CHAPITRE II
ALLÉGER LES CONTRAINTES
QUI PÈSENT SUR LA CROISSANCE DES ENTREPRISES

Article 8
Rehaussement des seuils de notification des concentrations d'entreprises auprès de l'Autorité de la concurrence

L'article 8 vise à rehausser les seuils généraux et les seuils applicables aux magasins de commerce de détail à partir desquels des entreprises doivent notifier leurs projets d'opérations de concentration auprès de l'Autorité de la concurrence.

Considérant cette mesure justifiée, proportionnée, compatible avec la règlementation européenne applicable en la matière et de nature à alléger à la fois la charge administrative des entreprises et de l'Autorité de la concurrence, la commission spéciale a adopté l'article sans modification.

1. Alors que l'Autorité de la concurrence fait face à une hausse du nombre d'opérations de concentrations notifiées, les seuils de notification fixés par la loi n'ont pas été révisés depuis leur création

1.1. L'Autorité de la concurrence est chargée du contrôle des concentrations d'entreprises en France dans la limite des prérogatives attribuées la Commission européenne en la matière

Autorité administrative indépendante, l'Autorité de la concurrence est chargée du contrôle des concentrations d'entreprises en France. Une concentration d'entreprises s'entend comme la fusion de deux ou plusieurs entreprises existantes, par la prise de contrôle totale ou partielle d'une entreprise par une autre ou encore par la création d'une entreprise commune par deux sociétés existantes73(*).

Une opération de concentration doit être notifiée à l'Autorité de la concurrence avant sa création. Néanmoins, des seuils ont été fixés par le législateur afin de déterminer les opérations susceptibles de modifier la structure d'un marché ou d'un segment de marché et de soulever des problématiques concurrentielles. En effet, le rôle de l'Autorité de la concurrence n'est pas d'être une « tour de contrôle » régulant toute l'économie74(*). Par conséquent, trois types de seuils de notification ont été fixés75(*) :

- des seuils généraux76(*) lorsque les conditions suivantes sont réunies :

o le chiffre d'affaires total mondial hors taxes de l'ensemble des entreprises ou groupes de personnes physiques ou morales parties à la concentration est supérieur à 150 m€ ;

o le chiffre d'affaires total hors taxes réalisé en France par deux au moins des entreprises ou groupes de personnes physiques ou morales concernés est supérieur à 50 m€.

des seuils, plus bas, spécifiques aux magasins de commerce de détail77(*) lorsque les conditions suivantes sont réunies :

o le chiffre d'affaires total mondial hors taxes de l'ensemble des entreprises ou groupes de personnes physiques ou morales parties à la concentration est supérieur à 75 m€ ;

o le chiffre d'affaires total hors taxes réalisé en France dans le secteur du commerce de détail par deux au moins des entreprises ou groupes de personnes physiques ou morales concernés est supérieur à 15 m€.

des seuils, plus bas, spécifiques aux départements d'outre-mer78(*), à Mayotte, aux îles Wallis et Futuna, aux collectivités d'outre-mer de Saint-Pierre-et-Miquelon, de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy :

o le chiffre d'affaires total mondial hors taxes de l'ensemble des entreprises ou groupes de personnes physiques ou morales parties à la concentration est supérieur à 75 m€ 

o le chiffre d'affaires total hors taxes réalisé individuellement dans au moins un des départements ou collectivités territoriales concernés par deux au moins des entreprises ou groupes de personnes physiques ou morales concernés est supérieur à 15 M€, ou à 5 M€ dans le secteur du commerce de détail sans qu'il soit nécessaire que ce seuil soit atteint par l'ensemble des entreprises concernées dans le même département ou la même collectivité territoriale.

Par ailleurs, de façon générale, sont seulement notifiées à l'Autorité de la concurrence les opérations de concentration qui ne relèvent pas de la compétence de la Commission européenne, chargée de la politique européenne de concurrence, définie par le règlement européen du 20 janvier 2004 relatif au contrôle des concentrations d'entreprises79(*).

L'article 1er de ce règlement défini notamment les opérations de concentration qualifiées de « dimension communautaire » lorsque :

- le chiffre d'affaires total réalisé sur le plan mondial par l'ensemble des entreprises concernées représente un montant supérieur à 5 Mds€ et le chiffre d'affaires total réalisé individuellement dans l'Union européenne par au moins deux des entreprises concernées représente un montant supérieur à 250 M€ ;

- ou que chacune des entreprises concernées réalise plus des deux tiers de son chiffre d'affaires total dans l'Union européenne à l'intérieur d'un seul et même État membre.

L'article 22 de ce même règlement prévoit la possibilité pour les autorités nationales chargées de la concurrence de renvoyer à la Commission européenne des opérations de concentration qui ne sont pas de dimension communautaire mais qui affecte le commerce au sein du marché intérieur ou menace d'affecter de manière significative la concurrence sur le territoire d'un ou plusieurs États membres. Récemment, la Commission européenne a élargi l'interprétation de cet article 22, en acceptant le renvoi par les autorités nationales d'opérations de concentration qui sont également « sous les seuils » fixés au niveau national, ce qui permet de mieux appréhender les acquisitions prédatrices ou consolidantes, en particulier dans l'économie numérique.

1.2. L'Autorité de la concurrence fait face, à l'instar d'autres autorités nationales chargées de la concurrence au sein de l'Union européenne, à une hausse continue du nombre de concentrations notifiées

Les notifications d'opérations de concentration, principalement sous la forme de fusions d'entreprises, tendent à augmenter depuis 2010, avec une hausse particulièrement marquée depuis 2021. Depuis 2009, l'Autorité de la concurrence a rendu 3 229 décisions relatives à des opérations de concentration, dont 96,6 %, soit 3 119 décisions ont été autorisées sans condition, seulement deux projets de concentration ayant été interdits. Des sanctions ont toutefois été prononcées lorsqu'il y a eu un défaut de notification de l'opération de concentration, une mise en oeuvre anticipée ou une violation des engagements pris par l'entreprise.

