CHAPITRE III
SIMPLIFIER ET ACCÉLÉRER
LES PROCÉDURES JUDICIAIRES

Article 12
Magistrats honoraires et juges des référés

L'article 12 vise à accélérer le traitement de certains contentieux devant les juridictions administratives.

À cette fin, il prévoit, d'une part, un élargissement des missions que peuvent exercer les magistrats honoraires et, d'autre part, la suppression de la condition de grade actuellement prévue pour l'exercice des fonctions de juge des référés.

Reconnaissant l'intérêt que présentent ces dispositions pour fluidifier le fonctionnement des juridictions administratives et considérant qu'elles ne posaient pas de difficulté sur le plan statutaire, la commission a accueilli favorablement ces dispositions.

1. Le dispositif proposé : accélérer le traitement de contentieux devant les juridictions administratives

Le présent article vise à accélérer le traitement de certains contentieux devant les juridictions administratives, au moyen de deux dispositifs.

1.1. Élargir les fonctions que peuvent exercer les magistrats honoraires

En premier lieu, il tend à étendre les fonctions que peuvent exercer les magistrats honoraires. Comme le rappelle l'étude d'impact, lors de leur admission à la retraite, les magistrats administratifs peuvent être admis à l'honorariat, qui leur permet de continuer à exercer des fonctions juridictionnelles et non juridictionnelles au sein des tribunaux administratifs et cours administratives d'appel.

Les fonctions que peuvent exercer les magistrats honoraires sont encadrées par la loi. À titre d'exemple, s'agissant des fonctions non juridictionnelles, l'article L. 222-2 du code de justice administrative prévoit ainsi que « dans tous les cas où la participation d'un magistrat de tribunal administratif ou de cour administrative d'appel à une commission est prévue, la désignation peut porter sur un magistrat honoraire ».

Plus fondamentalement, les fonctions juridictionnelles que peuvent exercer les magistrats administratifs sont énumérées aux articles L. 222-2-1 - s'agissant des tribunaux administratifs - et L. 222-6 - s'agissant des cours administratives d'appel - du code de justice administrative. Au sein d'un tribunal administratif, les magistrats honoraires peuvent donc :

- exercer les fonctions de rapporteur en formation collégiale dans la limite d'un magistrat honoraire par formation de jugement ;

- statuer sur les recours relevant de la compétence du juge statuant seul ;

- statuer sur les référés ;

- statuer sur des recours en annulation en matière de droit des étrangers.

Au sein d'une cour administrative d'appel, les magistrats honoraires peuvent, outre des fonctions d'aide à la décision103(*) :

- exercer les fonctions de rapporteur en formation collégiale ;

- statuer sur les référés.

Dans l'ensemble de ces cas, les magistrats honoraires sont soumis à des exigences statutaires spécifiques permettant de garantir leur compétence et leur indépendance, énumérées à l'article L. 222-2 du code de justice administrative.

Afin d'accélérer le traitement par les juridictions administratives de certains contentieux et de libérer du temps aux magistrats administratifs en activité, le présent article prévoit l'élargissement des fonctions que peuvent exercer les magistrats honoraires. Au sein des tribunaux administratifs, trois nouvelles fonctions pourraient être exercées par les magistrats honoraires :

compléter une formation de jugement, pour pallier une vacance occasionnelle d'un magistrat en activité ;

accomplir les diligences utiles pour l'exécution d'une décision juridictionnelle faisant l'objet d'une demande d'exécution ;

assurer les missions pouvant être déléguées à un conseiller en matière d'enquêtes publiques, dont l'étude d'impact rappelle qu'elles consistent « notamment à désigner les commissaires enquêteurs ou les membres de la commission d'enquête, à demander à ces commissaires enquêteurs ou membres de la commission de compléter leurs conclusions, à fixer par ordonnance le montant de l'indemnité due aux commissaires enquêteurs ou encore le montant de la provision versée par le responsable du projet et, le cas échéant, celui de l'allocation provisionnelle demandée par les commissaires enquêteurs permettre aux magistrats honoraires de compléter une formation de jugement ».

