté l'amendement COM-322 du rapporteur, qui tend à ramener le montant maximal de cette amende à 200 000 euros. Ce faisant, il alignerait la sanction encourue en cas de manquement à l'obligation déclarative sur celle encourue pour les mêmes faits en Autriche95(*), seul autre pays avec le Luxembourg ne prévoyant pas de peine d'emprisonnement dont le Groupe d'action financière (GAFI) juge satisfaisant le cadre répressif en la matière. Alors que l'évaluation mutuelle par le GAFI de la France en 2022 soulignait que « malgré les sanctions encourues (amendes et emprisonnement) en cas de manquement à l'obligation déclarative de fournir les informations requises au registre, 4 ans après l'introduction du registre des bénéficiaires effectifs, un quart des sociétés déjà enregistrées (...) n'ont toujours pas transféré ou fourni leurs informations sur leur bénéficiaire effectif sous le nouveau cadre d'enregistrement »96(*), il paraîtrait problématique d'envoyer le signal d'un relâchement du cadre répressif.

Au-delà du seul respect des préconisations du GAFI, la commission a estimé particulièrement nécessaire de conserver un cadre répressif dissuasif en matière de blanchiment des capitaux et de financement du terrorisme au regard du défi que ces phénomènes posent encore à notre société. À titre d'exemple, la récente commission d'enquête relative au narcotrafic a ainsi souligné le caractère « tentaculaire » que représentait le blanchiment de capitaux en la matière97(*), ce qui ne plaide pas pour un assouplissement excessif du cadre répressif national en la matière.

Enfin, le montant de 200 000 euros demeurerait naturellement un maximum, applicable au cas hypothétique d'une personne refusant de façon délibérée et répétée de se conformer à ses obligations déclaratives : il n'aurait pas vocation à s'appliquer à un chef d'entreprise commettant de bonne foi une erreur de déclaration. À cet égard, le rapporteur rappelle que les amendes aujourd'hui prononcées atteignent des montants relativement modestes et représentaient en moyenne en 2020 et 2021 respectivement 400 et 510 euros.

La commission a adopté l'article 10 ainsi modifié.


* 80 Le lien entre le sentiment chez les justiciables d'une perte d'efficacité du système judiciaire et la promotion de modes alternatifs de règlement des différends est fait de longue date, au moins depuis le tournant des années 2000. Le professeur Charles Jarrosson relevait ainsi, dans un article de 1997, que « c'est d'abord dans la déception suscitée par les modes juridictionnels de règlement des litiges qu'il faut chercher l'origine de l'engouement pour ces autres modes de règlement des différends », ajoutant que « ce n'est pas un hasard si c'est au sein de la société qui connaît les plus grands excès procéduriers, la société américaine, que le mouvement a pris le plus d'ampleur » (c.f. Jarrosson, Charles, «  Les modes alternatifs de règlement des conflits. Présentation générale » in Revue internationale de droit comparé, n° 49-2, p. 326). De façon analogue, Julie Joly-Hurard, relevait dans un article de 2003 : « Les justiciables perdent confiance dans la capacité de l'État à rendre une justice équitable. Aussi, pour inverser cette tendance, les pouvoirs publics ont décidé d'institutionnaliser et de développer la conciliation et la médiation judiciaires » (c.f. Joly-Hurard, Julie, «  Conclusion générale », in Conciliation et médiation judiciaires. Presses universitaires d'Aix-Marseille, 2003).

* 81 Tel que le présentait Antoine Pinay, ancien président du Conseil et Médiateur de la République en 1973-1974. Voir à cet égard le rapport de France Stratégie, «  Médiation accomplie ? Discours et pratiques de la médiation entre citoyens et administrations », rédigé par Daniel Agacinski et Louise Cadin, publié en juillet 2019.

* 82 Par le décret n° 98-1082 du 1er décembre 1988.

* 83 Le rapport de France Stratégie dont est issue cette infographie précise les conditions de lecture suivantes : « la taille des bulles est déterminée par le nombre de saisines recevables en 2017 (sources : rapports d'activité) ; la couleur des bulles dépend de l'ancienneté de l'instance de médiation (plus le jaune est foncé, plus la médiation est ancienne) ; les regroupements sont présentés d'après les familles définies plus haut, selon le type d'institution de rattachement et donc selon le champ de compétence. Seules les médiations traitant plus de 1 500 dossiers par an voient leur nom figurer sur l'illustration. Les données des « médiateurs d'établissements » n'étant pas consolidées, il n'était pas possible de les faire figurer ici. »

* 84 Article 5 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIème siècle qui a créé le chapitre III du livre II du code de justice administrative, dédié à la médiation.

* 85 Article 36 de la loi.

* 86  Rapport au Parlement sur la mise en oeuvre de l'article 36 de la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un État au service d'une société de confiance, octobre 2021.

* 87 Ce faisant, il supprime l'article L. 421-2 du CRPA dans sa version actuelle, qui prévoit que des décrets en Conseil d'État peuvent prévoir dans quelles conditions les litiges avec certaines personnes publiques les actions mettant en jeu leur responsabilité extracontractuelle sont soumis, avant une instance juridictionnelle, à une procédure de conciliation. D'une part, aucun de ces décrets n'a été pris. D'autre part, une telle faculté paraît déjà exister dans le silence de la loi. Enfin, elle est déjà explicitement prévue s'agissant des litiges relatifs à des marchés publics ou des contrats de concession. Pour l'ensemble de ces raisons, cette suppression n'apparaît pas problématique.

* 88 Voir notamment l'article 131-13 du code de procédure civile.

* 89 Article L. 146-10 du code de l'action sociale et des familles.

* 90 Article L. 127-4 du code des assurances.

* 91 Article L. 224-4 du code de la mutualité.

* 92 Voir le 1. de l'article 58 de la directive (UE) 2015/849 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2015 relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme, dans sa version résultant de la directive (UE) 2018-843.

* 93 Rapport «  Rendre des heures aux Français, 14 mesures pour simplifier la vie de nos entreprises », proposition n° 12, p. 24.

* 94 Selon l'étude d'impact.

* 95 Voir l'article 15 de la Bundesgesetz über die Einrichtung eines Registers der wirtschaftlichen Eigentümer von Gesellschaften, anderen juristischen Personen und Trusts (ou Wirtschaftliche Eigentümer Registergesetz - WiEReG et, en anglais, Beneficial Ownership Registry Act ou « BORA »).

* 96  Rapport d'évaluation mutuelle de la France, GAFI, mai 2022, p. 218.

* 97 «  Un nécessaire sursaut : sortir du piège du narcotrafic », rapport n° 588 (2023-2024), tome I, déposé le 7 mai 2024.

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