En 2023, 300 opérations ont été notifiées à l'Autorité de la concurrence, en majorité dans le secteur de la distribution, ce qui rapproche son volume d'activités de celui de la Commission européenne auprès de laquelle 365 opérations ont été notifiées en 2022.

Source : commission spéciale, à partir de l'étude d'impact du projet de loi.

Source : commission spéciale, à partir des données transmises.

Selon l'étude d'impact du projet de loi, seulement quatre autorités nationales chargées de la concurrence reçoivent plus de 200 notifications par an au sein de l'Union européenne, au premier rang desquelles figure l'autorité allemande de la concurrence avec plus de 800 notifications annuelles, conduisant l'Allemagne à rehausser ses propres seuils nationaux de notification en 2021. À la suite de cette réforme, l'autorité allemande chargée de la concurrence a observé une baisse du nombre d'opérations notifiées de l'ordre de 20 % entre 2021 et 2022.

1.3. Les seuils généraux de notification n'ont pas été révisés depuis leur entrée en vigueur

Aujourd'hui, l'Autorité de la concurrence estime que la hausse du nombre d'opérations notifiées est presque « mécanique », liée à une hausse du niveau absolu du chiffre d'affaires des entreprises au fil du temps, elle-même liée l'augmentation du taux d'inflation - augmentation cumulée d'environ 39 % entre 2004 et 2023 - et du PIB nominal français - taux de croissance cumulé de 65 % sur la même période.

Au regard de l'étude d'impact du projet de loi et des informations transmises à la commission spéciale, il s'avère que les trois types de seuils de chiffre d'affaires qui fondent le contrôle des concentrations n'ont jamais été révisés depuis leur entrée en vigueur, soit depuis 2004 pour les seuils généraux et depuis 2008 pour les seuils applicables aux magasins de commerce de détail et aux départements et collectivités d'outre-mer.

2. Le rehaussement des seuils de notification des opérations de concentration est envisagé pour la première fois depuis leur création

2.1. Le rehaussement des seuils généraux

L'article 7 prévoit d'augmenter le « seuil de chiffre d'affaires mondial » de 150 à 250 m€ et le « seuil de chiffre d'affaires français » de 50 à 80 m€.

2.2. Le rehaussement des seuils applicables aux magasins de commerce de détail

L'article 7 prévoit également d'augmenter le « seuil de chiffre d'affaires mondial » de 75 à 100 m€ et le « seuil de chiffre d'affaires français » de 75 à 100 m€.

2.3. Le statu quo pour les seuils applicables aux outre-mer

Au regard des problématiques concurrentielles spécifiques aux territoires d'outre-mer, l'Autorité de la concurrence n'a pas souhaité réviser les seuils de notification qui leur sont applicables.

3. La commission spéciale considère qu'il s'agit d'une mesure justifiée, de nature à simplifier la vie économique des entreprises et à améliorer le travail de l'Autorité de la concurrence

3.1. Une mesure qui poursuit bien un objectif de simplification de la vie des entreprises

La commission spéciale a considéré que la mesure de simplification proposée par l'Autorité de la concurrence était justifiée, d'autant plus qu'elle devrait permettre de réduire la charge administrative des entreprises. En effet, selon une analyse rétroactive réalisée par les services de l'Autorité de la concurrence, 800 entreprises n'auraient pas eu à notifier leur opération de concentration entre 2018 et 2022 - 500 au titre des seuils généraux dont 12 % de TPE-PME et 300 au titre des seuils applicables aux magasins de commerce de détail dont 60 % de TPE-PME - si les seuils avaient été révisés auparavant et dans les mêmes proportions que ce qui est proposé par l'article 7 de ce projet de loi.

La commission spéciale estime que le relèvement des seuils envisagé est proportionné, puisque correspondant aux taux de croissance cumulés du PIB nominal français depuis 2004, tout en étant compatible avec les seuils fixés par le règlement européen de 2004 pour les opérations de concentration de dimension communautaire.

3.2. Une mesure qui vise également à améliorer le travail de l'Autorité de la concurrence

Enfin, la commission spéciale considère que les mesures envisagées sont également de nature à alléger la charge de travail de l'Autorité de la concurrence en matière de contrôle des concentrations.

Selon la même analyse rétroactive, il s'avère que 378 opérations de concentration n'auraient pas été notifiées entre 2018 et 2022, tandis que le rehaussement des seuils devrait permettre une diminution du nombre d'opérations notifiées de l'ordre de 20 à 30 %, principalement dans le secteur de la distribution.

L'entrée en vigueur des dispositions de l'article 7 devrait donc permettre à l'Autorité de la concurrence d'allouer plus efficacement ses ressources pour effectuer des contrôles plus ciblés et plus stratégiques.

La commission a adopté l'article 8 sans modification.


* 73 Article L. 430-1 du code de commerce.

* 74  Audition de Benoît Coeuré, président de l'Autorité de la concurrence, devant la commission des affaires économiques du Sénat le 13 mars 2024.

* 75 Article L. 430-2 du code de commerce.

* 76 Article 25 de l' Ordonnance n° 2004-274 du 25 mars 2004.

* 77 Article 96 de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie.

* 78 Ibid.

* 79  Règlement (CE) n° 139/2004 du Conseil du 20 janvier 2004 relatif au contrôle des concentrations entre entreprises ("le règlement CE sur les concentrations").

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