Les deux premières de ces fonctions pourraient également, aux termes du présent article, être exercées par les magistrats honoraires au sein des cours administratives d'appel. L'article prévoit à cette occasion qu'une même formation collégiale ne peut compter plus d'un magistrat honoraire, une disposition déjà applicable au sein des tribunaux administratifs.

1.2. Supprimer la condition de grade à l'exercice des fonctions de juge des référés

En second lieu, le présent article tend à ouvrir plus largement la possibilité pour les magistrats administratifs d'exercer les fonctions de juge des référés. L'article L. 511-2 du code de justice administrative prévoit ainsi deux conditions à l'exercice de telles fonctions :

- avoir une ancienneté de deux ans ;

- avoir atteint le grade de premier conseiller.

Le présent article tend à supprimer cette seconde condition. Il vise en cela à répondre à deux difficultés. D'une part, le nombre d'affaires enregistrées par les tribunaux administratifs en matière de référés augmente tendanciellement : entre 2019 et 2023, le nombre d'affaires enregistrées par les tribunaux administratifs en référé a donc crû de 41,74 %, comme le montre le graphique ci-dessous.

Source : commission spéciale à partir des données
du rapport d'activité 2023 du Conseil d'État

Par ailleurs, le décret n° 2023-486 du 21 juin 2023 modifiant le statut des magistrats administratifs a réformé l'évolution de carrière des magistrats administratifs et porté de trois à six ans la durée d'activité nécessaire à l'obtention du grade de premier conseiller. Il en résulte une diminution du nombre potentiel, à l'avenir, de magistrats administratifs pouvant exercer les fonctions de juge des référés.

Le dispositif de l'article prévoit ainsi une augmentation, à l'échelle de l'ensemble des juridictions administratives104(*), de l'ordre de 11,28 % du nombre de magistrats pouvant exercer les fonctions de juge des référés, comme le montre le tableau ci-dessous.

Impact de la réforme proposée pour chacun des tribunaux administratifs

Juridiction

Nombre de magistrats pouvant exercer les fonctions de juge des référés

Nombre de magistrats pouvant exercer les fonctions de juge des référés aux termes de la réforme proposée

Évolution du nombre de magistrats pouvant exercer les fonctions de juge des référés

Cour administrative d'appel de Bordeaux

17

0

-

Cour administrative d'appel de Douai

13

0

-

Cour administrative d'appel de Lyon

20

0

-

Cour administrative d'appel de Marseille

19

0

-

Cour administrative d'appel de Nancy

15

0

-

Cour administrative d'appel de Nantes

18

0

-

Cour administrative d'appel de Paris

30

0

-

Cour administrative d'appel de Toulouse

12

0

-

Cour administrative d'appel de Versailles

16

0

-

Cour nationale du droit d'asile

3

0

-

Tribunal administratif d'Amiens

8

2

25,00%

Tribunal administratif de Bastia

2

0

-

Tribunal administratif de Besançon

4

1

25,00%

Tribunal administratif de Bordeaux

13

4

30,77%

Tribunal administratif de Caen

3

2

66,67%

Tribunal administratif de Cergy-Pontoise

18

11

61,11%

Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne

5

0

-

Tribunal administratif de Clermont-Ferrand

8

0

-

Tribunal administratif de Dijon

8

2

25,00%

Tribunal administratif de Grenoble

28

0

-

Tribunal administratif de la Guyane

2

2

100,00%

Tribunal administratif de la Polynésie française

3

0

-

Tribunal administratif de Lille

22

1

4,55%

Tribunal administratif de Limoges

7

1

14,29%

Tribunal administratif de Lyon

25

1

4,00%

Tribunal administratif de Marseille

19

2

10,53%

Tribunal administratif de Melun

15

5

33,33%

Tribunal administratif de Montpellier

18

1

5,56%

Tribunal administratif de Montreuil

32

5

15,63%

Tribunal administratif de Nancy

8

1

12,50%

Tribunal administratif de Nantes

25

3

12,00%

Tribunal administratif de Nice

14

2

14,29%

Tribunal administratif de Nîmes

11

1

9,09%

Tribunal administratif de Paris

60

2

3,33%

Tribunal administratif de Pau

5

3

60,00%

Tribunal administratif de Poitiers

7

2

28,57%

Tribunal administratif de Rennes

17

1

5,88%

Tribunal administratif de Rouen

10

3

30,00%

Tribunal administratif de Strasbourg

21

2

9,52%

Tribunal administratif de Toulon

8

0

-

Tribunal administratif de Toulouse

9

7

77,78%

Tribunal administratif de Versailles

25

1

4,00%

Tribunal administratif d'Orléans

11

1

9,09%

Tribunaux administratifs de la Guadeloupe, de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin

