N° 334
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024
Enregistré à la Présidence du Sénat le 14 février 2024
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le projet de loi constitutionnelle, adopté par l'Assemblée nationale, relatif à la liberté de recourir à l'interruption volontaire de grossesse,
Par Mme Agnès CANAYER,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : M. François-Noël Buffet, président ; M. Christophe-André Frassa, Mme Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Marc-Philippe Daubresse, Jérôme Durain, Philippe Bonnecarrère, Thani Mohamed Soilihi, Mme Cécile Cukierman, MM. Dany Wattebled, Guy Benarroche, Mme Nathalie Delattre, vice-présidents ; Mmes Agnès Canayer, Muriel Jourda, M. André Reichardt, Mme Isabelle Florennes, secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Philippe Bas, Mme Nadine Bellurot, MM. Olivier Bitz, François Bonhomme, Hussein Bourgi, Ian Brossat, Christophe Chaillou, Mathieu Darnaud, Mmes Catherine Di Folco, Françoise Dumont, Jacqueline Eustache-Brinio, Françoise Gatel, Laurence Harribey, Lauriane Josende, MM. Éric Kerrouche, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Audrey Linkenheld, MM. Alain Marc, Hervé Marseille, Michel Masset, Mmes Marie Mercier, Corinne Narassiguin, M. Paul Toussaint Parigi, Mme Olivia Richard, M. Pierre-Alain Roiron, Mmes Elsa Schalck, Patricia Schillinger, M. Francis Szpiner, Mmes Lana Tetuanui, Dominique Vérien, M. Louis Vogel, Mme Mélanie Vogel.
Voir les numéros :
Assemblée nationale (16ème législ.) : |
1983, 2070 et T.A. 233 |
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Sénat : |
299 (2023-2024) |
L'ESSENTIEL
Le projet de loi constitutionnelle adopté par l'Assemblée nationale en première lecture le 30 janvier 2024 tend à inscrire l'interruption volontaire de grossesse (IVG) dans la Constitution. Son article unique consacrerait, à l'article 34 de la Constitution, « la liberté garantie à la femme d'avoir recours à une interruption volontaire de grossesse ».
Cette initiative du Gouvernement fait suite à l'examen par le Parlement d'une proposition de loi constitutionnelle similaire, adoptée successivement dans les deux chambres dans des termes différents1(*).
Comme les nombreuses propositions de lois constitutionnelles qui l'ont précédé, ce texte vient en réaction à la décision de la Cour suprême des États-Unis du 24 juin 2022 qui a renversé une jurisprudence accordant à l'avortement une protection constitutionnelle au niveau fédéral.
La rapporteure a maintenu son analyse quant à l'inopportunité d'importer en France un débat juridique lié à la nature fédérale des États-Unis et à l'inutilité de la révision proposée au regard de la protection très solide que le droit positif français accorde déjà à cette liberté de la femme.
Elle s'est interrogée sur la formulation choisie de « liberté garantie » et sur l'absence d'inscription simultanée de la liberté de conscience des professionnels de santé dans la Constitution, dans la ligne du compromis opéré par la loi Veil de 1975.
Elle a toutefois considéré que le vote du Sénat du 1er février 2023 exprimant le souhait d'une majorité de sénateurs de faire figurer l'IVG dans la Constitution devait être pris en compte.
Dans l'attente des amendements qui pourraient être déposés pour la séance publique, la commission a pris acte du projet de loi constitutionnelle.
I. UNE CONSTITUTIONNALISATION QUI RESTE INOPPORTUNE ET INUTILE
A. LA PROTECTION JURIDIQUE DE L'IVG EST D'ORES ET DÉJÀ TRÈS SOLIDE
L'IVG est inscrite dans le droit positif à l'article L. 2212-1 du code de la santé publique qui dispose que : « La femme enceinte qui ne veut pas poursuivre une grossesse peut demander à un médecin ou à une sage-femme l'interruption de sa grossesse (...) ».
La liberté de la femme d'avorter est aujourd'hui pleinement protégée par la loi portée par Simone Veil en 19752(*), qui fait aujourd'hui partie intégrante de notre patrimoine juridique, et auquel le Sénat s'est toujours montré fortement attaché.
Depuis, l'accès à l'IVG n'a jamais cessé d'être conforté par le législateur : allongements successifs des délais, élargissement des praticiens pratiquant des IVG, amélioration de la prise en charge financière, suppression du critère de « situation de détresse » ou encore du délai de réflexion préalable.
Certes, le Conseil constitutionnel n'a jamais consacré de droit constitutionnel à l'avortement en tant que tel, mais il l'a toujours jugé conforme à la Constitution, les quatre fois où il s'est prononcé sur le sujet en 1975, 2001, 2014 et 2016. De surcroît, il rattache, depuis sa décision du 27 juin 20013(*), l'interruption volontaire de grossesse à la liberté de la femme, découlant du principe général de liberté posé à l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, qu'il concilie avec le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme de dégradation4(*).
* 1 https://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl22-143.html
* 2 Loi n° 75-17 du 17 janvier 1975 relative à l'interruption volontaire de la grossesse.
* 3 Conseil constitutionnel, décision 2001-446 DC du 27 juin 2001 sur la loi relative à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception.
* 4 Principe à valeur constitutionnel reconnu par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 94-343/344 DC du 27 juillet 1994 (première loi bioéthique).