1

3

300,00%

Tribunaux administratifs de la Martinique
et de Saint-Pierre-et-Miquelon

3

1

33,33%

Tribunaux administratifs de La Réunion
et de Mayotte

6

0

-

Tribunaux administratifs de Nouvelle-Calédonie et de Wallis-et-Futuna

3

0

-

Total

647

73

11,28%

Source : commission spéciale d'après des données fournies par la DACS

2. La position de la commission : des dispositions bienvenues dans la perspective d'une meilleure efficacité des juridictions administratives

La commission a accueilli favorablement les dispositions du présent article.

Au regard de la nécessité d'accélérer les délais de traitement des juridictions administratives, y compris au bénéfice des entreprises, l'extension - mesurée - des fonctions pouvant être exercées par les magistrats honoraires a paru bienvenue à la commission. Elle a au demeurant relevé que le Conseil supérieur des tribunaux administratifs et cours administratives d'appel (CSTACAA) du 9 avril 2024 a émis un avis favorable sur ces dispositions. Les organisations syndicales représentatives ont émis un avis plus réservé : le Syndicat de la juridiction administrative (SJA) s'étant abstenu et ayant émis des réserves sur une solution jugée comme un palliatif insuffisant à la hausse tendancielle du contentieux que connaissent les juridictions administratives et l'Union syndicale des magistrats administratifs (USMA) votant en faveur, tout en formulant des réserves similaires à celles du SJA et en appelant à revenir « sur des règles de mobilité à la fois trop restrictives et inadaptées aux besoins et au fonctionnement de la juridiction administrative ». En tout état de cause, la commission a relevé qu'aucune de ces organisations ne s'est opposée à ce dispositif.

Au surplus, le périmètre des fonctions juridictionnelles que pourraient désormais exercer les magistrats honoraires n'a pas paru excessif à la commission. Il lui a en particulier semblé que le cadre constitutionnel posé par la décision n° 2019-778 DC du 21 mars 2019 du Conseil constitutionnel pour l'exercice par les magistrats honoraires de telles fonctions était respecté : d'une part, le périmètre des fonctions ainsi ouvertes aux magistrats honoraires demeurerait très circonscrit, apportant la garantie que « les fonctions exercées par des magistrats honoraires ne représentent qu'une part limitée de celles normalement réservées à des magistrats en activité » ; d'autre part, l'article prévoit l'extension aux cours administratives d'appel de la garantie selon laquelle il ne peut y avoir plus d'un magistrat honoraire dans une même formation collégiale, satisfaisant cette même garantie ; enfin, les magistrats honoraires demeureraient dans l'exercice de ces fonctions juridictionnelles soumis aux dispositions de l'article L. 222-2 du code de justice administrative, qui garantissent leur compétence et leur indépendance.

Par ailleurs, s'agissant de la modification des conditions dans lesquelles un magistrat peut être nommé juge des référés, la commission n'a pas souhaité amender ces dispositions. Une telle réforme paraît en effet de nature à fluidifier progressivement le fonctionnement des juridictions administratives, alors que les conseillers sont déjà amenés, lorsqu'ils ont une ancienneté de deux ans, à siéger en tant que magistrat statuant seul (article R. 222-13 du code de justice administrative) ou à rejeter par voie d'ordonnance certaines requêtes (R. 222-1 du même code), des fonctions proches de celles de l'office du juge des référés. En conséquence, la commission n'a pas souhaité apporter de modification à ces dispositions.

La commission a adopté l'article 12 sans modification.


* 103 Article L. 222-6 du code de justice administrative.

* 104 Néanmoins, ne bénéficieraient concrètement du dispositif aucune cour administrative d'appel, ni la cour nationale du droit d'asile.

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